Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
lo gie
Bio
Fabrice Requier✿ ✻
des abeilles
Violette Le Féon✿
Biologie
utilisés pour la nidification chez les
abeilles. (a) Bourgade d’abeilles de la
famille des Halictidae établie sur un bord
de parking peu végétalisé © Violette Le Féon;
(a) (b) Andrena agilissima (famille des Andre-
nidae), une espèce terricole © Géraud de
Premorel; (c) Site de nidification d’abeilles
(e) de la famille des Halictidae © Violette Le
Féon; (d) Site de nidification dans un tas
de bois mort © Violette Le Féon; (e) Site de
nidification dans une tige sèche de ronce
© Violette Le Féon; (f) Osmie (Osmia sp.,
(f) famille des Megachilidae) à l’entrée de son
nid dans les joints d’un mur de pierres
© Axelle Degueurce; (g) Osmie (Osmia bico-
lor, famille des Megachilidae) à l’entrée de
son nid dans une coquille vide d’escargot
© Géraud de Premorel
lesquels les grains de pollen se fixent effi- Différents niveaux de socialité nies sont formées de quelques dizaines
cacement et se nourrissent de nectar et Certaines espèces sont sociales, telles d’individus (pour un total généralement
de pollen. Ce sont des insectes thermo- que l’abeille mellifère et les bourdons inférieur à 100), sauf chez Bombus
philes et héliophiles, typiquement asso- (genre Bombus) dans la famille des terrestris, espèce qui peut constituer
ciés aux milieux chauds et secs, ouverts, Apidae ou certaines espèces de la famille des colonies de plus de 300 individus
riches en fleurs (Fig. 2). Les abeilles par- des Halictidae. Ces espèces vivent au (Edwards & Jenner 2005).
tagent aussi le même type de comporte- sein d’une colonie, où les tâches sont Si elles regroupent les espèces les mieux
ment de vol, que nous présentons dans partagées entre les individus suivant connues du grand public, et également
cet article. Enfin, les abeilles possèdent un comportement coopératif. Ainsi, la des scientifiques (l’abeille mellifère
cette caractéristique d’être difficiles à reine est responsable de la ponte des et les bourdons), les espèces sociales
identifier et largement méconnues quant œufs. Les ouvrières s’occupent à la fois ne représentent que 6 % des espèces
à leur écologie, même en Europe (Nieto et de l’élevage des larves et de l’approvi- d’abeilles à l’échelle mondiale (Danforth
al. 2014, Michez & Rasmont 2015). Si les sionnement de la colonie en nourriture. 2007). Les abeilles sont donc majori-
abeilles possèdent donc plusieurs points Ce comportement coopératif fascine tant tairement solitaires : chaque femelle
communs, le groupe se distingue aussi il est évolué, constituant l’apogée de la construit son propre nid pour y pondre
par une grande diversité de morphologies socialité chez les insectes - l’eusocia- des œufs et les approvisionner en nour-
(Fig. 1) et de modes de vie. lité - aussi présent chez les fourmis, les riture. Les espèces solitaires sont parfois
guêpes et les termites. grégaires, c’est-à-dire que de nombreux
Les colonies d’abeilles mellifères pré- individus partagent un même site de
sentent la particularité de survivre à nidification, appelé bourgade (Fig. 3).
l’hiver, elles sont dites pérennes. Les
colonies des autres espèces sociales Différents comportements
(Bombus et Halictidae) sont dites de nidification
annuelles, seules les reines fécondées Les abeilles ont également des compor-
passent l’hiver, pas les ouvrières. Chez tements diversifiés en ce qui concerne
l’abeille mellifère, la reine peut vivre les habitats et les matériaux utilisés
plusieurs années. C'est aussi le cas chez pour la nidification (Fig. 3). La majorité
certaines espèces sociales d'abeilles sau- des espèces sont terricoles c’est-à-dire
vages (certaines espèces du genre Lasio- qu’elles creusent leur nid dans le sol.
