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Numérisation réalisée par phenix 1717

«« Pour dominer la mort il faut vaincre !a vie,

ll faut savoir mourir pour reviure immortel.

ll faut fouler aux pieds la nature assewie,

Pour changer l'homme en sege et la tombe en autel. »»

Eliphas Levi
LOGGIA SECRETUM
Collection Fi ctio n ÙTèm o ignage
dirigée par Luce et Éléonore Jame
Du même auteur:

Ckir de Lune, éditions du Présent


D.S.T: L'æil de Pais, éd. Opta
Poàmes, suivis de Teno Cremado, éd. Les Presses
Tcte Cathare, éd. Guy Authier
Guide en Tent Catharc,photographies d'Alain Charles, éd. Collot

Dans la même collection:

Vcnion T une fin pour Le Cbâteau de Franz Kafka, Josée tichmuller


Dbù dcs loups..., Jean Audouard
I-a Deraison d'Etat, Marcel Frémont
L'Iarogne, Julien Friedler
kcit aafond, Michel Narbonne
Éléments dzoits, Jeen Audouard
Lcs Yeuc à marec haute, Milva Sanmarco
Chroniques Métropolitaines, Gisèle Beetz
l.a Passion dc l'imagc, Diane Chauvelot
Jcu, pères et ?ttsse. .., Jean Audouard
Balhdes, Madimir Vissom§
La Dieuc pèloiw,Jean Métellus
Le Sang da Géuaudan, Hélène Delprat
Çà et k, petits poètnes dbccasion,Jean-Paul Guedj
Voyance et autes poàmes,Jern Mérellus
Apràs le Tàmps,Jacqtes Asrruc
JacmeI muj ours, Jean Métellus
Élinrrtt, Jean Mérellus
Lcs Couhars du blanc, Jacqueline Charliac
Aubes catbares, Hélène Delprar
La Dernière mæ du Nil, Prince Naguib Abd Allâh
Tout et rien, Jean-Paul Gued.i
Meanier, tu dars..., )ean Audouard
Brdises de la mérnoire,Jean Métellus
Manipulations, Maryse Vannier
Le Mystiq ae amnés iq ue, Jean Audouard

Les Éditions de Janus


88, rue du Mont-Cenis, 75018 Paris - wrü/w.ianus.fr
Jean-Yves Tournié

LOGGI.A SECRETUM

roTndn

[æs éditions de Janus


Composirion Ea couverrure: É,Iéonore Jame
isbn : 97 I -2-9 126-6845 - 5
Deuxième édition, 2009 - dépôr légal: septembre 2009
@ Les éditions de Janus, 2009
À Micheh, h gardienne du 7àrnpte
à Sÿuie etAmaud, Emy Jean-Louis etAisling
L'histoire est une cons?iration permanente.

Joseph de Maistre
CHAPITRE PREMIER

Les faisceaux des phares de la puissante Rover trouaient


la nuit sur la petite route qui conduit dc Rochetaillée à
Saint-Etienne. La soirée avait été agrâble. Alain Salmon avait
quittéAnne quelques insants plus tôt. Veuve depuis guetre
ans, Anne avait été l'épouse du vénérable qui avait initié
Alain, plus de vingt ans auparavant, rue Cadet à Paris, siège
du Grand Orient de France. Cette soirée resterait gravée à
jamais dans sa mémoire. Il se souvenait de ce temple 14, à
la mosa\ue égyptienne entourânt l'Orient, ces bancs de
bois d'un autre âge, et ce vieux frère servant, républicain
espagnol réfugié en France, qui avait failli, malgré son ban-
deau, lui brûler les sourcils, avec sa pipe lycopode quand le
feu puri6cateur vient lécher lc visage du néophyte.
Ayant horreur de l'avion, Alain avait quitté son mas du
Roussillon dominant la baie de Banuyls pour se rendre à
Paris, sans oublier de venir passer quelques heures en com-
pagnie d'Anne qui l'avait retenu à dîner. La complicité qui
avait uni lcs deux francs-maçons avait perduré avec Anne.
Elle avait été très belle et la maturité lui conservait cette
beauté en la rendant plus lisse, la cinquantaine passée. [a
veuve et le divorcé étaient restés très proches. Chaque
année, depuis qu'Alain avait rejoint la franc-maçonnerie,
le couple venait passer une semaine dans son mas, entouré
dc vignes en terrasses et d'oliviers. Après la mort de son
mari, Anne avait continué son escapade catalane. Parfois,
Alain s'était dit qu il aurait pu refaire sa vie avec elle. Mais
c'était bien trop tard. Il y avait entre etu( une sorte de res-
pect réciproque, aux frontières de l'amour, dans l'éthique

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LOGGIA SECRETUM

des troubadours, qui s'était mué au cours des ans en une


tendresse partagée. Et chaque rencontre était pour eux un
vrai moment de bonheur.
Il était plus de minuit sur la montre du tableau de bord.
Alain avait rendez-vous avec Gérard Rossi à Paris. Mem-
bre correspondant de la Loggia Seretum, Gérard devait re-
cevoir un document déniché par Jean des Sauzils, le Thès
Respectable de la Loge, chez un brocanteur du côté de la
cathédrale Saint-Sernin à Toulouse.
Préftrant rouler de nuit afin d'eviter le maximum de cir-
culation, Alain avait tout son temps pour le rendez-vous avec
Gérard, dans un caft du Quartier [,atin, « [r Purgatoire ».
LJne sorte de crachin feutrait les lumières de la ville, dans
la vallée, au détour de virages. Saint-Étienne avait changé.
Les crassiers des années soixante étaient aujourd'hui des
pôles de verdure et la Marandinière avait troqué son petit
terrain de foot contre l'asphalte de I'autoroute, séparant
désormais ce quartier de Beaulieu. La vieille dame, la
u Manu » qui avait fait la renommée de la préfecture de la
Loire, avait cessé ses activités. la monumentale façade de
Manufrance sur le cours Fauriel, avaic été le symbole du savoir-
faire stéphanois. Tout en haut du cours, au jardin du Rond-
point où tournaient les trolleys, venus de la Place Dorian,
u la Pergola » dégrenait plus ses notes de musique faisant se
rapprocher les couples dans la lumière tamisée. Modernité
oblige, le dancing avait été détruit. Plus loin, dans ce qui
avait été des champs, où pâturaient des vaches autour de
fermes foreziennes, des immeubles modernes éraient sortis
de terre.
Un véhicule, pleins phares, se rapprocha de la Rover.
Alain s'écarta pour laisser passer le gros 4x4 en se disant
que le chauffeur n était guère prudent. Deux puissants pro-
jecteurs l'éblouirent dans le rétroviseur. [æ gros véhicule ne
s'écarta pas. Alain se demanda si le conducteur ne voulait
pas se rapprocher pour lui âire quelque remarque concer-
nant sa voiture. Soudain le 4x4 vint heurter l'arrière de la

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Rover. Alain acceléra pour échapper à ce fou. l-e 4x4 conti-


nua à bousculer la berline, lui laissant prendre du champ
evant de foncer sur elle. Le chauffeur savait piloter et con-
naissait la technique de l'élastique. Alain tenta de souder
I'accélérateur au plancher aân d'échapper au rnonstre dont
il voyait le pare-bufle se rapprocher dans le rétroviseur. Sur
une courte ligne droite, il freina brusquement. [Æ Toyota
enfonça le coffre arrière de la Rover et la poussa, toutes
roues bloquées, sur une dizaine de mètres. Il eut du mal à
maîtriser le cap, lâcha le frein et accélérera pour échapper
au tout-terrain. Dans un virage, le lourd véhicule percuta
à nouveau la voiture qui devala une pente raide, arrachant
les jeunes arbres d'un bosquet avant de plonger en ton-
neau:K successifs jusqu à une barrière de sapins, une cin-
quantaine de mètres plus bas. Vitrgt mètres plus loin, c'était
la dégringolade vers le gouffre de l'Enfer.
Un peu plus tard dans la nuit, une grande lueur rouge
éclaira le fond du vallon et une épaisse fumée noire monta
vers la route en lacets de Rochetaillée.

Gérard appréciait son vieux Noilly Prat en lisant un quo-


tidien du matin. Alain était en retard, mais la distance à
parcourir était synonyme d'aléas de la circulation.
Specialiste du Proche-Orient, brillant analyste de le DGSEI,
Gérard avait quitté sa Corse natale et la baie d'Ajaccio pour
des études à Sciences Po, puis de droit à Aix-en-Provence
jusqu'à un doctorat. C'est à cette époque qu'il avait été re-
cruté par le contre-espionnage français. Depuis, hormis
quelques missions, souvenir de son passage au service « Ac-
tion », comme militaire, la capitale I'avait phagocyté. Mem-
bre de la Grande [oge, il était I'un des o correspondants ,
de la Loge Secrète. Pas membre à part entière. Mais sur la
liste de ccux qui, un jour, au deces d'un de ses membres, in-
tégrerait cette loge particulière.
Cette loge, qui avait reçu pour titre disdncûî Loggia Se-
cretttn ne ressemblait à aucune des loges existant dans les

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LOGGIA SECRETUM

diverses obédiences du monde maçonnique. Elle était com-


posée de treize frères ayant un parcours maçonnique peu
commun et âppartenant tous aux plus hauts grades des dif-
férents rites en usage dans I'ordre maçonnique. Beaucoup,
étaienr toujours membres de loges d'obédiences ayant pi-
gnon sur rue. Certains y occupaient même de hautes fonc-
tions. Mais leur constitudon en Loge Secrère n'était connue
que d'une poignée de francs-maçons. Iæur appartenance aux
obédiences installées dans le monde profane n était qu'une
sorte de couverture aÊn de se livrer, dans le plus grand se-
cret, à des travaux de recherches n'érant pas à l'ordre du
jour des loges habituelles. Ce n'est pas dans cette loge que
l'on discourait sur les événements qui font la n une , de
l'acualité. Le travail était philosophique avec une bonne
part de maçonnisme.La Logia Secretum se situait dans la
lignée directe des plus anciennes traditions initiatiques et
avait été fondée sur le désir de la connaissance de soi, des
autres et des mystères de cet univers.
Les frères étaient unis pour découvrir ensemble le plai-
sir et le partage de la recherche, le bonheur par la rencon-
tre de l'autre et la joie apportée par I'amour dans une réelle
cornmunauté initiatique. l,a loge avait une spéciÊcité: ten-
ter de comprendre bien des mystères, souvent historiques,
parfois ésotériques. Des * cherchants, avant tout. Qui par-
fois remettaient en cause ce que certains maçons et pro-
fanes appellent o les vérités acquises ,.
Un maçon reçu dans cerre loge rt'avait, en général, rien
à envier aux docteurs en théologie: la Bible, la Thora et le
Coran étaient étudiés avec un sens critique dénué de tout
parti pris. Mais qui aurait foudroyé un tenânt des caté-
chismes monothéisres. Ici, quitte à passer pour un héré-
tique, on ne se faisait guère d'illusions, ni sur les dogmes
religieux, ni sur la pratique maçonnique devenue à la mode.
Tous savaient qu'il n'y a point de maçonnerie quand les
portes du Temple s'ouvrent à deux battants à la profanisa-
tion. [,a quasi-totalité des obédiences éranr dirigées comme

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des structures profanes, nombreux étaient les maçons de


devoir, à chercher ailleurs ce qu'ils étaient venus acquérir
dans ces loges et qu'ils n'avaient pas toujours trouvé. Le
plus souvent hélas, ces obédiences et les incontournables
fraternelles n'étant là que pour servir de liens aux affairistes
de tout poil qui avaient inÊodé l'ondre maçonnique et dont
la presse relatait de temps à autre les turpitudes ou leur soif
de pouvoir. Au détriment d'une grande majorité de ma-
çons sincères servant, à leur insu, de ceution. De maçon-
nique, il ne restait souvent à certaines obédiences que
quclques symboles devenus emblèmes et le nom.

Apres plus d'une heure d'aftente, Gérard, soucieux, rega-


gna n la Piscine ,,boulevard Mortier, siège de son service,
aptles avoir vainernent tenté de joindre Alain sur son portable.
lr soir même, sans nouvelle d'Alain, il avertit Jean des
Sauzils et interrogea Didier, un ami, colonel à la Direction
de la Gendarmerie, avec qui il avait pertâ# quelques mis-
sions au temps de son passage au service « Action ,.
Moins d'une heure plus ard, Gérard sut qu'il ne rever-
rait plus Alain. Sa voiture avait fait une embardée proche de
Saint-É,tienne et s'était écrasée dans un ravin contre des ar-
bres, avant de prendre feu.
Didier lui expliqua que les gendarmes avaient d'abord
cru à un banal accident. Thès vite, les traces successives de
freinage sur la chaussée avaient conduit les enquêteurs à se
poser bien des questions. Ils en avaient déduit qu'une voi-
ture bélier avait certainement provoqué l'accident.
Il ne fallut que quarante-huit heures aux spécialistes des
enquêtes techniques et scientifiques pour confirmer la thèse
d'un accident d'origine criminelle. I-a carcasse de la berline
avait « parlé ,: la voiture rt'avait pas brûlé suite à l'accident,
mais quelqu'un avait mis le feu après. C'était un crime.
En fin de soirée, Gérard avait reçu un coup de fil du co-
lonel Didier Muscadel, son contact à la direction de la gen-
darmerie qui lui donna d'autres précisions:

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LOGGTA SECRETUM

« LÆ ou les rypes qui ont mis le feu à la voirure de ton ami


sont des professionnels. Ils se sonr servis, après l'accident,
d'une grenade incendiaire à main, de rype 1916. C'est une
arme redoutable qui, en plus de détruire par le feu toutes
les matières combustibles, achève le boulot en détruisant
par fusion tous les objets métalliques. Ce rype de grenade
à ceci de particulier que la charge enrre en ignition, sans
exploser. Et ça ne laisse que peu d'indices. Désolé, mais
c'est tout ce que les enquêteurs ont de nouveau.
- Je te remercie. Au moins, si on ne sait pas qui, on sait
que ce n'est pas l'æuvre d'un petit voyou ou d'un mari ja-
loux. ,
Rien n'avait été récupéré dans les restes calcinés de la
Rover.
CHAPITRE II

Iæ Falcon 50 E)( de Claudio Bardi se posa entre deux


vols de Ryanair sur le tarmac de l'aéroport de Carcassonne-
Salvaza. La météo avait été excellente depuis Rome. Clau-
dio Bardi, après avoir été rnanager aux États-Unis, était
revenu dans sa Toscane, proche de Caldana, prendre la di-
rection deJa propriété familiale: des hectares de vignes, des
oliveraies entourant la colline où il avait fait construire sa
villa. Plus bas, l'ancien corps de ferme avait été transformé
en une azienda agricoh, son hôtel-restaurant de campagne,
jouxtant un haras. Un lieu béni des dieux où quelques
clients privilégiés pouvaient apprécier le printemps toscan.
Et où Claudio élevait un Chianti classico qui tutoyait le
ciel des sommeliers. Avec la propriété de son épouse aux
environs de Montalcino et son Brunello di Montalcino,
l'un des vins les plus chers du monde, Claudio parcourait
souvent la planète pour vendre son vin, estimant que le
meilleur vendeur d'un produit est celui qui le fait.
Il avait été initié après un doctorat en économie à Rome,
et se destinait à l'enseignement supérieur. Mais très vite le
monde des affaires I'avait accaparé et il avait rejoint les
États-Unis pour prendre la direction d'une filiale de Du
Pont de Nemours. Il avait gravi ensuite les échelons le me-
nant aux plus hauts grades du Rite foossais Ancien et Ac-
ccpté ainsi que du Rite d'York. Après avoir été Grand
Maître de la [oge Nationale d'Italie, il présidait désormais
les Hauts Grades du Rite Ecossais Ancien et Accepté et était
membre fondateur dela Loggia Seretum.
Max Hidalgo et Guy Mone, deux membres de la loge
secrète, attendaient les passagers. Claudio, au cours d'une

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LOGGI-A SECRETUM

courte escale à Marseille-Marignane, avait embarqué Pierre


Faure et Paul Bousquer, membres de la Loggia. Paul avait
occupé quelques fonctions maçonniques à la Grande Loge
Nationale et Faure, après avoir été I'un des conseillers d'une
obédience nationale, s'occupair désormais d'une loge de la
maçonnerie tredidonnelle de Medirerranee. I-es deux hommes
étaient associés, à la têre d'une importanre société de pro-
motion immobilière qui les amenait souvenr à voyager à
travers la France et I'Europe.
Le Touareg de Max quitta l'aéroport pour se rendre vers
le centre-ville de Carcassonne, se dirigea vers la Cité mé-
diévale et s'arrêta dans une petite rue, devanr une maison
basse à la façade üisre, au pied de la ville haute.
C'était là que les frères d,ela Loggia Secretum se réunis-
saient. Pour rester les plus discres possibles, ils n utilisaient
ce temple que quelques fois l'an. Irs autres réunions pou-
vent avoir lieu dans un temple maçonnique de Marseille,
Nice, Paris, sur la Costa Brava, à Roses, Gérone ou Barce-
lone, voire en Italie ou à Marrakech, oir résidaient deux
frères correspondants, selon la nécessité du moment. La
réunion de ce jour avait été rapidement décidée par Jean
des Sauzils dans le Temple oùla Loggia avait été créée.
Après avoir été responsable d'un grand quoddien nario-
nal, Jean avait quitté la presse et Paris pour son Languedoc
où il avait créé une sociéré d'édition spécialisée dans la pu-
blication de livres sur l'histoire régionale, sur le bassin Mé-
diterranéen et sur l'ésorérisme. Lidée lui était venue à la
mort de son grand-père, quand il avait hérité d'une maison
dans un hameau de la Haute-Vallée de lâude oir Eugène
Stublein2 riavait pas fait que scruter le ciel, mais s'était éga-
lement adonné à l'alchimie. Son grand père lui racontait, le
soir à la veillée devant l'ârre, que ce curieux bonhomme
sortait parfois le soiç et plus particulièrement à la pleine
lune, pour étendre un drap blanc sur le pré, derrière sa
maison, a6n de recueillir la rosée du matin. Il avait même
écrit un ouvrâge devenu introuvable où un relevé de pierres

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LOGGIA SECRETUM

gravées contiendrait l'une des solutions à l'énigme de


RennesJe-Château. Tânt d'histoires et de légendes racon-
tées au coin du feu, dans sa prime enfance, I'avaient cer-
tainement prédestiné à se retrouver plus tard dans ce qu'il
üvait aujourd'hui.
Cette activité lui permettait de vivre selon son choix,
dans son mas du Minervois, à proximité de la garrigue où
il affectionnait de se promener entre cistes, romarins et
chênes verts ou kermès, quand il n était pes en voyage pour
des raisons maçonniques ou, plus secrètement, quand il lui
fallait reprendre le 6l d'Ariane pour atteindre les objectifs
que s'étaient fixés les membres de la Loggia Seretum.
Cette loge avait été créée, selon les anciennes coutumes,
à la Saint-Jean d'hiver, le27 décembre d'une année choisie
IDur ses conjonctions astrales. Au siècle dernier. Les mem-
bres avaient constitué des cellules de travail autonomes gui
faisaient lc point sur leurs recherches en assemblée plénière
de la loge convoquée par Jean des Sauzils.
Mais aujourd'hui, Jean était soucietx. Si un membre de la
I^rygia Seoetum avait été assassiné, c'est que des gens s'inté-
ressaient de tres près à la loge et à ses investigations. Il devait
rendre compte de la mission d'Alain, et demander à ses pairs
de coopter son successeur parmi les frères correspondants
des Grands Chapitres, Grands Conseils Philosophiques,
Suprêmes Conseils, Grands Prieures ou eutres organismes
de hauts grades en vigueur dans l'Ordre maçonnique, aÊn
que la loge secrète retrouve ses treize membres.

Iæs membres de cette loge unique étaient réunis âutour


d'une vaste table ronde, au centre duTemple maçonnique.
Un siège avait été laissé vide: celui qu'occupait habituelle-
mentAlain. Un sautoir blanc bordé de rouge avec des franges
d'argent était posé sur le dossier du siège. Personne ne sié-
geait à l'orient, dans la chaire de Salomon, habituellement
occupée par le Respectable de la loge ou leTiès Sage, ni sur
lcs colonnes. üorient était revêtu d'une tenture blanche,

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LOGGIA SECRETUM

tout comme la table, au cenrre de laquelle étaient disposés


une équerre, un compas - dont la tête était tournée vers
l'orient -, une Bible ouverte à I'Apocalypse de Jean, un
crâne avec un chandelier à neuf branches et un maillet.
u Debout mes frères et à I'ordre, intimaJean. Notre réu-
nion de ce jour est inhabituelle et grave. Nous n'ouvrirons
pas les travaux de notre Loggia. Vous savez tous qu'Alain a
très certainement éré tué à cause d'un manuscrir qu il de-
vait remettre à l'un de nos correspondants à Paris pour ana-
lyses et décryptage de certaines parties. Je lui avais demandé
d'y aller à ma place. Notre quête dérange apparemmenc
beaucoup de monde. Pour le futur, je demanderai à chacun
la plus grande prudence. Quelqu un s'inréresse de trop prés
à nos activités. Chacun d'enffe vous devra informer ses cor-
respondants de ce qu'il vient de se passer. Mais d'abord,
formons la chaîne d'union. ,
Les douze se donnèrent la main, bras gauche sur bras
droit, tandis que les deux frères de part et d'aurre du siège
d'Alain tinrent chacun un côté du sautoir blanc et rouge.
[a croix deToulouse, devenue rymbole de l'Occitanie, avec
ses douze signes zodiacaux, dorée, dans un triangle de
même couleur contenu dans un cercle du sautoir, était moi-
rée de noir. Après quelques instanrs de méditation, Jean
parla d'Alain et de son engagemenr pour l'Ordre avant de
faire quitter la chaîne.
n Voici une copie du parchemin et de I'oracle Kabbalis-
tique avec les carrés magiques qu'Alain devait rrensmerrre.
Cet oracle, suivi d'un pentacle, aurait été trouvé par un spi-
ritualiste ariégeois qui accompagnait l'allemand Otto Rahn
venu faire des fouilles sur ordre des nazis à Montségur3 et
aux alentours dans les années trente et suivantes. Le Ca-
tharisme a intéressé beaucoup de monde de differents mi-
lieux. Il n'est pas rare de üouver sur les penres de Monrscgur,
au moment du solstice, une procession d'hommes en noir et
de femmes, vêtues de blanc, torches en main, psalmodiant
des prières pour invoquer les mânes de parfaires carhares,

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LOGGI.A SECRETUM

Gomme Esclarmonde de Foix par exemple. Aujourd'hui, ce


m'it une'secte' néocathare, composée d'un nombre im-
portant de Russes vivant du côté de Barcelone qui gravite
autour de Montségur. Certains demeurent persuadés que
Montségur, le Montsalvage de \ÿolÊam von Eschenbach
cst le dernier refuge du Grad..
Selon ce qu'a couché le spiritualiste ariégeois sur I'un de
ses cahiers, il aurait remarqué une diftrence de bâti dans
un mur soutenant une Balerie découverte sous le château.
Il se garda bien d'en parler à l'allemand et revint faire des
fouillcs après le retour d'Otto Rahn dans son pays. Dans
une niche, il mit au jour plusieurs parchemins, dans une
vcssie de cuiç constituant cet oracle kabbalistique et d'au-
tres comportant des Êgures géométriques ainsi que des
tertcs en ladn et en grec, ces derniers surtout tres abîmés
pn l. temps, difficilement déchiffrables, vu l'état des par-
chemins. Nous supposons que ces manuscrits datent du
XIII' ou XI\É siècle. Selon le spiritudiste, qui avait aupa-
nryant fouillé le site et les grottes de Lombrives et Ornolac
notamment, l'un des parchemins intéressait au plus haut
point des cercles occultistes italiens et britanniques. LJn ro-
sicrucien s'était même installé dans le village du découvreur
a6n de I'amener un jour à lui vendre les parchemins.
Quand notre homme, grand gnostique devant l'Éternel,
iaperçut que ce rosicrucien, qu'il commençait à prendre
Ircur un disciple, n était autre que le neveu d'un nonce
apostolique romain, il ferma la porte de sa maison à I'oc-
cultiste. Il demanda à tous ses amis de ne plus le recevoir,
ni de répondre à ses questions et à plus forte raison de ne
pas le guider vers quelque lieu que ce soit...
Bien plus tard, sa belle-fille céda le parchemin à un mage
toulousain. Ses héritiers le vendirent ensuite au brocanteur
chez qui je l'ai déniché. Selon mes sources, il existe un eutre
manuscrit sur parchemin, assez semblable, tout eu moins
au niveau de l'oracle kabbalistique. Il appartenait à la pe-
titc 6lle d'un grand compositeur ariégeois qui tenait salon

21
LOGGTA SECRE'TUM

dans un immeuble parisien du quartier latin où se réunis-


saient des assemblées pour un renouveâu cathare. J'ai par-
ticipé, il y a plusieurs années, à des confrontations avec un
dominicain dans ce genre de cercle et notamment chez
cette dame. Je ne sais pas qui, aujourd'hui, possède ce par-
chemin et l'oracle.
- Qui peut-il bien avoir recours au meurtre pour s'em-
parer de ces menuscrits ? interrogea Max Hidalgo.
- Pour le moment, nous ne savons pas grand-chose. Gé-
rard Rossi se renseigne. Et je pense que vous, Claudio à
Rome et vous, Pierre Faure à Marseille, devez commencer
à enquêter cres discrètement. Mettez vos réseaux à contri-
bution. Et soyez prudents. ,
Il fut ensuite question de la cooptarion du treizième
frère. Ce fut José Vigilcas qui obtint l'unanimité du vote à
main levée, puisque le vote secret rt'existait pas dans cette
loge et que chaque frère, pour ou contre le sujet mis aux
voix, devait expliciter son vote.
José Vigilcas était depuis longtemps membre correspon-
dant après avoir occupé des fonctions présidentielles d'une
importante loge française en Catalogne espagnole. Il prési-
dait aux destinées d'une Haute Loge pour I'Occitanie, la
Caralogne et la Méditerranée. C'était un ancien officier su-
périeur de l'armée de l'air et sa connaissance de la Cata-
logne et de I'Espagne érait très appréciée.
Lassemblée décida qu il ferait équipe evec un autre pilote
du groupe Albert Paullus, passé Maître d'une loge du
Grand Orient dont il avait démissionné pour ne s'occuper
que de maçonnerie traditionnelle méditerranéenne et du
Rite Français de 1783.
Les frères de la Loggia Seuetum avaient décidé que la
grande majorité de leurs « renues , se dérouleraient au grade
de Souverain Prince Rose-Croix ou au V. ordre de ce fute,
le plus élevé des hauts grades français. Parfois au 33'degré
du Rite Écossais Ancien Acceptéa.
CHAPITRE III

Janvier 1244. Monségur assiégé est à bout de force. Les


nombreuses femmes et enfants, ainsi que les blessés, gênent
les défenseurs. Lespace se réduit et les masures autour du
château, pris en tenaille, sont abandonnées. Des monta-
gnards basques, achetés par un prélat, ont pu grimper
i"qdà une centaine de mètres de la citadelle oùr l'évêque
d'Albi a pu installer une perrière. Larmée du sénéchal du
mi de Francc va venir à bout de ce château, ressemblant
plutôt à un temple qu'à un ouvrage militaire médieval. Dans
Montségur, tous les croyants se font recevoir dans l'esprit
saint par les parfaits aÊn que « Dieu les conduise à une
bonne fin ,. Ils dcmandent aux ministres de la religion de
lcs * consoler' ». Ce qui les conduira à une mort certaine
eprès la prise du château. Mais tous et toutes préféreront le
bûcher qu'abjurer leur foi.
Pierre-Roger de Mirepoix, le défenseur des lieux, est in-
quiet. Cet héritier d'une antique famille des Belissen, o les
Gls de la Lune », est un proche du Comte de Toulouse. Ce
dcrnier lui a fait demander de tenir jusqu aux prochaines
Piques. Il sait par ses hommes de liaison avec la maison de
Toulouse, que Raymond VII attend beaucoup dâragon et
d'Angleterre. Cctte dernière, en guerre contre le roi de
France est défaite àTaillebourg et à Saintes. Henri III d'An-
gleterre et Hugucs de Lusignan riauront pu aider le Comte.
Et puis, tenir pourquoi ? [,a garnison est en piètre état. Il y
a dc nombreux blessés depuis que la machine de guerre de
l'évêque d'Albi envoie ses boulets sur le refuge ariégeois.
Pierre-Roger de Mirepoix pense à négocier pour tenter de

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LOGGIA SECRETUM

seuver ses chevaliers, la plupart Êls de seigneurs chassés de


leur terre qui, sans être cathares, ont embrassé leur cause
par tolérance, amour de leur terre, de la civilisation occitane
et, surtout, haine des Français, qui mettent leur pays à feu
et à sang, éradiquant les vieilles familles occitanes en sPo-
liant leur terre, leur château ou en les envoyant au Mur, la
prison de l'Inquisition, ou au bûcher.
Lévêque cathare, Bertrand d'en Marti, appelle deux che-
valiers, Pierre Bonnet et Matheus.
« Pierre et toi Matheus, si vous le souhaitez, je vais vous
administrer le consolament des mourants car j'ai une mis-
sion dangereuse pour vous.
- Nous ferons comme tu diras, rétorqua Matheus.
- Bientôt les soldats français et ceux de Rome nous
anéantiront. Nous rt'avons qu'une centaine de défenseurs
contre dix mille. J'ai reçu une lettre de l'évêque cathare de
Crémone. Ils ne peuvent nous aider. Ni nos frères de Lom-
bardie ni de Bulgarie. Ceux des Corbières s'attendent aussi
à subir les foudres de la prostituée de Babylone et du roi
français. J'ai décidé de faire évacuer le trésor. C'est vous qui
en êtes chargés.
- Où devons nous l'évacuer? demande Pierre Bonnet.
- Vous connaissez tous deux les grottes oir nos frères prê-
chent dans le Sabarthès. Vous le cacherez dans le trou des
"Encantados6" proche d'Ornolac, là oir nous avons donné
le consolament à Loup de Foix. Une fois fait, vous irez voir
Géraud d'Aniort à Usson, afin qu'il vienne récupérer
"antntrn, argentum et pecaniam infnitamt" . Ap* notre dis-
parition, il faut que l'Église cathare puisse continuer à
vivre. »

Dans la nuit qui suivit, après avoir reçu le consolament


de l'évêque au milieu d'une assemblée de parfaites et parfaia
et de croyants en prière, les deux hommes, montagnards
chevronnés, descendirent à l'aide de cordes le long de la fa-
laise vers les gorges de l'Hers. Une fois arrivés au pied du

24
LOGG1A SECRETUM

pog8, ils attendraient que les hommes de Camon, un petit


ü[age proche, prennent la relève. Enrôlés dans l'armée du
sénéchal du roi, ces vassaux de Pierre Rogcr de Mirepoix
hissaient souvent passer des mcssagers de Montségur.
Iæ gel rendait les cordes plus rêches et les doigts en-
gourdis risquaient à tout moment de lâcher prise. Mieux
valeit ne pas penser à I'abîme qui leur servirait de linceul.
Ib atteignirent enÊn une platc-forme qui les mena jusqu'à
un sentier secret. Il fallait eviter lcs patrouilles de l'armée du
sénéchal. Mais les deux chevaliers étaient passés maîtres
dms I'art de franchir les lignes ennemies. Matheus n'en
éteit pas à sa première sortie. Ni à sa dernière. C'était lui
qui allait atx nouvelles, rencontrer le bayle du comte de
ïbulouse ou passer un rnessage du chef spirituel de Mont-
Cgur à ses frères des Corbières qui se réfugiaient à Quéri-
bus ou en pays d'fuagon. Par le chemin des bons hommes,
cornme on l'appelle encore de nos jours en Cerdagne, à tra-
vtrs les Pyrénées audoises et ariégeoises il atteignair Porta,
pris Btavar, avant d'aller rendre visite à une comrnunauté
ceüare à Puigcerda. À la suite de la revolte du jeune Tien-
cevcl contre Simon de Monfort, et d'une reconquisu qui
D'anait été qu'un feu de paille, il avait même accompagné
trois familles du village de Montaillou, pourchassées,
iusqrià un village sur l'Èbre, proche de la mer, où s'était
ddvcloppée une communauté cathare autour du dernier
parfait Bélibaste, avant que ce dernier ne soit ramené, par
trrîuise, jusqu à l'évêque de Pamiers qui le condamna au
btcher.
Aprè" trois heures d'efforts, les mains en sang et courbés
æus le poids des secs contenant le ûésor de la commu-
Eruté, les deux Cathares evitèrent le village de Montségur
ct prirent un senticr les conduisant dans une masure dans
L" goryo de Lafrau.
Ià, un paysân qui faisait souvent passer quelque nourri-
uuË aux assiégés, les restaura. Ils se reposèrent quelques ins-
Gmts avent de s'évanouir dans la nuit froide pyrénéenne.

25
LOGGTA SECRE'|UM

Là-haut, plus proche du ciel, Montségur ressemblait à


une ruche silencieuse. Parfaits, diacres et croyents étaient en
prière. Les chevaliers et gens d'armes se reposaient en atten-
dant I'aube et les premiers bombardements précédant I'as-
saut, pendant que les catholiques romains, sous la conduite
de dominicains fanatisés et des inquisiteurs, entonnaient le
Wni Creator. Les Parfaits donnaient la consolation aux
mourants tandis que les femmes se dévouaient auprès des
nombreux blessés.
Laube allair se lever. Une autre journée de malheur,
comme un cheval de givre et de misère, allait s'abaüre sur
Montségur.
Arnaud d'Usson et Bernard d'Alion quittèrent la cita-
delle a6n d'aller chercher de l'aide aupres d'un chef de rou-
tiers catalan.. À l.,rr retour, Ies quelques hommes rassemblés
par le catalan ne purent franchir les lignes des assiégeants.
Une dernière sortie fut tentée par Pierre-Roger de Mire-
poix a6n de faire fuir ses chevaliers. Elle fut repoussée par
le sénéchal Hugues des Arcis dont les hommes tentèrent de
forcer les dernières défenses. Après neuf mois de siège, des
pourparlers quânt à la reddition s'engagèrent. Le sénéchal
Hugues des Arcis et l'évêque Amiel donnèrent quinze jours
aux assiégés pour quitter Montségur. Les Cathares seraient
brûlés comme hérétiques, les défenseurs laisseraient armes
et bagages mais auraient la vie sauve, après avoir satisfait
atx questions des inquisiteurs.
16 mars 1244. Iutpied du château, croisés et soldaa s'aË
âirent. I[s préparent un énorme bûcher sur lequel seront
brûlés hommes, femmes et enânts qui ne renieraient pas
leur foi.
Dans le silence de la dernière nuit, faite de prières et re-
cueillement, Bertrand d'en Marti et Pierre-Roger de Mire-
poix aident quatre hommes, tous chevaliers cathares, à sortir
de caches aménagées sous rcrre, dans la cour du château.
o Hugo, AmielAicart, Poitevin et toi Pierre Sabatier vous
avez en main un trésor plus important que l'or. Dans ces

26
LOGGIA SECR.ETUM

outres de cuir sont cousus des parchemins qui nous vien-


mt de la nuit des temps, souligna I'evêque cathare. Ils ont
été sauvés une première fois des griffes de Rome par des
Êèrcs coptes, er Égypt. et transmis jusqu'à nous per Nicé-
trs,l'évêque manichéen de Constantinople qui a dirigé le
C.oncile Cathare de Saint-Félix de Caraman. ArnaudTeouli
ma aidé à en faire copies. Nous lcs evons cachées dans ces
mu§.
Nous ne somrnes pas de ce monde, et ce monde n'est pas
dc nous. Nous sommes les héritiers de la sagesse cosmique,
dc la grande source traditionnelle. Notre doctrine est plus
proche de l'É,glise cachée de Jean que de celle de Pierre.
Vous devez seuver ces saints écrits que l'Église de Rome
chcrche à détruire. Si vous réussissez à sortir d'ici, allez
trlruver Esclarmonde d'Alion et pefiez dans le Razès.
Proche de Saint-Just et le Bezu lesTempliers de Campagne
ont une ferme, les Tipliès. Demandez frère Arnaud d'en
C.st. C'est un homme sûr, un tmplier de saint Jean. Re-
mcttez-lui les documents et la bourse d'or. Apres, que Dieu
rous garde et vous conduise à une bonne 6n quand vous
itrr,aÉz Êanchir le seuile. ,
Its quatre hommes s'agenouillèrent devant le Parfait afin
{s , pendant qu'il leur donnait
« l'xdorerro sa bénédiction
aru imposition des mains sur leur tête.
. Nous sommes dans ce monde du mélange où deux
puissances adverses lument. Avec l'aide de Lucifeç Satan a
hisc le ternaire humain, esprit, âme et corps. Vous avez été
rçr dans l'Esprit. Votre âme peut reioindre votre esprit,
rnais saç[62 que Satan, au moyen de votre corps d'homme,
Êre tout pour l'empêcher. Que Dieu vous conduise à l'il-
lumination progressive.,
Jusqialors silencieux, Pierre-Roger de Mirepoix se tourna
ws les quatre chevaliers:
. Vous i*ez.pas le droit d'échouer, l'Église cathare repose
rrr vous. Si l'un de vous est blessé, que son frère l'achève.
Ic sais ce que je demande à des hommes de foi comme

27
LOGGTA SECRETUM

vous. Mais vous ne pouvez pâs tomber vivant aux mains


des inquisiteurs. Outre les parchemins, il y a des consignes
pour ceux qui pourront se réfugier en Lombardie ou en
Aragon. Ce sont ces consignes que vous donnerez à Cha-
bert de Barbaira, à Quéribus... Ad.iù!,
Bertrand d'en Marti donna le baiser de paix aux quatre
hommes avant qu'ils ne se fondenr dans la nuit. Amiel Ai-
cart fit dérouler des cordes du côté du Lasset. La descente
périlleuse vers le fond de l'abîme conduisit les quatre
hommes dans une gorge. Là, Pons funaud de Castelverdun
les attendait. Quelques heures plus tard, sur le sommet en-
neigé du Bidorte, Pons Arnaud alluma un feu. ks gens de
Monrségur étaient avertis: le trôor des Cathares était sauvé.

Au petit matin, une lente procession conduite par


l'évêque cathare sortit du château et se dirigea vers le bû-
cher. Malades et infirmes furent jetés sur les fagots. l,es au-
tres rendirent la tâche facile aux soldats de la foi en se jetant
dans le bûcher. Deux cent cinq torches vivantes éclairèrent
les premières lueurs de I'aube.
Pierre-Roger de Mirepoix, eut la vie sauve. Il n était pas
cathare. Il n avair que sa haine contre l'Église de Rome et
les Croisés que l'on appelait alors u les Français ,. Il vit
monter sur le bûcher ûois générations de sa propre famille:
.Marquesia de Lanta, sa belle-mère, Corba de Perelha, son
épouse et la plus jeune de ses filles, Esclarmonde, jeune
handicapée portée dans les fammes de l'Église catholique.
Autour du bûcher, on entonne le Salae Regina.l-a,blanche
colombe avait déserté Montségur. Sur le pog volaient de
noirs corbeaux.
[æ printemps allait bientôt chasser la neige vers les som-
mets du Saint-Barthélemy où d'autres hommes, bien avant
les Cathares, avaient sacrifié au culte de Mithra et au sol in-
aectus. Un rituel du III' er IVe siècle avanr Jésus-Christ,
venu de Perse, et adopté par des légions romaines et leurs
chefs, où l'on sacriÊait un taureau pour Ëter le u soleil in-

28
LOGGIA SECRETUM

vrincu ,. Un culte qui voulait que quelques jours apres le


ælstice, aux environs du 25 décembre, I'arrivée du dieu so-
hirc soit annoncée par la naissance d'un nouveau-né dans
unc grotte.
Dix ans après ce funeste mois de mars 1244, où l'Église
dcRome, avec l'active complicité de la monarchie franque,
mcrait un terme, apparent, au développement d'une Église
gnosdque, un autre haut lieu de l'esprit tomba. La forte-
rcsse-temple d'Alamût, du u Vieux de la Montagne , et de
s « Assassins » ismaéliens, ne résista pas eu( assauts des
Ittongols.
CHAPITRE IV

Rcnnes-les-Bains. [a petite station thermale audoise, en-


châssée dans son vallon, avait perdu le faste qü était le sien à
l'époque des thermes romains ou, plus proche, au XD('siècle,
quand la famille du marquis de Fleury propriétaire dans le
village, relança, la stadon en créant de nouveaux thermes.
BénéÊciant surtout d'une clientèle locale venant soigner
s rhumatismes, elle n'en était pas moins souvent visitée
par des mystes, alchimistes et autres chercheurs de trésor
tant les légendes couraient en ces lieux propices. Des sites
naturels, d'autres créés par I'homme, interrogeaient tou-
|rurs les amateurs d'insolite. Iæ fauteuil du Diable, la Source
dc la Madeleine, la Montagne aux Cornes, l'église du vil-
lage et certeines tombes de son cimetière, la montagne du
Caldou oir furent exploitées des mines d'or et d'argent, le
château de Blanchefort, à proximité duquel ot tro.rr.
"r,r-
rite et pyrite, et la proximité de RennesJe-Château et du
trr&or de l'abbé Saunière, ont feit de ce lieu de calme et sé-
rénité un gigantesque puzzle ésotérique.
Et le mystérieux ouvrage d'un passionné d'archéologie
I'abbé Boudet « [a vraie langue Celtique et le Cromleck de
RcnnesJes-Bainsrr », posant plus d'interrogations qtiil n ap-
porte dc réponses, n était pas étranger à des dlées et venues de
divcrs personnages, toujours en quête de vérités occultées
par l'histoire. Ou tout simplement attirés par la curiosité,
voire l'appât d'une improbable découverte trésoraire.
Pourtant, tout le monde, ou presque, ne rêvait que trésors
codormis depuis des siècles dans quelque aven ou grotte en
nombre dans la région. Ou encore mettre la main sur des

3l
LOGGIA SECRE'I'UM

parchemins qui mettraient un terme à l'orgueilleuse poli-


tique d'une Église catholique romaine, jadis hégémonique,
s'arc-boutant aujourd'hui sous les coups de la science, des
recherches bibliques et de la simple raison.

Jean, Pierre Faure, Portos, Albert et Max, amablés au Cafe


de la Place, avaient rendez-vous avecJean-Claude Roumegous.
Petit et râblé, membre de plusieurs loges, descendant
d'une vieille famille occitane, ce franc-maçon n'avait pas
conservé la souplesse qu'aurait dû lui laisser la pratique, des
années durant, des arts martiaux. Il avait décidé, qu'après
un temps en vient un autre et qu Épicure, aujourd'hui, était
son ami. Il avait hérité de son aïeule, vivant dans un ha-
meau proche de Bugarach, des dons de guérisseur dont ses
amis se moquaient gentiment. Le tout est qu'il savait arrê-
ter le feu et il n était pas râre que quelques médecins lui en-
voient des patients atteints de zona. Mais l'aide qu'il
pouvait apporter àla Loggia Secretum était d'un rour aurre
domaine. Il s'étair spécialisé dans l'ésorérisme régional et
connaissait les arcanes de bien des mystères, notamment
autour du pic de Bugarach, n la montagne inverse ,.
Les membres de la loge, alertés par Jean-Claude, regar-
daient d'un æil, à la fois sceptique er amusé, tout ce mys-
ticisme qui se développait depuis une paire d'années autour
du pic de Bugarach, parfois porteur de charlatanisme bon
teint. Certains n'hésitaient pas à proposer en ces lieux n des
baptêmes en eau vivante chargée d'énergie vibratoire mul-
tidimensionnelle... baptême de votre expansion corporelle,
de votre conscience stellaire cosmo-tellurique , et autres
foutaises comme n renforcement de votre encrage puissant
et guidé sur les hauteurs du vortex régénérateur... ,
Bref une forme de sacralisation du Pic de Bugarach qui
interrogeait et inquiétait quelquefois plusieurs autochtones,
y compris Jean-Claude et ses amis, qui tombaient sur des
kerns dans les sentiers autour du pic, ou rencontraient par-
fois des groupes d'individus, allongés en cercle sur le sol

32
LOGGIA SECRETUM

rvec, au centre, un gourou à demi nu psalmodiant des im-


précationsl 2. Quelques pseudo-esotéristes avançaient même
quc le pic de Bugarach était une « aiguille creuse , au-dessus
dcs Corbières, haut lieu tellurique per excellence, devant
guider les engins interstellaires venant délivrer des sages il-
luminés, dépositaires du secret des origines, au moment de
h 6n de notre monde. Un néorural installé depuis peu dans
la région, affirmait que ce Bugarach n était autre que le
double de l'Agartha himalayenne dans ce coin des Cor-
bières occidentales, dans ce Razès wisigothique ouvert à
butes les supputations. Et au délire de quelques-uns.
Jean-Claude venait d'un rendez-vous dans un hameau
proche du village au pied du pic, les Capitaines, oir une
vicille femme de sa connaissance devait lui faire des aveux
§rr un prêtre du coin qui, jusque dans les années cinquante,
donnait, selon des anciens, le consolament cathare à des
paysans en parmnce pour l'au-delà. Cela, lui dit-elle, se pas-
seit toujours après que le curé ait chassé les enfants de
ôæur. La chose, dans ce coin du Haut Razès, était assez
nrrc pour s'y intéresser. Même si, jusqtiau début du )O('siè-
dc, on retrouve certaines résurgences plus ou moins catha-
riceng65, comme ce rassemblement qui, chaque année au
olstice d'été, réunissait une cinquantaine de femmes et
hommes, en un lieu bien précis des Hautes-Corbières, ou
drns des grottes de la Haute-fuiège.
. Je n'ai pas appris grand-chose, avoua Jean-Claude à ses
emis. Seulement que c'est l'abbé Boudet, un ami de Béranger
Snunière, qui aurait appris à ce curé le rituel cathare. C'est
quicux quand on sait la place tenue par l'abbé Boudet dans
feffaire de Rennes-le-Château et du trésor de I'abbé Sau-
nii:re. Et plus encore quand on sait les liens qu'entretenaient
Boudet avec bien des membres de la hiérarchie cetholique.
Èr contre, il faut aller à Jaffus, l'une des onze métairies qui
rnt proches de Rennes. Je dois y renconüer un berger qui
e Ëit, il y a quelques années, des découvertes intéressantes
rr le plateau.

33
LOGGTA SECRETUM

- Quand ?interrogea Jean.


- Cet aprà-midi, tout est arrangé. Nous sommes aftendus.
- Allons-y. Mais prudence. Pierre et moi t'accompa-
gnons. Portos, Albert et Max s'assureront que nous ne
sommes pas suivis, dit Jean. Paul Bousquet viendra nous
rejoindre depuis Limoux. ,
Avec ses presque 1 m 90 et ses 105 kg, l'ancien rugbyman
perçait dans la démarche de Paul. Le crâne rasé et lustré
comme un miroir et une belle paire de moustaches noires
apportaient une dernière touche à une silhouette plutôt ras-
surante, pour ceux qui l'accompagnaient. Quant à Max, son
visage sévère derrière des lunettes à grosse monture n inci-
tait guère à la plaisanterie. D'aurant plus que quelques an-
nées auparavant, il s'était classé second au championnat de
France de judo et que le calme apparent dont il se faisait
une discipline, pouvait ouvrir les écluses d'une force her-
culéenne par grosse colère.
Le premier groupe prit un tout terrain pour atteindre
Jaffus en empruntant les chemins muleders et pistes, sans
passer par la route. Pas besoin de carte d'état-major: Jean
et Jean-Claude connaissaient le pays comme leur poche.
C'était un peu celui de leur enfance. Portos et Max prirent
la route pour se rendre proche de Jaffus à partir de Rennes-
le-Château otr Paul les rejoindrait.

Firmin Magnan devait avoir plus de 80 ans. Un béret, où


la transpiration et la crasse avaient fait comme une auréole,
délimitant le sommet du crâne, les pommettes hautes révé-
lant certainement quelque ascendance wisigothe, le visage
buriné de ceux qui vivent aux intempéries comme au soleil
de l'été, laissait une toute petite place à detx yeux en amande
d'un bleu délavé. Comme s'ils en avaient trop vu au point de
vouloir maintenant se fermer. Jean se dit qu'il y avaitcertai-
nement quelque ADN de Gengis Khan, dans ce visageJà.
Firmin avait connu la mère de Jean-Claude aux fttes pa-
tronales et eux moissons: du plateau aux vallons, tout ce

34
LOGGTA SECRETUM

monde s'entraidait. La vie, ici, n'avait jamais été facile pour


ceux qui tiraient leur subsistance d'une terre ingrate et peu
docile. Et encore heureux quand les orages de grêle de la
mi-août, fréquents sur ces marches pyrénéennes, ne ve-
naient pas détruire des récoltes à faible rendement.
De plus en plus, les friches se rapprochaient des métairies
et des villages où les cultivateurs étaient de moins en moins
nombreux. Ici, comme dans d'autres contrées pauvres, les
plus instruits étaient partis vers la ville ou dans le Nord,
c'est-à-dire vers Paris, pour un travail plus rémunérateur
ou des perspectives de carrière. Apres la vague hippie c'étaient
maintenant de jeunes retraitô, ou souvent des étrangers, qui
achetaient maisons et propriétés pour la beauté des paysages
et leur moindre coût, comparé à d'autres lieux à la mode.
Les quatre hommes se retrouvèrent dans la salle com-
mune de la métairie, devant des verres de pastis, fait aux
herbes ramassées sur le ceusse, arrosé d'eau fraîche d'un
puits protégé par un énorme figuier.
« Vous rt'êtes pas les premiers à me faire raconter tout ça.

la première fois, c'était... attendez... je crois... oui... oh !


il y a plus de vingt ans. Mais là, c'est incroyable le monde
qui s'intéresse à cette histoire: deux hommes sont passés le
mois dernier. Un était tout en gris, avec une sale trogne. Il
ne disait presque rien. Mais le peu qu il a dit m a fait pen-
ser à un Espagnol ou un Italien. Lautre, je ne pourrais pas
trop le décrire. Il est toujours resté dans l'ombre, dans I'en-
coignure de la pendule. Il portait des lunettes fumées. Mais
c'est surtout le son de sa voix que j'ai retenu. Une voix
douce, mielleuse, un peu trop pour être honnête. Je me suis
dit qu il avait I'air d'un curé dans sa manière de parler et
dans ses gestes. C'est lui qui venait de la part de mon beau-
fils, àToulouse. Et il m'a donné une enveloppe avec un peu
d'argent. Pour le dérangement qu il a dit.
- Que voulaient-ils savoir? interrogea Jean-Claude.
- Ce que j'avais trouvé. Oir et comment. Et s'ils pou-
vaient voir des choses que j'aurais pu garder.

35
LOGGIA SECRE'I'UM

- On a dit que vous aviez trouvé des pièces d'or et autre


chose.
-Vous savez, dans le coin, un autre berger avant moi, mais
c'était il y a très longtemps, avait trouvé des pièces d'or avec
la croix du Têmple. Pâris qu'il s'appelait. C'est ce qu'on ra-
contait à la veillée, de génération en génération. Moi, j'ai
trouvé quelques pièces dans une toupine. Mon beau-Êls les
a vendues àToulouse. J'ai trouvé un calice en or. Et quelques
bijoux avec des modfs sculptés et des perles. Çr, j. ne I'avais
jamais dit à personne... Pas même à ma Êlle. Mais il y a une
paire d'années, un Américain, parlant bien notre langue, et
même quelques mots de patois, qui se promenait avec un
truc pour trouver les pièces, s'est arrêté ici. Son grand-père,
Jean-Baptiste ïsseyre, était originaire du coin. Il était né à
côté, à Fa. Après la guerre de 14-18 il était parti en Amé-
rique. Il avait ouvert un restaurant en Californie et était de-
venu milliardaire en épousant une richissimeAméricaine qui
ne sortait d'Amérique que pour aller sur la Riviera en Italie.
Elle n avait jamais mis les pieds sur la terre de son mari. Il en
avait un peu souffert. Il n était revenu qu'une fois, pour l'en-
terrement d'un copain de guerre, Olivier de Mazrrolles, ori-
ginaire du village du même nom dans ce Razes. Jean-Baptiste
avait été blessé, puis fait prisonnier à Hamelbourg, en Haute-
Bavière, avec Mazerolles et mon oncle. Et c'était ce Maze-
rolles qui lui avait sauvé la vie, malgré toutes ses graves
blessures. Mais Tsseyre a toujours eu le mal du pays. Et,
avant de mourir, il avait fair promettre àJohn, son petit-fiIs,
celui qui est venu ici, de retrouver sa tante et ses cousins.
À Rennes-les-Bains, la sæur de son père, Anna, qui te-
nait une pension de famille pour les curistes, esr morre
après la dernière guerre, quelques années après son fils, tué
au maquis dans les gorges d'Alet. Et la belle-fille a refait sa
vie dans le centre de la France. Personne, depuis, n'a eu de
ses nouvelles. On ne l'a jamais revue dans le coin.
Finalement, John est resté ici une bonne semaine. Nous
avons bien sympathisé. Je lui ai tout raconté. Nous n'avons

36
LOGGI.A SECRETUM

pas arrêté de sillonner le plateau. Nous sommes descendus


dans des avens que peu de gens connaissent. Nous avons
lxrrcouru des galeries formées par des rivières souterraines
qui ont creusé le gypse. Je lui ai fait connaître des grottes,
du côté de Sougraignes, où la Sals prend ses sources et trâ-
rtrse des couches de sel gemme. Il était comme un gamin
gnnd je lui ai fait decouvrir des galeries dans le pic de Cardou
ct les mines exploitées par les romains et au Moyer-&..
Mus sommes même allés dans la mine d'or de Roco Negro
dbù il a ramené quelques tessons de poteries romaines, et
à Blanchefort puisque c'est dans ce coin oir le berger avait
uouvé des pièces d'or en cherchant une brebis tombée dans
rrn ruisseau... Ce riest qu'en dernier que je lui ai fait dé-
ouvrir la grotte de la Madeleine, qu'on appelait d'un autre
rx)m, avant. Je lui ai montré des inscriptions, sur une paroi
d une caverne sous la grotte, dans une langue inconnue. Il
cn a fait des photos qu'il m'a envoÉes avec une lettre deux
mois après son départ. Et quand je lui ai montré le calice
dbr, il est allé à Carcassonne, dans une banque. Il est re-
rtou le soir même avec deux millions. Vous vous rendez
crrmpte, detx millions. Enfin, en anciens francs bien sûr.
Je le lui ai vendu. Pas pour les deux millions. Mais parce
qdil m était sympathique et qu il s'intéressait au pays de
on grand-père, qui l'avait pratiquement élevé après un ac-
cilcnt d'auto ayant avait coûté la vie à ses perents. Je lui ai
dr-andé s'il n'était pas fou de payer deux millions pour
qte timbale en or ornée de perles rouges. Il m a répondu
çre iétait lui qui faisait une affaire, mais qu'il me l'ache-
reit pour le garder en mémoire des siens et de leur terre. Ce
cdice, d'après lui, était certainement d'origine wisigothe.
C-omme la tour de Fa, où était né son grand-père. C'est
lnur cela qu'il l'a voulu. Maintenant, si vous voulez voir
.Èi'"i découvert tout ça, on peut y aller. Il y a moins d'une
hcure de marche.
-Vous avez toujours ces photos et la lettre ? », interrogea
Plcrre tout en prenant des notes.

37
LOGGIA SECREI'UM

Firmin hésita quelques secondes, regarda Jean-Claude,


puis, sans prononcer un mot, se dirigea vers un vieux buffet,
fabriqué par quelque artisan local dans du bois de cerisier.
Il ouvrit un tiroir et en sortit un double calendrier des PTT
datant de quelques années, contenant plusieurs documents.
n Ce John vous a-t-il dit dans la lettre en quelle langue
étaient ces inscriptions ? demanda Jean.
- J'ai la lettre, tenez. Il parle d'arménien ou quelque
chose comme ça. »
Jean se saisit du document tandis que Pierre et Jeân-
Claude regardaient les clichés.
n Vous avez montré cette lettre à vos derniers visiteurs ?
questionna Jean.
- Non. Je ne sais pas pourquoi mon couillon de fils me
les a envoyés. Ils ne me plaisaient pas ces deux.
- Vous avez lu cette lettre ?
-John me dit de ne parler à personne de ces inscriptions
et de ne pas révéler l'endroit avant qu'il ne revienne en
France où il doit tout m'expliquer. Il dit que c'est très im-
portant et qu'il ne faut surtout rien dire à personne. Que
ça pourrait être même dangereux pour moi. Si ce n était
pas la vieille Frosie qui vous envoie, et si je n'avais pas
connu la mère de Jean-Claude, je ne vous aurais rien dit.
Mais comme il m a dit que c'était important... John m a
même envoyé un mandat pour que je lui écrive si d'autres
personnes venaient me poser des questions. Je l'ai fait après
la visite des deux hommes, précisa Firmin. Il doit revenir
cet été. »

Jean regarda ses frères en tendant la lettre de l'Améri-


cain: « C'est incroyable : ce n'est pas de l'arménien mais de
I'araméen. Vous vous rendez compte ? Incroyable. Ici, dans
ce coin du Razès. Et si c'est ce à quoi je pense, les inscrip-
tions auraient presque 2 000 ans. Incroyable ! ,

Les quatre hommes sortirent de la métairie pour aller


vers le sud-est, oir une faille s'ouvre dans un escerpement

38
LOGGIA SECRETUM

calcaire, au milieu de terres rouges. Ils ne virent pas tout de


suite la poussière soulevée par un véhicule sur le chemin de
RennesJe-Château. Le Touareg de Max s'arrêta à hauteur
du groupe.
n Vous êtes repérés et suivis, lança Paul. Revenez à la
ferme, on va coincer I'individu. Il est seul avec des jumelles
à moins d'un kilomètre.
- Non ! intervient Jean. S'il vous voit revenir vers lui, il
se doutera de quelque chose. Continuez sur le chemin vers
Rennes-les-Bains. Nous allons le promener sur le plateau,
le temps que vous fassiez le tour par Couiza et Rennes-le-
Château aÊn d'arriver dans son dos. Car il va certainement
vouloir savoir où nous allons. Restons en contact. Et pru-
dence. Nous ne savons pas qui c'est. Et nous avons eu un
frère assassiné. ,
Le Touareg repartit vers le chemin de terre qui aboutit à
la station thermale, tandis que Firmin Magnan conduisait
le petit groupe, par un sentier de chèvre, entre thym et la-
vande sauvege, que les paysans d'ici appellent « x5piç », vers
une ruine, au sud de Jaffus. Il leur avait parlé d'une grotte,
accessible, du côté de Lavaldieu.
Vers le sud, le pânorama était magnitque. La forêt des
Fanges s'écartait des Pyrénées pour laisser l'æil monter vers
la trouée de la Pierre Lys, tandis que le massif de Madres
brillait en son sommet des dernières neiges avant l'été. Plus
haut, le Carlitte jetait son ombre protectrice sur le pays cer-
dan. À droite, I'ancienne Montagne du Tâbe, le Thabor que
les Cathares ont baptisé Saint-Barthélemy, veillait sur
Montségur. Devant ces paysages, Jean comprenait mieux
pourquoi, ici, chaque pierre peut révéler un secret et pour-
quoi tout ce pays est porteur de rêves.
CHAPITRE V

Juin 1885: Par un mauvais chemin de terre, mal em-


pierré après les pluies du printemps, un homme de haute
stature monte vers Rennesle-Château. De temps à autre,
il sort de la poche d'une soutane passablement élimée un
mouchoir blanc pour s'éponger le front. En cette saison, le
soleil est déjà haut dans le ciel et il âit chaud. Parfois, Fran-
çois Béranger Saunière, lève la tête vers ce village blotti au-
près de l'église et du château, qui va devenir sa paroisse. À
l'occasion d'un autre arrêt, c'est vers le village de Montazels,
sur une colline dominant Couiza, en face le promontoire
qu'il gravit, qu'il jette un æil. C'est là qu'il est né 33 ans
plus tôt dans une famille connue pour ses idées royalistes.
Son père était régisseur du marquis de Cazemajou, un ho-
bereau du village. Ce n'est pas le hasard, en ces temps trou-
blés oir la République est en butte avec la monarchie, qui
l'a conduit ici. Notre curé ne le sait pas encore, mais il est
là en mission pour la toute puissante famille des Habsbourg
et, à travers elle, pour l'Église de Rome.
Cette famille d'empereurs du Saint Empire romain ger-
manique fut, au cours des siècles, I'une des plus protectrices
du Vatican. Il va d'ailleurs recevoir bientôt, trois mille
francs or de la comtesse de Chambord, Marie-Thérèse de
Habsbourg, veuve du duc de Chambord, petit-Êls de
Charles X qui aurait dû régner en France sous le nom
d'Henri V si la Restauration avait abouti.
Comment celle qui aurait pu être reine du royaume de
France, mais qui a toujours vécu en Autriche, sans connaître
le pays de son époux, a-t-elle pu donner 3 000 francs or à

4r
LOGCIA SECREI'UM

un petit curé de campagne qu elle ne connaissait même pas ?


Pourquoi tout cet argent ? Pas pour dire des messes au pro-
fit de son mari, récemment décédé et qu'elle allait rejoindre
trois ans plus tard. Mais pour trouver des documents d'une
très grande importance qui, s'ils tombaient aux mains d'en-
nemis de Rome, pourraient susciter une réécriture de presque
2 000 ans de I'histoire de l'Église catholique et faire que ne
s'effondre, auprès du petit peuple des croyants, tout ce qu'on
lui a appris au catéchisme. Car ceux qui dirigent l'Église de
Rome connaissent bien la forfaiture de leurs prédécesseurs,
u les pères de l'Église » qui, en 325 auconcile de Nicée ont
tourné le dos aux enseignements de Jésus pour faire de
Constanrin un n messie » et transformer une quête spiri-
tuelle en une Église temporelle au service d'une politique
de domination et d'exclusion.

En cette belle journée de juin, Béranger Saunière, aupa-


ravant curé du Clat, un petit village qui se meurt dans les
Pyrénées audoises, ne se doute pas de l'extraordinaire aven-
ture dans laquelle il va plonger. Son frère, également prê-
tre, chassé plus tard de l'Église, précepteur dans la famille
du marquis de Chefclebien, n'est pâs tout à fait étranger à
la venue de Béranger dans cette paroisse.
Devant le triste état du presbytère, qui menace ruines, et
jusqu'aux réparations, Béranger Saunière s'installera chez les
Dénarnaud. Alexandrine, la mère, d'âge canonique comme
il se doit, sera sa bonne. [,église du village, bâtie sur un lieu
cultuel antérieur âu catholicisme, n'est guère en meilleur
état: le toit menace de s'effondrer depuis quelque temps. La
chaire est vermoulue et menace de s'écrouler au premier
prêche... Le maire du village ne peut pas faire les travaux,
la commune est trop pauvre.
Ici, cohabitent deux clans: les républicains radicaux, ap-
pelés les rouges, et les u calotins » qui sont antirépublicains.
Le nouveau maire est républicain et a d'autres soucis, avant
de réparer le toit de l'église dont il n a d'ailleurs pas l'argent.

42
LOGGIA SECREI'UM

La commune est pauvre. Ses habitants, hormis quelques


propriétaires ayant des biens, sont de tous petits cultivateurs
ou ouvriers agricoles dont la femme descend travailler dans
la vallée, aux usines de chapeaux, à Espéraza, ou faire des
ménages chez le bon docteur Roché, ou chez le négociant
en vins, chez le notaire, ou au château, à Couiza.
Informé de ce qu il doit trouver, Béranger Saunière met
à proÊt l'argent donné par la Comtesse de Chambord pour
commencer ses recherches. Après le presbytère, où il abrite
les Dénarnaud et la jeune Marie, chapelière d'une vingtaine
d'années dans la bourgade voisine d'Espéraza, il s'attaque à
la restauration de l'église. C'est une excellente occasion
pour entreprendre des fouilles de façon discrète. Car ce
qu'il recherche ne peut pas être bien loin. On lui a défini,
comme périmètre, l'église, le cimetière du village, quelques
grottès situées sur le plateau, et un territoire entre Laval-
dieu et Coumesourde, Fournet et Soubirou, le Bézu et
Blanchefort. Mais, motus... Lhomme au fort accent ger-
manique qu'il a rencontré au petit séminaire de Narbonne,
peu de temps après sa nomination, a été très clair à ce sujet:
« Personne ne doit se douter de vos recherches. Il faudra
faire preuve de la plus grande discrétion, avent tout. »
Septembre 1891 : Béranger Saunière, aidé de detx maçons,
met au jour une dalle carolingienne n la dalle des Chevaliers ,,
dont la particularité est que la face sculptée ait été tournée
vers le sol, cachée au commun des mortels. Si les sculptures
contiennent un message, quelques personnes, connaissant
son importance, ont retourné la dalle, comme si I'on avait
voulu les cacher aux yeux des profanes. I-lune d'entre elles
représente un enfant, dans les bras d'un cavalier. Est-ce le
'W'oëvre,
fils de Dagobert II, assassiné dans la forêt de à
quelques kilomètres de Stenay, en 679, Sigebert, l'héritier
mérovingien sauvé des tueurs de son père qui n'a jamais
regné? Sous la dalle,l'entrée d'un tombeau avec des ossements.
Qui sont ces morts dont l'abbé est venu troubler la paix ?
Les anciens seigneurs de Rennes mélangés aux restes de Si-

43
LOGGIA SECREI'UM

gebert de lignée mérovingienne, ces rois n faits néant , ?


Léglise serait-elle un ossuaire royal connu seulement de
quelques initiés ?
Et Béranger descend dans le tombeau où il trouve un
trésor: une marmite emplie de bijoux et de pièces d'or. Il
écrira sur l'un de ses carnets: n Découverte d'une tombe...
Secret ,.
Au fond du caveau, l'abbé aperçoit quelques marches qui
ne conduisent nulle part: une paroi a été murée. Comme
d'autres prêtres avant lui, il a entendu parler d'une crypre
sous l'église. Était-elle vouée au culte d'Isis, pratiqué dens
la région, comme le laisse suggérer la vierge Noire, de
Notre-Dame de Marceille, sur les hauteurs de Limoux ?
Il ne veut aucun témoin. Les journées ne suffisent plus.
C'est seul, la nuit venue, qu'il s'enfermera dans l'église. Par-
fois avec Marie, pour évacuer les gravats de sa recherche.
Dans la journée, quelques bigotes voient enrrer le prêtre
dans la sacristie . Quand I'une d'elle a voulu le suivre, la sa-
cristie était vide. Comme si Béranger avait disparu, envolé.
Une petite salle secrète, invisible, était aménagée. Dans le
village, certains ont même affirmé que Saunière passait par
cette petite salle pour aboutir dans le cimetière, sans êrre vu,
quand il profanera plusieurs tombes. Et Saunière, aidé de
Marie, s'attarde surtout sur la tombe de Marie de Nègre
d'Ablesr3, marquise d'Hautpoul-Blanchefort, décédée le
17 janvier 1781.
Un 17 janvier, justement. Tioublant. C'esr un 17 janvier
qu'il se passe toujours des phénomènes étranges dans cette
église de ce village coiffant un belvédère. Mais Saunière ne
connaît pâs encore I'histoire des n Pommes Bleuesra ,,... Il
passera plusieurs nuits à effacer une partie de l'épitaphe de
la pierre tombale de la marquise, que l'astucieux abbé
Bigou, son confesseur, avait gravée pour délivrer un mes-
sage : « Et in Arcadia ego »...
Car, sentant sa mort prochaine, la marquise avait confié
un secret et un parchemin à Antoine Bigou qui, fort des

44
. LOGGIA SECRETUM

renseignements donnés, en avait trouvé quatre autres dans


l'ancienne église Saint-Pierre, au sud du village. Ces parche-
mins étaient âccompegnés de deux passages des évangiles,
le chapitre M de saint Luc,et le XIII de saint Jean. Doté de
la clé pour déchiffrer le message, Antoine Bigou s'appliqua
à ne rien laisser qui puisse être transmis en n clair ,. Il grava
dans la pierre tombale de Marie de Nègre d'Ables (Redd.is
Ceilis/Regis Arcis) le code devant permettre aux cherchants de
trouver. Et l'abbé Bigou cacha le parchemin dans un pilier
wisigoth soutenant la table du maître-autel, avant de par-
tir vers l'Espagne proche pour échapper à la Révolution.
La nuit venue, le curé, toujours assisté de la 6dèle Marie,
se transforme en fossoyeur: les cercueils mis au jour sont
fouillés jusqu à ce que les habitants interviennent et que la
municipdité avertisse la maréchaussée. Plainte sera déposée
à l'encontre du défricheur.
Les gens de Rennes se demandent si leur curé n'est pas
devenu fou et si le trésor du tombeau ne lui est pas monté
à la tête. Mais l'abbé en profite pour continuer la restaura-
tion de son église, du cimetière et faire quelques libéralités
à certaines de ses ouailles.
[a municipalité, républicaine, ne voit pas d'un mauvais
æil que ce diable d'homme ânance en partie la réparation
du mauvais chemin montant de Couiza au village et donne
de I'argent au conseil de fabrique car depuis la trouvaille de
la marmite remplie d'or et de bijoux, Saunière a fait d'au-
tres découvertes, certainement plus importantes.
En restaurant le maître-autel qui reposait sur un pilier
wisigoth, l'abbé trouve dans une cavité creusée dans le pi-
lieç des parchemins. Et quand les maçons démolissent la
chaire, toujours sous l'æil de Saunière, le carillonneur, An-
toine Captier, redresse un balustre en bois du XVII'siècle,
creusé dans le chapiteau, qui laisse échapper une bouteille
avec des documents.
Dès lors, l'abbé Saunière fera de fréquents ,oy"g... À
Paris tout d'abord, oir l'évêque de Carcassonne, Mgr Billard,

45
LOGGIÀ SECRETUM

à qui il avait fait part de certaines découvertes, l'envoie chez


un oblat de Marie, à Saint-Sulpice : l'abbé Émile Hoffet,
neveu du directeur du séminaire de Saint-Sulpice. Ce prê-
tre est connu dans les milieux ecclésiastiques comme spé-
cialistes des langues anciennes. C'est lui qui devra traduire
les parchemins.
Émile Hoffet est un personnage digne d'attention: il fré-
quente le compositeur Debussy, le journaliste écrivain Jules
Bois, franc-maçon, membre d'une loge de la Golden Dawn
se réunissant avenue Mozart, à Paris. Ce rosicrucien est
alors amant de la cantatrice Emma Calvé.
Curieusement, ces personnes se retrouvent dans des cer-
cles ésotériques, occultistes voire spirites, en compagnie,
notamment, de Camille Flammarion et de Georgette Le-
blanc, sæur du n créateuru d'Arsène Lupin, Maurice Le-
blanc, qui connaît les arcanes de Rennes-le-Château. C'est
à I'occasion de I'un de ces voyages à Paris que Béranger Sau-
nière, selon certains, serait devenu l'amant d'Emma Calvé
qui venait d'acquérir le château de Cabrières, proche de
Millau. Une demeure bien connue des milieux occultistes.
Rien ne dit, hormis une image d'Emma trouvée dans les
papiers de Béranger, que le curé de Rennes ait sacri6é au
culte de Vénus avec la troublante cantatrice aux succès
mondiaux.
Après Paris, des voyages conduiront le prêtre à Perpi-
gnân, où il ouvre un compte en banque avec le nommé
Jean Orth, qui n est autre qu'un pseudonyme de Jean-Né-
pomucène Salvador de Habsbourg. On le trouvera égale-
ment à Lyon, où il négocie des bijoux, à Toulouse où il
commande à la maison Gisclard,le chemin de croix et le fa-
meux diable boiteux, Asmodée, qui porte sur ses épaules le
bénitier. Béranger a même dû se rendre à Budapest, capi-
tale de l'empire d'Autriche-Hongrie et des Habsbourg.
Dans cette ville impériale, le petit curé de Rennes-le-
Château possède un compte à la Banque Fritz Dôrge, au 4
rue Kossuth-Lajosr5.

