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« Éléments de psychologie clinique psychanalytique »


Le cas de Sméagol

Professeur : : Mr. Didier ACIER Année Universitaire : : 2020-2021

♦♦♦

MASTER 1 : : Parcours « Psychologie Clinique et Psychopathologie Intégrative »

Psychopathologie : : Eléments de Psychologie clinique Psychanalytique


Table des matières

1 – Introduction………………………………………………………………… 5

2 – Sméagol : un être complexe…………………………………………………6

2.1 – Sméagol – Gollum : entre clivage de survie et co-dépendance……………..…..6

2.2 – Le meurtre de Déagol : une mutilation du Moi…………………………..……..8

2.3 – Une personnalité troublée.………………………………………..…………….10

3 – Sméagol et l’anneau : une relation d’objet complexe………………………12

3.1 – Nature de l’objet…………………………………………….………………….12

3.2 – Addiction et dépendance …………………………………….……...…………13

3.3 – Une relation paradoxale……………………………………………….……….16

4 – Conclusion………………………………………………………………….18

5 – Bibliographie………………………………………………………………..19

6- Annexes………………………………………………………………………21

6.1 – Présentation de Sméagol……………………………………………….……….21

6.2 – Engagement de non plagiat………………………………………….………….22

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1 – Introduction

La trilogie du Seigneur des Anneaux, précédant Le Hobbit, est un incontournable clas-

sique de Tolkien mettant en scène une quête dans laquelle une communauté tente de détruire

l’anneau de pouvoir (l’Unique) afin de sortir victorieux d’une guerre contre un fléau d’un

autre âge : Sauron. Tout au long du récit, Sméagol, un être perverti, tente à maintes reprises

de subtiliser l’anneau de pouvoir tant par la force que par la ruse. Il est difficile de savoir si

cet anneau est un simple objet, un être autonome ayant une volonté propre ou une partie de la

personnalité de Sauron. En effet, l’anneau remplit alternativement ces trois fonctions au cours

de l’histoire. Quoi qu’il en soit, la corruption de Sméagol se cristallise autour du lien, si ce

n’est autour de la relation destructrice qu’il entretient avec l’Anneau. Cette relation est com-

plexe et soulève de nombreuses questions liées au type de relation d’objet, à l’addiction, à la

dépendance et aux pulsions. C’est pourquoi il paraît intéressant de souligner dans un premier

temps la complexité de Sméagol pour ensuite se pencher sur le lien qu’il entretient avec l’An-

neau.

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2 – Sméagol : un être complexe

2.1 – Sméagol – Gollum : entre clivage de survie et co-dépendance

Selon moi, Sméagol et Gollum peuvent être considérés comme les deux faces d’une même

pièce. Si Gollum s’apparente à une créature mue par ses instincts érotiques envers l’anneau et

livrée aux pulsions du Ça freudien (Bahadori et al., 2007) , Sméagol de son côté incarne da-

vantage le Surmoi et le Moi. En effet, il parvient à tenir compte du principe de réalité, peut

éprouver de la culpabilité et joue le rôle de conciliateur entre les désirs de Gollum et ses

propres principes. Ainsi, il arrive fréquemment que Sméagol et Gollum entrent en vive dis-

cussion au cours du récit afin de débattre des meilleures actions à effectuer pour s’adapter ou

pour récupérer l’anneau de pouvoir.

Peu d’éléments permettent de retracer précisément la « naissance » de Gollum. Dans le film

de Peter Jackson (2003), c’est à la suite du meurtre de son cousin Déagol que Gollum apparaît

peu à peu aux côtés de Sméagol et qu’une véritable transformation physique s’opère. Cette

différenciation Sméagol – Gollum s’apparente à un clivage dans la mesure où l’unité psy-

chique de Sméagol se retrouve divisée en deux parties (bien que ces deux parties commu-

niquent entre elles). D’un point de vue topique, le meurtre de Déagol pourrait avoir créé une

faille entre le Ça de Sméagol (qui se retrouve isolé chez Gollum) et le complexe Moi - Sur-

moi. Ce mécanisme de défense est probablement survenu afin de protéger Sméagol des af-

fects insupportables liés au meurtre de son cousin, meurtre lié à la découverte de l’anneau. En

se clivant, Sméagol s’est séparé d’une partie compromettante de lui-même, ce qui lui a permis

de survivre narcissiquement (Hejnar & Reyre, 2018). En effet, dans le clivage, il y a déni du