glossum par exemple), mais la reine vit Certaines espèces, dites cavicoles, uti-
le plus souvent un an chez ces espèces. lisent des cavités telles que les tiges
Enfin, l’abeille mellifère se distingue creuses, les trous dans le bois mort, ou
par la taille de la colonie allant jusqu’à même les coquilles d’escargot vides. Cer-
60 000 individus adultes (Requier et taines espèces cavicoles, en particulier
al. 2016). Chez les bourdons, les colo- dans la famille des Megachilidae, gar-
nissent leur nid de matériaux rapportés
Figure 2 : Prairie naturelle riche en de l’extérieur, par exemple des morceaux
fleurs, un des habitats de prédilection de feuilles chez plusieurs espèces du
des abeilles sauvages. ©Violette Le Féon genre Megachile et même des morceaux
Figure 4 : Interaction hôte-parasite chez les abeilles. Ici, une espèce parasite du
genre Nomada (Nomada baccata, en haut à gauche) tente de s’introduire dans le nid
« Central-place
souterrain d’une andrène (Andrena barbilabris, en bas à droite) pour y pondre ses œufs. foraging »
Les larves de la nomada se nourriront des réserves de pollen stockées par l’andrène pour
ses propres larves. © David Genoud
et comportements
de vol
de pétales de fleurs de Lotier corniculé en protéines, minéraux, vitamines indis- Qu’elles soient sociales ou solitaires,
chez Megachile leachella « Curtis », des pensables pour la croissance des larves terricoles ou cavicoles, polylectiques
poils végétaux récoltés par exemple sur en particulier. Cette composition de ou oligolectiques, un point commun
l’Achillée millefeuille chez Anthidium l’alimentation est un trait commun entre rallie toutes les abeilles non-parasites3 :
manicatum ou de la résine et du sable toutes les espèces d’abeilles. Cependant, le « central-place foraging », qui peut
chez Megachile ericetorum (Falk 2015). il existe une grande variabilité en ce qui être traduit schématiquement comme «
Environ 20 % des abeilles dans le monde concerne la spécialisation des espèces. le butinage autour d’un point central ».
(Danforth 2007) ne construisent pas de Les espèces capables de prélever du Ce comportement consiste en une suc-
nid mais adoptent un autre comporte- pollen sur diverses familles de plantes cession d’allers-retours entre le nid - le
ment de nidification, suivant une inte- sont dites polylectiques. Les espèces ne point central - et les ressources environ-
raction hôte-parasite ! Chez ces espèces se nourrissant que d’une seule famille nementales autour du nid (Fig. 6). Ces
appelées « abeilles coucous » pour leur ou genre de plantes sont appelées oli- déplacements peuvent être dédiés à l’ap-
comportement semblable à celui du golectiques (Fig. 5). La spécialisation provisionnement du nid en nourriture,
coucou (l’oiseau Cuculus canorus), les de certaines espèces d’abeilles pour avec des allers-retours entre le nid et les
femelles pondent leurs œufs dans le nid un nombre réduit de plantes repose en zones fleuries, ou à la confection du nid,
d’une autre espèce d’abeille - l’hôte - et partie sur des critères morphologiques avec des allers-retours entre le nid et les
les larves se nourrissent des réserves de la fleur et de l’espèce d’abeille2, ainsi ressources en matériaux de construction
accumulées par l’espèce hôte (Fig. 4). que sur des caractéristiques phénolo- évoqués plus haut. La capacité de vol
giques (périodes de vol des abeilles et des abeilles constitue le facteur limi-
Diversité alimentaire périodes de floraison des plantes). tant majeur dans le central-place fora-
L’alimentation des abeilles se com- Du fait de ces comportements alimen- ging. Elle détermine la distance jusqu’à
pose de nectar et de pollen en prove- taires diversifiés, de façon générale, laquelle l’abeille peut aller chercher les
nance des fleurs (et dans de plus rares plus le nombre d’espèces végétales est ressources qu’elle rapporte au nid.
cas d’huiles florales et de miellats). Le grand dans un milieu donné, plus il est
nectar est un combustible énergétique susceptible d’accueillir un grand nombre Influence biologique intrinsèque
alors que le pollen constitue la ressource d’espèces d’abeilles (voir par exemple La capacité de vol des abeilles est influen-
cée par leur taille (Greenleaf et al. 2007),
les grandes espèces étant capables de
2.
Parmi les Apoidea, les représentants de quatre familles - Colletidae, Andrenidae, Halictidae et Mellitidae - possèdent généralement une langue (ou glosse)
courte, tandis que les abeilles des deux autres familles - Megachilidae et Apidae - sont pourvues d’une langue bien développée, pointue et souvent très
longue. Schématiquement, la configuration de la langue permet l’accès, ou non, aux ressources présentes dans les fleurs à corolle profonde.
3.
Les abeilles parasites ne récoltent pas de nourriture pour leur progéniture. Elles butinent uniquement pour satisfaire leurs propres besoins. En conséquent,
elles ne peuvent pas être considérées comme « central-place foragers ».