46
LOGGIA SECRE'|UM

Durant tout ce temps, le petit village du Razès se trans-


forme. Après l'église - nous sommes en 1901-, Béranger
Saunière se fait construire une villa qu il baptisera Béthanie.
Béthanie, c'est l'actuelle \üfladi Kharrar, n au-delà du Jour-
dain ,. Si la plupart des évangiles restent discrets sur les
lieux du baptême de Jésus, Jean le Baptiste est plus précis:
c'est là qu'il immergeait les futurs baptisés, proche du Jour-
dain, un endroit qui comporte plusieurs grottes où vécu-
rent des ermites, un lieu quasi désertique appelé Quasr el
Yehoud (le Château du Juifl oir des pèlerins, dès le V' siè-
cle, avaient construit une église dont les archéologues vien-
nent de retrouver les fondations.
Béthanie, c'est aussi l'un des noms de Marie-Madeleine
à qui l'église de Rennes-le-Château est consacrée depuis
1059. Cette Marie qui, nous dit Jean dans son évangile,
« ayant pris une livre d'un parfum de nard pur de grand prix,
oignit les pieds de Jésus et les lui essuya avec ses cheveux.
Et la maison de Béthanie fut emplie de l'odeur de ce par-
fum. Judas l'Iscariot, celui qui tenait la bourse, un disciple
de Jésus, demanda: "pourquoi n'a-t-on pas vendu ce par-
fum trois cents deniers pour les donner at»( pauvres ?" Jésus
dit: "Laisse Marie garder ce parfum pour le jour de ma sé-
pulture" ,. Et Marie-Madeleine gardera un peu de nard.
D'où sa présence, seule d'après Jean, au tombeau de Jésus,
pour, selon l'usage, oindre Ie corps de l'être aimé avec ce
parfum que seules pouvaient s'offrir les femmes ayant une
certaine fortune.
Le gros æuvre de la villa Béthanie à peine achevé, Sau-
nière passe à la construction de la tour Magdala. Pourquoi
ce nom ? Encore et toujours Marie-Madeleine.
Magdala, village dont serait originaire Marie-Madeleine,
est aujourd'hui dans l'État d'IsraëI, à quelques kilomètres
au nord-ouest de Tbériade, sur la mer de Galilée. À l'ori-
gine, Maÿhah, enhébreu, signi6e tour. Dans cette région,
les archéologues ont trouvé, sous les fondations d'une tour,
plusieurs citernes et réserves d'eau. Magdala aurait donc

47
LOGGIA SECRETUM

également un rapport avec l'eau. Curieusement, le sous-sol


de Rennes-le-Château est parcouru de veines d'eau et de
sources dont certaines alimentent le ruisseau de Couleurs.
À proximité, Rennes-les-Bains est le réceptacle de neuf
sources ou résurgences dont l'une laisse jaillir de I'eau à plus
de 50 degrés. Encore une fois, Saunière, en baptisant sa
tour néogothique Magdala envoie un signe à ceux qui cher-
chent. Et nous dévoile son érudition. À moins que tout cela
ne soit dû à son collègue, Henri Boudet, curé de Rennes-
les-Bains, bien plus u instruit , de certaines choses et beau-
coup plus cultivé. Un homme qui restera dans l'ombre,
contrairement à son disciple en quête de reconnaissance et
de puissance. Un prêtre qui, à un certain moment, s'éloi-
gnera du sulfureux Saunière. Pourquoi ?
LaTour Magdala, toujours en référence à Marie de Mag-
dala, constamment présente sur le site de Rennesle-Château,
deviendra la thébaïde de Béranger. Ce sera sa bibliothèque,
son cabinet de travail. Là oir il recevra quelques prêtres de
ses amis avec qui il partage quelques secrets. Et bien d'autres
personnages, puissants et souvent discrets. Y compris des
étrangers. De là, il pourra voir le soleil se lever derrière le
Cardou, tourner vers le Pic de Bugarach, inonder de lumière
le Castellas, les Pyrénées audoises et catalanes, avant d'éclai-
rer la montagne aux dinosaures. Plus à droite il illuminerait
l'ancienne cité chapelière d'Espéraza, la tour wisigothe de Fa
dominant le petit village or) l'on a découvert une coupelle
d'argent dédiée au culte de Mithra, avant de plonger der-
rière les Pyrénées ariégeoises, dans une feerie de couleurs, et
de s'éteindre, vers I'ouesr, derrière le Saint-Barthélemy.
À ce -orrr.nt-là seulement, à I'heure oir se taisent les ci-
gales, la lanterne magique éclaire le visage altier et volon-
taire de l'abbé, penché sur son bureau. Deux rides creusent
un front large. Les yeux vifs de Béranger parcourent des
carnets de relevés.
Il va falloir à nouveau battre la campagne avec la hotte sur
les épaules car I'argent s'en va trop vite. Il épluche toutes les

48
LOGGIA SECRETUM

factures, tarde parfois à payer meçons et I'architecte. Il va


ses
falloir retourner des monceaux de terre, vers la grotte de la
Madeleine, afin de poursuivre ce rêve fou qui I'empêche
parfois de fermer l'æil, continuer ses recherches afin n d'obéir
aux ordres » comme le lui a reproché Alfred, son frère, le
prêtre dont plus personne, jusqu'à l'évêché de Carcassonne,
ne veut plus entendre parler. Malgré le nouvel évêque, un
ennemi, qui vient d'accéder à la tête de l'épiscopat à Car-
cassonne après le décès de Mgr Billard, en décembre 1901.
Une question le hante: pourquoi cette longue hésitation
de l'Église avant de nommer Mgr de Beauséjour? Et puis,
il lui faut protéger sa chère Marie, sa fidèle et muette com-
plice qui lui fait souvent reproche de se servir de cet or:
u l'or du diable qui porte malheur », comme elle dit.
Comment expliquer ces apparentes difficultés et le grand
train que mène I'abbé en recevant ses nombreux invités à
Béthanie, dans un luxuriant jardin et ses fontaines, quand
on découvre des menus dignes d'un palace côté au guide
rouge ? Et les factures d'excellents bordeaux et autres vins
fins, et les robes de Marie, venues de Paris, qui font jaser les
femmes du village et chuchoter les bigotes dans l'église ?
Car le beau Béranger est un n fennassier ,, comme on dit
ici, un homme qui plaît aux femmes et qui ne s'en prive
pas. Certaines de ses 6dèles ne se gênaient pas trop pour le
lui faire savoir, tentant d'enlever le curé à n sa madone ,
comme certaines bigotes appelaient Marie.
Mais Saunière a une « mission ,. Il le grevera même sur
le pilier wisigoth, qu'il placera à l'envers, dans un jardinet
jotxtant l'église. « Mission 1891 ,. C'est I'année de la dé-
couverte du tombeau. « Secret ,. Ce secret que Marie Dé-
narnaud, légataire de Bérangeç aurait dû conÊer à la famille
Corbu, avant qu'elle ne §oigne, en 1953, celui qu'elle n'a
jamais rahi, dans une tombe aux côtés de ce prêtre que sa
hiérarchie avait suspendu a diuinis, pour traÊc de messe, et
qui a franchi le seuil le 22 janvier 1917, après une eftaque
l,e... 17 janvier.

49
LOGGIA SECRETUM

Béranger avait bien protégé sa n madone ,. Il n'a pas eu


besoin de léguer toutes ses constructions à sa Marinette,
comme il l'appelait dans ses lettres. Tous les achats, terrains
et autres étaient faits par ce rusé de Béranger au nom de
Marie. Dans ce qui était désormais son domaine, depuis ce
22 de janvier I9l7 jusqu'aux portes de sa mort, l'inconso-
lable Marie se rendra, chaque jour, sur la tombe de celui
qui lui avait permis de dire: n Les gens d'ici marchent sur
de l'or sans le savoir ».
Et quand vint à son tour l'heure de rejoindre son Bé-
ranger dans le petit cimetière du village, où le curé avair
acheté deux concessions perpétuelles, côte à côte, afin que
Marinette repose à ses côtés, Noël Corbu qui s'occupait de
Marie et qui allait recevoir le domaine, se pencha vers les lè-
vres de Marie. Il attendait ce qu'elle lui avait toujours pro-
mis: tout sur le trésor et son secret. Mais la maladie eut
raison de la volonté. Aucun son ne franchit les lèvres de la
préferée de Béranger.
Elle emporta le lourd secrer de n l'or du diable , dans sa
tombe.
CHAPITRE VI

Le petit groupe prit la direction de Lavaldieu. Firmin,


en bon paysan au jarret dur à l'effort, ne paraissait pas son âç,
tandis que Jean-Claude Roumegous, Pierre Faure et Jean
des Sauzils étaient moins à l'aise sur ce sentier de chèvre
qui, après avoir plongé dans ce qui devait être le lit à sec
d'un petit ruisseau, grimpait maintenant vers des escarpe-
ments calcaires, vers le sud-ouest de Rennes-le-Château.
[æ portable de Jean vibra. Tous comprirent que Max leur
annonçait que l'homme qui suivait leurs traces à la jumelle
s'était volatilisé. Jean leur indiqua où ils se trouvaient afin
que le Touareg vienne à leur rencontre, au plus près, sur le
chemin de Lavaldieu.
Firmin s'arrêta sur des roches blanches affieurant le sol
pour permettre à ceux de la ville de souffler. De son bâton
noueux qui lui servait de canne, bien qu'il n en eût point
besoin, le vieux berger désigna un point, en direction du
sud-ouest, qui semblait moins aride que le reste du pay-
sage. Un bouquet d'arbre et quelques ajoncs, annonciateurs
d'eau dans cette étendue ingrate, formaient comme une pe-
tite oasis. À tm. vingtaine de mètres, une cabane en pierre
au toit détruit révélait que, jadis, la terre avait été exploitée.
n Vous voyez ces arbres ? À une centaine de mètres vers la
droite, est I'entrée d'une grotte. C'est là. ,
Un quart d'heure après, les quatre hommes étaient de-
vant un trou creusé dans la roche calcaire. Caché par des ge-
nêts, on pouvait passer à quelques mètres sans l'apercevoir.
Il fallait se baisser, pour franchir le seuil de la grotte, et mar-
cher cinq à six mètres le dos courbé avant d'accéder à une
première salle où l'on pouvait tenir debout.

5l
LOGGIA SECRE'I'UM

Firmin alluma sa lampe-tempête, éclaira les parois et le


sol. Seuls indices de traces humaines, quelques mégots et
un vieux paquer vide de Camel jonchaient le sol.
n Il n'y a rien ici, dir Jean-Claude.

- Vous me rappelez John. Ne soyez pas impatient.


Venez! ,
Et Firmin se dirigea vers le fond de la grotte. Il se cou-
cha sur le sol en demandant eux autres de faire comme lui,
et colla son oreille sur la terre sèche de la caverne.
n Vous entendez ?

- On dirait comme un bruit d'eau qui coule, souffla Jean


des Sauzils.
- C'est ça. C'est comme ça que j'ai découvert la salle qui
est en dessous.
Il y a un ruisseau souterrain qui passe sous cette caverne
et il n'est jamais à sec. Même au plus fort de l'été.
Vous connaissez le lieu. Vous n'êtes pas équipés pour des-
cendre jusqu à la salle où sont les inscriptions. Il y a quelques
difficultés. Nous reviendrons.
- Non, on y va, dit Pierre. Je suis trop curieux de voir
tout cela. ,
Tous approuvèrent.
Le vieux berger secoua la tête er, sans parler, se dirigea
vers la paroi sud de la grotte. Il s'assit proche d'un éboulis,
les pieds bien plantés dans le sol, appuya son dos sur une
aspérité colorée de salpêtre er poussa. Il renouvela son efforr
jusqu à ce qu'une sorte de dalle, mal définie, à peine dégros-
sie, à peu près ronde comme un bouclier au contour irré-
gulier, ornée de lichens, bascule, laissant apercevoir l'entrée
d'un siphon.
n Voilà. Vous avez sepr à huit mètres à faire dans ce si-
phon qui descend vers la salle. Après deux mètres, la penre
est assez raide, servez-vous de vos genoux et de vos mains
pour freiner la descente. Et puis, artention, les derniers mè-
tres sonr remplis d'eau. Il faut respirer un bon coup er
continuer jusqu à la fin du siphon. Après, deux ou trois mè-

52
LOGGI-A SECREI'UM

tres dans l'eau, on peut se redresser et respirer: on est à l'air.


On n a de I'eau que jusqu'à la ceinture jusqu'à une sorte de
plage. Vous avez de Ia chance, le printemps n'a pas été plu-
vieux et il n
a même pas neigé cer hiver. Leau n a pas dû re-
monter très haut dans le siphon.
- Une fois là-bas, nous n'y verrons rien ? dit Jean.
- Vous inquiétez pas. Il y a des torches sur la rerre fe rme.
J'en ai laissé trois l'été dernier quand l'eau n emplissait pas
complètement le siphon. Et plus la résine est vieille, plus la
torche dure. Il y a ce qu'il faut.
- Prévoyant... dit Pierre.
- Je me dis que si ces fous qui dirigent le monde font
une guerre, avec tous ces trucs atomiques ou chimiques,
moi je viendrai me réfugier ici et j'attendrais. Je préfère
mourir tranquille que tout boursoufé er brûlé comme ces
images qu'on voit à la télé.
- Allez, suivez-moi, je vais avec vous. »

Il fut convenu que Jean-Claude, compre tenu de sa cor-


pulence, de sa souplesse envolée et de sa claustrophobie pa-
tente, serait celui qui resterait dans la caverne aÊn d'aller
chercher du secours au cas otr surviendrait un accident.
Jean des Sauzils et Pierre Faure suivirent Firmin er s'enga-
gèrent sans appréhension dans l'étroit boyau devant les
conduire dans o le saint des saints ,.
Les trois hommes ôtèrent I'essentiel de leurs vêremenrs
et, derrière Firmin, pénétrèrent dans le siphon. Lobscurité
était gênante pour Pierre et Jean qui auraient voulu voir la
façon dont Firmin s'y prenait pour ne pas glisser dans le
boyau. La descente, pourtant rapide, leur sembla bien plus
longue que les quelques mètres annoncés. Et tout à coup,
il n y eut plus de parois où s'accrocher. Il suffisait de se lever
pour enfin respirer.
o Qu'est-ce qu elle est fraîche ,, lança Pierre en s'ébrouanr.
Le trio marcha quelques mètres avant de se retrouver sur
une langue de cailloux et de sable.

53
LOGGIA SECREI'UM

À tâtons, dans le noir de la caverne, en l'absence de


lampes étanches, Firmin trouva le sac aux torches er le vieux
briquet à essence qu'il avait déposé lors de la précédente
descente. Il actionna la molette du briquet et mit un bon
moment à battre la pierre, avant qu'une mince flamme ne
vienne lécher la résine de la torche. Lhumidité des lieux
n'était pas pour faciliter la tâche. Dans l'obscurité, le mince
reflet de la famme donnait à son visage sculpté par les ans
comme un air d'érernité.
Jean ne pouvait s'empêcher d'avoir de l'admiration pour
ce diable de berger qui, à plus de 80 ans, sec er noueux
comme un cep de vigne, faisait monrre d'une rude santé et
d'une philosophie à toute épreuve.
C'est encore l'un des derniers survivants d'une génération
qui s'éreint, représentante d'un cycle qui s'achève, et qui a su
rester I'héritière de bien des choses que nous ne pourrons
même plus transmettre à nos descendants, tant notre mode
de vie a tout bouleversé, pensa Jean. Encore heureux qu il y
ait des exceptions de ce genre face aux mouroirs institution-
nalisés oir les vieux, terme donr le marketing interdir au-
jourd'hui I'usage, attendent la fin dans une vie virruelle
bercée par les images télé et une kyrielle de comprimés.
n Nom de Dieu ! hurla Firmin. Ils ont rour massacré.
Bourd.elde diù!,
Il
en tremblait de rage. Tourné vers la paroi sud de la
rivière souterraine, il fixait des couches de peinture noire
passées à la bombe sur les inscriptions qu'ils venaienr voir.
Les auteurs ne s'étaient pas contenrés de taguer la paroi où
figuraient les écrits araméens. Ils avaienr pris soin de ne lais-
ser aucun espace vierge. Pour cela, il fallair être au moins
deux et avoir du temps. Les auteurs de cet « arrentat » de-
vaient bien connaître la région er ses mysrères. À moins
qu'ils n'aient agi en service commandé.
Mais qui pouvait bien être derrière un tel acharnemenr
à vouloir effacer ces traces aussi mystérieuses que curieuses
en ce coin d'Occitanie ?

54
LOGGIA SECRT'I'UM

Au bas de la paroi désormais noircie, I'un des barbouil-


leurs avait tracé comme des signes qui se terminaient par
detx lettres: P. S. Jean et Pierre restaient bouche bée de-
vant ce massacre historique.
u Si certains se sont posé des quesdons après l'accident
d'Alain, nous pouvons maintenant être sûrs que nous sommes
en présence de gens que nos recherches et travaux déran-
gent. Et que nous sommes espionnés. Et menacés, ditJean.
- Comment ces gens ont-ils eu connaissance de ce lieu ?
interrogea Pierre. Vous riavez jamais fait attention en ve-
nant ici ? demanda-t-il à Firmin.
- Non ! Jusqu à ce que John rn adresse les photos avec la
lettre me demandant de n'en parler à personne. Si vous
croyez, qu'avant, j'allais me méÊer quand j'allais faire mes
tournées sur le plateau ? Il n'y avait qu'une seule chose que
je regardais: si le garde-chasse ne me suivait pas quand j'al-
lais ramasser mes collets. Ici, je croyais être le seul à connaî-
me. À partJohn... et maintenant vous, je ne l'ai jamais dit
à qui que ce soit. Et depuis le départ de John, je ne suis re-
venu, seul, que l'an dernier, à la fin de l'été et au début du
printemps. Quand j'ai mis les torches. D'ailleurs, il en
manque une. Ah les salauds! ,
[^a colère de Firmin n'était pas feinte. [,oin de là. Et ils
riavaient aucune raison de ne pas faire confiance à cet homme
qui s'estimait dépossédé de quelque chose lui appartenant.
« Vous avez été espionné à votre insu. Peut-être après la
visite de John.
- Nom de Dieu de nom de Dieu ! éructa Firmin. Je vou-
drais bien les avoir au bout du fusil. ,
Jean passa son bras sur l'épaule du vieux berger:
n Allez!Vous ny êtes pour rien. Et ce n'est pas si grave.
Vous avez les photos prises pas John. Nous savons que vous
avez découvert quelque chose de très important. Peut-être
que cela ne plaît pas à tout le monde ...
- Il ne faut pas s'attarder, interrompit Pierre. Allons à la
métairie. Il faut mettre la lettre et les photos de John en

55
LOGGIA SECRETUM

lieu sûr et même le prévenir. On ne sait jamais. J'ai l'im-


pression que nous avons à faire à quelques personnes plu-
tôt coriaces, ne reculant devant rien. Les rypes qui ont fait
ça sont à mettre au même rang que les talibans qui, en
2001 ont détruit à coups de canon les bouddhas géants de
Bâmiyânt6.,
fr retour se passa dans le plus grand silence, aprà quelques
courtes explications à Jean-Claude ainsi qu'à Paul Bous-
quet et Max qui attendaient le groupe au carrefour du che-
min de Lavaldieu. Jean-Claude se risgua à une tentative
d'explication concernant la signature. Ne serait-ce pas le
Prieuré de Sion qui était derrière tout ça ?
Firmin riarrêtait pas de jurer en occitan. C'en était presque
pathétique.

Arrivé à Jaffus, Pierre fut le premier à atteindre la porte


de la salle commune de la métairie, suivi de Firmin. Ce der-
nier passa la main dans la chatière et en ressortit une longue
clé. Pierre se sentit rassuré: personne n'avait essayé de pé-
nétrer dans la bâtisse.
La longue table, dont le bois de chêne provenait de vieux
foudres quand, il n'y avait pas si longtemps, des vignes cou-
raient encore sur les collines, accueillit les six hommes.
Firmin, ressortit le vieil almanach des Postes du buffet
et étendit les photos et les lettres de John sur la table.
u Il faut prendre des précautions. D'abord, si vous le per-
mettez, dit Jean en se tournant vers Firmin, il faut que nous
fassions des copies de ces documents. Ensuite nous devons
vous protéger, car je suis à peu près sûr que ceux qui ont fait
ça reviendront pour vous poser des questions. Et peut-être
pas de la même façon que lors de leur précédente visite. Si
ce sont les mêmes. Est-ce que vous seriez d'accord pour
venir passer quelques jours à Carcassonne ? Nous pouvons
vous héberger.
- Non ! Je reste ici. Je n'ai pas besoin d'aller en ville, j'ai
mon cousin à Rennes. J'y passe quelques jours quand il y

56
LOGGI.A SECREI'UM

a de rudes hivers avec trop de neige. C'est rare. Non ! Je


reste chez moi. J'ai mon fusil et mon chien. Il prévient tou-
jours quand quelqu un approche de la métairie. Et je vou-
drais bien qu'ils reviennent ces salauds. J'ai encore des
chevrotines... Je suis d'accord pour que vous fassiez les co-
pies. Si ça peut vous servir...
- Sans le faire exprès, on vous a peut-être mis en danger.
Croyez-moi Firmin, nous serions plus rassurés si vous veniez
avec nous. Pour quelques jours seulement, ajouta Pierre.
- C'est pas la peine. Ne vous en faites pas.
- Je vous propose quelque chose, intervint Jean-Claude .
Je vous emmène au Capitaines, à Bugarach, chez ma tante,
pour deux ou trois jours. Le temps qu on s'organise... ou
je reste ici avec vous...
- Ça me plaît mieux. Vous restez ici si vous voulez. Ça
me fera de la compagnie.
- D'accord! dit Jean. Nous allons jusqu à Limoux faire
quelques courses et revenons. Faut-il prévenir quelqu'un à
Rennes ?

- Surtout pas, répondit Firmin. Ici, quand vous vous


confiez à une pierre, le vent emporte votre secret vers toute
la vallée. Alors, à Rennes, c'est comme si vous le faisiez pu-
blier par le garde champêtre... Non, non, silence. On ne
dit rien. Ils s'apercevront trop vite que j'ai de la visite. ,
Une fois dans le véhicule, Pierre appela Gérard à Paris et
le mit au courant de la situation. Après quelques minutes
de conversation, le petit groupe fut rassuré.
Dans quelques jours, le 11' bataillon de choc de Mont-
f,ouis, l'une des bases du Centre national d'entraînement
des commandos, dont une bonne partie de l'effectif est I'un
des viviers du service Action des services secrets français,
serait en manæuvre sur le site, autour de Rennes-le-
Château. Et sans qu'il s'en doute un seul instant, Firmin
serait sous la protection de quelques spécialistes. Ensuite la
loge secrète prendrait le relais en envoyant l'un de ses membres
ou I'un de ses correspondants jusqu'à ce que cette affaire

57
LOGGIA SECRE'I'UM

soit tirée au clair, ou que Firmin accepte d'aller vivre quelque


temps chez son cousin Sauzède, à Rennes-le-Château où il
serait plus facile d'assurer sa protection.
Dans les jours qui suivirent, des messages partirent tous
azimuts. La Logia Secretum alertait tous ses correspondants
et actionnait ses réseaux a6n de tenter de savoir qui était
derrière ces actes. John fut prévenu à son domicile de Los
Angeles par Jean, qui lui raconra ce qui s'était passé. Le
petit-§ls Tsseyre fut bouleversé parce qu il venait d'appren-
dre. Devant passer 48 heures en Angleterre pour sa société,
il fut convenu d'un rendez-vous entre John et Pierre, dans
la semaine, à Londres. John se rendrait libre le mois suivant
pour venir àJaffirs. Au retour de Pierre, Jean réunirait la [,oge
à Paris. Chacun des treize membres devant faire le point sur
les recherches et investigations, menées par eux-mêmes ou
les membres correspondants qu'ils parrainaient.
Côté police, on n'âvançait guère dans I'enquête sur Ie
meurtre d'Alain Salmon. Comme tout ne pouvair pas être
explicité, les enquêteurs avaienr peu d'indices à se merrre
sous la dent. Gérard Rossi était chargé de distiller quelques
informations à ses conracrs.
Pour l'instant, les membres de la loge secrète, voulant
rester dans une discrétion protectrice, comptaient davantage
sur l'enquête parallèle pour trouver la piste des assassins. Il
serait alors toujours temps de faire passer l'information à
qui de droit.
CHAPITRE VII

Levé avec les premiers rayons de soleil, Paul Bousquet


avait quitté son appartement de la corniche pour faire son
footing matinal. La Pointe Rouge était inondée de lumière
et les mouettes avaient déjà commencé leur bruyante ronde
sur la plage des Catalans. Paul monta par le chemin du
Roucas Blanc, comme s'il se dirigeait vers la Bonne-Mère,
mais bifurqua ensuite aÊn de redescendre vers l'abbaye
Saint-Victor et le Vieux Port.
Detx fois par semaine, quand les deux associés n'éraienr
pas en voyage, le rimel était immuable. Après un arrêt à la
boulangerie de la rue Sainte, à l'angle de la rue Neuve
Sainte-Catherine pour acheter des n navetteslT ,, il retrou-
vait son taxi, sur le Vieux Port, devant l'hôtel les Alizes, pour
le conduire boulevard Sakakini, où érait le siège de leur so-
ciété. Après une douche réparatrice, il descendait au Cybé-
rian cafe, s'installait à la terrasse devant un bon crème et ses
navettes, en ouvrant lEquipe, dans l'attente de Pierre.
Ce matinlà, l'homme qui s'assit en face de Paul ne res-
semblait en rien à Pierre Faure. La quarantaine, mince et les
cheveux bouclés, de Ênes lunettes rondes sur Ie nez, vêtu
d'un jean et d'une chemise blanche, un gilet gris jeté sur les
épaules, l'homme avait plutôt l'air d'un éternel adolescent.
u Bonjour Monsieur Bousquet. Vous ne me connaissez
pas. Moi oui ! Vous étiez la semaine dernière à Rennes-le-
Château, à Jaffus plus précisément. Je crois savoir ce que
vous cherchez.

59
LOGGIA SECRE'IUM

- Qui êtes-vous? interrogea Paul d'un air peu amène, en


fixant l'homme dans les yeux.
- Ne vous inquiétez pas. Je vais vous expliquer, dit l'in-
connu en faisant un geste d'apaisement de la main. Depuis
quelque temps, je m'intéresse aux tmpliers dans le Midi.
Cela m'a conduit dans plusieurs sites dont Rennes-le-
Château. Chaque fois,l'ai eu I'impression d'être espionné,
jusqu'au jour où j'ai pu suivre à mon tour, ceux que je croi-
sais à chaque visite dans le Razès. La semaine dernière, j'ai
compris que vous m'aviez repéré: j'ai quitté mon posre
d'observation. Mais en fait, ce n'esr pas vous que je pistais.
Mais ceux qui vous suivaient. Ce n'étaient pas les mêmes
qui étaient sur mes traces la plupart du temps. C'est pour
cela que je me suis décidé à vous renconrrer.
- Ah bon ? dit Paul en posanr I'Equipe sous son coude. Et
qui est sur nos talons ? demanda-t-il en fixant toujours l'in-
trus dans les yeux,
- Un homme et une femme. Tiès belle d'ailleurs et le
kaki lui va très bien.
- Mais qu'est ce que vous me racontez ?
- Ecoutez-moi... D'abord, j'ai cru que ces gens-là fai-
saient partie de l'évêché de Carcassonne. Tiès vite j'ai com-
pris qu'il n'en était rien. Ils ne lésinent pas avec l'argent.
Vous ayez les moyens de diligenter une enquête non offi-
cielle. Faites-le et vous verrez que je ne vous mène pas en
bateau. Pour en revenir au couple, je l'ai suivi au retour de
Rennes, à partir de Couiza. Ils sont installés à l'Hôrel Mo-
derne et Pigeon, à Limoux. Depuis qu'ils sont là, ils ont
changé trois fois de voiture de location. J'ai fait ma petite
enquête. Lhomme et la femme sonr d'origine libanaise,
c'est ce qui est indiqué sur les passeports, et passent des va-
cances dans la région. Je n'en crois rien. Ils ont rendu deux
fois visite à un journaliste du Midi Libre,André Festes, qui
est certainement l'un des hommes qui possède le plus d'ar-
chives et de documents sur l'histoire de Rennes-le-
Château. Ils sont sur vos talons presque tous les jours. La

60
LOGGIA SECRETUM

fille est restée dans le Razès, mais I'homme est ici. Il a loué
une chambre à l'hôtel Ibis, de I'autre côté du boulevard.
C'est donc qu'il connaît l'adresse de vos bureaux. Et je suis
à peu près sûr qu'il est en train de nous observer en ce mo-
ment. Depuis plusieurs jours, ils ne vous lâchent pas d'une
semelle.
- Mais qui êtes-vous ? Un flic ?

- Oh non ! Mon histoire est simple. Je m'appelle Ber-


nard Pol, je suis un ancien prêtre apparenté à la famille du
curé Gélis, un ami de I'abbé Saunière. Celui qui a été tué
dans son presbytère à Coustaussals. Au décès de ma mère,
j'ai hérité d'une petite maison dans un village de la Haute-
Vallée de l'Aude ...
- Et dors ?
- Comme tous ceux qui vont se séparer d'une maison
où ils ont vécu gamin, je fouillais à la recherche de souve-
nirs d'enfance, en quête d'image d'un passé récent et trop
lointain. Dans une malle du grenier, je suis tombé sur des
papiers de l'abbé Gélis. Ils étaient bien cachés, dissimulés
dans un étui à baibnnette datant de la guerre de 1870.
Il y avait des carnets de ses placements financiers, bien
tenus. Car pour un curé, Gélis était assez riche, tout en vi-
vant peuvrement. Les recettes et les dépenses étaient men-
tionnées au jour le jour et puis, une sorte de testament,
avouant qu'il avait été le complice de Saunière pour bien
des combines. Qu'il avait fait des choses qu il n aurait ja-
mais dû faire, et que maintenent, il avait peur. Que s'il lui
arrivait quelque chose, il faudrait chercher dans ses propres
rangs.
* Voulez-vous dire chez d'autres curés ?
- C'est ce que j'ai compris. Il expliquait qu il était allé
voir son évêque pour lui communiquer certains secrets sur
l'église Sainte-Madeleine de Rennes, et que ce dernier lui
avait intimé l'ordre de n'en parler à personne. Üévêque lui
avait demandé de ne plus voir Saunière. Il l'avait même ras-
suré, peut-être pour le calmer, en lui disant qu il lui üouverait

61
LOGGIA SECRE'I'UM

une autre cure avant la 6n de I'année. Mais rien sur l'objer


de sa peur. Peu de temps après sa visite à l'évêché, deux
hommes étaient venus le voir. Lun d'entre eux l'avait même
un peu bousculé afin de savoir s'il avait les réponses aux
questions posées. Il est resté muet sur ces questions. Il n'a
rien dit. Et il en est peut-être mort. Je crois plutôt que ceux
qui l'ont tué cherchaient quelque chose qu'aurait pu lui
donner en dépôt Saunière, en attendant que les choses se
calment à Rennes-le-Château... De toute façon, ceux qui
I'ont tué le connaissaient parfaitemenr. J'en suis persuadé.
- Vous êtes au courânt de bien des choses. Mais pour-
quoi venir nous voir si vous savez qui nous sommes ?
-Je vous ai dit que j'étais ancien prêtre? Quand on est
défroqué, on n'a plus beaucoup d'amis parmi ses anciens
coreligionnaires, pas même dans les familles catholiques
qui vont se tenir la main à la messe en s'appelant frères er
sæurs. Tous vous ferment la porte. Ou presque. C'est comme
si vous étiez pestife ré. J'ai passé quatre années au Vatican.
J'étais un spécialiste de I'hébreu, du syriaque et des manus-
crits coptes. Et un jour, sans savoir pourquoi ni comment,
je me suis retrouvé devant un tribunal spécial. Je travaillais
à la bibliothèque. On m'a accusé d'être le complice d'un
crime contre l'Église. D'avoir été le u vaguemestrç , de
Mgr Luigi Marinelli, prélat de la curie romaine, soupçonné
d'être à I'origine d'une publication anonyme, à la tête d'un
groupe baptisé « Les Millénairesre ,.
Des cardinaux du Tiibunal voulaient savoir si ce n'étair
pas moi qui avais sorti des documents venent de ce groupc
pour un éditeur. Je m'étais bien aperçu que les tiroirs dc
mon bureau avaient été fouillés à maintes reprises, même
fermés à clé. Je savais que cela et les écoutes téléphoniques
se pratiquaient à tous les niveaux, y compris à la Curie, et
au plus haut niveau du Vatican. Mais jamais je n'aurais
pensé passer un jour devant la rote. Je croyais même que ce
tribunal avait été dissous par Jean )Cüll.
- C'est quoi cette histoire de Millénaires ?

62
LOGGTA SECREI'UM

- Ils sont à l'origine d'une publication qui met en exergue


les luttes de clan et la façon dont est gouverné le Vatican,
dans une opacité absolue, par quelques monsignores qui
manipulent le pape... Des informations qui ne peuvent
venir que de l'intérieur de la cité vaticane, de prélats et car-
dinatx à des postes importants qui en ont assez des dérives.
[æs affaires financières, avec la ma6a et la Loge P2,le car-
riérisme, l'homosexualité, comme cet évêque condamné
pour abus sexuel envers un jeune mineur, et qui fut promu
à la curie pour échapper à la vindicte dans son diocèse...
J'étais loin de savoir toutes ces choses.
Est-il dans le rôle du Vatican que l'une de ses banques ait
été au centre de transferts Ênanciers illégaux, pour blan-
chir de l'argent sale, entre l'Italie et d'autres pays considé-
rés comme des paradis fiscaux2o ?

J'ai découvert que bon nombre de cardinaux et digni-


taires, cent vingt et un au total, dévoilés par le franc-maçon
Mino Pecorelli, par la suite assassiné, étaient membres de
loges maçonniques. Beaucoup doivent souvent leur ascen-
sion dans la hiérarchie catholique à leurs amis maçons de
l'intérieur ou de l'extérieur. Un cardinal mexicain m'a
avoué qu'il existait quatre loges maçonniques dans I'en-
ceinte du Vatican. Mais il ny a pas que cela. J'ai même eu
en mains un rapport secret concernant un cardind, devenu
depuis représentant du Vatican à I'ONU. Cet homme a dé-
pensé des sommes colossales et arrosait des laïcs a6n qu'ils
se taisent dans l'affaire de la Banque Ambrosiano... Si les
fidèles savaient tout...
Ajoutez-y,aujourd'hü, l'infuence prédominante de l'Opus
Dei qui, depuis Jean-Paul II dévoile sa toute-puissance et
qui a âit l'élection de Rarzinger et vous comprendrez mieux
la prophétie de Saint-Malachie: o À rou., prêtres, cet avertis-
sement: oui, je vous jetterai des excréments à la figure, les
excréments des victimes immolées dans vos solennités... ,
J'ai été innocenté. Il n y avait aucune preuve . Seulement
des accusations d'un autre prêtre, il est vrai un tantinet eÊ

63
LOGGIA SECREI'UM

feminé, dans le même seryice que moi. Il était simplement


jaloux de l'intérêt, tout intellectuel, je vous rassure, que me
portait un cardinal ayant rravaillé avec un dominicain à
l'École biblique de Jérusalem et qui appréciait mon travail.
J'ai démissionné. Tout ce en quoi j'avais cru s'érair écroulé
autour de moi. Je ne pouvais plus rester evec ces faux apô-
tres. Si nous avions été au remps de l'Inquisition, ils m'au-
raient écartelé afin de me faire parler. Et j'aurais avoué
n'importe quoi. Depuis, j'ai beaucoup réfléchi.
Oir est la mission apostolique de l'Église? Elle fait une
politique qui la conduira à sa perte. Elle a failli à sa mission
première. J'étais trop malheureux. Un seul prêtre a renré
de me réconforter: un ancien professeur du séminaire de
Toulouse. Après, je n ai eu droit qu à des démonstrations de
la plus haute hypocrisie. Voilà...
- C'est curieux que vous soyez surpris de tout cela, dir
Paul. Quand le chef d'une institution comme votre Église,
en l'occurrence Pie V devenu bien sûr saint Pie Y écrivit au
roi de France Charles X, au moment des guerres des reli-
gions, en lui disant, à propos des protestanrs: "Tuez-les
tous, comme autrefois Josué tua les Amalécires2l sur l'ordre
de Jéhovah", il ne faut plus s'étonner de rien.
Ce qui me surprend le plus, ce n'esr pas que des gens
d'Église - un prêtre en I'occurrence -, puissent commettre
des crimes contre I'humanité, c'est l'absence de réaction de
la hiérarchie catholique. Ce curé argentin qui aida les bour-
reaux des génératx de ce pays durant leur dictature, jusqu'en
1983, a bénéÊcié durant plus de vingt ans d'une impunité
scandaleuse. Et la hiérarchie catholique a été complice d'une
dictature qui a même réprimé certains de ses membres.
Mais silence... Quelle honte ! Il a fallu attendre vingt-cinq
ans pour que ce curé tortionnaire, accusé de sept meurtres
et trente et un cas de torture, sans parler de quelque qua-
rante enlèvements, passe enÊn devant un tribunal pour
crime contre I'humanité. Je ne vois aucune différence enrre
Pie V et voûe ?dnz€r-hardinal. Qui peut m'expliquer com-

64
LOGGI.A SECRETUM

ment un catholique, donc un chrétien, puisse arriver à tor-


turer, aujourd'hui ? Pour défendre quoi ? Une idée, une
conviction, la foi, sont-elles plus importantes que la vie hu-
maine ? On passe sur toutes les exactions et les crimes com-
mis par l'Inquisition et autres fous de Dieu. On s'est fait,
tant bien que mal, une raison. C'est désormais de l'histoire.
Je croyais notre époque contemporaine à l'abri de tels
crimes après la période nezie. Comment expliquer qu'un
prêtre, de nos jours, puisse pratiquer la torture pour des
idées qui relèvent du politique. On est loin de toute quête
spirituelle. Cela relève d'un fanatisme qui ne fait qu'éclore
quand la religion tient la main du politique. Cet homme
aurait dû être mis au ban de son Église et excommunié.
Mais il faut croire que le Vatican a toujours besoin de ces
individus sans foi ni loi. Et sans cæur. Tout çe me fout en
colère...,
Paul laissa le silence s'installer quelques instants et apos-
tropha l'ancien prêtre :
« Mais au fait, pourquoi me raconter toute votre histoire ?

- Je vous l'ai dit. Parce que je sais qui vous êtes. Vous
avez abandonné vos obédiences maçonniques politiciennes
pour vous retrouver sur un autre plan. J'ai lu les prolégo-
mènes de votre association pour une maçonnerie tradi-
tionnelle méditerranéenne et votre approche philosophique.
Je crois qu'entre urre Égli.e catholique aux mains de faux
prophètes et une maçonnerie qui n'a rien à envier à Rome
per son dogmatisme et son matérialisme, il y a une juste
place pour ceux qui tentent de concilier raison et spiritua-
lité. Et je souhaitais surtout prévenir votre groupe que vous
êtes sous surveillance. À lrous de savoir par qui ? ,
Un silence s'imposa avant que l'ancien prêtre ne reprenne:
« Mais ne vous y trompez pas. J'ai toujours la foi, pas en
l'Église mais en Dieu. Même si cela m'est plus difficile au-
jourd'hui.
- Vous savez, je pense qu'entre ,rotre Église et la maçon-
nerie obédientielle, sans pour cela généraliser, il y a de nom-

65
LOGGIA SECREI'UM

breux points de convergence. Outre la course au pouvoir et


la fréquentation d'une classe politique soumise aux lois du
lobbying, ces organisations sonr à la rête d'une masse de 6-
dèles, pour l'Église qui sont là, plus pâr supersrition que
par foi. Des simplistes qui se disent: sait-on jamais, au cas où
il existerait l'autre, là-haur... Ils vont à la messe sans savoir
à quoi ils participent. En maçonnerie, vous avez un bon
nombre de frères qui viennent de temps en remps en loge,
entendre eux aussi leur messe. Ce sont des n cotisants ,. Ils
pensent qu'après tour, leur engagement équivaut à une
forme de contrat d'assurance, dans une société qui a perdu
ses repères... Le taux d'absentéisme aurair dû inquiéter les
responsables. Mais bon, ils s'en moquenr. Tânr que les coti-
sations rentrent... Lessentiel, pour eux, riest pas d'être, mais
de paraître. Et il y a une petire majorité de gens sincères
qui croient travailler à l'amélioration matérielle et morale
de l'humanité et qu'on a trompés depuis leur engagemenr.
Mais la routine est la plus forte et I'instirurion trop lourde
pour évoluer.
De plus, il existe un cerrain confort à être maçon dans
une obédience, comme à être chrétien dans une Église. En
rompant avec les structures structurantes, nous n avons pas
choisi la facilité, mais la liberté. Et être libre est la chose la
plus difÊcile qui soit.
Joseph de Maistre disait que la vraie maçonnerie est la
science de l'homme par excellence, c'est-à-dire la connais-
sance de son origine et de sa destinarion. On en est bien
loin aujourd'hui. Les marchands du tmple sont passés par
là. Nous sommes peut-être un peu "ringards" aux yeux de
certains, mais nous croyons à cette maçonnerie-là, même si
elle n'est pas au goût du jour dans les salons ni dans la
"bien-pensance" à la mode.
- Vous avez toujours un cerrain pouvoir.
- Contrairement à une idée reçue, les francs-maçons ne
représentent pas grand-chose de par le monde. Ils sonr en-
core assez peu nombreux. Ils suivent des obédiences aur

66
LOGGIA SECRETUM

dogmes avérés et ayant instrumentalisé la maçonnerie, pour


des raisons multiples, au bénéfice de quelques-uns. Ils sont
tellement divisés qu ils ont perdu toute crédibilité. La franc-
maçonnerie vécue comme réseau d'influence ne fait plus
florès dans les salons du pouvoir, quel qu'il soit. Nous ne
sommes plus sous la III'République. D'ailleurs le but de la
maçonnerie n'est pas là, il s'agit avant tout de la recons-
truction de l'homme... Il y a une chose que je ne com-
prendrai jamais. Comment pratiquement deux milliards
d'individus peuvent-ils suivre aveuglément une religion
basée sur le mensonge, et dont les théologiens successifs,
pour évoluer, s'inspirent sans cesse des victimes de leur pro-
pre Église ? Là, chapeau Messieurs les pères et autres pontes
du catholicisme. Pour perdurer sur de telles bases il faut
avoir été et être toujours très malin. La seule foi ne peut
pas tout expliquer.
- Ni vous ni moi n'y changerons grand-chose, dit Ber-
nard Pol. Peut-être que l'Église, au détriment de l'ensei-
gnement de Jésus, a su, dès son plus jeune âge, aller vers ce
qu attendait la foule. Cette dernière écoute plus facilement
ceux qui promettent le ciel, demain.
- ks catholiques oublient trop facilement ce qu'a ditJesus:
"Mon royeume n'est pas de ce monde", ajouta Paul. De-
mandez donc au Vatican de rendre tous les biens et ri-
chesses accumulés au cours des siècles, y compris au moyen
de guerres, de vider au pro6t d'organisations caritatives ou
de cetx qui n ont ni toit ni de quoi se nourrir, les comptes
bancaires qu il possède partout dans le monde et dans les
paradis fiscaux, et on croira mieux à I'amour divin que prêche
la religion catholique.
Pour le moment, et depuis son origine, je ne vois dans
l'Église catholique qu'une puissance temporelle s'étant op-
posée à toute évolution spirituelle, au cours des siècles, afin
de maintenir son empire et son emprise sur les familles.
Cela au moyen de ses rites réglant l'entrée et la sortie de
vie, comme baptême, mariage, sépulture, et de la plus belle

67
LOGGIA SECREI'UM

invention qu'il soit: la confession. Pour être au courant de


tous les secres et tenir son monde, rien de tel. LÉglise console
les vivants en leur promettant le ciel avec ses dogmes pré-
sentés comme mystères inexplicables. [r plus grand paradoxe,
comme disait Déodat Roché, est que les théologiens ayant
combattu toute autre forme de christianisme et instauré le
catholicisme romain, n'ont ensuite, pour réunir les fidèlCI,
que les dépouilles des initiés persécutés comme hérétiques,
alors que bien souvent, ce sont eux, qui étaient dans la li-
gnée de I'enseignement de Jésus. Il n y a guère d'esprit chré-
tien dans tout cela. La connivence entre monarques et papes
n'a fait que renforcer le processus. Rares sont ceux, de tout
temps, qui s'y sont opposés. Ils courraient l'infamie de l'ex-
communication. Ou le bûcher.
- Vous i avez pas tort. C'est si vrai que I'empereur Julien,
successeur de Constantin, instruit dans la religion chré-
tienne ,iusqu'à l'âge de 20 ans, avait préféré revenir à d'an-
ciens cultes comme ceux de Cybèle ou Hélios. D'où son
nom de Julien l'Apostat donné par les chrétiens. C'était tres
certainement I'un des empereurs ne se contentant pas d'ex-
ploits guerriers, mais plutôt un grand philosophe qui laissa
de nombreux écrits notamment sur Celse et Aristote mais
aussi des lettres "législatives". Dans ses écrits "Contre les
Galiléens22" il expose son point de vue sur ce qu il appelle
une "secte", la nouvelle religion mise au point par Constan-
tin et les premiers pères de l'Église: "C'est une fourberie
purement humaine, malicieusement inventée et n'ayant
rien de divin qui est pourtent venue à bout de séduire les
esprits faibles, et d'abuser de l'affection que les hommes ont
pour les fables, en donnant une couleur de vérité et de per-
suasion à des Êctions prodigieuses. Qu'a fait votre Jésus,
après avoir séduit quelques juifs des plus méprisables ? (il
parle des zélotes). Il n'a rien exécuté dont la mémoire soit
digne de passer à la postérité, si ce n'est d'avoir guéri quelqucs
boiteux et quelques démoniaques des petits villages dc
Bethsaïda et de Béthanie."

68
LOGGTA SECRE-|UM

Il accuse même saint Paul d'être le plus grand des im-


posteurs et le plus indigne des fourbes, pour reprendre ses
ocpressions - "Cet homme a été toujours vacillant dans ses
opinions et il en a changé très souvent sur le dogme de la na-
mre de Dieu'. C'est le seul qui a pris tous les textes et les en-
seignements de Platon, Socrate, Cimon, Thalès... afin de
les confronter aux prêches des Galiléens: "les opinions que
vous soutenez sont des chimères que vous avsz inventées."
Q"*d on est jeune prêtre et que l'on érudie, entre au-
tres, "Contre les Galiléens", bien entendu contre I'avis de
son directeur de conscience, on se pose bien des questions
sur l'engagement. Et puis tout cela est plus ou moins re-
misé dans un coin du cerveau par I'emploi du temps et les
prières. Et la foi, aidée par I'obéissance et la routine. Mais
c'est un ouvrage que je recommande à tous ceux qui veu-
lent tenter de comprendre ce qui se passait aux origines.
D'autant plus que Julien fait un comparatif entre le Dieu
de Moïse et celui des Galiléens et met les premiers chré-
tiens devant un dilemme au sujet de Jésus. Vous devriez
commencer par lire ces écrits, dit-il a Paul Bousquet.
- Je connais vaguement cela. Mais il faudrait effective-
ment trouver les écrits de cet empereur. J'avais lu quelque
chose à son sujet sous la plume d'un universitaire suisse. Si
je me souviens bien, Julien aurait été tué d'une flèche dans
le dos par des chrétiens âisant partie de son armée lors
d'une guerre contre les perses.
- Il y a d'ailleurs une légende qui court à ce sujet: un
centurion demandait à un adepte de Jésus, après que Ju-
lien eut abandonné la nouvelle religion, "mais que fait donc
le charpentier?" "Il prépare un cercueil", a répondu l'au-
tre. Sous entendu, pour lâpostat. Mais ce n'est qu'une lé-
gende de plus, révélatrice tout de même de l'état d'esprit
des premiers chrétiens contre cet empereur romain qui reste
un esprit remarquable. ,
Paul invita Bernard à monter dans son bureau afin de
voir Pierre, qui ne devait pas tarder, et savoir si le groupe et

69
LOGGIÂ SECRE"I'UM

I'ancien curé pouvaient faire un bout de chemin ensemble.


Cet homme, bien qu'encore blessé par ce qu'il avait vécu,
n'en était pas moins intéressant. Et Paul le trouvait plutôt
sympathique. Malgré son allure et son air d'une sévérité ex-
trême, il avait toujours eu un cæur de midinette quand il
se trouvait devant des chiens perdus sans collier.
CHAPITRE VIII

Pierre demanda à des membres marseillais de sa loge de


se relayer afin qu en permanence, les espions soient suivis.
Guy Caril, Michel Fort, Jean-Claude Serpe et Philippe
Genet furent chargés de suivre l'homme de l'Ibis dans tous
ses déplacements. DeuxAudois, Alan Chock, et Piere Peyre,
prendraient le relais à son hôtel de Limoux, tandis que Jean
Portos ferait des photos sous la protection d'André Polski.
Ils se retrouveraient et échangeraient leurs informations
dans un élevage de chevaux appartenent à un frère de la
maçonnerie méditerranéenne, sous la montagne d'Alaric,
proche de Barbaira, à l'horizon de Carcassonne. Pierre avait
dû calmer l'ardeur de quelques membres qui, avec son as-
socié, voulaient demander immédiatement des comptes à
l'individu. Pour plus de sécurité, on appela Jean Védri, vé-
nérable d'une loge corse, afin qu'il envoie quelques frères
disponibles aider les membres dela Loggia Secretum du côté
de Rennes-le-Château. Jean était soucieux et ne souhaiait
pas qu il arrive quoi que ce soit à Firmin.

Dans les jours qui suivirent, le couple ne lâcha pas d'une


semelle Jean des Sauzils et Albert Paullus qui, de Rennes-
le-Château, promenèrent les étrangers sur plusieurs sites
dans le Razès et dans les Pyrénées. Albert Paullus, avec sa
caméra, jouant le n fixeur ,, s'intégra à une équipe de la
Radio Télévision Belge faisanr un reporrage sur l'abbé Sau-
nière et le trésor de Rennes. Encore plus intrigué, le couple
ne se cacha même plus pour suivre le petit groupe, comme de
simples touristes. Portos, qui avait abandonné pour quelques

7t
LOGGIA SECRE'I'UM

jours son domaine de Saint-Émilion, en proÊta pour faire


plusieurs clichés de I'homme et de la femme qui furent en-
voyés par internet à Gérard Rossi.
La réponse ne tarda pas à arriver de Paris:
n Vous êtes suivis par des gens du Mossad, les services se-

crets Israéliens.
- Qr'roi ? s'étranglaJean. Qu est-ce que c'est que cette his-
toire ?

- Je suis formel. Elle s'appelle Myriam Lévi, née le 3 dé-


cembre 1968 à Haïfa. Elle a le grade de capitaine dans Tsa-
hal. Lui, c'est Nathan Sitruk, né à Têl-Aviv le 9 janvier
1970. Egalement capitaine. Leur passeporr libanais esr un
vrai-faux, au nom des époux Dib-Mourad. Nous l'avons
fait vérifier par la DST er personne n'esr au couranr de leur
mission. Vous devez avoir approché quelque chose d'inré-
ressant pour avoir deux agents israéliens sur le dos. Il fau-
drait me faire parvenir au plus vite les copies des
parchemins que devait me donner Alain Salmon. Nous
pourrions voir s'il y a matière à intéresser IsraëI.
- Pour le moment, je suis un peu dans le flou, répondit
Jean. Quoique... je pense à une vieille légende er à un pro-
verbe occitan qui affirme qu'entre la montagne d'Alaric er
le petit mont Alaric, il y a la fortune de trois rois.
- Je ne saisis pas...
- Ce sont des collines à l'Est de Carcassonne, dominant
la plaine de l'Aude, au-dessus des villages de Capendu et
Barbaira. Je t'expliquerai... Nous serons à Paris très bien-
tôt. Dis-moi, j'ai bien envie d'aller voir ce Narhan er enge-
ger la conversation avec lui. Qu'en penses-tu ?
- Pourquoi pas ? Si vous êtes sous surveillance, comme
cela semble être le câs, c'est qu'ils veulent savoir quelquc
chose concernant votre action et vos investigations. Il sera
certainement intéressé par ce conrect. À moins que ce ne
soit lui qui se décide à vous conracrer, car s'il a été suivi de-
puis Marseille, il le sait. C'esr un professionnel. Mais
prends quelques précautions. Je te suggère d'aller à Perpignan

7)
LOGGIA SECRETUM

voir le commandant Paul Nadal, c'est un de nos amis, un


homme de conÊance et un excellent professionnel. Il est
sur tous les sujets dits n sensibles ,. Si tu le souhaites, il te
placera un petit micro qui permettra un enregistrement à
üstance de votre conversation. Mais ne l'appelle pas au té-
lephone. Il appartient à un service oir tout est enregistré. Je
vais t'envoyer son adresse selon notre mode habituel. ,

Quelques jours plus tard, la voiture de Jean se gara de-


vant les anciennes halles de la petite ville de Limoux, face
à l'Hôtel Moderne et Pigeon, un ancien couvent des Péni-
rents Blancs du XVI'siècle, devenu par la suite résidence
des Souvigny, apparentés à la Comtesse du Barry. Il s'avança
vers la réception et demanda à parler à Monsieur Dib.
Dans la salle à manger du restaurant, Jean Portos et Al-
bert Paullus se léchaient les babines en étudiant la carte qui
proposait des menus dégustation, avec vins assortis aux
mets, en sept ou neuf plats, selon l'appétit et la gourmen-
dise des convives. Portos choisit une pomme de ris de veau
et langoustine rôtie, tandis que Paullus préîéra une esca-
lope de foie gras frais d'oie, poêlée aux fruits frais avec un
caramel de Banyuls.
Un grand gerçon, brun, d'allure sportive s'avança vers
Jean qui masquait son visage en lisant le Monde. Lorsqu'il
abaissa son journal, l'homme eut un imperceptible recul.
Mais Jean se leva, main tendue vers le jeune homme:
« Bonjour Monsieur Sitruk.

-Je constate que les presentations ne sont plus nécessaires.


Bravo monsieur des Sauzils. De toute façon, nous n allions
pas tarder à vous contacter.
- Pourquoi s'intéresser à nous ?

- Pas spécialement à vous. Mais à vos recherches. Et sur-


tout ar»( deux individus qui suivent de loin vos activités.
- Vous voulez parler de Bernard Pol ?
- Non ! Lui, on sait que c'est un ancien curé, un cher-
cheur qui prépare un bouquin sur les Templiers en Occita-

73
LOGGIA SEC]RE'I'UM

nie. Je veux parler de deux autres personnages, dont tres


certainement un ecclésiastique agissanr en marge des res-
ponsables diocésains.
- Nous le savons par Bernard Pol et quelques amis que vous
avez suivis à Marseille. Mais nous ne nous sommes pas encorc
occupés de ces gensJà. Dites-moi, en quoi nos recherches
concernent Israël et plus particulièrement le Mossad?
- Vous savez qu'il court des bruits étranges sur la région
et Rennes-le-Château. Ce n'est pas à vous que je vais ap
prendre l'histoire de votre région. Tout au moins l'histoirc
secrète qui n'est pas écrite dans les livres officiels, celle que
l'on n'enseigne dans aucune école ou université.
Notre peuple est toujours intéressé quand il s'agit de re-
trouver des pièces inscrites dans le livre d'or des Juifs. Je ne
vais pas vous raconter le saccage du Temple de Jérusalem
par les Chaldéens en 586 avant Jésus-Christ et le trésor du
Têmple de Salomon ramené avec les captifs à Babylone.
Une cinquantaine d'années plus tard, Cyrus ne rendit pas
que la liberté aux captifs. Il leur laissa reprendre une parric
du trésor, dont 5 400 vases d'or pris par Nabuchodonosor
qui rejoignit ainsi le second Temple construit par Zoroba-
bel. Après plusieurs autres pillages, Hérode rendit au Têm-
ple de Salomon ses fastes anciens et son trésor. Vous
connaissez comme moi les ouvreges de Flavius Josèphe ct
sa description de la destruction du Temple de Jérusalem
par les soldats de Titus en septembreT0. Ce dernier rena
de faire arrêter l'incendie. Il ne sauva que les trésors grâcc
d'un prêtre qui lui livra les chandeliers d'or, la
à la traîtrise
table des pains de proposition, des coupes, des vêtements
sacerdotaux et autres pierres précieuses. Parmi ce trésor la
Ménorah, le chandelier à sept branches en or massif, quc
l'on voit encore sur un bas-relief de I'arc de triomphe cons:l-
cré à Titus, à Rome. Sur un autre bas-relief de ce même arc
de triomphe, huit soldats couronnés de lauriers, porrenr la
table d'or placée sur un ferculum. Et on pense même, selon
Josèphe, que la n Loi des Juif5 ,, les deux rables de pierre où

74
LOGGIA SECRE'I'UM

Dieu a gravé le Décdogue, auraient également été appor-


tées à Rome par Titus.
En août 410, Alaric pilla Rome durant six jours. Et Pro-
cope assure que les'§7'isigoths s'emparèrent du trésor de
l'Empereur romain et donc du trésor du temple de Salo-
mon. Il prit même la 6lle de l'empereur en otage qu'il offrit
à son fils, avec qui il la maria à Narbonne. Galla Placidia
devint par la suite impératrice de l'empire romain d'Orient.
À l" -ort d'Alaric, son beau-frère, Ataulf, quitta l'Italie et
s'établit dans la région, à Narbonne oùr les Francs trouve-
ront dans son palais soixante calices, quinze patènes et vingt
coffres, le tout en or massif ainsi que bien d'autres objets
précieux. Le successeur, Alaric II régnait sur Toulouse et
toute la région quand Clovis envahit l'Aquitaine. Alaric II
mit à I'abri le tresor des Visigoths, à Carcassonne, toujours
selon Procope, avant d'être tué par Clovis à Vouillé en 508.
- C'est à ce momentJà que Théodoric, roi d'Italie, prit
la tête des \Tisigoths durant la minorité dâmalric, fils de
sa fille et d'Alaric II et qu il marcha sur Carcassonne assié-
gée par Clovis qui se dépêcha de lever le siège, précisa Jean.
- Exactement. Et certains affirment qu'avant le siège de
Carcassonne par Clovis, les'§7isi§oths avaient transporté le
trésor, jusque-là protégé dans la Cité, à Redhae, capitale
wisigothe, avant Tolède, qui n'est autre que Rennes-le-
Château.
- Vous savez, des fouilles ont été faites à la Cité. On a
même asséché, un puits où, disait une légende, une partie
du trésor avait été jetée quand Attila menaçe le sud et Car-
cessonne. Personne n a jamais trouvé quoi que ce soit.
- Nous le savons. Mais trop d'indices nous laissent croire,
qu effectivement, une partie du uésor wisigoth et donc une
partie de celui de Jérusalem a éré cachée, ou a transité ici.
- Qui vous fait dire cela ? interrogea Jean.
- Quand les'§Tisigoths quittèrent le sud de la Gaule, ils
emportèrent une grande partie de leur richesse en Espagne,
dont le famerx "rnissoium", plat extraordinaire, en or mas-

75
LOGGIA SECREI'UM

sif, pesant cinq cents livres, destiné à l'usage de la Sainte


Tâble, orné de diamants. Les Arabes, en conquérant I'Es-
pagne, s'emparèrent de ces trésors dont une table formée
d'émeraude entourée de trois rangs de perles soutenue par
soixante pieds d'or massif, Ces trésors provenaient du dépôt
de Carcassonne23.
- Votre mission, c'est quoi ?
- Nous ne sommes pas en "mission extraordinaire". Du
simple renseignement et un séjour ici est pour nous comme
des vacances. Mais supposez que vous et vos amis, ou d'au-
tres groupes qui tournent dans ce coin, mettiez la main sur
la Ménorah ? Vous rendez-yous compre de l'impact que cela
aurait sur le peuple juif? Et pas seulemenr en IsraëI. Et al-
lons plus loin. Même si vous n'y avez pas pensé. Supposez
que d'autres, par exemple quelques islamistes radicaux, sur-
veillent tous les agissements, aurour de Rennes et ailleurs,
aÊn de mettre la main avanr nous soit sur le fameux chan-
delier, soit sur l'Arche d'Alliance ou encore d'aurres pièces
provenant du Têmple de Salomon si le trésor était décou-
vert ? Vous vous rendez compte que cela serait une arme re-
doutable aux mains de certains pays arabes. Pour des
religieux et politiques de notre pays, cela aurair rour auranr
d'importance que si l'Iran possédait un jour sa bombe nu-
cléaire. Israël ne peut se permerrre une telle situation. Dès
lors, à partir du moment où nous avons quelques rensei-
gnements un peu "chauds" sur ce qui se passe ici, ou quand
nos informateurs disent que "ça brûIe", ou qu'un article de
journal éveille norre errenrion, nous préferons être présents
et avoir un æil a6n de mieux contrôler la situation si une
découverte se présentait. Je ne sais pas si cela continuera et
si nos responsables ajouteront toujours aurenr de crédir à
cette affaire, mais pour le moment, c'est comme ça. Et pour
moi et ma compagne, c'est assez agréable. ,
Jean proposa à Nathan un vieux Banyuls du docteur Parcé.
Le nec plus ultra pour ce breuvage mythique. LIsraélien ap-
précia en connaisseur et Ia conversation glissa sur la richesse

76
LOGGIA SECRETUM

historico-touristique de la region, encore mal exploitée,


assez
mais de plus en plus visitée et adoptée par les Anglo-Saxons
notamment qui achetaient résidences secondaires mais
aussi des propriétés viticoles et autres vieilles demeures.
Après que Nathan eut remis sa tournée, les deux hommes
se séparèrent, non sans avoir échangé leurs numéros de por-
ables afin de rester en contact. D'autant plus que Nathan
comme Jean étaient intrigués par le comportement curieux
des deux hommes évoqués en début de discussion. Nathan
promit à Jean quelques éclaircissements sur ce sujet.

Deux heures plus tard, Gérard Rossi, à Paris, audition-


nait la conversation de Jean et de l'agent israélien, avant de
rappeler Jean.
« Je viens d'analyser la conversation. Il banalise sa mis-
sion un peu trop ouvertement pour que cela soit comme il
le dit. Mais tu as bien fait d'agir comme tu I'as fait. Resrez
en contact. Et n hésite pas à l'interroger sur les deux rypes.
Je pense à tous les coups que ce sont eux qui tournent au-
tour de Jaffirs et qui ont rendu visite à Firmin Magnan. Son
couplet sur la surveillance du site aÊn d'être là avant des is-
lamistes au ces oir... est assez improbable, même si elle n est
pas à jeter aux orties. Ils ont autre chose à faire en ce moment
que d'être à l'affût de cette histoire. Mais sait-on jamais.
J'essaierai de faire contrôler, voir s'il y a des mouvements de
quelques radicaux fichés dans nos services et aux Rensei-
gnements généraux dans votre coin. Avec les événements
irakiens et le réveil de groupes salaÊstes algériens les ser-
vices ont été sensibilisés et on a une meilleure connaissance
des mouvements dans les régions. Mais je ne crois guère à
son explication à ce propos.
Autre hypothèse, que notre homme soit effectivement
en "vacânces" avec son amie et qu il soit en mission pour un
parti extrémiste israélien ou pour des juifs orthodoxes. Mais
ça m'étonnerait fort. Le Mossad n'aime pas beaucoup le
mélange des genres.

77
LOGGIA SECRE'|UM

- Vous êtes sur Paris bientôt ?

- J'attends des nouvelles de Londres. Pierre doit m'in-


former prochainement de la date de son retour.
- De toute manière je te rappelle dès que j'ai du nouveau. ,

Quelques jours après la rencontre entre Jean des Sauzils


et Nathan Sitruk, le quotidien h Dépêche du Midi faisait sa
« une » avec un titre accrocheur: n Le chandelier à sept
branches de Rennes-le-Château intéresse les services secrets
israéliens2a ,. Suivait un article sur toute la largeur de la
première page du quotidien:
Nos lecteurs n'ignorent plus rien de la fabuleuse his-
toire du trésor de Rennes-le-Château où, depuis la dé-
couverte de l'abbé Saunière, chercheurs amateurs et
professionnels ont déployé des [...] trésors d'ingéniosité
à la recherche des richesses des rois wisigoths ou du Tem-
ple... Mais que venaient donc faire, à I'automne dernier,
ces quatre hommes installés dans une auberge de la route
de Carcassonne, à Limoux qui, partant en jeep tous les
jours à l'aube, ne rentraient qu à la tombée la nuit, four-
bus et couverts de boue ? Géologues, mentionnaient leurs
fiches d'hôtel...
Parlant un impeccable français, ils utilisaient, lorsqu'ils
se trouvaient entre eux, un idiome difficile à retenir. Grâce
à une personne ayant vécu longtemps à Tel-Aviv, et qui
surprit un de leurs conciliabules, il apparut qu il s'agissait
de chercheurs israéliens. Le fait est d'autant plus bizarre
qu aucune concession pétrolière n'avair été accordée dans
la région à une société étrangère. Alors, que faisaient-ils à
Rennes-le-Château ?

Ne faudrait-il pas rapprocher leurs travaux de ceux


menés à bien par le curé des lieux, car la nature des pièces
rarissimes négociées à l'époque par l'abbé Saunière donne
suffisamment de vraisemblance à l'hypothèse selon la-
quelle le trésor du Têmple de Jérusalem soit resté dans la

78
LOGGI.A SECRETUM

région. Cela voudrait-il dire pour autant que les services se-
crets israéliens se remuent à présent autour de cette affaire,
espérant ainsi récupérer le chandelier à sept branches dont
parle I'Ancien Testament ? Lavenir, peut-être, nous le dira.

Jean des Sauzils plia le quotidien et appela aussitôt Na-


than Sitruk.
« Vous avez lu "La Dépêche" ?

- Oui, répondit I'agent.


- Je vous donne ma parole d'honneur que nous ne
sommes pour rien dans cette information. On aurait voulu
vous griller, et nous empêcher de collaborer que I'on ne s'y
serait pas pris autrement.
-Je vous le concède. Et je me demande si nos amis que
nous avions repérés par intermittence n'y sont pas pour
quelque chose. En tout cas, c'est bien joué. Nous sommes
grillés, c'est vrai. Mais ma compagne est sur Paris en train
de suivre celui que nous pensons être l'ecclésiastique.
- Qu allez-vous faire ?