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lien qui unissait les deux parties (Maes, 2014). Or, en déniant le lien qui le relie à Golum,

Sméagol dénie le lien qui le relie à un Ça dangereux pour son intégrité psychique (car ses pul-

sions sont responsables du meurtre de son cousin) et se protège ainsi en partie des consé-

quences de son meurtre : le Moi est protégé de la morale du Surmoi, et le Ça continue d’exis-

ter parallèlement à Sméagol : les trois instances survivent, et Sméagol n’est pas soumis à une

désorganisation ni à une pulsion de mort envers lui-même.

Il est intéressant de noter qu’en dépit de ce clivage, Gollum et Sméagol restent co-dépen-

dants. En effet, bien que Golum, incarnant le Ça, soit mû par le désir de mettre la main sur

l’anneau de pouvoir, c’est au Moi, à Sméagol, qu’il revient d’accorder l’énergie nécessaire

pour la réalisation de cette tâche. Les pulsions du Ça visent à atteindre la conscience et à être

satisfaites, c’est pourquoi Golum a besoin de partager ses pensées et désirs avec Sméagol :

son plaisir en dépend. L’on pourrait dire que Sméagol, en tant que Moi, a le pouvoir de réali-

ser les désirs de Gollum. Cela explique les nombreux dialogues qui se déroulent entre Sméa-

gol et Gollum, et permet de comprendre pourquoi Gollum laisse Sméagol réaliser ses idées.

Sméagol de son côté n’a pas d’autre choix que d’obéir à Golum, puisque Golum favorise sa

survie. En effet, privé du Ça, Sméagol est naïf, extrêmement vulnérable à la violence et ne

parvient pas à prendre soin de lui correctement ni à se protéger. Ce comportement pourrait

également être expliqué par une non-maturation des phénomènes transitionnels tels qu’évo-

qués par Winnicott en 1951 (cité par McDougall, 1993) : Sméagol ne serait pas parvenu à se

représenter un environnement maternant. Par conséquent, c’est Golum qui assure la survie de

Sméagol en lui indiquant les actions à effectuer, en soulignant certains aspects importants de

son expérience et en lui apportant un environnement maternant. En effet, dans le film de Peter

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Jackson (2002), lorsque Sméagol, recroquevillé, pleure après avoir été trahi et s’être fait bru-

talisé, Golum semble le prendre dans ses bras et le caresser.

Ainsi, Gollum a besoin de Sméagol pour réaliser ses désirs, tandis que Sméagol a besoin de

Gollum pour survivre. Malgré tout, c’est Sméagol qui détient le pouvoir de choisir et d’accor-

der son énergie ou non à la satisfaction des désirs du Ça-Golum. Or durant le récit, Sméagol

tombe peu à peu sous l’influence du Ça, au détriment de sa propre survie, ce qui suggère que

le Moi-Sméagol est affaibli.

2.2 – Le meurtre de Déagol : une mutilation du Moi

Nous avons vu précédemment qu’à la suite du meurtre de son cousin, Sméagol a subi un cli-

vage intrapsychique qui a contribué à l’émergence de Gollum. Comment expliquer qu’à la

suite de ce meurtre, la personnalité de Sméagol se soit clivée ? Dans ses Nouvelles Confé-

rence en 1932 (cité dans Maes, 2014), Freud affirmait que « si l’on jette un cristal par terre, il

ne se brise pas n’importe comment, mais suivant une ligne ou plus exactement un plan de cli-

vage qui fait partie de sa structure ». En partant de cette affirmation avec laquelle je suis d’ac-

cord, il est possible d’inférer qu’il existait une faille entre le complexe Moi – Surmoi et le Ça

de Sméagol, faille creusée par le meurtre et ses conséquences. Bien qu’il n’y ait pas assez

d’éléments pour connaître l’origine de cette faille, je me risque à proposer qu’elle trouve sa

source au sein des relations familiales qu’a entretenu Sméagol avec ses parents au cours de

son enfance et de sa petite enfance.

