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MANUEL DE SOCIOCRITIQUE

Première édition: Picard éditeur, 1985


cg L'Harmattan, 2000
ISBN: 2-7384-9087-5
Pierre V. ZIMA

MANUEL DE SOCIOCRITIQUE

L'Harmattan L'Harmattan Inc.


5-7, rue de l'ÉcolePolytechnique 55, rue Saint-Jacques
75005 Paris - FRANCE Montréal (Qc) - CANADA H2Y IK9
Les trois premiers chapitres de cet ouvrage sont des traductions augmentées et
modifiées des trois premiers chapitres de Literatuur en lnaatschappij. Inltiding in de
litl'ratuur-en lekstsociologie, Van Gorcum, Assen, 1981.
Le cinquième chapitre est une traduction augmentée de « Psyche und Gesellschaft
bei Marcel Proust. Zur Synthese von psychoanalytischen und soziologischen Metho-
den », in Marcel Proust. Lesen und Schreiben, éd. par E. Mass et V. Roloff, Insel Verlag,
Francfort, 1983.
Préface à la seconde édition

Paru en 1985, traduit en italien (1986) et en coréen (1996), ce Manuel


s'adresse à tous ceux qui cherchent à s'orienter dans le domaine de la
sociocritique définie comme une théorie socio-sémiotique du texte
littéraire et non littéraire (idéologique, scientifique, etc.). Bien que le
présent ouvrage privilégie le texte littéraire - sa production, sa structure
et sa réception -, la sociocritique devrait aussi être considérée comme une
critique du discours dont les fondements sont jetés dans le IVe chapitre:
« Vers une sociologie du texte ».
Dans ce chapitre central il s'agit de développer la thèse formaliste et
sémiotique selon laquelle le texte littéraire ne peut être mis en rapport
avec le contexte social qu'au niveau linguistique. Prenant comme point de
départ les plans lexical, sémantique et nan"atif, la sociologie du texte
s'intel1"ogesur les implications sociales et idéologiques de ces trois paliers
du langage. Ses recherches aboutissent à la construction d'une situation,
socio-linguistique envisagée comme interaction dialogique et polémique
entre des sociolectes (langages de groupe) et leurs discours (leurs
concrétisations sémantiques et narratives).
C'est dans ce contexte à la fois social et linguistique que sont situés les
textes polysémiques de la littérature, analysés comme des réactions
dialogiques et polémiques à d'autres textes littéraires, idéologiques,
religieux, scientifiques, etc. Cette production dialogique de la littérature,
repérable dans ses structures polyphoniques et polysémiques, est
complétée par sa réception hétérogène qui porte l'empreinte des conflits
idéologiques (voir le VIe chapitre).
Mise à jour pour tenir compte des nombreux ouvrages sociocritiques
publiés au cours des années 80 et 90, la bibliographie commentée pourrait
être utile à tous ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances ou
aborder des recherches dans un des domaines de la sociocritique.
TO VERONICA
Sommaire

PREMIÈRE PARTIE: MÉTHODES ET MODÈLES

1. Notions sociologiques fondamentales 13

1. Introduction 13
2. Sociologie et philosophie 13
3. Sociologie et psychologie 14
4. Notions sociologiques fondamentales 16
a) Systè1ne social et institution 16
b) Conscience collective, norlnes et valeurs 18
c) Division du travail, rôle et solidarité 19
d) 20
e) La classe 20
j) Conscience de classe et idéologie 22
g) Base et superstructure 22
h) Idéologie et science 23
i) Idéologie et ,nédiation par la valeur d'échange 24
j) Réification et aliénation 26
k) Objecti1.'ité(Wertfreiheit) 28
2. Les méthodes empiriques et dialectiques en sociologie de la
littérature 30

1. Objectivité et sociologie empirique de la littérature 30


2. Modèles dialectiques 32
a) L'esthétique hégélienne et les lnodèles dialectiques en sociologie de la
littérature 33
b) La totalité et le « typique» chez Lukacs 34
c) Totalité et -vision du 1nonde chez Goldlnann 36
d) La critique de l'esthétique hégélienne chez Adorno 39
l') Critique et idéologie chez Macherey 41

