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LIRE LA LECTURE
Première Partie 15
Introduction: Notice historique sur le développement
de la sociologie de la lecture 17
Chapitre I: Histoire et hypothèses de l'enquête 27
1. Le contenu et la forme 29
2. Esthétique et axiologie 30
3. Théorie du roman ou théorie de la lecture ? 32
4. Du mode de lecture 37
5. Systèmes de valeurs et pratiques sociales 40
6. Peut-on enquêter dans le champ des
orientations axiologiques? 42
7. Les systèmes de valeurs sont-ils des
structures 2 42
8. Conscience de groupe ou conscience
nationale? 44
Chapitre II: Les romans et leurs critiques 47
1. Le choix des romans 47
2. Résumés des ouvrages sur lesquels a porté
la présente enquête 49 .
Annexes 343
I. Les Choses de Georges Perec 345
1. Enoncés des questions suivis des listes des réponses-
types avec les pourcentages par pays 345
2. Tableau des trois choix de réponse, maxima et
minima, par pays et par question 371
3. Tableaux des corrélations significatives (Chi 2 ) entre
types de réponse 377
a) Les Choses en France 377
b) Les Choses en Hongrie 381
II. Le Cimetière de rouille de Endre Fejes 385
1. Enoncés des questions suivis des listes des réponses-
types avec les pourcentages par pays 385
2. Tableau des trois choix de réponse, maxima et
minima, par pays et par question 409
3. Tableaux des corrélations significatives (Chi 2 ) entre
types de réponse .413
a) Le Cimetière de rouille en France 413
b) Le Cimetière de rouille en Hongrie .419
Lire la lecture
Introduction à la deuxième édition
Depuis ces travaux, marqués avant même leur terme par la mort
de Pierre Jôzsa, l'équipe qui les a réalisés a continué ses recherches sur
le plan européen et français. A la demande du Conseil de l'Europe, et
toujours en collaboration avec Martine Burgos, j'ai mené une enquête
dans trois pays européens, l'Allemagne, l'Espagne et la France, à partir
de l'ouvrage d'Agota Kristof Le Grand cahier (Seuil 1986) dont les
résultats ont été publiés dans le rapport " Existe-t-il un lecteur
européen " I .
La perspective de cette recherche était de comprendre comment
l'élaboration fictionnelle des événements historiques, dans ce cas la
Deuxième guerre mondiale, donnait lieu à des actes de lecture
significativement différenciés auprès de publics appartenant à trois
cultures entretenant manifestement, face aux événements historiques en
question, des attitudes distinctes.
Quelle est la marge de manoeuvre de chaque lecteur à l'égard ct
l'histoire que sa nation se raconte ? Quelle est la liberté de chaque
individu par rapport au groupe social, milieu ou classe d'âge, auquel il
appartient ? De quelles élaborations postérieures cette lecture est-elle
le théâtre ?
Ces questions invitaient à reprendre les acquis élaborés dans Lire
la lecture, où l'accent avait tactiquement été mis sur les déterminants
sociaux afin de rompre avec l'idée, dominante alors, que la lecture est
pure affaire de subjectivité. Face à des théories sociologiques qui s'en
tenaient trop souvent à l'idée de répétition dans le cadre d'un
structuralisme statique, nous voulions souligner la contribution cb
l'activité lectrice à la transformation sociale.
Hans-Martin Gauger, in Paul Goetsch Hrg. Lesen und schreiben im 17. und 18.
Jahrhunderl. Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1994.
VI
Jaques Leenhardt
E.H.E.S.S.
Paris, mai 1999
Dédicace
l'ignorions, en avait été jeté. Le titre resta au livre, et ce jour fut celui
de la séparation.
En ajoutant cette préface à l'oeuvre commune, je me prends à
songer à cet attachement que nous avions ensemble manifesté pour le
mot "essai". Une certitude nous indiquait qu'il n'y en aurait pas
d'autre pour définir notre travail. Je soupçonne aujourd'hui qu'au-
delà de l'inachèvement et du programmatique, une autre résonance,
une autre association nous attirait en secret vers ce mot.