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À la suite du meurtre de son cousin, Sméagol cacha le corps et retourna dans son village sans

jamais évoquer cet incident. Il est mentionné qu’il utilisa l’anneau afin de voler certains ob-

jets, ce qui n’est probablement pas un hasard et peut être mis en lien avec éventuel manque

datant de la petite enfance. Par ailleurs, Sméagol se mît à parler tout seul (ce qui suggère que

Gollum est apparu à ce moment-là), emmuré dans sa solitude et détesté de tous, avant de se

faire bannir de la maison familiale par sa grand-mère. Il est fort probable que le meurtre de

Déagol, associé au fait d’être détesté, rejeté et banni par sa grand-mère ait traumatisé Sméa-

gol. Or selon Bokanowski (2002), les conséquences d’un tel incident peuvent affaiblir le Moi

et ouvrir des blessures narcissiques, ce qui favorise certains mécanismes de défenses coûteux

comme le déni, l’idéalisation ou encore le clivage. En d’autres termes, je considère que le

traumatisme de Sméagol, s’il existe, a été la principale contribution au clivage qui a suivi. Par

ailleurs, cette mutilation du Moi pourrait expliquer que Sméagol soit peu à peu tombé sous

l’influence du Ça-Gollum, et qu’il ait cherché à combler les ou la zone psychique tuée par ce

traumatisme, zone qu’il n’est pas possible de symboliser, représenter, figurer ou rêver. En ef-

fet, au cours du récit, il arrive que Gollum rappelle à Sméagol qu’il est un meurtrier, ce qui

l’affecte particulièrement et témoigne du fait que le travail inconscient du rêve n’a pas été as-

sez efficace pour le protéger de ces réminiscences qui surgissent de manière imprévisible : le

rêve est impossible à rêver, il reste inrêvé.

Cette mutilation du Moi s’accompagne d’un sentiment d’identité diffus. En effet, il semble

que Sméagol ait associé Gollum à l’anneau de pouvoir, les nommant tout deux « mon pré-

cieux » et préférant utiliser le « nous » au « je ». Or Gollum, bien que se situant dans un es-

pace psychique différent de Sméagol, reste une partie de lui. Cette perturbation des limites

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identitaires s’accompagne d’une perception ambivalente de lui-même et des autres. En effet,

Sméagol aime « son précieux » autant qu’il le déteste. Quant à sa perception d’autrui, elle

reste en proie au clivage, et à l’ambivalence. Ainsi, Sméagol détestera « le gros hobbit jouf-

flu » ou aimera « le gentil hobbit ». De la même manière, il idéalisera le porteur de l’anneau,

s’identifiera à lui tout en essayant de lui subtiliser l’anneau, même s’il doit pour cela le

conduire à la mort.

Ces nombreuses perturbations laissent à penser que la personnalité de Sméagol n’appartient

pas au niveau d’organisation sain, ce qui renforce la complexité de ce personnage à deux vi-

sages.

2.3 – Une personnalité troublée

Les mécanismes de défense de Sméagol, en dehors du clivage évoqué précédemment, in-

cluent l’idéalisation (notamment de l’anneau), la dépréciation (envers Sam, un ami du porteur

de l’anneau) et de nombreux passages à l’acte. Par ailleurs, Sméagol semble avoir du mal à

réguler ses affects, qu’ils soient positifs ou négatifs. Ces éléments laissent à penser que le ni-

veau d’organisation de personnalité de Sméagol se situe au niveau borderline. Ce niveau d’or-

ganisation accentue la vulnérabilité aux dépendances et addictions, ce qui contribue certaine-

ment à maintenir une relation destructrice entre Sméagol, Gollum et l’anneau. Par ailleurs,

lors d’une scène du film, Sméagol hallucine l’anneau et s’adresse à lui, bien qu’il ne soit pas

en sa possession. Ce décalage avec la réalité rapproche Sméagol du niveau d’organisation

borderline le plus bas, mais ne peut pas correspondre à un niveau psychotique étant donné que

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la valeur et le danger entourant l’anneau sont une réalité. Ainsi, les inquiétudes et passions

de Sméagol envers l’anneau sont fondées.

