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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2009) 57, 615—620

MISE AU POINT

Approche clinique pédopsychiatrique de la dyslexie


et du concept de spécificité. À propos de 80 enfants
ayant consulté au centre référent des troubles du
langage de Poitiers
Dyslexia and the concept of specificity from a pediatric psychiatric
perspective. A study concerning 80 children who have been treated at the
Centre référent des troubles du langage de Poitiers

E. Cestac a, J. Uzé b,∗

a
Pôle 7 de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, centre hospitalier Henri-Laborit,
86021 Poitiers cedex, France
b
Pôle 7 de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, centre référent des troubles du
langage, centre hospitalier Henri-Laborit 86021 Poitiers cedex, France

MOTS CLÉS Résumé Les dossiers de 80 enfants ont été étudiés dans le cadre du Centre référent des
Dyslexie ; troubles du langage de Poitiers, où ces enfants ont consulté pour reconnaissance d’une dys-
Trouble spécifique du lexie en tant que trouble spécifique du langage écrit. Si 60 % d’entre eux peuvent répondre
langage écrit ; à ce diagnostic, tel qu’il est critérisé actuellement, 40 % de ces enfants, en revanche, pré-
Troubles des sentent des troubles de la personnalité masqués par des difficultés d’apprentissage qui ont été
apprentissages ; à l’origine de rééducations peu mobilisatrices. L’étude de ces deux « populations » dessine des
Psychopathologie de profils différenciés où l’on peut repérer, en particulier chez les enfants souffrant d’un trouble
la scolarité ; psychopathologique, des éléments symptomatiques dépassant largement la plainte dyslexique.
Centres référents des L’évaluation d’un trouble sévère du langage écrit ne peut pas faire l’économie d’un éclairage
troubles du langage psychopathologique.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.
Adresses e-mail : cestac@ch-poitiers.fr (E. Cestac), j.uze@ch-
poitiers.fr (J. Uzé).
0222-9617/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.neurenf.2009.05.010
616 E. Cestac, J. Uzé