- J'ai fait mon rapport. J'ai ordre de rentrer. Nous ne


voulons aucun bruit autour de cette affaire. Mais je vous ai
promis de me renseigner sur les deux hommes. Nous pre-
nons une semaine de vraies vacances, ce qui nous permet-
tra de "loger" les amis et puis nous rentrerons. Je vous fais
signe dès que possible. Si vous avez du nouveau, tenez-moi
au courânt. »

Jean comprit que l'Israélien riavait pas envie de prolon-


ger la conversation. Il devait même s'être fait remonter les
bretelles par son supérieur. Son timbre de voix imposait
désormais une plus grande distance que lors de l'entretien
qu'ils avaient eu à I'hôtel à Limoux.
Il fallait que les frères de le Logia Senetum se débrouil-
lent pour tenter d'identifier les deux hommes qui avaient
rendu visite à Firmin Magnan, à Rennes-le-Château, sans
tenir compte de l'aide, de plus en plus hypothétique, des
deux agents du Mossad.

79
LOGGIA SECREI'UM

n M'evez-vous dit tout ce que vous pouvez me dire ?


- Le journaliste est bien renseigné. Nous avons bien qua-
tre hommes qui faisaient des fouilles dans des grottes entre
Rennes-les-Bains et Rennes-le-Château. Nous n'étions là
que pour surveillance et protection de ce groupe. Nous
avons même fait acheter à un habitant de Montazels, un
ouvrier agricole d'origine italienne, un champ et une vigne
ayant appartenu à la famille Saunière. Des anciens du vil-
lage disaient qu'une partie du trésor de I'abbé était cachée
là. Notre homme a fait des fouilles, avec son fils. Il est des-
cendu à une dizaine de mètres, fait même venir un radies-
thésiste, sans résultats. Il a gagné le champ et la vigne que
nous avons achetés à son nom. Nous avons également fait
faire des sondages, le plus discrètement possible, proche du
château de Puivert. Dans les années cinquante, un homme
aurait trouvé un agneau en or. Là aussi sans succès. Mais
nous voulions vérifier certaines choses.
- Lun d'entre vous fume-t-il des cigarettes de marque
Camel?
- Pas à ma connaissance. Pourquoi ?
- Il y avait un paquet de Camel froissé dans la grotte.
Ce ne sont donc pas vos hommes, qui ont tagué les ins-
criptions de la grotte de la Madeleine ?
- Non. Ils ont découvert cela et m'ont fait un rapport
circonstancié, ayec photos et films. Nous cherchons qui
peuvent être ces gens qui ont signé P S. Peut-être le Prieuré
de Sion ?
- Nous y avons aussi pensé, répondit Jean. C'est la pre-
mière idée qui nous a effieurés. Nous allons tâcher de ré-
pondre à cette question. »
Peu après avoir raccroché, Jean convoqua les treize mem-
bres de la Logia Secretum à Paris, sous quarante-huit heures.
Lactualité bousculait le temps.
CHAPITRE IX

La rue Cadet grouillait de parisiens du quartier, venus


faire leurs courses au marché toujours aussi coloré. Les étals
de fruits remarquablement rangés, et les appels des mar-
chands des quatre saisons donnaient toujours envie de s'ar-
rêter devant quelques chariots.
Avant de pénétrer au 16 de la rue, siège du Grand Orient
de France, Jean des Sauzils en compagnie de Paullus et de
Max, s'attarda devant le bistrot faisant face à la façade de
métal et de verre de l'obédience. Jeune maçon, c'est au pre-
mier étage de ce restaurant qu'il retrouvait le noyau de sa
loge, après la tenue, afin d'échapper à l'ambiance, parfois
un peu lourde et enfumée, du bar du siège.
À proximité, l'Hôtel de Hollande avait accueilli le jeune
provincial monté à Paris. Jean, ne vivant, au début de sa
carrière, que de maigres piges dans Combat, Phnète, et un
journal de cinéma, gardait souvent I'hôtel la nuit tandis que
sa jeune épouse préparait les petits-déjeuners aux clients.
Cela réduisait considérablement la facture mensuelle de la
chambre...
Un ami Conseiller de l'Ordre du GODF, correspondant
dela Loggia Secretum s'était arrangé pour obtenir un tem-
ple dans l'ancien hôtel particulier du prince Murat, dont la
remarquable grille en fer forgé orne toujours un mur de la
salle du Conseil de l'Ordre, at 4e érage de la vénérable mai-
rorr. Ét"rrt donné le peu d'occupation des temples en début
d'après-midi par les loges parisiennes, cela avait été facile.
Il lui avait même donné les mots de passe, qu'il avait trans-
mis aux eutres membres de la Loge.

8l
LOGGIA SECREI'UM

Depuis quelques années, on entrait moins facilement, et


le concierge, dans sa cellule vitrée, à gauche, au rez-de-
chaussée, sous l'æil des gardiens, n'allait pas manquer de
leur demander ces mots ou leur carte d'identité maçon-
nique. Que la plupart n'avaient pas depuis leur démission
des loges de l'obédience.
n Voltaire-Veru ,. Décidément, les conseillers n'avaient
rien changé dans le mode de sélection des mots de passe. Il
connaissait bien. Tiop bien même. S'il avait démissionné
du GODF depuis plusieurs années, Jean n'en gardait pas
moins un brin de nostalgie. On ne passe pas plusieurs années
dans une obédience sans garder quelques bons souvenirs d'ex-
cellents frères rencontrés au cours du cursus maçonnique.
Jean avait occupé le poste de Grand Maître Adjoint. Mem-
bre du Grand Collège des Rites, il avait eu des responsabi-
lités dans les Hauts grades. Mais petit à petit, l'obédience
avait changé. Quelques responsables, à force de vouloir flat-
ter à tout prix leur ego par le biais de médias et plateaux
d'émissions télé où le ridicule et la flagornerie bombent le
torse de l'audimat au mépris de l'intelligence, ont aban-
donné Ie but initial de la maçonnerie, et préféré une course
aux admissions afin de faire rentrer les cotisations néces-
saires à leurs ambitions. Déjà, lors de la chute du mur de
Berlin, les obédiences françaises et européennes, se livraient
à une compétition grotesque, pour s'installer dans les pays
libérés du joug soviétique. Sous I'impulsion de quelques
grands ofÊciers, le GODF s'était précipité afin d'initier ra-
pidement des profanes pour constiruer des Loges.
D'une fournée et en une seule journée, on donnait les trois
grades bleus (apprenti, compagnon et maître) à ces individus.
Cela avait été un choix. Mais il y avait plus de n mafieux ,
hiérarques d'un système pervers, et anciens des services se-
crets du KGB intéressés par l'argent ou les rôeaux et peu par
la maçonnerie, que d'hommes sincères. Hélas, pendant ce
temps, et pour cause d'incompatibilité entre deux grands
maîtres successifs, la Fondation du Grand Orient de France,

82
LOGGTA SECREfUM

outil remarquable pour intervenir en certains endroits du


monde a6n de lutter contre la misère, créer des dispensaires,
écoles d'inÊrmières et autres, délaissait l'Afrique au pro6t de
la maçonnerie anglo-saxonne. Et surtout américaine, qui en-
traînait dans son sillage les agents de la CIA avec les consé-
quences que l'on connaît sur la géopolitique africaine.
Jean s'était aperçu, avec quelques autres maçons, que
dans une telle structure, il était impossible de faire changer
quoi que ce soit. Une tentative de refondation, avec d'an-
ciens grands maîtres notamment, n'avait pas abouti et
I'obédience, comme l'écrivait un frère, s'adonnait n dans
un maelstrôm clubiste à l'activisme politico-mondain2s ,,
voire affairiste, oir l'initiation qui est le but majeur de la
maçonnerie en permettant à I'homme de se construire de
I'intérieur ne tient qu'une place mineure, très loin de ses
promesses. On en avait l'illustration avec le grand écart po-
litique d'un ancien et très médiatique Grand-Maître, passé
de conseiller d'un hiérarque socialiste au service du nou-
veau présid€nt de la République. Maçonnerie business.
Depuis quelques années d'ailleurs, pour un pauvre pou-
voir virtuel, c'était la foire d'empoigne au moment des élec-
tions du grand maître et de son bureau, qui se préparent
comme un congrès de parti politique. Faisant la u une , des
médias qui se délectent de combats fratricides et autres me-
gouilles fomentées par les clans. La transmission n'est plus
assurée. Formatage et marketing politico-maçonnique sont
à l'ordre du jour. La maçonnerie obédientielle, s'est au-
jourd'hui fourvoyée au niveau du projet. Abandonnant le
chantier, elle ne fait que suivre une société en fin de rycle,
ne lui donnant pas des clés pour un avenir oir I'homme re-
trouverait tout simplement sa place.
Plus grave : tous ces gens, installés dans une forme de
pouvoiç souvent de bonne foi au départ, répétant sans cesse
dans leur rituel la devise de la République, ont instauré
dans leur association, une justice interne n suprême ,, s'il
vous plaît, qui est en fait un instrument aux mains des

83
LOCGIA SECREI'UM

grands oftciers de I'Ordre qu'elle sert servilement, pour se


débarrasser de ceux qui ne sont plus dans la ligne et qu'elle
n hérétise ,. Ou de ceux estimés trop dangereux pour quelque
ambitieux arteint du prurit de o cordonite aiguë ».
Finalement cela se pâsse un peu comme au Vatican en-
vers ceux qui s'éloignent du dogme. Au GODF, par exem-
ple, on n'hésite pas à exclure des frères deux ans après leur
démission. Mais ceux qui intentent un procès n au civil ,,
c'est-à-dire dans le monde dit o profane » sont réintégrés.
Pas de vâgue et... silence. Ce serait risible si cette institurion
qui dit défendre urbi et orbi les valeurs de la République ne
se comportait pas, à cause de quelques individus malfai-
sants, comme la Sainte Inquisition, ne donnant même pas
au justiciable maçon les droits essentiels que confère l'insti-
tution républicaine en matière judiciaire. Cela reste révélateur
d'un profond hiatus, conséquence d'un recrutement tous
azimuts pour une simple question de pouvoir et de fric. Et
de l'aveuglement coupable ou complice de certains diri-
geants maçons... Un vrai gâchis ! Car il y a des membres de
grande valeur encore attachés à une éthique maçonnique
loin des affairistes bafouant la simple loi morale.

Jean dédaigna l'ascenseur et se dirigea vers l'escalier, non


sans s'arrêter devant une phrase en lettre d'or sur le mur de
marbre blanc: « Si tu difÊres de moi, frère, loin de me léser,
tu m'enrichis ,. Signé Saint-Exupéry.
Vous voyez cette phrase. Des générations de francs-ma-
n

çons du Grand Orient, croient dur comme fer que si on I'a


inscrite ici, un jour, c'est que Saint-Ex était franc-maçon.
Malheureusement, c'est faux. Tout comme la phrase qu'il
lui est attribué. Lauteur du Petit Prince n'a jamais écrit cela.
Mais une autre phrase, qui n'a plus du tout le même sens:
"Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente" tirée de
"Lettre à un otage". LJne fois de plus inexactitude, voire
mensonge, devient réalité pour une grande majorité. C'est
ainsi qu'on fait l'histoire. C'est pareil pour la maçonnerie :

84
LOGGI.A SECRETUM

les historiens "maison" auront toujours raison, car ceux qui


choisissent d'autres voies ou quittent la maçonnerie, res-
tent discrets. C'est un choix. Nous avons peut-être tort vis-
à-vis des générations futures... ,
On avait attribué au petit groupe, sous le nom d'une fra-
ternelle maçonnique, un ancien tmple, dans le vieux bâ-
timent donnant sur la rue Saulnier. Et c'était très bien ainsi
puisque, avant tout, la discrétion était de mise. [rs membres
amendaient dans les parvis. Lintérieur du Temple avait été
décoré au Rite Écossais Ancien et Accepté. Réunis en Su-
prême Conseil, les frères allaient travailler au 33'degré.
Le tmple était tendu de pourpre. Des squelettes, tête et
os en sautoir, avec des mains peintes sur les tentures. Au-
dessus du Tiès Puissant Souverain Grand Commandeur
était placé un transparent avec un triangle ayant en son cen-
tre u l'Iod ,, initiale du nom ineffable. Au centre de la pièce
un piédestal triangulaire était couvert d'un tapis cramoisi
portant, ouvert, le Livre de la Loi Sacrée avec une épée
flamboyante hors fourreau, en travers. Au nord, un sque-
lette debout tenait de la main gauche un drapeau blanc, et
un poignard dans sa main droite, comme s'il allait frapper.
Sur le linteau intérieur de la porte d'entrée du Temple, une
écharpe bleue avec la devise du 33' degré: ,, Deus meumque
jzs, (Dieu Et mon Droit). Jean avait demandé à Claudio
Bardi, Grand Commandeur d'Italie, de présider ce Su-
prême Conseil.
Tous les postes d'oftciers étant occupés, Claudio Bardi
ouvrit les travaux:
« Souverain Lieutenant Commandeul quel âge avez-vous?
- Tiente-trois ans accomplis, Tiès Puissant Souverain.
- Qu.l est votre emploi ?

- De combaffre pour Dieu et mes droits et d'infliger la


vengeence aux traîtres.
- Quelle heure est-il ?
* Le mot d'ordre est donné, les gardes sont à leurs postes
et nous sommes en parfaite sûreté. ,

85
LOGGIA SECRE'I'UM

Le Tiès Puissant Souverain Commandeur dit alors:


n Puisque nous ne craignons pas d'être interrompus,
donnez avis par les nombres mystérieux que le Suprême
Conseil du 33' degré va s'ouvrir à la gloire du Grand Ar-
chitecte de I'Univers et de la Maçonnerie LJniverselle ; que
nous pouvons nous occuper avec assurance de notre entre-
prise et solliciter le Grand Architecte de I'Univers pour
nous aider et assister dans nos combats et enfin, obtenir la
justice de nos droits et devoirs. »
Il frappa ensuite les coups par 5,3,l, et2 avec le pom-
meau de son épée, que le Souverain Lieutenant Comman-
deur répéta, âvant de réciter la n prière » avec tous les
Grands Inspecteurs généraux.
Après l'instruction du grade, qui indique que l'Ordre et
son autorité sont fondés sur la justice et l'équité et que la
cérémonie rappelle le massacre u de nos ancêtres par Phi-
lippe le Bel qui les livra à un cruel supplice ,, on apprend
que ce grade a été créé par o l'illustre frère Frédéric, roi de
Prusse, dans le dessein d'apaiser notre haine et de régler nos
démarches contre les Chevaliers de Malte ,. Ces derniers,
après la destruction de I'Ordre du Têmple par Philippe le
Bel, de concert avec le pape Clément V, ont reçu les riches
possessions du Temple. Ils s'appelaient elors Chevaliers de
saint Jean de Jérusalem.
Le chandelier à cinq branches, à l'orient, celui à trois
branches à l'occident, à une branche au septentrion et à
deux branches au midi, composent le chiffre 5312, année
maçonnique dans laquelle l'ordre du Temple fut détruit et
dont les porteurs de ce grade seraient, symboliquement, les
descendants. La couleur blanche des sautoirs est n l'emblème
de la pureté et de l'innocence de ceux qui furent livrés au
supplice, et le rouge des décors celui du sang de ceux qui
furent victimes du roi Philippe et du pape Clément V r.

Après l'ouverture des travaLrx, tous les membres de la Loge


Secrète purent s'exprimer et parler des résultats de leurs in-

86
LOGGIA SECREI'UM

vestigations, après que Jean des Sauzils eut fait un résumé


de la situation.
u Vous sevez que le couple des agents du Mossad est grillé

après un article paru dans la presse. Mais j'ai eu l'affirma-


tion que les agents israéliens ne sont absolument en rien
responsables de l'accident de notre frère Alain Salmon. Je
dois voir Gérard Rossi, ce soir. Il ne semble pas que I'en-
quête ofEcielle avance rapidement. Nous avons rendez-vous
au restaurant "Les Diamantaires", rue La Fayette. Max et
Claudio m'accompagneront. Je dois lui remettre les pho-
tocopies des parchemins que devait lui passer Alain. Ils
sont, surtout l'un d'entre eux, assez délabrés. J'espère qu il
pourra en tirer quelque chose... ,
Pierre fit un rapide compte rendu de son entrevue evec
|ohn, à Londres:
n Il viendra en France passer une dizaine de jours le mois
prochain. Nous irons ensemble chez Firmin Magnan, àJaÊ
fus. Ses perents sont décédés dans un accident de voiture
proche de Sacramento quand il était adolescent. C'est son
grand-père Jean-Baptiste qui I'a élevé, d'otr son attachement
pour la Haute-Vallée de I'Aude dont il connaît parfaitement
l'histoire. Je l'ai invité à passer quelques jours à Cassis, nous
pourrons nous y retrouver, du moins ceux qui seront dis-
ponibles. Par ailleurs, je vous signale qu il appartient à la
Grande Loge de Californie et qu il est très intéressé par nos
recherches, surtout depuis l'épisode de RennesJe-Château.
Il souhaite devenir l'un de nos correspondants aux États-Unis.
Plus important: les photos qu'il a prises dans la grotte
de la Madeleine à Rennes, laissent deviner une écriture se
rapprochant d'une forme d'araméen parlé par les Esséniens.
Selon John, qui s'est adressé à un expert américain, la gra-
phie est la même que sur certains manuscrits de Qumrân.
Ce qui nous ramène, une fois de plus vers nos recherches
sur Marie-Madeleine.
Nous savons tous que les Esséniens sont les membres
d'une communauté judaïque qui s'est créée au II'siècle

87
LOGGIA SECRE'I'UM

avant J.-C., sur les rives de la Mer Morte. Grâce aux écrirs
sur cuir et des papyrus découverts en 1947 et aux rouleaux
de cuivre trouvés en 1952, dans les grottes de Qumrân, à
13 kilomètres au sud de Jéricho, on connaît un peu mieux
leur vie. Et l'on ne peut que s'interroger sur une ressem-
blance de leur mode d'existence avec celui des Parfaits ca-
thares. Comme les Esséniens, nos anciens Parfaits renonçaient
aux plaisirs terrestres pour une vie ascétique. Ils prônaient
le célibat, ne mangeaient pas de viande, sauf du poisson,
étaient adeptes d'une pureté rituelle retrouvée. Il y a des si-
militudes troublantes entre ces deux doctrines.
Dans les années 44 avantJ.-C., un nommé Ménahem,
asmonéen26, un homme de lignée d'une famille sacerdotale
juive d'Asmon, descendant deJudas Macchabée, fonde une
secte: les Nazôréens, d'oir la confusion avec Jésus dit de
Nazareth, ville n'existant pas à sa naissance. Ces Nazôréens
prônent la révolte contre les Romains qui occupent Jérusa-
lem. Au cours de ces révoltes, Jacques, le frère de Jean, est
décapité par les occupants. Ce Jacques n'est autre que le fils
"spirituel" de Zébédée, un personnage important appelé
Simon le Zélore. Pour ve nger Jacques, Simon le Zéloæ fait
empoisonner Hérode-Agrippa et est obligé de fuir. Proche
du Zélote, Marie de Magdala, qui est la sæur d'Eléazar, le
"Lazare ressuscité" est e n danger et s'enfuit e n Gaule avec
son frère, qui deviendra le premier évêque de Marseille et
dont on peut voir une statue en l'abbaye de Saint-Victor.
Leur sæur Marthe, Sarah, Marie Jacobée et le fameux Jo-
seph d'Arimathie sont du voyage dont la traversée aurait
pris fin du côté des Saintes-Maries-de-la-Mer. C'esc Lazare,
selon la légende, qui aurait donné une sépulture religieuse
à Marie-Madeleine.
Nous savons aussi que Jésus ne serait pas resté longtemps
avec les Esséniens à Qumrân: leur vie était bien trop stricte
pour lui. Rennes-le-Château, comme nombre d'indices le
laissent penser, aurait-il été l'un des refuges de Marie-Ma-
deleine ? C'est fort possible et même probable. Et nous ne

88
LOGGIA SECREI'UM

sommes pas loin de notre but si l'on tient pour vérité,


«lmme malheureusement l'actualité nous le démontre, que
nos recherches gênent beaucoup de monde. Qui ? Nous
avons tous nos petites idées. Que le Vatican soit quelque
pert en embuscade ne nous surprendrait guère.
Les catholiques romains ont, de tout temps, lutté avec
une rare violence contre tout ce qui pouvait remettre en Gruse
leur dogme et contre toute gnose. Ils ont brûlé les écrits et
autres évangiles qui ne leur convenaient pas pour conserver
les canoniques, à la base du dogme. N'oubliez pas que les
Cathares, tout comme les Têmpliers, presque à la même
époque, ont été cruellement exterminés. Ou presque. Nous
slurons prochainement avec certiude si l'Église est toujours
celle de la Sainte Inquisition. Personnellement, malgré des
dehors beaucoup plus consensuels et æcuménistes, et au
prix d'un marketing et d'une communication très soft, je
ne le crois pas du tout. Pour elle, les enjeux sont bien trop
importants. Et la renaissance de groupes ultra-radicaux,
voire sectaires au sein de l'Église catholique, que I'on voit
sordr du bois dès quun film, comme La dzrnière tentation
du Christ de Scorcese, ou un livre déplaît à ces messieurs,
paraît me donner raison. Ces gens-là n hésitent pas sur les
moyens à employer. Il ny a aucune diftrence entre les in-
tégristes, de quelque religion qu ils soient. Ils se nourrissent
tous à Ia même mamelle de l'intolérance et du prosélytisme.
Je suis de plus en plus persuadé que nous sommes sur la
bonne voie, dit Jean. Nous savons qu il existe à Rennes-le-
Château, sous l'église Sainte Madeleine, une crypte. Plu-
sieurs études I'indiquent. Non seulement on le trouve dans
certains écrits du XIX'siècle, mais dans les années soixante,
des géologues italiens sont arrivés à ces conclusions. Après
étude scientifique du sous-sol, il existerait à une dizaine de
mètres sous terre, une crypte assez importante dont le fond
serait recouvert d'eau.
Je peux même vous révéler aujourd'hui, qu'en 2001, un
très discret groupe italo-américain a procédé avec un ma-

89
LOGGIA SECRE'I'UM

tériel sophistiqué à des sondages secrets. Léglise a dû rester


fermée quelques jours. Deux sarcophages du I\Æ ec \É siècles
avantJ.-C. ont été découverm. Aujourd'hui, la municipalité
a passé un contrat avec une équipe américaine, ulua équipée,
qui viendra procéder à ces recherches, en échange de l'ex-
clusivité des découvertes. De même un excellent chercheur
belge, architecte, est arrivé aux mêmes conclusions. Que
réserve I'exploration de cette crypte ? Est-ce le tombeau du
dernier descendant des rois mérovingiens ? Celui où repo-
serait Marie-Madeleine ? Les hypothèses sont multiples.
Par ailleurs, Bernard Pol souhaiterait nous conduire aux
Saintes-Maries-de-la-Mer et nous parler de Sarah, de la
Vierge Noire et du culte d'Isis. Pour lui, il y a un lien entre
Sarah, mais aussi Isis et le pèlerinage des Gitans qui, je vous
le rappelle, sont aussi des Gypsies, ou venant d'Égypte ... Il
faudra se rapprocher de notre ami Poirier, correspondant à
Agde, spécialiste des Saintes-Maries.
Quant aux Vierges Noires, il faudrait que deux ou trois
d'entre vous se préoccupent de celle de Notre-Dame de
Marceille2T, ou plutôt des histoires et surtout des légendes
qui vont avec, et savoir pourquoi les Lazaristes ont été qua-
siment e n permanence sur ce belvédère limouxin. Y aurait-
il un lien avecLazare, premier évêque de Marseille? Et dans
ce cas le lien serait-il encore Marie-Madeleine ? Il faudrait
également fouiller du côré du janséniste Nicolas Pavillon,
l'évêque d'Alet. Il y a peut-être des choses intéressantes à
apprendre de ce côté-là également.
- Si vous le permettez, je peux m'en occuper avec Guy
Mone, dit Max. Un troisième, si possible de la région de la
région, peut se joindre à nous.
- Je participerai, dit José Vigilcas.
- Le plus urgent, reprit Jean, puisque nous avons aban-
donné la piste "Prieuré de Sion', est la recherche de la si-
gniÊcation de la signature des tags dans la grotte. Que
chacun, avec l'aide de tous les correspondants, y compris à
l'étranger, se partage le travail. Il faut relever tout ce qui

90
LOGGIA SECRETUM

touche Rennes, les associations ou sectes néotemplières,


néocathares, religieuses ou non, maçonniques ou non éso-
tériques ou pes, qui ont, quelque part, un 'P S." signalé. Y
compris tout ce que peuvent produire les illuminés qui
hantent ces lieux. Aujourd'hui, ou hier. Je sais, c'est un vasre
domaine de recherches, mais si nous y arrivons, nous aurons
avancé plus qu en six années. Il est évident que quelques-uns,
que nous riavons pas encore identi6és, mettront tout dans
la balance aÊn de nous empêcher d'atteindre notre but. Je
dois communiquer, à chacun d'entre vous, selon la forme
accoutumée quelques informations très conÊdentielles.
- Bien, dit Claudio. Que les Grands Inspecteurs vien-
nent se placer au centre, autour du piédestal, pour com-
munication. »
Quand cela fut fait:
n Je pense que nos amis de Marseille devraient étudier
I'hypothèse Marie-Madeleine à la Sainte-Baume, y com-
pris pour le "P. S.", qu'ils nous adressent leur conclusion et
qu'ensuite, nous nous retrouvions avec Bernard Pol aux
Saintes-Maries-deJa-Mer. De mon côté, j'irai voir une de
mes relations à la Curie romaine, un cardinal à qui mon
père a rendu d'importants services. Je ne sais pas si cela
nous sera d'une grande utilité, mais j'essaierai de le sonder.
Et je mettrai en recherche certains frères de la Grande Loge
Nationale d'Italie. Si vous avez des déplacements aériens
rapides à faire, je peux être à votre disposition à condition
que vous me préveniez 48 heures âvant. Tout comme Al-
bert Paullus qui me I'a conÊrmé avant nos travaux.
- À propor, intervint Paul Bousquet, Bernard Pol est de
plus en plus intéressé et intéressant. Je me demande même
si nous ne pourrions pas le proposer à I'initiation dans une
de nos loges. Compte tenu de ses choix catholiques on
pourrait le faire visiter par le Vénérable de la Loge du Rite
Écossais Rectifié28. Êtes-rous d'accord ? ,
Claudio mit la proposition aux voix. Lunanimité s'étant
faite, il fut décidé que Paul présenterait Bernard Pol à Yves,

9l
LOGGIA SECRE'TUM

Vénérable de la Loge Marseillaise du Rite Écossais Rectifié


qui déciderait de la suite à donner. Ijancien prêtre, s'il était
initié, pourrait ensuite rejoindre les correspondants de la
Loggia Secretum.
Après quelques autres interventions sur la distribution
des tâches pour chaque membre de la loge secrète, et la façon
dont il fallait communiquer chacune des investigations, ou
conclusion d'enquête, le Tiès Puissant Souverain Grand
Commandeur, s'apprêta à clôturer les travaux.
n Très Illustres Inspecteurs, quel âge avez-vous ?

- Tente-trois ans accomplis, Tiès Puissant Souverain.


- Qu.l est votre emploi ?
- Combattre pour Dieu et mes droits et infliger la pu-
nition aux traîtres.
- Quelle heure est-il ?
- Leffulgence du soleil du matin illumine notre Conseil.
- Puisque le soleil s'est levé pour ifluminer le monde,
levons-nous mes Frères pour répandre dans I'esprit de ceux
qui sont dans les ténèbres, l'effulgence de la lumière ma-
çonnique et pour être un exemple de vertu au monde. An-
noncez que, par les nombres mystérieux, je vais fermer ce
Conseil. ,
Il fut ensuite procédé comme il se doit.
CHAPITRE X

Myriam Lévi était plutôt jolie fille. Pas celle, aguichante,


qui attire les regards masculins sur son passage. Brune, lé-
gèrement typée,les pommettes hautes et le regard sombre
des filles du Néguev, elle avait dans sa démarche feline une
façon d'avertir d'emblée ceux qui se risqueraient à I'im-
portuner. Sous ses vêtements, on devinait un corps libre,
quasi parfait, qui trahissait la sportive accomplie. Son re-
gard pouvait devenir aussi dur qu'il pouvait être séducteur,
au gré des circonstances.
Son collègue et amant, Nathan Siruk, n'avait jamais pu
s'attacher complètement Myriam qui était, avant tout, une
fille libre, devenue agent secret plus par goût de l'action
que par sionisme militant.
Elle se retrouvait à Orly-Ouest, débarquant de la navette
AirFrance en provenance de Toulouse oir elle avait suivi
l'homme aux cheveux gris, toujours vêtu d'un costume
foncé et un autre, bien plus jeune, dont elle avait une
photo. Myriam avait noté que les deux hommes ne s'étaient
pas assis côte à côte dans I'avion. Et que le plus jeune, cer-
tainement un professionnel, semblait être en couverture du
plus âgé. Sa façon d'observer, d'un æil rapide, l'environne-
ment de l'homme en costume gris, trahissait, pour un æil
everti, sa mission. Il avait le rype plutôt latin, méridional.
Son visage sans expression et des yeux d'acier n'incitaient
guère à la communication. Il avait une tête de cobra prêt à
mordre. Sans être n profileur r, Myriam se dit que cet homme
était très dangereux.
Lattaché culturel de l'ambassade d'Israël à Paris, qui
n était autre que le responsable des agents secrets, le chef

93
LOGGIA SECRÈTUM

d'anrenne du Mossad en France, vint l'accueillir à la des-


cente de l'escalator. Deux agents prendraient en filature les
deux hommes et se mettraient à la disposition de Myriam
durant sa mission parisienne.
Après un déjeuner avec l'attaché dans un restaurant ca-
sher de la rue du Faubourg Montmartre, Myriam regagna
l'hôtel Mercure du passage Jeauffroy, où une chambre lui
avait été réservée. Elle se rendit ensuite rue de Châteaudun
où l'attendaient les agents ayant suivi les deux passagers.
u Nous riavons suivi que le plus âgé. Ilvient d'enuer dans
l'église de Notre-Dame de l,orette. Ils ont pris le même taxi à
Orly. tr plus jeune est descendu dans un hôtel de la Cité Ber-
gère. Voilà son nom et l'adresse, dit I'agent en tendant un pa-
pier à Myriam. [æ plus âgé, qui semble être un ecclésiastique,
est descendu d'abord au n" 6, rue Jean Nicor, dans le 7' ar-
rondissement. Il avait rendez-vous à la Société de patrimoine
éducatifet culturel, la SOPEC, donr le gérant riest autre que
le porte-parole pour la France, de la prélature de I'Opus
Dei2e. Il est ensuite allé déjeuner avec un autre individu, plus
jeune, dans un restaurant du quartier. Vous aurez rapport et
photos plus tard. Et une voiture de la Société l'a conduit en-
suite jusqu'à cette église. Nous avons quelqu'un à l'intérieur.
- Vous pourrez me faire une petite note sur l'Opus Dei,
evec son implication et son développement dans la polidque
et l'économie française ?
- Vous aurez cela en 6n d'après-midi à votre hôtel.
- Si vous le souhaitez, restez en planque dans la voiture.
Je vais à l'intérieur de la basilique. S'il y a rencontre avec
quelqu un on vous prévient. ,
Myriam s'attarda à contempler la façade de Notre-Dame
de Lorette, inspirée d'une basilique romane, construite sur
l'emplacement d'une chapelle érigée en 1645. Elle admira
son portail, de sryle corinthien et le fronton rriangulaire,
imposant, où sont perchées trois statues. En levant la tête,
elle s'aperçut que la basilique du Sacré-cæur de Montmar-
tre, était quasiment dans le prolongement de Notre-Dame

94
LOGGIA SECRETUM

de Lorette. Ce n était certes pas la première fois qu'elle ve-


nait à Paris. Et cette ville, comme toujours, la fascinait.
Une femme âgée, s'approcha de la voiture en marmon-
nant. Myriam se tint sur ses gardes. La vieille femme ouvrit
un sac. Myriam se raidit. La femme âgée lança alors des
graines à la volée qu une nuée de pigeons vint aussitôt pi-
corer, laissant le üottoir vierge de graines, mais non de
6entes. Myriam s'en voulut d'être aussi tendue. Mais n était-
ce pas ce qui lui avait permis, après des missions dange-
reuses, d'être toujours là? Que venait donc faire l'homme en
gris dans cette église ? Avait-il rendez-vous ? Avec qui ?
À l'intérieur, après avoir passé quelques minutes en
prière, I'homme en gris se leva, fit le tour des bas-côtés
avant d'aller jusqu au chæur en hémicycle.
Si les agents israéliens avaient pu le suivre de plus près,
ils auraient constaté que l'homme s'arrêtait devant n La
consolation de la veuve et l'orphelin ,,, ... Le baiser de paix ,
et autres modfs chargés de symboles forts, représentés dans
les ornements des pendendfs. Il s'attarda plus longuement
devant le tableau de la Cène, peint au-dessus de la porte de
[a sacristie, dû à Périn, et des « Litanies de la Verge , d'Or-
sel, à forte signification u nazôréenne ,.
n Attention, l'homme va sortir », prévint une voix nasil-

larde dans l'oreillette de Myriam. Lagent qui l'avait attendu


à l'extérieur de l'église, sortit le premier et monta dans la
voiture. Peu de temps après, l'homme en gris s'arrêta sur le
parvis et se servit de son portable. n Ou il attend quelqu'un,
ou une voiture, dit l'agent. Je préviens mon collègue afin
qu il se fasse envoyer un autre véhicule; s'il y a filature, nous
en aurons besoin. ,
Une bonne dizaine de minutes plus tard, une Audi noire
avec chauffeur, vint se ranger à proximité de l'église. Lhomme
y monta et la voiture disparut dans le flot de la circulation,
suivie par celle des agents du Mossad.
« Ariel, tu es à l'écoute ?

- Afirmatif ,

95
LOGGTA SECREI'UM

IJagent expliqua ce qui se passait et demanda d'envoyer


immédiatement au service la photo de l'homme en gris
pour identi6cation.
n Je ne sais pas où il nous conduit. J'ai l'impression qu'on

va vers la Concorde. Reste à l'écoute, nous ferons un point


radio toutes les cinq minutes. Et si tu as quelque chose
concernânt notre homme, tu nous le balances. ,
LAudi ne se dirigea pas vers la Concorde, mais par la rue
fuchelieu et les guichets du Louvre, traversa la Seine pour
aller vers le Quartier Latin. La voiture s'arrêta à I'angle de
la rue de Rennes et du boulevard Saint-Germain. Lhomme
en gris en descendit et alla vers une cabine publique d'où
il téléphona un bon moment. Les deux agents israéliens ne
pouvaient s'arrêter à quelques mètres sans éveiller l'atten-
tion. Leur voiture continua, très lentement, sur la rue de
Rennes, vers le boulevard Raspail. Myriam descendit pour
faire un petit lèche-vitrines devant un magasin de fringues,
tout en regardanr si l'Audi ne passait pas dans le refler de la
vitrine, tandis que l'agent garait la voiture à moitié sur le
trottoir. Ils ne pourraient rester bien longtemps dans cette
position et étaient à la merci de la première voiture de po-
lice passant dans le secteur. Ce qui aurait attiré I'attention.
Myriam commençait à s'impatienter et regagna le véhicule.
Lagent était en train de communiquer avec son collègue.
n Ariel, tu es où ?

- À .rn. soixantaine de mètres de ['Audi. Le rype télé-


phone toujours et prend des notes sur un papier. Je I'ai pile
poil dans mon télé. Je prends le relais, dégagez de votre po-
sition et je vous contacte dès qu'il redémarre . Je lui ferai un
bout de conduite et vous recollerez ensuite. ,
Simon et Myriam s'engagèrent dans la rue de Rennes,
sur le boulevard Raspail. Ils tournèrent à droite sur le
Montparnasse, attendant des nouvelles d'Ariel.
n C'est pas possible, il l'a perdu, dit Simon après une
vingtaine de minutes de balade autour de Montparnasse.
J'ai envie d'aller planquer rue Nicot.

96
LOGGIA SECRE1'UM

- Ici Ariel, ici Ariel, l'Audi prend I'autoroute A 106 en


direction d'Orly.
- On commençait à trouver le temps long. On rapplique.
- Pour I'instant, ça baigne, je ne suis pas repéré. Mais le
chauffeur jette de nombreux coups d'æil dans le rétro. Ces
rypes sont méfiants.
- On prévient notre antenne à Orly?
- Attends... Non ! Il prend l'autoroute A6 en direction
d'Évry et Lyon.
- On suit toujours.
- Attention, nouveau changement de direction. Vers
I'410 en direction de Palaiseau-Étrttp..... Restez à
l'écoute en permanence, ça va très vite... Il prend la sortie 5
et... entre dans Palaiseau... »
Quelques instants plus tard:
u Merde, on va être bloqués, il se dirige vers le Commis-
sariat à l'Énergie Atomique.
- Décroche, on prend le relais. Je cherche un coin où
planquer. ,
Myriam et Simon rt'eurent que peu de temps à attendre.
Un quart d'heure après, l'Audi sortait du CEA avec une
troisième personne à bord. La voiture sortit de Saclay prit
la départementale 36 en direction de GiÊsur-Yvette, puis la
D108 et se dirigea vers le Centre d'Études Atomiques.
o Alors là, je ne saisis plus. Que vient faire un curé là-
dedans ? On est loin de votre histoire dans le Midi ,, dit
Simon à Myriam.
Une heure plus tard, rien n avait bougé quand le vibreur
du minuscule appareil radio 6t entendre son léger bour-
donnement:
« Oui dit Simon.

- C'est Ariel. Nos retapeurs ont fait du bon boulot.


Lhomme s'appelle Luca Ortolani. C'est un évêque romain
appartenant, en principe, à la Congrégation pour la Doc-
trine de la Foi30 mais il passe davantage de temps en voyeges
qu à Rome. On ne pense pas qu'il soit membre de l'Opus

97
LOGGIA SECRETUM

Dei, même s'il en est proche, puisqu'il descend presque


toujours, dans ses voyages en Europe et en Amérique dans
des sociétés écrans ou associations de "l'æuvre" oùr il est ac-
cueilli avec beaucoup d'attention. C'est un spécialiste du
renseignement qui a été à l'école de Paul Marcinkus,
l'homme de Chicago, ancien archevêque de NewYork, vrai
patron de la sécurité au Vatican et des coups tordus, avec
qui il a collaboré à Rome. On le trouve notemment dans
l'équipe Marcinkus à I'lnstitut des CEuvres pour la Reli-
gion (IOR) au moment des scandales financiers du Vati-
can et de l'assassinat à Londres de Roberto Calvi, patron de
la Banque Ambrosiano, qui était, en fait, sous contrôle du
Vatican à travers une §rielle de sociétés basées au Panama
et au Liechtenstein notamment. Il est apparenté à un an-
cien de la Loge P2 qui représentait les intérêts de cette
mafia maçonnique dans le groupe d'édition Rizzoli, ap-
partenant également au Vatican. Il a été plus tard, l'une des
chevilles ouvrières de Jean-Paul II en Pologne oir il a aidé
activement et Ênancièrement Solidarnosc en liaison avec la
CIA. Bref, cet Ortolani n'est pas un enfant de chæur et
possède un sacré dossier.
C'est un homme très culdvé, qui parle quatre langues,
dont le français sans accent. Depuis une paire d'années, il
s'occupe plus particulièrement des mouvements intégristes
au sein de l'Église. Il a multiplié de nombreux contacts avec
ces mouvements. Il est soupçonné d'avoir monté des ré-
seaux parallèles dont cerrains membres militenr dans des
associations anticatholiques pour mieux les surveiller. Notre
antenne de Rome pense que c'est lui le vrai patron mais
n'exclut pas la possibilité qu'il ait un supérieur dans les
hautes sphères du Vatican. En tout cas, il semble avoir des
moyens illimirés er dirige à Rome, dans un hôrel parricu-
lier de la place d'Espagne, un service d'une vingtaine de
personnes, en grande majorité des laïcs. Il a des correspon-
dants, souvent membres de l'Opus Dei, dans différents
pays. Plusieurs obédiences maçonniques, tout comme des

98
LOGGIA SECREI'UM

associations juives sont inGltrées par des gens à lui. Par le


biais d'associations caritatives, ses membres ont tissé une
véritable toile qui permet à Ortolani et à son groupe d'être
les mieux informés du Vatican. Nos services pensent que le
pape couvre ses acdons d'espionnage mais en ignorant la
totalité des actions de ce groupe dont on ne connaît pas le
nom. Les tentatives d'écoutes se sont soldées par un fiasco.
Toutes leurs informations sont chiffrées ainsi que les rap-
ports sécurisés qu'Ortolani a avec Rome quand il est en
voyage. C'est du sérieux.
- Sa visite dans deux centres aussi importants que le
Commissariat à l'énergie atomique et le Centre d'études
atomiques n'en prend que plus d'importance. Je suis surpris
que la DST3I ne s'intéresse pas davantage à ce drôle de pa-
roissien ?

- Qu'est-ce que tu en sais ? S'il faut, ils courent après le


même lièvre que nous... et sont en train de faire ce que
nous faisons.
- Je n ai rien remarqué à ce niveau... Bon ! Maintenant
on sait qui ils sont et où ils vont. Demande au patron s'il
souhaite mettre quelqu'un aux basques d'Ortolani. J'at-
tends la réponse afin d'assurer le relais si nécessaire. ,
Comme il ny avait pas d'urgence, un agent planquerait
devant le 6 de la rue Nicot, à Paris, attendant le retour de
l'Audi.

Simon raccompagna Myriam à son hôtel. Le réception-


niste lui remit une enveloppe qu elle se hâta d'ouvrir une
fois dans sa chambre. Ce n était pas une simple note, mais
une dizaine de feuillets qu'elle pârcourut rapidement.
LOpus Dei, ou l'æuvre de Dieu, fondé en 1928 par
Josemaria Escrivà de Balaguer, prêtre espagnol, est en pre-
mière ligne dans la lutte contre la jeune République es-
pagnole et fidèle soutien du franquism.. À l" mort de
Franco, I'Opus Dei s'exporte en France et dans les Amé-
riques. La Sainte Mafia, comme certains I'appellent, agit

99
LOGGIA SECRETUM

plus comme une secte avide de pouvoir et d'argent, y


compris dans l'Église, au point d'être considérée comme
o une Église dans l'Église ,. Depuis Jean-Paul Ii, l'insti-
tution est une « prélature personnelle , du pape. Ce qui
veut dire qu'elle n'a de compte à rendre à personne, hor-
mis au pape. LOpus Dei a n éliminé , les Jésuites de la di-
rection des affaires de l'Église et compte aujourd'hui plus
de cinquante prélats au sein de I'administration ponti6-
cale. Læuvre approcherait les 100 000 membres dont en-
viron 90 000 laïcs. En France, oir ils sont environ un peu
plus de 3 000, et dans le monde, elle cache son activité
derrière une kyrielle de sociétés et d'associations. Cela va
de centres de jeunes 6lles à I'association des amis du Pro-
fesseur Lejeune (lutte anti-lVG), une association très ac-
tive qui n'a pas hésité à faire des coups de main contre des
médecins ou hôpitaux pratiquant l'avortement. Le pro-
fesseur Lejeune était une relation du précédent couple
présidentiel français. Également père de l'épouse d'Hervé
Gaymard, ministre du gouvernement Chirac, qui a dfi
démissionner après que la presse eut révélé qu'il occupait
un appartement de 600 m2 payé par les contribuables.
LOpus Dei est également, souvent de manière occulte, à
la tête de Sociétés Civiles Immobilières, de maisons d'édi-
tion, de clubs universitaires ou patronaux, de Collèges,
d'associations pour la Promotion de la Fami[e, de la
SOPEC, (Société des patrimoines éducatifs et culturels)
des catholiques pour les Liberrés économiques... ou en-
core de I'ICTUS (lnstitut culturel et technique d'utilité
sociale).
LOpus Dei est bien implanté dans les milieux patro-
naux, dont certains financent ses activités. Læuvre em-
ploie des méthodes parfois scandaleuses, qui sont plutôt
à l'opposé d'un comportement chrétien.
lrs numéraires vivent dans le célibat et la pauvreté: ils
doivent donner tout ce qu ils gagnent à l'Opus qui
cherche, par tous les moyens, à in6ltrer les élites dont elle
peut ensuite se servir pour un prosélytisme de pouvoir.

100
LOGGIA SECRETUM

Chaque membre doit recruter des adepres. On a pu ainsi


voir des ministres de diftrents gouvernements français,
proches de I'Opus, et de grands capitaines d'industrie ha-
bitués du CAC 40 (parfums, sociétés de luxe, consrruc-
teur automobile, groupes d'assurances...) participer aux
n Jeudis de Garnelles ,, dans le 7. arrondissemenr, dont les
débats feraienr dresser les cheveux sur la rête à bien des ci-
toyens s'ils en avaient connaissance. Certains de ces pa-
trons apportenr des parts financières dans des sociétés
opusiennes.
IJOpus Dei a fortemenr soutenu les Républicains In-
dépendants de Giscard d'Estaing er soutienr encore cer-
tains partis politiques, le plus souvenr conservateurs, par
I'intermédiaire de sociétés et de banques, comme la
n Banco Popular F-spafiol ,, l'une des principales banques
très proches de I'Opus. Son implication dans de nom-
breuses opérations immobilières en France, d'abord dans
le sud, ainsi qu'en Andorre est de plus en plus imporrante.
IJOpus gère, indirecremenr, plusieurs centres d'ap-
prentissage, des maisons de retraite et possède des capi-
taux dans nombre d'établissements de soins privés.

LJne note séparée, décrivait l'organisation de I'Opus Dei


âvec un o prélat , à sa tête, nommé à vie, une sorte de
Conseil Général avec secrion masculine er secrion fémi-
nine. Chaque section comprend un délégué par region. Un
préfet des études, un administrateur général et trois vice-se-
crétaires, adjoints au vicaire secrétaire général er un vicaire
auxiliaire. Viennent ensuire les membres laics masculins er
feminins, chacun divisés en rrois groupes: les numéraires,
les surnuméraires er les agrégés. Une hiérarchie très srruc-
turée.
Suivait la description d'un scandale politique français:
l'affaire De Broglie er I'assassinat de ce secréraire d'Étar au
restaurant o la Reine Pédauque » à Paris. De Broglie prési-
dait une société filiale d'une société contrôlée par l'Opus,
basée au Luxembourg qui permettait également le blan-

l0l
LOGGIA SECRETUM

chiment. Ilescroquerie aurait porté sur plus de 70 milliards


de centimes... LJne affaire ayant secoué la République
jusqu'au Palais de l'Élysée après les révélations apportées
par le Canard Enchaîné et jusqu'aux Cortès d'Espagne.
Lenquête sous la direction d'un Ministre de l'Intérieur lui-
même fondateur du mouvement politique de Giscard et de
De Broglie, fut rapidement escamotée. La justice ne trouva
que de pâles comparses à envoyer en prison dont le principal
accusé a nié jusqu'à sa mort être l'instigateur du meurtre.
Venait enfin une liste de noms de patrons français et
d'hommes politiques, membres ou proches de l'Opus Dei,
dont une ministre, ainsi que son siège à Rome: Villa Tê-
vere,73, viale Brono Buozzi.
Rien de bien nouveau sous le soleil, pensa Myriam en
refermant le dossier. Décidément les vieilles démocraties
n'avaient guère de leçons à donner aux républiques bana-
nières.
CHAPITRE XI

o Bienvenue, Monseigneur, dit Robert en se penchant


vers la main que lui tendait Lucas Ortolani aÊn d'embras-
ser la bague de jaspe qui ornait son index droit.
-Je vous présente Robert Lepieux, numéraire au sein de
I'CEuvre et directeur adjoint du Service des rayonnements
avec la matière, dit l'homme du Commissariat à l'Énergie
Atomique. C'est lui qui s'est chargé de la datation au câr-
bone 14 du parchemin que vous nous avez confié.
- Alors ? s'enquit Ortolani.
- Intéressant, répondit Lepieux. Selon notre laboratoire,
ce parchemin date du XIII'siècle. Il aurait été rédigé entre
1220 et 1280. Nous riavons pas obtenu plus de précisions.
Il aurait fallu faire d'autres analyses avec des techniques
comme la dendrochronologie voire la méthode de ther-
moluminescence, par exemple. Mais la datation au carbone
14 est sûre pour ce type d'analyse.
- Depuis la datation du Saint Suaire de Tirrin32, nous
n'accordons que peu d'intérêt au carbone L4 même si,
scienti6quement, nous savons que cette méthode permet
d'obtenir de bons résultats. Mais nous n'avons pas mis nos
réseaux scientifiques en action, avec cette affaire du Saint
Suaire, pour faire ensuite de la publicité au carbone 14.La
science sert trop souvent les intérêts de Satan quand elle
s'oppose à notre sainte mère l'Église.
- Il y a tout de même certaines données intangibles.
C'est une méthode de datation radiométrique basée sur
l'acrivité radiologique du carbone 14 contenu dans les ma-
tières organiques. IJisotope 14 du carbone est le produit

r03
LOGGTA SECREI'UM

d'une interaction de rayons cosmiques avec l'azote dans la


haute atmosphère. Comme il se détruit par désintégration
radioactive, à peu près au même niveau qu'il est produit, on
obtient un certain équilibre qui fait que la concentration du
carbone 14 reste plus ou moins constante au cours du
temps, dans l'air, ainsi que dans les organismes vivants. Une
fois les organismes morts, la concentration en carbone 14
diminue dans ses tissus et permet de dater, par exemple, le
moment de la mort. Pour schématiser, disons que moins
un objet contient de carbone 14, plus il est vieux. Par des
mesures précises on peut connaître la quantité exacte de
carbone 14 dans l'objet à dater et déterminer ensuite
l'époque oùr ont cessé les échanges avec I'atmosphère dans
lequel il se trouve sgus forme de dioxyde de carbone, en
faible mais constente quentité. On obtient une assez bonne
précision pour des pièces organiques n'excédant pas
50000 à 60000 ans, ce qui est le cas pour ce qui nous
concerne. Pour ces parchemins nous...
- Je suis un théologien, non un scientiÊque, coupa Or-
tolani. N'essayez pas de m'expliquer votre méthode. Je ne
comprendrais pas davantage après vos explications et cela
ne m'intéresse pas. Seul le résultat m'importe. ,
Lingénieur s'enfonça un peu plus dans son fauteuil, per-
dant un peu de sa superbe, car si la voix d'Ortolani était
toujours aussi douce, ses yeux n'admettaient point de
controverse.
n Vous savez ce que révèle ce parchemin ? interrogea Or-
tolani.
- J'.t ai parlé avec Pierre, ici même lorsqu'il m'a remis
les pièces à dater.
- Et vous Pierre ? Après certe datation, qu'en pensez-
vous ?

- Je crois que nous sommes en possession d'extraits du


véritable évangile de Jean, de celui que Jésus semblait nom-
mer "mon disciple bien-aimé". D'après certaines légendes,
il aurait été utilisé par les Cathares et donc en leur posses-

104
LOGGIA SECRETUM

sion à Montségur. Cetx qui ne sont pâs morts sur le bûcher


ont raconté aux Inquisiteurs, que des hommes avaient éva-
cué un trésor de la citadelle cathare, vers la Ên du siège. Ces
parchemins en font peut-être partie.
-J'espère que la Logia Seoetum n'a pas eu le temps de
les faire traduire. Avez-vous, I'un ou l'autre, pu traduire les
passages les moins abîmés ?
- Oui, dit Robert Lepieux. Avant mon doctorat en Phy-
sique nucléaire j'ai fait l'École des chartes. J'ai déchiffré
quelques passages.
- Et alors ?
- Si tout cela sort dans le domaine public, vous pourrez
imprimer de nouveaux catéchismes.
- Pourquoi ?

- Il ne fait qu apporter de I'eau au moulin à l'hypothèse,


connue de quelques spécialistes, mais lancée dans le grand
public par L'énigme sauéâ3 de Baigent, Leigh et Lincoln et
confirmer l'évangile de Philippe concernant Marie-Made-
leine que Jésus a aimée et âvec qui il eut des enfants.
- Si ce n'est que cela, répondit le prélat, c'esr vieux
comme notre monde. Nous avons beaucoup mieux dans
les fonds secrets de la Vaticane.
Depuis la découverte des Codex et autres manuscrits de
Nag Hammadi, en 1945, on assiste à des publications di-
verses, surtout venues des pays anglo-saxons, concernant
Jésus et Marie-Madeleine. Il est vrai que l'évangile apo-
cryphe de Philippe ne laisse guère planer le doute sur leurs
relations. Le comportement de Jésus et de Marie était jugé
offensant par plusieurs disciples et surtout par Pierre qui
fait montre d'une véritable jalousie. Jésus ne se privait pas
d'embrasser sa compâgne sur la bouche, üès souvent, de-
vant eux. Il partageait sa couche à Béthanie. Mais pourquoi
s'offusquer de cela aujourd'hui ? À ceme époque, et c'était
une tradition, dans leurs réunions, les juifs banquetaient,
un peu à la mode romaine, allongés sur de sortes de lits
avec, à côté d'eux, celles qu'on appelait "les ombres". Des

105
LOGGIA SECRE'I'UM

femmes, prostituées ou pas, qui attendaient le bon vouloir


des hommes.
Je ne suis pas sûr que, durant quelques siècles, nos sainte-
tés respectives, n'aient pas tenté de refaire les bacchanales au
Vatican. Nous avons quelques écrits intéressants à ce sujet. Je
vous rappelle tout de même que nous avons eu une papesse
dont on s'est aperçu du sexe au moment de son accouche-
ment. Pour en revenir à la relation entre Jésus et Marie de
Magdala, le fait est connu depuis bien longtemps. Arius,
l'évêque d'Alexandrie, entre eutres, connaissait bien cela.
C'est l'une des raisons pour laquelle le père de I'arianisme
affirmait que le caractère du Christ n était pas d'essence di-
vine et qu'il pouvait être corrompu et soumis au péché
comme tous les hommes. C'est, en partie, pour cette position
que le premier concile de Nicée, en325,l'a excommunié.
- Ils ont été nombreux, à cette époque, à refuser que l'on
fasse de Jésus le Christ, fils de Dieu, dit Robert Lepieux.
- C'est vrai, ajouta Ortolani. En fait, la très grande ma-
jorité des pères de l'Église onr obéi à I'empereur Constan-
tin, qui voulait une Église uniÊée, ce qui était loin d'être le
cas, pour pilier de sa politique d'expansion territoriale. Et
ces mêmes pères, qu'on voudrait aujourd'hui orthodoxes,
n'ont pas hésité à entériner des pratiques païennes dans le
rituel chrétien, à la demande même de Constantin. Cela
est vrai pour certaines ftres de la catholicité, comme la Noël
par exemple, ou la Pâque, empruntées au culte de Mithra
et à bien d'autres religions, juives, mésopotamiennes par
exemple, existant plusieurs siècles avant.
LÉglise de Rome, comme Constantin, ont fait d'une
pierre deux coups, comme on dit: âccompagnant les ar-
mées de conquête, l'Église faisait de nouveaux adeptes et
Constantin était aidé per cette même Église dans sa quête
de pouvoir. l,a véritable raison du concile de Nicée fut stric-
tement politique. C'esr pour cela qu il dura environ deux
mois. Il n'était pas facile d'uni6er les diftrents courants du
christianisme, très divisé et se livrant à une concurrence

106
LOGGTA SECRETUM

acharnée qui se transformait parfois en lutte armée et, en


même temps, trouver une solution politique avec Constan-
tin. Vous savez, il ny a de pires disputes que celles éclatant
dans les familles.
- Le texte que nous avons va plus loin, dit Robert.
* C'est-à-dire ?
- Il parle de mariage.
- Vous voulez parler des noces de Cana ? Cela aussi nous
le savons. Il s'agit bien d'un mariage. C'est celui de Jésus et
Marie de Magdala, femme riche, sæur de Marthe et de La-
zare, souvent présente à la cour d'Hérode. Il n'y a rien
d'étonnant à cela.
Pour tous les juifs, y compris les rabbins, se marier et avoir
des enfants était un devoir. Ainsi le voulait la loi Mosaïque.
Jésus aurait peut-être pu éviter le mariage et la procréation
s'il avait condnué à suivre les Esséniens de Qumrân. Et en-
core... Je vous rappelle que même les prêtres catholiques
pouvaient se marier. Nombreux étaient d'ailleurs ceux qui
l'étaient et il a fallu que Rome y mette un terme. C'est en
1139, au concile de Latran, que l'Église a interdit le mariage
des prêtres et annulé le mariage de ceux qui l'étaient. Peu
ont quitté la prêtrise. C'est dire qu il y eut beaucoup d'or-
phelins de père. Longtemps après le concile, malgré tout,
des prêtres ont continué à vivre avec leur famille au vu et au
su de tout le monde, tout en sacriÊant l'Eucharistie.
Les Manichéens, comme plus tard les Cathares, interdi-
saient mariage et procréation aux ministres de leur religion,
pas les cetholiques, jusqu'au XII'siècle. Je vous renvoie au
onzième canon du concile de Braga en 567: "Si quelqu'un
condamne le mariage et la procréation, comme le Êrent les
Manichéens et Priscilliens, qu'il soit anathèmé4..."
À C"rr", Jésus et celui présenté comme le jeune marié
des évangiles sont une seule et même personne. Même s'il
existe des distorsions selon I'auteur de l'évangile. C'est pour
cela que Marie, la mère de Jésus, dit aux serviteurs lors de
ces noces: "faites tout ce qu il vous demandera". On ne dit

107
LOGGIA SECRE'I'UM

pas celâ en parlant d'un simple invité, comme nous le sug-


gèrent timidement certains. C'est en maîtresse de maison
que la mère de Jésus s'adresse aux serviteurs. Et elle leur re-
commande d'obéir aux ordres de son Êls, du patron. Ceux
qui ont remanié, réécrit et revu les évangiles canoniques
jusqu'à la 6n du IV'siècle, ont été bien embêtés pour se
sortir de cette histoire a6n de ne pas dénaturer l'image
qu'ils ont voulu donner de Jésus le divin.
Clément d'Alexandrie ira plus loin: il fera disparaître La-
zare, beau-frère de Jésus, de l'évangile selon Marc. IIs ont
d'autant plus été bien embêtés qu'il est possible que Jésus,
descendant de la lignée de David ait épousé en Marie de
Magdala une benjamite, elle aussi de descendance royale.
Jésus n aurait plus été alors le messie sacerdotal annoncé,
mais descendant de David, proche des courants juifs re-
vendiquant le trône d'Israël, ce que pourrait expliquer sa
complicité avec les zélotes et esséniens et la violence dont
font part les évangiles.
Si vous doutez de l'union de Jésus et de Marie de Mag-
dala, demandez-vous pourquoi tous les disciples appelaient
Marie "l'Apôtre des Apôtres" ? Si elle n'avait pas été l'épouse,
au sens marital, du Seigneur, elle n'aurait jamais été appe-
lée ainsi par les disciples, puisqu'il faut voir là, une fonction
due à son rang de compâgne de Jésus.
Éiudie, bien la Bible, et malgré rout ce qui a été fait pour
cacher et faire disparaître Marie de l'environnement de
Jésus, vous vous apercevrez qu'elle est omniprésente. Elle
fut au pied de la croix sur le Golgotha. Elle vient deman-
der le corps de Jésus après la crucifixion. C'est encore Marie
de Magdala qui va la première au tombeau pour oindre le
corps de Jésus de nard. Selon la loi et la radition juive, c'est
la femme qui doit embaumer le corps de son époux avant
de le rendre à la terre, ou au tombeau pour les plus fortu-
nés. C'est elle qui, la première, voitJésus vivant, après que
deux esséniens, vêtus de blanc, comme il se doit dans cette
secte juive, lui aient dit que Jésus n était plus là. Ce sont

108
LOGGIA SECRETUM

ces deux esséniens que les narrateurs et scribes ont pris par
la suite pour deux anges.
Je sais, vous ne trouverez certaines lumières que dans peu
de textes et dans un seul évangile canonique, celui de Jean.
frs autres évangiles dits apocryphes, comme ceux de Nag
Hammadi sont plus instructifs à ce niveau. Et surtout celui
qu on appelle le véritable évangile de Jean, avant qu'il ne
soit expurgé, qui nous intéresse aujourd'hui au premier
chef. Remaniements, réécritures, compilations, amputa-
tions et rajouts ont occulté la vérité première au cours des
siècles qui ont suivi la mort de Jésus.
Il y a peu de temps, dans une collégiale d Arles qui s'ap-
pelait lors de son édification Sancta Maria de Ratis et qui
est dédiée aujourd'hui à Sainte-Marthe, les fidèles chan-
taient lors des vêpres: "Viens épouse du Christ, reçois la
couronne que le seigneur a préparée pour toi35."
Des générations de prêtres et de catholiques ont chanté
cela, mais en latin, ce qui fait que seuls quelques lettrés et
prêtres connaissaient la significetion de leur chant.
Etudiez l'évangile de Philippe, qui n'a certes pas été re-
tenu par le droit canon, vous pourrez y découvrir que
"l'épouse royale du Sauveur est Marie-Madeleine". Cet
évangile ajoute: "Grand est le mystère du mariage, car sans
lui le monde n'aurait pas existé et l'existence du monde dé-
pend de l'homme et I'existence de I'homme dépend du ma-
riage." Ce n'est donc pas un hasard si Jésus parlait à ses
apôtres de "l'importance du mariage". Ce faisant, il était
en harmonie avec la religion de ses pères qui demandait à
leurs ouailles de se marier et procréer. ,
[æs deux ingénieurs, interloqués, se regardaient pendant
qu'Ortolani parlait.
n Vous avezl'air surpris !