En ce qui concerne le style de personnalité de Sméagol, ce dernier correspond probablement

au style paranoïaque. En effet, Sméagol, qui a possédé l’anneau de pouvoir durant de longues

années, sait que cette relique est très convoitée. Ainsi, il méprise met en garde à de nom-

breuses reprises le porteur de l’anneau et l’incite à éviter les chemins trop fréquentés. De plus,

Sméagol est facilement terrorisé lorsque qu’il se sent en danger, et peut avoir des excès de

rage, notamment vers la fin du récit, lorsque Frodo tente de détruire l’anneau de pouvoir. Le

fait que ce style de personnalité paranoïaque se situe au niveau d’organisation borderline

complique non seulement la régulation de la rage et de la peur de Sméagol, mais également sa

relation à l’anneau et à Gollum. En effet, les sujets ayant un style de personnalité paranoïaque

sont préoccupés par le fait d’attaquer ou d’être attaqué. Ils tendent à se sentir constamment en

danger (ce qui explique pourquoi Sméagol a passé tant de temps isolé dans une grotte) et

voient le danger partout. Or la perte de l’anneau représente pour Sméagol un réel danger, ce

qui explique qu’il voit en de nombreux êtres un voleur potentiel de l’anneau.

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3 – Sméagol et l’anneau : une relation d’objet complexe

3.1 – Nature de l’objet

Comme dit précédemment, il est difficile de savoir si l’anneau est un simple objet, un être mû

par une volonté propre, ou une partie de Sauron, puisqu’il alterne entre ces trois rôles. Si l’an-

neau est envisagé comme une partie de Sauron, alors il est possible de considérer qu’il s’agit

d’un objet partiel visé par des pulsions partielles de Sméagol. Dans ce cas-là, le pouvoir de

Sauron serait un objet d’amour, sans que Sauron lui-même soit investi. Cela entre en cohé-

rence avec le comportement de Sméagol qui cherche à tout prix à récupérer l’anneau tout en

évitant que Sauron le récupère tout au long de l’intrigue. Il est possible que l’investissement

de l’anneau par Sméagol réponde à un manque en lien avec le pouvoir, et plus particulière-

ment la faculté de se rendre invisible, car telle est le pouvoir véhiculé par l’anneau. En partant

de cette hypothèse, il est possible d’inférer que dans sa petite enfance, Sméagol ait souffert

d’intrusions ou au minimum d’une angoisse d’intrusion en lien avec son environnement fami-

lial. Bien entendu, le récit ne contient pas assez d’élément pour pouvoir l’affirmer avec certi-

tude.

Comme le soulignent Bahadori et ses collaborateurs (2007) l’anneau peut également être en-

visagé comme un objet transitionnel. Cependant, je ne suis pas totalement en accord avec

cette proposition. Certes, si l’on considère que l’anneau de pouvoir a permis à Sméagol de

faire preuve de créativité en inventant un Gollum maternant (une figure protectrice), alors on

peut rapprocher l’anneau d’un objet transitionnel, car un objet transitionnel, permet l’introjec-

tion d’un environnement maternant (Blondel, 2004) et permet de passer d’une dépendance ab-

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solue à une dépendance relative. Néanmoins, dans le cas de Sméagol, il semble que l’émer-

gence de Gollum ait été vécu comme une contrainte (car Sméagol affirme le détester), ce qui

semble plus destructeur que créateur. De plus, comme nous le verrons plus tard, il semble que

l’anneau ait contribué à la création d’une dépendance plutôt qu’à sa relativisation, qui plus

est, chez un être qui n’est ni un bébé ni un enfant. Ces réflexions m’amènent à penser que

l’anneau se comporte plutôt comme un objet de dépendance qui ne favorise en aucun cas l’in-

trojection d’un environnement maternant (environnement de soins et de protection) mais fa-

vorise au contraire les pulsions de mort (car Sméagol tue pour l’anneau et le protège, ce qui

le conduira à la mort).