KEYWORDS
Summary The medical records of 80 children were studied at the Centre référent des troubles
Dyslexia; du langage de Poitiers where children are referred for problems of dyslexia and specific language
Written language impairment for written language. Whereas 60% of these patients fall within these categories
impairment; as they are currently defined, 40% of these children present personality disorders which are
Learning disability; masked by learning disabilities that have been treated by ineffective therapies. The present
Developmental study of these two populations yields distinctive profiles where one can identify, particularly in
psychopathology; those children with psychopathologies, symptoms that extend well beyond those of dyslexia.
Centers specializing Thus, an evaluation of a severe impairment of written language can benefit from a psychiatric
in language evaluation.
disabilities © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Le centre référent des troubles du langage de la région Il s’agit de s’interroger sur les limites du concept de spé-
Poitou-Charentes s’est mis en place fin 2004 au sein cificité dans la mesure où sa récente introduction dans la
de l’Intersecteur Sud de psychiatrie de l’enfant et de nosographie des troubles des apprentissages est censée y
l’adolescent du Centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers, apporter une clarification, d’une part, une prise en charge
même si, de façon nationale, la très grande majorité de singulière, d’autre part, plus ou moins « lourde », en fonction
ces centres référents (environ 70 %) sont implantés dans des de la reconnaissance, ou non, d’un handicap, alors, par les
services universitaires de pédiatrie/neuropédiatrie. maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
Le concept de trouble spécifique du langage oral ou Tous les éléments de ce dispositif (prise en charge des
écrit (dysphasie/dyslexie) fait encore l’objet de discussions troubles spécifiques du langage et des apprentissages et leur
qui ne sont pas sans incidence sur les modalités de prise médiatisation, MDPH largement ouvertes aux associations de
en charge organisées en fonction d’approches et de réfé- parents, centres référents renforçant l’hospitalocentrisme)
rences différentes, voire divergentes. La notion de « trouble se mettant en place quasi simultanément ont généré une
spécifique » présuppose selon les textes une atteinte déve- certaine confusion dans la gestion clinique et médicoadmi-
loppementale d’une fonction cognitive par opposition à nistrative de ces troubles ; ce qui aboutit généralement, et
une conception dans laquelle le trouble est à comprendre pour le moment, à une rigidification des réponses dont la
comme un symptôme témoignant d’une souffrance psy- caricature serait : seul le trouble « spécifique » permet une
chique méconnue. aide « spécifique », elle aussi, dans le seul cadre de la recon-
Il est maintenant, quasi unanimement, admis que naissance d’un handicap. Les années aidant, nous pensons
l’approche psychoaffective exclusive des troubles du lan- que reviendra le temps de « l’éloge de la complexité » per-
gage de l’enfant est critiquable. Il est nécessaire à nous mettant, ainsi, de faciliter les soins, les rééducations et les
pédopsychiatres de tenir compte des connaissances appor- aides pédagogiques dans le cadre d’une MDPH, s’il le faut,
tées, ces vingt dernières années, par les sciences cognitives, plus souple, plus ajustée, plus à l’écoute de la clinique.
la linguistique et les neurosciences. Selon Plaza [1], il est C’est donc à l’articulation du scolaire, du sanitaire et du
indispensable de tenir compte de la richesse de l’expérience médicoadministratif que le Centre référent des troubles du
de l’enfant « qui ne se réduit ni à ses gènes, ni à son cer- langage de Poitiers (CRTL) s’est entendu poser la question de
veau, ni à ses fantasmes originaires, ni à son œdipe. . . la « spécificité » concernant les troubles sévères du langage
mais qui articule cela et cela ». L’objectif en effet n’est écrit, notre étude portant sur 80 enfants vus au cours de
pas de faire basculer le balancier théorique et pratique l’année 2006.
du « tout affectif » au « tout organique », même si le dis-
cours « officiel » actuel nous y incite ; et pas seulement en
ce qui concerne le langage, aujourd’hui nous vivons sous
le règne du « tout cérébral », avec une certaine escalade Objectifs de la recherche
dans les investigations lourdes jugées objectives [2]. Une
telle mise en perspective implique d’abord de reconnaître
Objectifs généraux
que les troubles du langage ont un mode d’organisation et L’objectif principal de notre étude est de tenter de faire
une structure particulière, dont la compréhension requiert un état des lieux d’une population particulière qui est celle
une connaissance du développement cognitif, affectif et d’enfants consultant un centre référent des troubles du lan-
langagier de l’enfant et de ses divers modes de dys- gage pour une symptomatologie dyslexique [3].
fonctionnement. Les troubles du langage ne sont pas Ce projet tente de s’inscrire dans les recommandations
l’ « équivalent » d’un trouble psychopathologique. En second du plan national d’action 2001 à 2004 [4] visant à amé-
lieu, il est important de rappeler que si les neurosciences et liorer la prise en charge des enfants en grande difficulté
les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale permettent d’apprentissage du langage écrit.
d’observer ou plutôt de reconstruire les corrélats céré- Notre objectif est d’essayer d’apporter un regard diffé-
braux des activités cognitives et affectives, elles ne donnent rent sur ces troubles de la lecture, notamment grâce à la
pas pour autant l’explication des troubles du langage. particularité du centre référent de Poitiers qui est d’être
« Corrélation » ne signifie pas « causalité ». implanté en pédopsychiatrie.
Approche clinique pédopsychiatrique de la dyslexie et du concept de spécificité 617

Enfin, nous voulions apprécier la pertinence du Ce centre référent est implanté en pédopsychiatrie au
concept de spécificité concernant les difficultés sévères centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers. Ce centre a
d’apprentissage du langage écrit de notre échantillon. vocation régionale.