- Pourquoi alors, l'Église 6t-elle pesser Marie-Madeleine


Pour une prosrituée rePentie ?
- Elle fut détestée par Pierre, surtout, qui en était jaloux
au point de demander à Jésus pourquoi de tous les apôtres

109
LOGGIA SECREI'UM

et de toutes les femmes qui suivaient la communauté,


c'était Marie-Madeleine sa préferée, "celle qu'il aimait le
plus ?" En choisissant Pierre au lieu de Jacques, frère de
Jésus, mais cela est une autre histoire, pour fondateur de
l'Église de Rome, les pères de l'Église devaient éliminer celle
qui avait la préférence du seigneur. C'est la raduction er-
ronée dans l'évangile de Luc, d'un mot qui deviendra"pé-
cheresse" qui est, semble-t-il à I'origine de toute une
littérature faisant de Marie-Madeleine "la prostituée". La
mauvaise traduction des écrits, par des moines copistes,
souvent peu instruits, du grec au latin, sera I'occasion de
telles méprises. Sans parler des traductions de textes en ara-
méen, syriaque ou copte.
Comme on dit aujourd'hui, il y eut de nombretx'topié-
collé" avec, chaque fois, des amputations, ou rajouts, selon
l'humeur du scribe. Mais c'est surtout le pape Grégoire dit
le Grand qui, en 591, accrédita la thèse de Marie la prosti-
tuée. Il n'eut guère d'efforts à faire. Avant lui, Tertullien et
surtout lrénée, par exemple, n'ont pas eu de mots assez forts
pour dénigrer les femmes et les charger de tous les péchés
du monde. On ne leur a jamais pardonné le "pêché origi-
nel" puisque la femme est reconnue comme tentatrice.
Il est vrai aussi que Marie-Madeleine semble être une
femme assez libre par râpport à la loi juive à laquelle elle ne
se conformait pas sur bien des plans. Elle connaissait les se-
crets de la Thora, ce qui était en principe interdit au sexe
féminin, et faisait partie de ces femmes cultivées et aisées
ayant "la connaissance", qui suivaient les routes dans les
pas du messie attendu. Et qui plus est, elles enseignaient.
Têrtullien écrira d'ailleurs à leur sujet: "Ces femmes sont
assez audacieuses pour enseigner et particiPer aux discus-
sions, ce sont des pécheresses, des prostituées..." C'est en-
core lui qui, après s'être fait catholique, écrira que: "les
femmes sont la porte du démon".
Si les pèrCI de l'Église avaient choisi une femme pour fonder
le catholicisme malgré leur misogynie mdadive, rendez-vous

il0
LOGGIA SECREI'UM

compte, qu à cette époque peu de Êdèles auraient suivi une


femme comme pontife. C'est vrai que Marie-Madeleine a
dû attendre un décret de l'Église publié par le Vatican en
1969 seulement, démentant qu elle était "une femme per-
due" et rayer ainsi d'un seul trait de plume tout ce qui avait
été écrit, y compris dans les saintes écritures, et dit sur elle
jusqu'au )O('siècle.
Laissons à nos ancêtres le poids de tous leurs péchés, si
tant est qu ils en aient commis en éloignant l'Église des pre-
miers enseignements de Jésus et en tournant le dos à ceux
de Jésus-Christ. Ils ont bâti une bien belle chose. Le temps
efhce les mensonges que nous leur avons déjà pardonnés.
Les évangiles canoniques ont été définitivement fixés à
l'aube du VI' siècle. On n a réuni tous les textes qui for-
ment le Nouveau Testament qu'à la Ên du IV' siècle ; c'est
presque quatre siècles après les faits qu'ils nous narrent. Il
en a fallu du temps pour arriver à se mettre à peu près d'ac-
cord. Jusqu'à la Bible de saint Jérôme, le secrétaire du pape
Damase, il y eut une incroyable cacophonie dans les saintes
écritures. Depuis la mort de Jésus, on ne pouvait qu'em-
bellir et magnifier certains écrits et rendre la geste plus ima-
gée et plus accessible au plus grand nombre.
Dans les quatre évangiles retenus pour le Nouveau Tes-
tament, il n y a jamais les mêmes noms pour les douze apô-
res. Ils diffèrent d'un évangile à l'autre. Il a bien fallu en
fixer les noms, une fois pour toutes, afin d'avoir une base
d'enseignement commune. Cela a demandé bien du temps,
ne serait-ce que pour calmer les luttes d'influence et trou-
ver une forme de consensus.
On nous accuse de prêcher une mythologie biblique
basée sur le mensonge. On reproche à l'Église d'avoir rejeté
les évangiles de Thomas et Philippe qui étaient des apôtres
en compagnie de Jésus, et d'avoir retenu ceux de Luc et
Marc, qui d'ailleurs ne frrt jamais apôtre, et qui n'apparais-
sent que bien après la mort de Jésus, aux côtés de Paul qui,
lui non plus, n'a jamais pu connaître Jésus.

lll
LOGGIA SECRE'I'UM

Oui, c'est vrai, les pères de l'Église et leurs scribes ont


transformé et modifié bien des textes originaux afin qu ils
soient en osmose avec les dogmes qu'il fallait imposer pour
bâtir le catholicisme. Et nous devons à des gens comme
Grtullien ou Eusèbe, qui étaient aux ordres de l'empereur
Constantin, et tant d'autres béati6és, d'être ce que nous
sommes aujourd'hui. Pourquoi croyez-vous que, durant des
siècles, l'Église a interdit la lecture de la Bible à ses ouailles ?
C'est vrai, ceux qui ont voulu chercher ont bien Êni par
trouver. Mais ils ne sont qu une infime minorité et n'ont iâ-
mais pu mettre en danger ce que nous sommes devenus.
Au début du IV'siècle, Eusèbe de Césarée a fait une com-
pilation de toutes les légendes qu'il connaissait, laissant
même son imagination fertile inventer quelques histoires
pour mieux donner du crédit aux débuts du christianisme.
Et toutes ces fausses vérités sont, aujourd'hui, pour les ca-
tholiques, des faits qu'ils ne remettraient en cause pour rien
au monde. Allez dire aux catholiques aujourd'hui queJésus
n'a jamais été chrétien et que sa vie durant, il fut juif. Y
compris dans sa mort. Allez tenter d'expliquer que c'est sur-
tout SaüI, le Paul des épîtres et Simon, le Pierre de Rome
qui sont à l'origine de la religion et non le Christ.
Vous souhaitez un exemple précis, parmi tant d'autres,
du peu de crédit historique de la Bible ? Prenez la destruc-
tion de Jéricho par Josué, au son des trompettes. On sait
par de récentes découvertes archéologiques que les proto-
Israéliens, les Hébreux, n'ont jamais envahi le pays de Ca-
naan, contrairement au récit biblique, et qu'ils ne I'ont pas
enlevé par des actions guerrières ou par une intervention
divine. Cela pour une raison simple: Hébreux et Cananéens
sont un même peuple. Ils diftrent sur deux points, leur
appellation et leur croyance. Ils ne croient pas tout à fait au
même Dieu ou plus exactement, ils n'ont pas la même pra-
tique. Ce qui les diftrencie est souvent peu de chose: on a
retrouvé dans des fouilles de villages et campements cânâ-
néens des os de porc, alors que la religion des israélites leur

tt2
LOGGIA SECREI'UM

interdisait de consommer cette viande. D'ailleurs on ne


trouve pas de tels indices dans leur lieu de vie. Les Hébreux
n'ont donc pas détruit Jéricho puisqu'ils y vivaienr er cerre
ville, construite en terre, a été détruite par des secousses sis-
miques, très fréquentes dans toute certe zone. Désolé, mais
Josué n y est pour rien. Il est parfois difficile de contredire
la science et l'archéologie.
D'ailleurs, peu importe. Ce qui nous intéresse est plus le
mythe que nous devons préserver à tout prix, que tour ce
que I'on pourra découvrir qui contredira telle action ou
telle scène de la Bible. Nous nous sommes tou,iours défen-
dus contre cela, et nous continuerons. D'une autre manière
certes, mais nous resterons ancrés sur tout ce qu'ont
construit les bienheureux pères qui nous ont précédés sur
la voie qui est la nôtre.
Tout ce qui contredit les écrits et exégèses des pères de
l'Église est, au cours de I'histoire, taxé d'hérésie. Même si
d'autres chrédens n'admement pas que Rome ait éliminé
les écrits gnostiques alors qu elle a puisé sans vergogne dans
des rituels païens afin de se les approprier en détruisant les
sources. Dans ce sens, nous savons que l'Église de Rome
nous enseigne une histoire chrétienne déformée et loin de
la vérité. Mais c'est la nôtre et vous pouvez compter sur
notre Saint-Père pour la défendre avec la rigueur que lui
procure son infaillibilité en madère doctrinale. [r chrisria-
nisme est-il une histoire inventée ? Et alors ? Elle a la durée
et le temps pour elle : la Vérité est dans notre sainte Église.
Si ce n était pas le cas, il y a longtemps que toutes ces hé-
résies seraient devenues religion. Oir est le troupeau, dans
l'Église ou hors de l'Église ? Seul, le nombre de catholiques
dans le monde apporte réponse. Et l'Église a trouvé à ce
troupeau son berger.
La recherche d'une vérité concernent l'enseignement de
Jésus est illusoire. Nous ne sommes pas sur I'Histoire, mais
sur une histoire qui appartient aux catholiques er que nous
devons défendre si nous souhaitons assurer Ia pérennité de

ll3
LOGGIA SECRE'TUM

norre religion. Il fallait bien créer une religion basée sur le


dogme afin de résister aux accusations lancées au cours des
siècles contre le Vatican, taxé d'être le plus grand manipu-
lateur et dissimulateur de toute I'histoire.
Nous avons fait de Jésus "un mythe fondateur parce qu'il
fut la plus belle expression de Dieu sur trre." Pensez-y.
Nos fidèles ne nous demandent pas si cela s'est passé
comme ci ou comme ça. On leur a présenré quelque chose
de magniÊque, une belle histoire affinée au cours des âges,
qui répond à leur questionnement sur ce qu'ils sont et ce
qu'ils deviendront s'ils obéissent à une morale religieuse.
C'est un grand service que l'Église rend ainsi aux hommes.
Il n y a pas si longtemps, avec tout ce que je viens de vous
dire, le tribunal de I'Inquisition m'aurait envoyé au bûcher.
Vous voyez, l'Église a évolué. Et elle continuera d'évo-
luer. C'est sa survie qui en dépend en tant que corps consti-
tué et institution supra mondiale. ,
Ortolani se tut et regarda tour à tour les deux hommes:
n Tour ce qui vient d'être dit ne doit pas sortir d'ici. Ni
le travail que vous avez accompli. Pas un mot. Laissez votre
confesseur dans l'ignorance de cette action. Dieu vous a
déjà pardonné pour cette omission. Je vous bénis. ,
Il se leva tandis que les deux hommes s'agenouillaient
aÊn de recevoir la bénédiction.
Robert Lepieux tendit à Ortolani une serviette de cuir
noir contenant les parchemins dont les folios avaient été
séparés par des feuillets de soie, ainsi qu'un rapport en rrois
pages. Le prélat remit son badge d'entrée à Pierre avant de
sortir une paire de menottes de son veston. Il accrocha la
serviette à son poignet gauche dans un o clac , qui Êt froid
dans le dos aux deux scientifiques. Peu de temps après,
l'Audi noire quittait Gif-sur-Yvette en direction de Paris.
LabbéTuffet, un spécialiste, attendait Ortolani rue Nicot
a6n de traduire les parchemins.
CHAPITRE XII

Après avoir fait son approche sur le golfe d'Aqqaba et la


Mer Rouge, le Boeing d'Égyptair plongea sur la pointe de
la péninsule et se posa sur la piste de l'aéroport de Sharm-
el-Cheikh peu avant midi.
Jean des Sauzils et Pierre Faure attendirent qu'un groupe
français, pressé et volubile, venu faire de la plongée, dé-
barque, retardant ainsi I'instant oir il faudrait quitter la ca-
bine climatisée de l'appareil pour affronter une température
proche des 40'. Dans le hall de l'aéroport très moderne, un
jeune homme, entièrement vêtu de blanc, portant un petit
panneeu où était inscrit au feutre noir « Cathy ,, les atten-
dait. C'était le Êls d'un franc-maçon niçois venu en Mer
Rouge où il avait créé un club de plongée sous-marine pour
touristes.
Depuis que les pays arabes riches avaient financé un hô-
pital ultramoderne, pourvu de caissons de décompression
dernier cri, il y avait de plus en plus de cliena venant plonger
dans une eau à la ffansparence inégalée, où se reflétait l'azur
d'un ciel immaculé. lrs affaires marchaient bien pour le jeune
niçois, devenu un self-madt manà la mode orientale.
« Ici, on m appelle Samir, dit-il après les présentations. Je
vous ai loué une 406. Dans cette enveloppe, vous trouverez
toutes les autorisations pour circuler, franchir les différents
cbeh-points et eutres. Je vous ai mis également un numéro
de téléphone avec un nom. C'est celui d'un de mes amis,
général en retraite, qui pourra vous être utile et vous servir
d'intermédiaire au moindre problème avec les autorités. Je
vous ai retenu deu chambres au SoÊtel et préparé un rendez-
vous avec Monseigneur Paternos, à Sainte-Catherine, demain

ll5
LOGGIA SECREI'UM

à t Mon père m'a demandé de me mettre à votre


heures.
disposition. Voilà ,, ajouta-t-il dans un large sourire.
Depuis les derniers attentâts, et les réunions internatio-
nales se déroulant dans l'ancien port de pêcheurs devenu
station balnéaire à la mode, les militaires en arme et la po-
lice touristique étaient omniprésents sur le site ainsi que
dans la péninsule du Sinaï.
Il ne fallut que quelques minutes à Samir, pour se frayer
un pessage entre les bus de touristes, les nombreux taxis et
autres 4x4 de Bédouins, partant pour des balades dans le
désert, a6n de sortir de l'aéroport.
Sharm-el-Cheikh, au départ petit village de pêcheurs,
puis base militaire, s'étend aujourd'hui sur plus de quinze
kilomètres. Depuis le sud, avec Sharm-el-Maya, le vieux
Sharm, en passant par le quartier résidentiel où se sont dé-
veloppés les hôtels de luxe, c'est ensuite Naama Bay. C'est
sur Naama Bay que les Israéliens, qui avaient annexé la pé-
ninsule après la guerre de Six Jours, avaient créé les premiers
un centre touristique. Sur ce site, les chaînes hôtelières se li-
vrent à une concurrence acharnée et les hôtels sont sortis de
terre comme des champignons. Plus au nord, Sharkt Bay,
d'où I'urbanisation galopante a chassé les Bédouins, com-
plète ce qui est devenu une station balnéaire renommée.
Pourtant, la ville n'a rien de bien transcendant. Même si
des efforts de verdure viennent adoucir l'impression de
« tout béton » et si la plantation de palmiers et lauriers
roses, au bord de kilomètres de routes, ajoute du charme à
la réverbéradon des immeubles blancs dans le ciel.
Sharm a grandi trop vite pour âccompagner les fots tou-
ristiques débarqués des charters de tours opérateurs inter-
nationaux, et les plans d'urbanisation ont paré au plus
pressé. Il est vrai que la grande majorité de touristes reste
dans l'hôtel où tout est prévu, de la plage à la chambre. Y
compris, souvent, I'embarcadère, pour vous conduire sur
des sites de plongée. Tout est calculé afin que le porteur de
devises n'ait aucune envie de s'échapper.

116
LOGGIA SËCRE'I-UM

Il fallut portique de détection, evant de pé-


passer sous le
nétrer dans le vaste hall de l'hôtel. Mais personne ne s'oÊ
fusquait de ces consignes de sécurité, plutôt rassurantes
pour la clientèle. Les kefÊehs des Bédouins se mêlaient aux
tenues, parfois assez débraillées, de touristes et âux quelques
rares costumes d'hommes d'affaires.
Jean et Pierre invitèrent le jeune homme à les rejoindre
pour le dîner, le soir, au restaurant de l'hôtel.

Les deux membres dela Logia Secretum devaient à l'un


de leur frère maçon de se retrouver dans le Sinaï. Michel de
Acquaviva, professeur à la faculté d'Aix-Marseille, spécia-
liste des religions et du Moyen-Orient, était en mission de
detx ans, à l'Université cairote. C'était son troisième séjour
au Caire. Parlant couramment I'arabe et bien introduit dans
les milietx sou6s, il avait même été invité dans une zaouila,
une confrérie, pour participer à la réunion d'une tariqua.
Cela lui avait, par moments, rappelé une « tenue » maçon-
nique. Michel avait été subjugué par la musique mystique
qui avait ouvert la réunion, avec cette sorte d'extase auditive,
que ses amis soufis appelaient n as Samâa ,, qui s'en suivait
pour bien des membres de la confrérie et qui est censée pro-
curer une relaxation totale du corps et de I'esprit afin, no-
tarnment, d'éradiquer l'ego. Son ami So6em lui avait appris
que le soufisme est avânt tout un monde oir tous les sens
sont sollicités: vue, ouïe, odorat, goût, toucher... Durant
ces différents séjours, il avait à maintes reprises, suivi ces
réunions jusqu'à être dernièrement, initié.
C'est à Sofiem, en parlant de leurs multiples recherches
qui parfois se croisaient, qu'il avait dit récemment vers
quels buts se dirigeaient certains de ses amis, sans citer les
membres de la loge secrète, dont il était correspondant.
Quarante-huit heures plus tard, Sofiem appelait Michel.
o Je voudrais te faire rencontrer quelqu'un demain, si tu

le souhaites, à propos de ce que tu m'as dit.


- Concernant les recherches bibliques ?

tt7
LOGGIA SECREI'UM

- Oui. Il faudrait se rendre à Assouan, à la cathédrale


copte. Un de mes amis est évêque du 117'Patriarche, She-
noudah III. Il sait où tes amis pourraienr rrouver une par-
tie des réponses à leurs questions. Il ne m'a rien dit, mais il
consent à te recevoir.
- D'accord, je m'arrange pour être disponible demain. ,
Et c'est à la suite de cette visite que Jean et Pierre avaient
obtenu un rendez-vous avec Monseigneur Paternos, arche-
vêque orthodoxe du Sinaï, de Pharan et Raïtho et qu'ils
roulaient, depuis detx bonnes heures, vers le monastère de
Sainte-Catherine. Car si l'Église copte s'était séparée de
l'Église romaine dès 451, elle entretenait de bons irpport,
avec les orthodoxes du Sinaï. Monseigneur Paternos et le
Patriarche parrageaient la vision d'un patriarche d'Alexan-
drie, Théophile, à la tête de l'Église égyptienne au I\Ê siècle,
sur la présence de Jésus en Égypr. duranr, au moins, une
partie de son adolescence. On sait aujourd'hui, grâce aux
manuscrits découyerts à Qumrân, que les Esséniens entrete-
naient des rapports avec les juifs établis en dehors des fron-
tières de Judée et de Galilée, ceux d'Égypte norammenr, à
ma,iorité ülote,l'un des mouvements juifs les plus opposés
à l'occupation romaine. Alexandrie fut I'un des grands cen-
tres de spiritualiré. Ce qui ressemble fort à un ordre mo-
nastique du judaïsme alexandrin, les n Thérapeutes , se
livraient à la contemplation. C'étaient des ascères, sorte
d'anachorètes des deux sexes vivant dans de modestes ca-
banes dans la lagune ne se réunissânr que pour le sabbat. Ils
eurent des reladons avec les Esséniens de Qumrân puisque,
dans la grotte IV, furent découverts des fragments de la Sep-
tante d'origine alexandrine.
Les deux hommes étaient subjugués par la beauté du
Sinaï. De longues érendues déserriques bordaient la ligne
droite macadamisée, avec, quelques fois, une carcasse de
char, souvenir de la guerre éclair égypto-israélienne et, de-
puis une heure environ, des monragnes désertiques aux

118
LOGGI.A SECREI'UM

couleurs minérales, avec, parfois une caravane de chameaux


menée par des Bédouins et, cachée dans de petites gorges
étroites, une oasis où jouaient quelques gosses.
Ils avaient déjà franchi des barrages de l'armée qui plaçait
des bidons d'huile peints en quinconce, parfois coiffes de
pierres, aÊn d'obliger les voitures à ralentir, et montrer leurs
autorisations. Sans problème. Il leur restait moins d'une
heure de route avant d'ameindre le village de Sainte-Cathe-
rine puis le monastère. Laugmentation du trafic et des bus à
touristes leur signala qu ils n étaient guère loin du but. Pierre
laissa la voiture sur le parking devant les jardins de I'auberge.
Le site avait quelque chose de bien particulier. Était-ce
leur culture ou l'environnement et la charge de l'histoire
qui étaient à l'origine de cette sorte de trouble émotionnel
qui les envahissait ?
Le monastère fortifié était comme enchâssé dans de ma-
jestueuses montegnes où l'on apercevait des colonnes de
pèlerins venus visiter I'un des plus vieux monastères chré-
tiens et le Gebel Musa, le Mont Moïse qui culmine à
2285 mètres. C'est ici que la tradition veut que Dieu ait
rencontré Moïse, de la tribu des Lévy, appelé n Roch-ha-
Néviym ,, n la Tête des Prophètes ,. Il serait la vingt-sixième
génération depuis Adam selon le Pentateuque, et serait
parti à la recherche d'une brebis égarée vers le mont Horeb.
C'est à cette occasion qu il aurait vu un buisson-ardent qui
ne se consumait pas. De là, Dieu lui parla. Il monta sur la
montagne pour recevoir le décalogue, les fameuses tables
de la loi aux Dix Commandements. C'est du moins ce que
nous dit l'Ancien Testament à propos des n Dix Comman-
dements » dont on entend parler, pour la première fois, sur
le papyrus de Nash, daté du II'siècle avant notre ère.
Au début, quelques ermites, fuyant les persécutions des
romains, s'étaient retirés dans le silence de cet espace pour
être plus proche de Dieu. Hélène, mère de Constantin,
avait visité le site et décidé qu'une chapelle dédiée à la vierge
Marie serair construite. C'était au tout début du IV'siècle.

ll9
LOGGIA SECRE'IUM

Ce n est qu'en 527 que Justinien 6t construire le monastère-


forteresse qui prit bien plus tard le nom de Sainte-Catherine,
vierge er marryre de dix-huit ans, décapitée à Alexandrie,
après avoir tenté de convertir l'empereur Maximanus.
n Je trouve curieux que peu de biblistes ne se soient jamais

interrogés sur le choix de ce lieu, indiqué dans le Lévitique :


"Têls sont les commandements que Yahweh donna à Moïse
sur la montagne du Sinaï pour les enfanrs d'IsraëI". Ici, ce
n était pas un lieu de pessage pour les bergers nomades. Il
n'y avait rien ni personne. Pourquoi donc ce lieu dans ce
désert ? dit Jean, en grimpant les marches les conduisant au
bureau de l'archevêque.
- D'autant plus que nous sommes certains, aujourd'hui,
que l'exode tel qu'il est décrit dans I'Ancien Têstament n'a
jamais existé. Si l'on étudie bien les textes et la chronolo-
gie, c'est Ramsès II, qui était pharaon à cette époque. Il au-
rait donc dû être mort noyé quand les flots de la mer Morte
se sont refermés sur l'armée égyptienne, touiours selon les
écritures. Tout le monde a pu voir la momie de Ramsès II,
ici même au musée du Caire et à Paris où elle a subi une
cure de "rajeunissement". Historiquement, nous n'avons
aucune trace de combats contre ce peuple juif en exode.
Lhistoire nous âpprend que Ramsès II ne fut pas un pha-
raon des plus guerriers. Les seuls combats dignes de ce nom
qu'on lui connaisse, sont celui de la bataille de Kadesh, au
sud-ouest de la Syrie, afin de stopper les Hittites, récit que
I'on peut voir gravé sur les murs du Temple d'Abou-Sim-
bel et en Asie, afin de maintenir la domination égyptienne
sur ces régions, dit Pierre36.
- Donc le livre de Josué est peu crédible. Quant à I'exode
devenu la fuite de tout un peuple, il semble que ce ne soit
qu'une migration de petits groupes de nomades, comme il
y en eut jadis, de tout temps et dans toutes les contrées. Ce
serait I'une des raisons faisant que l'on ne trouve aucune
trace dans l'histoire de cet épisode romanesque, et nulle
trace dans les documents de l'ancienne Égypt. ou dans

t20
LOGGIA SECRE'I-UM

les hiéroglyphes des tmples consacrés à Ramsès II. Ici, les


Hébreux, contrairement à l'interprétation populaire et au
retentissement donné par le film américain Les Dix Com-
mandzrnents, n'ont pas été esclaves des Égyptiens. Certains
d'entre eux ont même assumé des fonctions de grands prê-
tres dans la religion des pharaons ainsi que de hautes fonc-
tions dans l'administration, y compris dans I'armée... On
a retrouvé des scarabées portant des inscriptions de noms
sémitiques et entre 1400 et 1200 avant notre ère, soit à la
)§ II'dynastie et au début de la XIX'des Hébreux se trou-
vent en poste auprès de pharaon3T.
- On est d'accord. Mais tu sais très bien que l'histoire
reste le plus solennel des mensonges et que tous ceux qui
veulent remettre en question la parole des Églises ou des
institutions sont soit des hérétiques soit des anarchistes. Il
n'est jamais facile de semer le bon grain dans un terreeu
stérilisé par tant de siècles d'imposture, de mensonges et
de fables, toutes plus belles les unes que les autres, j'en
conviens, mais sans aucun fondement.
On sait aujourd'hui que les scribes bibliques, au sujet de
Moïse, rt'ont fait que recopier en l'adaptent une autre his-
toire bien plus ancienne, celle du roi Sargon. Ils n ont fait
que modifier les noms et les lieux. Sargon, qui régna aux
environs de 2350 ans avant notre ère était le Êls d'une
grande prêtresse qui n aurait pas dû selon sa fonction, avoir
d'enfant puisqu'elle aurait dû rester vierge. Le nouveau-
né fut déposé per sa mère dans une corbeille de jonc, fer-
mée avec du bitume, dit une légende assyro-babylonienne,
et poussé dans les eaux de I'Euphrate avant d'êüe recueilli
par un jardinier. Ce dernier, comme Joseph le charpentier
à Jésus, lui apprit le métier jusqu'à ce qu'il soit remarqué
par la déesse Isthar qui en fera le roi du pays d'Akkad. De
plus, je ne vois pas Moïse, à plus de 80 ans, monter au som-
met du Djebel Mussa, le Mont Horeb. Car si l'on s'en tient
eux textes, c'est à cet âge-là que Yahweh lui aurait transmis
les Dix Commandements... »

121
LOGGIA SECRE'I'UM

Monseigneur Paternos parlait un excellent français et


reçut les deux hommes autour d'une tasse de thé. Soutane
noire lustrée par l'usure du temps et barbe fournie à la
mode des orthodoxes grecs, peu de chose, dans son accou-
trement, le distinguait de la vingtaine de moines vivanr en
ces lieux, sauf sa coiffe.
Il leur fit visiter le monastère en commençânr par l'église
de la Tiansfiguration, basilique byzantine avec un narthex
d'une richesse incomparable en icônes, un calice en ver-
meil offert aux moines par le roi de France Charles VI en
1411 et, ce qui est considéré comme le trésor de Sainte-
Catherine, une mosaïque du VI' siècle représenranr la
transfiguration de Jésus. C'esr dans cette église que sonr en-
core le crâne et la main gauche de celle qui a donné son
nom au site. Des reliques qui, chaque 25 novembre, sonf
sorties et promenées en procession aurour de la basilique.
Ensuite ce fut la visite de la chapelle du buisson-ardent, qui
aujourd'hui ne se rrouve plus à l'intérieur et attira une re-
marque de Pierre : n Il est toujours aussi vert ? ,
Ce qui se traduisit par un sourire entendu de l'évêque
qui voulait en dire long sur cerraines traditions et légendes.
Jean et Pierre, suivant l'exemple de Paternos, enlevèrent
leurs chaussures avant d'entrer dans la chapelle, comme le
recommande la Bible quand on doit fouler un sol sacré.
Lévêque leur expliqua qu'une mosquée avait été consruire
en 1106 aÊn de proréger le monastère conrre une possible
destruction qu'aurait pu envisager un calife exubérant.
Mais le monâstère ayait eu à souffrir davanrage des chré-
tiens eux-mêmes que des musulmans puisque Mohamed
avait visité le monastère et placé ce dernier sous la prorec-
tion de milices musulmanes. Il avait inrerdit de déplacer ni
prêtre, ni ermite. Il a même scellé cetre protecrion en ap-
posant la trace de sa main sur un manuscrit. Par contre les
chrédens se déchiraient sur le fait qu'une divinité, le Christ,
ne pouvait être représenrée dans les icônes et il y eut de
nombreux morts à cette occasion dans et autour du mo-

rzz
LOGGIA SECRETUM

nasrère. Ce n'est qu'au VIII'siècle qu'un concile déclara


que Jésus avait deux faces: la divine, que l'on ne pouvait
toucher, et l'humaine, que l'on pouvait représenter et donc
peindre. Cela arrangeait bien tout le monde.
Mais le plus magnifique, pour Jean et Pierre n était pas
encore arrivé. Ce n'est qu'une fois introduits, par le bon
vouloir de Paternos, dans la salle de la bibliothèque inter-
dite du monastère que les deux hommes comprirent toute
la richesse accumulée en ces lieux. Plus de 6 000 manus-
crits dont la moitié est aussi vieille et parfois plus que le
monastère, dont le fameux Codex Sinaiticus38 manuscrit
complet du IV'siècle du Nouveau Testament et d'une par-
tie de la Septante (l'Ancien Testament), I'une des copies
écrite en onciales grecques adressée par Eusèbe de Césarée
à Constantin au IV'siècle. C'est le plus ancien manuscrit,
avec le codex Vaticanus, présentant les textes sur lesquels
s'est développée la chrédenté.
Lhistoire de ce codex est assez curieuse: von Tischen-
dorfl jeune allemand de 29 ans, visitait le monastère en
1844 lorsqu il vit de vieux parchemins dans une corbeille,
près d'un feu allumé pour se chauffer. C'est ainsi qu il au-
rait mis la main sur plus de 120 pages de la Septante qui
sont toujours conservées à Leipzig. Quinze ans plus tard, il
trouvait, grâce à la complicité d'un moine, une vieille bible
qui n était autre que les éléments qui lui manquaient, la
plupart des textes de I'Ancien Testament, mais aussi du
Nouveau. Ce Codex fut offert au tsar Alexandre II. il fut
ensuite vendu aux Anglais et se trouve toujours au British
Muséum. Depuis, les moines de Sainte-Catherine récla-
ment le retour du Codex Sinaiticus dans ces lieux qu'il
riaurait jamais dû quitter. C'est le plus complet, et le moins
u manipulé , des Codex connus à ce jour.
Voyant tous ces parchemins et menuscrits, en grec,
arabe, hébreu, araméen, syriaque, copte, arménien... Jean
et Pierre savaient qu ils se trouvaient devant la plus grande
bibliothèque, après celle du Vatican. Ils en remercièrent

r23
LOGGIA SECREI'UM

Monseigneur Paternos ayant de passer dans la pièce lui ser-


vant de bureau.
n Nous sommes venus jusqu'à vous pour une raison bien
précise, dit Jean. Certaines informations laissent entendre
que vous seriez en possession du véritable évangile de Jean
et des textes écrits par Marie-Madeleine sur tout ce que lui
confiait Jésus, c'est-à-dire l'évangile secret de Marie. ,
Monseigneur Paternos eut une esquisse de sourire.
u On dit tellement de choses dans le contexte de re-
cherche bibliques... Et la rumeur a bien fait les choses.
Mais c'est vrai, nous avons des manuscrits d'une incompa-
rable richesse. Il faudrait plusieurs vies pour s'instruire de
ces richesses... Vous venez d'une région de France oir l'Église
romaine a cherché à éradiquer des chrétiens qui ne pen-
saient pas comme elle. Je veux parler des Cathares. Savez-
vous que, comme les Ismaéliens, ils avaient fait d'Abraham
le chef de la génération des Parâits ? Avez-vous fait des re-
cherches à propos de ces gnostiques appelés cathares?
- Oui ! Et nous sommes convaincus que cette sorte d'or-
dinadon que donnait l'évêque à celui qui allait devenir par-
fait, par l'imposition des mains en invoquant I'esprit, se
faisait âvec une lecture d'un passage de l'évangile de Jean.
On assure qu ils utilisaient le vrai, et non la compilation
arrangée au cours des premiers siècles que nous présente le
Nouveau Têstament.
- Je ne sais pas si c'est le vrai, comme vous dites, mais
nous avons bien une Apocalypse de Jean qui n'est pas tout
à fait celle retenue par le Vatican et Qui est antérieure. Mais
nous n'avons pas l'évangile de Jean tel qu'on vous l'a dit. Je
pense que vos informateurs, c'est très souvent le cas à pro-
pos des écrits de Jean, confondent certaines pièces. Nous
avons une copie rarissime en copte saidique du troisième
manuscrit de contenu gnostique, le codex Berolinensis
8502. Personne ne sait où il se trouve. Il a disparu lors de
la prise de Berlin à la 6n de la Seconde Guerre mondiale.
C'est Carl Schmidt qui mit ce papyrus en valeur car il

t24
LOGGTA SECREI'UM

contenait le 'Livre secret de Jean'. Nous avons la preuve


que l'écrit gnostique a existé avant l'an 1803e.
Nous avons certes l'évangile secret de Marc, mais le Va-
tican le possède également. Par contre, je peux vous mon-
trer quelque chose qui devrait vous intéresser. ,
Lévêque se leva et ouvrit un coffre dissimulé derrière une
descente de croix. Dans ce coffre était une toute petite bi-
bliothèque grillagée dont il ouvrit la porte fermée à l'aide
d'un simple cadenas dont il prit la clé dans l'une de ses
poches.
o Voilà ce que vous appelez les écrits de Myriam. C'ést un
entretien avec les disciples de Marie de Magdala leur révé-
lant les paroles secrètes de Jésus. Ce sont cinq manuscrits
qui auraient pu être l'embryon d'une véritable religion du
Jésus des origines, pas de celui qu on a voulu qu'il soit. Ils
sont d'une spiritualité supérieure à tout ce qu'ont écrit les
apôtres, mais malheureusement incomplets. læs premières
Pages menquelrt. »
Jean et Pierre se levèrent et se penchèrent sur les parche-
mins: u Mais ils sont en araméen ! s'exclama Jean. Je pen-
sais qu ils avaient été retrouvés en grec sur des papyrus du
III. siècle.
- Exact, rétorqua Paternos. Mais ceux en grec ne sont
qu'une inÊme partie. Ceux-là sont authentiÊés. Mais se-
crets. Personne ne les a compilés, à par l'un de nos moines,
décédé depuis bien longtemps, spécialiste de l'araméen et
des premiers mouvements chrétiens, qui avait fréquenté
l'école biblique de Jérusalem .iusqu'à ce qu'il estime qu'il
était mieux ici pour continuer ses recherches.
- Pourquoi les gardez-vous secrets ? demanda Jean.
- Ils ne sont secrets que dans un certain sens, car nom-
breux sont ceux qui savent que nous les possédons. Ils res-
tenr secrets dans le sens où ils n ont jamais été publiés. C'est
pour nous un peu le gage d'une certaine tranquilliré, dit
l'archevêque dans un demi-sourire.
- On peut en connaître I'essentiel, interrogea Pierre ?

t25
LOGGIA SECREI'UM

- Myriam parle de l'enseignement secret que lui a ensei-


gné Jésus et qui ne devait être dévoilé qu'à un tout petit
nombre. À ceu* qui auraient pu être reconnus comme tou-
chés par la grâce d'une certaine prédestination. Un ensei-
gnement basé sur les connaissances du pâssage entre la vie
et la mort physique, ainsi que les voyages de I'esprit dans le
monde des morts, la montée de l'âme de ciel en ciel où
Tênèbres, Concupiscence et Ignorance tentent de la retenir.
C'est là que Pierre s'emporte disant qu'elle a tout imaginé
et que le Seigneur ne pouvait dire toutes ces choses à une
femme. Tout cela est décrit ainsi que la magie et la des-
cription d'expériences mystiques que Jésus aurait apprises
durant son séjour avec sa famille dans la communauté juive,
ici, en Égypt., comme nous l'enseigneThéophile, patriarche
d'Alexandrie. Il aurait été en contact avec des mages et prê-
tres égyptiens qui lui ont délivré un enseignement com-
prenant celui d'Hermès Trismégiste. Quant à ce petit livre,
indiqua Paternos en se saisissant de parchemins plus petits,
il a été découvert proche d'Assiout, sur le site d'un ancien
monastère.
- C'est ce qui a fait que l'Église copte d'Égypte devienne
indépendanrc en 451 puisqu'un concile, cette année-là,
remit en cause le séjour de Jésus .n Égypt., malgré plu-
sieurs réferences. Le Vatican ne pouvait admettre que sa re-
ligion ait pu prendre source chez un homme, fut-il Jésus,
venu s'instruire auprès de la diaspora juive d'Érypte, qui a
consuuit un second Têmple à I'image de celui de Salomon
à Assouan. Encore moins d'avoir subi l'influence et l'en-
seignement des prêtres égyptiens et des mystères pratiqués
à Thèbes ou Abydos. Une raison pour §eter tous les textes
venus d'Égypte et de classer certains évangiles comme epo-
cryphes, pour ne pas avoir à s'expliquer sur ces écrits qui in-
firment parfois le Nouveau Testament. Même si certains
ont été rédigés par des hommes ayent connu Jésus. Ce qui
n'est pas le cas pour certains auteurs des canoniques du
Nouveau Testament.

r26
LOGGIA SECRETUM

- C'esr cela, dit l'évêque. Vous avez fait des études de


théologie ?
- Non ! Je suis descendant d'une famille cathare . Un de
mes ancêtres fut évêque cathare dans la haute vallée de
l'Aude, dans l'église du Razès. Il est signalé à Montségur en
1236 après avoir donné le consolament à des chevaliers et
nobles de la région. Et depuis que j'ai appris la chasse, par
les catholiques romains, à tout ce qui pouvait, y compris au
plan spirituel, enrraver leur hégémonie, je me suis plongé
dans I'histoire des religions avec une approche plus parti-
culière de tous les mouvements gnostiques. Létude du ca-
tharisme m'a conduit à m'intéresser à Zarathoustra et là
aussi, je me suis aperçu que le péché originel, le royaume
des cieux, le monothéisme, la résurrection des morts, tout
cela avait été emprunté d'abord par le judai'sme, avant de
pesser dans le catholicisme.
J'ai abandonné mon métier afin d'être plus libre dans
mes recherches. Nous sommes de plus en plus nombreux
en France et dans les pays anglo-saxons à réfuter les men-
songes dont s'est servi le Vatican pour asseoir sa supréma-
tie. Mais il n est pas facile de désintoxiquer les Êdèles de
près de 2 000 ans de mensonges et d'erreurs. Surtout quand
on est dans une netion que l'on présentait comme "fille
aînée de l'Église". Nous faisons le pari sur le développe-
ment de la connaissance par rapport à la foi. Connaître est
préferable à se contenter de croire. Même si cela est plus
di{ficile et moins confortable.
- C'est courageul Parce que vous posez les bonnes ques-
tions et que vous êtes en recherche. Je peux vous dire ce-
pendant, d'après mes propres recherches, que s'il est exact
que le christianisme se soit approprié Zarathoustra, qui a
aussi influencé les Esséniens, il n'a eu de cesse, par la suite,
de le §eter et d'en faire un épouvantail dans lequel s'est en-
gouffrée I'inquisition. Certains théologiens catholiques
n'ont jamais pardonné au zoroastrisme d'être, quelque part,
leur religion mère. Mais voyez-vous, c'est le cæur qui sent

r27
LOGGIA SECRETUM

Dieu, et non la raison, disait Pascal. Je suis un homme de


foi. Je crois. Même si je regrette que, par un dogme aveu-
glant la foi, l'Église de Rome ait étouft, par exemple, les as-
pirations mystiques et idéalistes des platoniciens dont les
Cathares ne sont pas si éloignés... Sainte Catherine de
Sienne disait que c'est l'essence même du Christ qui unit les
deux rives de I'inÊni et du fini. Méditez cette phrase.
- Je ne suis pas sûr que le Christ, fils de Dieu ne soit pas
qu'une invention de l'Église, contrairement à Jésus qui
n'avait aucune divinité et qui mena sa vie d'homme en se
référant aux prophéties de Zacharie pour être en phase avec
la venue d'un messie. Toute son activité, depuis son entrée à
Jérusalem sur un âne, ne fait que suivre le chemin tracé par
Zacharie dans ses prophéties, y compris la pseudo-trahison
de Judas. Tout était écrit comme un scénario, avant le pas-
sage à l'acte. C'est comme s'il suivait une feuille de route
écrite par un âutre, des siècles auparavant. De plus l'Église
a subtilement transformé le judai'sme mystique de Jésus, en
le faisant peu à peu naître à une nouvelle religion qu'il n'a
.iamais créée, en caricaturant d'abord et détruisant ensuite,
tous les écrits ne reconnaissanr pas la divinité de celui qui
allait devenir Christ. Ce qui fait que l'organisation ecclésiale
du Vatican n'est ni conforme au christianisme primidf, ni
aux aspirations modernes. LÉglise romaine n'applique que
des méthodes d'autorité et bannit toute discussion.
- Saint-Augustin disait qu'il y a de vraies brebis hors de
l'Église et aussi des loups à l'intérieur. Il précisait que beau-
coup de ceux qui sont ouvertement séparés d'elle et qu on
appelle hérétiques, sont meilleurs que bien des catholiquesao.
Mais n'oubliez jamais ce qu a dit Luc dans le verset 33 de
son évangile : "On ne met point de vin nouveau dans de
vieilles outres, parce que si on le fait, les outres se rompent,
le vin se répand et les outres sont perdues".
- Pouvez-vous nous dire, interrogea Pierre, si Marie-Ma-
deleine était bien la compagne, ou l'épouse de Jésus ?

r28
LOCGI.A SECRETUM

- C'est pour un jeu de société? demanda malicieusement


Paternos. C'est décidément à la mode de nos jours.
Mais qu'est-ce que cela peut bien faire ? Vous avezlu, je
suppose, l'évangile apocryphe de Philippe. Seuls ceux qui
se voilent la face pour ne pas voir la vérité, peuvent la re-
fuser. "La compagne du Fils est Marie la Magdaléenne" dit
Philippe dans son évangile. Nous n'avons aucun doute là-
dessus puisque, que ce soit en grec ou en copte hoinonos,le
mot employé par Philippe, se traduit par compagne, âsso-
ciée, conjointe. Le silence des évangiles canoniques sur certe
union en devient même révélateur. Vous avez lu l'évangile
des Douze: "Marie-Madeleine que j'ai choisie est une avec
moi". Bien des prêtres et évêques ont été mariés durant les
premiers temps de l'Église, et même bien après. Prenez votre
pays, la France. Au début du XI'siècle on ne compre pas
moins de douze évêques, dans ce qui deviendra le Langue-
doc et la Provence, qui sont mariés, ou vivant publiquement
en concubinage. Ils sont père de nombreux enfants. Vous
savez bien qu'à l'époque de la croisade contre les Cathares,
la plus grande partie du bas clergé vivait en concubinage.
Dans le judaïsme, les rabbins sont mariés, car pour ensei-
gner, il fallait être marié. Jésus n'a-t-il pas enseigné au Tem-
ple, avant de s'opposer aux prêtres ? Quelques anachorètes
vivaient seuls, en prière et souvent en silence. Les autres,
comme Pierre et la plupart des disciples, étaient mariés.
Myriam et Jésus, ont eu des enfants. C'était un couple
comme d'autres, même s'il faut lui ajouter une dimension
spirituelle hors du commun. C'est surtout cela que vous
voulez savoir rt'est-ce pas ? »
La discussion avec Monseigneur Paternos dura jusqu'à
l'angélus. Pierre et Jean allèrent ensuite déjeuner dans le
jardin de l'Auberge Sainte-Catherine. Ils avaient quitté le
chef spirituel du monastère en emportant une copie de
lApocalypse de Jean. Et Pierre avait glissé une enveloppe
contenant un chèque substantiel sur le bureau de Paternos,

129
LOGGIA SECRE'I'UM

pour les æuvres du monastère. Il était patent que la com-


munauté ne roulait pas sur l'or.
Depuis les remparts du monastère, sur la grande terrasse,
Jean et Pierre regardaient le paysage. Plus bas, dans l'éten-
due ocre bordée de rochers et collines brunes, une caravane
de Bédouins, escortée de chèvres devant un petit troupeeu
de moutons, avec des gamins pour bergers, partait vers l'oc-
cident. Quelques chameaux, en file indienne, avaient pris
la tête de ce spectacle sur I'une des plus belles scènes qui
soit, digne des remps bibliques.
n Je ne sais plus qui a dit ou écrit que l'idée de Dieu était

née chez les peuples nomades, dans des civilisations pasto-


rales, mais je pense qu'il avait tout à fait raison ,, dit Jean
en contemplant ce spectacle.
Les deux hommes décidèrent de passer la nuit à I'auberge,
aux chambres accueillantes, avec salle de bains et mobilier
de couleur verte et des tons pastel en guise de décoration.
Si Jean, trop fatigué à la suite d'ennuis cardiaques, devait
rester au monastère, Pierre avait décidé d'emprunter la piste
aux chameaux pour faire I'ascension. Il ne monterait pas
les quelque 3 800 marches pour atteindre le sommet du
mont Moïse, comme le faisaient bon nombre de pèlerins,
mais seulement dans les 700 puisque le Bédouin et son cha-
meau le condüraient à une demi-heure de marche du sommet
a6n de voir le fameux lever de soleil sur ce site grandiose,
unique au monde. Et cela, celui que ses frères en loge ap-
pelaient le forgeron des étoiles, ne voulait pas le louper.
CHAPITRE XIII

À l'instant même oùr Pierre et Jean entraient dans la bi-


bliothèque de Sainte-Catherine, Claudio Bardi se faisait
déposer via Napoleone III, à Rome, devant le Palais de
l'Institut Pontifical d'Archéologie. Dix heures sonnaient
aux innombrables clochers romains.
Læ cardinal Luigi d'Asti était un de ces prélats, intellectuel
éclairé, qui ne devait son ascension dans la curie romaine
qu'à son intelligence, sa culture et son origine familiale. Les
d'Asti, qui avaient compté d'autres prelats au cours des siècles,
étaient l'une des familles les plus importantes d'Italie. Mais
le cardinal s'était toujours refusé à se servir de ses origines,
tout comme de la brosse à reluire, en vogue au sein de la cité
sainte, pour âire une carrière qui lui importait d'ailleurs assez
peu. De plus, l'âge aidant, il n avait ni velléité ni vanité, deux
des moteurs essentiels, avec I'appartenance à un réseau, à
une carrière dans la curie romaine. Il n était plus considéré
comme ennemi par l'un des muldples clans, puisqu'il ne
pouvait désormais être élu par le conclave en cas de vacance
du pouvoir pontifical. À l'époqr'r., certains de ses proches,
à l'intérieur de l'Église comme dans la vie profane, n avaient
pas compris qu'il ne se porta pas candidat. Il n'était pas
dans I'air du temps, avait souligné un observateur.
Luigi d'Asti, malgré ses origines des plus bourgeoises, et
certains ne s'étaient pas priv& de le lui rappeler, avait été I'un
des défenseurs du concile Vatican II de Roncali, devenu pape
sous le nom de Jean )C(III. Un concile jugé trop réforma-
teur par la ligne dure du Vatican qui l'avait taxé de pro-
gressiste ce qui, en ces lieux, confinait presque à une injure.

131
LOGGIA SECRETUM

Luigi d'Asti n avait rien fait pour cela et seule la rumeur


romaine l'avait fait u papabile ,. Peut-être même un ennemi
intime avait-il influencé l'entrefilet paru dans l'Osseruatore
Romano, aÊn qu'on lui barre la route au cas où... Un pro-
cédé très courant dans les mæurs de la catholicité romaine.
Après un remps au dicastère comme évêque, d'Asti avait
été appelé à la Secrétairerie d'État. Sous-secrétaire, certains
nonces apostoliques avaient souvent fait appel à ses connais-
sances et à son efi de la diplomatie pour résoudre bien des
problèmes ayant trait aux affaires étrangères du Vatican.
Tiès vite, cependant, il avait été mis sur la touche. On se
méfiait de lui. Ses études dans un collège et à l'universitéJé-
suite de la capitale romaine, sa mé6ance, pour ne pas dire
son aversion, envers les gens de l'Opus Dei et le fait qu'il ait
été l'un des défenseurs de Vatican II ne plaidaient guère sa
cause auprès des conseillers du pape et encore moins du
Saint-Père.
De plus, Luigi d'Asti et une infime minorité de cardinaux,
s'étaient élevés contre un prêtre américain, devenu évêque
malgré un dossier accablant. Il avait passé son existence à
corrompre des prélats de son pays, ainsi que des familles
dont les enfants avaient eu à subir des actes pédophiles, ce
qui avait gangrené une importante partie du clergé améri-
cain. Cet évêque, une fois au Vatican, avait continué avec
les gens de la curie, les invitant dans les restaurânts les plus
chers de Rome. À peine ordonné prêtre, cet homme vivait
déjà dans le péché, dans un luxe ostentatoire et gaspillait
des sommes n se chiffrant à plusieurs millions de dollars ,.
Ce qui ne l'avait pas empêché d'obtenir sa crosse alors que
bien des prélats auraient préféré une démission. Un scan-
dale avait éré évité de peu: à sa mort, le Varican ayant ap-
pris qu'il avait légué certains biens immobiliers et autres à
sa Êlle naturelle qui le faisait chanterar.
On ne pardonnait pâs au cardinal d'Asti d'avoir mis le
doigt sur I'une des nombreuses plaies de l'Église de Rome.
Des services u spéciaux » ayaient tenté de lui jeter dans les

r32
LOGGIA SECRETUM

bras une jeune fille de la bourgeoisie romaine dont il était


assez proche. Elle avait une vingtaine d'années, une vestale,
belle comme l'aurore et qui n était pas insensible au charme
de Luigi. Mais c'était un autre prélat qui l'avait engrossée.
[^a jeune Êlle, dont le père était un chirurgien renommé de
la nomenkletura, avait été envoyée en Suisse où elle avait
accouché d'une petite fiIle. Après son rétablissement, la
jeune mère avait été dirigée vers un pensionnat huppé deux
ans durant aux États-Unis afin d'y poursuivre des études. À
son retour, lorsqu'elle apprit que sa mère faisait passer sa
propre 6lle pour une enfant adoptée, elle s'était suicidée.
Et enterrée en grande pompe par une §rielle de prélats au
son des grandes orgues de Latran. Rétrospectivement d'Asti
imaginait le bourbier dans lequel on avait failli le faire tomber.
Il avait été tenté de faire éclater ce scandale, mais ses proches
et sa propre famille l'en avaient dissuadé. Il avait été n pla-
cardisé », en charge des académies vaticanes, avec bureau
dans la Cité Sainte, mais s'était installé à l'Institut Pontifi-
cal d Archéologie où il préférait donner ses rendez-vous.
Luigi d'Asti avait fait une partie de ses études avec le père
de Claudio Bardi avec qui il avait conservé des relations
amicales jusqu'au décès du patriarche toscan.
En gravissant les marches du splendide escalier de marbre
conduisant au premier étage, Claudio se rappelait cet homme
qui aimait marcher dans les vignes de la propriété, en com-
pagnie de son père, s'arrêtant parfois pour goûter un grain de
Sangiovese et apprécier le degré de maturité des raisins.
Un jeune curé blondinet, en soutane, introduisit Claudio
dans le bureau du prélat.
o Comment ves-tu mécréant ? », s'enquit le cardinal.
Après un bon quart d'heure de discussion sur la famille
et d'évocation de souvenirs, le prélat apostropha Claudio:
u Je présume que si tu es venu jusqu ici, c'est que tu as
quelque chose d'important à me demander ? J'ai récem-
ment ouï dire que tu étais devenu le Grand Commandeur
du Rite Écossais pour l'Italie. Félicitations.

r33
LOGCIA SECRE'I'UM

- Vous saviez que j'étais fianc-maçon, ce n est pas un secret.


- Oui ! Depuis ton séjour aux États-Unis, ton père m'en
avait parlé. Et je l'avais calmé câr, entre ton divorce et ton
entrée chez les francs-maçons, il n'était pas très heureux de
tes choix. Je luiavais même raconté qu'aux obsèques de
l'avant dernier Grand Maître de la Grande Loge d'Italie, il
y avait eutant d'hommes d'Église, y compris évêques et autres,
que de francs-maçons, et que les orgues de Saint-Jean de
Latran n'avaient jamais autant accompagné une aussi belle
cérémonie religieuse. Pour un excommunié, m'avait ré-
pondu ton père, vous en faites un peu trop. Alors, tu sais...
- D'autant plus, et je crois que nous parlons du même
personnage, que ce dernier, dans sa jeunesse, avait piloté
un avion bombardanr Guernica, ajouta Claudio. Il fallait
bien qu'il passe par l'Église pour se faire pardonner autant
de crimes.
- Qu'est-ce qui te préoccupe ? » interrogea Luigi d'futi.
Claudio Bardi expliqua ce que certains francs-maçons,
au sein d'une loge de recherche, sans dire mot sur la Log-
gia Secretum, tentaient d'approcher. Il lui Ât part de l'his-
toire de la grotte de Rennes-le-Château et de la signature
P.S. sous les écrits araméens. Il raconta également la mort
d'Alain Salmon et la disparition de parchemins qui de-
vaient être traduits et analysés par un spécialiste, à Paris.
Au fur et à mesure que Claudio s'expliquait, le visage du
cardinal s'assombrissait. Il ne lui coupa jamais la parole et
écouta jusqu'à son terme le récit de l'aventure dans laquelle
Claudio et ses amis s'étaient embarqués.
u Vous qui êtes au cæur de la démarche spirituelle, et in-

formé de tout, vous devez bien savoir si, à l'intérieur de


l'Église, il existe une association dont les initiales seraient
PS. Nous avons immédiatement pensé au Prieuré de Sion,
mais une fois I'hypothèse passée au crible de nos recherches,
nous avons ignoré cette piste. C'était même bien un peu
trop flagrant. On a voulu nous diriger vers cette société se-
crète d'une manière un peu trop primaire à notre gofit.

t34
LOGGIA SECRE'|UM

- Je ne vois pas très bien ce qui pourrait correspondre à


quelque chose de ce genre dans notre Église. Si tu es venu
me voir, c'est que tu as une idée derrière la tête. En quoi
votre histoire pourrait-elle concerner une quelconque im-
plication de l'Église ? ,
Claudio se demanda un instant si le cardinal ne se mo-
quait pas de lui. Il tenta de développer quelques arguments
mais Luigi d'futi l'arrêta d'un signe de la main.
n Je ne vois pas autre chose que le Prieuré de Sion. Encore

faudrait-il qu il existât, c:rr tout ce que nous avons eu comme


informations, jusqu à présent, est plutôt de l'ordre du mau-
vais roman. Il est vrai qu'un groupuscule s'est approprié le
nom du Prieuré de Sion pour fonder une association aux
buts assez loufoques. Ils se disent descendants et défenseurs
des héritiers des rois Mérovingiens, ces rois "faits néant",
qui seraient eux-mêmes descendants du Christ. Une bien
belle fable, même si j'ai appris dernièrement, qu'après la
mort du dernier Grand Maître, un Français pour le moins
bizarre et faussaire de surcroît, le nouveau Secrétaire Gé-
néral de ce mouvement était l'héritier d'une honorable fa-
mille italienne. Cela donne un peu de consistance à cette
histoire qui pour moi, je te le confirme, relève d'une fable
entièrement inventée pour les besoins d'une cause assez
uouble. T[r penses bien qu en deux mille ans de recherches
bibliques et autres exégèses sur Jésus, nous aurions, si cela
avait existé, trouvé quelque chose. Il ne faut pas croire que
l'Église s'évertue à tout cacher. Et la plus grande pârtie de
notre bibliothèque est ouverte à tous les chercheurs, chré-
tiens et autres.
- Lun de nos amis s'est pourtant vu refuser l'accès à cer-
taines pièces de la Vaticane.
- Certaines choses ne peuvent encore être divulguées.
Mais cela viendra avec le temps. »
Claudio comprit qu'il n'aurait pas d'autres informations
de la part du prélat. La discussion continua un bon quart
d'heure sur le domaine toscan des Bardi et sur ses voyages

r35
LOGGIA SECRE'I'UM

pour promouvoir ses vins dans le monde. Puis, le cardinal


se leva, mettent Ên à l'entretien qui avait pris un ton ami-
cal, et reccompagna Claudio à la porte de son bureau. Le
jeune blondinet en soutane, s'installait derrière son bureau.
n Tir as toujours tes vieilles habitudes à Rome ?

-Toujours fidèle au même hôtel, et au déjeuner en terrasse,


quand la pollution romaine le permet ,, répondit Claudio.
Les deux hommes se quittèrenr sur ces banalités. Clau-
dio prit un taxi qu'un chasseur venait de héler et donna
l'adresse de son hôtel. Au 9 de la via del Babuino, l'hôtel de
Russie est I'un des grands palaces de la capitale romaine.
Proche de la villa Borghese, à deux pas de la Cité du Vati-
can, jouxtanrla piezza del Popolo. Le toscan, quand il était
à Rome, descendait presque toujours dans cet hôtel dont il
appréciait le luxe, mais encore plus les jardins, véritable
oasis de paix au cæur de la ville. Et surtout l'aile gauche de
la terrasse donnant sur la piazza. Là, il prenait souvent le
dîner avec son épouse, ou des invités, dominant ainsi les
toits de Rome et offrant une vue splendide sur la coupole
de Saint-Pierre et la ville éternelle.

Une fois dans son eppartement, Claudio se connecta à


Internet. Il avait un courriel de Jean des Sauzils, depuis
l'Égypte, lui retransmettent un message de Nathan Sitruk,
l'agent du Mossad. Ce dernier, comme il s'y était engagé,
donnait quelques informations à Jean sur le résultat de la Ê-
lature des deux hommes depuis la Haute-Vallée de l'Aude
à Paris via Toulouse. Il expliquait les contacts qu'avaient
eus l'ecclésiastique avec la SOPEC et les deux chercheurs
du Commissariat à l'énergie atomique et lui adressait, en Ê-
chier joint, un cliché de l'homme en gris, qui avait désor-
mais un nom: Luca Ortolani.
Lagent israélien souhaitait bonne chance à Jean car son
équipe décrochait et regagnait Tel-Aviv. Mission terminée.
Dommage que je n'ai pas eu ce message quelques heures
plus tôt, pensa Claudio. Et il se demanda s'il ne devait pas

136
LOGGIA SECRETUM

contacter à nouveau Monseigneur d'Asti. Mais non... ce


n était pas une bonne solution. Il s'était fait des idées. Com-
ment un homme d'Église, de ce rang, allait-il lui donner
des informations sur un sujet qui, durant des siècles, avait
été non seulement « tabou » pour ses semblables et qui, de
plus, risquait de se retourner contre une institution à qui il
avait sacrifié toute une vie ? Je dois encore être un tantinet
naïf, nota Claudio.
« Monsieur, bonjour, ici le concierge. M. Luigi désire-
rait vous voir. Il dit avoir rendez-vous avec vous.
- Oui, oui, veuillez I'accompagner, répondit Claudio
aussi surpris qu'interloqué. ,
Cinq minutes après, le cardinal Luigi d'Asti, costume de
flanelle anthracite, chemise de clergyman masquée par un
cache-col de soie et borsalino sur ses cheveux gris, entrait
dans la chambre du 6'étage.
o J'espère que tu as compris que je ne pouvais pas te par-

ler dans mon bureau. Ils se méÊent de tout et de tous.


Même si je suis âgé et inoffensif, ils m'ont toujours à l'æil.
J'ai suffisamment d'amis et complices pour savoir ce qui se
passe dans la maison de Saint-Pierre. Tir es vu ce freluquet
de blondinet qui m'est attaché ? Je suis sûr qu'il joue les
fringants pour mieux m'espionner et faire son rapport.
- C'est à ce point ?
- Cela a toujours existé, mais ça ne fait qu empirer. De-
puis quelques années, il y a un regain d'espionnite au sein
du Vatican. Le dernier scandale avec les relations de l'offi-
cier de la garde suisse et le soit disant suicide d'un jeune
garde n'a fait qu'empirer les choses. Tiop d'informations
sont sorties dans les médias. Tü veux un exemple ? Quand
\Toytila est devenu pape, il a fait venir auprès de lui des
prêtres et surtout des sæurs polonaises, totalement dévoués,
pour être plus sûr. Personne d'autre que ces sæurs ne lui
administraient ses médicaments depuis son hospitalisarion
après l'attentat qui a failli lui coûter la vie. Et cela jusqu'à
sa mort. Nous en sommes là.

t37
LOGGIA SECRETUM

- Mais qui est derrière tout cela ?

- Il y a plusieurs réseaux. En commençent par les fau-


cons de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, puis
I'Opus Dei, qui règne en maître et surtout autre chose avec
celui qui r'inréresse.
- Il y a donc des choses bien peu catholiques dans la mai-
son de Dieu !
- Cela peut se traduire ainsi. Quand tu m'as parlé de la
signature, j'ai tout de suite compris qui était derrière vos
histoires. Il ne s'agit pas du Prieuré de Sion même si, mal-
adroitement, on a voulu vous orienter vers cette société. Je
suis quasiment certain que derrière ce P.S. se cache Sodali-
tium Pianun ou Sodalité saint Pie V. Le signataire a vo-
lontairement inversé les deux lemres: PS. au lieu de S.P. il
n'y a que Sodalitium Pianum qui, chez nous, puisse corres-
pondre à ces deux lettres.
- Inconnu, Êt Claudio dans une moue.
- Et pour ceuse. Officiellement ses activités ont pris 6n
en 1921. Sodalitium Pianum a été mise en place par Pie X
et Umberto Begnini, prélat à la Secrétairerie d'État en 1909.
À I'origine, c'était un réseau de surveillance interne des
évêques et prêtres trop compromis avec la société moderne.
Ses membres faisaient des dossiers sur tous les ecclésias-
tiques jugés trop modernistes. Puis, cela s'esr étendu à tous
les catholiques qui avaient, ou pouvaient avoir une quel-
conque influence au plan politique, Ênancier, scientifique
ou autre. C'est un réseau d'espions ayant chacun un pseudo-
nyme, agissant dans toute la catholicité, qui va fournir un
nombre incalculable d'informations sur des personnalités.
Ces informations sont codées er déchifFrées ensuite au Va-
tican. Ses membres prêtent un sermenr antimodernistea2.
Sous le nom de "La Sapinière", cela est devenu un véri-
table centre d'espionnage qui fait des âches sur tout le
monde, d'abord dans l'Église, puis en dehors. Et sur rour ce
qui est décrété ennemi de l'Église, comme vous, entre au-
tres, francs-maçons, mais aussi les juifs, les philosophes, les

r38
LOGGIA SECRETUM

socielistes, les communistes, les capitalistes... Linternatio-


ndisme, le marché boursier mondial, les artistes d'avant-
garde, tout les intéresse. Ils sont contre toute évolution: les
gens de "La Sapinière" ont tenté de saboter la constitution
de la Société des Nations, puis I'ONU, qu'ils pénètrent et
où certains occupent des postes importants. Ils æuvrent
contre toute forme de maçonnerie qu ils accusent de vou-
loir établir un gouvernement mondial.
- C'est idiot et srupide. S'ils connaissaient les lutes exis-
tant entre les diftrentes obédiences maçonniques et leur
pouvoir, quasi nul sur la société civile, ils ne perdraient pas
de temps à lutter contre des chimères. Mais c'est vrai que
le fantasme maçonnique a encore bien des adeptes et peut-
être fédérateur pour qui sait l'utiliser. La désinformation et
la manipulation, ainsi que des exemples de pseudos maçons
y contribuent largement.
- Nous avons tous un revers à nos médailles... Au-
jourd'hui, "La Sapinière" a été réactivée. Même au Vatican,
c'est encore un secret. Et ceux qui savent évitent d'aborder
le sujet. C'est un ancien des opérations "spéciales" ayant
collaboré avec Paul Marcinkus, archevêque de NewYork et
ancien responsable de la sécurité au Vatican et patron de
I'Institut pour les CEuvres de la Religion, I'IOR, qui est très
certâinement à la tête. Ce n'est pas certifié. Nous sommes
quelques-uns à le penseç même si je crois qu'il doit avoir
quelqu'un au-dessus de lui. À la Secrétairerie d'État par
exemple.
- N'est-ce pes cet homme, dit Claudio en lui montrant
la photo sur l'écran de l'ordinateur?
- Luca Ortolani. Mon Dieu, vous êtes bien renseignés.
Oir cette photo a-t-elle été prise ?
- À Paris, il y a trois jours. Par un agent israélien.
- Mon Dieu! D'Asti prit son visage entre ses mains. Un
agent israélien ? Si le Mossad intervient, il va y avoir des ré-
percussions mondiales et notre acte de contrition vis-à-vis
du peuple juif ainsi que nos tentatives d'ouverture vers cette

t39
LOGGIA SECRETUM

religion seront pris pour une stratégie de plus. Alors que


nous avons besoin des Juifs pour lutter contre l'expansion-
nisme musulman et surtout contre les islamistes. Cela
risque de remettre en ceuse la politique actuelle du Vatican
et de l'Église. Tir ne peux te douter des répercussions mon-
diales qui peuvent s'ensuivre.
- Je ne pense pas que les juifs se satisfâssent de votre acte
de contrition pour croire que l'Église de Rome a de meilleurs
sentiments envers ceux qu elle a accusés d'avoir causé la mort
deJesus. Et ce ne sont pas les dernières foucades de votre pape
qui vient de réinstaurer la prière pour la 'tonversion" des Juifs
qui efface le trouble que peut ressentir cette communauté
vis-à-vis de l'Église catholique. Si vous avez exclu le terme
"juifs perÊdes" dâns la messe en latin remise au goût du jour
par Rauinger, l'Édise demande toujours: "que notre seigneur
Dieu lève le voile de leurs cæurs et leur permette de recon-
naître Jésus-Christ". C'est un sacré retour en arrière par rap-
port à la messe instaurée en 1970 par Paul VIa3.
- Je vois que tu suis parfaitement les évolutions ou les ré-
gressions de notre Église . Je sais que beaucoup de croyants
et de nombreux chrétiens n'ont pas apprécié que le pape
affirme urbi et orbi que: "l'Église existera toujours et c'est en
elle seule que demeurent à tout jamais tous les éléments ins-
titués par le Christ lui-même." En traitant les Églises orien-
tales, orthodoxes, et autres de "communautés ecclésiales"
et en disant âux protestantsqu'il leur manque les "éléments
essentiels" pour que leur sacerdoce soit valide, l'Église fait
aujourd'hui un retour vers un passé que je croyais moi-
même révolu.
- La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dont votre
pape est l'ancien patron vient de déclarer qu'une seule,
Église, celle de Rome, est détentrice de la seule vérité et que
les autres "n'ont pas la plénitude des voies du salut". C'est
du bolchevisme ou j'en perds mon latin...
-Tir exagères et dramatises. Mais c'est au sujet de l'équipe
d'Ortolani que je m'inquiète. Je savais bien qu'ils en fe-

r40
LOGGI.A SECRETUM

reient trop, qu ils dépasseraient la ligne jaune et attireraient


un jour l'attention de trop de monde. Je m'en étais ouvert
à sa Sainteté. Mais je ne suis plus écouté depuis longtemps
et ses conseillers, dont beaucoup sont membres de l'CEuvre,
qui assure souvent le soutien logistique de "La Sapinière",
m'ont fait comprendre qu'il serait vain d'insister. Mais ce ne
peut être Ortolani qui est à I'origine de la mort de votre ami.
- Pourquoi le Vatican n'a-t-il jamais commis ni com-
mandité de crimes ?
- Ce n'est pas ce que je veux dire. Mais c'est un prêtre,
un homme d'Église. Je le connais. Même si je n ai pas une
grande sympathie pour ce genre d'homme, je sais, en mon
âme et conscience, qu il ne peut avoir commis cela. Orto-
Iani est intelligent, retors et peut-être pervers, mais ce n'est
pas un assassin. C'est vrai qu'avec son réseau d'une qua-
rantaine de prélats et de correspondants à travers le monde,
il analyse et regarde tout ce qui se fait ou se trame sur la pla-
nète qui pourrait porter atteinte à notre Église. Il est sou-
vent en voyage pour, ici ou là, âpporter la controverse
quand des chercheurs ou autres biblistes arrivent avec des
trouvailles ou exégèses remettant en cause le dogme. C'est
lui qui a pris le relais pour tenter de retarder la publication,
en Europe plus particulièrement, des traductions des ma-
nuscrits de la Mer Morte. Le Vatican a tout tenté pour que
tout le monde pense et croit que ces manuscrits ainsi que
le rouleau de cuivre, n'étaient que cetu( d'une secte sans im-
portance, celle des Esséniens. Ortolani est un peu le garant
caché de l'orthodoxie romaine.
On a même dit qu'il était un membre important dans la
hiérarchie de l'Opus Dei. Je peux te dire que cela est tota-
lement inexact. Je crois que l'CEuvre n'est, pour sa mission,
qu'une sorte de paravent et il se sert des infrastructures opu-
siennes dans le monde sans en être membre. Cela arrânge
bien les espions de n [,a Sapinière , d'être considérô comme
membres de I'Opus Dei. C'est pour eux une belle couver-
ture a6n de préserver le secret sr Sodalitium Pianum.

r4t
LOGGIA SECREI'UM

S'il s'intéresse à vos recherches, c'est que vous êtes sur le


point de trouver quelque chose qui ve nous déranger. C'est
quoi le parchemin dont tu m'as parlé ?
- Un oracle kabbalistique et peut-être une partie du vé-
ritable évangile de Jean ou de Barthélemy. Nous le saurons
prochainement.
- Ce sont les fameux manuscrits de Montségur ?
- Oui. D'après ce que nous savons, ce pourrait être cela.
- Je croyais qu'ils avaient été récupérés par Rome grâce
à I'Inquisition, et à l'évêque de Pamiers Jacques Fournier,
devenu ensuite pape sous le nom de Benoît XII. C'est une
lutte {ui dure depuis plus de sept cents ans. Il faut croire
que des êtres ont le don de vision. Un troubadour écrivait
au XIII' siècle: « Al cap des sept cents ans uerdtgeo lo hurel o
(au bout de sept cents ans le laurier reverdit). Il ne s'était
pas trompé. Qui aurait pu croire que I'homme contempo-
rain, de plus en plus formaté par les marchands, rivé à son
siècle consumériste, se passionnerait, plus de sept cents ans
après, pour quelques bons hommes perdus dans les brumes
pyrénéennes dans cette terre occitane qui a toujours été li-
bertaire. Qui aurait pu penser que la chaîne gnostique aurait
résisté à tant d'années d'inquisition ? C'est peut-être aussi
cela, la foi. Qu'allez-vous faire ?
- Je pense que notre Thès Sage Grand Maître voudra une
réunion pour décider de la suite à donner. Mais il ne m'éton-
nerait guère, d'ici quelques jours, que la police ne soit inté-
ressée par l'audition d'Ortolani.
-Je comprends. Mais tu comprendras à ton tour que je ne
puisse laisser cela en l'état. Il est de mon devoir d'avertir notre
Saint-Père. Après tout ce que nous avons traversé, y compris
la mort, jugée, par certains, suspecte, de Jean-Paul I", nous
ne pouvons laisser éclater un autre scandale. Ce genre de par-
fum attire toujours les médias autour du Vatican comme les
mouches sur un cadavre et l'Église n'a pas besoin de cela au-
jourd'hui. Je suis loin de partager tout ce qui se fait en son
nom. Je pensais que plus notre monde évoluerait, plus

142
LOGGIA SECRETUM

l'Église suivrait en abandonnant certaines pratiques moyen-


âgeuses, en continuant à éclairer les hommes de bonne vo-
lonté. C'est pour cela que j'ai fait partie de ceux qui
souhaitaient, en douceur certes, une réforme, même sans
toucher au dogme. Mais au soir de ma vie le bilan est assez
mitigé. J'ai compris depuis bien trop d'années déjà, que les
hommes restent des hommes, avec leur vanité, leur soif de
pouvoir, et chez nous une très grande hypocrisie. Certains
d'entre nous s'autorisent des choses qui ne viendraient même
pas à I'idée de nos plus humbles des Êdèles. Peut-être le fait
de tout dire à Dieu en confession nous a-t-il rendus moins
sévères envers notre conscience, puisque nous laissons le far-
deau de nos pêchés à celui qui est mort pour nous sur la
croix. Et yu d'ici, la pénitence est surtout pour les autres.
- Si Dieu existe, dans sa grande miséricorde, il vous par-
donnera.
- Tir me croirais si je te disais que moi-même comme
d'autres de mes semblables avons été maintes fois pris de
doute et que, comme Jésus, nous avons fui dans le désert
pour tenter d'échapper au démon ? Car c'est le doute, notre
démon, sois-en persuadé.
- C'est là oir nous divergeons. Pour moi le doute est un
moteur qui fait avancer. Sans le doute, point de progres-
sion possible chez I'homme. Le doute ouvre la porte à la
recherche, à la connaissance. Sans le doute, pas de tolérance
et sans tolérance, pas de liberté de penser...
- Tir sais, il serait bien que nous puissions continuer un
jour cette discussion dans notre chèreToscane. Comme au
bon vieux temps avec ton père. Peut-être gue dans cet en-
vironnement, je retrouverai la paix et la sérénité. Nous
avons tellement échangé, ton père et moi. Quand j'ai été
ordonné prêtre, il a pleuré. Ce n était pas la direction qu'il
aurait souhaité me voir prendre. Il me voyait diplomate.
EnÊn, c'est si loin...
- Vous serez toujours le bienvenu chez nous. Et si vous
le souhaitez, je remplacerai mon père pour vous accompa-

r43
LOGGTA SECREI'UM

gner entre les ceps de vigne et les oliviers. Nous pourrons


philosopher sur le Sang du Christ, pour vous et sur le sang
de la Terre, pour moi, qui nous réunira ainsi dans le vi-
gnoble. À propos du Mossad, soyez rassuré. Son enquête
est terminée. Ses agents nous ont accompegnés un petit
bout de chemin et sont rentrés en IsraëI. Ils ont été piégés
par des journalistes. Rien ne sorrira.
- Merci Claudio. Mes hommages à ta maman. »
Le cardinal Luigi d'Asti se leva de son fauteuil. Le poids
des ans semblait avoir encore plus de prise sur ses épaules.
Claudio le raccompagna jusqu'à l'ascenseur où un garçon
d'étage prit soin du vieux monsieur au borsalino et à l'écharpe
de soie noire.
Dehors, un angélus couvrit quelque temps le flot d'une
circulation toujours aussi anarchique et bruyante. Le bruit
des klaxons zébrair l'atmosphère. C'était la Rome éternelle.
CHAPITRE XIV

Dans les jours qui suivirent, les treize membres de la Log-


§a Secretum se retrouvèrent dans un petit Temple maçon-
nique, chemin Saint-Jean-du-Désert, à Marseille. Claudio
Bardi, fit un rapide compte rendu de son entretien avec
Monseigneur d'Asti et de l'identification par ce dernier du
prélat Lucas Ortolani comme étant l'ecclésiastique présent
à RennesJe-Château et à Paris. Jean conÊrma avec les in-
formations transmises par les agents du Mossad et donna
les résultats de leur filature avec, notamment, la visite au
CEA ce qui, selon Gérard Rossi, devait certainement avoir
pour objet une éventuelle datation des manuscrits volés à
Alain Salmon. Pierre etJean exposèrent les résultats de leur
voyage à Sainte-Catherine, leur entretien avec Monseigneur
Paternos et la visite du saint des saints de la Bibliothèque du
monastère.
À dgfaut de l'évangile secrer de Marie-Madeleine, ils ra-
menaient une apocalypse de Jean peu connue. En défaisant
ses bagages, Jean s'était aperçu que Monseigneur Paternos
leur avait concocté une petite surprise. Sans les informer,
l'évêque de Sainte-Catherine avait ajouté autre chose à
l'Apocalypse : une copie conforme d'un court extrait du
Livre des Secrets de Jean dont l'original venait d'être ré-
cemment retrouvé. Avec l'extrait d'un évangile, ces textes
ont été très certainement écrits à Alexandrie, contrairement
à l'ensemble des écrits de cet apôtre rédigés, selon la tradi-
tion, à Éphèse.
Cet extrait décrivait Jésus, comme prédicateur et guéris-
seur. (Jn homme connaissant les n signes » et rendant visite

145
LOGGIA SECREI'UM

aux malades lorsqu'il descendait àJérusalem. Ses actions de


guérisseur étaient décrites ainsi que les lieux oir elles se pro-
duisaient, plus particulièrement à la piscine Probatique, oùr
s'est déroulée la scène du paralytique après le fameux n lève-
toi et marche » et à l'Esculapiumaa. Certe sorte d'hospice
pour malades et grabataires ainsi que les piscines, étaienr
un peu des antiques lieux de pèlerinage, comme Lourdes
aujourd'hui. Ex-voto et autres babioles remerciaient Yahvé,
d'avoir guéri les nombreux juifs venant, selon l'évangile de
Jean, plonger dans les eaux des piscines au premier
bouillonnement. Là, Jésus, comme Esculape avant lui, im-
posait ses mains sur la tête du malade ou du pèlerin avant
qu'il ne soit baigné. Pour cela également, expliqua Jean,
Jésus ne faisait que suivre le chemin rracé et les traditions
observées par d'autres prophètes avant lui, le plus souvent
rabbins mais aussi hommes adorant d'aurres dieux du pan-
théon paganiste.
C'est dans ce Livre des Secrets qu'est souligné que o le rite
qui se perpétue à la messe est antérieur aux récits de la Cène
qui prétendent le Êxer ».
Après ces exposés et les nombreuses quesrions qui suivi-
rent, les treize membres, à 1'unanimité, décidèrent d'infor-
mer Gérard Rossi des derniers développements, afin qu'il
fasse le nécessaire auprès des enquêteurs, concernant plus
particulièrement Lucas Ortolani, jugé responsable de la mort
d'Alain Salmon.