Biologie
prospecter plus loin que les plus petites des études est dédiée à l’étude du com-
(Fig. 6). L’augmentation de la capacité portement de vol de l’abeille mellifère. Les capacités de vol des abeilles déter-
de vol avec la taille n’est cependant pas Chez cette espèce, la pluie constitue une minent leur utilisation de l’espace et
linéaire. Ainsi, Greenleaf et al. (2007) contrainte majeure, réduisant à zéro son donc leur capacité d’approvisionnement.
ont montré que les espèces de grande activité de vol. L’intensité lumineuse, La distance séparant le nid de la res-
taille ont des distances de vol dispro- liée à l’épaisseur du couvert nuageux, source, la taille et le type de socialité
portionnées par rapport aux abeilles de influence également l’activité de vol car de l’espèce, la qualité nutritionnelle
petite taille. De plus, d’autres études l’abeille mellifère utilise la position du de la ressource et les caractéristiques
ont montré que la capacité de vol des soleil comme un point de repère pour environnementales (conditions météo-
abeilles n’est pas indépendante de leur s’orienter dans l’environnement. La tem- rologiques et structure du paysage)
appartenance à une famille ou à un com- pérature ambiante constitue une troi- sont autant de variables qui influencent
portement social. Les abeilles sociales de sième contrainte météorologique car l’espérance de vie d’une population
la famille des Apidae - l’abeille mellifère l’abeille mellifère a besoin de maintenir d’abeilles dans un paysage (voir par
et les bourdons - disposent globalement sa température corporelle autour de 31 - exemple Williams & Kremen 2007 et
des mêmes capacités de vol, de l’ordre 32°C. En dessous de 12°C, l’abeille mel- Coudrain et al. 2016). Cependant, les
de 500 mètres à plusieurs kilomètres lifère ne vole pas (Danka et al. 2006). connaissances sur les capacités de vol
(Steffan-Dewenter & Kuhn 2003, Kraus et Entre 13 et 23°C, l’activité de vol aug- et l’occupation de l’espace sont réduites
al. 2009, Couvillon et al. 2014). Pour les
abeilles solitaires, les distances parcou- Figure 6 : Représentation schématique du comportement de « central place fora-
rues sont plus faibles, de l’ordre de 150 ging » chez les abeilles. Le paysage comporte des sites de butinage (ressources flo-
à 600 mètres (Gathmann & Tscharntke rales) et des sites fournissant des matériaux de nidification (pour les espèces concernées,
en particulier celles de la famille des Megachilidae). L’espèce 1 possède des capacités de
2002), sauf pour les espèces de très
vol plus limitées que l’espèce 2, son aire d’approvisionnement est donc plus petite.
grande taille telle que les xylocopes -
Xylocopa sp. (Pasquet et al. 2008).
Influence paysagère
Outre les caractéristiques biologiques
des abeilles, les conditions environ-
nementales ont également une grande
influence sur leur activité de vol. Les
éléments physiques structurant le pay-
sage influencent la capacité de dépla-
cement des abeilles. L’abeille mellifère
mémorise l’emplacement géographique
des éléments du paysage pour s’orienter,
en association avec la position du soleil
dans le ciel. Arbres isolés, bosquets, Nid
haies ou tout autre élément physique
Site de butinage (ressources florales)
sont utilisés pour s’orienter. Cependant,
certains éléments peuvent constituer des Matériaux pour la nidification
barrières physiques infranchissables. Des
Vol de butinage
études ont ainsi pu mettre en évidence
Vol d’approvisionnement en matériaux pour la nudification
que les abeilles n’étaient pas capables
de traverser un lac, une forêt ou même
Aire d’approvisionnement
un bosquet, si la dimension de ceux-ci
est trop importante (Pahl et al. 2011). La
présence de surfaces boisées ne limite pas mente de façon linéaire avec la tempéra- à une poignée d’espèces, ceci résultant
forcément le déplacement des bourdons. ture. Au-delà de 23°C, les fortes chaleurs de la complexité technique de suivre
Kreyer et al. (2004) ont en effet montré auraient tendance à inhiber l’activité de tels insectes dans l’environnement.
que la présence d’un bois de 600 m de de vol (Cooper & Schaffer 1985). Les Seul le radar harmonique permet de
long entre le nid et des cultures entomo- bourdons sont connus pour être plus retracer le parcours des abeilles dans
philes (tournesol et phacélie) n’empêche résistants et peuvent faire face à des l’environnement (Capaldi et al. 2000).
pas l’exploitation de ces cultures par les conditions climatiques plus rudes que Cette technique implique d’équiper les
ouvrières de Bombus pascuorum. et de les abeilles solitaires et l’abeille mel- abeilles avec une micro-antenne réflec-
B. terrestris. lifère. Chaque espèce d’abeille possède- trice chargée de renvoyer le signal dif-
rait ainsi une tolérance spécifique aux fusé par un émetteur-récepteur au sol.
Influence météorologique températures et en dehors d’un certain Cet outil relativement volumineux ne
Enfin, les conditions météorologiques intervalle le coût énergétique nécessaire peut être utilisé que pour les espèces de
influencent également l’activité de vol au maintien de la température corporelle grandes tailles (abeille mellifère, bour-
des abeilles. La très grande majorité ne peut être supporté (Stone 1994). dons et xylocopes par exemple). Pour les