Objectifs spécifiques Inclusion des enfants


Nous souhaitions nous intéresser à l’histoire de ces enfants Critères d’inclusion
mais dans une globalité. En effet, il nous semblait que les
Les critères d’inclusion retenus pour notre étude sont les
difficultés sévères de lecture rencontrées par les enfants de
suivants :
notre étude pouvaient s’inscrire dans le cadre d’un dévelop-
• l’âge supérieur ou égal à huit ans ;
pement perturbé à des niveaux parfois infracliniques ; ces
• deux années de scolarité élémentaire révolues ;
perturbations émergeant à l’occasion de la confrontation
• consulte pour une symptomatologie dyslexique ;
à l’écrit. Or, au vu des données de la littérature et égale-
• reçu en consultation pédopsychiatrique ;
ment des dossiers de demande de consultation, nous étions
• QI supérieur ou égal à 70 ;
frappés par le peu d’éléments anamnestiques recueillis chez
• la période d’inclusion : de l’ouverture du centre référent,
ces enfants ; comme si « tout commençait » justement avec
en novembre 2004, à décembre 2006.
l’apprentissage du langage écrit.
Nous voulions donc tenter d’apporter des éléments
d’histoire, savoir comment se sont développés ces enfants Critères d’exclusion
avant de se « heurter » à la lecture. Secondairement, nous Les critères d’exclusion retenus pour notre étude sont les
voulions tenter d’expliquer les liens entre ces différents fac- suivants :
teurs cliniques et anamnestiques et les troubles sévères du • l’âge inférieur à huit ans ;
langage écrit. • moins de deux années de scolarité élémentaires ;
Nous voulions mettre en évidence la présence • la déficience mentale (critères classification française des
d’éventuels éléments symptomatiques que pourrait troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent [CFT-
masquer ce trouble de la lecture, afin d’ouvrir des pistes MEA]), soit QI inférieur à 70 ;
de réflexion psychopathologique. • la déficience sensorielle ;
De plus, à partir de notre expérience clinique, nous • le trouble neurologique ;
avions le sentiment que différents profils se dégageaient • les perturbations graves de la personnalité (troubles enva-
dans notre population. Il nous semblait qu’une partie des hissants du développement).
enfants présentait un trouble d’apprentissage du langage
écrit plutôt « isolé », « pur », pouvant correspondre aux défi- Ces critères ont été directement déterminés par les cri-
nitions actuelles de la dyslexie, comme trouble spécifique ; tères d’exclusion retenus pour définir la dyslexie dans la
tandis que nous repérions un autre profil d’enfants pour qui, grande majorité de la littérature internationale et en parti-
nous semblait-il, leur symptôme dyslexique s’intégrait dans culier, dans les rapports officiels nationaux des ministères de
un trouble psychique plus complexe, de type névrotique la Santé et de l’Éducation, où ce trouble spécifique constitue
voire limite. Nous nous sommes donc fixé pour objectif de un handicap.
mettre à jour ces différents profils, en tentant de dégager
des spécificités pour l’un et l’autre groupe. Étude des dossiers
Nous souhaitions préciser le trouble psychique du second
groupe. Une grille de lecture des dossiers a été élaborée [3] et
Nous souhaitions également en étudiant la population s’organise autour de sept grands thèmes :
d’enfants pour qui le trouble instrumental semblait isolé • l’enfant dans sa famille ;
savoir si nous étions réellement face à un groupe relative- • ses antécédents médicaux et chirurgicaux ;
ment homogène, uniforme ; si l’histoire de ces enfants était • son histoire de vie et son développement ;
aussi lisse qu’elle nous l’avait été contée et que la définition • l’histoire de son symptôme dyslexique ;
« en creux » de la dyslexie ne nous le laissait penser. • son parcours scolaire ;
• son profil psychométrique ;
• son évaluation au CRTL.
Matériel et méthode
Population étudiée
Résultats : diagnostic posé au CRTL
Nous avons inclus dans notre étude 80 enfants (59 garçons et
Pour chaque enfant inclus dans notre étude un diagnostic
21 filles). Ces enfants ont consulté entre novembre 2004 et
principal a été posé selon les critères de la CFTMEA [5].
décembre 2006, au Centre référent des troubles du langage
de Poitiers (CRTL), pour une symptomatologie dyslexique
sévère, à la demande des professionnels de la santé ou 30,0 % (n = 24) des enfants présentent un
de l’éducation ; nous entendons par symptomatologie dys- trouble névrotique
lexique des difficultés sévères d’apprentissage de la lecture
objectivées par un bilan orthophonique avec un âge lexique Ces troubles sont répartis, selon la classification CFTMEA,
inférieur d’au moins 18 mois à l’âge chronologique. en :