Le même matin, une Mercedes classe S aux plaques mi-


néralogiques aux armes de la Cité du Vatican, quimair
Saint-Pierre et prenait la direction du sud de Rome, vers
Castel Gandolfo. Toujours en cosrume gris de clergyman,
Lucas Ortolani se demandait bien ce que pouvait lui vou-
loir le Saint-Père, au point de le convoquer « dans la plus
grande urgence », en sa résidence d'été. Castel Gandolfo,
jouxtant un lac enchanreur, esr un site fréquenré à la fois
par des religieux, pèlerins et tourisres. Pour s'y rendre de-

t46
LOCGTA SECRE'I'UM

puis Rome, on emprunte de superbes routes au bord des-


quelles s'épanouissent les « fleurs du mal , venues d'Afrique
ou des pays de l'Est, en quête de clients pressés, préferant
le culte de Priape à celui de Marie.
Ortolani ne voyait pas ce qui pouvait, dans ses toutes ré-
centes activités, attirer I'attention du Saint-Père. Même si
le pape n était pes au courant de toutes les actions entre-
prises, il n en était pas moins informé par le supérieur di-
rect du prélat, le véritable « petron o de Sodalitium Pianum.
Un patron anonyme, qui ne s'adressait à Ortolani que par
messeges chiffrés, qu'il riavait jamais rencontré, mais qu'il
devait forcément connaître, dont il ne connaissait même pas
le timbre de voix et qui était pour lui l'un des plus grands
mystères du Vatican.
Ortolani reconnaissait que I'homme qui se cachait der-
rière cet anonymat était d'une redoutable efficacité, qu'il
était au courant de presque tous les faits et gestes de la qua-
rantaine de membres de la société secrète, oir qüils soient
et quoi qu'ils fassent. Parfois, Ortolani trouvait des ins-
tructions dans les maisons de l'Opus Dei du pays où il se
trouvait. Il n avait plus qu à déchiffrer le message pour sa-
voir ce que l'on attendait de lui. Une fois seulement, il avait
tenté d'en savoir un peu plus et avait interrogé des n amis
sûrs , qui officiaient à l'Institut pour les CEuvres de la Re-
ligion. [æ lendemain même un message d'une brièveté qui
en disait long, lui était parvenu, par porteur, chez des amis
romains avec qui il dînait dans une villa Renaissance de la
l-azzio: n Inutile et puéril ,, signé S.P
Ortolani rt'avait confié à personne, I'invitation privée à
laquelle il se rendait. Le message était donc une façon de lui
faire savoir qu'ici, tout ce qu'il entreprenait ou faisait ne
pouvait échapper à o l'anonyme » et à ses informateurs.
Comme si Rome n était qu'un village pour celui qui veillait
aux desdnées de la vieille société secrète vaticane.
Depuis, Ortolani, qui avait un faible pour le luxe et les
voyeges, tt'avait plus insisté. Même quand, depuis deux ans

r47
LOGGIA SECRE'I UM

environ, son supérieur lui avait imposé celui qui était de-
venu son garde du corps et exécuteur des basses æuvres,
José, de mère gitane et de père andalou, criminel sans état
d'âme. tJn pervers peu loquace qui n'avait jamais levé le
moindre voile sur la manière dont il avait été recruté, ni
par qui. Certaines rumeurs, dans une ofÊcine romaine, aÊ
Êrmaient que cet homme avait fait du « nettoÿage » en
Tchétchénie, au service d'anciens du KGBas devenu tout-
puissant dans l'entourage de Poutine. D'autres ajoutaient
qu'il avait travaillé pour les séparatistes basques de I'ETA
avant d'être envoyés à Rome par un curé militant basque.
En fait, personne ne connaissait le passé de ce troublant
personnage. Sauf une , celle qui l'avait recruté.
k pape n était pas seul dans son bureau. Le cardinal Per-
cing, véritable patron de la Sécurité au Vatican, se tenait
derrière le Saint-Père.
u Voilà, dit le Saint-Père, en ouvrant délicatement une
enveloppe bistre sur son bureau. Nous avons reçu ceci de
plusieurs "sources" ,. Et il fit glisser cinq clichés vers Orto-
lani.
Ortolani pencha son buste vers le bureau et pâlit en
voyant les documents. Deux photos avaient été prises devant
Notre-Dame de Lorette, à Paris et trois autres au Domaine
d'Auriac, à Carcassonne, un Relais et Château où il était des-
cendu à plusieurs reprises, deux fois en compagnie de José,
pour être plus proche de Rennes-le-Château sans attirer
toutefois trop l'attention. Un lieu enchanteur oir il pouvait
à la fois pro6ter d'un cadre idyllique en toute discrétion,
d'une excellente table et s'adonner au gol[, son sPort favori.
o Expliquez-moi pourquoi des agents israéliens se sont
intéressés à vous ? dit Percing.
- C'est impossible ... Je ne me l'explique pas. »
Lucas avait perdu toute sa superbe et balbutiait comme
un adolescent pris en faute.
n La police française détient ces documents et vient de les
transmettre à Interpol qui doit lancer un mandat d'ame-

t48
LOGGIA SECRETUM

ner contre vous. Vous devriez être entendu par les policiers
français qui sont en train de remonter jusqu'à vos amis de
l'(Euvre à Paris. Nous sommes dans une impasse qui va
coûter très cher à l'Église. Et sans de bonnes relations au
sein des Renseignements généraux français, nous serions
dans I'impossibilité de faire quoi que ce soir pour vous. La
France a ceci de particulier c'est qu il existe au sein de ses
différentes polices des jalousies historiques. Cela nous a,
pour une fois, servis, expliqua Percing.
-Tiès Saint-Père, je vais immédiatement donner ma dé-
mission. Je ne veux pas qu un scandale éclate par ma faute,
dit sans se départir de son calme, le prélat. J'ai pêché par or-
gueil. Veuillez me pardonner. Je vais rédiger une déclara-
tion et...
- Inutile. Nous venons de vous faire Ministre Plénipo-
tentiaire Vous avez rang d'ambassadeur du Vatican.
- Vous avez compris, insista Percing ? Vous êtes sous la
protection de I'immunité diplomatique. Aucune charge ne
peut, actuellement, être retenue contre vous. »
Ortolani sentit comme une lourde chape quitter sa poi-
trine et respira plus librement. Il était conscient que cela
n'avait été facile pour personne et s'agenouilla devant le
pape dont il garda un moment la main contre ses lèvres en
signe de soumission la plus totale.
Q.r*d il quitta Castel Gandolfo, de lourds nuages blancs,
à peine poussés par le venticello, glissaient lentement vers
les collines romaines. De retour à son bureau à Rome, un
message chiffré l'attendait: n Effacer toutes rreces ».
Il avait très bien compris. o Lanonym6 », §ui devait déjà
être au courant de son entrevue avec le pape à Castel Gan-
dolfo, ne lui laissait pas le moindre répit. Il devait aller
jusqu au bout de ce qui avait failli devenir son chemin de
croix et appela José.

Pierre avait invité les membres de la Loggia Secretum,


après leur réunion de Marseille, à venir passer le week-end

r49
LOGGIA SECRETUM

dans sa villa de Cassis. Plus de la moitié des membres


avaient pu répondre à l'invitation. Ils étaient attablés sur la
ferrasse, face au cap Canaille, en train de déguster un re-
marquable Couronne de Charlemagne, un cassis blanc,
quand le portable du maître de maison sonna.
Quelques instants après, Pierre regarda Jean et les autres
membres avant d'ennoncer :
n C'était Gérard Rossi, à Paris. Il savait que nous étions
ici et vient de m'avertir que la police ne pourrâ rien contre
Ortolani. Ses services viennent de lui confirmer qu'il avait
été nommé ambassadeur par le pape, depuis un mois envi-
ron, donc couvrant les faits que l'on connaît si l'enquête
remontait jusqu'à lui. Les services secrets français savent,
comme les enquêteurs maintenant, que cela est faux, que sa
nomination ne date que d'hier, mais on ne peut rien contre
un arrêt de la Chaniellerie du Vatican. D. plus, au mo-
ment de I'assassinat d'Alain Salmon, Ortolani a un alibi
n béton ,. Il était à l'universiré catholique de Saragosse pour
une conférence contradictoire à propos de la théologie de
la libération. La police vient d'abandonner l'enquête, mais
pas les services secrets qui vont continuer à accumuler des
informations sur ce prélat bien particulier. Par contre, rien
sur le second homme. Il va falloir contacter Paul Nadal afin
qu'il reçoive tous ceux qui ont pu apercevoir ce personnage
et faire un portrait-robot. Comme dit Gérard, il n'esr pas
né du néant et il compte bien savoir un jour à qui I'on a aÊ
faire. Pour nous, rideau. Encore une fois Rome est en train
de marquer des points.
- Je contacterai Nathan Sitruk pour voir si sa collègue,
qui a été en compagnie des deux hommes une heure durant
dans l'avion Toulouse-Paris, peut nous faire un portrait-
robot du rype qui avait tant déplu à Firmin Magnan à JaÊ
fus, dit Jean.
- Toutes ces informations conÊrment que monseigneur
d'Asti est bien allé voir le pape comme il me l'avair dir à
Rome. Mais aussi que rien ne s'est passé comme il l'avait

150
LOGGI-A SECRETUM

pensé ou imaginé, précisa Claudio. Pas de démission à I'ho-


riznn. On étouffe le scandale dans l'æuf. Donc l'Église agit
aujourd'hui comme elle l'a toujours fait dès que l'ortho-
doxie est mise en danger par de nouvelles découvertes, ar-
chéologiques ou autres, ou qu'une autre interprétation des
livres que la sienne est présentée. Il y a toujours des Irénée
de Lyon et des Eusèbe de Césarée pour défendre le dogme
urbi et orbi.Jamaisl'Église de Rome ne permettra que I'on
reconstitue le déroulement de la vie de Jésus tel qu'elle le
fut. Nous avons attaqué un chantier qui est peut-être un
peu trop présomptueux pour de simples humains. Mais la
sagesse est dans la quête, pas dans le but. Alors, même s'il
n y avait que cela au bout, continuons. »
Face au câp et devant ce paysage pour aquarelliste, durant
tout le repas qui suivit sur la terrasse de la villa, dominant
le petit port et les pointusa6 de quelques rares pêcheurs, la
discussion continua sur le sujet. Elle durait depuis vingt
siècles et n'était pas près de connaître un terme, tânt le
sujet, depuis l'Église primitive de Jérusalem, en passanr par
les gnostiques, Cathares, Templiers, Église d'Orient er au-
tres communautés chrétiennes ne se reconnaissant pas dans
l'Église de Rome, était riche d'incertitudes.

En début de soirée, Pierre reçut une autre communica-


tion de Gérard lui demandant de se connecter à Internet et
d'ouvrir sur les informations d'une chaîne câblée.
o Robert Lepietx, directeur adjoint du service des Rayon-
nements avec la matière au Centre d'études atomiques, re-
trouvé pendu dans son bureau ,. (Jne journaliste lisait une
dépêche et tentait de joindre un reporter d'images sur place.
Apparemment, I'homme, célibataire, surnuméraire, et vi-
vant donc dans une maison de l'Opus Dei, n'avait laissé
aucune information quant à son geste. La police pensait
déjà au suicide.
Gérard et Pierre, qui à son tour informa le petit groupe,
savaient très bien qu'il ne s'agissait pas d'un suicide. Les

l5l
LOGGI,A SECRETUM

gens du Mossad, ayant fait du bon travail, leur permet-


taient au moins de savoir que quelqu'un voulair effacer
toute trace de contact entre le prélat romain et l'ingénieur
du Centre d'Études Aromiques. En remonrant lusqu à lui,
les enquêteurs remonteraient inexorablement au meurtrier
d'Alain Salmon, par le biais des parchemins de Montségur.
A Paris, Gérard appela un ami à la Direction centrale de
la Police judiciaire.
« Jacques, bonsoir, c'est Gérard. Ce sont tes gars qui sont

sur l'affaire du Centre d'études atomiques à Gif?


- Oui, pourquoi ?

- Dépêchez-vous, vous risquez d'avoir un autre "sui-


cidé", cette fois au Commissariat à l'énergie atomique de
Saclay. Un nommé Robert Brun, ingénieur.
- Comment tu sais tour ça ?
- Pas le temps, je r'expliquerai. Fais Êssa! ,
Quelques minutes plus tard, une cohorte de voitures aux
gyrophares bleus, le deux-tons branché, fonçair vers le CEA
à Saclay. Plusieurs heures après, il fallut se rendre à l'évi-
dence. Tout le Commissariat avait été fouillé. Sans succès:
il n'y avait pas de second n suicidé , au CEA. Robert Brun
était introuvable. Ce n'est qu'au petit matin, qu'un gérant
d'un hôtel de passe sordide, proche de la rue d'Amsterdam,
dans le quartier de Saint-Lazare, à Paris, tomba sur deux
corps dans une chambre.
À l.,rr arrivée, les policiers trouvèrenr une jeune prosti-
tuée roumaine et un homme étant sûrement son client, en-
tièrement nus et pendus dans le réduit servanr de douche.
Lhomme devait être un adepte du fouet puisque son corps
était strié et marbré de coups. Ses fesses er ses reins étaient
en sang er d'anciennes cicarrices révélaient que I'individu
devait être un adepte de telles pratiques. Une bouteille de
Coca-Cola était enfoncée dans son anus, ce qui pouvair
laisser supposer à une mise en scène. Mais ce qui troubla
davantage les policiers et interpella plus tard le légiste, était
encore plus insensé: un cordon de nylon bleu, noué à la

r52
LOGGIA SECRE1'UM

base du sexe anormalement réduit, enserrait les testicules


comme pour les priver de toute vie. Deux fruits secs, à
peine irrigués, sous un sexe d'enfant. À,rrr. malformation
certainement congénitale, I'homme avair ajouté un sup-
plice castrateur.
Quand le directeur adjoinr de la PJ appela Gérard et lui
raconta ces détails, ce dernier ne parut pas aussi surpris que
le policier.
o Notre homme était membre de l'Opus Dei er devair
penser que la souffrance est un lent cheminement dans la
quête vers Dieu. Même s'il était un peu tordu et sûrement
introverti, je ne pense pas que ce soit pour le plaisir uni-
quement que ce Robert Brun fréquentait ce genre de pros-
tituée. Ce rype devait être un adepte d'une forme de
mortification, en pénitence perpétuelle et croyait pouvoir
certainement égaler la passion du Christ en faisant sienne
la sentence de Job: "l'homme naît pour souffrir comme
l'étincelle pour voler". On en croise comme ça, dans toures
les religions. Tir vois, ce genre d'individu devait cerraine-
ment critiquer les chiites de Kerbala qui se flagellent au
sang pour pérenniser le deuil d'Ali, le gendre de Mohamed.
Ils sont à mettre au même niveau. Dans le même sac. Ceux-
là et les porteurs du cilice qui subliment leur souffrance
physique pour l'amour du Christ. Ils relèvent davantage du
cabinet du psy que de l'Église qu'ils croient ainsi servir.
Cela dit, je ne crois pas du tout au suicide. Lhomme
comme la femme ont été assassinés.
- On verra ce que nous disent les expertises scienti6ques,
répondit le policier. Mais tu dois avoir raison. Avec celui
d'hier soir, ça fait beaucoup dans le landerneau atomique.
Cette histoire ne me plaît guère. J'ai déjà reçu les recom-
mandations de mon patron: "Silence et bouche cousue. Pas
un mot à la presse". Je suis persuadé qu'il a lui-même déjà
reçu quelques conseils des étages politiques, ,
Gérard lui expliqua comment et pourguoi il savait que
le detxième homme serait assassiné. Il lui raconta briève-

t53
LOGGIA SECRETUM

ment l'histoire des manuscrits de Montségur sans entrer


dans les détails. Il était clair qu'il ne fallait pas que la police
établisse un lien entre la présence d'Ortolani à Paris er sur-
tout pas que les deux ingénieurs puissent témoigner. S'ils
avaient pu dire que le prélat leur avait demandé de dater
les parchemins envoyés par Jean à Gérard, ce qui avait
coûté la vie à Alain Salmon, les enquêteurs lui auraient
demandé la provenance des parchemins. Avec les dou-
bles établis par Jean des Sauzils, notre homme était
coincé. Les dèux témoins disparus, personne ne pourrait
mettre en doute la parole d'un ecclésiastique du rang
d'Ortolani. Surtout pas aujourd'hui avec son titre d'am-
bassadeur du Saint-§ièg....
Quand il eut fini, le directeur adjoint de la PJ, émit une
sorte de grognement: « J'ai comme l'impression que les
"emmerdes" sont de sortie. On va être une fois de plus à la
fête. , Avant de lui souhaiter bonne chance, Gérard prit
rendez-vous avec le policier a6n de lui en dire un petit peu
plus pour son enquête. Toujours n offrr, bien entendu.

De retour dans son mas du Minervois, Jean n'arrivait pas


à ne plus penser aux trois pendaisons. Il passa de longues
heures dans son bureau à contempler sans la voir sa riche
bibliothèque, puis Êxa le portrait de son grand-père, dans
un cadre en bois ovale décoré à la feuille d'or. Lancêtre de
la Haute-Vallée portait son regard bien plus loin que ne
l'aurait souhaité l'objectif du photographe. Un regard à la
fois 6er et distancié, comme s'il lui indiquait qu'il fallait
toujours porter son attention ailleurs au moment où les
faits réduisent l'environnement et la sphère de la réflexion.
Et une étincelle fusa, lui faisant se remémorer subitement
une histoire de meurtres eutour du mystère de Rennes-le-
Château et du Prieuré de Sion: l'affaire du Serpent Rouge
relatée par Gérard de Sède dans Rennes-le-Château, le dos-
sier, les impostures, les pbantasme/7 ...

t54
LOGGIA SECRETUM

n Le Serpent Rouge ,, déposé à la bibliothèque nationale


en 1967 n'est qu'un fæcicule desdné à embellir et asseoir la
légende du Prieuré de Sion avec des indications plus ou
moins fumistes portant sur Rennes, les Blanchefort et
même la petite rivière de la Sals. Ce texte a été pompeuse-
ment baptisé de langage ésotérico-maçonnique. D'autres y
ont vu des écrits rosicruciens. C'est plutôt un galimarias
sans grand intérêt, d'un style pseudo-ésotérique sans consis-
tance, signé de Pierre Feugère, Louis Saint-Maxent et
Gaston de Koker. Paradoxe: ces trois hommes, selon leur
famille, avaient autant d'intérêt pour le mystère de Rennes-
le-Château, qu'ils ne connaissaienr pas, qu'un esquimau
pour le cassoulet. Ces trois signataires ont pourtant bel et
bien existé. Malheureusement, personne n a pu les inter-
viewer après la publication du n Serpent Rouge ,. Un peu
plus d'un mois après la publication, en mars 1967 Feugère,
Saint-Maxent et de Koker sont morts, à vingt-quatre heures
d'intervalle. Les trois hommes se sont pendus... Encore
une coïncidence des plus troublantes. Cela voulait-il dire
que l'assassin des deux ingénieurs atomistes et de la prosti-
tuée connaissait cette histoire ? Était-ce encore une simple
coincidence ? Jean avait appris par expérience à se méfier
de ce genre de coïncidences. Si ce n'était pas le cas, cela
voulait-il dire que l'assassin leur envoyait un message ? Mais
lequel ?

Jean des Sauzils continua ses investigations en puisant


dans sa riche bibliothèque. Il découvrit, dans une enquête
bien menéeo'qt. deux des trois hommes au moins ayant
signé, à défaut de l'avoir écrit, « Le Serpent Rouge ,, se
connaissaient. Tous trois demeuraient dans le Val d'Oise et
le fascicule était daté de Pontoise. I-lauteur, qui a fait un vé-
ritable travail d'enquêteur, conduait que o [r Seqpent Rouge,
a été antidaté et que ce riest qu une u mystification macabre ,
avec la complicité d'un médecin légiste ou d'un policier
pour faire de ces trois pendus les faux auteurs du fascicule.

r55
LOGGIA SECRETUM

Personne n'ayant la possibilité de prouver que les trois


hommes n'étaient pas les auteurs, puisqu ils étaient décédes.
Quant au véritable auteur de ce peu intéressant document,
peut-être a-t-il simplement voulu donner un avertissement
à ceux qui s'approchaient de trop près de certains mystères
de Rennes-le-Château, laissant croire, comme pour les trois
hommes, qu'il était dangereux de dévoiler certaines choses.
Et qu'à trop tenter le diable on pouvait le rencontrer.
Jean envoya aussitôt un courriel aux treize membres de
la Loggia Secretum, résumant la bizarre histoire du Serpent
Rouge et de ses trois pseudo-euteurs morts par pendaison.
On avancait à petits pas dans cet imbroglio imposé par
Rome.
CHAPITRE XV

Bernard Pol et une dizaine de membres de la Loggia Se-


cretam arrivèrent aux Saintes-Maries-de-la-Mer peu avant
onze heures. Ce début juin était déjà chaud et le léger souÊ
fle marin atténuait à peine les brûlures d'un soleil haut dans
le ciel. Quelques jours seulement après le pèlerinage, la pe-
tite ville camarguaise regorgeait de touristes et les gitanes,
dans leurs robes colorées, les accostaient pour lire les signes
de la main contre quelques pièces. Quelques autres étaient
regroupés en cerde devant de jeunes guitaristes revisitant le
répertoire de Django et de Manitas de Plata.
Iæs Saintes, en été, c'est toujours la Ëte et le folklore.
Avec cette ambiance de marchands duTêmple qui sied aux
stations balnéaires et touristiques. Les rues piétonnes re-
gorgeaient de touristes. Les hommes s'attardaient sur les
vêtements de cuir et les vins exposés à la devanture de bou-
tiques aguicheuses, les femmes sur les tissus de soleil, les
robes andalouses et les poteries décorées de feuilles et de
fruits d'olivier ou d'autres symboles sudistes. De plus en
plus, l'artisanat local laissait place à des produits estampillés
« made in China ». Mais le touriste achetait, c'était l'essen-
tiel. De là, un flot continu et bariolé se dirigeait vers l'église,
tandis que l'autre allait chercher le soleil au bord d'une mer
d'huile, scintillant comme un diamant à mille facettes.
Suivant l'ancien prêtre, le petit groupe entra dans l'église
Notre-Dame-deJa-Mer, construite sur l'emplacement d'un
antique oratoire, par la porte Nord. Une église-forteresse,
comme il en existe dans plusieurs endroits où la maison de
Dieu ne servait pas seulement au culte. Ces édifices proté-

r57
LOGGIA SECRETUM

geâient la population quand la soldatesque ou autres rou-


tiers catalans ou aragonais, quand ce n'étaient pas les razzias
berbères depuis peu arabisées, venaient piller ces régions
d'invasions et de passage. C'est ici, que la famille de Jésus
et ses proches, les üois Maries, Marthe, Maximin, ainsi que
quelques chefs des révoltés contre les romains autour de
Jésus, ont trouvé refugeae.
Ceux qui ne connaissaient pas les lietx furent un peu déçus
quand Bernard Pol, une fois dans la crypte, leur annonça
qu'elle riavait été creusée qu au XI\Æ siècle, agrandie ensuite
par le roi René aÊn de recevoir la statue de Sainte Sarah.
u Sait-on vraiment qui était cette Sarah ? interrogea Al-
bert Paullus.
- À part qu elle est aujourd'hui, et cela depuis 1521 oir un
manuscrit d'Arles le stipule, la sainte patronne des gitans,
plusieurs hypothèses et légendes existent. Mais il n'y a au-
cune trace d'elle dans les évangiles, qu ils soient canoniques
ou apocryphes. Pour les uns, Sarah était une servante, d'ori-
gine égyptienne, de Marie Madeleine, de Marie Salomé ou
Jacobé qui aurait suivi les saintes dans leur fuite de la Pa-
lestine aux environs de l'an 42 ou 49 àla suite de persécu-
tions. Elles auraient embarqué à Césarée. Pour d'autres,
Sarah aurait accueilli les saintes Maries dans ce qui n était
alors qu'un îlot où se trouvait un oppidum appelé n Râ ,,,
comme c'esr curieux n'esr-ce pas, signalé dès le V' siècle
avant notre ère. Le bateau des saintes Maries étant en difE-
culté au large du petit port, Sarah aurait lancé son manteau
sur l'eau. Ce dernier flottant comme un radeau, aurait permis
de sauver les Marie, Marthe, Joseph d'Arimathie et autres...
Inutile de vous dire que ce genre de littérature relève de
I'imagerie populaire. D'autres encore ont affirmé que Sarah
était la première née de Jésus et Marie-Madeleine, celle que
certains écrits appellent par ailleurs Tâlma.
En fait ici, l'Église n aborde pas souvent Marie-Madeleine:
vous la veffez rarement citée. Il y a surtout celles qui sont
restées dans les parages, Marie Jacobée et Marie Salomé.

r58
LOGGTA SECRETUM

Comme si on voulait soit l'éliminer, encore et toujours, soit


laisser la suprématie à la légende de la Sainte Baume. Cer-
tains chercheurs se sont demandés si Marie Salomé, celle qui
voit Jésus « monter dans son lit » et qui fut son arnante, ne
serait pas la même personne que Marie de Magdala. D'au-
tres, eu contraire, stipulent qu elle était la mère des apôtres
Jacques et Jean. Il ny a pas si longtemps, jusqu au XIX' siè-
cle, la plupart englobaient les trois Maries en une seule. Il
est vrai que les evangiles et les écritures varient souvent de
nom pour une seule et même personne. Si Marie Salomé
riest pas Marie de Magdala, comme le soutiennent certains
exégètes romains, et si on s'en tient au évangiles apocryphes,
il faut croire que Jésus a connu plusieurs femmes et que son
essence divine est donc remise en question. Q".l est ce Dieu
qui ne saurait résister à la tentation de la chair et d'une
femme, si belle soit-elle? À moins qu il ne soit tout simple-
ment un homme. Il reste encore matière à orplorer.
Pour bien situer le rôle de la Magdaléenne, je vais faire
une petite digression. Rappelez-vous que tous les apôtres,
sauf Jean, ont pris la poudre d'escampette, après l'arresta-
tion de Jésus. Pierre, le premier à s'enfuir, est même taxé
de n lâche » par certains théologiens, y compris romains.
De peur d'être reconnus et arrêtés comme amis de Jésus, les
apôtres, sauf Jean u le disciple bien aimé », seron[ absents
au moment de la crucifixion.
Marie, sa mère, Marie de Magdala, Marie Jacobé sont
au contraire présentes, au Mont des Oliviers ou au Golgo-
tha. Je précise cela car personne ne peut dire aujourd'hui
avec certitude où s'est déroulée la crucifixion. Les deux hy-
pothèses restent possibles, même si les dernières investiga-
tions favorisent le Mont des Oliviers.
Et c'est Marie-Madeleine, seule, selon Jean et l'évangile
secret de Marc, qui est revellue au tombeau pour constater
la disparition du corps. Il y a donc quelque chose de plus
fort entre elle et Jésus qu'avec tous les autres, mis à part
Jean, celui à qui Jésus aurait conÊé sa mère avant de mou-

r59
LOGGIA SECRE'fUM

rir: « mère, voici ton Êls ,. Ce qui laisse ouvert le débat sur
Salomé mère de Jearr... À moins queJésus ne se soit adressé
à Marie-Madeleine, et non à sa mère, afin de lui confier le
premier fruit de leur union... C'est à sa seconde visite au
tombeau que la Magdaléene ne reconnaît pas Jésus qu'elle
prend d'abord pour un jardinier. Et alors qu'elle allait se
jeter dans ses bras, après qu'il se soit dévoilé, Jésus dit à
Marie-Madeleine de ne pas le n retenir ,, de ne pas n l'en-
lacen puisqu il n a pas encore rejoint la maison du Père.
Mais c'est une autre histoire...
Il existe une autre possibilité concernânr Sarah. Elle au-
rait pu agir au nom d'une communauté juive de Ia dias-
pora, très présente autour de la Méditerranée, depuis 31
avant notre ère, a6n de recueillir ses coreligionnaires. Enfin
autre légende, Sarah l'Égyptienne aurait été abbesse d'un
couvent libyen ayanr fair partie de marryrs persens. Inutile
de continuer. Je ne vous parlerai pas du transport dans les
airs par les anges de Marie-Madeleine de la Sainte-Baume
au Saint-Pilon... Pour faire rêver la foule, on ne recule de-
vant rien, y compris les plus gros canulars et les contradic-
rions historiques propagées par l'Église. C'est la course aux
images d'Épinal.
- Pourquoi s'en priver, ça marche depuis 2 000 ans ,, dit
Albert.
Après la crypte, envahie de touristes allant faire brûler
un cierge auprès de Sarah, Bernard Pol montra au petit
groupe o l'oreiller des saintes ,, un marbre sur lequel, dit-
on, reposaient les crânes de Marie Jacobée et Marie Salomé
mis au jour en 1448.Par autorisation spéciale obtenue par
I'ancien prêtre, le petit groupe put accéder à la chapelle
haute, sous le clocher, dans l'ancienne salle du coqps de garde
où se trouvent, dans une châsse posée sur l'autel, les restes
des reliques en partie calcinées lors de la Révolution.
« Si mystère il y a, c'est que ça marche. Et plutôt bien, dit
Guy Mone depuis la terrasse en regardant la foule qui se
pressait dans les rues de la cité camarguaise.

r60
LOGGIA SECRE-I'UM

- On a le choix: soit la crédulité n'a aucune limite, soit


I'homme a besoin d'autre chose que de son quoddien, voulant
toujours être rassuré sur son sort, surtout après son passage
terrestre. Il est ainsi prêt à toutes les aventures. Quoi qu il en
soit, rien dans ce choix n'est guère réjouissant, ajouta Max.
- Moi, je reste toujours rabelaisien, dit Paul Bousquet.
Rappelez-vous ce qu il disait: "Tout ce que nous lisons de
la vie éternelle, n'est écrit que pour assurer et repaître d'une
vaine espérance les pauvres idiots".
- Si l'homme avait su se transcender, il n aurait pas eu
besoin d'un Dieu. Nous tentons d'approcher la vérité dans
l'inextricable de nos contradictions afin de nous défaire de
cette angoisse existentielle, celle du vieil homme dont nous
devons laisser la dépouille afin d'être seul sur le chemin de la
quête. Ce qui fait qu il y a peut-être une forme de nostalgie,
ce regard parfumé d'âme qui fait que nous âvons toujours,
consciemment ou pas, besoin de réponses, pas toujours ra-
tionnelles, à nos multiples interrogations, dit Jean.
Mais ces réponses-là, c'est d'abord en nous que nous de-
vons les trouver. Ensuite, comme le plus grand nombre ne
passe pas les réponses toutes faites, enjolivées et tentatrices
que nous apportent les religions, au crible de la réflexion et
de la connaissance, tout peut, malheureusement, devenir
possible. Y compris, croire à l'incroyable. Les religions mo-
nothéistes, essenriellement, ont une grande part de res-
ponsabilité puisque, prosélytes, il leur faut toujours plus de
6dèles, ou plutôt de supporters. J'ai toujours eu la plus
grande difficulté à comprendre le cheminement de ceux
qui réclament la plus grande tolérance à leur égard en se
conduisant de la façon la plus intolérante qui soit envers
cerx qui ne pensent pas la même chose qu'eux.
- Je reste persuadé que seule la connaissance, pour d'au-
tres la gnose, reste le seul chemin pour tenter de nous faire
comprendre ce pourquoi nous sommes en recherche. Si nous
ne voulons pas vivre comme de simples mécaniques, forma-
tées au seul service du dieu consumériste, dit Pierre Faure.

r6l
LOCGIA SECRETUM

Même les Églises sont à genoux devant le dieu Mercure.


Je reconnais que c'est loin d'être facile dans la société qui est
la nôtre au.iourd'hui. II faut se garder de l'euphorie qui peut
cacher la déchéance, et se méÊer de la vérité acquise un jour
qui devient erreur le lendemain. C'est une des raisons qui
me conduit à ne pas accabler systématiquement le fot hu-
main se transformant en troupeau. Même si j'éprouve par-
fois un sentiment de révolte envers ceux qui veulent
ramener l'homme vers ses instincts les plus primaires afin
de mieux le manipuler. Il n est pas facile de s'évertuer à vou-
loir faire la synthèse des tendances contraires. C'est pourtant
l'un de nos devoirs de "cherchants" e[ de maçons.
-Je ne pourai répondre à cela qu en ayant acquis une cer-
taine expérience parmi vous. Mais cette exigence, répondit
Bernard Pol, devrait être celle de tout honnête homme
comme l'on disait jadis. Pour en revenir à cette petite colonie
juive de Béthanie ayant trouvé refuge ici, on ne sait combien
de temps elle resta sur place. Maximin se dirigea rapidement
sur Aix, Lazare alla à Marseille, Marthe à Târascon et Made-
leine à la Sainte-Baume. Seules MarieJacobé, Salomé et Sarah
vécurent ici "pauvres, ignorées, absorbées dans le souvenir des
grands événements atxquels elles avaient pris part50."

Peu avant 14 heures, Ie groupe quirta les Saintes et em-


prunta la route des Iscles, évitant ainsi le flot touristique
pour rejoindre un mas or) il devait déguster une gardianne.
Une manade toute blanche sur la route de Saint-Gilles,
propriété d'un maçon de la loge de Lunel, Georges Poirier,
adepte du rite de Memphis-Misraïm, accueillit les frères de
la Loggia Secreturn. Georges présenta un des membres de
son obédience, Rémi de Saze. Éditeu, en Avignon, Rémi
était un ardent défenseur de la Camargue et avait égalemenr
publié plusieurs essais sur Marie-Madeleine, notammenr
sur la période des Saintes-Maries et de la Sainte-Baume,
qu'il avait adressés, par l'entremise de Georges, à Albert
Paullus, pour ses travaux.

t62
LOGGTA SECRE'I'UM

Dans l'enclos de la manade, des jeunes gens, amis d'un


des 6ls de la famille, s'exerçaient à la cocarde avec de jeunes
coros. Ici, on privilégiait les courses qrmargueises, sans mise
à mort. Les membres de la loge secrète furent impression-
nés par Ie courage, la dextérité et l'agilité de ces jeunes gens
pour venir prendre la cocarde entre les deux cornes du tau-
reau et échapper à sa poursuite dans le corral.
Apres le repas, dans une salle à manger basse, blanchie à
la chatx et aux poutres apparentes, reladvement fraîche par
rapport à la température ambiante, le petit groupe s'installa
dans une pièce dont trois murs étaient couverts de livres.
Seul celui où était accolée la cheminée, encadrée par deux
têtes de toros, était vierge de bouquins. Sur une poutre à
I'opposé de la cheminée, plusieurs bouquets d'herbes di-
verses étaient pendus. De la centaurée à la chicorée, de la
bourrache au chanvre et des chiendents aux coquelicots, de
l'herbe à chevre à l'herbe à cochons, c'est une véritable guir-
lande de plantes séchées qui courait tout le long de la pou-
tre. Ici, on avait la culture d65 « simples ,, ces plantes
médicinales qui ont soigné des générations d'hommes et
de femmes et que I'industrie pharmaceutique, avec la com-
plicité de Pétain qui a supprimé le diplôme d'herboriste, a
remisées dans quelques grimoires.
Comme cela avait été demandé par Jean,l'après-midi se
passa à entendre et discuter les synthèses des travaux des
membres concernant Marie-Madeleine.
Après que chacun se fut exprimé sur ses dernières inves-
tigations depuis leur dernière rencontre, Jean lut une lemre
de Claudio Bardi, retenu à Rome et passa la parole à Albert
Paullus.
Ce dernier commença d'abord à dire qu'au départ, il ny
avait pas une mais plusieurs Égliro, selon les apôtres, et qu il
y avait très peu d'écrits, sauf les lettres échangées entre les
diftrentes communautés. Les premiers chrétiens vécurent
dans l'oralité. Ce n'est qu'ensuite, avec Irénée de Lyon, au se-
cond siècle de notre ère, puis Tertullien, Eusèbe et d'autres

t63
LOGGIA SECREI'UM

que l'on commença à rassembler les écrits qui deviendraient,


bien plus tard et après maintes retouches et autres interpo-
larions, le Nouveau Testament. Comme Albert venait de
plancher récemment sur le féminin sacré au sein d'une loge
traditionnelle méditerranéenne, Jean lui avait demandé de
faire une rapide synthèse sur ce que l'on connaissair, selon
les differentes sources, de Marie-Madeleine.
Ilexpliqua comment, l'Église de Rome, dans un premier
temps, avait tout mis en æuvre pour éliminer la Magda-
léenne du jeu. Celle que I'on a appelée n l'Apôtre des apôtres ,
n'est pas citée une seule fois dans les « Actes des Apôtres ,.
Pourtant, elle seule a reçu un enseignement « secret et per-
ticulieru deJésus. Pas les autres apôtres.
n Des peintures murales ont révélé qu'au début du chris-
tianisme, des femmes portaient des insignes sacerdotaux,
faisant donc fonction de prêtre. Paul lui-même cite des
femmes autour de Jésus, dont une diaconesse, Phæbé, mais
aussi Junia, Prisca et reconnaît le travail de ces femmes ac-
compagnânt le messie: Marie, Tryphose, Persis et d'autres.
C'est pourtant ce même Paul qui, dans sa première Épître
aux Corinthiens, soit une cinquantaine d'années après la
mort de Jésus, ne cite même pas Marie-Madeleine devant
la croix et le tombeau de Jésus et veut "que les femmes se
taisent dans nos assemblées car il ne leur est pas permis de
prendre la parole". Remarquez, précisa Albert, que les pré-
lats romains ont dit la même chose lors d'un colloque avec
les Cathares douze siècles plus tard, à Fanjeaux, quand Es-
clarmonde de Foix voulut prendre la parole : "Allez Êler la
quenouille madame, il ne vous sied point de prendre parole
en cette réunion."
Luc, très hostile à Marie-Madeleine dans son évangile, I'a
rayée des femmes présentes à la crucifixion. Au contraire,
l'Évangile de Thomas stigmatise le rôle de Pierre, Céphas
en araméen, celui censé avoir crééla religion catholique ro-
maine, et son hostilité envers Marie-Madeleine: "Qu'elle
sorte de parmi nous car les femmes ne sont pas dignes de

r64
LOGGI.A SECRETUM

la vie". Les artaques contre Marie-Madeleine étaient si vi-


rulentes, surtout de la part de Pierre, qu'un disciple du nom
de Lévi s'insurgea: "Le sauveur l'a aimée plus que nous.
Qui es-tu toi, pour la re,ieter ?" Elle se réfugia alors à Bé-
thanie avec le seul souvenir de l'homme qu'elle avait aimé
et passa, après la mort de Jésus, er selon cerrains, plusieurs
années, recluse dans une sorte de tombeau, nourrie seule-
ment par sa sæur Marthe.
C'est à ce moment-là qu une câssure se fir jour. Pierre ja-
loux de l'enseignement secret que Jésus a donné à Marie
et, après avoir reconnu la suprématie de Marie parmi tous
les apôtres, s'oppose à la Magdaléene en créant son groupe,
ce qui est patent dans "IjÉvangile de Marie", l'un des évan-
giles apocryphes trouvé à Nag Hammadisr. Marie-Made-
leine est donc seule héritière spirituelle de Jésus. Pierre n est
qu un imposteur. La première Église de Jérusalem ne sera
d'ailleurs pas dirigée par Pierre, ni Paul, mais parJacques le
Juste, frère de Jesus. Les autres iront vers l'occident, reniant,
pour Pierre une troisième fois, le messie et son enseigne-
ment spirituel. Ce qu'avait prédit Jésus.
- Oir s'est retirée Marie-Madeleine, interrogea Albert ?
- Vaste quesdon. Il y a tellement de réponses qu il m éton-
nerait que tous les lieux que je vais vous énumérer soient à
retenir. Si au premier siècle de notre ère, personne ne you-
lait Marie-Madeleine, depuis le V. siècle, tout le monde se
l'accapare. Il doit y avoir un bon millier de grottes porranr
son nom dans l'Occident chrétien. Sans parler des basi-
liques, églises ou sanctuaires qui lui sont consacrés ou dé-
diés. Ce n'est qu'à la 6n du XIV. siècle que le culte voué à
Marie-Madeleine cessa de se développer, rour au moins
sous son vocable. Pour êrre mieux étudié de nos jours.
Comme si on voulait redécouvrir la Sophia, la Dame des
troubadours ou l'Éternel Féminin.
Grégoire de Tours, comme Nicéphore Calliste, nous di-
sent que le tombeau de Marie-Madeleine esr à Éphèse, otr
elle aurait fini sa vie auprès de Jean. La "Chanson de Gé-

r65
LOGGIA SECRETUM

raud de Roussillon" nous dit que le fondateur deYézelay


dépêcha trois moines chercher en Palestine les reliques de
Marie-Madeleine. (Jne autre tradition veut que ce soit saint
Badillon, moine de Saint-Martin d'Autun, sous Charles le
Chauve, qui soit allé chercher les restes de la compagne de
Jésus à Jérusalem.
Je ne reviendrai pas sur le site des Saintes-Maries-de-la-
Mer. Mais il y a aussi, pas très loin, Maguelone ou Simon
le lépreux, faisant pertie du voyage de Marie, a débarqué.
Il existe à quelques kilomètres de ce qui fut l'un des sept
évêchés de la Septimanie, une grotte appelée "Madeleine".
Il faut ensuite parler de Marseille et plus particulièrement
du site de Saint-Victor où Marie-Madeleine allait méditer
dans une crypte que Lazare avait fait creuser, sur laquelle fut
construite, plus tard, l'abbaye. Il y a aussi le grandTemple de
Diane oir la tradition veut que Marie-Madeleine ait com-
mencé ses prédications. Il a été détruit et sur son emplacement
fut érigé une chapelle dédiée à Sainte Marie-Madeleine, à
proximité du carrefour des Tieize-Coins.
Je ne voudrais pas oublier un autre site: celui des Saintes
Maries, en pays catalan. Il y a également une légende dans
ce secreur concernant la compagne de Jésus.
Et puis, bien sûr, la Sainte-Baume oir la Magdaléene au-
rait vécu les trente dernières années de sa vie dans la fa-
meuse grorre. Mais ce n'est qu'au XIII' siècle que cette
tradition provençale prendra force et vigueur. J'ai rédigé à
votre attention une vingtaine de pages sur la Sainte-Baume
et Saint-Maximin, car c'est dans la crypte de la basilique
de ce village provençal qu'est supposé être le sarcophage,
en albâtre, de Marie-Madeleine. Celui que des catholiques
désignent comme le troisième tombeau de la chrétienté
après celui de Jésus à Jérusalem et celui de Pierre à Rome.
Aucun des trois sites n est d'ailleurs à retenir sérieusement
pour ces trois figures emblématiques du catholicisme. Le
tombeau de Jésus à Jérusalem, et à condition qu'il soit bien
mort sur la croix, est peut-être "la fosse d'infamie", où les

166
LOGGIA SECRETUM

romains jetaient les corps de tous les crucifiés. Selon Ia loi


romaine, il était interdit de rendre le corps d'un supplicié
à la famille. Quant au tombeau de Pierre à Rome, il n'y a
que les papes pour faire semblant de croire que ses restes se
trouvent sous la basilique éponyme. Le tombeau de Cé-
phas ou Képhas, c'est-à-dire Pierre, est bien à Jérusalem.
Des archéologues I'ont démontré à la Ên du )O(' siècle.
Je m'abstiendrai de parler de la tentative papale pour
faire croire que le corps de Marie-Madeleine avait été trans-
porté à Yézeley afin d'éviter que les Sarrasins ne s'en em-
parent. Cela n'a jamais existé et ria été fait, selon un autre
pondfe, qu'aux fins de récupérer I'argent dépensé par les
pèlerins venant sur ce lieu "sacré".
J'allais oublier de vous signaler une dernière chose. Il
existe en Éthiopie un lieu qui se nomme Magdala, dédié à
Amra Mariam, qui est l'un des autres noms donné à Marie
de Magdala. Si ce lieu est celui d'origine de la compagne du
Christ, c'est qu'elle était noire. Serait-ce l'une des raisons
pour laquelle l'Église romaine a voulu la faire passer pour
une prostituée afin que l'on se désintéresse d'elle ? Simple
hypothèse. Si le site de Magdala en Éthiopie pouvait être
retenu comme lieu possible de naissance de Marie de Mag-
dala pourrait-on alors y voir une quelconque relation avec
le culte des vierges noires, en liaison avec Isis, exposées au-
jourd'hui dans certaines de nos églises ?
En conclusion je vous pose une question: Les légendes
ont-elles une parcelle de vérité concernant la 6n de la vie de
Marie-Madeleine à la Sainte-Baume ? Est-il possible qu elle
ait 6ni sa vie ailleurs ?
Voici la réponse de Christian Doumergue, éminent spé-
cialiste de I'histoire de Sainte Marie-Madeleine: "la réponse
à cette question est oui. Nous pensons, que la sépulture de
Marie-Madeleine, ouue la dépouille de la sainte, contient
bien d'autres secrets que l'Église craignait de voir mis à jour.
C'est sans doute une des raisons qui la décida à inventer le
corps de la sainte en 1277.Il s'agissait certainement de se

r67
LOGGTA SECRE]-UM

prémunir de toute découverte fuure en prétendanr être les


véritables détenteurs de la mortelle dépouille52." On ne
peut être plus clair. De plus, ce chercheur laisse entendre
que d'autres secrets auraient pu parvenir à l'Église de Rome
par le biais des procès-verbaux des inquisiteurs au moment
de la croisade contre les Cathares. Comme nous le savons
aujourd'hui, ils avaient connaissance d'écrits occultés par
les catholiques et prenaient Madeleine pour la compagne
de Jésus. Les registres de l'Inquisition ont été une mine d'or
pour Rome dans sa lutte contre toute hérésie et contre
toute tentative gnostique.
- Finalement, dans toutes vos recherches, nous n'avons
rien concernant Marie de Magdala et Rennes-le-Château ?
dit Vigilcas. Pas le moindre bruissement d'une quelconque
légende, d'un écrit en dehors de ce qui existe avec l'abbé
Saunière...
- Peut-être, répondit Paul. Lun de nos amis, tenant une
librairie ésotérique à Marseille, rue de Cassis, m'a demandé
de passer le voir. Il vient de racheter un fond de biblio-
thèque à des descendants d'un érudit languedocien. Sa-
chant que je furète dans un certain domaine, il m a signalé
une pièce pouvant nous intéresser. J'y serai mardi, dans
deux jours.
- Nous attendons également d'un moment à l'autre la
traduction des parchemins de Montségur, dit Max. J'espère
que nous aurons quelque chose d'intéressant à ce niveau, si
I'on en croit l'acharnement de l'Église à vouloir à tout prix
s'emparer de ces parchemins.
- Il y a d'autres direcdons à exploiter en attendant. Pour-
quoi trouve-t-on dans bon nombre d'églises occitanes le
sceau de Salomon ou l'étoile de David ? D'accord, le chris-
tianisme est né de la religion juive. Tous les protagonistes
du christianisme sont juifs jusqu à la conversion des Gen-
tils, les chrétiens non juifs. Même si les uns ont créé un
Nouveau tstament pour se démarquer des Pharisiens et
autres sectes juives, les premiers chrétiens ont gardé long-

168
LOGGI.A SECRE]'UM

temps la circoncision qui reste un rite de la religion juive.


Il faudraitégalement se pencher sur l'avènemenr des "rois
juifs de Narbonne", précisaJean des Sauzils. Je ne crois pas,
à ce niveau, au hasard. Tfop d'étoiles de David, puis les rois
juifs de Narbonne, qui fut une ville en relation avec les juifs
de Cordoue et Tolède et qui fut un grand centre d'études
talmudistes et kabbalistique avec Lunel,'ne peut être le fait
du hasard. Il y avait là un terreau favorable. Est-on en pré-
sence des descendants de la diaspora juive qui a quitté la Pa-
lestine avec Marie-Madeleine ? Il serait intéressant de
pouvoir répondre à ces questions.
-Je vais vous faire rire, mais j'ai tout à coup une idée, dit
Portos. Pourquoi ne poserait-on pas la question qui nous
intéresse au carré magique de l'Oracle Kabbalistique re-
trouvé par Jean ? Il serait curieux de savoir qu'elle serait la
réponse. S'il y en a une... »
La question fut prise plutôt comme un jeu, mais il fut
décidé d'organiser une soirée avec le carré magique et l'ora-
cle. Ce n était pas un vieux grimoire de plusieurs siècles aux
relents hermétistes qui allait répondre par l'opération du
Saint-Esprit à une quesrion qui, pour I'instant, ne trouvait
aucune réponse sur le terrain des investigations.
Quand les frères de la loge secrète quittèrent le mas de
Georges, le soleil se couchait derrière les roseaux et les fla-
mants roses se regroupaient à proximité des salines. La ma-
nade retrouvait son calme. Les gardians étrillaient leurs
chevaux eu son des cigales régalant I'espace de leur sym-
phonie métallique jusqu'à la dernière lueur du jour, avant
que les grillons ne prennent le relais aÊn d'accompagner la
nuit. En bordure des iscles, ces îlots de terre enserrés de ca-
naux qui bordent souvent les enclos, les toros aux cornes
bien plantées rejoignaient le üoupeau dans le crépuscule.
Au loin, l'église des Saintes-Maries, illuminée, se dres-
sait au-dessus de la plaine camarguaise comme un phare à
l'assaut du ciel.
CHAPITRE XVI

Sept membres de la loge secrète se retrouvèrent le len-


demain à Lunel eutour de I'oracle kabbalistique apporté
par Jean chez un frère du Grand Orient Méditerranéen, le
docteur Jacques Sablier. La ville n'avait pas été choisie au
hasard. À Lunel, une importante école juive d'études et de
recherches, que ce soit en astronomie, asüologie, médecine
et traduction d'écrits anciens, avait fait florès et était
connue du monde méditerranéen dès l'an mil. Lunel devait
connaître, avec Narbonne, autre centre d'études talmu-
diques, une aura encore plus importante avec l'arrivée des
savants juifs deTolède et Cordoue. [a lGbbale avait trouvé
son nid. C'est cependant le village proche, celui de Lunel-
Viel qui, au plan historique, est le plus ancien de toute la
contrée. Ici, les habitants sont appelés Pescalunas, en occi-
tan o pêcheurs de Lune ,. Encore un symbole qui révèle
une tradition certaine.
Jacques Sablier, comme la plupart des participants, était
sceptique sur les résultats pouvant être obtenus grâce à
l'oracle. Mais I'universitaire était curieux et la préparation
de la partie magique, si elle en Êt sourire quelques-uns, in-
téressa le praticien.
« D'après ce que je sais, dit Jean, tout est dans la façon
dont on pose la question. Il faut une rédaction la plus
courte possible a6n d'obtenir une réponse avec les calculs
arithmétiques et géométriques la plus concrète. ,
Après s'être isolés dans une pièce afin de ne pas être dé-
rangé au cours de l'opération devant durer environ deux
heures, il fut procédé à la préparation magique. Sur une

t7r
LOGGIA SECRE'|UM

nappe blanche, Jean-Claude Roumegous confectionna un


mélange de trois encens: des larmes de Somalie, du Louben
et de la Myrrhe auquel il ajouta de I'ambre. Le tout fut mé-
langé dans un brûle-parfum. Jean Portos plaça une feuille
de papier parchemin ainsi que deux feuilles de papier blanc
evec un porte-plume et de l'encre de la couleur du jour.
Comme c'était un mardi, ce fut de l'encre rouge. Le mani-
pulateur étant du signe du Lion, on plaça une étoffe de la
couleur du signe, le jaune. Il fallur ensuire voiler les éclai-
rages de la pièce avec un tissu de couleur.
Loracle demandait ensuire aux parricipants de faire le
plus grand silence et de méditer le temps nécessaire afin de
chasser de l'esprit rout ce qui ne concernait pas la question
posée. Tous les participants formaient une chaîne d'union
en se tenant simplement par la main. Portos se plaça au
centre du cercle et tous, selon la mérhode employée par les
occultistes, toujours en cercle, fixèrent le crâne du mani-
pulateur. Ce n est qu'au bout d'une dizaine de minutes, qui
parurent plus longues à l'assistance, que Portos dessina sur
le parchemin le pentacle magique, avec seize signes kabba-
listiques nécessaires à la rédaction de la demande.
Il se concentra ensuire sur le pentacle placé devant lui en
le fixant longuement jusqu'à ce qu'il ait l'impression que la
demande puisse s'inscrire à travers le pentacle, sur l'autre
face du parchemin. Ce n'est qu'à ce momenr-là qu'il se sai-
sit d'une feuille de papier blanc pour écrire la demande
qu'il répéta trois fois à voix haute en fermant les yeux. Après
cela, et sans erreur dans la répétition, il ajouta son prénom
au texte de la demande et le nom du signe zodiacal dans le-
quel se situait le soleil en cerre journée.
Il fallut ensuite former le fameux triangle kabbalistique.
Pour ce faire il se livra à une série de calculs en appliquant
d'abord la réduction kabbalistique. Il s'agissait de retran-
cher 9 d'une somme de chiffres, le plus grand nombre de
fois que cela est possible, jusqu'à I'obtention d'un chiffre
compris entre 1 et 9.

172
LOGGIA SECRETUM

La question posée était la suivante: n Où est enterrée


Marie-Madeleine ? ,
Le résultat de la somme kabbalistique des lettres de la
demande était 3 puisque l'on comptait 27 lettres, avant ré-
ducdon, dans cette demande. Portos dut renouveler le
même procédé pour le nombre de lettres de son prénom
ainsi que celui de sa mère. Ce n'est qu'après qu'il put faire
la somme kabbalistique du nombre de lettres employées
dans chacun des mots de la demande. Il Êt de même pour
la somme du nombre de syllabes de chaque mot.
Continuant de suivre la règle de l'oracle, Portos donna
un chiffre à chaque lettre de la demande selon une c[é al-
phabétique. Technique parfaitement connue des Hébreux.
Il recommença la même opéradon que précédemment
jusqu à la recherche, dans un tableau de correspondance
joint à l'oracle, du nombre kabbalistique de ce mardi, jour
de la rédaction de la demande. Il commença alors à tracer
la base du uiangle. Et le minutieux et long travail arith-
métique et géométrique continua dans un parfait silence
jusqu à l'obtention des six nombres clés nécessaires à la for-
mation du triangle...
C'est à ce moment-là que le portable de Guy Mone se
mit à vibrer en libérant le chant des cigales. Un grand éclat
de rire général ponctue la fin de l'expérience. Et Guy Mone
fut condamné à payer le champagne. Jacques Sablier trouve
qu'amalgamer magie blanche et arithmétique avait quelque
chose d'assez surprenant, voire d'incongru.
Jean se dit persuadé que la réponse est contenue dans la
demande.
o Tous ceux qui ont souhaité suivre leur propre évolu-
tion spirituelle ont eu l'obligation de se connaître le plus
possible. De se mettre à nu face à etx-mêmes. Pour cela, il
existe plus d'un moyen que nous renconrrons au cours de
l'évolution des communautés, religieuses, ou autres. Les
Esséniens, par exemple, utilisaient essendellement I'astro-
logie aÊn d'arriver à se mietx connaître. On a trouvé dans

173
LOGGIA SECRETUM

les grottes deQumrân des fragments d'horoscopes faisant


érat de la détermination de la spiritualité, divisée en neuf
parts, pour chacun des individus, entre Lumière etTénèbres53.
En incluant les positions zodiacales dans sa démarche, cet
oracle vient très certainement de la nuit des temps. Même
s'il a dû être remanié à maintes reprises.
- Dans le monde astral, toute demande a sa réponse, dit
Jean-Claude. À condirion que la demande soit juste. La
pensée est le refet du Verbe. C'est l'enseignement, entre
autres, de la Rose-Croix. ,
Mais la discussion qui allait s'engager entre les rationa-
listes et les mystes sur cet oracle cessa lorsque Guy Mone re-
vint dans la pièce.
« Heureusement que le coup de fil est intéressant sinon,
que n aurais-je entendu. Vous pouvez me remercier d'avoir
oublié d'éteindre mon portable. Paul avair auparavanr tenté
de joindre Jean et Albert. Il nous transmet par Internet un
document à exploiter. ,
Effectivement, il n'était pas sans importance. Paul avait
vu son ami libraire à Marseille qui lui avair permis de faire
l'acquisition d'un document intéressanr provenent de la bi-
bliothèque de Déodat Roché. Un homme qui avait quitté
la magistrature pour s'adonner à sa passion, l'étude du ca-
tharisme. Franc-maçon, il avait été vénérable maître d'une
loge à l'Orient de Carcassonne, théosophe et créateur de la
Société d'études et du souvenir cathares. À un -om.nt de sa
quête spirituelle, cet ascète, végétarien, s'était rapproché de
l'Église Gnostique de Jules Doinel,a.
Déodat Roché que certains, mal intenrionnés, avaienr
baptisé le n pape du catharisme » avait n franchi le seuil , en
1978, àArques, petit village audois, à l'âge de 100 ans.
Jacques Sablier sortit trois feuillets de son imprimante.
C'était un extrait d'une longue lettre datée de 1942, adres-
sée à Déodat Roché par un théologien lui demandant s'il
pouvait, de son côté, laire une liaisÀ entre I'installation de
Marie-Madeleine dans le sud de la France avec la famille de

174
LOGGTA SECRETUM

Jésus, la pratique dç la religion juive dans des communau-


tés importantes, comme à Narbonne, et les étoiles de David
présentes sur bon nombre d'églises aux environs de Rennes-
le-Château et dans l'Aude notamment.
Pour ce théologien protestent, il ne faisait aucun doute
que Marie-Madeleine avait donné naissance en terre lan-
guedocienne à une descendance deJesus. Et le sceau de Sa-
lomon, ou étoile de David, présent dans plusieurs édifices
religieu de la région, tout comme sur le blason de la famille
d'Hautpoul Blanchefort, seigneurs de Rennes-le-Château,
était un signe wident pour qui voulait et savait voir.
Cet homme mettait en exergue un fait important pour
tous ceux qui approchaient I'histoire de Marie-Madeleine
et de la descendance de Jésus en Occitanie: presqu'un
demi-siècle avant les publications des ouvrages de Gérard
de Sède sur Rennes, ainsi que de I'Enigme Sarée, Pierre Bel-
perrons' et d'autres publicistes dans des écrits ne dépassant
pas souvent les frontières audoises, voire régionales, fai-
saient état de cette descendance. o [.rs reys juifs , comme
les appelaient les Narbonnais, n les rois israélites de Nar-
bonne prétendaient descendre de David ,.
[æs Cathares, qui méditaient sur l'évangile de Jean, sa-
vaient que Marie-Madeleine, juive, était un personnage
hors du commun, qui n'était pas venu en Gaule par hasard.
Ils soulignaient que lorsqu elle n lave , les pieds du Maître,
ce dernier réitère ce geste, d'un symbolisme fort, à l'égard
des douze apôres. Elle est donc initiatrice. Et on peut pen-
ser que les seigneurs des Corbières se disant n Âls du Soleil
et de la Lune ,, aux blasons souvent armés de croissants lu-
naires, savaient que la Magdaléenne habitait l'esprit de
celles qui, à cette époque, choisissaient de vivre dans des
communautés cathares en quête de sagesse humaine, éveil-
lant leur âme à la o loi d'amour ,.
Mais l'extrait de lettre le plus important ne résidait pas
dans cette seule information. Læ théologien ouvrait la porre
à une antique légende: Marie-Madeleine et ses compa-

t75
LOGGIA SECRE'|UM

gnons ne seraient pas venus en Gaule uniquement pour se


protéger des persécutions romaines qui avaient lieu au gré
des révoltes juives, nombreuses en ce temps-là. Le but su-
prême de leur fuite de Galilée était de merrre à l'abri le
corps embaumé de Yeshoua ben Yoseph (Jésus).
Son argumentation était simple: si les tenants de la résur-
rection de Jésus, après sa mort sur la croix trouvaient le co1ps,
ils le feraient disparaître car c'érait la preuve que Jésus ne
pouvait être sorti du tombeau. Ce o ressuscité d'entre les
morts » comme nous I'enseigne le Credo, ne pouvait avoir
rencontré les apôtres après sa mort. C'éreit toute la construc-
tion de l'Église de Rome aurour du mythe n Jésus ressusciré ,
qui s'effondrait avec les conséquences que l'on peut imaginer.
Il fallait donc que sa famille, et en premier lieu sa compagne,
mette à l'abri la preuve que Jésus était autre chose qu'un être
divinisé et placé au panrhéon de l'Église comme Dieu. Cette
preuve, c'était le corps dans une sépulture secrète.
Cela voulait dire aussi que Jésus n'étair pas à l'origine
d'une religion nouvelle, mais qu'il avait simplement tenté
de réformer l'enseignement des Pharisiens, mouvement po-
pulaire et assez laïque d'une des quatre secres juives avec
qui il entretenait des liens au début, puisqu'hostiles à l'oc-
cupation romaine. Il avait choisi ensuite les zélotes, dont il
préfera s'entourer, plus violents conrre Rome, n hésitant pas
à des coups de mains contre les romains s'apparentant plu-
tôt à des mouvements terroristes d'aujourd'hui.
Tout cela pouvait expliquer la réaction impitoyable, au
cours des âges, de l'Église romaine contre tous ceux qui, de
près ou de loin, cathares, templiers, mouvemenrs gnos-
tiques et autres, ne se limitaient pas aux connaissances édic-
tées par Rome, mais cherchaient à en savoir plus que ne
racontaient les évangiles canoniques rerenus par l'Église,
peu Êables, contradictoires qui ne sonr en fair que copies
d'autres copies. Lune des raisons des multiples bûchers al-
lumés par la religion cârholique aÊn de brûler les hérétiques
et les autodafes d'écrits, parchemins et codex ne suivant pas

176
LOGGTA SECRETUM

la ligne catholique apostolique romaine. Les controverses


avaient de quoi perdurer.

Après des agapes dans le jardin, Jean demanda à Max et


à ceux qui le souhaitaient de terminer la journée par les
églises de la Haute-Vallée de l'Aude où 6gure le sceau de Sa-
lomon. Il voulait proÊter de la lumière du couchant pour
faire des photos.
n Le "bouclier de David" ou étoile de David, est la tra-
duction hébrarque de ce symbole du judaïsme qui repré-
sente I'emblème du roi David. Les symbolistes disent
qu'elle est le point de rencontre entre l'in6ni et le Êni, entre
le monde visible et invisible. On trouve l'étoile de David
dès le VII' siècle avant notre ère. Pour la Thora, l'étoile à six
branches symbolise les six jours de la semaine, le shabbat,
le septième jour est le centre de l'étoile. Vous n'êtes pas sur-
pris de retrouver ici le chiffre 7. Les six pointes des étoiles
et les six intersections des riangles représentent également
les douze tribus d'Israël réunies par David.
Le premier arrêt fut Carcassonne où deux sceeux de Sa-
lomon Êgurent sur le mur nord de l'église Saint-Vincent,
puis à l'église Saint-Martin de Limoux, à Alet, ancien évê-
ché, où l'église présente des ouverrures comportant l'étoile
à six branches. Jean conduisit ses frères dans la rue de la
Juiverie, devant une maison appelée "la maison du Juif".
Une poutre est encore grevée du sceau-de-salomon.
- C'est ici que le jeune Michel de Nostredame, autre-
ment dit Nostradamus, venait passer des vacances quand,
étudiant en Avignon, il venait chez son grand-père à AIet.
- Pourquoi trouve-t-on autant de sceatx de Salomon, qui
plus est sur des lieux de culte catholique, dans cette région ?
demanda Guy.
- Il y a une forte tradidon juive dans toute I'Occitanie et
bien avant. En 3l avant notre ère, des juifs sont signalés en
Provences6. Le fils d'Hérode I", Archélaüs, ethnarque de
Judée et Samarie, destitué par I'empereur Auguste, avait été

177
LOGGIA SECRETUM

exilé en Gaule, Vienne en 6 de notre ère où il s'installa avec


à
sa colonie. On peut dire même qu'ici, durant une quaran-
taine d'années il y eut une culture judéo-arabe importante
qui s'est développée dans la Narbonnaise, la region étant pas-
sée aux mains des musulmans en 712. De récenres décou-
vertes archéologiques faites à Ruscino, proche de Perpignan,
confirment ce que certains textes arabes disaient: la frontière
septentrionale d'Al-Andalus était Arbûnah (Narbonne).
C'est un juif narbonnais, Isaac qui fut envoye comme am-
bassadeur par Charlemagne à Bagdad en797 d'où il ramena
un savant juif qui fit école à Narbonne, Rabbi Makhir, à
l'origine de la famille des Kalonyme5T ... ,,
Jean dut s'interrompre afin de prendre le portable que
lui tendait Max. C'était Michel Drach qui était avec Roger
Chalet à Rennes-le-Château. Depuis la visite de deux hommes
àFirmin Magnan àJaffus, dont l'un était aujourd'hui connu
en la personne de Lucas Ortolani, et compre tenu des évé-
nements, le Logia Secretum envoyait deux de ses membres
ou de proches correspondants tenir compagnie au vieux
berger afin de le protéger. Cette rotation avait débuté de-
puis une semaine, avec la fin de I'exercice des hommes du
1le bataillon de choc de Mont-Louis sur le site er aurour
de la métairie de Firmin.
Roger Chalet, en allant à Rennes-le-Château rejoindre
son épouse dans le Jardin du Curé, d'oùr elle faisair visiter
le site à des amis, avait croisé un homme ressemblant à celui
figurant sur la photo envoyée par les agenrs israéliens à Jean.
Il était pratiquement sûr que I'homme en question était
celui qu'on voyait en compagnie d'Ortolani. Si c'étair lui,
cet homme était très dangereux, comme le soulignait le rap-
port dont Gérard Rossi avait eu connaissance. Il ne fallait
prendre âucun risque. Jean prit conracr avec le comman-
dant Nadal, officier d'une ântenne de services de contre-
espionnage à Perpignan. Ce frère était I'un de ceux sur qui
comptait la Loge Secrète. Jovial er bon vivanr, ce qui n'em-
pêchait pas une redoumble efficacité, Paul Nadal était re-

178
LOGGIA SECRETUM

venu dens son « peys » après une cerrière parisienne qui


l'avait conduit à partager quelques secrets de la République.
Connu et estimé de tous, tant sur le plan maçonnique que
dans le monde profane, il avait la totale confiance des fon-
dateurs de la Loge Secrète.
Quatre membres du groupe décidèrent de monter à
Rennes-le-Château afin de passer la nuit à Jatrus et organi-
ser plus facilement des tours de garde. Firmin Magnan
n'avait rien changé à sa façon de vivre et était toujours aussi
intrépide en dépit de son âge. Deux fusils, dont un vieux
Robust à chiens, étaient pendus à la porte d'un placard. Il
les posa sur la table avec une cartouchière de cuir usée, rem-
plie de munitions.
n C'est moi qui fais les cartouches. Il y a ce qu il faut en
poudre, bourre et plomb. Et même des chevrotines. Même
si c'est interdit, ici on préfère ça aux balles. Vous pouvez
comprer là-dessus ,, dit-il avec malice.
Il fallut route la diplomatie de Jean afin que le vieil
homme ne prenne pas son tour de garde, comme les au-
tres. Albert Paullus prit le premier tour. Jean demanda à
Firmin s'il n avait pas de fumigènes dont se servent les chas-
seurs a6n de faire sortir renards et blaireaux de leurs ter-
riers lors des battues. Il donna l'un de ces pétards à Albert
qui avait refusé les fusils de Firmin. Une puissante lampe
torche compléta l'équipement.
À minuit, Jean releva Albert. La voûte étoilée brillait de
tous ses feux et la voie lactée faisait comme une longue traî-
née blanche du nord au sud dans laquelle de fugaces étoiles
filantes dessinaient un ballet cosmique. Une demi-lune
éclairait le causse au-dessous de Jaffus. Jean alla s'adosser à
la margelle du puits, sous le Âguier. D'ici, on n'entendait
aucun bruit de la vallée. Tout était étrangement calme.
Même le léger vent de Cers s'était posé et le bruissement
des feuilles des peupliers avait cessé son doux murmure.
fæs insectes de la nuit avaient arrêté brusquement leur
concert comme à un signal donné. Seuls, un petit nombre de

179
LOGGIA SECRE-|UM

grillons tenaces, voulaient accompagner la nuit jusqu'aux


premières lueurs de l'aube. Quelques lumières brillaient
dans le petit village de RennesJe-Château. Vers le sud-sud-
ouest, la petite ville de Quillan réverbérait un halo de lu-
mière dans le ciel. Parfois un oiseau nocturne s'approchait
de la ferme dans un bamement d'aile lourd. LJne chouette,
sortie de son rêve, hululait, perchée sur le faîte du toit du
grenier. Tous ces petits bruits étaient autant de petites pa-
renthèses mettant en exergue le silence.
Un peu plus tard dans la nuit, Jean entendit comme un
bruit de moteur qui se rapprochait de la métairie. Il scruta le
chemin de terre montant vers Jaffus, celui qui mène vers
Lavaldieu, mais ne vit rien. Pas de faisceaux de phares à la
ronde. n Nous aurions dû penser à des jumelles infrarouges ,,
se dit-il.
Le bruit de moteur se rapprochait dans le silence de la
nuit. Jean alla se cacher derrière une haie de cyprès. Àr'rne
centaine de mètres, il distingua la forme d'un 4x4, roulant
très lentement. Le véhicule se rapprochait de la ferme tous
feux éteints. Arrivé au croisement de la piste, Jean devina
plus qu il ne vit le bleu caractéristique du véhicule: un tout-
terrain de la gendarmerie qui, après avoir roulé au pas aux
abords de la métairie, s'éloigna vers Coumesourde. lr com-
mandant Nadal avait été efficace.
Le lendemain matin, devant un bol de café fumant, ils
furent informés que les planques mises en place autour des
hôtels fréquentés par Ortolani et le second homme tiavaient
rien donné. Le signalement avait été pris au sérieux. Au
premier étage du commissariat de police de Carcassonne,
un bureau avait été mis à la disposition des enquêteurs. Il
fallait retrouver au plus vite celui que tout désignait désor-
mais comme l'assassin d'Alain Salmon. Et certainement
l'auteur des n suicides , des deux ingénieurs de Saclay et de
GiÊsur-Yvette, ainsi que de la triste 6n de la jeune prosti-
tuée roumaine.
CHAPITRE XVII

« Jean ? Bonjour, Gérard à l'appareil.