L’anneau peut également être considéré comme une entité à part entière, avec sa propre vo-

lonté (qui est de retourner à la main de Sauron). En effet, dans l’adaptation cinématogra-

phique du Seigneur des Anneaux, l’anneau de pouvoir est capable de s’adresser à son porteur

(via des mots tels que « Agis »), ce qui empêche de le considérer comme un simple objet in-

animé. Or si Sméagol apprécie l’anneau non comme une part de Sauron, mais comme une

personne à part entière, il ne s’agit plus d’un objet partiel mais d’un objet total. L’on pourrait

encore dire que l’anneau se comporte comme un objet pulsionnel, à même de satisfaire Sméa-

gol, et surtout Gollum (qui correspond au Ça, instance freudienne d’où naissent les pulsions).

3.2 – Addiction et dépendance

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Certains fans du Seigneur des Anneaux ont affirmé que Sméagol est addict à l’anneau, ce qui

peut se comprendre de deux façons : 1) Sméagol est dépendant de l’anneau ; 2) Sméagol est

atteint d’addiction à l’anneau.

Selon moi, il est évident que Sméagol souffre d’une dépendance à l’anneau, tout d’abord

parce que le pouvoir de l’anneau maintient son porteur en vie en lui offrant une longévité ex-

traordinaire. En effet, sans l’anneau, Gollum n’aurait pas pu vivre aussi longtemps, et sans

lui, son âge (plus de 500 ans) le rattraperait rapidement et le conduirait à la mort. De plus, le

besoin de la présence de l’anneau répond aux pulsions du Ça et donc aux pulsions de Gollum.

Or le désir de mettre la main sur l’anneau est également partagé par Sméagol : on peut donc

considérer que le duo Sméagol-Gollum s’articule autour de la présence de l’anneau qui serait

donc intégré à cette organisation particulière, créant ainsi une dépendance psychologique.

Pour autant, peut-on considérer que Sméagol entretient une relation addictive avec l’anneau ?

Selon Chauvet (2004), l’addiction se caractérise par la recherche d’un objet dans l’objectif de

le « consommer avec avidité ». Cela permettrait à l’individu de ne pas sombrer dans la perte

d’identité ou l’indifférenciation, et constituerait un acte-symptôme, une compulsion pouvant

amener une dépendance. Sméagol recherche effectivement l’anneau de pouvoir qui joue cer-

tainement un rôle fondamental dans son organisation psychique. Ceci étant dit, peut-on affir-

mer que Sméagol « consomme l’anneau avec avidité » ? Cela n’est pas certain. En effet,

Sméagol semble surtout rechercher la présence de l’anneau. Si l’on prend en considération les

réflexions de Pedinielli et Bonnet (2008), l’addiction serait un besoin irrépressible ressenti

corporellement, incitant à l’action, et laissant ensuite le sujet dans un état d’ennui ou de dé-

goût. Ces auteurs ajoutent que l’addiction s’inscrit dans la répétition, mais que paradoxale-

ment, l’addiction peut déterminer la répétition. Cette description pourrait en partie s’appliquer

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aux pulsions meurtrières de Sméagol envers les porteurs de l’anneau. En effet, lors de sa pre-

mière rencontre avec l’anneau, Sméagol n’a pas hésité à tuer son cousin afin de lui voler l’ob-

jet convoité. De ce point de vue, l’addiction à l’anneau serait apparue avant que les pulsions

meurtrières de Sméagol ne se répètent en son absence. Ajoutons à cela le fait que l’addiction

peut se définir comme « une lutte inégale du sujet avec une partie de lui-même » et que les

objets d’addiction, dans les cas extrêmes, « donnent sens à la vie » (McDougall, 1993), ce qui

est en cohérence avec le fait que Sméagol ait préféré sauver l’anneau que sa propre vie dans

le film de Peter Jackson (2003).