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Discussion
Une population particulière d’enfants
présentant un trouble du langage écrit
Une symptomatologie dyslexique sévère et
complexe
La population d’enfants que nous avons étudiée est parti-
culière dans le sens où elle est rencontrée dans le cadre
d’un centre référent. Il ne s’agit donc pas d’une popula-
tion d’enfants « tout-venant » consultant pour des difficultés
Figure 1. Diagnostic principal en fonction du sexe. d’apprentissage de la lecture. De fait, notre population est
sélectionnée par la sévérité et la complexité de ses troubles.
Ces enfants nous sont adressés par des professionnels qui
• 1,3 % (n = 1) de troubles névrotiques à dominante demandent un avis « ressource », le plus souvent, car eux-
anxieuse ; mêmes sont en difficulté dans la prise en charge de ces
• 1,3 % (n = 1) de troubles névrotiques à dominante pho- enfants, que ce soient des difficultés pédagogiques ou des
bique ; échecs ou stagnations de prises en charge thérapeutiques.
• 5,0 % (n = 4) de troubles névrotiques avec prédominance
des inhibitions ;
• 1,3 % (n = 1) de dépressions névrotiques ; Des troubles du langage écrit initialement qualifiés
• 21,3 % (n = 17) de troubles névrotiques avec perturbations de « spécifiques »
prédominantes des fonctions instrumentales. Il est important de préciser que tous les enfants ont été
adressés pour un avis sur leur « trouble spécifique du langage
Le diagnostic de pathologie limite a été posé écrit » ou « dyslexie ». En effet, les enfants que nous avons
inclus répondent aux critères des classifications internatio-
pour 10,0 % (n = 8) des enfants de notre étude
nales et des textes officiels nationaux définissant la dyslexie,
Ces diagnostics se répartissent, selon les critères CFTMEA, en tant que trouble instrumental spécifique. Les enfants de
ainsi : notre étude ont un âge lexique d’au moins 18 mois inférieur
• 3,8 % (n = 3) de dysharmonies évolutives ; à leur âge chronologique. Ils sont normalement intelli-
• 3,8 % (n = 3) de pathologies limites avec dominance des gents, ne souffrent d’aucun trouble neurologique, d’aucune
troubles de la personnalité ; déficience sensorielle. Ils ont bénéficié d’une scolarisation
• 1,3 % (n = 1) de pathologies limites à dominante compor- adéquate. Ils ne présentent pas de troubles mentaux avérés.
tementale ; Leur environnement familial n’est pas générateur de graves
• 1,3 % (n = 1) de dépressions liées à une pathologie limite. déprivations socio-économiques ou culturelles.
Une partie des enfants était même adressée pour que
clairement soit « validée », par le centre référent, la spéci-
Le diagnostic de dyslexie, au sens de trouble ficité de leur trouble du langage écrit.
spécifique d’apprentissage de la lecture, a été
posé pour 60,0 % (n = 48) des enfants de notre Deux types de profil
étude
Une majorité d’enfants souffrant de dyslexie,
Ce diagnostic est associé pour 3,8 % (n = 3) des enfants à un trouble spécifique du langage écrit
trouble dysphasique.
Cette dyslexie est associée pour 3,8 % (n = 3) des enfants Pour 60 % de notre population (Fig. 2), un diagnostic de
à un trouble hyperkinétique avec déficit d’attention. dyslexie a été posé en tant que trouble spécifique du lan-
Cette répartition diagnostique n’est pas différente selon gage écrit. La perturbation de la fonction instrumentale
le sexe (Fig. 1). semble pour ces enfants constituer un ensemble syndro-
mique bien délimité, permettant à lui seul de caractériser la
problématique ; en pareil cas, les mesures mises en œuvre,
Au vu de ces résultats, il nous a semblé d’ordre pédagogique et rééducatif, paraissent devoir être
intéressant de comparer deux centrées sur les atteintes spécifiques et sur les défauts
sous-populations d’apprentissage qui s’y relient ; même s’il convient toujours
d’apprécier les fréquentes conséquences psychoaffectives
Ainsi : de ces troubles.
• celle pour qui le symptôme dyslexique semble donc Nous n’avons pas dans le cadre de notre travail
s’inscrire dans une « dyslexie vraie », soit un trouble spé- classé ces dyslexies en sous-groupes, tels qu’ils ont été
cifique du langage écrit ; c’est-à-dire qu’il s’explique par décrits par les neurocognitivistes [6] : dyslexies phonolo-
un trouble instrumental « pur » ; giques, de surface et mixtes. Cliniquement, nous savons
• celle pour qui le symptôme dyslexique apparaît lié à une les limites d’une telle typologie. En effet, les stratégies
perturbation psychique d’ensemble, qu’elle soit de type d’assemblage et d’adressage interagissent chez l’enfant.
névrotique ou limite. Aussi, une défaillance phonologique avec atteinte de la voie
Approche clinique pédopsychiatrique de la dyslexie et du concept de spécificité 619