- J'allais t'appeler.
- Le porte-flingue d'Ortolani semble s'être dissous dans
la nature. Aucune trace n'a été trouvée, ni dans l'Aude, ni
dans les départements voisins. Le colonel Didier Muscadel
m'a conÊrmé que la gendarmerie est sur les dents. Ils ont
mis en place le plan « Épervier » sur plusieurs départements
du sud de la France, gares et aéroports. Au niveau DGSE
ilserait intéressant de mettre la main sur ce bonhomme car
on a I'impression qu il pourrait nous apprendre bien des
choses. On sait qu il se cache sous, au moins, une dizaine
d'identités diftrentes. C'est un exécureur aidé par un puis-
sant service. Il n'y a pas d'autre explication. Mais rien sur
ses origines, ni sur les camps d'entraînement qu'il doit avoir
fréquentés ni sur qui l'a formé. Finalement, on ne sait pas
grand-chose. Ce type est curieux.
Le Mossad nous a informés qu'il avait été utilisé par un
groupe djihadiste radical pour des opérations en Arabie
Saoudite et il est clair maintenent qu'il s'est trouvé en
Tchétchénie oir il aurait contribué à un nettoyage en règle
de plusieurs islamisres pour le compte des services secrets
russes. C'est un ancien des services secrets italiens, ancien
membre de la loge P2, proche de Gelli, ancien "patron" de
cette pseudoJoge gui l'aurait recommandé à Ortolani.
- Oui ! C'est assez bizarre. On n'est certainement pas en
présence d'un idéologue. Et pour le "monsignore" ?
- fuen à faire. Il est ambassadeur du Saint-Siège et de
plus il fait gaffe. Quand il se déplace, il sort parfois sous

l8l
LOGGIA SECRETUM

une idendté d'emprunt, toujours avec vrai-faux passeport


diplomatique. Il est placé sous surveillance par plusieurs
services, mais nous sommes enclins à penser qu'il est in-
formé de trop de choses. Lltalie et ses services spéciaux
n'ont pas terminé d'en Ênir avec leurs vieux démons. Len-
quête française a permis de savoir que les deux o suicidés ,
du Commissariat à l'Énergie Atomique de Saclay et GiÊ
sur-Yvette avaient bien travaillé sur des parchemins. Mal-
gré les fouilles et I'interrogatoire en règle des services
concernés, ils n'ont pas été retrouvés. Ortolani a certaine-
ment pris la direction de Rome avec ces parchemins qui
sont, .i'en suis certain, ceux que devait me remettre Alain
Salmon.
- Tu penses avoir un semblant de réponse bientôt pour
la traduction ?
- Je les tiens sous pression mais le patron du laboratoire
m'a demandé de prendre patience. Le parchemin principal
est très abîmé. Ils tentent de reconstituer ce qui peut l'être.
Mais d'ici une semaine, nous devrions être éclairés.
- Et de votre côté ? s'enquit Gérard
- Nous âvançons tranquillement. Des choses se précisent.
Tout cela est un vrai pluzzle qui, petit à petit se met en place.
C'est fou ce que l'on peut trouver comme indications en
fouillant dans le passé. Tânt de choses onr éré occultées que
cela en devient même un vrai plaisir. Tu descends bientôt
dans le Midi ?
- Dans trois jours je fais un saur en Corse dire bonjour
à mes parents à l'occasion d'un petit voyege à Aspretto.
- Tir vas faire un tour chez les nageurs de combat ?
- Un vieil ami des EOru8 prend le commandement de
la base.
- Si tu es là jeudi soir, fais une halte à Marseille. Il y aura
la réception de Bernard Pol, cet ancien prêtre qui s'est pris au
jeu et qui nous rend bien des services dans nos recherches.
- Où, à Saint-Jean-du-Désert?
- Oui, dans la loge d'Yves O'Lil, au Rite fuossais Rectifié. ,

r82
LOGGIA SECRETUM

La discussion continua un bon moment sur les investi-


gations récentes de tout un chacun et sur une éventuelle
prochaine publication de tout ce qui avait été mis au jour
par la loge secrète. Gérard pensait que cela pouvait être utile
pour aider à davantage de réflexion aussi bien sur les reli-
gions, et notamment lâ religion catholique, que sur I'his-
toire et ses mensonges.

Jean restait persuadé que peu de personnes faisaient cette


démarche, la société consumériste ayant facilité le cocooning
afin de mieux enfermer la pensée dans un prêt-à-porter
confortable. La civilisarion judéo-chrétienne, revisitée par
une philosophie et pensée helléniste, était le socle commun
de toute une société. Pas de n'importe laquelle. De celle
qui avait donné I'un des plus grands élans humanistes au
monde occidental plus particulièrement. Même si les fon-
dations restaient fragiles.
n Il faut une sacrée dose d'inconscience, ou de courage,
pour se mettre aujourd'hui dans la peau d'un "cherchant"
quand la pensée unique trône de toute son errogance à tous
les niveaux. La plupart des intellectuels ont abandonné le
chantier. Ils se sont coupés de la masse et des relais naturels
de la classe moyenne, séduits par les nouveaux marchands
du Temple et leurs comptes en banque. Plus "tendance"
que développeurs d'idées. Avec la complicité des mass
media, ce petit monde tourne en rond, s'auto-invite dans
les débats, sur les plateaux télé, s'auto-encense, frétille dans
le bocal parisianiste, perdant sa vie en croyânt la réussir
selon les critères de nouveaux gourous.
- Ils oublient simplement qu'ils ne sont et ne seront ja-
mais maltres du temps. Et que ce temps leur est compté, dit
Gérard.
- Ils ont plus besoin de se voir que d'être, ajouta Jean. Il
y a un tel mélange des genres qu'une truie n'y trouverait
plus ses petits, comme disait mon aïeul. Ce monde est en
fuite pour ne pas avoir su s'arrêter sur l'homme. Même si
le temps naît de notre atachement arx choses qui périssent,

183
LOGGIA SECRE'TUM

comme l'a écrit un poète persan, il reste I'espace, entre la


naissance et la mort, dans lequel nous devons donner du
sens à I'existence, tenter d'élever la pensée du particulier au
général. Je ne pense pas qu'une religion, quelle qu'elle soit,
puisse apporter une réponse aux angoisses existentielles et
aux interrogations de l'homme. S'il peut encore en avoir... »
La conversation dura encore un bon moment et Jean
promit à Gérard de venir plancher dans sa loge parisienne
sur ce vaste sujet dès la rentrée.

En ce jeudi soiç la grande cour érait transformée en vasre


parking, rue Saint-Jean-du-Désert, à Marseille. Toutes les
fins de semaine, de nombreuses loges de la cité phocéenne
se réunissaient dans ces locaux qui abritaient plusieurs rem-
ples maçonniques. Les frères servanrs avaienr déjà dressé les
couverts dans la salle du restaurant. Dans le plus grand
Temple, Yves O'Lil, Gérard Tolchet, Fernando Mauri et
d'autres ofÊciers de la loge avaienr préparé les lieux pour la
réception du profane Bernard Pol qui, dès son arrivée, avair
été placé dans la chambre de retraite. On lui avait ôté rous
ses n métaux , pièces, ceinture, clés, portefeuille... Il avait
été ensuite préparé, jambe droite du pantalon relevée au-
dessus du genou, poitrine gauche découverre, pied gauche
dans une sandale... Ijancien prêrre riavait guère été surpris
par les questions posées dans ce lieu: n Quelle est vorre
croyance en Dieu et que pensez-vous de la religion chré-
tienne ? , Il savait que le Rite Écossais Rectifié étudie er rra-
vaille sur n l'ésotérisme chrétien ,. On lui avair remis une
épée et un tricorne.
Au sortir de la chambre de prépararion, on lui avait placé
un bandeau noir sur les yeux. De nombreux visiteurs, dont
l'ensemble des membres de la Logia Secretuméraient venus
assister à cette cérémonie.
À I'orient, le fauteuil du vénérable maître était sous un
dais d'azur avec galons et franges en or. Sous le dais, un trian-
gle équilatéral, sans inscription, dardait des rayons de lumière

184
LOGGIA SECRE'I'UM

de ses trois côtés avec cette inscription: n Et tenebra eam


non comprehenderuntse r. Devant l'autel du vénérable, une
colonne brisée, tronquée par le haut mais ferme sur sa base
portait l'inscription : adltuc sta, ». Sur l'autel du vénérable,
<<

un chandelier à trois branches, la Bible ouverte au premier


chapitre de l'évangile de Jean, le compas et l'équerre entre-
lacés, la truelle, le maillet et le rituel du grade.
Entre l'autel à l'orient et I'occident où siègent les deux
surveillants, le tableau de loge, proportionné au local, for-
mait un carré long evec tous les symboles du grade d'ap-
prenti au Rite Ecossais Rectifié. Autour, les trois chandeliers
destinés à recevoir les trois flambeaux: deu à I'occident, un
à l'orient, un vers le sud.
Après I'entrée en loge selon le rituel, l'ouverture des tra-
vaux et la réception des visiteurs et dignitaires d'autres rites,
et après les mots de bienvenue du vénérable, ce dernier
donna un coup de maillet répéré par les surveillants:
« Frères surveillants, j'ai entendu frapper, voyez qui c'est ?

- Vénérable Maître , c'est un homme dans les ténèbres et


cherchant la Lumière qui demande à être reçu maçon », ré-
pondit le premier surveillant.
Le frère introducteur donna ensuite, sur injonction du
second surveillant, le nom, prénom, âge, profession, lieu
de naissance et domicile de l'impétrant et assure l'assemblée
que c'était un homme libre, qui n était point lié par d'autres
engagements ne lui permettant pas de contracter librement
l'obligation des maçons.
o Puisque cet homme a cherché la Vérité avec ardeur et
persévère dans son désir, qu'il soit donc introduit ,, dit le
vénérable.
Le frère introducteur, tenant le candidat par la main
droite, le plaça à I'occident entre les detx surveillants et se
retira apres quelques mots avant que le vénérable ne s'adresse
à l'impétrant.
n Celui qui aime la Vérité et désire la connaître, la cherche
avec ardeur et persévère. Mais ce n'est point encore essez.

185
LOGGIA SECRETUM

Lhomme qui veut la découvrir doit rompre avec les liens


qui l'enchaînent lui-même, écarter les illusions qui trom-
pent, vaincre courageusement les obstacles. Il faut donc,
non seulement que cet homme cherche, qu'il persévère,
mais il faut encore qu'il souffre, car celui qui ayant perçu la
Vérité se refuse aux travaux nécessaires pour l'atteindre, est
plus malheureux que ceux qui ne l'ont point vue.
Plusieurs d'entre nous ont rendu témoignage en votre
faveur. Un de nos frères a répondu de vous et celui que j'ai
envoyé pour vériÊer vos titres, nous â certiÊé qüils sont
justes et m'a demandé un guide pour diriger vos pas... Il
faut donc que vous démontriez vous-même que vous pou-
vez entrer dans cette route difficile où seule votre volonté
peut assurer vos progrès. Mais avant de subir ces épreuves
auxquelles tout homme est soumis s'il veut obtenir le rang
de maçon, vous devez déclarer ici et à voix haute si c'est
avec un vrai désir de parvenir à la Vérité par la pratique des
vertus que vous demandez à être reçu Franc-Maçon. ,
Après les réponses du candidat, le second surveillant,
donna une épée au néophyte qu'il dnt lui-même la pointe
sur son cæur. Le second surveillant ajouta, en le prenant
par la main gauche: u Marchons et ne craignez rien. ,
Pendant les trois voyages qui suivirent, le candidat, âc-
compagné par le n tonnerre » passâ de l'étar de u cherchant ,
à celui de u persévérant » et en6n de n souffrant ,. Il fut en-
suite éprouvé symboliquement par les trois éléments: le
feu, l'eau, la terre. Le candidat étant enfin arrivé à I'orient
aux pieds de l'autel du vénérable, ce dernier lui demanda si,
après les voyages, il persistait à prendre les engagements de
I'Ordre. Le candidat ayant répondu par l'affirmative, le vé-
nérable poursuivit:
n Ces engagements sont de garder dans votre cæur un
secret inviolable sur les emblèmes et mystères de la franc-
maçonnerie qui pourront, aujourd'hui er à l'avenir, vous
être confiés, et de remplir fidèlement tous les devoirs que
l'Ordre impose à ses membres, vous assurant que jamais il

186
LOGGIA SECRETUM

n exigera rien de vous qui soit contraire à ce que vous devez


à votre patrie, à vous-même et aux autres hommes. Bien
loin de là, Monsieur, vous y serez tenu plus strictement que
iamais, en qualité de maçon. Jusqu'à présent, vous avez été
maître de vous retirer et, bien que vous soyez privé de lu-
mière, nous vous déclarons que vous êtes libre et pouvez
renoncer encore à votre réception... ,
Ap* réponse du candidat,les surveillants lui 6rent met-
tre le genou droit sur l'équerre posée sur un coussin sur la
seconde des trois marches de l'autel, sa main droite sur
l'épée et la bible ... Puis, on lui fit prendre le compas, ou-
vert en équerre en lui demandant de porter avec la main
gauche la pointe sur son cæur découvert.
Le vénérable intima à tous les participants de se mettre
debout et à I'ordre. Tous les frères se levèrent et tirèrent en
même temps leur épée qu ils tenaient pointe haute, ôtant
leur chapeau tenu en bas, de la main gauche. Le premier
surveillant Ât alors prononcer au candidat son engagement
lui demandant de répéter les phrases après lui. Puis ce fut
l'épreuve du sang dont quelques gouttes coulèrent sur la
poitrine du néophyte quand le Vénérable, frappa avec son
maillet trois coups sur la tête du compas en disant: o À la
Gloire du Grand Architecte de l'Univers, Au nom de l'Or-
dre et par les pouvoirs qui m'ont été conferés, je vous reçois
Apprenti Franc-Maçon. , Et i[ fit aussitôt relever le nouveau
frère, qui avait toujours le bandeau sur les yeux.
Après que le maître des Cérémonies eut enveloppé les
trois flambeaux de rylindres a6n qu'ils ne procurent qu une
toute petite lumière et que les surveillants et le vénérable
aient eux aussi caché leur lumière, la terrine à l'esprit-de-
vino fut allumée. Le second surveillant suivi du premier
surveillant et du vénérable frappèrent chacun un coup de
maillet.
« Frère Second Surveillant, que demandez-vous ?

- Vénérable Maître, l'Apprenti est placé à I'Occident,


mais il ne peut entreprendre avec succès âucun travail, s'il

r87
LOGGIA SECRETUM

ne reçoit que quelques rayons de lumière. Je demande


qu'elle lui soit accordée.
- Frère apprenti, la Lumière est inaltérable. Elle n a pas
cessé un instant de briller de tout son éclat. Vous êtes seul
dans l'obscurité. Désirez-vous sincèrement en sortir ? » in-
terrogee le vénérable.
Apres réponse du candidat, le vénérable maître, épée haute,
pommeau appuÉ sur I'autel dit:
n À l'Ordre, mes Frères, glaive en main. »

Le second surveillant enleva enfin le bandeau au néo-


phyte et lui montra de son épée le mot « Justice , ainsi que
l'épée de chacun des frères tournée contre lui.
n Les lois de la Justice sont éternelles et immuables. Celui
qui étant effrayé des sacrifices qu'elle exige, refuse de s'y sou-
mettre, est un lâche qui se déshonore et se perd. N'hésitez
donc jamais, mon frère, et soyez juste envers tous les hommes,
sans consulter vos passions, ni vos intérêts personnels. ,
Le second surveillant, au coup de maillet du vénérable
maître, 6t alors tourner le candidat du côté de l'occident et
lui montra le mot n Clémence r.
n Mon frère, si yous avez le cæur droit et sincère, ne crai-
gnez point. La clémence tempère les rigueurs de la justice
de ceux qui se soumettent généreusement à ses lois. Usez
donc de modération pour les autres hommes, lorsqu'ils se
seront rendus coupables envers vous », dit le vénérable.
Le bandeau fut à nouveau mis sur les yeux du néophyte
pendant que tous les frères enlevaient les cylindres cachant
la grande lumière. Le vénérable dit alors: « Frère apprenti,
le crime plonge dans les ténèbres, la Vertu seule rend à
l'Homme sa vraie Lumière, vous sentez-vous capable d'en
supporter l'éclat ? ,
Lapprenti ayant répondu affirmativement, le second sur-
veillant prit la pipe à lycopode et fit courir la famme devant
le visage du candidat tandis que le premier surveillant en-
levait le bandeau en le jetant aux pieds de l'apprenti. Le se-
cond surveillant dit alors:

188
LOGGIA SECRE'I-UM

" Sic Tiansit Gloria Mundi.


- C'est ainsi que passe la gloire du monde. Souvenez-
vous mon cher Frère, qu à la 6n toutes illusions disparais-
sent plus promptement que l'éclair. Aimez donc la Vérité,
si vous voulez acquérir un bonheur solide et durable. C'est
la première leçon que l'Ordre vous donne. Gardez-vous de
l'oublier, dit le vénérable. Vous ayez aperçu d'abord les
épées de frères tournées contre vous, parce que I'Ordre ne
vous avait pas encore accordé la vue libre des travaux. Vous
voyez à présent ces mêmes armes tirées pour votre défense,
afin de vous convaincre que I'Ordre ne vous abandonnera
jamais, si vous conservez dans votre cæur l'amour de la Vé-
rité, de la Sagesse et de vos Frères. ,
Après que tous les frères aient remis leur épée au fourreau
et que le vénérable eut posé la sienne sur l'autel, il s'adressa
au frère introducteur:
n Puisqu'en quittant ses décorations profanes, notre nou-
veau frère a reconnu devant vous que la sagesse est la seule
parure qui distingue vraiment les hommes, allez lui faire
reprendre des vêtements qui, bien loin de servir à leur orgueil,
ne devraient être pour eux que le signe de leurs besoins. ,
[r frère introducteur sortit alors avec l'apprend et le fit
rhabiller correcrement. Ce n'est qu à son retour en loge, par
les trois pas d'apprentis le long du tableau auquel il faisait
face, qu il reçut son tablier blanc des mains du vénérable:
u Recevez de mes mains l'habit de l'Ordre le plus ancien
et le plus respecable qü fut jamais. Sa blancheur vous indique
la pureté qui est le but de nos travauK, et que nous cherchons
à recouvrer. On ne peut y parvenir que per la droiture du
cæur et l'innocence des mæurs. Ne paraissez donc jamais
en loge sans être habillé du mblier blanc. La Loge vous
donne ces gants blancs. Leur couleur vous annonce que vos
mains ne doivent jamais se prostituer à des actes contraires
à vos devoirs et à la dignité de votre âme. »
Il lui donna alors le signe d'Ordre du grade, l'attouche-
ment d'apprenti, le mot du grade et celui de reconnaissance,

189
LOGGIA SECRETUM

qui allait devenir son nom en loge d'Apprenti. Il fit ensuite


reconnaître le nouveau frère par les deux surveillants, selon
l'antique tradition maçonnique, par les officiers de la Loge
et son parrain ainsi que par les respectables frères et digni-
taires siégeant à l'orient qui lui donnèrenr également le bai-
ser fraternel.
Après l'instruction du grade, le discours du frère orereur
et les diftrentes prises de paroles pour le bien de l'Ordre en
général et de la Loge en parriculier, il fut procédé à la clô-
ture des ravaux.
n Frère Premier Surveillant, quelle heure esr-il?

- Il est Minuir Vénérable Maîrre...


- Puisqu'il est Minuir, que le Vénérable Maître est à
l'Orient et les surveillanrs à l'Occident, averrissez les frères
que je vais fermer la Loge. ,
Et il fut ainsi fait selon le rituel.

Après la sortie de la Loge, en ordre, comme il se doit, er


une fois dans les parvis, de nombreux frères vinrenr felici-
ter le nouvel apprenti qui, dans le banquet qui suivit, prit
place à la droite d'Yves O'Lil, le vénérable de la Loge par
ailleurs grand prieur du Rite Écossais Rectifié pour l'Occi-
tanie, la Catalogne et la Méditerranée.
Bernard Pol Êt un signe à Paul.
n Dis-moi, je ne comprends pas que l'Église n'ait fait au-
cune difference dans les diftrentes formes de maçonnerie.
Ce fute Écossais Rectifié, avec ses prières et son cursus est,
ce me semble, une maçonnerie plutôt carholique et déiste.
Et pourtant, à partir d'aujourd'hui, depuis la bulle n In emi-
nenti » promulguée par Clémenr XIII en 1738, je suis ipso
facto excommunié.
-Je ne dirai pas maçonnerie catholique. Christique peur-
être, assurément chrétienne C'est vrai, que contrairement
à celui que nous pratiquons dans notre loge libre er souve-
raine, qui prône la liberté de conscience, ce rire exigeait à
l'époque que l'impétranr soir chrétien. Cela a un peu évolué

190
LOGGIA SECRETUM

de nos jours. Mais pour répondre à ta quesdon, en blaguant,


on pourrait dire que l'Église a peut-être eu peur d'une
forme de concurrence. Ce qü me fait dire cela, c'est que Rome
a, detout temps, été plus sévère, vis-à-vis des maçons d'obé-
dience chrétienne, que pour ceux d'autres rites, comme
nous, per exemple, au Rite Français Moderne, qui avions la
réputation d'être de stupides athées, alors que nous ne sommes
que la\ues, non dénués d'une spiritualité, ou à l'Écossais
Ancien etAccepté, voire au rite d'York. Comme si leVatican,
avait peur que certains maçons, ceux du RER particulière-
ment arrivent à l'idée de Dieu par l'ésotérisme, sans passer
par le dogme catholique. Comme l'ont fait les gnostiques,
les Cathares et autres. Certains croient, surtout dans loges
du Rite Écossais Rectifié, qu ils peuvent être à la fois catho-
liques romains et francs-meçons. Erreur: l'excommunica-
tion tient toujours. Et I'interdiction faite aux catholiques de
dwenir maçon a été constalnment renouvelée par la quasi-to-
talité des papes: Benoît XIV en L751, Pie VI en 1775,
læon XIII en 1826. Pie VIII en 1 829 a encore été très clair :
n Nous con6rmons à nouveau et nous ordonnons de main-
tenir les anathèmes prononcés par nos prédécesseurs contre
ces sortes de sociétés secrètes d'hommes séditieux... » Pie IX
a continué, puis il y eut le canon promulgué par Benoît XV
en 1918: n les catholiques affiliés à la franc-maçonnerie ou
autres associations du même genre ... encourent I'excom-
munication réservée au siège apostolique ». Jean-Paul I[ a
renouvelé en 1983 et la même année, un dénommé Rat-
zinger, Préfet de Congrégation pour la Doctrine de la Foi,
a écrit que n les principes de la franc-maçonnerie sont in-
conciliables avec la doctrine de l'Église et l'inscription à ces
associations reste interdite par l'Église. » Mais tu auras tout
ton temps pour t'instruire de ces choses-là.
- Ne t'en fais pas, cela ne trouble pâs ma conscience. Je
ne pense pas revivre en maçonnerie, tout ce que j'ai pu
vivre au Vatican. Je pense, avec ce que je viens d'entrevoir
eu cours de mon initiation, que la recherche en spiritualité

l9l
LOGGIA SECRETUM

n est pas I'apanage d'une religion, encore moins d'une


bgltse. »
En allant prendre place pour des agapes riruelles, à la
gauche du grand prieur, Jean des Sauzils se pencha sur
l'épaule du néophyte :
n Tir es Benjamin, à la droite de Dieu, lui dit-il avec un

sourire. Demain à 15 heures nous avons une réunion, non


maçonnique, dans le perit Temple, à propos d'un certain
Jésus. Si tu veux te joindre à nous tu es invité. De nom-
breux frères nous feront part de leurs investigations sur
Jésus et plus précisément sur sa fin. Tout est ouvert. »
Jean réserva quelques places à ses côtés pour des mem-
bres de la loge secrète et Gérard Rossi qui lui avait glissé,
avant d'entrer en loge, qu'il y avait du nouveau.
o Je prends le premier avion demain pour Paris. On a re-

trouvé la trace du porte-flingue d'Ortolani. Il y a deux


jours, il a passé la nuit dans un hôtel de Bidart sous le nom
de Leonardo Costa, avec passeport italien. Selon nos in-
formarions, il a cherché à entrer en contact avec des gens
d'ETA et plus particulièrement avec un ancien artificier du
mouvement basque vivant à Saint-Jean-de-Luz.
Il cherche des explosifs de dernière génération, du Sem-
tex-H ou du Formex 4 qui sont des plastics très dangereux.
Mais là, il s'est trompé d'adresse. Nos enquêteurs pensent
qu'il l'a compris, car il a rapidement disparu, semant les
RG dans un col pyrénéen. Il a été repéré dans la soirée
d'hier à San Sebastian où il était descendu à l'hôtel Monte
Igueldo, mais là aussi comme par hasard, i[ s'est volatilisé.
Des hommes des services espagnols I'ont suivi sur des pe-
tites routes du pays Basque où ils ont dû être repérés. L, po-
lice basque comme la Guardia ciuil ont établi des barrages
qui n'ont donné aucun résultat. Les gens de la Police de
l'Air et des Frontières ont reçu le renfort de la compagnie
de CRS de Lannemezan. Notre correspondant sur place,
pense qu'il doit avoir trouvé refuge dans quelque couvent.
Cela s'est déjà produit pour des membres de I'ETA et d'au-

r9z
LOGGTA SECREI'UM

tres. Sa photo est affichée dans tous les commissariats et


gendarmerio. À -on avis, il ne peut dler bien loin, sauf s'il
béné6cie de la collaboration de certains services pouvant
arriver à l'exÊltrer. S'il est à la recherche d'explosifs, c'est
qu il a bien une idée en tête ou un boulot à terminer. Restez
tous sur vos gardes et soyez prudents si vous enüeprenez
quoi que ce soit. Vous avez toujours des amis sur Rennes-
le-Château?
- Oui, nous avons mis au point une rotation de garde et
de surveillance à Jaffus et dans [e coin, répondit Jean.
- Le dispositif de la gendarmerie n'est pas levé, conÊrma
Gérard. Mais ça ne vous empêche pas I'extrême prudence.
Vous avez affaire à un professionnel, sûrement un vrai
tueur, terroriste aguerri. Pour le moment, nous pensons
que ce Leonardo agit seul.
- Par contre il faut prévenir John. Il débarque de Cali-
fornie en 6n de semaine pour venir passer quelques jours à
Rennes avec Firmin et nous rencontrer, dit Pierre. Je dois
dler le chercher à Nice. Notre dernier entretien date d'avant-
hier. Le texte écrit sur la paroi de la grotte qu'il avait pho-
tographié a été bien identiÊé par I'un de ses amis. Il s'agit
d'un texte en araméen palestino-chrétien qui était le plus
proche parler de Jésus. Comme nous le pensions sans pou-
voir affirmer quoi que ce soit, il se pourrait bien que ce soit
Marie-Madeleine elle-même, ou son entourage, qui soit
I'auteur de ces quelques phrases. John m a dit que la tra-
ducdon était de la dynamite. Il n'a rien voulu me dire par
téléphone, mais cela recoupe la lettre qu'il avait envoyée à
Firmin, lui intimant de ne parler à personne de ces ins-
criptions, soulignant que cela pouvait être dangereux. Et
surtout d'attendre qu'il revienne pour retourner à la grotte.
- N'aurait-on pes pu idendÊer ce tueur et le retrouver
plus facilement, si on avait cherché des traces d'ADN dans
la grotte ? interrogea Max.
- Oui, d'abord si c'est bien lui qui a maculé les inscrip-
tions sur la paroi, et à condition qu'il Êgure au fichier cen-

193
LOGGIA SECRETUM

tral génétique. Et non, parce que vous êtes plusieurs à être


entrés dans la grotte et que vous avez dû polluer le site avec
votre propre ADN, dit Gérard. Mais avec son ADN, il esr
vrai qu'en cas d'arrestation, il aurait pu être rapidement
confondu, même si, comme je le crois, c'esr un type qui ne
dira absolument rien aux enquêteurs lors de son arresta-
tion. Ce genre de gars esr en général coriace.
Les gendarmes ont tenté de tout analyser sur la voiture
carbonisée d'Alain Salmon. S'ils ont pu déterminer que
c'est une grenade incendiaire d'un type spécial qui a mis le
feu au véhicule, ils n'onr eu aucun résultat quanr au prélè-
vement d'ADN. lrs précautions à prendre pour des prélève-
ments de ce type, sur des lieux de crimes ou autres, sont
d'une extrême minutie. Si, par exemple, vous n'avez laissé
sur place qu un seul cheveu de l'un d'entre vous, vous pouvez
perturber les analyses et fausser les résultars. C'esr pour cela
que vous voyez les enquêteurs endosser des combinaisons
intégrales, coifËs d'un calot, avec gants, couvre-chaussures...
Le moindre micro-indice amené de l'extérieur du site des
prélèvemenrs peur s'avérer néfasre pour les résultats de
l'analyse rendue inexploitable.
- Jamais je n aurais pensé, dit Guy Mone, que l'Église
catholique soit mêlée d'aussi prés aux services spéciaux et
qu'elle ait pu collaborer avec eux. C'est bien le signe d'une
dérive politique.
- Ce n'est pas d'aujourd'hui. Sans remonter aux origines
de l'Église romaine, les services secrets du Vatican .orrr*
remontent en 1566 avec ce que l'on a appelé "La Sainte Al-
liance": "Si le pape ordonne de liquider quelqu'un pour
défendre la foi, on le fait sans se poser de question. Il est la
voix de Dieu, et nous son exécuteur", devait déclarer Pa-
luzzi, un de ses dirigeants. Il n est de secret pour personne
aujourd'hui, {u'au cours de son histoire, le Vatican a fait
exécuter des opposants. Il a créé des sociétés secrères aidant
des dictateurs voire des criminels nazis, n'a pas hésité à re-
courir à des coups d'Érat, entretenant des relations avec la

194
LOGGIA SECRE'I'UM

MaÊa pour le traÊc d'armes et le blanchiment d'argent no-


tammenÉr. Plus proche de nous c'est le cas du cardinal
Spellman, archevêque de New York qui n hésitait pas à as-
surer que Dieu était américain. Tiès proche de la CIA,
Spellman collabora avec elle à propos du Vietnam notam-
ment. Je ne vous parle pas de certains services de pays très
conservareurs, souvenr dirigés par des dictateurs urilisant
du personnel ecclésiastique, parfois par conviction.
Un dominicain belge, l'abbé Félix Morlion, a réorganisé
les services secrets du Vatican en 1946. On a su alors que
c'était un agent de la C[A. Les liaisons entre le Vatican et
l'agence américaine de renseignement ont connu leur heure
de gloire sous le pontificat de Pie XII. Des rapports existent
toujours, parfois par le biais de personnes extérieures au Va-
tican, comme cet ancien conseiller d'un Premier ministre
français, classé à la droite extrême, proche de I'Opus Dei et
que l'on retrouve souvent dans les ffactations de libérations
d'otages français. Mais c'est Bill Casey,l'un des plus puissants
directeurs dans l'histoire de la CLA qui fut certainement le
plus proche d'un souverain pontife. Casey, avec son avion
personnel transformé en bureau-appartement, Êt au moins
une dizaine de voyages à Rome pour rencontrer secrètement
Jean-Paul II, en qui Reagan voyait un allié de poids dans la
lutte contre le communisme. Casey et Jean-Paul II mirent
au point la libération de la Pologne du joug communiste
avec de multiples moyens et énormément d'argent. Ils ont
aidé Solidarnosc à être le levier de cette libération au grand
dam des Soviétiques qui onr été à deux doigts de faire cou-
ler un bain de sang puisque l'armée rouge e failli envahir la
Pologne trouvant Jaruzelski trop faible face au pape.
On peut aussi parler des accointances entre le cardinal de
Gênes Giuseppe Siri, un ultra de l'Église, avec le SIFAR,Ie
conrre espionnage miliaire italien. On peur également cicer
de récents exemples de prélats des républiques de I'Est qui
faisaient de l'anticommunisme primaire, pour mieux sa-
voir qui dénoncer aux Soviétiques ou à leurs affidés.

195
LOGGIA SECRE'I'UM

Mais tout cela n'apparaît au grand public que bien des


années plus tard, dit Gérard. On a découvert récemment
qu une douzaine d'évêques polonais, jusqu à la 6n des années
soixante et dix étaient agents ou collaborateurs des services
secrets. Tout ce qui se tramait et se disait lors des confe-
rences épiscopales dans ces pays était transmis aux services
secrets staliniens.
Yoyez ce qui vient d'arriver en Pologne avec la nomina-
tion de Stanislas lVielgus, archevêque de Cracovie imposé
par le pape Benoît XVI qui, quoi qu'il en dise, connaissait
fort bien le passé de son protégé. Quand la presse polo-
naise, puis internationale, a publié les preuves comme quoi
le "saint homme" avait été correspondant, puis agent actif
de I'ancienne police politique communiste, la SB, en in6l-
trant par exemple la "Voix de l'Amérique", la radio de pro-
pagande américaine dans les pays de l'Est, le Vatican a été
obligé de se chercher un autre primat. Heureusement que
tout ne se sait pas. Le père Populiesko, membre de Soli-
darnosc, mouvement ouvrier progressiste au départ, puis
syndicat monté de toutes pièces et manipulé par le Vatican
avec Jean-Paul II et la ClA, a été assassiné par la police poli-
tique sur dénonciation d'un autre prêtre, proche de lui, qui
renseignait la police politique et dénonçait les catholiques
actifs contre le régime.
lrs agents de la police polidque communiste, "tenaient"
le métropolite de Poznan, Monseigneur Juliusz Paetz,
démis de ses fonctions en 2002, car ils connaissaient ses
penchants sexuels pour les séminaristes. Autre "contact"
des services spéciaux, un proche de l'ancien pape Jean-
Paul II, le père Malinski et d'autres qui, d'indicateurs, sont
passés au stade de collaborateurs de la police politique, cer-
tains cependant pour continuer leur ministère avec un peu
moins de pression des autorités communistes. En général,
ils démentent tous, jusqu'à ce que les archives parlent.
Seuls, à cette époque, quelques frères ayant occupé des
charges au plus haut niveau obédientiel avaient connais-

196
LOGGIA SECRETUM

sance d'actions "politiques" engagées. Des réseaux qu em-


pruntait, par exemple, l'aide financière, parfois iconoclaste,
de certaines obédiences, sous couvert d'associations laïques,
à des mouvements derrière le rideau de fer, alors instru-
mentalisés par l'Église et la CLA. La plupam des maçons
l'ignoraient. Il en allait de même sur le continent africain,
avec toutefois plus de bonheur que dans les pays de l'Est.
- En France, on a un exemple peu commun: celui d'un
officier des Renseignement généraux, entré dans une obé-
dience, au départ, pour l'infiltrer. Cet homme, devenu
commissaire s'est ensuite tellement réalisé en maçonnerie
qu il est devenu le Grand Maître de cette obédience, deve-
nanr même l'ami d'hommes politiques fort influents, y
compris au niveau d'un président de la République ,, pré-
cisa Jean.
Ce n'est que tard dans la nuit que les frères quimèrenr le
temple de la rue Saint-Jean.
CHAPITRE XVIII

C'est finalement dans la salle de réunion des bureaux de


la société de Pierre Faure et Paul Bousquet, qu'une dizaine
de frères se retrouvèrent le vendredi à 15 heures pour une
synthèse de leurs travaux sur Jésus. Ceux qui n'avaient pu
être là avaient envoyé leur contribudon à Jean.
D'abord, les membres de la Loge s'étaient mis d'accord:
même sans preuves historiques confirmées par I'archéologie,
ils partaient du principe de l'existence, entre moins six ou
moins quare avant notre ère et.iusqu à une date indétermi-
née, située entre 36 et plus, du Jésus des évangiles. Même si
n les chrédens n'ont aucune réftrence que ce soit sur sa nais-
sance, sa vie, ni sa mort, ni même sur cette période62 ,.
Une fois ce postulat entériné, ils avaient retenu comme
sources les quatre liwes des evangiles canoniques, de Matthieu,
Luc, Marc etJean, les vingt-trois livrets des diftrentes épîtres
de Paul, des épîtres catholiques de Jacques, de Pierre, Jean
et de Jude retenus par Rome, ainsi que les n Actes des Apô-
tres » et I'Apocalypse de Jean. Ensuite les écrits trouvés par
des Bédouins dans les grottes de Qumrân en L947 et 1952:
le Maître de Justice, le rouleau de Lamech, le Manuel de
Discipline, le Manuscrit d'Isaïe, et le Commentaire sur le
livre d'Habacuc. Si tous ces textes ne permettaient pas d'y
voir un peu plus clair sur Jésus, au moins pouvait-on
connaître l'ambiance, la vie et les mæurs de certaines sectes
juives de l'époque et avant la naissance du n messie ,.
Mais ce sont surtout l'évangile selon Thomas, l'évangile
selon Philippe, l'évangile de Vérité, celui des Égyptiens, la
Paraphrase de Sem, le Livre des Secrets de Jean, tous ces

199
LOGGIA SECREI'UM

écrits avec ceux de l'origine du Monde, que I'on a baptisé


u la bibliothèque de Nag Hammadi ,, mise au jour en 1945
qui avait intéressé la plupart des membres de la Logia Se-
cretum. D'abord, parce que ces documents avaient été tenus
à l'écart par les pères de l'Église et que les tenants de l'or-
thodoxie avaient voulu les faire disparaître. Ensuite, parce
qu'ils étaient d'une richesse incomparable par râpport aux
quatre évangiles canoniques, beaucoup moins aseptisés et
interpolés. Même si dans ces textes gnostiques il avait fallu
rejeter des passages paraissant parfois incohérents à des
hommes du )C(I'siècle, chargés d'un mysricisme ésotérique
alliant le merveilleux à des visions d'illuminés. Avec des en-
tités comme les n éons , ou n siècles ,, à la fois personnelles
et impersonnelles, des éléments d'espace de temps hypo-
stasiés jouxtant des drames mythologiques, mais aussi
concrers, se débattant dans des cieux inférieurs et des
mondes supérieurs. Bref, toute une cosmogonie difficile-
ment compréhensible et pas toujours acceptable, pour ceux
qui, au XXI'siècle, opposenr raison et connaissance à la
croyance et l'ignorance.
Ces évangiles et autres codex, soit quelque quatre-vingt-
six écrits ont été cachés, pour la plupart par des moines
coptes, quand les pères de l'Église et Anastâse, l'évêque
d'Alexandrie, demandèrent de détruire les sources autres que
celles retenues par les pères de l'Église. Tous ces évangiles
dits apocryphes rejetés par l'Église, ainsi que la littérature
gnostique et arienne, allaient-ils permettre de répondre à
une seule question : o Jésus est-il mort sur la croix ? ,
Rien n'était moins sûr. D'autant plus qu'aucun écrit de
quelque témoin visuel de la Ên de Jésus sur la croix ou ail-
leurs n'existe. Encore moins de la résurrection. ks certitudes,
en la matière, étant plus du domaine de l'interprétation
tant les textes, souvent contradictoires malgré les réécritures
successives, restent empreints de légendes et fables ayant eu
cours antérieurement aux faits relates par trop peu de témoins.
Plusieurs hypothèses avaient alimenté la controverse duranr

200
LOGGIA SECRETUM

des siècles. Il fallait toutes les envisager et dire qu'elle était


la plus plausible tout en sachant qu il n y aurait peut-être ia-
mais de preuves historiques. Ou que si, un jour, elles exis-
taient, elles seraient §etées par les premiers intéresses, comme
ils avaient nié à une autre époque que la terre tournait.
Pour ce âire, les membres de la loge secrète avaient étu-
dié les diftrentes sources. Elles étaient aussi nombreuses
que contradictoires sur des points essentiels, y compris dans
les quatre évangiles retenus par l'Église. Ces derniers ne di-
sant pas la même chose sur des actes et situations précises,
otr les intervenants diftrent ainsi que les lieux, ot) souvent,
une même personne porte differents noms. Mais à leur
étude, une chose s'imposait:
« Ijair qu'on nous chante est déià connu. Seul le parolier
est nouveau, avaîçaPierre. Le premier constat est flâgrant.
La vie de Jésus, en partie décrite dans les évangiles, n'est
pas une nouveauté. Plus de 1 000 ans avant lui, on trouve
Ies mêmes descriptions concernant la venue au monde d'un
sauveur en Orient. Il est annoncé par des prophètes, Êls
d'une vierge, de descendance "royale", auteur de miracles,
rendant la vue aux aveugles, il ressuscite les morts, est mis
à mort et descend aux enfers avant d'êüe ressuscité et de
monter au ciel.. . Tout comme Jésus fils de Marie et près de
dix siècles avant qu il ne soit question de lui. Étrange non ?
Prenez l'histoire de lGishna, né d'une vierge, celle d'Horus,
Êls de la vierge Isis et d'Osiris, dont la naissance fut annon-
cée par une étoile, qui fut tenté par Seth (comme Jésus par
Satan sur la montagne) de Zoroastre en Perse, qui aurait
vécu plus de mille ans avantJésus, lui aussi né d'une vierge,
faiseur de miracles, magicien, du Phénicien Baal, du baby-
lonien Tâmmuz, de Thor, 6ls du dieu Odin... et d'une
quantité d'autres. Ils ont en commun un Parcours quasi si-
milaire. Comme si, une seule et même histoire à l'origine,
avait été clonée à diftrentes époques a6n de répondre aux
interrogations de l'homme ou de lui offrir une belle fable
à raconter aux enfants sur le chemin du sommeil.

201
LOGGTA SECRETUM

Ils sont nombreux, comme Mithra, ftté un 25 décembre,


né d'une vierge, également crucifié. Il est monté vers Dieu,
ici le soleil symbolisé par le lion er sa crinière. On retrouve
chez tous ces Dieux-prophètes de l'Antiquité des parcours
qui feront qu'on sera en territoire connu en lisant ce qu'ont
bien voulu nous dire les évangiles, sur la vie de Jésus. Avec
cette impression de "déjà-vu". Y compris dans bien des
symboles, empruntés à des religions venues de la nuit des
temps, ancrées dans le Proche-Orient, le Caucase, et même
en Amérique latine.
- C'est une grande interrogation, mais des points de res-
semblance sont et restent toujours troublants, dit Jean. Ne
prenons qu'un seul nom des croyances Maya, Olmèques,
Aztèques et surtout Toltèques, celui de Queualcôad. Que
trouvons-nous ? Le voilà, lui aussi né d'une vierge, il est ap-
pelé "l'étoile du matin". Il a un jumeau, comme Jésus,
(Thomas) qui est nommé "l'étoile du soir" (Vénus). Il est
également le symbole de la mort et de la résurrection. Avec
le sang de son pénis, il aurait ramené à la vie des morts d'une
précédente génération après un cataclysme "cosmique".
Quand Cortès débarqua, en 1539I'empereur Mocte-
zuma crut voir en l'homme bardé d'acier, le retour du dieu-
prêtre. Car on annonce toujours le retour d'un "Sauveur"
pour les hommes. Pour certains il est là, son retour a eu
lieu. Pour d'autres, il est encore attendu.
On sait que les préchrétiens, les premiers gnostiques,
parlaient de I'Un Suprême, le"Propatoy'', une sorte de
Premier Père, avec des noms diftrents, le Brahman des hin-
dous, "le temps inÊni" des mazdéens, la monade pythago-
ricienne63...
On peut, ici, se poser légitimement une question: est-il
possible qu'il y ait eu un Tèmps premier, une civilisation
primordiale, anéantie des milliers d'années avant la
construction des Pyramides, qui serait à l'origine de l'his-
toire des hommes ? ou plutôt de l'histoire bâtie pour er par
I'homme afin de tenter d'expliquer son origine.

202
LOGGTA SECRE'TUM

Un exemple parmi d'autres ? Pourquoi la valeur exacte


de ce nombre cardinal qu est pi, qui aurait été découverte,
selon les historiens, parArchimede quelque 2à300 ans evant
notre ère, se retrouye aussi bien dans la construction de la
pyramide de I(heops, érigee plts de 2000 ans avant la naissance
d'Archimède, que dans celle du Soleil de Teotihuacan«?
Au cours de l'histoire et de la protohistoire on a l'impres-
sion qu il a exisré une sorte de permanence dans la croyance
en des Dieux venus d'ailleurs, ou du moins étant à l'origine
de la création. Des Dieux qui nous auraient envoye chacun
leur "fils", ou leurs prophètes, pour mietx diriçr ces peuvres
humains perdus dans le labyrinthe de questions qu ils ne de-
vraient pas se poser.
Comme le messie, annoncé par le prophète Zacharie, né
520 ans avant notre ère, tous ces "messies" ont été annon-
cés par des mages ou prophètes ou encore par des appari-
tions étranges, dans la voûte céleste ou ailleurs, interprétées
par des astrologues.
- Plus on étudie ces mouvements religieux et leurs mes-
sagers, plus on est confronté à des ressemblances assez stu-
péÊentes, dit Pierre. Prenez la naissance d'Abraham (Abram),
celui que les Hébrcux appellent Avraham, né en 1948 de
l'ère hébrarque, soit quelque 2 000 ans avant notre ère, c'est-
à-dire autant de temps avant Jésus que de temps écoulé
entre sa naissance et aujourd'hui. Cet Abram est fils d'An-
talaï et de Théra, chef des armées d'un monarque demi-
dieu, Nemrod, roi de Babylone qui vouait un culte à la
déesse Lune. Ce roi donna une ftte en son palais à l'occa-
sion de la naissance du fils de son chef des armées. Mais les
mages vinrent en nombre voir le nouveau-né en suivant un
astre dans le ciel leur montrant le chemin. Cat disaient-
ils, ce nouveeu né, selon les asrologues, sera un roi plus
puissant que tous les rois puisque ses héritiers spirituels ré-
gneront sur tous les peuples.
Que fait Nemrod ? Il fait tuer tous les nouveaux nés
mâles, y compris celui de Théra. Rassurez-vous, Avraham

203
LOGGIA SECRETUM

fut caché dans une grotte où il restera trois ans pendant


que le Êls d'une domestique lui était substitué sous les épées
des soldats de Nemrod. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Et
cette histoire se déroulait deux mille ans avanr que Marie ne
mette eu monde son premier 6ls, Jésus. Des exemples comme
celui-ci, nous en âvons trouvé une demi-douzaine.
- Ce qui m'ennuie, intervint Bernard Pol, c'esr que I'on
ne trouve rien dans les évangiles et autres écrits sur la vie de
Jésus à partir de sa treizième année jusqu'aux environs de
trente ans. On a la âcheuse impression que, durant toute
cette époque, il n'a pas existé, ou a complètemenr disparu
du paysage.
LJn autre fait vient brouiller notre approche de Jésus,
c'est la multitude'de Jésus que l'on renconrre. Le Tâlmud
de Babylone, pour ne citer que lui, parle de plusieurs Jésus.
Un Yéshouha (Jésus), aurait été Êls de Sarada qui aurait fui
er, Égypt. avec I'arrivée au pouvoir des Saddutéens. Cette
secte juive administrait le tmple. Les sadducéens éraient
le plus souvent d'origine aristocratique, complices de l'oc-
cupant romain et refusaient les dogmes et croyances des
pharisiens, comme I'immortalité er l'existence des anges er
démons. Ils ne croyaient pas à la résurrection de la chair er
des corps. Je souligne tout cela car c'est la position conrraire
du Jésus des évangiles.
Oç ce Jésus du Tâlmud de Babylone, était considéré
comme de mauvaises mæurs. Il était le fils d'une Myriam
et d'un soldat Assyrien, d'où le surnom de "Yésbouha ben
Satada" , ce qui correspond, en araméen, à: "Êls de celle qui
a trompé son mari".
Ce Jésus-là, fut condamné par le Sanhédrin pour incita-
tion publique à la révolte et idolâtrie. Il aurait été lapidé à
l'âge de 36 ans, la veille de Pâques. Il faut avouer que rour
cela reste assez troublant... Ne vous étonnez pas après cela
si, pour certaines sources juives: "Jésus n'est qu'un bâtard
né hors du mariage". Selon Flavius Josèphe, un certain Yés-
houha ben Animas, petit prophète parmi les 55 que recense

204
LOGGI.A SECRETUM

la bible hébraque, prédisait la ruine de Jérusalem ainsi que


celle du Temple en suscitant quelques troubles dans la po-
pulation juive. Il fut, lui aussi, livré aux romains par les prê-
tres du Temple. Ces derniers le relâchèrent en disant qu'il
était fou...
* Nous sevons qu'il y a plusieurs hypothèses niant la
mort de Jésus sur la croix. La première veut que ce soit un
peysan, Simon de Cyrène, réquisitionné par des soldats ro-
mains, a6n d'aider Jésus à porter la croix dès sa troisième
chute, qui ait été crucifié à sa place. C'est ce que nous ex-
plique, parmi d'autres, Basilide, hérésiarque gnostique
alexandrin du I" siècle. Toutes les contributions reçues ne
sont guère favorables à cette hypothèse, malgré un trouble
certain et les diftrences dans la narrarion du chemin de
croix dans les évangiles canoniques. Et puis, ajouta Jean, il
nous faut parler des dernières découvertes concernânt la
"tombe perdue" de Jésus et sa famille.
En 1980, dans un quartier de Jérusalem, à Tâlpiot des
ossuaires sont mis au jour par des ouvriers construisant un
immeuble. Des archéologues seuvent ainsi une dizaine
d'ossuaires du bulldozer, Sur ces ossuaires, sont des ins-
criptions. Lune, en araméen de Yéchouah ouYéshu ben Yosef
(Jésus), une autre le nom de Mariamene e Mara (Marie-
Madeleine) et deJudah ben Yésbu (Juda 6ls de Jésus) et Yose
(diminutif de Joseph). Comme ces noms sont très fré-
quents au I" siècle àJérusalem, les archéologues n'y prêtenr
guère attention.
C'est là que le professeur François Bovon, de Harvard,
intervient. D'après lui, le vrai nom de Marie-Madeleine,
dans des écrits du IV' siècle est Mariemene. Des tests sur
|ADN mitochondrial récupéré dans les ossuaires montrent
queJésus et Marie-Madeleine n avaient pas la même mère.
Comme les restes sont dans la même tombe, ils pourraient
concerner mari et femme.
Yose pourrait très bien être I'un des quatre frères de Jésus
évoques dans l'évangile de Mathieu. Quand on pose la ques-

205
LOGGIA SECRE'I'UM

tion de savoir pourquoi il a fallu attendre vingt-sept ans pour


mesurer l'importance de cette découverte, M. Jacobovici,
réalisateur du documentaire diffusé sur Discovery Channel,
répond que les archéologues ne connaissaient pas bien les
noms attribués aux proches de Jésus tandis que les spécia-
listes de l'histoire religieuse n avaient pas eu connaissance
des découvertes de ces tombes. M. Feueverger, professeur
de mathématiques à l'Université de Toronto estime après
études que la probabilité pour trouver ces noms ensemble
est dans le cas le plus défavorable de 600 contre un et de
30 000 contre un dans le cas le plus favorable. Il conclut:
"La possibilité que le tombeau de Tâlpiot soit bien celui de
Jésus doit être considéré sérieusement".
Comme à chaque nouvelle découverte archéologique ou
source écrite qui n'entre pas dans le sacro-saint dogme de
l'Ég[se, plusieurs organisations chrétiennes dénoncent cette
trouvaille. Certaines ont même demandé l'interdiction de
la diffusion du documentaire de James Cameron taxé de
"fraude titanesque, de Êction hollywoodienne déguisée en
fait scienti6que". Il reste cependant vrai que le nom de
Yéshu a été retrouvé sur 71 tombes à Jérusalem6t. Mais tou-
jours, cette interdicrion de toucher au dogme, dé6ni et
gravé dans le bronze pour l'éternité. La vérité a été dévoi-
lée une fois pour toutes. Amen ! Circulez ! Il n'y a plus rien
à voir.

- Déjà en 1968, dit Albert, des restes d'un homme cru-


cifié, avec encore un clou dans le pied droir avaienr été re-
trouvés dans un ossuaire à Jérusalem. Il y a eu un silence
radio total sur cette découverte: l'Église avait trop peur
qu'il s'agisse de Jésus.
Il est certain que si cette dernière découverte, evec rous
ces noms prouvait qu'il s'agit bien des restes de Jésus et
Marie... mais, le saura-t-on un jour?.. le mythe de la ré-
surrection des corps en prendrait un sacré coup y compris
auprès des croyants catholiques. De plus, dans ce cas, Jésus
n'est pas ressuscité d'entre les morts et n'est pas monté aux

206
LOGGIA SECRETUM

cieux: il n est donc pas d'essence divine et alors ce sont les


disciples d'Arius, les Ébonites66 et bien d'aurres avec les
gnostiques et les Cathares qui ont raison.
- Tout cela ne remet-il pas en cause notre recherche et
nos travaux ? interrogea Max.
- Non dit Pierre. Pourquoi s'arrêter? Lessentiel nest-il
pas la quête ? Voilà une synthèse des travaux de notre loge
à ce sujet. Il pourrait y avoir deux solutions:
Soit Jésus a été remplacé sur la croix, par son frère ju-
meau. "Salut à roi, mon jumeau, second Christ" dit Jésus
à son frère, dans l'évangile de Barthélemy. Ce qui expli-
querait que Marie-Madeleine, arrivant au tombeau le len-
demain matin, ne l'ait pas reconnu. On sait qu'il existe, pour
des intimes, quelques diftrences même entre jumeaux. On
peut s'interroger sur l'appellation "second Chrisr". Cela
voudrait-il dire que le jumeau aura un rôle - peur-êrre un
second rôle - à jouer en tant que "Chrisr" ? Cela voudrair-
il nous laisser entendre que Jésus est effectivement bien
mort sur la croix et que c'est alors son jumeau qui est ap-
paru aux apôtres, avant de "monter" au ciel, c'est-à-dire
tout simplement de disparaître, afin de ne plus se risquer à
être démasqué ? Et il y a bien des affirmarions dans plu-
sieurs sources soulignant le fait que c'est un autre qui est
concerné: "Non ! Ils ne I'ont pas tué, ni ne I'ont crucifié,
mais ils furent victimes d'une illusion67".
SoitJésus a bien été crucifié er on I'aurait descendu de sa
croix avant qu'il ne soit physiquemenr morr en utilisant une
pharmacopée magique, ce qui était très courenr à l'époque,
bien que rigoureusement inrerdir par la Thora er souvenr
puni de mort.
Autre interrogation: Jésus a été crucifié tête en haut.
Selon la loi romaine, si ces actions étaient menées conrre
Rome, donc politiques, il aurait dû être crucifié tête en bas.
Selon l'acte d'accusation, il étair recherché comme fauteur
de trouble, surtout avec ses sicaires, comme disciples, consi-
dérés comme des 'tueurs". "Il se prétendait roi et fils de roi"

207
LOGGTA SECREI'UM

écrir à l'époque Julien, faisant allusion à Juda de Gamala,


le vrai père de Jésus, de la branche Davidique "Il fait acte
de rébellion et pratique le brigandage". Ce qui fait qu il fal-
lut une cohorte, soit environ six cents vétérans, comman-
dée par un tribun, plus, un détachement de Ia milice juive
du Têmple, deux cents hommes, afin de procéder à son ar-
restation. Il aurait dû alors être crucifié, tête en bas comme
opposant "politique" à Rome68. Seuls les "droits communs",
comme Barrabas, étaient condamnés tête en haut.
Pourquoi cette enomalie si l'on suit toujours les écri-
tures ? Tous les textes nous disent gue ce sont les juifs, ou
plus précisément les membres du Sanhédrin, les prêtres du
temple, qui ont livré Jésus aux romains qui eux l'ont con-
damné. La crucifixion est un supplice typiquement romain
et non juif. Pourquoi donc, le séditieux Jésus a-t-il été cru-
cifié tête en haut comme nous le représentent toutes les ico-
nographies ? Soit il avait une sacrée renommée, soit les
romains étaient persuadés qu'une attaque des disciples et
autres sicaires viendrait délivrer Jésus puisque ceux qui
étaient avec lui, avant son arrestation lui demandèrent:
"Seigneur, frapperons-nous de l'épéeet ?" Il fallait que les
prophéties s'accomplissent: "Il faut que cette parole, gui
est écrite s'accomplisse en moi: il a été mis au nombre des
malfaiteursTo".
Jésus ne demandera rien qui puisse venir contredire les
prophéties, au contraire, il fera tout pour coller aux visions
de Zacharie et d'Isaïe. Quant à ses disciples, on sait qu'avec
Pierre, ils ont tous pris la poudre d'escampette, hormis Jean
qui pourrait d'ailleurs êue Lazare, de peur d'être arrêtes.
Malgré leurs épées que Jésus leur avait demandé d'acheter.
Reste I'hypothèse de la crucifixion avec intervention de
la magie pour faire croire à la mort de Jésus en le faisant
tomber dans un sommeil cataleptique. Pourquoi ? Parce
qu'il savait, bien avant le jour fatidique, qu'il allait mourir
sur la croix. C'est Matthieu qui nous le dit: "Jésus leur dit:
le Fils de l'Homme va être livré aux mains des hommes et

208
LOGGTA SECRE'TUM

ils le tueront et le troisième jour il ressuscitera". Si I'on en


croit les évangiles canoniques, Jésus, après avoir été fouetté,
a gravi son chemin de croix avant d'être crucifié. Les ro-
mains, pour abréger la souffrance de certains cruci6és, bri-
saient leurs jambes. Iæ poids du corps n'étant plus sourenu,
la victime mourrait ainsi plus vite, asphyxiée. PourJésus, on
sait que les soldats n'eurent pas à en arriver là. Laprès-midi
même de sa Crucifixion, 'Jésus ayent poussé un grand cri,
expira", nous dit Marc, confirmé par Jean qui apporte une
précision intéressante : "Quand Jésus eut pris le vinaigre, il
dit: Tout est accompli. Il baissa la tête et expira".
Tout est accompli: cela veut-il dire, tout est advenu
comme cela avait été prédit ? Tout s'est passé comme ce de-
vait l'être a6n de coller à l'image du messie annoncé par les
prophètes. Jean nous parle du "vinaigre" qu'aurait pris
Jésus. Selon Mathieu, une femme offrit àJésus du vin mêlé
de fiel, tandis que Marc parle de vin mêlé de myrrhe.
D'après le Talmud,les femmes pouvaient apporter aux sup-
pliciés une boisson composée de vin avec de l'encens dis-
sous afin d'apaiser les souffrances de cet ignoble supplice.
N'a-t-on pas proÊté dans I'entourage de Jésus, er avec
son accord, de ce moyen afin de lui administrer une potion
magique, composée de Belladone par exemple, plante
toxique connue des mages de I'antiquité ? Cette "herbe em-
poisonnée" comme on l'appelait, dont on utilise les feuilles
et les sommités fleuries, accélère le rythme cardiaque, aug-
mente la tension artérielle, provoque la dilatation des pu-
pilles, dilate les bronches, donne des céphalées et des
vertiges ainsi qu'un délire furieux et peut plonger dans un
coma pouvant même être mortel7l. Il semble bien que
Jésus, au moment de franchir le seuil, après avoir reproché
à « son père , de l'avoir abandonné, ait prononcé des mots
assez incompréhensibles, suivis d'une invocation aux es-
prits de vengeance: " Eli ! Eloim ! Lama Astagnd TAni".
Des mots issus d'un grimoire magique, "Les Clavicules
de Salomon", pour Lama Astagna, "esprits gouvernant la

209
LOGGIA SECRETUM

région des morts dans le monde" afin de conjurer, maudire


et qui n'a rien à voir avec la traduction donnée : "Eli, Eli!
Lama sabachtani", qui est le premier vers du psaume )O(II
attribué au roi David. Tâni éranr le nom d'un esprit gou-
vernant la huitième heure du jour72. Des malédictions
qu'utilisaient souvenr les néochrétiens, comme Paul par
exemple, livrant des pêcheurs à Satan.
Il suffisait d'une personne suffisamment instruite des
pratiques magiques utilisées par les Égyptiens noremmenr,
pour imbiber l'éponge tendue à Jésus, au bout d'un roseau,
d'un breuvage ainsi composé pour faire croire à sa morr.
En utilisant l'antidote, on pouvait très bien se servir d'une
mixture de belladone mélangée à du vinaigre pour donner
l'illusion de la mort a6n que le supplicié soit réveillé plus
tard. De même on sait que les pharaons urilisaient un
champignon magique, I'amanita muscaria, donnant à ceux
qui en ont le secrer d'érranges facultés.
Jésus ayant vécu plusieurs années .r, Égypt., érant connu
également comme mage et magicien: il ressuscite des morts,
rend la vue à des aveugles... rour devient dès lors possible.
C'est peut-être pour ces raisons qu'il fallut un tombeau à
Jésus, puisqu'il allair se réveiller... après sa "morr" sur la
croix. Comme l'âme rôde autour du corps durant trois
jours avant de monter au ciel, selon des écrits gnostiques,
il fallait abriter ce corps, même en cas de mort sur la croix.
En temps normal, les romains jetaient le cadavre du cruci-
té dans ce qu'ils appelaient la fosse d'infamie. Il semblc
qu'il y ait eu intervention auprès d'Hérode Antipas, dont la
femme de son intendant Chuza était I'une des "suiveuses'
de Jésus, amie de Marie-Madeleine, a6n que le "jardinier",
Joseph d'Arimathie récupère le corps et le place dans un
tombeau.
En fait ce Joseph, devait êrre assez riche pour posséder un
caveau. On suppose qu'il était membre de la "secte" de
Jésus, mais en secret, puisqu'il appartenait au Sanhédrin
dont les responsables ne faisaient pas bon ménage, c'esr le

210
LOGGI.A SECRETUM

moins qu'on puisse dire, avec le Nazôréen. Pendant long-


temps, jusqu'en 362, un tombeau près de Sébaste, en Sa-
marie, fut un lieu de pèlerinage pour les chrétiens car il
contenait, selon la tradition, le corps de Jésus. I-lempereur
Julien, ayant abandonné la nouvelle religion, fit ouvrir le
tombeau, et brûler les restes d'un squelette complet dont les
cendres furent dispersées au vent.
LÉglise chercha à faire passer ce tombeau comme étant
celui de Jean le Baptiste, et non celui du Christ. Pourtant,
ce ne peut pas être le tombeau du Baptiste, puisque ce der-
nier avait été décapité73. Il riavait pas été soumis au supplice
o infamant », celui de la croix et sa tête avait été offerte sur
un plateau à Salomé, la fille Hérodiade, pour avoir dansé
nue devant Hérode Antipas.
Pourquoi l'Église catholique fit-elle détruire la corres-
pondance, de 408 à 4ll, entre Julien d'Halicarnasse, qui
avait établi que le corps de Jésus était incorruptible, et Sé-
vère d'Antioche qui tenait que le corps avait été corrupti-
ble, comme tous les corps humains, "iusqu'à ce qu il soit
monté s'asseoir à la droite de Dieu".
Ceci explique en partie que l'Ascension, fabriquée de
toutes pièces, riest apparue qu à la fin du IV'et au début du
V'siècle dans I'histoire du christianisme. Après la destruc-
tion du tombeau considéré comme celui de Jésus, sur ordre
de Julien I'Apostat, qui devait d'ailleurs être assassiné après
ces faits, il fallait bien trouver un palliatif qui deviendra
une belle légende et un mythe afin d'éviter les questions
plus rationnelles, dans tout le monde chrétien.
Quant aux nombres et eux durées d'apparitions du Jésus
ressuscité aux disciples, elles varient selon les évangiles et
les écrits des pères de l'Église: un seul jour pour Pierre, Luc
et Tertullien, huit jours selon l'épître de Bernabé et qua-
rante jours pour le même (?) Luc, qui se contredit dans ses
'hctes des Apôtres".
- fuen donc, ne nous conÊrme que Jésus est mort sur la
croix, ou qu il est bien décédé sur leTâu, ou qu il n a pas été

2tl
LOGGIÂ SECREI'UM

crucifié, ou que s'il a bien été crucifié il a pu s'en sortir par


un tour de passe-passe, dit Jean Portos. Tout reste possible
et nos investigations dans les sources écrites ne nous ont
rien conÊrmés. Sauf peut-être cette histoire des dernières
découvertes des ossuaires à Jérusalem. Mais là aussi, soyons
prudents. Jérusalem a été entièrement déüuite dix-sept fois
depuis l'époque de Jésus, après les révoltes des zélotes, le
bras armé des Esséniens, et autres contre les romains. La
ville a même été rasée, si bien que I'un des lieux possibles
de la crucifixion, le Mont du Crâne, le Golgotha, n'est
qu'un effieurement de roche aujourd'hui dans l'église du
Saint Sépulcre. La dernière destrucrion de la ville a été I'æu-
vre des Mongols au XIII' siècle. Alors... ,
Après un court silence, Portos reprit la parole:
n Eh bien moi, qui suis pourtant un pragmatique, j'ai
poussé ma curiosité jusqu'au bout. J'ai obtenu une réponse
à notre interrogation sur le lieu où est enterrée Marie-
Madeleine ... Vous vous Êgurez bien qu'après notre tenta-
tive avortée avec l'Oracle kabbalistique, je n'allais pes en
rester là.
- Et alors ? dirent plusieurs frères en chæur.
- alors... fir attendre Portos, voici la réponse. En deux
Et
lignes sur le carré magique: n Où Dieu a changé les mons-
tres en pierre. Couleur or. ,
- Mais c'est une énigme, dit Paul. On sort de paraboles
pour tomber sur une énigme. On ne sait pas si c'est ici, au
Proche Orient... ça peut être partout. C'est comme cher-
cher une aiguille dans une meule de foin.
- Pas évident, dit Pierre. Mais je suis sûr qu'avec un peu
de méthode on doit pouvoir déterminer l'endroit. Il faut
que nous étudiions de plus près les lieux oir elle a été cen-
sée vivre, depuis Béthanie, Jérusalem, les Saintes-Maries-
de-la-Mer, [a Sainte-Baume, Marseille, Saint-Maximin,
Rennes-le-Château... là oir on peut savoir qu'elle a vécu
ou que trop d'indices nous la rappellent. Il faut voir dans
tolJs ces lieux s'il y a une légende se rapprochant de la ré-

212
LOGGIA SECRETUM

ponse de l'Oracle ou des faits qui pourraient nous faire pen-


ser à cette histoire de monstres changés en pierre. Sans ou-
blier la couleur de I'or.
- Je dois dire Portos que là, tu fais fort. Je n'aurais jamais
pensé que ru obriennes une telle réponse. D'accord, il n'y
a pas d'identification de lieu, mais il y a bien une réponse
qui doit certainement correspondre à quelque chose. À
nous de chercher, de réfléchiç car cela fait, à mon avis, plus
appel à la réflexion et à la connaissance qu'à l'investigation
sur le terrain. Il ne nous reste plus qu à trouver. Deux mots
sont à retenir: monstres et pierre. "Où Dieu a changé les
monstres en pierre". De quels rnonstres peut-il s'agir ? Cu-
rieux, très curieux. Et la couleur or ? Quelle signification
cela peut-il avoir? S'il y en a une », ditJean dont l'esprit
était déjà ailleurs.
CHAPITRE XIX

« Toussus Tour de Fox Papa Bravo, Bonjour!