Pierre Jôzsa était un homme de culture. Une vie mouvementée
au service de causes qu'il avait choisies lui donna de ces longues
vacances que l'on passe à l'ombre de la vie, dans ces lieux retirés
qu'aménagent sommairement les pouvoirs. Il s'y consacra des années
durant à la lecture, je veux dire à la familiarité des livres, et singulière-
ment aux des littératures allemande et française. Lorsque, libéré, il
revint à la vie active, il en traduisit certains dans sa langue. Notre
littérature, mais aussi la sociologie française le retinrent longuement :
il-édita Durkheim et consacra sa thèse 4 Lévi-Strauss. Mais je crois que,
par delà la sociologie, c'est à ce père fondateur de la science de
l'homme, Montaigne, qu'inconsciemment nous pensions, tout en
cherchant un titre.
Nous avions en effet convenu de faire apparaître dans l'intro-
duction ou dans la conclusion de notre livre, lesquelles malheureuse-
ment il n'a pu discuter avec moi, l'importance qu'avait revêtu la
qualité des rapports humains dans l'élaboration d'une recherche com-
parative comme la nôtre. Cela ne nous paraissait nullement accessoire
et comme relevant seulement du domaine de la vie privée ou affective.
Nous pressentions bien plutôt que la situation dans laquelle nous
avions été appelés à travailler, avec ses difficultés propres, révélait
cette intimité des consciences comme un requisit proprement
épistémologique de la recherche. Dans un monde où le. "savoir"
sociologique prend fréquemment le visage abstrait de l'impersonnalité,
et parfois s'en fait gloire, nous étions convaincus, au contraire, de la
valeur heuristique de cette intimité que nous avions construite, dans
laquelle nous nous étions engagés et qui nous aidait à comprendre.
En lui donnant le titre d'Essai nous avions cru désigner en notre
travail seulement l'incomplétude d'une démarche. L'éloignement géo-
graphique, dix années durant, avait nourri tout à la fois la connais-
sance de l'autre et celle de soi, comme cela se passe toujours, je crois,
lorsqu'on parle de "savoir" sociologique. Il avait précisé nos identités
respectives, les avait affinées et enfin rapprochées. Et voilà que,
comme chez Montaigne, nos essais signifient désormais, par delà
l'intimité du travail et de l'amitié, séparation et mort.
13
Jacques Leenhardt
PREMIERE PARTIE
Introduction
Notice historique sur le développement de la
sociologie de la lecture
1. On notera à cet égard que la collecte de données empiriques n'est pas une
condition sine qua non d'une telle description sociologique, comme en
témoigne l'essai classique d'Adorno sur les auditeurs de musique.
18
11. Durko, Matyas, Lire et comprendre (en hongrois), Budapest, 1976; Gondos,
Ernô, Typologie des goûts des lecteurs, Budapest, 1975; J6zsa, Péter,
"Capacité esthétique et fausse conscience esthétique" in Effet social des
oeuvres esthétiques, Budapest, 1976; "Le sens du texte" in KiOnyvtéri
Figyelô, Budapest, 1977/3; une douzaine d'articles de Kamaris, Istvén; Sas,
Judit, Des gens et des livres, Budapest, 1969.
12. Heinz Steinberg, op. cit.
13. Robert Escarpit, Le livre et le conscrit, Cercle dela Librairie, Paris, 1966.
14. Roger H. Smith ed., The American Reading Public, What it reads, why it
reads. From inside education and publishing: views of present status, future
trends. The daedalus Symposium, with Rebuttals and Othcr New Material,
R. R. Browker, New York, 1962.
23
16. Norman Holland, Five Readers Reading, New Haven, Yale University Press,
1975.
25
1. Le contenu et la forme.
Les réserves que nous venons de faire demandent à être quelque
peu développées. Nous sommes en effet confrontés ici à l'une des
principales erreurs de l'analyse et de l'enseignement littéraires tradi-
tionnels, qui avaient "résolu" la question de l'esthétique en séparant le
contenu de la forme, celle-ci étant considérée comme l'enveloppe de
la signification. Que cette dichotomie ait eu pour fonction de n'ac-
corder d'importance, dans ('oeuvre, qu'au contenu (idées philosophi-
ques, morales, sociales) ou que par là on ait voulu maintenir la part du
mystère de l'indicible, rationaliste donc ou irrationaliste, cette opposi-
tion aboutissait à masquer la complexité spécifique de l'oeuvre d'art.