3. La sociologie des genres littéraires 44


1. Le système générique et le système social 44
2. La sociologie du drame 50
a) DraIne et ano1nie: la sociologie du théâtre de Jean Duvignaud_ 50
b) Les péripéties de l'individualislne: Leo Lowenthal 54
c) La -vision du lnonde dans le théâtre: Le Dieu caché de Lucien
Goldl1zann 57
d) Théâtre et critique de l'idéologie: Beckett et Adorno 63
3. Vers une sociologie du texte lyrique 68
a) De Walter Benja1nin à Charles Baudelaire: aura pt cho~ 69
b) Theodor W. Adorno: la poésie C01nlnecritique 75
4. La sociologie du roman 84
a) Le rOlnan réaliste selon Georges Lukacs 88
b) Les Paysans de Balzac: de Lukacs à Macherey 93
c) De Lukacs à Gold1nann : Pour une sociologie du roman 97
d) Mikhaïl Bakhtine: carnaval, a1nbivalence et rOlnan 106

SECONDE PARTIE: SOCIOLOGIE DU TEXTE

4. Vers une sociologie du texte 117

1. Introduction 117
2. La sémantique et la syntaxe comme des fonctions sociales 118
a) LI' niveau lexical et sélnantique 121
b) Le niveau na rra tif 122
3. La situation sociolinguistique 125
4. Sociolectes et discours 130
a) 130
b) Discou rs (Idéologie) 134
5. L'intertextualité comme catégorie sociologique 138
6. Vers une sociologie du texte romanesque: L'Étranger d'Albert
142
a) La situation sociolinguistique 143
b) Sociolecte, discours et intertextualité 147
c) Al1lbivalence et indifférence: l'univers sé1nantique de L'Étranger_ 150
d) Indifférence et structures narratives 153
e) Relllarques ,néthodologiques: L'Étranger de Renée Balibar 160
7. Vers une sociologie du Nouveau Roman: Le Voyeur d'Alain Robbe-
162
a) La situation sociolinguistique: continuation 164
b) Intertextualité: le sociolecte « scientifique» 167
c) L'univers sé1nantique: indifférence et polysé1nie 172
d) Indifférence, polysé1nie et structures narratives 176
e) Critique et acquiescelnent dans Le Voyeur 183

5. Sociocritique et psychanalyse: société et psyché chez Marcel


Proust 186

1. Questions de méthode 186


2. Conversation et narcissisme 190
3. De la psychanalyse à la sociologie du texte 196

6. Esthétique de la réception et sociologie de la lecture 201

1. Production et réceptiol1 201


2. La théorie de la lecture dans le Cercle linguistique de Prague_ 202
3. De Prague à Constance: l'esthétique de la réceptiol1 206
4. De la sociologie du public à la sociologie de la lecture: Escarpit,
Jurt et Leenhardt 213
5. La lecture comme processus intertextuel : Camus en URSS_ 222

Littérature 227
Bibliographie commentée 235

249
Préface

Étant donné le caractère élémentaire des deux premiers chapitres de cet


ouvrage, dont le premier est une introduction terminologique, tandis que
le second présente les principales méthodes en sociologie de la littérature,
cette préface acquiert une fonction résiduelle précise: expliquer le mot
sociocritique qui, au premier abord, semble faire concurrence à des notions
établies comme sociologie de la littérature et sociologie du texte.
Dans cet ouvrage, le mot sociocritique - qui existe depuis quelques années
- a été choisi pour deux raisons: Dans un premier temps, il s'agit de
distinguer une sociocritique qui veut être une théorie critique de la société
(donc une critique littéraire), d'une sociologie de la littérature empirique
dont la dimension critique a été amputée. Dans un deuxième temps, j'ai-
merais présenter ici une sociocritique qui aspire à devenir une sociologie
du texte littéraire.

1. Texte

Disons, en commençant par le deuxième point, que sociocritique et sociologie


du texte sont ici des synonymes et que le mot sociocritique a été actualisé -
entre autres - parce qu'il est plus court que l'expression «sociologie du
texte ». Bien qu'elle évoque la psychocritique de Charles Mauron, l'approche
préconisée ici ne s'apparente à celle de Mauron que par le souci général
de tenir compte des structures textuelles (voir à ce sujet le 5(' chapitre, où
je tente de combiner l'approche psychanalytique avec celle de la sociologie
du texte).
A la différence des méthodes existantes en sociologie de la littérature
qui s'orientent vers des aspects thématiques ou « idéels» de « l'œuvre», la
sociologie du texte s'intéresse à la question de savoir comment des pro-
blèmes sociaux et des intérêts de groupe sont articulés sur les plans séman-
tique, syntaxique et narratif.
10 PRÉFACE