Si l’anneau semble effectivement donner du sens à la vie de Sméagol, ce dernier ne semble

pas consommer l’anneau en tant que tel. De plus, l’objet d’addiction est un objet transitoire

qui doit sans cesse être remplacé (Hejnar & Reyre, 2018) ce qui ne correspond pas au cas de

l’anneau de pouvoir qui est un anneau unique, irremplaçable et quasiment indestructible.

L’anneau de pouvoir n’est donc pas un objet d’addiction. En revanche, il me paraît important

de rappeler que l’anneau est une partie de Sauron, or Sauron cherche à récupérer l’anneau, fo-

calisant une grande part de ses pensées sur cette relique. Ainsi, se pourrait-il qu’à travers la

présence de l’anneau, Sméagol cherche à exister aux yeux de Sauron ? L’addiction ne concer-

nerait alors pas l’anneau, mais plutôt la présence fantasmée de Sauron, ce qui rapprocherait

Sméagol de la relation de dépendance addictive décrite par McDougall (1993). En effet, bien

que Sauron demeure éloigné géographiquement de Sméagol, ce dernier continue de comman-

der ses armées et d’envoyer ses serviteurs à la recherche de l’anneau et de son porteur. La

présence de l’anneau a donc pour conséquence d’attirer l’attention de Sauron sur son porteur.

Or dans la dépendance addictive, la présence d’autrui, réelle ou non, est activement recher-

chée. Que le sujet dépendant soit aimé où haï importe peu, tant qu’il existe aux yeux de son

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objet (McDougall, 1993). Exister aux yeux de Sauron permettrait à Sméagol de donner un

sens à vie et de compenser ses blessures narcissiques, lui qui a tué son propre cousin, qui a été

détesté par sa propre famille et qui a été banni de son propre village. Si cette hypothèse

s’avère juste, alors l’anneau de pouvoir ne représenterait pour Sméagol qu’un moyen d’obte-

nir de l’attention de la part de Sauron, ce dernier serait alors le véritable objet d’addiction. De

plus, cela expliquerait pourquoi Sméagol s’est efforcé de suivre le porteur de l’anneau dans sa

quête.

3.3 – Une relation paradoxale

Avant de conclure, il me semble intéressant de souligner l’aspect paradoxal que peut revêtir la

relation de Sméagol avec l’anneau. En effet, si l’on reprend l’hypothèse énoncée plus haut,

Sméagol recherche l’anneau afin d’exister aux yeux de Sauron. Or cet anneau à le pouvoir de

rendre quiconque le porte invisible, ce qui ne permet pas d’être facilement remarqué. Par

ailleurs, l’anneau de pouvoir donne une longue vie à qui le porte, tout en favorisant une mort

symbolique, puisque quiconque le porte trop longtemps fini par appartenir à un autre monde.

Par ailleurs, si l’anneau de pouvoir a contribué à donner un sens à la vie de Sméagol, il a éga-

lement contribué à le lui retirer en favorisant son bannissement à la suite duquel il semblait

survivre plutôt que vivre. Par ailleurs, il est mentionné plus ou moins explicitement au cours

du récit que l’anneau, perfide par nature, est responsable de la transformation de Sméagol en

Gollum. Or c’est bien à cause de cette transformation que Gollum a activement recherché

l’anneau et le détruisit accidentellement. L’anneau qui souhaitait rejoindre son maître s’est

donc détruit indirectement. Il en va de même pour Sauron dont la survie dépendait de son an-

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neau de pouvoir. Par ailleurs, si Gollum est apparu au contact de l’anneau, il a été détruit au

même moment que cet anneau. Ces nombreux paradoxes rendent selon moi la distinction

entre pulsions de vie et pulsion de mort difficile, ce qui peut certainement s’appliquer à de

nombreuses addictions et souligner ainsi la complexité de ce phénomène.