d’assemblage va forcément fragiliser la constitution d’un n’avait été « diagnostiqué » avant l’évaluation au CRTL)
lexique mental et par voie de conséquence l’utilisation effi- mais repérables à l’occasion de la consultation pédopsychia-
ciente de la stratégie d’adressage. À l’inverse, de nombreux trique.
enfants, grâce aux rééducations dont ils ont bénéficié, amé- Cette population, à l’importance quantitative non négli-
liorent leurs compétences phonologiques. geable (40 % de notre échantillon), semble, donc, souffrir
À partir de l’étude détaillée des situations, nous déga- d’un trouble du langage écrit qui doit être compris dans
geons de l’ensemble de nos résultats statistiques [3], pour ses relations avec l’ensemble de l’organisation mentale
ces enfants dyslexiques, le profil suivant : de l’enfant, celle-ci s’articulant autour de mécanismes
• une relative fréquence de troubles associés, comporte- défensifs invalidants, qu’ils soient névrotiques ou plus
mentaux, émotionnels ou instrumentaux ; limites.
• une fréquence importante d’antécédents familiaux de À partir de l’étude détaillée des situations, nous déga-
troubles du langage écrit ; geons de l’ensemble de nos résultats statistiques [3], pour
• de fréquents antécédents de troubles du développement ces enfants présentant un trouble psychiatrique, le profil
du langage oral ; suivant :
• une latéralisation plus fréquente à gauche ou non homo- • une fréquence d’antécédents ORL ;
gène ; • chez la majorité d’entre eux, des antécédents de troubles
• une histoire scolaire douloureuse, qui commence pour un sévères du sommeil ;
bon nombre d’entre eux lors de la confrontation à l’écrit ; • des achoppements fréquents dans les processus de sépa-
• une attitude face à la tâche scolaire qu’on peut qualifier ration ;
de volontaire et d’appétente. • des antécédents de troubles du langage oral pour plus de
la moitié d’entre eux ;
Cependant, pour ces enfants également, nous percevons • un niveau cognitif global plus faible ;
bien que leurs difficultés d’apprentissage de la lecture ne • des éléments symptomatiques repérés bien avant la
doivent pas être considérées de façon trop réductrice. Ces
confrontation à l’écrit mais ayant très peu débouché sur
difficultés concernent nécessairement la personne toute
des prises en charge adaptées ;
entière, dans ses multiples composantes. Il s’agit toujours • une prééminence de suivis en rééducation orthophonique.
d’un sujet souffrant que ses parents amènent à la consulta-
tion, qu’ils soient eux-mêmes affectés ou non par cet échec ;
Il est bien évident que malgré la nature de la plainte
un sujet avec sa singularité et son histoire [6].
qui est dyslexique, la conséquence de l’objectivation
de tels types de fonctionnement mental implique des
La symptomatologie dyslexique, produit de
mesures « curatives » particulières. Ces enfants à organi-
mécanismes défensifs entravant l’organisation sation névrotique ou limite relèvent d’approches multidi-
mentale d’un sujet jeune en devenir mensionnelles. De réelles mesures psychothérapeutiques, à
Au terme de l’évaluation au CRTL, pour 40 % de notre popu- travers des médiations diverses, doivent être associées aux
lation, un diagnostic psychiatrique de trouble névrotique actions d’ordre pédagogique ou rééducatif.
ou limite a été posé (Fig. 2). Il nous semble que pour ces
enfants le trouble du langage écrit qu’ils présentent doit
être réintégré dans une perspective dynamique. La sympto- Un trait commun : une « vulnérabilité
matologie dyslexique doit être comprise dans ses relations socioculturelle » familiale
avec l’ensemble de l’organisation mentale de l’enfant,
que celle-ci s’articule autour de mécanismes névrotiques Nous voulons conclure nos propos par l’exposé d’une
ou plus limites. Le trouble de la fonction instrumentale caractéristique commune à nos deux « sous-populations » :
« lecture » est un produit des conflits névrotiques, masqués un profil familial particulier. Les enfants de notre étude
(pour aucun des enfants, le trouble névrotique ou limite appartiennent à des familles au « niveau socioculturel » glo-
bal plus modeste qu’en population générale, dont l’histoire
transgénérationnelle est marquée par des troubles du
langage écrit. De plus, la structure familiale de ces enfants
présentant un trouble sévère du langage écrit est de façon
remarquable « traditionnelle », puisque plus de 80 % de ces
enfants vivent avec leurs deux parents. Enfin, les enfants
sont très majoritairement gardés, avant leur scolarisation,
au sein même de leur famille.
Aussi, ces différents éléments nous font imaginer des
familles « autocentrées », où l’extérieur est peut être vécu
comme dangereux, des familles « vulnérables » sur un plan
socioculturel.
Cette dernière remarque n’est pas sans rappeler
l’environnement familial de l’enfant dysphasique que nous
décrivions dans un précédent travail [7], la langue, qu’elle
soit parlée ou écrite apparaissant, alors, dans sa capacité
à être manipulée aisément comme l’élément indispensable
Figure 2. Deux types de profil. de bien être au sein d’une communauté linguistique.
620 E. Cestac, J. Uzé