Cette question ne concerne pas seulement le texte littéraire; elle vise


aussi les structures linguistiques (discursives) des textes théoriques, idéo-
logiques ou autres. En tant que sociologie critique, la sociologie du texte
cherche à définir les rapports discursifs entre lâ théorie et l'idéologie et
entre la théorie et la fiction. Elle est donc en même temps une critique du
discours, dont les intérêts et les tâches vont bien au-delà du domaine lit-
téraire (voir à ce sujet le 4t"chapitre de cet ouvrage: Vers une sociologie du
texte).
Dans le domaine de la lecture, elle se propose de mettre en rapport la
structure textuelle et ses conditions de production avec les différents méta-
textes des lecteurs. Il,s'agit de montrer (6(>chapitre) que les réactions de
certains groupes à L'Etranger de Camus peuvent être expliquées à partir
des structures sémantiques et narratives de ce roman.

2. Critique

Le premier point, la dimension critique de l'approche théorique préco-


nisée ici, est aussi important que le second. A la différence de certaines
méthodes empiriques qui prétendent pouvoir exclure les jugements de
valeur (mais qui finissent souvent par les camoufler en se réclamant d'une
objectivité fictive), la sociologie du texte ne renonce pas au commentaire
critique.
Ses efforts pour comprendre et expliquer un texte dans une situation
sociale et linguistique particulière aboutissent, dans la plupart des cas, à
l'évaluation. Celle-ci ne soulève pas nécessairement la question de savoir si
un produit littéraire est « bon» ou « mauvais» : elle cherche plutôt à révéler
les aspects idéologiques d'un texte et à les distinguer de ses dimensions
critiques. Dans ce contexte, la désignation « sociocritique » semble encore
plus pertinente que « sociologie du texte» qui est plus neutre.
Il ne reste qu'à révéler le point de vue à partir duquel le texte et la
société sont critiqués. Ce point de vue est assez proche de celui de la Théorie
critique (Kritische Theorie) de l'École de Francfort, telle qu'elle a été déve-
loppée par Adorno, Horkheimer et Marcuse. Rigoureusement respecté est
le postulat de non-identité de cette théorie qui implique un refus de s'iden-
tifier à des forces sociales et politiques existantes.
Pourtant, la sociologie du texte se distingue de cette théorie sur un point
essentiel: sans éliminer les problèmes esthétiques et philosophiques, elle
refuse de rester dans les limites conceptuelles (discursives) de la Théorie
critique traditionnelle, dont la terminologie philosophiqJe d'origine kan-
tienne, hégélienne et marxienne s'avère inadéquate à son objet.
La question de savoir si cette tentative pour développer, pour élargir la
Théorie critique vers une sémiotique discursive (une sociosémiotique) implique
des changements sociaux et politiques, doit rester ouverte tant que la socio-
logie du texte se développe d'année en année.
PREMIÈRE PARTIE

Méthodes et modèles
1. Notions sociologiques fondamentales

1. Introduction
Les notions sociologiques fondamentales - il ne sera question que de
celles intéressant la sociologie de la littérature et les théories présentées ici
- devraient, pour bien faire, être situées par rapport à l'histoire de la
philosophie. Séparées de leurs origines historiques, elles risquent de rester
abstraites.
Bien qu'il soit impossible de combiner une introduction à la sociocritique
(la sociologie du texte littéraire) avec une introduction à la sociologie géné-
rale, je vais tenter, en parlant de concepts comme « système» ou « idéolo-
gie », de tenir compte des origines historiques et sociales de la terminologie.
Une façon de définir concrètement des notions telles que« classe sociale»,
« conscience de classe» (Marx), « conscience collective», « anomie» (Durk-
heim) et «objectivité» (<<Wertfreiheit», M. Weber) consiste à les situer par
rapport à la transformation graduelle de la philosophie en sociologie (en
science sociale) et par rapport à certaines différences méthodologiques qui
séparent la sociologie de la psychologie.
Dès le premier chapitre, il s'agira de mettre en évidence les rapports
entre la terminologie présentée et la pratique de la sociocritique contem-
poraine. J'espère pouvoir éviter ainsi un décalage trop grand entre le
concept et ses applications. Pourtant, ce n'est que dans le 3e chapitre que
la pratique sociocritique sera discutée en détail.