- Fox Papa Bravo, Toussus Tour, Bonjour!
- Fox Juliet Yankee Papa Bravo, un TB 20, provenance
Carcassonne à destination de vos installations, en descente
vers 800 pieds à trois minutes de Sierra avec l'information
Hôtel pour une intégration au circuit extérieur.
- Fox Papa Bravo, le QNH 1013, rappelez passant Sierra.
- 1013, je rappelle Sierra, Fox Papa Bravo.
- Je passe Sierra, Fox Papa Bravo.
- Fox Papa Bravo rappelu.début de base 07 gauche.
-Je rappelle début de base 07 gauche Fox Papa Bravo.
* Début de base 07 gauche Fox Papa Bravo.
- Fox Papa Bravo rappelezÂnale 07 gauche. Pour infor-
marion, trois hélicoptères Gazelle au décollage.
- Je rappelle finale 07 gauche et ouvre l'æil sur les Ga-
zelles Fox Papa Bravo.
- En finale 07 gauche Fox Papa Bravo.
- Fox Papa Bravo, autorisé atterrissage 07 gauche, vent
du240,3 næuds.
- Fox Papa Bravo, autorisé atrerrissage 07 gauche. ,

Le TB 20 Tiinidad, fabriqué par la Socata à l'usine de


Târbes, se posa sans encombres sur la piste de Toussus-le-
Noble. Alben Paullus avait efficacement solliciré le Lyco-
ming de 250 chevaux équipant le petit avion qui l'avait
amené avec Jean, Pierre et Max pour un rendez-vous avec
Gérard Rossi.

215
LOGGI.A SECRETUM

Pour des questions de sécurité, en fait depuis l'amenrat


contre les tours du \ü7orld Tiade Center de New York, les
autorités ne permettaient plus que I'on puisse se poser, à
vue, au Bourget où Paullus aurait préféré atterrir, comme il
le faisait avant l'épidémie sécuritaire ayant suivi la paranoïa
des responsables américains.
LJne voiture attendait les quatre membres de la Loggia
Secretum et les conduisit jusqu'à Saint-Ouen. Ils avaienr
rendez-vous avec Gérard, au Coq de la Maison Blanche,
un restaurant situé à deux pas de la mairie.
n Désolé de vous avoir imposé ce voyage, mais je suis
coincé une bonne semaine sur Paris sans possibilité de dé-
placement, même sur une demi-journée. Je préferais vous
remettre les parchemins et leur traduction en main propre.
- Tir as bien fait, dit Jean. Nous avons eu assez de pé-
pins comme cela. C'est d'ailleurs pour ça que nous sommes
Yenus tous les quatre.
- Ici, vous ne risquez rien et à Toussus, quelqu'un a un
æil sur votre avion. Après les derniers rebondissements, on
ne sait pas jusqu'où peuvent aller les amis d'Ortolani.
- Et les parchemins de Montséguç ils ont révélé quelque
chose ? interrogea Max pressé d'en savoir plus.
- Il y a deux choses bien distinctes. D'abord, les plus abî-
més concernent très cerrainement l'évangile de Jean, d'apres
ce que m'ont dit nos spécialistes. Mais la copie est à I'image
de l'original, très mauvaise et incomplète. Intéressanr rour
de même. Vous le veüez. Lautre document accompagnant
l'Oracle, rédigé en latin, est un peu I'histoire du parche-
min. Là, il y a beaucoup plus de choses intéressantes nous
concernant au premier chef.
- Par exemple, demanda Pierre ?
- Le Têmplier qui a reçu les documents de Montségur,
un nommé Arnaud d'en Cost n'était pas n'importe qui.
Nous en avons ici la preuve. C'était un 6n lettré écrivant er
traduisant le latin, le grec et l'arabe. Il avait été envoyé du
côté du Bézu par ses frères de la Commanderie du Mas

216
LOGGIA SECRE'IUM

Deu, en Roussillon, dont il fut prieur ce qui, dans la hié-


rarchie templière, devait correspondre à une sorte d'adjoint
ou de coadjuteur du Commandeur. Cette commanderie,
dont on peut voir aujourd'hui les ruines, sur la commune
de Tiouillas, possédait des terres sur toute la région, des Fe-
nouillèdes au Conflent y compris en Cerdagne et étâit en
relarion avec les tmpliers de Campagne et de Douzens,
dans l'actuel département de l'Aude. On sait que tous les
Templiers furent arrêtés en 1,307 er que I'ordre fut dissous
par Clément V en 1312. Chose curieuse, ceux du Mas
Deu, après leur arrestation, ont tous été libérés, y compris
le Commandeur qui se vit même octroyer une rente via-
gère. Larchevêque deTârragone Guilhem de Rocaberta dé-
clara que "le Commandeur et les Templiers du Mas Deu
étaient innocents". Certains ont dit que l'édit de Philippe
le Bel concernant l'arrestation des Templiers, n'était pas va-
lable puisque le Mas Deu était alors situé en fuagon. Cela
ne tient pas. La preuve: ils ont tous été arrêtés. Mais per-
sonne ne peut dire pourquoi ils ont été, tous, relâchés. Et
avec les honneurs pourrait-on dire. Ont-ils donné des signes
à Rome, ou eutre chose ?
On sait qu'Amaud d'en Cost passa plusieurs mois à Rennes
et au Bézu, dans la maison des ïpliès, dans un hameau du
même nom, afin de recueillir le témoignage d'un des deux
frères ayant rejoint l'Ordre du Temple. Ces deux frères
étaient Boneti de Redas et Petri de Redas, fils de Gilelmi de
RedasTa. Ces detx membres de la famille seigneuriale de
Rennesle-Château ont fait donation de biens au tmple,
en y étant reçus. Petri de Redas (Pierre de Rhedae) léguera
d'autres biens à sa fille et se fera dès lors appeler Petri de
Sancti Iohane, Pierre de saintJean. Quand je vous aurai dit
que ces deux chevaliers appartenaient à la famille des A
Niort, totalement hérétique puisque ses membres sont soit
cathares, soir défenseurs de la cause cathare contre les Fran-
çais et contre Rome, vous jugeru que nous ne pouvons rester
indifferents et que la piste s'avère encore plus intéressante.

217
LOGGIA SECREI'UM

D'autant plus que nos deux hommes seront rejoints plus


tard dans leur quête, par un Blanchefort qui deviendra
Grand Maître de l'Ordre du Temple.
Arnaud d'en Cost a donc fait parler les Templiers à leur
retour de Terre Sainte. Mais c'est surtout la confession de
Pierre de saint Jean qui nous intéresse. Ce dernier est très
certainement plus lettré que son frère, mais moins qu'Ar-
naud d'en Cost puisque c'est lui qui est chargé de faire un
compte rendu de ce qu'ils ont à dire eu commendeur du
Mas Deu. A moins que ses blessures I'aient empêché d'écrire.
C'est encore possible car il est revenu d'Orient couvert de
cicatrices.
C'est ainsi que nous apprenons bien des choses. Pierre de
saint Jean a participé à des fouilles dans les écuries du Tem-
ple de Salomon. Jusque-là, rien que nous ne sachions déjà.
Y compris de certaines de leurs découvertes. Vous le consta-
terez, dans la première partie de ses confessions. Mais il a
surtout fait partie d'une délégation de Templiers devanr se
rapprocher des musulmans, plus parriculièrement des "As-
sassins". Une confrérie chiite ismaélienne, parrisane d'Ali,
époux de Fatima, la fille du prophète. Les Ismaéliens ne se
contentent pas de l'esprit de la seule lettre du Coran pour
étayer leur foi. Ils tentent, à cette époque, de concilier
l'unité de Dieu avec le dualisme d'un monde transiroire.
Pour comprendre cela, il faut se replonger dans ce qu'était
le Moyen-Orient à certe époque.
Lactuelle guerre que se livrent sunnites et chiites, en Irak
notamment, n'est pas une nouveâuté. Il y a bien longtemps
que ces deux courants musulmans sont en opposition.
Les Chiites Ismaéliens sonr en confit avec les Seldjou-
kides qui, issus d'une tribu turque des Oghouz, s'iranisenr
et deviennent sunnires (musulmans orthodoxes) dès le
X'siècle. Les Seldjoukides, vaillanrs guerriers, étendent leur
domination de l'Anatolie à l'Iran, du Caucase er à la Mé-
diterranée. Ils sont en conflit ouverr avec les Ismaéliens, à
l'origine eux, d'une brillante dynastie, celle des Fatimides.

218
LOGGTA SECRE1'UM

lr bras armé des Ismaéliens est la secte mystique des "As-


sessins", les "gardiens", ésotéristes de l'islam75, partisans de
"la doctrine intérieure", appelés égalemenr "les bârinis".
Cette confrérie a été fondée par Hassan Sabbah, un éru-
dit appelé "Le Vieux de la Montagne". Il semble qu'Hassan
Sabbah se soit adossé en partie à un Ordre bien antérieur,
celui des "Frères de la Pureté", pour développer sa philoso-
phie religieuse, comportant quatre grades subordonnés à
des aptitudes religieuses se développant avec l'âge. "Le
Vieux de la Montagne", sorte de guide spirituel et poli-
tique, convertira la Perse et tout un vaste territoire jusqu à
Samarcande. Son quartier général sera la forteresse impre-
nable d'Alamut oir il fait régner une discipline de fer, mais
également de justice. Joinville, le"socius" de Louis [X, sera
en relation avec cette confrérie. Er durant les différentes
croisades, il y aura des alliances, des accords, qui se feront
er déferont au gré des intérêts du moment, entre chrériens
et musulmans de diverses tendances. Car le monde musul-
man est loin d'être uniÊé. C'est au contraire une véritable
mosaique.
Voilà, dit Gérard à Jean, ce qu'a rajouté Arnaud d'en
Cost avec le témoignage de Pierre de saint Jean, aux par-
chemins de Montségur. Je te laisse le soin d'en lire la tra-
duction. Cela te revient. »

Jean contempla un instant les feuillets que lui tendait


Gérard, sous une pochette transparente. La photocopie des
parchemins volés était dans un sous-main de cuir à deux
volets que lui remit également Gérard. C'était p€ur-êrre,
en cet instant solennel, l'aboutissement d'années de re-
cherches qui allait éclairer d'un jour nouveeu tant de mys-
tères et gornmer les contradicdons auxquelles ils avaient été
confrontés lors de leurs différentes investigations.
Ce qu'il tenait entre ses doigts était la confession d'un
Templier du XII' siècle, né à Rennes-le-Château, parri en
croisade à Jérusalem et dans tout cet Orient qui avait trans-

219
LOGGIÀ SECRETUM

formé tant d'hommes. Les confessions d'un homme qui


avait été l'un des proches de Raymond III de Toulouse, roi
de Tiipoli, ayant vécu la prise de Jérusalem en 1187 par
n Salah-el-Din ,, sulran de Syrie, d'Égypre, de Perse er au-
tres contrées. Ce Saladin qui avait fait du califat des Ab-
bassides, sunnite, une puissance propre à inquiéter autant
les Ismaéliens que les rois Francs d'Orient. Il avait en main
les confessions d'un homme qui s'était trouvé au confluent
de deux mystères, celui des Tèmpliers et de la confrérie des
Assassins, et qui était revenu mourir en ses terres. Qu'al-
laient-ils trouver dans ce témoignage par-delà les siècles ?
La révélation tant espérée était-elle au bout du chemin de
la quête de cet homme ayant vécu plus de huit cents ans
plus tôt ? C'était un moment fort pour la loge secrète. Les
quatre membres et Gérard en étaient conscients. Ce n'est
pas sans émotion que Jean commençe la lecture de ce do-
cument. Après la présentacion et les préliminaires, la voie de
Jean se Êt plus assurée. On entrait dans le vif du sujet:

Bien avant mon arrivée en Terre Sainte, je crois que


cela s'est passé avant l'an 1 120, les n Assassins » avaient
eu des contacts avec les chevaliers du Temple. Ils avaient
paye cher ce rapprochement, nombre d'entre eux ayant
été égorgés et jetés du haut des remparts de leur forte-
resse par une foule sunnite. Quand le Grand Maître a
composé la délégation, devant renouer des liens avec
eux, je fus choisi avec d'autres frères parce que je par
lais l'arabe. C'était le cas pour les quatre autres cheva-
liers, dont l'un, Philippe de Naplouse, vivanr d'ailleurs
comme un prince arabe, avait déjà rencontré le Cheik
Al Djebel (Le Vieux de la Montagne). Nous avons dû
chevaucher trois jours et trois nuits avant de les retrou-
ver et notre escorte fut prise deux fois pour cible du
côté de Tortosa, au nord de Thipoli. Des hommes de
Raymond de Toulouse nous ont sortis d'une embus-
cade, qui aurait pu mal tourner sans leur intervention.

220
LOGGIA SECRETUM

Ce qui m'avait le plus intrigué, dès mon arrivée en


Terre Sainte, était de voir la façon de vivre et de se
comporter des rois Francs. Beaucoup vivaient comme
les musulmans, dans une sorte de luxe à I'orientale, en-
toures de femmes, ayant souvent adopté leurs coutumes,
leur façon de vivre et parfois leur accoutrement. Il y
avait une sorte de symbiose qui s'était opérée et cela
n allait pes sans des échanges culturels fort intéressants.
Je fus moi-même subjugué par cet aft de vivre. J'ai
ainsi appris, durant ces années, à utiliser les chiffres
arabes, que je trouveis plus vivants que les chiffres ro-
mains, à m'initier à l'asronomie, avec d'autres cheva-
liers du Tèmple auprès de certains musulmans éclairés.
Nous avons même eu des discussions religieuses et phi-
losophiques avec des musulmans qui connaissaient
mierx les platoniciens que nous.
Certains développements sur la création du monde
me rappelèrent même des prêches de ces hommes de
noir vêtus qui parcouraient notre région par deux, que
l'on appelait les « bons hommes r. Je crois qui si Saladin
rt'avait réussi ses opérations de guerre et si les Hospi-
taliers ne nous avaient pas trahis, nous serions presque
tous restés dans ce merveilleux pays. lr royaume et le
Vatican ont perverti ces relations que noüe Ordre avait
développées. Culrure, économie et commerce auraient
été gagnants.
Nous avons tenté de jeter un pont entre l'Orient et
l'Occident, on nous en a empêchés. Pour Rome, seule
comptaient la maîtrise et l'occupation du tombeau du
Christ. Les légats du pape voyaient d'un mauvais æil
nos échanges avec les musulmans et riavaient eucune
connaissance ni de leur pays, ni de leur culrure. Pour
en revenir à notre délégarion aupres d'Hassan Sabbah,
nous sommes restés deux jours pour conclure certains
accords. Nous avons pu apprécier ce que les voyageurs
appelaient I'hospitalité arabe. J'ai rencontré moi-même

221
LOGGTA SECREI'UM

le Grand Maître Hassan Sabbah dans des circonstances


privilégiées. C'était un homme dur mais juste envers
les siens, d'une très grande érudition et très cultivé
contrairement à ce qu'en ont dit quelques historiens. Il
connaissait le latin et I'histoire de notre religion er bien
d'autres.
n Vous et nous avons le même Dieu, nous dit-il.
C'est le dieu d'un ancêtre commun, Abram, devenu
plus tard Abraham. Vous faites partie des "peuples du
livre". Mais vous êtes trop compliqués pour atteindre
Dieu. Nous, nous lui parlons directement, sans inter-
médiaire. La religion est pour nous la voie qui conduit
d'un monde à l'autre. Vous, vous avez fait confiance à
une secte juive. Le tombeau que vous défendez est celui
du prophète envoyé aux Israélites après treize siècles de
vie oir ils ne virent aucun prophète et où ils dénaturè-
rent la loi divine. Vous et nous avons un ordre simi-
laire. Chaque adepte doit obéissance à un chef spirituel
qui demande à Dieu sa miséricorde. Vous êtes des
moines soldats, nous sommes les soldats du Prophète.
Vos commandeurs sont nos refhs,vos soldats nosfdai',
pour nous, "ceux qui se sacrifient". Vos prieurs sont
nos Dai', les dai'hebir et les lasseh vos sergents d'armes76.
Lislam est la religion de I'unicité, prophètes et mes-
sagers ont été envoyés par Dieu pour la faire prospérer.
Vous avez fait de celui que vous appelezJésus, une de
vos possessions que votre religion a transformé en mes-
sie. Il ne vous appartient pas. C'est un prophète dc
l'Islam comme du judaïsme. Il appartient à tous les
croyants. »
À un -orrrent de la discussion, mon frère qui était
de l'escorte, est venu me parler dans notre langue ma-
ternelle . Je l'ai interrompu : « caillo-tes » (tais-toi). Has-
san Sabbah, s'est redressé, m'a fixé de ses yeux clairs et
profonds. Autour de nous, tout le monde faisait le plus
grand silence. Certains de mes frères templiers, in-

222
LOGGIA SECREI'UM

quiets, ne comprenaient pâs ce qui se passeit. Après un


temps de silence qui parut durer des siècles, Hassan
Sabbah s'est levé et m'a dit: n D'ount benes , (D'oir
viens-tu ?)
J'étais estomaqué. Je n'en revenais pas. J'en restais
muet, cloué sur place. Je me trouvais devant un mu-
sulman chiite, un homme réputé pour sa dureté, qui
n hésitait pâs, pour l'exemple, à demander à I'un de ses
hommes de se sacriÊer en se jetant du haut des rem-
parts de sa forteresse, aÂn de montrer au visiteur
jusqu'à quel point sesfdailui étaient attachés, et je me
retrouvais devant un chef musulman aussi craint que
respecté, parlant la langue de mes parents, la langue
romane occitane.
Devant mon visible désarroi, Hassan, posa sa main
sur mon épaule et, laissant toute la délégation en plan,
m'entraîna vers une pièce où trônait en son centre un
coran sur son pupitre à hauteur d'homme assis en tail-
leur. Une bibliothèque éclairée par un puits de lumière.
Avec des parchemins sur d'épais tapis autour du pupitre.
Il en prit un et me le montra: c'était les æuvres d'un
troubadour toulousain que lui avait offert Raymond
de Toulouse. Il avait appris la langue romane avec une
femme du Lauragais qui était de Ia suite du frère de
Raymond, celui qui avait pris pour femme une sæur
de Saladin. La Gasconne était devenue sa préférée. Il
me dit avoir étudié les tradidons judéo-chrédennes er
les doctrines du mithraïsme ainsi que platoniciennes.
n Comme bon nombre d'Ismaéliens lettrés ,, dit-il.

J'avais à faire à un ésotériste de premier plan. n Seule


une élite peut recevoir cet enseignement qui ouvre la
porte au sens caché ,, ajouta-t-il.
n Nous sommes les successeurs des frères de la pureté.

Notre Imamat se transmet, depuis le \Æ siècle par une


suite d'Imans cachés. [,a doctrine fut achevée à la fin
du IX' siècle par Abd Allali, fils de Maïmoun er ensei-

223
LOGGIA SECRE'I'UM

gné dans une initiation à neuf degrés. Dieu a envoyé


six prophètes pour asseoir les religions: Adam, Noé,
Abraham, Moi'se, Jésus et Mahomet. Le septième et
dernier prophète sera le Mahdi, le septième Imâm de
la race d'Ali... C'est lui qui mettra le sceau à la reli-
gion en substituant à l'interprétation litrérale des livres
saints, la science du sens intérieur et mystique... Lini-
tiation ismaélienne aboutit ainsi en plein gnosticisme ,
À l'é.rrt de tous, la conversation dura deux bonnes
heures, jusqu'à la quatrième prière. Hassan connaissait
notre région per son histoire, celle des Romains, et des
\flisigoths ariens qui rejetaient la sainte trinité. Le
Vieux de la Montagne m'affirma même que les ariens
étaient à I'origine d'une forme d'islamisme.
Il me confia une chose qui m'empêche encore de
dormir, plusieurs années après:
« Jésus n'a jamais été crucifié. Ce n était pas lui mais

un frère jumeau, Thomas Didyme qui a été mis en


croix. Avec l'accord de certains mis dans la confidence,
y compris de Joseph d'Arimathie, membre du Sanhé-
drin. Vous le savez, si vous avez lu le Coran. Il a eu un
Êls avec Mariamne (Marie-Madeleine), ton Ordre le
sait, j'ai donné à ton Grand-Maîrre, Robert de Craon,
des témoignages de ce que je viens de te dire. Tir es
quoi dans votre Ordre ? Prieur ? Léquivalent de nos
Dai', donc tu connais les cérémonies secrètes. Tu com-
prends pourquoi dans une de ces cérémonies, vous fou-
lez la Croix au pied et pourquoi vous avez aussi la règle
secrète du Sarrazin ressuscité. Votre Baphomet, de Bap
(pour Jean le Baptiste) et n Homet , (pour Mahomet)
est une image mahométane. Baphomet, représentation
hermaphrodite a deux têtes entourées de serpents, de
soleil et de lunes et d'autres emblèmes symboliques
avec Ia plupart des inscriptions en arabe sont le syn-
crétisme enrre la religion chrétienne et l'islam. Ces 6-
gures jouaient un rôle dans le baptême gnostiqueTT.

224
LOGGIA SECREI'UM

Chaque connaissant de la l^angue romane et de son


altération provençale sait que le Baphomet peur être
compris comme image mahométane78. Je sais que chez
vous aussi, vous âvez l'étoile à cinq branches, Vénus,
associée à un croissant de Lune, comme notre éten-
dard. Une de vos villes est consacrée à la Lune, dans ta
Provence et des familles sarrasines ont feit souche chez
toi. De retour en tes terres, réfléchis à tout ce que je
viens de te dire et sur place tu comprendras mieux cer-
taines choses. Parfois, il suffit de regarder aurour de soi,
de voir avec son âme, de méditer pour mieux s'envo-
ler. On voit mieux les choses quand les yeux ne sonr
plus à la hauteur des babouches. ,
Il me questionna sur mes origines, et voulut savoir
d'où je venais. Quand je lui eus dit que j'étais de la fa-
mille des lfNiort, il me répondit qu'il avait été informé
sur cette famille et ceux qui tranchent bien, les Tien-
cavel, par le bayle du Raymond de Toulouse. Je lui ai
ensuite parlé de Rhedae, il s'est tu. Au bout d'un long
moment de silence, après rn avoir observé, il m'a re-
gardé fixement, droit dans les yeux er m'a dit:
n I"a femme qui voulait faire du cinquième prophère
un roi a quitté la Judée, alors province romaine, pour
aller dans ton pays avec son fils. Ti'op d'ennemis, à la
fois juifs et romains étaient après eux. Nos frères arabes
de Palestine, des lduméens, juifs arabes et des Esséniens
les ont aides à quitter l'Orient pour la Gaule. Tiouve le
tombeau de la femme et tu trouveras Yeschoua. Ils sont
chez roi. Je le sais. N'oublie pas que nous sommes resres
une bonne cinquantaine d'années dans ton pays er que
s'il y eut des batailles entre musulmans et chrétiens, il
y eut aussi des échanges par le biais de nos sociétés éso-
tériques.
Dès I'an 719 de votre ère, Al Samh ben Malik al
Khawlânî était le maître de Narbonne. Il y eur un
comté musulman en Septimanie, de Nîmes à Carcas-

225
LOGGIA SECREI'UM

sonne et l'église Sainte Rustique de Narbonne avair


aussi sa mosquée. Lanonyme de Cordoue, qui avait ac-
compagné Omar El Chaled conrre les Francs pour
aider ses frères musulmans assiégés dans Narbonne, en
737 devotre ère, a laissé des informations surprenanres
pour ceux qui croient que l'histoire esr écrire une fois
pour toutes. Votre Grand-Maître en a connaissance.
ParleJui et retourne en tes terres de Rhedae. Une fois
là-bas, si tu veux approfondir cerraines choses, part
pour Cordoue er va voir Ibn Arabi. Tir lui diras que
c'est moi qui t'envoie. C'est un sage et un grand éru-
dit qui non seulement sait interpréter les signes mais
qui possède des pièces et parchemins que des rois lui
envient. Lui, parle peu. Il laisse comprendre et devi-
ner. Mais ceux qui cherchent et qui l'ont côtoÉ savenr
qu il « sait ,. De Bagdad, de Samarcande, de Jérusa-
lem, d'Égypte, d'Éthiopie d'Italie... on vienr le visiter.
Va le voir et prie Allah, béni soit son nom, avec lui. Il
te mettra sur le chemin. ,
Après notre discussion, Hassan Sabbah s'agenouilla
sur son tapis pour la prière. Il rerourna ensuite parler
avec le chef de notre délégarion er ils mirent au point
plusieurs tactiques contre l'ennemi commun.
Nous eûmes, grâce à I'appui des Assassins, plusieurs
victoires contre les armées de Saladin, mais aussi contre
les Tirrcomans et certaines hordes Mongoles. Je n'ai pas
regagné tout de suite mon Razès. Les combats deve-
naient de plus en plus durs et Saladin avait des rroupes
fraîches très aguerries. Le Grand Maîrre du Temple m a
demandé de rester encore quelque remps. Ce n'esr
qu'après de multiples blessures dans une bataille où
mon frère a été laissé pour morr, que j'ai quitté la Têrre
Sainte.
Plusieurs mois après notre rencontre, je reçus dans
mes quartiers de Jérusalem un Coran avec quelques
phrases en langue romane d'Hassan Sabbah. Il est dans

226
LOGGTA SECRE'I'UM

le coffre en bois, devant la fenêtre, le coffre sculpté du


sceau de David. PrendsJe Arnaud. Il est pour toi. ,

Jean, se tut un instant, parcourant rapidement quelques


feuillets sans en donner lecture et reprit:

Aujourd'hui, je remercie mes frères de m'avoir ac-


cordé I'honneur de diriger la Commanderie de Dou-
zens. Mais je suis trop affaibli: je dois renoncer. Je
conÊe tout ce que j'ai vécu en Terre Sainte et me ren-
contre avec le Vieux de la Montagne à mon frère Ar-
naud d'en Cost pour notre Ordre.
J'ai éré blessé à la Ên de mon séjour à la prise de Jé-
rusalem, que nous avons à nouveau enlevée aux mu-
sulmans. À .",r.. de mes blessures, je n ai pas pu tenir
ma promesse faite au Grand-Maître des Assassins. Le
destin m'a interdit de me rendre à Cordoue. Je n'ai pas
trouvé le tombeau de Marie-Madeleine et de Jésus.
Mais les informations qu'il m'a données, certeins ici, en
avaient entendu parler. lrs Blanchefort doivent connaî-
tre ce secret. Je confie ce que j'ai appris en Orient à Ar-
naud. Moi, je ne sers plus à grand-chose. Je n'y vois
pratiquement plus, mes jambes brisées ne me portent
plus et seule ma mémoire est à peu près intacte.
Que tous ceux qui liront ces confessions aient une
prière pour le salut de mon âme. Je ne serai plus bientôt
de ce monde. Je veux que l'on nienterre avec le Bauceant
comme linceul,l'Agnus Dei et la Croix Fichée de notre
Ordre, sur les terres de Jaffus d'où je verrai le château
de Rhedae. Je lègue le peu de biens qu il me reste et
mon épée au frère Arnaud d'en Cost. C'est mon épée
de Lumière. Elle m a sauvé la vie en Palestine. Qu'elle
lui soit utile pour réduire nos ennemis et aider nos
frères cathares. Dans quelque temps, ils auront plus be-
soin d'épées que de prières. À -" 6lle noble dame
d'Able, aujourd'hui épouse Blanchefort, je réitère la

)'r'l
LOGGIA SECRETUM

donation faite avant d'entrer dans l'Ordre de certains


de mes biens à Redhae. Que Dieu la bénisse et toute sa
descendance. Que le Tiès Haut pardonne mes fautes.
Amen!,

n Arnaud d'en Cost a rajouté quelques lignes au testament


de Pierre de saint Jean. À mon avis, elles sont aussi impor-
tantes que les déclarations car elles nous prouvent que les
Cathares, ou du moins quelques-uns de ceux de Montségur,
connaissaient ce qu'a dit le Templier de Rennes-le-Château
à son frère Arnaud. Je vous les communique:

Moins d'un mois après la mort de Pierre de saintJean,


j'ai reçu deux hommes au Fort de Campagne où je
m'étais retiré pour une importante assemblée. Clergue
de Montaillou, frère du curé de la paroisse, accompagné
d'un nommé Guilhem, diacre cathare. Je connaissais
le prêtre Clergue, mais ni son frère, ni le diacre. Ce
Guilhem était originaire d'un petit hameau au-dessus
de Fa et était connu pour parcourir le Rédhensis (le
Razès) aÊn de convertir des habitanrc à la doctrine des
bons-hommes. Je savais le curé de Montaillou assez ca-
tharisant et ne fus pas étonné. D'autant plus que le dia-
cre Guilhem me donna un message de son évêque,
Guilhabert de Castres, que j'avais déjà rencontré à
Pieusse. Ils me demandaient de ne parler à personne
de ce que m'avait raconté Pierre de saintJean. Que cela
pouvait être dangereux, y compris pour moi et quc
l'Église de Rome où nous, Templiers, étions de plus en
plus déclarés hostiles, ferait éliminer tous ceux qui sa-
vaient quoi que ce soit sur la venue de Marie-Made-
leine et de Jésus en terre gauloise. Ils savaient
également que Pierre m'avait parlé de Gisèle, une de
ses aïeules, fille de Béra, comte de Rhedae aux origines
juives et m'avait demandé de fouiller dans leur généa-
logie pour mieux comprendre certains mystères.

228
LOGGIA SECRETUM

Comment pouvaient-ils être au courant des confes-


sions de Pierre? [r diacre Guilhem m'a simplement dit
qu'il était venu epporter [e n consokmen » à Pierre,
trois jours après ma visite, et que ce dernier lui avait dit
de venir me voir pour m'en informer. Je n en fus pas
surpris. Pierre de saint Jean avait dépassé le strict
dogme catholique pour mieux aller vers l'Éternel et
I'F.sprit.
J'avoue devant Dieu mon tourment. Ces temps
troublés ne favorisaient pas une décision de sagesse. Je
ne pouvais désobéir aux ordres du Commandeur du
Mas Deu ni causer le moindre ennui à ceux de Mont-
ségur où j'avais aussi des membres de ma famille et des
amis. Je m'en suis ouvert à un frère de I'Ordre qui re-
venait de Terre Sainte, après un passage à Rome. Ce
qu'il m'a dit sur le comportement du pape, du Vatican
et des Hospitaliers envers nos frères Templiers m'a
commandé la prudence.
Les Cathares étaient bien informés y compris de ce
qui se tramait à Rome. J'ai décidé de laisser traîner les
choses et n'ai jamais envoÉ la confession de Pierre de
saint Jean au Mas Deu. Je n ai fait que la rapporter ore-
lement à mon commandeur qui m'a d'ailleurs absous
en me disant qu'avec les temps que nous vivions c'était
peut-être mieux ainsi.
J'écris aujourd'hui tout cela au moment où mon
pays est à feu et à sang, soumis à des hordes françaises
barbares, oir l'Antéchrist s'est emparé de Rome, pour
être en paix avec ma conscience. Je demande pardon à
ceux que j'ai pu faire souffrir au nom de la religion de-
venue instrument d'ambition et d'injustice.

C'est signé Arnaud d'en Cost. Avec une croix à branches


égales dans un cercle. Voilà, dit Jean en reposant les feuil-
lets sur la table. Impressionnant. Finalement, ce après quoi
nous courrons, est connu de bien des acteurs de l'histoire

229
LOGGIA SECRE'I'UM

à travers les âges. Comment l'Église de Rome a-t-elle pu


imposer une chape de plomb sur cette histoire ?
- Le silence est d'or, donc il s'achète dit Max. Et quand
cela ne suffit pas, il y a le fer et le feu. C'est I'alliance du spi-
rituel et du pouvoir temporel qui est en lui-même une hé-
résie. Nous en âvons là un, bel exemple. ,
Après un silence, Pierre se leva, tournâ âutour de la table,
et finalement revint s'asseoir:
u Tout cela est instructif sur plusieurs plans, notemment

celui du comportement des vieilles familles, y compris ca-


rholiques, vis-à-vis de la cause câthare et ne fait que confir-
mer ce que nous avions appris à ce sujet-là. Et, surtout,
nous âvons maintenant, par deux fois, une indication du
lieu oir est enterrée Marie-Madeleine. Une fois avec l'Ora-
cle: n Là où Dieu a changé les monstres en pierre. Couleur
or » et cette fois-ci, plus précisément, avec les révélations du
Vieux de la Montagne transmises par Pierre et Arnaud. Il
ne reste plus qu'à résoudre l'énigme des monstres pour
mieux conÊgurer l'endroit et commencer des fouilles.
-J'y ^i longuement réféchi, ditJean. Nous avons, proche
de Rennes-le-Château, la montagne des Dinosaures. Au-
dessus de Rennes-les-Bains, vers Montferrand, existe la
Montagne des Cornes, un site de fossiles marins. Je me de-
mande si les monstres dont il est question, ne sont pâs ces
animaux préhistoriques dont on retrouve les squelemes fos-
silisés sur les hauteurs de l'Aude ? Il faut que je me renseigne
sur leur disparition et leurs differents sites dans le périmètre
qui nous intéresse. Par contre, je n'ai aucune explicarion
sur "couleur or".
- Les dinosaures restent une piste à suivre, dit Paullus. Je
ne sais pourquoi je n'y ai pas pensé. Je crois que Jean a rai-
son. Dès demain il faut s'y intéresser,
- Je demanderai à Jacques Sablier quelques précisions. Il
participe de temps à autre aux fouilles vers Bellevue et ail-
leurs. Nombre d'ossemenrs et d'æufs fossilisés de ces sauro-
podes et autres ont été découverts sur le gisement au-dessus

230
LOGGIA SECRETUM

de Campagne sur Aude. Ces découvertes sonr âu musée des


dinosaures d'Espéraza où un squelette impressionnant a été
entièrement reconstitué par les paléontologues.
- Si tout le monde est d'accord, je vous conduis dès de-
main marin dans la Haute-Vallée dit Max. Nous pourrons
dler rendre visite à Firmin Magnan à Jaffus et à nos amis
qui lui tiennent compagnie. J'appelle Guy pour qu'il ré-
serye vers midi au restaurant des Deux Musées à Espéraza.
Firmin sera content de voir la vallée. ,

Lorsque, quelques heures plus tard, le TB 20 se posa sur


l'aéroport de Carcassonne, les quatre membres fondateurs
de la. Loggia Sereturn avaient le cæur plus léger. Il y avait
dans l'air comme une espèce d'euphorie diffuse, celle pro-
pre à ce que I'on peut ressenrir à la veille d'un acre peut-être
important dans un moment de vie.
Er ils avaient l'espoir que la journée du lendemain pour-
rait bien être un de ces moments-là.
CHAPITRE )O(

lr clocher de l'église saint Jean-Baptiste de l'ancienne


cité chapelière de Couiza venait à peine de sonner 7 heures
quand le Touareg de Max, avec Pierre Faure, Albert Paul-
lus, Guy Mone et Jeân des Sauzils, bifurqua, à gauche, sur
la petite route menant à Rennes-le-Château. Le vieux
Range Rover du docteur Sablier suivait avec Portos, Alan
Chock et José Vigilcas. À gauche du pic de Cardou, le so-
leil, déjà haut dans l'azrtr, invitait des escadrilles de marti-
nets à un ballet incessant et rapide, fait d'ascensions à
l'assaut de I'astre du jour et de piqués acrobatiques sur la
colline inspirée. Un vol de choucas s'ébroua des ruines du
château de Coustaussa pour traverser la Sals, dans un lourd
battement d'ailes et un croassement vengeur, avent de se
poser sur la cime des peupliers. Un couple de faucons, à
I'arrêt dans les airs, faisait du surplace face à un léger vent
de Cers, balayant le sol du radar de leur vue perçante, en
quête d'un petit rongeur ou de quelque couleuvre a6n d'as-
surer le festin quotidien.
On était à quelques jours du solstice d'été mais déjà, la
journée s'annonçait chaude et belle. À quelques mètres du
carrefour des petites routes de Rennesle-Château, vers Jaf-
fus et le chemin vers Lavaldieu, un camping-car s'était ins-
tallé. Une jeune femme, vêrue d'un short er d'une chemise
d'homme négligernment nouée sur le nombril servait le
cafe à un homme lisant un journal. Image paisible du tou-
risme rural au pied de l'ancienne cité wisigothe.
« Nous allons avoir de la visire ,, dit Jean.

233
LOGGIA SECREI'UM

Quelque deux cents mètres plus loin, un break de la gen-


darmerie se trouva nez à nez avec le Touareg qui dut stop-
per. Un jeune militaire demanda les papiers à Max.
n Oir allez-vous ? interrogea un second gendarme qui
s'était placé de I'autre côté du,4x4.
-À1aff ., on nous attend... Le commandant Nadal qui
est installé au commissariat de Carcassonne vous conÊr-
mera. »
Quelques minutes plus tard, un troisième gendarme sor-
tit du break, dont on percevait des échanges de voix ren-
dues nasillarde par la radio, et lança:
n Laissez-passer, ce véhicule est connu et autorisé...

- Le véhicule qui nous suit est avec nous, dit Jean.


- OK, allez-y.
- Nos amis sont efficaces dit Max. Mais tu es devin, in-
terrogea-t-il en se tournant vers Jean ?

- du tout. Il suffit d'observer. Quand nous sommes


Pas
passés devant le camping-car, j'ai vu I'homme pencher la
tête sur le côté et parler dans le col de son polo. Il doit avoir
un micro et communiquer avec ceux chargés de protéger la
métairie de Firmin. ,

Quelques minutes plus tard, tout le monde était attablé


devant un bol de cafe fumant que Firmin Magnan sortait
d'une vieille cafetière bleue émaillée, posée sur la plaque de
fonte de la cheminée où rougeoyaient quelques braises.
Alan Chock retrouva son socius, Pierre Peyre, déjà sur place
avec André Polski et Jean Gustin, deux autres membres de la
loge, puisqu'assurant la protection du vieux berger. Pendant
que Firmin, aidé de Jean-Claude Roumegous, préparait un
pedt-déjeuner pântagruélique, Jean commença à expli-
citer pourquoi c'était ici, à son avis, qu'il fallait chercher.
n Si nous prenons l'hypothèse que les monstres changes
en pierre peuvent être les dinosaures, alors, avec le site de
Bellevue, au-dessus de Campagne-sur-Aude, et tout ce sec-
teur, notamment celui de Rennes-le-Château, c'est bien

234
LOGGIA SECRETUM

dans ces lieux que nous devons affiner nos recherches. Je


n'ai pratiquement pas dormi de la nuit, tant les mots de
l'oracle "couleur or" me trottaient dans la tête. Si la nuit
porte conseil, comme le dit un vieux proverbe, elle m'a
peut-être permis d'y voir plus clair. Je me suis souvenu
d'une histoire de sorcières que me racontait mon grand-
père Jean-Baptiste, dans ce qu'il appelait son "patois", le
soir à la veillée, autour de la cheminée, quand je passais les
vâcânces, à quelques lieues d'ici, dans son village de Ia Haute-
Vallée. Une phrase en occitan m'est, cette nuit, revenue à
I'esprit: "Al rec dt Coulurs, hs breischaç fasian k ruscada en
de baseb dbr." Je traduis: '.Au ruisseau de Couleurs les sor-
cières faisaient la lessive avec des battoirs en or".
Cette légende, il la tenait lui-même de son propre grand-
père, ce qui veut dire que bien avant I'épisode Saunière et
le trésor de Rennes, le site était réputé renfermer quelque
part un dépôt trésoraire. Cette deuxième partie de réponse
de l'oracle, "couleur or", nous situe mieux le lieu que nous
cherchons: du côté du ruisseau de Couleurs qui va se jeter
dans l'Aude proche de I'Encantado, en amont de Couiza.
En fait, la réponse de l'oracle n'a rien à voir avec la couleur
or, mais indique plus précisément un territoire. C'est au-
tour du ruisseau de Couleurs, dans ses petits affiuents ou
dans ses résurgences, en surface ou dans le sous-sol que
nous devrons chercher.
Il y a dans ce secteur de nombreuses grottes, avens, et
autres rivières souterraines. Mais je vais d'abord donner la
parole à Jacques Sablier qui va nous éclairer sur un sujer
qu'il connaît bien, les dinosaures dans la région.
- Cette partie du département de I Aude est à l'origine
d'une découverte d'un titanosaure, baptisé Ampelosaurus
Atacis, par I'un de ses découvreurs en 1995. Un animal qui
devait mesurer quelque l8 mètres de long et qui vivait sur
ces régions au Crétacé, c'est-à-dire il y a quelque 60 à
70 millions dannées. Pourquoi dans ce coin, particulière-
ment? Il faut faire un peu de paléogéographie pour mieux

235
LOGGIA SECRT'I'UM

comprendre. À la 6n du Créracé, poursuivit Jacques Sa-


blier, la masse continentale de la Laurasia s'est fracturée en
plusieurs morceaux sous l'effet du choc tectonique des
plaques. Un seul océan, nommé Téthys, s'étendait de I'ac-
tuel océan Indien jusqu à Ia Méditerranée. Notre Europe
n'était qu'une sorte d'archipel, avec une grande île au sud
regroupant en gros le massif ibérique et une bonne partie
du sud de l'hexagone.
Les Pyrénées n'avaient pas encore jailli des entrailles de
la terre et eu centre de cet immense territoire coulait un feuve
important, venant du sud et allant se jeter vers une veste
zone humide et veinée de cours d'eau, comme un immense
marais poitevin, qui deviendra plus tard I'océan Atlantique,
alors en formation. Toute cette région avait un climat tropi-
cal et le niveau des mers, de par la fonte des calottes polaires,
était plus élevée qu'aujourd'hui. Cette immense plaine,
s'étendant sur l'Ibérie et Ie sud de la France, était souvent
sous des pluies diluviennes provocant des inondations,
comme récemment en Louisiane, comparables à celles des
pays asiatiques sous la Mousson. C'est dans un méandre de
ce grand fleuve ibérique, ou peut-être dans un bras mort, que
s'est développé le gisement de dinosaures connu aujourd'hui,
à Espéraza et Campagne-sur-Aude notamment.
Lère Têrtiaire, avec le plissement ayant donné naissance
aux Pyrénées, a perché ce gisement vers Bellevue, et sur les
hauteurs des environs de Rennes-le-Château. Cela s'est
passé à une époque otr les dinosaures n'allaient pas tarder à
disparaître, au Crétacé supérieur, à la fin du Secondaire, et
au tout début du Tertiaire. Outre ces repdles gigantesques,
les paléontologues ont également découvert des oiseaux de
très grande taille, et ce que l'on appelle des "gastrolites" qui
sont de très grosses pierres retrouvées dans le thorax de cer-
tains dinosaures. Non ! les dinosaures ne se nourrissaient
pas de pierre. On pense que ces pierres dépolies et arron-
dies étaient comme des meules servant à broyer toute nour-
riture dans leur estomac, un peu comme les poules avec

236
LOGGTA SECRE1UM

leur gésier. Mais dans des estomacs de bestioles mesurant de


t 5 à 18 mètres de long. Ces sites ont également permis de
trouver nombre d'æufs fossilisés.
- C'est amusant ce que vous racontez, dit Firmin.
Quand on était petits, souvent après l'école, on ne rentrait
pas dans nos métairies respectives. On allait joueç faire des
cabanes, parfois ramasser du bois mort. Souvent, on venait
chercher une brouette, ici, ou aux Soubirous où habitait
un copain, pour ramener des grosses pierres rondes. On
croyait que c'était des boulets qui avaient servi au moment
d'attaques du château ou quelque chose comme ça. Si ça se
trouve, ce sont des æufs de ces bestioles.
- Vous en avez encore, demanda Jacques Sablier ?
- Ces boulets sont là depuis soixante et dix ans. Venez...
Ils se dirigèrent vers l'ancienne bergerie, derrière le corps
principal de la ferme. Quatre « pierres , étaient alignées
derrière le portail de bois. Sur l'une d'entre elles, on avait
scellé un anneau, comme point d'attache, peut-être pour
un chien ou quelque autre animal.
- Vous vous souvenez du lieu otr vous les avez trouvées,
demanda Jacques Sablier ?
- Comme si c'était hier.
- C'est loin, demanda Albert?
- lit d'un petit ruisseau qui se jetait dans
Sur un ancien
celui de Couleurs, pas très loin de la grotte de la Made-
leine, à peu de distance du lieu de notre dernière expédi-
tion, mais en allant vers le plateau du Lauzet. ,

Une demi-heure plus tard, cinq membres de la loge se-


crète, avecJecques Sablier, suivaient Firmin en direction de
la ferme des Soubirous. Il ne restait pas grand-chose du lit
de l'ancien ruisseau et il devait y avoir des lustres que l'eau
riavair plus coulé ici.
« Vous .voyez là, dit Firmin en montrant du doigt, il y
avait comme une petite cascade et l'eau disparaissait en-
suite dans la terre, sauf en hiver ou atx pluies de printemps.

237
LOCGIA SECRE'I'UM

Puis un jour, ça n'a plus coulé du tout. Tout s'est effondré.


Quand j'étais gamin, que j'accompagnais mon père à la
chasse, c'est là, entre deux pierres,qu'il mettait le pastis au
frais... Il y avait une eau assez fraîche en toute saison...
C'est au-dessus de cette petite cascade qu'on avait trouvé les
"pierres",
- Le ruisseau a disparu, mais l'eau doit toujours passer
quelque p".t. À mon avis, elle a rejoint le sous-sol en amont,
dit Jean, à moins qu'elle n'ait pris une eutre direction.
- Ici, il y a une activité hydrologique souterraine rrès im-
portante, ajouta Jacques Sablier. Il faudrait remonter l'an-
cien lit du ruisseau aÊn de voir si on ne trouve pas l'endroit
où il re.ioint des galeries souterraines. ,

lr groupe revint vers la métairie, décidé à s'équiper conve-


nablement avant de revenir pour des fouilles approfondies.
n Tir peux annuler le restaurant à Espéraza, dit Max à
Guy Mone.
- Non, je vais y descendre et ramener des cassoulets qu'on
fera réchauffer chez Firmin. ,
Ce n'est qu'en début d'après-midi, après des recherches
vaines durant toute la matinée, qu'une petite équipe, com-
posée de Jean, Portos, Max, Albert, et Jacques trouvèrent le
lieu oir le ruisseau allait se perdre dans le labyrinthe du sous-
sol du plateau. Jean alerta les frères restés à Jaffus afin que
quatre d'entre eux viennent avec les outils adéquats pour
ouvrir ce qui n était que l'étroite entrée d'un petit gouffre.
Alan Chock et Pierre Peyre, venus rejoindre le groupe
depuis Jaffus, assureraienr la garde à la surface. José, Guy et
Jean-Claude la liaison avecJaffils. lÆs autres feraient des rondes
dans les parages. Firmin, toujours en forme, voulait être de la
fête. Pas question de rester à la métairie, ni devant le trou. Il
avait revêtu une tenue de spéléo et coift le casque de mineur
qu'un ami de Jean-Claude, ancien ingénieur géologue à la
mine d'or de Salsigne, à proximité de Carcassonne, avait fourni
au groupe. Ainsi harnachés, les six frères et Firmin, après avoir

238
LOGGTA SECREI'UM

lance une échelle de corde dans un trou, juste assez large pour
laisser pesser un homme, descendirent dans le boyau.
Ici, entre des formations de gres du Crétacé et des calcaires
dévoniens, des karts ont permis à I'eau de creuser des galeries
et de vastes salles souterraines jusqu'aux couches grani-
tiques. Une fois remplies, ces salles où l'eau s'est engouffrée
eu cours des âges, se vidaient sous la pression en faisant re-
monter l'eau par le biais de dolines. Un peu comme sur le
plateau du Larzac. Par des failles, nombreuses sur le pla-
teau de Rennes-le-Château et autour de Rennes-les-Bains,
I'eau s'est chargée de créer un véritable labyrinthe en sous-
sol. Parfois, ces salles sont asséchées, l'eau ayant emprunté
un âutre chemin pour sortir ailleurs, soit pour rejoindre un
point en profondeur, parfois jusqu'à trois mille mètres, où
elle se réchauffe pour donner ensuite des sources thermales.
Les cavernes vides d'eau ont permis à diverses populadons,
à travers les âges, d'y üouver refuge quand le ciel ne leur
était guère favorable. On trouve parfois des traces ou des
fossiles révélant une occupation humaine.
La descente fut aisée, même si le boyau n'était pas large.
Quatre mètres plus bas, l'équipée posait le pied sur un rocher
au pied duquel coulait un mince filet d'eau. Les lampes des
casques jouaient avec les ombres au gré des mouvements
des têtes. Max avait pris la tête avec, à la main, une puis-
sante torche éclairant maintenant une galerie qui descen-
dait en pente douce vers Ia nuit souterraine.
« Le ruisseau est presque à sec », dit Firmin, Il intima le
silence au groupe avant d'ajouter: « On n'entend pas de
bruit d'écoulement des eaux. Elles doivent encore dispa-
raître plus en profondeur ,. Les six hommes continuèrent
leur progression avec facilité: on pouvait se tenir debout
dans la galerie. Ce n'est qu'une centaine de mètres plus loin,
que le sol de schistes et grès se rapprochait de la voûte. Il
fallait maintenant ramper sur quelques mètres avant de dé-
boucher dans une salle moyenne d'où partait une autre ge-
lerie, plus étroite encore que la précédente. Jean demanda

239
LOGGIA SECRE'I'UM

à ses amis quelques instants de repos avant de poursuivre la


progression.
n Si nous prenons la galerie de gauche, nous remontons
au lieu d'aller vers le sud-ouesr, dit Max en regardant sa
boussole .

- Prenons la voie de droite, expliqua Firmin. Si vous


continuez par l'autre, nous irons vers le ruisseau du Bous-
quet qui est à I'opposé de celui de Couleurs et qui descend
ensuite sur Rennes-les-Bains. ,
Une cinquantaine de mètres plus loin, l'équipe dut dé-
boucher une voie obstruée par des éboulements. La roche
semblait plus friable et il 6t tout à coup plus frais dans la
galerie. Comme si un courant d'air venait subitement de se
frayer un chemin dans ce dédale souterrain. Une dizaine
de mètres plus loin, le groupe se heurta à un mur maçonné
par la main de l'homme.
n Vous savez oir nous sommes? interrogea Firmin... Ce
n'était pas la peine de faire tout ce chemin et de se crever à
dégager des galeries. Il n'y a pas longtemps, nous étions à
une trentaine de mètres d'ici, dans la grotte de la Madeleine.
- Nous sommes donc proches de la salle oir les inscrip-
tions en araméen ont été efFacées, dit Albert.
- Oui ! Elle est au-dessus, sur la gauche. Cette galerie , y
conduisait aussi. Ce mur en briques pleines a été construit
vers 1880. Derrière il y a un rebord d'environ deux mètres
de large qui domine une salle moyenne, assez profonde.
On l'appelle "l'antre de la sorcière".
- Pourquoi et qui l'a construit, demanda Jean ?
- C'est une drôle d'histoire. Un gamin de Rennes-le-
Château, d'une douzaine d'années, a un jour disparu de sa
maison. Le lendemain, une fille du même âge n'était pas
rentrée chez elle, là-bas, aux Labadous. Durant trois ou
quatre jours, tout le monde s'est mis à les rechercher. Ceux
de Rennes, d'en bas, et de toutes les campagnes et métai-
ries. Même les gendarmes avaient été prévenus, ce qui
n'était pas dans les habitudes puisqu'ici, on préferait régler

240
LOGGTA SECRE'|UM

les problèmes entre soi et laisser la maréchaussée en dehors


de nos histoires. lrs recherches n'ont jamais rien donné.
ks semaines et les mois ont passé... On avair âni par croire
que les deux jeunes eyant succombé à une petite amourette
avaient décidé de partir vers la ville. Ou qu'ils avaient été
tués par quelque maraudeur. Vous savez, moins les gens sa-
vent, plus ils parlent. Et puis, un jour, deux chasseurs de
Rennes-les-Bains, ont voulu récupérer un de leur chien
qu'ils entendaient aboyer sous terre. Ils ont fait comme
nous, sont descendus dans les galeries souterraines et sont
arrivés sur une corniche, très glissante, qui surplombait une
petite salle huit ou dix mètres plus bas. Ils sont descendus
pour récupérer leur chien et c'est là oir ils sont tombés sur
deux squeleffes: c'étaient les enfants. Il y avait plus de dix
ans qu ils avaient disparu. On ne sait pas si I'un ou l'autre,
blessé après une chute n'a pu remonter. La commune a dé-
cidé de construire ce mur afin que d'autres jeunes ne soient
pas tentés de faire comme ces pauvres malheureux.
- C'était si fréquenté que ça ? demanda Albert.
- Non, mais par un puits qui était au-dessus de ce gouÊ
fre, et qui a été bouché par la suite, les gens d'ici avaient
l'habirude de jeter le bétail morr, brebis, cochons ou même
des vaches. C'était cela "l'antre de la sorcière", expliqua Fir-
min. Tous ces animaux jetés devaient servir à nourrir les
sorcières et sorciers du monde souterrain. Car ici, pendant
des lunes, tout le monde croyait à la vie cachée d'un monde
souterrain. Des êtres qui ne venaient à la surface de la terre
que les nuits de pleine lune et qui, s'ils n'avaient pas eu leur
conringent de viande, venaient jusque dans les bergeries
voler des agneau(. C'est une légende.
- Il faut faire demi-tour, dit Jean.
- Non ! Je connais un autre passage qui arrive sous la
crypte où je vous ai conduits. ,
C'est donc Firmin qui prit la tête du groupe muni de la
torche que lui avait passé Jacques. Les six hommes se mi-
rent à quatre pattes, comme le berger, et pénétrèrent dans

24r
LOGGIA SECRE'I'UM

un trou, sur sa droite. Les membres de la loge secrète le sui-


virent ainsi une douzaine de mètres dans un étroit boyau
qu ils n'avaient même pas aperçu quelques minutes aupa-
ravânt. Leur progression fut lente et assez délicate, notam-
ment pour Jean, à cause de sa pathologie cardiaque, mais
aussi pour Max dont la carrure s'accommodait mal de l'exi-
guïté et qui était parfois obligé de passer en force, se fric-
tionnant ainsi les épaules aux parois. Arrivées au bout du
boyau, quelques gouttes d'eau suintant du plafond calcaire
avaient fini au cours du temps par faire comme un petit
bénitier sur le sol. Après avoir franchi cette sculpture natu-
relle, Firmin se redressa: une nouvelle galerie plus facile
permit âu groupe de reprendre son souffie.
Là, il fallut redéployer une échelle de corde pour attein-
dre une vaste salle, quelques mètres plus bas, d'oir l'on en-
tendait chanter I'eau.
n Je ne suis jamais allé plus loin, dit Firmin, une fois ar-

rivé au bord d'une véritable petite rivière souterraine.


- Que fait-on, demanda Jacques ?
- Il faut voir s'il y a moyen de sortir en suivant le cours
de la rivière. Pour moi, dit Max en consultant sa boussole,
nous sommes dans la bonne direction per rapport au ruis-
seau de Couleurs. ,
Après avoir sondé la rivière pour connaître sa profon-
deur, les six hommes s'engagèrent dans I'eau et marchèrent
environ un bon quart d'heure jusqu à découvrir, qu'une fois
de plus, l'eau disparaissait dans une faille d'environ trois
mètres de large. Le faisceau de la torche leur 6t savoir qu'il
était impossible de continuer à suivre le cheminement de
l'eau. On l'entendait tomber en cascade dans les profon-
deurs terrestres. Malgré sa puissance, la torche ne permir
pas de voir le fond de l'aven. De plus l'accès à cette faille
était des plus dangereux. C'est un gouffre qui s'ouvrait de-
vant eux.
Seuls des spéléologues professionnels aguerris auraient
pu tenter une descente qui n'aurait guère été prudente. Par

242
LOGGIA SECRETUM

contre, après la faille, il semblait bien qu'une galerie sèche


continueit. Peut-être l'ancien cours de la rivière... Il fut dé-
cidé de lancer un câble armé d'un croch$ a6n de I'arrimer
à l'autre côté de la faille. Après avoir testé la fiabilité de
I'opération et s'être entouré la taille d'une corde de rappel,
Max s'élança et prit pied sur l'autre rive oir il planta un
piton. [l renouvela I'opération en sens inverse et une échelle
de corde fut tendue ce qui permit à chacun, à quatre pattes,
de franchir les trois mètres dans une relative sécurité.
n Ce riest plus de mon âge, dit Firmin. Mais ça m'amuse.

Je n avais jamais franchi cette faille. La dernière fois que je


suis venu jusqu'à la rivière, je devais avoir une quarantaine
d'années de moins. ,
I.e groupe marcha environ une vingtaine de mètres avant
de déboucher sur une salle arrondie qui, cette fois, sem-
blait bien être un cul-de-sac. Impossible d'aller plus loin.
Au milieu, six faisceaux de lampes frontales et celui plus
puissant de la torche éclairèrent une sorte de monticule. Le
cæur des frères de la loge secrète battait la chamade. Un
sarcophage était bien au centre de cette salle.
u On dirait une sépulture wisigothique, ditJean, sauf qu il
fait bien le double de cetx que nous connaissons. ,
Les six hommes se rapprochèrent de ce qui pouvait être
un monument funéraire et qui semblait avoir été taillé dans
le roc. Les ans avaient fait comme une seconde peau à la
pierre en la recouvrant d'une couche de salpêtre et d'une es-
pèce de mousse sombre et rase.
n Je ne connais rien de ce genre, dit Albert. Si la facture

ressemble quelque peu aux sarcophages wisigoths de Vil-


larzel-Cabardès, la taille est ici plus importante, surtout en
largeur. De plus, il est parfaitement rectangulaire. ,
Jean et Albert commençaient à frotter la pierre pour en-
lever moisissures et eutres mousses accumulées au cours des
siècles, quand Jacques s'écria: u Il y a une inscription ! »
Tous 6rent cercle autour de lui. Quatre lettres étaient eÊ
facées, mais ce qu'ils purent lire les laissa un court instânt

243
LOGCIA SECREI'UM

muets. Ils étaient enfin arrivés au terme d'une investigation


qui durait depuis quelques années.
" Yesltu ben Yo.ef- Maria.. ne e M.ra,
Il y eut un silence parfait devant la sépulture du couple
mythique réuni là pour l'éternité. Une étrange émotion
submergea les u cherchants ».
u Les voilà!ditJean. Ils sont là. Nous... ,
Il ne put finir sa phrase. Une explosion d'une forte in-
tensité secoua en cette 6n d'après-midi tout le plateau de
Rennes-le-Château, et retentit dans la vallée.
Dans la salle, des cris fusaient. Des morceaux de roche
avaient été projetés en l'air, le plafond de la salle qu'ils ve-
naient d'atteindre s'était effondré et une vague d'eau dé-
ferla dans ce qui semblait devenir un piège. Le bruit de
l'explosion, comme un roulement de tonnerre, parcourut
les galeries et rivières souterraines et se répercuta même
jusqu'à Rennes-les-Bains et Sougraigne, où se trouve la
source de la Sals, la rivière salée.
n C'était comme un petit tremblement de terre ,, dirent
plus tard les habitants âux enquêteurs. n Ou un gronde-
ment de tonnerre dans le sol. ,
Leau de la crypte qu'ils avaient explorée dernièrement,
libérée par l'explosion, s'était engouffrée dans la galerie
conduisant à la faille. Le bruit de l'eau courant dans les
boyaux de la terre couvrait cris et appels. La première voix
à se faire entendre fut celle de Firmin qui, tout trempé, se
redressait avec quelques difÊcultés.
n Nom de Dieu, cette Êois j'ai cru y rester! , Le vieil
homme se relevait, contusionné, mais sans gravité. Albert
était couché sur un côté, mais conscient et semblait avoir
une jambe brisée. Jacques Sablier, le médecin du groupe, 6t
avec Portos, qui n'avait que quelques plaies aux bras et au
visage, les premières recherches dans les morceâux de rochers
éparpillées et les éboulements. Max et Jean ne répondaient
pas à leurs appels. Ce n'est que quelques minutes plus tard
que la grande silhouette de Max apparut: il avait été sonné

244
LOGGIA SECRETUM

mais son état n'inspirair pas d'inquiétude. Il reprit tous ses


esprits en secouant sa grande carcasse et en s'ébrouant,
comme s'il émergeait d'un autre monde. Tous étaient trem-
pés jusqu'aux os.

À la surface, Alan Chock et Pierre Peyre n étaient pas res-


tés inactifs. Dès l'explosion, le centre de Secours de Couiza
et le maire, président du Service départemental d'incendie
et secours, avaient été prévenus et Alan avait appelé son
amie Lucile, médecin réanimateur au Samu de Carcas-
sonne. Sans savoir ce qu il se passait sous leurs pieds, les
detx hommes avaient pris leur responsabilité afin de parer
au plus pressé.
Les pompiers de Couiza, tout en se dirigeant vers le pla-
teau eu sud-ouest de Rennes-le-Château, étaient orientés
par téléphone par Pierre Peyre qui leur demanda I'inter-
vention du Groupe de Recherche et d'Intervention en Mi-
lieu Périlleux formé de professionnels, relevant du SDIS
audois, chargés des missions délicates.
Au Commissariat de Carcassonne, averti par le patron
du SDIS, le commandant Nadal et ses hommes activèrent
les services de gendarmerie et de police. Une §rielle d, W-
rophares, voitures de police, gendarmerie et secours, se mit
en mouvement vers la Haute-Vallée de l'Aude.
Lhélicoptère blanc du Samu arriva très vite sur zone,
avec les premiers hommes du centre de secours de Couiza,
suivis par ceux de Limoux.
CHAPITRE )Oil

Jean ressentit une douleur atroce dans son crâne et fut as-
sourdi par un bruit terrible aussi destructeur qu'un réac-
teur au maximum de sa puissance. Il lui sembla qu'il
poussait un cri, mais ne s'entendit pas. Il avait l'impression
d'être emporté par un violent courant vers des profondeurs
abyssales, sur fond d'éclairs et de foudre, entouré de pierres
et roches en fusion. À l" li-ir. de l'inconscience, il perçur
un violent choc qui se répercuta en vibrations douloureuses
dans tout son être, sans qu il puisse comprendre que c'était
son propre corps qui venait de s'écraser au milieu des restes
du tombeau que, quelques instants auparâvant, il caressait
de sa main. Il ne bougea plus. Il entendit de faibles batte-
ments de cæur se répercuter comme une grosse caisse dans
sa tête éclatée. Un bruit atroce, métallique, emplissait ses
oreilles. Il eut l'impression d'être une cathédrale d'acier cra-
quant de toute part, s'affaissant sur elle-même dans un
bruit de forge et de laminoir.
Puis il y eut un trou noir. Le néant. Nauséabond et gla-
cial. Cela dura quelques secondes, peut-être moins. Et les
parois de la caverne où il se ffouvait se mirent à s'écarter au-
tour de lui pour laisser place à un vaste champ cotonneux,
sans limites, d'une blancheur immaculée avec, au loin, une
lumière brillant de tous ses fetx. Irréelle et si proche. Une
musique apaisante, venue de nulle part créa une sensation
de bien-être et plénitude. Il se sentit très serein, tendit la
main vers la lumière et flotta vers elle en regardant son
corps resté sur la roche. Une jeune femme en blanc était
penchée sur ce corps inerte andis que les parois s'éloignaient

247
LOGGIA SECRE-I'UM

encore au fur et à mesure qu'il se rapprochait de l'étoile


irradiante. Plus il se rapprochait de cette étoile, mieux il
se sentait.
Là, il vit alors Jean-Baptiste, son grand-père, au milieu de
personnes qui l'accueillaient avec sourire et amour. Et Loui-
sette, sa grand-mère, une auréole autour de la tête, qui lui
tendait ses deux mains et lui disait: o Viens ,.
Un homme barbu, tout de blanc vêtu et portant croix
pattée sur l'épaule gauche vint s'incliner devanr lui. n Je suis
Arnaud d'en Cost, gardien du Temple, pour te protéger. »
La lumière devint alors encore plus intense et il ressentit
enfin une grande paix envahir tout son être en comprenant
le mystère de I'homme et du cosmos. Alors, le voile se déchira
et son esprit oublia son corps. La dualité unie dans l'Un, la
lumière incommensurable, pureté simple, parfaite et indes-
tructible s'empara de l'esprit deJean pour le conduire en Lui.
Dans la plus parfaite sérénité, avec bonheuç il retrouva au
milieu de chérubins et d'éons bien des amis ayant quitté
I'autre monde. Puis, il reconnut une voix et vit Alain Sal-
mon, comme sur une autre rive. « Suis-moi Jean. ,
Cette lumière incommensurable les prit tous les deux. Il
n'y avait plus d'espace ni de temps. fusise sur un siège in-
visible, une entité barbue dont on ne distinguait pas les
contours, aussi blanche que la lumière, s'adressa à lui.
u Tir vois Jean, nous te suivons et te protégeons depuis
bien longtemps. Tâ présence ici te fait comprendre, mais je
crois que tu le savais, qu'une partie de la conscience hu-
maine peut se séparer du corps. Le retour dans le corps est
un nouveau cheminement. Toi seul seras maître de ton
choix le moment venu.
Suivant I'importance des étincelles divines existant dans
chaque humain, I'humanité se divise en trois catégories: les
spirituels, ou pneumatiques, qui pratiquent la gnose pour être
sauvés et qui ont les mots du mystère à qui Jésus et d'autres
ont apporté la doctrine illuminatrice; les psychiques, qui en-
tretiennent une petite étincelle dans leur âme et qui ne peu-

248
LOGGIA SECRETUM

vent être assures de leur salut qu'en étant sur terre des êtres de
bien et d'amour pouvant un jour devenir des pneumatiques;
et en6n les hyliques, les matériels, incapables du moindre dis-
cernement, nayant aucune édncelle divine. Venus de la pous-
sière, ils retournent poussière. Ils sont le néant. Ils n ont pas
accès au Temple construit par le Grand Architecte.
Ici, se trouve le marteau de la sagesse divine. C'est ce
marteau qui permettra à l'édifice d'être reconstruit. Le
Temple de l'humanité a été détruit par l'action néfaste de
forces contraires. Les marchands ont conquis le Têmple, il
faudra à nouveau les chasser comme l'a fait celui sur qui
nous veillons ici et qui, tu t'en doutes, a laissé avec Marie-
Madeleine une descendance nous perme$ant d'espérer un
retour à la véritable Église, celle que nous cachons sur terre
sous le nom d'Église de Jean. Malgré les faux prophètes et
les fau messies habillés d'or et d'argent.
Toi, homme, prend conscience en ton âme de I'Esprit
de connaissance et d'amour qui peut tous vous unir pour
éviter le chaos qui laissera le monde humain en état de ruine
à la fin des siècles. Car tout à une 6n et les richesses des
puissants rt'y pourront rien.
Iævgz-vous et reconstruisez le Temple perdu de l'huma-
nité que vos modernes gourous et ros Églis.s du mensonge
foulent au pied. Si tu penches pour ton retour vers les
hommes, souviens-toi de ces instants, mais sache que rien
riarrive aux hommes qui ne soit conforme aux décisions du
destin. Pour cette fois, et nous t'y aiderons, le destin sera
écrit par toi dès le retour de ton esprit vers ta substance.
Les forces suprasensibles gouvernent la disposition des
formes organiques et des astres. C-e sont les formCI organiques
qui ont organisé la substance. Si tu refais ton cheminement,
ilte faudra cultiver des représentations qui ne doivent pas
être de simples chimères mais de puissantes forces réelles
qui te permettront de modifier ton environnement. C'est
l;enseignement secret que Jésus avait appris .n Égypte et
qtiil avait enseigné à la seule Marie-Madeleine.