Une des tentatives majeures pour échapper à cette situation apparut
au début de notre siècle avec ce qu'il est convenu d'appeler le
formalisme russe, que la sémiotique de l'art considère encore aujour-
d'hui comme l'un de ses principaux antécédents. A la même époque,
l'oeuvre de Georges Lulcàcs abordait ces problèmes à partir d'une
tradition philosophique différente qui plongeait ses racines dans les
oeuvres de Kant, de Hegel et plus tard de Marx. Avec le tranchant et la
clarté des idées fondamentales, Lukiics affirmait que ce qui était
véritablement sociologique dans l'oeuvre d'art était sa forme : "Die
Form ist das wahres Soziale in der Literatur 3 ."
Avec Lukâcs donc apparaît l'idée que c'est la vie sociale qui
donne sa forme à l'expression esthétique. L'idéalisme de Hegel, avec sa
cohorte de catégories mystiques liées aux différents états du dévelop-
pement de l'Esprit absolu, se trouve ainsi dépassé au bénéfice d'une
analyse historique de la pratique sociale. Par cette conception de la
culture comme activité concrète des entités sociales, l'opposition
entre le contenu et la forme se trouvait dépassée. Désormais l'oeuvre
d'art sera considérée comme partie intégrante de la vie sociale selon la
totalité de ses aspects.
2. Esthétique et axiologie.
Nourrissant peu d'illusions quant à la possibilité de sonder
directement l'effet esthétique des romans que nous avions choisis
comme objet de notre enquête, nous avions renoncé à aborder fronta-
lement ce problème. Mais pouvions-nous, après avoir affirmé le carac-
tère de totalité de la communication esthétique, nous en tenir à une
démarche partielle, uniquement préoccupée de formulations axiologi-
ques ?
Cette interrogation légitime appelle une remarque : les systè-
mes de valeurs qui ont été les objectifs déclarés de notre recherche se
sont révélés, à l'examen, difficilement réductibles à leur seul "contenu
idéel". En effet, comme tout système, ils impliquent une mise en
ordre, une hiérarchisation, une organisation des contenus, qui dépas-
sent de très loin le plan d'une simple typologie des contenus. A vrai
dire les systèmes de valeurs que nous avons explorés ne se donnent
nulle part à connaître indépendamment d'une mise en forme, en
dehors par conséquent de ce par quoi se défmit l'esthétique même. Si
nous avons pu analyser le processus de lecture selon les mêmes
méthodes que nous avions utilisées pour analyser les phénomènes de
création culturelle, c'est qu'à travers la force structurante des systè-
mes de valeurs se repérait l'efficace proprement esthétique dont ils
sont les opérateurs. Ainsi nous ne pouvons ni prétendre avoir sondé
l'effet esthétique lui-même, ni imaginer que nous nous sommes trou-
vés en face de simples énoncés de valeurs.
11 ne fait aucun doute en effet que les caractéristiques de notre
recherche la situent assez loin des habituelles enquêtes sur les "orienta-
tions de valeurs". Nous avons fait lire à nos interviewés des romans, ce
qui a provoqué en eux une expérience esthétique complexe. En
revanche ce n'est pas directement cette expérience que nous avons
sondée, mais exclusivement les prises de position suscitées par les
romans à la suite de cette expérience esthétique telles qu'elles furent
formulées en des énoncés discrets que nous avons enfin nous-mêmes
tenté de reconstituer en systèmes. Ainsi nous n'avons pas commis
l'erreur de nous imaginer que les réponses à nos questions étaient
indépendantes de la totalité de l'effet esthétique du roman, mais,
dépourvus des moyens de désigner cet effet lui-même, nous en avons
simplement, en quelque sorte, effectué la mise entre parenthèses, non
pour restaurer la dichotomie contenu/forme, mais pour que puisse
apparaître en pointillé dans notre propre discours ce lieu encore pour
nous difficile à cerner : l'effet esthétique.
Nous avons pleine conscience qu'en aucun cas les réponses
obtenues ne sont le résultat d'un simple travail "intellectuel" pouvant
être mené à bien indépendamment de ces objets spécifiques que sont
les romans que nous avons donnés à lire ; nous savons par conséquent
que la masse de textes que nous avons recueillie est la retombée, au
niveau discursif, d'une expérience esthétique qui ne peut être saisie
dans sa totalité. D'ailleurs s'il fallait une preuve supplémentaire de
l'indissolubilité des éléments de l'expérience de lecture, notre enquête
la fournirait qui, s'étant de façon délibérée placée au plan des con-
tenus idéels, a vu affluer une large information inscrivant les contenus
32
4. Du mode de lecture.