2. Sociologie et philosophie
Jusqu'à la fin de la première moitié du XIXe siècle, la philosophie s'est
occupée de problèmes politiques et sociaux sans que quiconque fasse une
distinction rigoureuse entre la « spéculation philosophique» et }'«argu-
mentation scientifique».
14 MÉTHODES ET MODÈLES

Il est certain que la notion de science apparaît déjà dans les écrits philo-
sophiques de David Hume (That Politics May be Reduced to a Science) de
Spinoza (<<more geometrico») et de Thomas Hobbes. Ce dernier voulait
faire reposer sa philosophie politique sur des fondements analytico-synthé-
tiques (<<géométriques »), et il n'était pas seul à penser ainsi. Bien plus tard,
Auguste Comte (1798-1857), souvent considéré comme un précurseur de
la sociologie moderne, plaida en faveur d'une science de la société qu'il
appela sociologie.Ce concept devait remplacer la vieille désignation « phy-
sique sociale» qui témoigne de la parenté entre la première « science sociale»
et les sciences de la nature. Malgré ce changement terminologique, Comte
resta attaché à l'idée rationaliste que les sciences de la nature servent de
modèle aux sciences sociales (à la sociologie). Dans ses écrits, il postule des
rapports étroits entre la biologie (en tant que science de l'homme) et la
sociologie qui, à en croire Comte, a pour objet un «organisme collectif»
comparable à l'organisme individuel, biologique.
Dans le contexte actuel, l'idée de Comte que la pensée humaine évolue
d'une phase théologique (religieuse) à une phase métaphysique (philosophique)
et de celle-ci à une troisième phase qu'il appelle scientifique, joue encore un
rôle important. D'une part, elle a été reprise par certains représentants du
néopositivisme contemporain qui exigent une séparation claire entre la
philosophie (la « spéculation métaphysique ») et la science. Ils développent
l'idée comtienne d'une science positive: empirique et orientée vers les sciences
de la nature. D'autre part, il s'est produit, à la fin du siècle dernier, une
scission réelle entre la philosophie et les sciences dites empiriques (basées
sur l'expérience), telles que la psychologie et la sociologie. Le fait que
Durkheim, un des fondateurs de la sociologie moderne, a étudié le phé-
nomène du suicide de façon systématique en se servant de méthodes empi-
riques (statistiques), est caractéristique de cette évolution générale
(E. Durkheim, Le Suiczde. Étude de sociologie, Paris, 1897).
Malgré cette scission historique indéniable, il existe de nombreux repré-
sentants des sciences sociales (et naturelles) qui considèrent comme indis-
pensable la réflexion philosophique. Ceux en particulier, qui se réclament
d'une science sociale critique, refusent de renoncer à la réflexion philoso-
phique et aux jugements de valeur qu'elle comporte (voir à ce sujet le
chap.4, 2, a, b).

3. Sociologie et psychologie

Les premiers sociologues et psychologues étaient d'accord pour postuler


que la pensée scientifique devait se distinguer des' philosophies «spécula-
tives » principalement par la recherche empirique; mais sur un autre point,
une opposition entre leurs intérêts s'est manifestée bien vite, à savoir celle
entre l'approche individuelle, voire individualiste de la psychologie et de
NOTIONS SOCIOLOGIQUES FONDAMEN1"ALES 15