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4 – Conclusion

La relation entre Sméagol, Gollum, l’anneau et Sauron est indéniablement une relation com-

plexe. En effet, l’anneau et Gollum semblent se comporter comme des interfaces entre Sauron

et Sméagol. Cette relation se complexifie encore lorsque l’on se rend compte du paradoxe

qu’elle représente. Chaque objet semble lié à la survie d’un autre. Sauron ne peut survivre

sans son anneau tandis que Sméagol ne peut survivre sans Gollum. Gollum de son côté a été

créé à cause de l’anneau et le recherche. Or l’anneau, créé par Sauron souhaite retourner à la

main de son maître. C’est en s’accrochant à la vie que ces quatre entités se sont liées dans la

mort. Ce dénouement n’est pas sans rappeler l’ironie de la vie, ironie pouvant s’avérer parti-

culièrement amère dans certains cas. Aussi, ce récit peut certainement nous inciter à rester

humbles face aux mystères de la vie.

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5 - Bibliographie

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Tolkien, J. R. R. (2015). Le Seigneur des anneaux (Tome 2)-Les Deux Tours (Vol. 2). Chris-

tian Bourgois éditeur.

Tolkien, J. R. R. (2016). Le Seigneur des anneaux (Tome 3)-Le Retour du Roi (Vol. 3).

Christian Bourgois éditeur.

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6 – Annexes

6.1 – Présentation de Sméagol

Sméagol était un hobbit habitant un village paisible auprès de sa famille. On sait que Sméagol

dans sa jeunesse était un être très curieux, plutôt solitaire, s’intéressant aux secrets que recèle

la terre. Le jour de l’anniversaire de Sméagol, Déagol, son cousin, se fait emporter sous une

rivière par un poisson au cours d’une partie de pêche. C’est alors qu’il trouve, enfoui dans la

vase, l’anneau de pouvoir. En retrouvant Déagol, Sméagol remarque l’anneau de pouvoir et le

convoite immédiatement. Il demande à Sméagol de le lui donner et face à soin refus,

l’étrangle froidement.Il récupère alors l’anneau, cache le corps de son cousin et rentre chez

lui sans jamais évoquer cet incident. Sméagol se met alors à utiliser l’anneau afin de voler les

habitants du village, et commence à se parler tout seul, puis à faire de drôle de bruits (« gol-

lum »). Il se fait finalement bannir de son village par sa propre grand-mère, et se réfugie dans

une caverne pendant cinq cent ans. Lorsque Gollum se fait voler l’anneau, il part à sa re-

cherche et se met à suivre Frodo Sacquet, le porteur de l’anneau. Face à son impuissance à ré-

cupérer l’anneau, il décide de guider Frodo jusqu’au Mordor. Vers la fin de son voyage,

Sméagol trahit Frodo, en commençant par l’inciter à entrer dans la grotte d’une sombre ter-

reur (l’araignée Arachne) puis en l’agressant ouvertement. L’histoire se termine dans le vol-

can du Mordor, où Gollum arrache un doigt de Frodo, récupère l’anneau, et tombe dans le

magma en fusion, détruisant sa vie et l’anneau par la même occasion.

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6.2 – Engagement de non plagiat

ENGAGEMENT DE NON PLAGIAT

Je soussigné(e), E163706R, assure avoir pris connaissance de la charte anti-plagiat de


l'Université de Nantes (approuvée par le Conseil d’Administration de l’Université de Nantes
en date du 21 octobre 20111) et déclare être pleinement conscient que le plagiat de documents
ou d'une partie d'un document publiés sur toutes formes de support, y compris l'internet,
constitue une violation des droits d'auteur ainsi qu'une fraude caractérisée passibles de
sanctions disciplinaires voire de poursuites judiciaires dans les cas où le plagiat est aussi
caractérisé comme étant une contrefaçon (article 5 de la charte anti-plagiat de l'Université de
Nantes). En conséquence, je m'engage à citer toutes les sources que j'ai utilisées pour écrire ce
rapport ou mémoire.

Fait le 12/ 12/ 2020, à Bouguenais.

Signature

Lu et approuvé,
E163706R

1 Téléchargeable à l’adresse URL : http://www.univ-nantes.fr/69054405/0/fiche___pagelibre/

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