Conclusion Nous avons également montré pour les enfants de notre


population la nécessité d’appréhender ces troubles du lan-
Pour illustrer nos propos, nous avons donc étudié une popu- gage écrit dans une dynamique familiale et socioculturelle.
lation particulière, celle de 80 enfants consultant un centre Aussi, nous plaidons pour que le pédopsychiatre retrouve
référent des troubles du langage pour une symptomatolo- toute sa place concernant l’évaluation des enfants pré-
gie dyslexique répondant aux critères, négatifs, tels qu’ils sentant un trouble sévère du langage écrit. Son éclairage
sont définis dans les classifications internationales et dans psychopathologique, sa prise en compte de l’inscription du
les textes officiels d’un trouble spécifique du langage écrit. trouble dans la dynamique familiale influencée par des fac-
D’une façon globale, notre étude clinique montre que, teurs socioculturels nous semblent essentiels.
concernant ces troubles du langage écrit chez l’enfant,
nous sommes face à des histoires individuelles toujours
complexes où s’entremêlent souvent plusieurs dimensions : Conflits d’intérêts
organique, cognitive, psychoaffective, socioculturelle et
pédagogique. Aucun
Plus spécifiquement, nos résultats révèlent qu’au terme
de l’évaluation au centre référent si la majorité souffre
d’un trouble instrumental du langage écrit, qui peut être Références
qualifié de dyslexique, plus d’un tiers présente un trouble
psychopathologique de type névrotique ou limite dans lequel [1] Plaza M. Les troubles du langage de l’enfant. Hypothèses étio-
s’intègre ce symptôme dyslexique. logiques spécifiques, perspective integrative. Neuropsychiatr
Enfance Adolesc 2004;52:460—6.
Aussi, nous avons voulu montrer que certaines plaintes
[2] Tordjman S. Évolution des recherches en pédopsychiatrie : vers
dyslexiques sont à intégrer dans des troubles psychopa- la subjectivité et une approche intégrée psychodynamique
thologiques, à un moment où la tendance actuelle à et biologique appliquée à l’étude du développement normal
l’objectivation et à la médicalisation néglige volontiers et pathologique de l’enfant. Neuropsychiatr Enfance Adolesc
le fonctionnement psychique d’ensemble d’un enfant en 2006;54:3—8.
difficulté, pour se focaliser sur tel ou tel trouble instru- [3] Cestac E. La dyslexie : limites du concept de spécificité ; à pro-
mental ou fonctionnel. Nos résultats rappellent l’intérêt, pos de 80 enfants consultant le centre référent des troubles du
pour l’enfant d’abord mais également pour les parents, les langage de Poitiers pour un trouble sévère du langage écrit.
soignants et les pédagogues, pour une meilleure adapta- Thèse pour le diplôme d’état de Docteur en Médecine, université
tion de la prise en charge thérapeutique, que la dimension de Poitiers, faculté de médecine et de pharmacie, 3 juillet 2007.
[4] Mise en œuvre d’un plan d’action pour les enfants atteints
psychodynamique de ces troubles du langage écrit soit éva-
d’un trouble spécifique du langage oral ou écrit, B.O. no 6 du
luée dès le départ. Il est dommageable que ces aspects 7-2-2002 www.education.gouv.fr/bo/2002/6/encart.htm (site
psychopathologiques ne soient pris en compte qu’après consulté le 3 juillet 2009).
l’échec d’une rééducation « classique », c’est-à-dire à un [5] Mises R, Quemada N. Classification française des troubles men-
moment où le trouble est plus structuré et donc moins faci- taux de l’enfant et de l’adolescent — R-2000. 4e éd. Paris:
lement réversible, d’autant qu’il a déjà produit un impact CTNERHI; 2000.
beaucoup plus invalidant sur la trajectoire scolaire future [6] Plaza M. Sémiologie et classification des dyslexies. In: Troubles
de l’enfant. Or, si nous avons vu que pour un certain spécifiques des apprentissages. L’état des connaissances. Livret
nombre de ces enfants souffrant d’un trouble psychopa- 4. Paris: Signes éditions; 2004, 56-61.
thologique, quelques éléments symptomatiques auraient [7] Uzé J, Bonneau D. Aspects pédopsychiatriques des dyspha-
sies :données médico-psychopathologiques. Enfance 2004;(1):
dû alerter, très souvent la plainte dyslexique masque ce
113—22.
trouble.

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