la psychanalyse d'une part et l'approche collective de la sociologie d'autre


part.
Ce désaccord occupe une place centrale dans l'œuvre dujeune Durkheim
(1858-1917) et joue un rôle très important dans les controverses intermi-
nables entre certains théoriciens marxistes et des représentants de la psy-
chanalyse. Dans son ouvrage sur le suicide (voir plus haut), Durkheim se
prononce de façon non équivoque contre une explication psychologique de
ce phénomène dont la fréquence dans un milieu particulier est irréductible
à la problématique des individus isolés. Il n'existe aucune explication psy-
chologique au fait que le nombre des suicides diffère d'un pays â l'autre et
surtout d'un contexte culturel à l'autre.
Dans son étude, Durkheim révèle une corrélation, corroborée par des
statistiques, entre des subcultures religieuses et le pourcentage de suicides
dans les collecti1.'ités sociales qui en font partie. Le nombre de suicides le
plus élevé peut être constaté dans les groupes protestants faiblement intégrés,
dont les membres s'orientent vers des échelles de valeurs individualistes,
alors que le nombre des suicides est relativelnent bas au sein des communautés
catholiques et surtout juives, dont le comportement témoigne, pour des
raisons religieuses, d'une solidarité collective plus forte. Un autre élément
important de cette recherche est l'opposition entre la ville et la campagne:
dans les communautés rurales, les liens interhumains sont plus solides et
plus durables que dans la société urbaine. Les pourcentages relativement
élevés dans les villes sont expliqués par rapport à une solidarité sociale plus
faible.
Les critiques adressées aux recherches de Durkheim sont secondaires ici:
j'ai parlé de lui pour illustrer le postulat méthodologique de presque tous
les sociologues selon lequel des phénomènes sociaux, tels que le suicide, les
conflits politiques, les écoles philosophiques, les courants et les œuvres
littéraires, ont des origines collectives et ne sauraient donc être décrits et
expliqués de manière satisfaisante â l'aide de méthodes psychologiques (dans
une perspective individuelle).
Citons, pour illustrer ce théorème, les nombreuses controverses autour
de la iVou"l'elleCritique: on y trouve d'un côté la théorie psychanalytique de
Charles Mauron qui tend â interpréter les textes littéraires (les poèmes de
Mallarmé ou les drames de Racine) par rapport à la psyché individuelle,
dans le cadre d'une psychocritiquf, et, de l'autre côté, la tentative marxiste
de Lucien Goldmann pour montrer qu'une œuvre littéraire, en tant que
structure esthétique et système de valeurs, est avant tout un phénomène
collectif qui ne peut être compris et expliqué que par rapport à un groupe
(E. Jones, Panoralna de la «Nouvelle Critique» en Francf, Paris, 1968 et le
chap. 5 de cet ouvrage).
16 MÉTHODES ET MODÈLES

4. Notions sociologiquesfondamentales
Les deux principaux arguments mis en avant jusqu'à présent, à savoir
que les phénomènes sociaux ont un caractère collectif et que la sociologie
doit aspirer à devenir une science empirique (sans abandonner la réflexion
philosophique et critique) forment ensemble le système de coordonnées
dans lequel les notions, prises séparément, seront situées. Pour la sociologie
du texte préconisée ici, il s'agit de devenir une science à la fois empirique
et critique, capable de tenir compte des structures textuelles et du contexte
social dont elles sont issues.

a) Système social et institution


Après l'apparition de l'État national (bourgeois), la philosophie (de Hobbes
à Hegel) cherchait à représenter la société civile, placée sous contrôle d'État,
comme un tout relativement homogène: comme un système. Chez
G. W. F. Hegel (1770-1831), cette représentation de la société comme « sys-
tème de systèmes» (politiques, juridiques, religieux, etc.) est étroitement
liée à une conception systématique et dialectique du devenir historique.
Pourtant, c'est la sociologie moderne et en particulier la théorie fonc-
tionnaliste du sociologue américain Talcott Parsons (1902-1979) qui, pour
la première fois, a présenté des analyses aussi minutieuses que compréhen-
sives du système social et de ses institutions.
Dans un ouvrage intitulé The Social Systeln (Glencoe, 1951), Parsons cherche
à démontrer que le système social est un ensemble de subsystèmes dont
chacun reproduit (en tant que pars pro toto, pourrait-on dire) la structure
de la totalité englobante. Ainsi la famille, considérée comme subsystème,
peut être envisagée comme un « modèle réduit» de la société nationale
dans la mesure où elle fonctionne grâce à des compétences et des sphères
d'action clairement délimitées: au sein de la famille, on peut distinguer
(comme dans la société) une sphère politique (l'autorité des parents), d'une
sphère économique (budget), culturelle (les loisirs) ou sociale. D'autres
subsystèmes sont: l'éducation, les syndicats, les organisations du patronat,
l'armée, l'Église, etc.
Dans la mesure où ces organisations ou subsystèmes sont officiellement
reconnus par l'État, ils forment des institutions. L'existence des organisations
illégales, clandestines, montre qu'il peut y avoir des subsystèmes sans carac-
tère institutionnel et que la légitilnité consacrée par le jJouvoir étatique est un
aspect essentiel de l'institution.
Bien que Parsons analyse en détailles tensions sociales qui peuvent résul-
ter des exigences institutionnelles incompatibles au niveau de l'action indi-
viduelle (il donne en exemple le médecin partagé entre ses devoirs familiaux
et l'éthique professionnelle), il ne parvient pas à rendre compte de l'évo-

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