249
LOGGIA SECRETUM

Tu connaîtras alors la vérité et la vérité te rendra libre. Si


tu es celui que nous croyons, par cinq degrés, tu pourras
alors atteindre, par-dessus la Lune et le Soleil, le monde
Spirituel. En route vers l'Éon de Lumière, alors tu VERRAS
et tu auras la pleine connaissance. À bienrôt Jean. ,
La voix se tut sur ces derniers mots, comme répercutée
par une chambre d'écho qui se voulait sans fin. Jean eut alors
terriblement froid. Il regarda une dernière fois ce corps
étendu, le sien, sur la roche humide. La douce musique qui
l'avait eccompâgné vers les esprirs s'estompa. La lumière ir-
radiante déclina lenrement dans un dernier souffie er Jean
connut alors le royaume de la nuit. Il crut distinguer son
frère Alain Salmon. Il lui sembla qu'Alain, dont l'image
s'estompait pour se fondre dans la nuit lui glissait, avanr de
disparaître, quelque chose dans la main.
À cet instant, un froid glacial s'empara de tout son être er
il ny eut alors que le néant pour envelopper ce pauvre corps
transi, inerte, en partance vers I'inconnu. Une mante sombre
couleur de mort glissa lentement sur ce corps et l'enveloppa
de glace. La substance allait se fondre dans le minéral.

Jean... Jean... Jean... ,


u

La voix de Jacques, parfois cor,lverte par ce[e, plus puis-


sante, de Max, dégringolait en écho dans le labyrinthe sou-
terrain du plateau de Rennes-le-Châreau et se répercutait
au gré des salles et cavernes pour parfois s'élever dans l'air
par la bouche d'un aven, comme une prière vers le ciel.
Les plus valides, décidèrent de descendre vers l'endroit
oir le tombeau avait été entraîné par l'explosion. Jacques
empêcha Firmin de les suivre. Il leur fallut un bon quart
d'heure qui dura une éternité, pour retrouver Jean, sur un
socle une dizaine de mètres plus bas, proche d'un rrou
béant provoqué par l'explosion qui avait entraîné le sarco-
phage, ou plutôt ce qu'il pouvait en rester, vers des pro-
fondeurs abyssales. Face contre le sol granitique, au milieu
de roches et éboulis, une plaie ouverre à la tête, saignant

250
LOGGI.A SECRETUM

abondamment, Jean était inconscient. Jacques fut le pre-


mier à se pencher sur le corps de son ami. Il prit une main
de Jean et la serra: aucune réaction. « Jean, réponds-moi,
Jean tu m'entends ? , Le blessé ne répondait à aucune sol-
licitation. Jacques desserra la combinaison de spéléo, la che-
mise et la ceinture du pantalon du blessé. Il palpa sa nuque
et les cervicales sans faire bouger la tête. l,orsqu'il retira sa
main, elle était rouge de sang. Jacques demanda à Max Hi-
dalgo de I'aider à mettre Jean en position latérale. Il posa
deux doigts sur la carotide.
n Le pouls est très faible. Il nous faut vite des secours si
nous ne voulons pas le perdre. , Il comprima la plaie du cuir
chevelu evec un mouchoir et demanda à Portos de le rem-
placer puis, posa sa tête contre la poitrine de Jean et se re-
dressa avec une grimace. IJampoule de son cesque ne
fonctionnant plus, il prit celui de Max et dirigea le faisceau
lumineux vers la tête de Jean qui n eut aucun signe. Ni bat-
tement de cils, ni clignement des yeux.
n Il a un traumatisme crânien assez sévère ,, dit-il, en
pinçant l'avant-bras de Jean qui, manifestement, ne ressen-
tait plus rien. Albert, toujours allongé, tentait de se servir
de son portable. fuen ne passait. Max et Pierre en firent
autant. Pour un résultat tout aussi négatif, u Il faudrait l'in-
tuber au plus vite, ditJacques. Je crains qu il ne puisse bien-
tôt plus respirer. »

liéquipe du Samu, par la grotte de la Madeleine éventrée


par l'explosion, put atteindre assez rapidement le groupe
des blessés. Jacques pratiquait déjà le bouche-à-bouche. Ap-
paremment les voies aériennes obstruées il fallut sécuriser
Jean au plus vite.
Après monitorage cardiovasculaire, Jean fut rapidement
pré-oxygéné par masque, ventilé et intubé par voie orale
sous laryngoscopie par Lucile et deux infirmiers. [,a jeune
urgentiste, avec le sang-froid d'une chevronnée, posa un
cathéter sur le dos d'une main du blessé et demanda à un

25r
LOGGIA SECRE'fUM

inÊrmier de soulever deux poches afin de mieux perfuser le


blessé qui, toujours inconscienr, fut enveloppé dans une
couverture de survie. Un tonicardiaque à base de dopamine
lui fut administré par injection.
Plus tard, les hommes du GRIMB le Groupe de recherche
et d'intervention en milieux périlleux, remontèrenr non
sans mal, le brancard oùr Jean avait éré attaché, à la surface.
Lucile, toujours aux côtés du blessé, ne cessait evec son sté-
thoscope d'écouter les faibles battements d'un cæur ayant
du mal à se dépêtrer de salves d'extrasysroles lui faisant
craindre une fibrillation ventriculaire.
Toujours assisté de la jeune docroresse, Jean fut évacué
par hélicoptère vers le service de neurologie du CHU de
tulouse-Purpan. Un quart d'heure plus tard, Albert Paul-
lus, avec sa jambe dans une gouttière, fut égalemenr rapa-
trié à la surface et évacué par ambulance sur le centre
hospitalier carcassonnais. Les autres reçurent quelques soins
sur place avânt d'êrre réunis dans une fourgonnette de gen-
darmerie par Paul Nadal.

En début de soirée, un biréacteur se posa sur l'aérodrome


de Salvaza et une voirure récupéra Gérard Rossi qui, rour en
étant mis âu couranr des derniers événements et de la décou-
verte du double sarcophage et des inscriprions, fur conduit
à Jaffus par Jean Portos et José Vigilcas, où un quarrier gé-
néral fut installé à I'abri du regard des curieux. Un péri-
mètre de sécurité avait été mis en place par la gendarmerie
et la route de Rennes-le-Château, avec I'accord du maire
et sa participation active, n'était ouverre qu'aux habitants
dont I'identité avait été donnée aux forces de sécurité.
Apres s'êre informé aupres de la réanimarrice er de l'équipe
du Samu de l'état de Jean, Gérard s'adressa à ses amis:
n Il ne fait aucun doute que nos chiens de garde onr en-
core frappé. Q"i ? Peut-être le fameux José qui semble dé-
cidément passer entre roures les mailles. Les patrouilles et
les écoutes de portables er eurres ont éré intensiÊées sur

252
LOGGIA SECREI'UM

toute la région. Nous tt'avons pas, pour le moment, d'aug-


mentadon significative de tratc. Tous les aéroports, petits
aérodromes et ports sont sous surveillance. Nous avons
loupé deux fois notre homme, cette fois-ci devrait être la
bonne si, comme nous le supposons, il est derrière tout cela.
Maintenant, je vais vous demander une chose: que le secret
le plus absolu sur votre activité ici soit bien gardé. Rien ne
doit filtrer à I'extérieur du groupe. Même les gendarmes et
la police, sauf au plus haut niveau, ne sauront rien de vos
découvertes. C'est devenu un secret d'État.
Vous êtes une équipe d'historiens et spéléos amateurs qui
faisait des fouilles autour de Rennes-le-Château dans l'espoir
de trouver des indices de I'occupation wisigothique du site et
éventuellement une partie du trésor d'Alaric. C'est ce qui
sera vendu aux journalistes par le secrétaire général de la Pré-
fecture et le substitut du Procureur de la République qui
viennent d'arriver. C'est d'ailleurs ce qui leur a été dit. C'est
ce que m'ont demandé mes supérieurs. Ce n'est pas évident
pour le groupe, mais je dois me plier atx instructions et vor.ls
demande d'en faire autant. Vous me faciliterez les choses...
J'ai reçu mission, au plus haut niveaur pour régler cette
affaire au mieux des intérêts de tous et du gouvernement
qui ne peut se permettre une guerre ouverte avec le Vatican.
Ni un conflit diplomatique et encore moins un scandale
par médias interposés.
Je vous rappelle que nous ne sommes qu à quelques se-
maines de futures échéances électorales. Vous vous doutez
bien que les politiques, dont tout le monde sait que le cou-
rage riest pas la première vertu, ne souhaitent pas de vagues.
Nous ne devons en aucun cas, parler de ce qui a été dé-
couvert et qui riexiste d'ailleurs plus. Nous, nous savons.
Contentons-nous de cela. C'est déjà suffisant.
- Je sais que cela va être très dur pour certains d'entre
nous, dit Max. Mais l'heure n'est pas à la contestation.
Nous sommes tous dans l'angoisse de savoir si Jean va s'en
tirer. Je ne sais pas ce qu'il aurait fait s'il était là, dans notre

253
LOGGIA SECREI'UM

situation et à ma place. Mais ce que je sais esr que Jean est


un homme de devoir et d'honneur. Il serait peur-êrre allé au
bout, de ce qui était pour lui I'un des grands momenrs de
son existence, quoi qu il lui en coûte. Mais il aurair aussi pu
suivre les conseils de Gérard er s'effacer devant la raison
d'État. Je ne peux me prononcer à sa place. »
Il demanda de se retirer un moment afin d'être seul avec
sa conscience. Ils avaient été au départ de cette aventure
avec Jean. Ils avaient ensemble, passé des nuits enrières à
décortiquer et à étudier I'hyporhèse qui venait de se conÊr-
met avant de lancer la Loggia Secretum dans une aventure
peu commune qui durait depuis des années. Il supportait
difficilement qu'elle s'achevât dans de telles conditions.
Pourtant, après un long moment, il retrouva Gérard et le
groupe. Au nom de tous ici présents, et d'Albert qu'il avait
pu joindre au portable, Max s'engagea maçonniquemenr à
respecter le silence. Il n'y avait qu'un n hic ,: le comporte-
ment éventuel de Firmin qui n'étant lié par aucun sermenr,
pouvait parler si l'envie lui en prenait. Pierre, Jean-Claude
et Guy s'engagèrent à lui parler, y compris en le faisant ap-
peler par John, qui l'avait déjà averti de la dangerosité qui
pouvait découler de la divulgation de ce qui devait resrer se-
cret. Même si ce secrer était de plus en plus lourd à porter
et s'ils avaienr envie de crier à la face du monde qu'on les
trompait depuis 2 000 ans.
Cérard concevair parfairement que cela pouvait être frus-
trant, après toutes ces années de recherches. Mais l'essentiel
n'était-il pas atteint ? Même si le bilan de toutes ces années
risquait de s'alourdir avec l'état de Jean, dans une situation
préoccupante.
Tiois heures plus tard, le portable de Max sonna.
IJépouse de Jean I'informait que son mari était dans un
coma de rype 3, avec pronostic réservé. Un grand silence
suivit l'informarion faite aux frères de la Loge.
CHAPITRE )CüI

La Mercedes noire quitta la Cité du Vatican aux alentours


de quatorze heures. Il faisait chaud à Rome et l'absence de
vent, avec l'habituelle pollution automobile, rendait l'at-
mosphère lourde et irrespirable. À l'intérieur de la berline,
Luca Ortolani, n'en avait cure. La climatisation fonction-
nait en circuit interne. Le « patron , de la Sapinière, vingt-
quatre heures après l'explosion ayant anéanti la grotte de
la Madeleine, à RennesJe-Château, avait reçu un message
codé de n l'ombre », comme il l'appelait puisqu'il n'avait
jamais découvert qui était le membre de la Curie Romaine,
qui le drivait.
Un message sibyllin, mais très explicite pour le nouvel
ambassadeur de la Cité du Vatican: u Celui qui a perçu le
mystère de la grande lumière dans la caverne retournera
poussière, car il a détruit le tombeau et le Père l'attend r. En
clair: que I'auteur de l'explosion, qui en sait trop, disparaisse
afin qu'il ne puisse témoigner que dans l'autre monde.
En fin stratège, Luca Ortolani avait fait appel à son petit
espion détaché auprès du cardinal Luigi d'futi. [æ pedt blon-
dinet effeminé avait donc été mis au courant que José, sous
le nom de [æonardo Costa, muni d'un vrai-faux passeport
imlien, réfugié dans un couvent dominicain des environs
de Carcassonne, prendrait un bateau en partance pour le
Maroc, le lendemain à Sète, afin d'échapper et»( policiers
français qui avaient désormais son signalement. Le jeune
prêue avait raconté, par téléphone, toute I'histoire à l'un
de ses amis, de façon à ce que le cardinal d'Asti entende
toute la conversation. Le vénérable cardinal, qui souhairait

255
LOGGIA SECRE'I'UM

plus que tout réduire les effets d'une entreprise qu'il jugeait
néfaste pour les intérêts de l'Église, avair communiqué ces
renseignements à Claudio Bardi qui, bien évidemmenr, les
avait ensuite transmis à Gérard Rossi après en avoir informé
Max et les correspondants marseillais.
Luca Ortolani, satisfait de se débarrasser ainsi d'un José
de plus en plus embarrassant, était assuré que, depuis la
veille, son exécuteur préferé était ainsi aux mains des ser-
vices spéciaux français et que la DST devait le cuisiner. Sa-
chant parfaitement que José ne dirait absolumenr rien,
Monseigneur Ortolani pouvait en6n jouir le plus sereine-
ment du monde des choses de la vie. Et même si José se
mettait à chanteE Ortolani avait tour prévu.
D'abord, en tant que ministre plénipotentiaire du Vati-
can, il était devenu intouchable, ensuite des flots de té-
moignages concordants afÊrmeraient que les accusations
éventuelles portées à son encontre étaient totalement fan-
taisistes puisque ce jour-là, justement, il était absent du
théâtre des opérations, comme disent les professionnels.
Estimant que l'affaire étair en tout point réglée Luca Or-
tolani se dirigeait, en ce début d'après-midi, vers une belle
résidence de la via Leone IV p"r la via Angelo Emo. Là,
demeurait sa maîtresse romaine, une ravissante jeune veuve
d'une quarantaine d'années, qui prenait grand soin du
monsignore au cours de débats rhéologiques parriculiers.
Ortolani demandait en effet à sa maîtresse de se rravesrir
en nonne avant de la violer. Elle se prêtait volontiers au jeu
d'Ortolani, mais la belle n'avait qu'une hantise : que
l'évêque au cours de débats un peu trop sportifs ne meure
en épectaseTe, comme ce cardinal français qui, en 1974 à
Paris, avait été retrouvé mort dans les bras d'une prosrituée.
Ce que l'Église avait traduir par: « Dans l'épectase de l'apô-
tre, il est allé à la renconrre du Dieu Vivant ,.
[,a Mercedes treversa laPiazza Santa Maria di Grazia afin
de bifurquer vers la via Leone IV. Le chauffeur n'eur pas le
temps de voir une Volvo break débouchant de la via Candia.

256
LOGGIA SECREI-UM

La berline allemande, heurtée de plein fouet fit une em-


bardée tandis que le break Volvo s'écrasait dans une reten-
tissante explosion contre la Mercedes. Des flammes jaillirent
des derx véhicules et il y eut même une seconde explosion.
Plus tard, les carabiniers comprirent que deux bouteilles
de gaz reliées entre elles, placées dans le coffre du break,
éaient à l'origine de la seconde explosion. Des detx voitures
entièrement calcinées, il ne restait pas grand-chose. Un trou
dans la chaussée et le bitume fondu autour de restes fumants,
ainsi que des tôles achevant de se consumer à une vingtaine
de mètres de I'impact, témoignèrent de l'importance de
l'explosion quand les premiers secours arrivèrent.
Bien plus tard, les enquêteurs trouvèrent des indices leur
permettant d'assurer qu'une quantité d'explosifs, du TNT
et du plastic artisenal à base de chlorate, devait avoir été
placée sous le siège du conducteur. Thès vite, les enquêteurs
trouvèrent d'étranges similitudes avec les attentâts de ter-
roristes intégristes au Proche-Orient æuvrant pour Al-
Q-aida. La façon de procéder était identique et l'explosif
employe équivalait à une signature. On avait affaire à un at-
tenat suicide. S'il ne fut pas revendiqué, toutes les radios et
télévisons, ainsi que la presse écrite, dès le lendemain, fi-
rent le même constat: « Les intégristes musulmans défient
l'Église catholique en plein cæur de Rome r.
Et les n spécialistes , y allaient de leurs commentaires.
Sur tous les plateaux des télévisions européennes, les
consultants appelés en renfort des journalistes estimaient
qu'à travers Monseigneur Luigi Ortolani, ministre pléni-
potentiaire du Vatican, les membres d'Al-Qaida donnaient
un nouvel avertissement à l'Église, après les attentats com-
mis en Irak notamment contre des églises et lieux de prière.
Un panégyrique de Luigi Ortolani, ancien professeur, ayant
longtemps æuvré au sein de la Congrégation pour la Doc-
trine de la Foi, présenté comme un des hommes clé de l'en-
tourage du Souverain Pontife, fut mis en exergue. Il fallut
attendre le lendemain pour trouver quelques articles au ton

257
LOGGTA SECRETUM

diftrent. Certains faisant état de ses relations privilégiées,


dans sa jeunesse, avec un homme d'Église assez sulfureux,
Mgr Paul Marcinkus.
D'autres, entre les lignes, évoquèrent pour Luigi Orto-
lani des responsabilités quant à la sécurité et au réseau d'es-
pionnage de la Cité Vaticane. Mais cela n'alla guère plus
loin, les services de propagande et de communication du
Vatican ayant mis leurs efficaces réseaux à contribution.
À Paris, quelques responsables des services spéciaux firent
le rapprochement avec l'affaire de Rennes-le-Château,
mais. . . chut ! Gérard Rossi, qui se trouvait toujours en terre
languedocienne, fut rappelé pour participer avec son di-
recteur à une réunion des services de sécurité sous la hou-
Iette du Premier Ministre qui en proÊta pour faire un coup
de n pub , en réactivant le plan vigipirate. Ca ne mange pas
de pain et rassure le bon peuple à 20 heures devant la
grand-messe du journal télévisé.
Gérard expliqua qu'une source digne de foi les avait pré-
venus de I'embarquement à Sète du nommé José, que tout
désignait comme I'assassin d'Alain Salmon et des ingénieurs
français ainsi que de la prostituée de la rue de Budapest. Et
le directeur de la DST, compétent sur le territoire national,
parla du stratagème mis en place pour la capture du sieur
José. Mais informa que la souricière tendue n'avait rien
donnée. Lhomme de main d'Ortolani n'avait pas pris le
bateau dans le port sétois à destination de tnger. La DST
parla d'une « manip », tandis que Gérard préféra employer
le terme de u leurre ,.
u On est guasi certain que pendant que nos services I'at-
tendaient à Sète, notre homme a réussi à quitter la France
par d'autres voies. Il a même peut-être éÉ aidé par d'autres
services. Pour ma part, je ne crois pas aux coïncidences. Si
c'est Ortolani qui a été choisi pour cible, cela veut bien dire
quelque chose. Je reste sceptique sur l'attentat islamiste or-
ganisé par Al-Qaida, même s'il ne faut pas rejeter une ac-
tion toujours possible de groupes sala6stes algériens. ,

258
LOGGIA SECRETUM

Tout comme son directeur, il ne croyait guère à un at-


tentat des islamistes à Rome, même s'il ignorait qui était
derrière ce fait du jour qui avait fait l'ouverture de toutes les
informations télévisées d'Europe et la première page des
quotidiens. Aucune information dans ce sens n'était par-
venue à n la piscine ,. Ni les honorables correspondants, ni
les services spéciaux amis n'avaient émis aucune note
d'alerte à ce sujet. Apparemment,les « politiques » souhai-
taient que la communication soit plutôt axée dans ce sens,
donc... jusquà preuve du contraire, c'est ce qui serait ra-
bâché par les porte-parole, patentés ou de circonstance,
dans tous les médias, plus enclins à relayer les propos des
conseillers en communication du pouvoir qu à initier des in-
vestigations, et que le grand public goberait encore une fois
avec une naiïeté déconcertante.
Le soir même, Gérard était de retour à Carcassonne.
Quelques membres de la Loggia Secretum réunis par Max
attendaient le lendemain I'arrivée de John qui débarquait
des États-Unis.

À l'hôpitrl Purpan de Toulouse, Jean était toujours dans


un coma profond. Depuis son hospitalisation, outre son
épouse, les frères de la loge se remplaçaient pour ne jamais
le laisser seul, sauf quand des soins nécessitaient leur sortie
d'une chambre encombrée de moniteurs et autres potences
d'où partaient les tuyaux de perfusions vers le corps inerte
afin de maintenir en état les fonctions vitales.
Jacques Sablier et d'autres frères se remplaçaient au che-
vet de Jean et lui parlaient comme s'il pouvait entendre.
Consulté, le professeur de neurologie , chef du service, un
homme jeune qui avait la manie de se tortiller une boucle
il réfléchissait, avait donné son ac-
de cheveux pendant qu
cord. Quant l'avenir...
à Il ne pouvait que confirmer le
coma treumatique consécutif à une lésion cérébrale, un
come cerus puisqu'il n'y avait aucune réponse aux dift-
rents stimuli et sa seule préoccupation, pour I'instant,

259
LOGGIA SECRETUM

était de lutter contre les troubles végétatifs qui pouvaienr


apparaître.
Le scanner cérébral avait décelé une compression au ni-
veau du tronc cérébral mais pas de destruction, y compris
au niveau des hémisphères cérébraux, même si la région
mésencéphalo-diacéphalique avait éré comprimée par la
pression existant dans la boîte crânienne après le trauma-
tisme. Ce qui inquiétait le plus le médecin du groupe était
le fait que lorsqu'on ouvrait les paupières de Jean, elles se
refermaient. Par contre dès le troisième jour d'hospitalisation,
Jacques provoqua des mouvements oculaires ce qui était
plutôt rassurant quant à l'intégrité du tronc cérébral.
Pour le moment, rien d'autre ne pouvait être tenté, si ce
n'est la surveillance de mise dans ce cas et les traitements en
vigueur comme l'apport de sodium, potassium et calcium
en fonction des bilans, les apports caloriques par voie pa-
rentérale ainsi que des vitamines er la prarique de séances
de kiné au lit avec prévention des thromboses. Pour le
reste... il fallait attendre.
Jacques Sablier, venait souvent en compagnie de Max et
d'Albert qui se déplaçait péniblement avec des béquilles en
attendant que sa jambe rerrouve son âutonomie après une
double fracture.
Ce jour-là, Max faisait la lecture à Jean comme s'il pou-
vait entendre ou comprendre d'un article de Libératioz près
d'une semaine après l'attentat suicide ayanr coûté la vie à
Monseigneur Luca Ortolani. Albert, sa jambe plâtrée posée
sur le bord du lit de Jean, écoutait d'un air distrait la voix
de Max. Les yeux mi-clos, on le sentair bientôt tenté par un
désir impérieux de laisser sa têre dodeliner, signe avanr cou-
reur d'une sieste inspirée par une espèce de sophrologie née
des cordes vocales de Max.
La jeune inÊrmière qui entra pour changer les perfu-
sions, ne put s'empêcher de sourire en voyant Albert Paullus
commencer une série de ronflements en guise d'accompa-
gnement de la voix de Max poursuivant sa lecture.

260
LOGGI.A SECRETUM

n Hé, Monsieur Jean, ça va ? » Jean regardait Albert parti


au peys des rêves et écoutait Max, continuer à lire son ar-
ticle, une analyse sur la mort d'Ortolani et les possibles im-
plications d'un groupe se revendiquant d'Al-Qaida. Max
laissa tomber son journal et se précipita vers la tête de lit.
« Jean, Jean ça va?
- Qu'est-ce que c'est tout ce charabia dont tu me bas-
sines depuis un moment evec la mort d'Ortolani ? ,
Max n'eut pas le temps de répondre. La jeune infirmière
avait fait appel au médecin de garde qui fut bientôt rejoint
par le chef de service de neurologie. Il fallait bien l'admet-
tre. Et le moins surpris ne fut pas Albert qui, réveillé en
sursaut, dut se rendre à l'évidence, eu'en ce jour de solstice
d'été, Jean venait de renaître à la vie.

Les premiers jours n d'après » furent accaparés par les


hommes et femmes en blouse blanche. La faculté étudiait
la sortie de coma du blessé et souhaitait le garder une bonne
semaine en observation afin de voir si tous les paramètres
étaient au clair avant de renvoyer Jean dans la nature.
Ce dernier vit donc ses visites réduites sur ordre médical.
Outre son épouse et le docteur Jacques Sablier, cinq jours
duranr, Jean ne vit plus grand monde. Il fut dirigé d'un
service à l'autre, d'un échographe à I'IRM, ce qui se tra-
duisit par un emploi du temps occupé par de multiples exa-
mens et analyses en tous genres. Ce qui ne l'empêchait pas
d'avoir les frères de la loge secrète au téléphone. (Jne visite,
lui fut accordée. John, l'occitano-américain avait tenu dès
son arrivée des États-Unis à se rendre auprès de Jean. Les
deux hommes, qui ne se connaissaient que par téléphone,
tombèrent dans les bras l'un de l'autre. John était descendu
chez Firmin Magnan et expliqua à Jean qu'il était en train
de réaliser ses affaires outre-atlantique a6n de s'installer,
après un divorce, dans le pays de ses ancêtres. Il envisageait
même de racheter Jaffus à Firmin, tout en laissant le vieux
berger dans la propriété.

26t
LOGGIA SECRE'I'UM

Ce n est qu'à ce moment-là que Jean apprit que les mem-


bres de la Logia Secretum avaient décidé de ne pas faire état
de leur trouvaille dans les grottes sous le plateau de Rennes-
le-Château comme le leur avait demandé Gérard Rossi.
n Comment peut-on cacher au monde, de par la seule
volonté politique, que les restes de Jésus et Marie-Madeleine
ont été trouvés ? Des générations d'hommes, d'archéologues
ou autres ont vainement tenté dans l'histoire de mettre la
main sur ce que nous avons trouvé. Il serait absurde de ne
pas faire de communication là-dessus. Nous en reparlerons.
Il faudra m'expliquer bien d'autres choses. ,
John se rangea à son avis, mais il était encore trop tôt
pour prendre la décision qui s'imposerait, une fois tout le
monde réuni. Ily avait des choses plus urgentes et notem-
ment la santé et la sortie de Jean du Centre Hospitalier de
Purpan dans les prochains jours si, comme le disait le o pa-
tron » du service, tout était OK.
Vint enÊn le jour où, la faculté ayant donné son feu vert,
Jean put quitter le vieil hôpital toulousain. Max et Albert
étaient venus le chercher aÊn de le ramener dans son mas du
Minervois. En rangeant les affaires personnelles qu'une aide
soignante avait réunies dans le placard, Max prit la montre
de Jean et son regard tomba sur une sorte de pentâgramme.
« Qu'est-ce que c'est, interrogea-t-il ?

- C'est Alain Salmon, qui me l'a donné, répondit Jean.


- Qroi ? Il y a longtemps ? Tir ne nous en avais .iamais
parlé...
- Il me l'a donné après que nous ayons découvert le sar-
cophage. ,
Max, l'air affolé, regarda Albert. Ils se demandaient si
Jean avait toute sa tête et s'il ne régressait pas, subitement,
après être sorti de son coma.
n Vous me prenez pour un fou ? interrogea Jean en les
voyant ainsi dépités. Ne le croyezpas si vous voulez, mais au
moment où j'ai perdu connaissance, dans la chute, Alain Sal-
mon s'est approché de moi et m'a mis quelque chose dans la

262
LOGGIA SECRE1UM

main. Je pense que c'est ce pentagramme ou plutôt ce pen-


tacle puisque le pentagrarnme est entouré de l'ouroboros.
* Mais enÊn, Jean... Alain esr morr, dit Albert.
- Je ne le sais que trop... À voir vos têtes, vous me re-
gardezvraiment comme un évadé d'un asile. Je ne fais que
vous raconter ce que j'ai vécu. Libre à vous de ne pas me
croire. Je n'invente rien et d'ailleurs je voulais vous parler,
plus tard, de tout ce que j'ai découvert dans les profondeurs
de la Madeleine. ,
À.. -r-.nçlà, la porte de la chambre s'ouvrit et le pro-
fesseur entra a6n de saluerJean avant son départ.
« Dites-moi, Professeur. Mes amis me pensent fou. Je
crois qu'ils vont vous demander de m'interner. , Et il ra-
conta son histoire au chefde service qui écouta avec un
léger sourire.
« Bien sûr que cela leur paraît complètement dingue.
C'est pourtant chose relativement simple. Du moins, pour
ce que nous en savons aujourd'hui. Quand vous avez fait
votre chute, vous ériez déjà choqué et en vous recevant là
où les secours vous ont trouvé, vous avez eu un éclair avant
que tout le réseau électrique ne sagte à nouveau. C'est ce qui
vous a fait serrer la main qui tenait cette chose que vous aviez
certainement saisie, âvant, aux abords du tombeau. Et
comme dans la chute votre cerveau fonctionnant encore,
projetant des images de votre ami, vous avez sincèrement
cru, que c'était lui qui vous plaçait dans la main cet objet.
Le fait est loin d'être rare: quand une pensée est forte,
dans un état, disons second, elle peut développer des
images qui ne sont que virtuelles, déjà imprimées sur votre
disque dur, si j'ose âire une comparaison, et que I'on peut
croire réelles. Surtout dans votre cas. En fait, vous avez fait
l'expérience de ce que certains appellent une NDE80. Une
expérience de mort imminente. Je parie que vous ne res-
sendez plus de douleur et que vous étiez dans un état
comme après une bonne séance de yoga ou de relaxation
totale, que vous avez même vu votre corps immobile et que

263
LOGGIA SECRE'I'UM

vous avez rencontré des personnes de votre entourage dé-


cédées ou que vous aimiez pârticulièremenr.
- Oui, c'est cela, effectivement.
- Nous avons pas mal de patients qui nous ont reconté ces
phases apparemment transitoires, d'abord dans un tunnel,
puis dans une lumière'mille fois plus puissanre que dix soleils"
nous a dit une patiente. Je vous rassure, vous n'êtes pas fou
et vos amis peuvent être tranquilles. Par contre, si vous le
souhaitez, bien plus tard, j'aimerais avoir de vos nouvelles.
Je voudrais savoir si, après une telle expérience, votre com-
portement a changé. Certains nous disent qu'ils veulent
étudier, accumuler plus de savoir, étant sûrs que l'ignorance
est la source de biens des malheurs de l'homme. D'autres,
après cela, sont assurés que la mort n'est qu'un passege, une
sorte de transition... Si vous le souhaitez, je serai intéressé
par votre opinion sur ces changements, s'il y en a. »
Après le départ du professeur, Jean se tourna vers ses
amis. Albert était en train de regarder le pentacle qu'il te-
nait dans la paume de sa main.
n C'est curieux de se retrouver avec ce qui est pour nous,
meçons, l'étoile flamboyante, après ce que nous venons
d'entendre. D'oir viens-tu ? dit-il en s'adressanr direcremenr
à ce qui fut le signe des Pythagoriciens... Si seulemenr ru
pouvais parler.
- Ce symbole parle assez de lui-même, dit Jean. Outre
force, sagesse, beauté chez nous, il représenrait la lumière
astrale chez les gnostiques et le féminin sacré dans d'autres
rites. C'est le signe du verbe. Il peut être à la fois Lucifer et
Vénus.
- Dans le ciel, la trajectoire de Vénus dessine un penra-
gramme, c'est le symbole d'unité fondamentale enrre
l'homme et l'univers ,, dit Max.

Quelques jours après, Jean informait Claudio, Pierre et


Max qu'il allait faire une n planche , sur le pentacle: il ve-
nait de découvrir à la lecture d'un vieux Cahier d'études ca-

264
LOGGI.A SECRETUM

thares que celui qu'il avait ramené des profondeurs de la


grotte de la Madeleine, était totalement identique, gravé
dans la même pierre, certainement par la même main, à un
pentacle trouvé à Montségur remontant au siège du Tem-
ple Cathare. Ce qui voulait dire, comme il l'avait toujours
subodoré, que le clergé cathare connaissait le lieu de I'ul-
time repos de Jésus et Marie-Madeleine.
Cette nuitJà, la lumière resta longtemps allumée au pre-
mier étage du Mas des Sauzils.
IJn croissant de Lune montait dans le ciel, tandis que
vers le sud-ouest,la Cité de Carcassonne, illuminée comme
un vaisseau de pierre en ftte, détachait sa masse imposante
sur la toile de fond des Pyrénées. Vénus partait vers l'Ouest,
derrière le rideau de ryprès. Elle allait accompagner le so-
leil dans son sommeil avant de renaître en Sirus, le lende-
main matin, accompagnant les premières lueurs de l'aube.
Plus bas, dans la cempagne, un chien aboyait. Peut-être à
quelque renard s'aventurant vers une ferme. LJne chouette,
dans l'amandier, commença son concert nocturne.
Jean quitta son bureau et sortit sur la terrasse pour
se laisser bercer par les bruits de la nuit et le tic-tac régulier
de la comtoise. Le laurier-sauce s'ébrouait parfois au
gré d'un vent léger ou quand un oiseau venait se brancher
pour terminer la nuit, aprà avoir été dérangé dans un autre
ailleurs.
Tiois heures venaient de sonner au clocher d'un village
voisin. Jean était heureux. Il se sentait en totele osmose avec
cette terre qui l'avait vu naître, comme s'il n'était qu'un
petit morceau d'elle. Et toutes ses manifestations, du plus
petit bruit à l'émergence des saisons, il les accompagnait
avec une gourmandise non feinte. Comme si c'était cela, le
sel de la vie. Allait-il enfin trouver cette paix intérieure,
cette sérénité après le stress de la recherche et le long travail
accompli sur la pierre brute ?
Il remonta dans son bureau et l'écran de l'ordinateur
éclaira son visage amaigri, encore pâle et aux traits tirés.

265
LOGGIÂ SECRETUM

Des pas résonnèrent dans l'escalier. Son épouse entra dans


la pièce aux murs tapissés de livres où des portraits de ses
ancêtres veillaient à la quiéude des lieux.
n Que fais-tu encore. Viens te coucher, tu as vu l'heure ?

- Pas tout de suite. Je commence un bouquin sur l'his-


toire d'un groupe initiatique qui a mené à bien ses investi-
gations jusqu'à la découverte du tombeau de Jésus et
Marie-Madeleine.
- Vous n'arrêterez donc jamais ?
- Mais oui. Quand tout sera 6ni. Car il faudra bien que
d'autres recommencent. »
Éprlocur,

La ville blanche s'étend sous le mont Carmel et sa forêr,


véritable écrin de verdure, dégringole en jardins et rues lu-
mineuses vers le littoral et le port. De la rue Panorama la
bien nommée en montant vers Denia et les quartiers rési-
dentiels ce ne sont que couleurs et lumière, celle refétée
par l'éclat des façades blanches qui, sur les coups de midi,
font rechercher un peu d'ombre dans les étroits passages.
Plus bas, la mer d'un bleu intense court le long de plages
infinies qu'une jeunesse avide d'espoir et de ftte occupe dès
la belle saison venue. Des immeubles modernes, trop hauts
et à I'architecture souvent décalée, pointent avec arrogance
l'azur du ciel balaye par une légère brise marine.
Haïfa, l'antique cité portuaire, est résolument tournée
vers I'avenir. Comme dans toutes les villes de ce Proche-
Orient au charme indéfinissable, Harfa, quand le soleil cou-
chant se refète en myriade d'étoiles scintillantes sur la mer,
résonne de coups de klaxons pour se dépêtrer d'une circu-
lation devenue plus difficil.. À l" terrasse d'un bar de l'an-
cien quartier de la colonie templière allemande, rès prisé
des touristes, Nathan Sitruk déguste une Boukha glacée à
laquelle il a fait ajourer du jus de citron vert par le serveur,
un Séfarade tunisien.
u Vous avez bien fait de nous contacter r, dit-il en repo-
sant délicatement son verre et Êxant le visage de son inrer-
locuteur, « mais je souhaiterais en savoir plus sur ce qui s'est
passé à Rome. ,

267
LOGGTA SECREI'UM

Lhomme à qui il s'adressait avait encore quelques rou-


geurs sur un visage latin, accentué par des cheveux bruns,
coupés courts, qui auraienr vite frisé sans le ciseau du coiÊ
feur. Son visage à la mâchoire volontaire, était adouci par
des pommettes hautes et des yeux bleus aux sourcils régu-
liers et bien dessinés.
u C'est relativement simple, rétorqua José, dont l'aspect
rébarbatif et aussi dur qu'un granit breton avait été gommé
par les chirurgiens. Depuis qu'il avait été appelé à Castel
Gandolfo, Ortolani n'était plus tout à fait le même.
Je savais comment il avait réussi à se débarrasser de mon
prédécesseur sans qu'il soit lui-même soupçonné par qui
que ce soit. Depuis j'étais toujours sur mes gardes, car je com-
prenais qu'il voudrait, à un moment ou à un autre, tirer un
trait sur ses activités pour entrer complètement dans la peau
de ce qu'en avait fait le pape. À.. -o-entJà, je devenais
hors-jeu. Quand il m'a dir que le moment était venu de
frapper, puisque Ia Loggia Secretum approchait du but, j'ai
compris qu'après cela, il n'aurait plus besoin de mes ser-
vices. Comme d'habitude, tout était prévu: en planque le
lendemain de l'explosion pour quelques jours dans un cou-
vent, dans l'Aude en attendant que cela se calme, puis le
départ par Sète à destination de Tanger. Je m'en suis bien
gardé. En voyant le cirque des flics français autour du port,
j'ai compris qu'Ortolani m'avait donné.
- Oui, mais l'attentat ?
-J'ai proposé 10000 euros à un jeune algérien camé, en
lui demandant, en échange, de provoquer un accident aÊn
que je puisse prendre des documents importants à un ponte
du Vatican. Je lui ai donné la moitié comptant... Il a mar-
ché. J'avais volé la Volvo la veille afin d'avoir le temps de Ia
préparer. Et puis... boum!
- Ce fut efficace... ,
Nathan rencontrait José pour la seconde fois, depuis sa
fuite d'Europe. Ses supérieurs lui avaient demandé, il y a
trois semaines, de réceptionner un homme arrivant au port

268
LOGGIA SECRETUM

militaire d'Haïfa et de le conduire dans une clinique de la


ville oir on devait lui donner un nouveau visage. Nathan
avait pensé à un transfuge de quelque pays arabe en déli-
catesse avec IsraëI. Dire qu'il n'avait pas été surpris en
voyânt l'exécuteur de la Sapinière dans le poste maritime de
Tsahal serait un peu exagéré.
José, après s'être débarrassé d'Ortolani, avait quitté
l'Italie pour Blanès, en Espagne, le plus tranquillement du
monde, en train. Dans le port catalan un contact sûr lui avait
permis de monter à bord d'un chalutier qui I'avait amené
au large de la Sicile où une vedette Israélienne était venue le
Ap*
recueillir. quatre jours d'interrogatoire poussé dans les
locatx des services secrets de Tsahal, il avait proposé un deal
aux Israéliens. I-laffaire était montée jusqu'au cabinet du
Premier Ministre. José offrait à l'État juif une façon incroya-
ble de prendre une revanche quasi historique. Une manière
pour erur de se venger du Vatican qui, tout au long des siècles,
en avait fait les bourreaux de Jesus. Une façon de renvoyer la
balle àr'm. Églir. catholique qui, dans toute son histoire, avec
la complicité de la plupart des monarchies et nations ca-
tholiques Européennes notamment, avait mis le peuple juif
au ban de la société. Quand ce n était pas sur le bûcher.
Il offrait à l'État juif des restes deJesus et Marie-Madeleine,
récupérés avant qu il ne fasse exploser la grotte de la Made-
leine et un évangile secret de l'épouse de Jésus, écrit en ara-
méen, expliquant la fuite de Galilée avec Jésus et son fils.
Des écrits authentiGant que c'était bien là, en Gaule, que
reposait le corps du Nazôréen, décédé bien avant son épouse
qui avait continué une vie austère dans la région de Rennes-
le-Château. Un démenti formel aux assertions d'une ca-
tholicité qui avait monté de toutes pièces l'histoire du Saint
Sépulcre et de bien d'autres faits.
Lévangile secret de la Magdaléenne parlait d'un autre fils
et d'une fille nés de leur union. Lune des branches avait
donné naissance à cetx qu'on avait alors appelés jadis u les
rois juifs de Narbonne ,. fr Cabinet israélien, dans un pre-

269
LOGGIA SECRE'I'UM

mier temps, avait envoyé un émissaire à Rome afin de tâter


le terrain et voir vers quel compromis les deux états pou-
vaient se diriger. Il avait été reçu dans le plus grand secret
au Vatican, sous un faux nom, arrivant de New York, en
compagnie d'une délégation américaine, grâce au lobbying
de la diaspora juive en place à la CIA.
Nathan Sitruk ignorait ce qui avait bien pu se dire entre
le premier cercle des conseillers du pape et l'émissaire secret
israélien. Plus tard une rencontre entre I'envoyé du pape et
un membre du cabinet avait eu lieu à Chypre. Le directeur
du Mossad, en lui conÊant sa mission auprès de José, ne
lui avait dit qu'une seule chose : n Tü ne sais rien, moi pas
grand-chose. Je crois que grâce aux "arguments" de José, le
Vatican est en train de financer la plus belle phase de l'his-
toire nucléaire de notre pays. »
IJagent du Mossad était resté pantois. Comment son pays
avait-il pu négocier une telle chose ? Comment le Vatican
s'était-il prêté à ce qui n'était qu'une forme de chantage ?
Ainsi, pour qu'une vérité ne remette en cause un dogme de
la catholicité, le Vatican était prêt à payer. Quitte à offrir au
peuple de la Shoah le moyen de réduire en cendres ceux
qui se dresseraient sur sa route. Quitte, une fois de plus, à
ce que le sang coule et que des hommes paient de leur mort
le fait qu'une religion veuille à tout prix occulter l'histoire
afin de mieux couvrir ses mensonges oir ses errements.
Nathan eut envie de poser une question: u frs Américains
sont-ils informés ? , Mais il est des moments otr le silence est
d'or. Celui-là en fut un et Na.han ne hasarda pas la moin-
dre question qui n'aurait d'ailleurs pas obtenu de réponse.
Il savait seulement que José avait accepté de travailler pour
le Mossad. Il devait infiltrer le Hezbollah à Beyrouth. Une
somme assez rondelette avait été placée sur un compte en
banque, à son nom, atx îles Caïman, I'ancien tueur du Va-
tican ayant réÊuté [a Suisse qu'il considérait comme peu
sûre pour un homme comme lui. IJagent israélien observa
José, avant de poursuivre:

270
LOGGIA SECRE'|UM

« Vous connaissez le deal que vous avez passé avec mon


Patron ?

- Si je ny étais pas préparé je naurais pas pris contact


avec vos services.
- Vous devez me remettre un rapport sur I'activité de la
Sapinière ainsi que des documents avec une liste des
contacts de I'organisation vaticane.
- Ils sont à I'hôtel. Je suis descendu au Camel Forest Spa
Resort.
- Le Mossad se montre généretx envers vous, on dirait,
remarqua Nathan.
- Ce que .i'ai offert à votre gouvernement vaut de l'or
pour l'État d'IsraëI, dit José. Dans leurs rêves les plus fous,
les dirigeants sionistes de votre pays n'auraient jamais ima-
giné une telle chose.
- Je ne suis pas au courant de tout. Je sais que votre
venue ici a été ecceptée au plus haut niveau. En attendant,
voici... dit Nathan en poussant vers José une enveloppe
bourrée de dollars. Pour vos prochains frais. Je suis votre
ofÊcier traitant. Demain, avant votre départ je vous ins-
truirai de la façon dont vous prendrez contact avec moi a6n
de me rendre compte de votre mission au Liban. ,
Il lui remit également un passeport jordanien au nom de
Farid Hussein et quitta le mercenaire qu€, visiblement, il
n'appréciait guère.
À quelqu.. tables de la sienne, une jeune femme s'était
rapidement levée. [r tourbillon de sa robe d'été était promet-
teur. Et le regard que lui porta Nathan plein de promesses.
Il suivit Myriam jusqu'à un appartement de l'avenue Ben
Gourion pour un apéritif plus enthousiasmant que celui
pris avec I'andalou.
Au-dessus du port, des mouettes dessinaient de rapides
arabesques comme pour interroger le ciel. Un navire s'éloi-
gnait de la côte laissant un sillage d'écume poursuivre sa
poupe. Les bruits de la ville s'estompèrent une fois le cou-
ple dans la pénombre de I'appartement climatisé.

271
LOGGIA SECRE'|UM

Nathan enlaça Myriam avant de la faire basculer sur un


sofa à la poursuite de rêves partagés. Par trois fois, la sirène
d'un bateau en partance vers l'ouest, résonna dans Ie port
sans déranger la nuée de mouettes lui faisant un brin d'es-
corte.
Il était midi plein. Le soleil à son zénith réduisait les om-
bres. En cette veille de shabbat, Haïfa se préparait à la ftte.
NOTES

l. DGSE: Direction générale de la sécurité extérieure. Les ser-


vices secrets français qui ont leur siège boulevard Mortier, à proxi-
mité de la piscine des Tourelles, d'où le terme de « piscine » utilisé
pour parler de ce service qui succéda au SDECE, Services de do-
cumentadon cxtérieure et de contre-espionnage, en l98l , apres plu-
sieurs « affaires , dont celle de la disparition du leader d'opposition
marocain Ben Barka, ou encore I'affaire Topaze qui secoua l'État
îryreus.
2. Charles louis Eugène Stublein né en 1832 à Sigean (Aude),
instituteur, estronome, météorologiste, musicien, euteur entre au-
tres de Desc-ription d'un uoyage aux établissements tbernaux dz l2r-
rondissement de Limoax et, surtout de Pienes grauées en languedoc.
Mort au hameau des Sauzils, commune de Fa en 1899.
3. Jeune universitaire allemand, Otto Rahn est venu dans lâriège
en 1930. Il rôidera notarnment à la villa o Les Charmilles , à Ussat-
les-Bains, dès 1931. Le 6 mars 1932,le quoridien La Dépêche û-
trait: « Est-ce une nouvelle ruée sur I'or ? , Et I'article de signaler
que sous la conduite d'un Allemand, une bande de visiteurs étran-
gers appertenant à une société théosophique u les Polaires , dont le
siège est à Paris, avenue Rapp, fait des fouilles au château de Mont-
ségur et dans la région de [.ordat. IJobjectifserait la découverte des
trésors abandonnés par les Cathares et notamment le fameux évan-
gile de saint Barthélemy ou encore le véritable évangile de saint Jean
qui aurait été entre les mains des Cathares et que l'Église catholique
aurait voulu détruire. Signalons que la mort d'Otto Rahn reste un
mystère. Si en 1939, le chefd'État-major d'Himmler fait paraître un
communiqué annonçent la mort de ce membre de la SS, en déli-
catesse avec certains de ses chefs, certains enquêteurs le font revivre
en différents lieux sous un eutre nom, notamment à Rome. Ce qui

273
LOGGIA SECRE'I-UM

est certain, c'est qu'avec deux ouvrages, dont Croisade contre le Graal
et La cour de Lucifer paru en 1935, Otto Rahn a intéressé les maî-
tres du national-socialisme, qu'il a rejoint en 1936, qui ont vu en
Montségur Ie château du Graal, le Montsalvage des Chevaliers de
la Tâble Ronde. Ce que conforteraient quelques fragiles témoi-
gnages relatant le survol de Montségur par un avion nazi dessinant
la croix gammée avec des fumigènes, sous I'occupation allemande.
4. Le Rite Français de 1783, dir fute Français Moderne, rrouve
son origine dans le sillage d'émigrés britanniques qui amenèrenr en
France les rituels en usage, notammenr, dans la Grande Loge de
Londres et \Testminster créée en 1717 en opposition avec les loges
des Maçons Francs et Acceptés qui se qualiÊaienr « d'Antients ,,
par rapport à la nouvelle Loge taxée de u Modern ,. Ourre les trois
grades symboliques (apprenti, compagnon et maîrre) le rite Français
Moderne comporte cinq Hauts Grades, ou Ordres. En février 1784,
sept souverains chapitres de Rose-Croix créent un Grand Chapitre
Général de France qui sera chargé, avec noramment Rorriers de
Montaleau, de 6xer les cinq ordres. Le Rite Écossais Ancien (er) Ac-
cepté, qui n'a, en réalité, aucun rappo.t la maçonnerie écos-
"rr{.
saise, mais plutôt irlandaise, apparaît publiquement le 3 I mai I 801 ,
lors de la constitution du Suprême Conseil de Charleston, en Ca-
roline du Sud, avec de Grasse-Tlly. Outre les trois degrés symbo-
liques, il comporte 33 degrés. Ces hauts grades sont nés en France
au XVIII'siècle. Certains n'hésirent pas à faire remonrer ce fure au
discours du Chevalier André Michel de Ramsay qui fut I'un des
premiers à donner à la maçonnerie une filiation toute légendaire
remonrant aux croisades.
5. Se faire n consoler , était recevoir le u consolamentum , I'un
des trois grands rites principaux du catharisme. Après une initia-
tion plus ou moins longue, un n Parfait ,, en général le plus ancien,
posait quelques quesrions à I'impérant. Ce dernier, promettait de
ne plus manger de viande, de ne poinr menrir ni jurer, de s'abste-
nir de tout commerce charnel et de ne pas abandonner la commu-
nauté par crainte de torture er de morr par le feu. [æ croyant récitait
alors une sorte de credo cathare tandis que le parfait, lui posait un
livre sur la tête en invoquant l'Esprit Saint. Quand la guerre fut dé-
clarée, certains défenseurs se 6rent administrer le consolamenr avant
d'aller au combat, sans initiation préalable. Ce fut le o consola-
mentum des mourants ,. Ceci a6n que leur âme, puisqu'ils étaient

274
NO'I'ES

pêcheurs, ne soit pas obligée de transmigrer d'un corps à un autre


jusqu'à la fin des Temps.
6. Encantados: nom languedocien se traduisant littéralement par
o enchantées ,.Las encantados sont de bonnes fees.
7. C'est ainsi que les registres de l'Inquisition, et un rapport au
pape de l'inquisiteurJacqu€s Fournier, évêque de Pamiers, désignent
le trésor qui a été évacué de Montségur.
8. Pog ou Pech, sommet, pic, en occitan.
9. n Franchir le seuil , était I'expression cathare pour passer de vie
à trépas.Avec une connotâtion toute spirituelle, puisque l'âme, pour
les Purs , retournait dans la « maison , du Père.
n

10.Adorer, un Bonhomme, consistait simplement à faire une


«

génuflexion devant lui, en fait le respecter puisqu'il était « pur es-


prit ».

I I . Publié en 1886 par François Pomiès à Carcassonne, réédiÉ


en Êac-similé de l'édition originale par les éditions de I'CEil du
Sphinx, à Paris.
12. Authentique; voir reportage dans le journal I'Indtpendant du
13 octobre 2006.
13. Un descendant de Marie de Nègre d'Able, Jacques Étienne
Marconis de Nègre a reçt)a lumière en 1833 dans le rite de Mis-
raiim développé alors dans le Sud par les frères Bédarride, dont un
immeuble du Grand Orient de Marseille, porte le nom. Marconis
de Nègre, à la suite de diftrends avec des responsables du rite de
Misraïm, créera en 1838, le sanctuaire de Memphis de rite ancien
et primitif de Memphis, comportant 92 degrés, dont il deviendra
le Grand Hiérophante. Déià, en I 8l 5, une Grande Loge du rite de
Memphis avec Gabriel de Marconis de Nègre, père du précédent,
et le Marquis de la Roque, avait vu le jour à Montauban. Cette Loge
s'était éteinte après environ un an d'existence. Il faudra attendre le
solstice d'été de 1908, pour voir la réunification des deux rites, sous
la houlette d'un Occitan, né en Espagne, Gérard d'Encausse, dit
Papus, sous l'appellation de Rite de Memphis-Misraïm, essentiel-
lement basé sur les mystères égrptiens.
14. Un phénomène étrange se produit chaque l7 janvier dans
l'églisc de RennesJe-Château: un reyon de soleil, à travers un vi-
rail, projette des u pommes bleues » sur un pilier entre deux stations
du chcmin de croix à midi, sur le mur opposé. Une association a été

275
LOGGIA SECRE-I'UM

réunit tous les ans, à RennesJe-Château, erle 17 janvier


créée et se
2007 à Rennes-les-Bains, pour étudier et commémorer ce phéno-
mène. Il existe plusieurs phénomènes de ce rype dans des églises et
châteaux, notamment à Montségur au solstice d'éré.
15. Jean-Luc Robin, Renneyle-Château, le Secret dr Saunière, pré-
face d'Henry Lincoln, éditions Sud-Ouest.
16. Classés au patrimoine mondial de I'UNESCO, les deux boud-
dhas géants de Bâmiyâm, à plus de 200 km au nord-ouest de Kaboul
étaient le témoignage d'un cenrre religieux et philosophique datant du
V'siècle qui avait perduré, même après I'invasion musulmane.
17. Les navet\es sont de petirc gâteaux en forme de barque, par-
fumés à la fleur U'oranger, spécialité marseillaise qui rappelle la
barque où Marie-Madeleine, Lazare et les autres Marie, se sont
échoués sur les rives du Lacydon. À Sainr-Victor, le 2 février, la
Vierge Noire est promenée en procession sur [a place avant d'être re-
descendue dans les cryptes aux mystérieux sarcophages. Larche-
vêque, en cette ftte de la Chandeleur, bénit la ville avant de célébrer
la première grande messe d'ouverture de I'Octave. Cette fête est
celle de tous les gens de la mer.
18. Labbé Gélis fut assassiné dans son presbytère de Coustaussa,
village au pied de RennesJe-Château le l"'novembre 1897. Dé-
couvert par son neveu, un remps soupçonné mais vite écarté de l'aÊ
faire, I'abbé Gélis connaissait son ou ses assassins. Il s'enfermait
depuis quelque temps à double tour. La victime avait les mains re-
pliées sur sa poirrine, dans la position du n bon pasreur ,. Il portait
quatorze blessures à la tête occasionnées par les pincettes de la che-
minée. On a retrouvé du papier à cigarette de marque Tzar alors
que I'abbé ne fumait pas. Aucun débitanr de rabac de I'Aude ne
vendait cette marque. Sur un feuillet était griffonné: n Vive Angé-
lina ,. Deux bouteilles entamées de Porto et Banyuls accréditent la
thèse selon laquelle Gélis connaissait ses visiteurs. Le vol n'est pas
le mobile du crime puisque les enquêteurs onr rerrouvé l'équiva-
lent de I I 400 F en pièces d'or Napoléon. Le ou les assassins de
I'abbé Gélis n'ont jamais été retrouvés.
19. Authentique. On lira avec intérêt Le Vatican mis à nu par le
groupe n Les Millénaires , aux édidons Robert Laffont. Ouvrage
refusé par tous les éditeurs italiens et attribué à Mgr Luigi Marti-
nelli, prélat de la Curie romaine à la rête d'un groupe ayant choisi
de briser l'omerta vaticane dénonçant la corruption morale et phy-

276
NO-TES

sique dans le gouvernement de l'Église. Martinelli fut convoqué le


l6 juillet 1999 devant le tribunal du Vatican. [a paternité de l'ou-
vrage n'a pu lui être attribuée avec certitude.
20. David Yallop, Au Norn de Dieu, Christian Bourgois éditeur.
21. Tlibu nomade du Sinaï, en lutte contre les Hébreux, enne-
mis des juifs.
22. o Contre les Galiléens , de Julien I'Apostat, traduction du
marquis d'Argens, 1764.ll n'est d'ailleurs pas sûr, aujourd'hui, que
ce fut le tire donné par Julien au fragment que nous connaissons
(encyclopédie en ligne'§Tikipedia).
23. El Macin, Hist. Sanacia. læs chroniques arabes font mendon
de sept colonnes d'algent tandis que Claude Fauriel, dans son Hisnirc
dz h Gaub Méridionalc parle de sept 6gures colossales d'argent.
24. Au*rentique ; cet anide est paru Ie dimanche l0 décembre 1972.

25. Bruno É,tienne, I)ne uoie pour I'Occident, Édidottt Dervy.


26.|*sdescendants de cette famille sacerdotale juive dirigèrent,
au II" siècle avant J.-C. la résistance contre les Séleucides, dynastie
fondée par Seleucos I"' en 305 avant J.-C. lrs Séleucides occupaient
un immense territoire de plusieurs cultures et religions couvrant la
Mesopotamie, I'Iran, la Syrie et la Bactriane qui deviendra une Pro-
vince grecque. Les fumonéens eurent comme principaux rois: Aris-
tobule, Hyrcan et Alexandre Janée notamment.
27. ]t ne pas confondre avec Notre-Dame de la Garde, la Bonne
Mère de Marseille. Notre-Dame de Marceille se trouve sur les hau-
teurs de Limoux, aur( portes de la Haute-Vallée de l'Aude.
28. On parle d'un Régime É,cossais RectiÊé dès 1756, même s'il
faut attendre le Convent des Gaules qui s'est tenu à Lyon en 1778
pour voir Jean-Baptiste Villermoz, qui s'était rapproch(d'un ordre
Templier allemand, la Stricte Observance Templière, réformer cette
branche française de la Stricte Observance. Il refuse la revanche
templariste contre le roi et le pape de la Stricte Observance, sup-
prime le mot Templier par celui de Chevalier Bienfaisant et assoit
ainsi le fute Écossais RectiÊé qui est un Ordre et non Pas une obé-
dience. Le Convent de \Tilhemsbad, en 1882, entérinera cette ruP-
ture et le caractère chrétien de ce Régime. Le plus ancien rituel
connu de ce Rite date de 1773.1* RER reste un Rite Chevaleresque
qui demande à ses membres de professer (en principe) la religion
chrétienne, mais qui respecte égdement toute forme de croyance.

277
LOGGIA SECREI'UM

29. Pour en savoir plus sur l'Opus Dei, lire I'ouvrage de Béné-
dicte et Patrice des Mazery, L'Opus Dei, enquête sur une Église au
cæur de l'Eglise, aux éditions Flammarion, 2005. Un livre de deux
journalistes qui est à ce jour le plus complet sur les activités de la
u sainte ma6a , en France. Lire également Yvon Le Yaillam, Sainte
Mafa, dossier de I'Opus Dei, Merctre de France, 1971; Thierry
Oberlé, L'Opus Dei, Dieu ou César?, Jean-Claude Lattès, 1993, er
Peter Hertel, Opus Dei, les cltemins de la gloire, éditions Golias,
2002, gui révèle les règlements secrets de cette institution, fort bien
documenté. On peut lire aussi ldo16i'Opus Dei, les nouueaux Croi-
sés, au seruice dufanatisme et dr k réaction, éditions Edima(, 1982,
er Cbemin le livre u culte , d'Escriva De Balaguer, aux éditions
Fayard, 1977.
30. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, veille à l'ortho-
doxie de la Foi. Elle esr l'héririère de la Sainte Inquisition.
31. La Direction de la surveillance du Territoire, s'occupe de tout
ce qui touche à I'espionnage sur le territoire français, y compris de
I'espionnage économique. Elle a été fondée en 1944 par Roger
Vybot, ancien directeur du contre-espionnage au BCRA (Bureau
central de renseignement et d'action) de la France Libre à Londres,
à la demande de Pellabon, ministre de I'lntérieur. Depuis les an-
nées 1970, elle a ajouté à ses activités celles du contre-terrorisme
qui est aujourd'hui un service important. Elle a son siège I l, rue des
Saussaie à Paris.

32. En 1988, un rapport du professeur Tite, confirmait qu'à la


suite d'une datation au carbone 14 le Saint Suaire de Tirrin était un
linceul remonranr au XIV'siècle, donc un faux. Comme le signa-
lait d'ailleurs une lettre d'un pape avignonnais stipulant que cela
avait été fait pour attirer les pèlerins... et I'argent qui va avec. La
toile de lin utilisée par les juifs lors de l'embaumement des défunts
était teinte, puis tressée et non l'inverse comme cela fut révélé. Mal-
gré une datation réalisée par trois laboratoires indépendants, d'au-
tres expertises ont mis en doute la méthode utilisée pour la datation
et le fait que cette dernière aurait porté sur une pièce de tissus ra-
joutée au Moyen-Âge et non sur le lin originel du suaire. Il s'en est
suivi une controverse scientifique qui ne fait pas douter la grande
majorité de la communauté scientiÊque, d'autant plus qu'une
équipe de chercheurs de Marseifle, âutour du Docteur Jacques di
Constanzo, a montré comment réaliser un faux parfait en passant

278
NOTES

avec succès de nombreux tests. Signdons qu'il n'existe pas moins


d'une trentaine de suaires dans le panthéon catholique, tous plus
âuthentiques les uns que les autres.
33. Michael Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln, L'Enigme
Pygmalion éditeur (1983 pour l'édition française).
Sac'rée,

34. Priscillien, riche espagnol, laïc cultivé, élu évêque d'Avila, fut
avec ses amis décapité en 387 par I'Eglise catholique, accusé de ma-
nichéisme et de sorcellerie. Sa volonté de réforme s'était répandue
non seulement en Espagne mais aussi en France et jusqu'en ltalie.
Le priscillianisme est, à l'origine, un ascétisme égyptien.
35. laurence Gardner, La descendance de Marie-Madrleine,Guy
Tédaniel éditeur.
36. Guy Racher, La Bibb, mlthet et réalités. La Bibh et l'Histoire
d'Israë|, Le Rocher.
37. Ibid.
38. Le Codex Sinaiticus aurait été retranscrit par plusieurs
scribes, trois au minimum, trà cerminement à Alexandrie ou Cé-
sarée et a été corrigé au cours des siècles. C'est l'une des premières
compilations intéressantes qui est malheureusement dispersée à
Londres, au Monastère de Sainte-Catherine, à la Bibliothèque Na-
tionale Russe et à Leipzig. Signalons qu il existe un autre Codex, le
Syriacus, écrit en syriaque qui regroupe des évangiles du IV" siècle.
39. Jean Doresse, Les Liares Secrets dz l'Égypte, Petite Bibliothèque
Payot.
40. Déodat Roché, LÉglise Rornaine et les Cathares Albigeols, Cer-
cassonne, 1957 ; réédité en lg6g,Imprimerie Gabelle à Carcas-
sonne, par la Société d'Études et du Souvenir Cathare.
41. Le Vatican ruis à nu, op. cit.
42. Authentique.
43. Le Monde du l1 juillet 2007 : « Vatican: seule I'Église ca-
rholique possède la vérité du christianisme ,.
44. LEsculapium était situé à I'emplaceme1t de la Porte des Bre-
bis. Des archéologues, dans les années 60, oht découvert ses fon-
dations sur I'emplacement où avait été érigée l'Église byzantine sur
des lieux dédiés à des cultes païens. John Romer, Testament - Tbe
Bible and History,Michael O'Mara Books, 1988; La Biblc et I'Hit-
toirc,Yernal-Lebaud éditeurs, 1990, et [æs Éditions du Félin, 1994.

279
LOGGI.A SECRE'|UM

45. Le KGB (Comité de sécurité de l'État) est le nom des an-


ciens services secrets de I'URSS devenus aujourd'hui pour la Rus-
sie, le FSB (Service Ëdéral de Sécurité).
46. Les pointus sont I'appellation marseillaise de barques bien
caractérisriques de pêcheurs que I'on trouve dans tout le bassin mé-
diterranéen. Elles sont appelées n catalanes , de Sète à Barcelone et
naviguaient jadis sous voiles latines.
47. Gérard, de Sède, Rennes-le-Château, le d-ossier, les impostures,
les phantasmes, Robert Laffonr, 1988.
48. Franck Marie, Le Serpent Rouge: réédition et preuues, Bagneux,
SRES, u Vérités anciennes 1979.
",
49. Sur Marie-Madeleine en Provence et les Saintes-Maries, voir
les écrits d'un sulpicien, I'Abbé Faillon, Monuments inédits sur l'apos-
tolat de Marie-Madeleine et sur les autres apôtles de cette contrée, saint
L*zare, saint Maximin, sainte Marthe et les saintes Jacobé et Salomé,
Paris, 1848. Sur la biographie de Marie-Madeleine et de Marrhe, on
fait toujours référence aux écrits du IX' siècle de l'évêque de
Mayence, Raban Maur qui s'est instruit de documents écrits re-
monranr au V" siècle.
50. Charles Lenthéric, Les Villes mortes du Golfe de Lyon, éditions
Jean de Bonnot.
51. Anastase, évêque d'Alexandrie, avait écrit en 367 à tous les
moines égyptiens de brûler tous les textes plus ou moins secrets de
leur bibliothèque, y compris le n Livre Secret de Jean » ainsi que
n LÉvangile de Vérité » qui avait irrité au plus au point Irénée,
évêque de Lyon. Il semble qu'un moine du monastère de Saint-Pa-
côme ait pu sauver de la bibliorhèque quatre-vingt-six écrits, sou-
vent inconnus de Rome, qu'il enterra dans une colline après les
avoir mis dans une grande.iarre de terre. Ce sont ces manuscrits qui
ont été trouvés I 600 ans après, aux environs de Nag-Hammadi,
par un paysan égyptien.
52. Christian Doumergue, Marie-Madeleine, k Reine oubliée,
Nîmes, Lacour-Rediva éditeur. À [re également du même auteur,
chez le même éditeur L'Éuangilz Interdit.
53. André Dupont-Sommer: o les horoscopes de Qumrân ne sont
pas à considérer comme des exercices plus ou moins extravagants,
mais comme de spécimens extrêmement significatifs d'une science
très soigneusement élaborée » in Cahier d Étulzs Catbares, été 1967.

280
NOTES

54. Né en 1842 dans I'Allier, Jules Doinel fut conservateur des


archives de l'Aude. Initié au Grand Orient de France en 1884, maî-
tre en 1886, il s'éloigna de la Franc-Maçonnerie qu'il combattit. Il
intégra l'Église Gnostique et fonda avec le chanoine Rocca n l'Église
Gnostique Universelle, en 1890 dont il devint pariarche sous le
nom de Valentin II.
55. Pierre Belperron, La croisade contre les Catbares et le ratta-
cbcment du Languedoc à h France. 1209-1249, Paris, Plon, 1942.
56. Læ terme Provence dont on parle à cette époque s'employait
pour un territoire, beaucoup plus vaste, que celui couvrant l'appel-
lation d'au.iourd'hui. C'est tout ce pays que les troubadours appe-
Ièrent plus tard (au XII" siècle) « Protnnso r, qui s'étendait en gros
sur la o Narbonnaise , les terres du comte de Toulouse, et plus, al-
lant de I'actuel Var aux marches d'Aquitaine et en fudèche.
57,Les plus importantes implantations juives, dans le sud de
l'hexagone, darenr de la Ên du IV'et du V'siècles, notamment en
Arles, Agde, Marseille, Narbonne, Valence, Vienne, Uzes... Par la
suite, Charlemagne Êt venir des juifs d'Espagne dans le sillage de
I'inventeur de l'école, le rabbin Kalonyme de Lucques.
58. Elèves Officiers de Réserve.
!ÿ. Et les ténèbres ne l'ont pas comprise ». Dernière phrase de
«
l'Évangile selon Jean. En Maçonnerie: o Ne pas dévoiler aux pro-
fanes ce qu'ils ne peuvent comprendre ,.
60. Alcool éthylique que les alchimistes appellent « recti6é », ré-
sultant de la redistillarion de I'alcool dans lequel sont dissoutes des
huiles essentielles.
61. É,ric Frattini, Histoire des Seruices Seoets du Vatican, éditions
Flammarion.
62. Enqclopedia Britannica.
63. Déodat Roché, Etudcs Manicbéennes et Catbares, Arques, édi-
tions des Cahiers d'Études Cathares, 1952.
64. Graham Hancock, Lbmpreinte dzs Dieux, Paris, Pygmalion,
Gérard §ÿ'atelet éditeur, I996.
65. Le Mondc du 28 février 2007 .

66. Les Ebonites, issus de la première communâuté chrétienne de


Jérusalem, étaient des judéo-chrétiens qui refusaient de voir en Jésus
le Êls de Dieu.

28r
LOGGIA SECRE'I'UM

67.t-e Coran: Sourate I l, verset 57.


68. Robert Ambelain,./y'sus ou le mortel secret dts Tàmpliers, Ro-
bert Laffont, « Les énigmes de I'Univers ,.
69. Évangile de Luc: XIII, 49.
70. Marc: XV, 28 et Luc: XXLL 37 .

71. Marie-Antoinette Mulot, Les Secrets d'une herborisrr, Paris,


éditions du Dauphin, 2005.
72. Jésus ou lz mortel seoet dzs Tèmpliers, op. cit.
73.Ibid.
74. Ces deux noms et leur filiation ont été révélés par Georges
Kiess dans son ouvrage Rennes-le-Château et bs Tàmpliers, C.E.R.T.,
8.P.42, Espéraza.
75. Certains auteurs nomment les guerriers mystiques de cette
secte les n Assassins,, valeureux dans le combat au mépris de leur
propre mort, d'autres les « Assâs », partisans du vrai fondement de
la loi religieuse. Certains écrits, comme ceux de Marco Polo, en
font des n Haschichin ,, ou fumeur de hashish, l'usage de cette
plante étant très répandue dans toute cetre parrie de l'Orient.
76. Amin Maalouf, Samarcandz, Paris, éditions J. C. [.amès.
77. Déodar Roché, Ismaéliens et Catbares, Cahiers d'Érudes Ca-
thares no 48, hiver 1970-71.
78. Alain Degris, Ésotérisme Tèmplier, Guy Tiédaniel éditeur,
r 998.
79. Épectase désigne le décès pendant l'orgasme.
(80) Near Death Experience.
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