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Séance 3 : Les différents points de vue

Dans un texte, il faut différencier le narrateur et le point de vue adopté par celui-ci :

 Le narrateur est celui qui raconte l’histoire. Il ne faut pas le confondre avec l’auteur du
récit (la personne réelle qui a écrit le texte) ni avec les personnages. En effet, le narrateur
n’est pas forcément un personnage du récit qui joue un rôle dans l'histoire, il peut-être un
narrateur-témoin qui rapporte ce qu'il a vu, entendu ou ce qu'on lui a raconté.

 Le point de vue est le choix que fait le narrateur pour raconter son histoire: il choisit un
angle de vue, un regard à travers lequel les personnages, les lieux, les événements seront
vus. ( point de vue ici ne signifie pas opinion!)

* Il existe trois points de vue :

1) Le point de vue omniscient : Le narrateur voit tout et sait tout sur l'histoire et sur tous
les personnages : leur vie, leurs pensées, leur passé, leur futur etc... Le récit est à la 3e personne.

2) Le point de vue interne : Le narrateur choisit de raconter l’histoire à travers le regard


d’un personnage. Il est alors « dans la tête » de ce personnage et décrit ce qu'il pense et ce qu'il voit.
Le lecteur est donc amené à adopter le point de vue de ce personnage.
Dans un récit à la première personne, le point de vue est nécessairement interne mais on trouve
également ce point de vue dans des récits à la 3e personne.

3) Le point de vue externe : le narrateur limite l’information à ce que pourrait voir un


témoin extérieur, comme une caméra : les événements, les personnages, les lieux sont vus de
l'extérieur. On ne connaît les personnages qu'à travers leurs actions et leurs paroles. Le narrateur ne
fournit au lecteur aucune information sur leurs pensées, leurs sentiments. Le récit est à la 3e
personne.
Exercices : Le point de vue narratif

Exercice 1 : Pour chacun des textes, dites à quelle personne le texte est écrit
puis dites quel est le point de vue utilisé : interne, externe ou omniscient.
Justifiez en relevant des mots ou des groupes de mots qui vous ont permis de
répondre.

TEXTE 1

En 1809, Mme Descoings, qui ne disait point son âge, avait soixante-cinq ans. Nommée
dans son temps la belle épicière, elle était une de ces femmes si rares que le temps respecte, et
devait à une excellente constitution le privilège de garder une beauté qui néanmoins ne soutenait
pas un examen sérieux.

TEXTE 2

A l’époque où commence ce récit, c’est à dire en 1756, j’avais quatorze ans. J’étais un
robuste et jeune Léonard plutôt trapu et rouquin quant à la couleur des cheveux. J’aimais à
marauder dans les champs et quand mon père me cherchait, la couleur de mes cheveux révélait ma
présence.
A Kerninon, la vie était sauvage, quelquefois féroce. La plupart des hommes vivaient de
lapêche ou pillaient les épaves. J’ai couché bien des nuits en mer sous la grand-voile repliée en
forme de tente. Je m’endormais bercé par la haute musique de la mer bretonne. Certaines nuits cela
miaulait si fort que mon père prêtait l’oreille : « Ecoute, écoute, Louis-Marie, Ecoute-les. Ils se
plaignent, ils gémissent. Ils veulent quelque chose, mais quoi ? »

Pierre Mac Orlan, Les Clients du bon chien jaune, 1946.

TEXTE 3

Quant à D’Artagnan, il se trouva lancé contre Jussac lui même. Le coeur du jeune gascon
battait à lui briser la poitrine, non pas de peur, Dieu merci ! l n’en avait pas l’ombre, mais
d’émulation ; il se battait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour de son adversaire,
changeant vingt fois ses gardes et son terrain. Jussac était, comme on le disait alors, friand de la
lame, et avait fort pratiqué
A Dumas, Les Trois Mousquetaires, 1844.…

TEXTE 4
Deux hommes parurent.
L’un venait de la bastille, l’autre du Jardin des Plantes. Le plus grand, vêtu de toile,
marchaitle chapeau en arrière, le gilet déboutonné, et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le
corps disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête sous une casquette à visière pointue.
Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s’assirent, en même temps, sur le banc
Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1881..

TEXTE 5

Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid
seraitmoins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche, à
deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant en plein air et comme
suspendus. D’abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se
chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s’enfonçait. Tout disparut. Il avait à droite une palissade, […], tandis qu’un
talus d’herbe s’élevait à gauche, surmonté d’une vision de village, aux toitures basses et uniformes.
Emile Zola, Germinal

Exercice 2 : Lisez cet extrait du « Horla », de Maupassant et


répondez aux questions

1) Quel est le point de vue utilisé dans ce texte ? Qui parle ?


2) « le Horla » est écrit sous la forme d'un journal intime. Pourquoi Maupassant a-t-il
fait ce choix ?

12 mai. – J’ai un peu de fièvre depuis quelques jours ; je me sens souffrant, ou plutôt je me sens
triste.D’où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre
bonheur et notre confiance en détresse ? On dirait que l’air, l’air invisible est plein
d’inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. Je
m’éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter dans la gorge. – Pourquoi ? – Je descends le
long de l’eau ; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur
m’attendait chez moi. – Pourquoi ? – Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes
nerfs et assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des
choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? Sait-on ? Tout ce qui nous
entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce
que nous touchons sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur
nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre cœur lui-même, des effets rapides, surprenants et
inexplicables.

16 mai- Je suis malade, décidément! Je me portais si bien le mois dernier ! J’ai la fièvre, une fièvre
atroce, ou plutôt un énervement fiévreux, qui rend mon âme aussi souffrante que mon corps. J’ai
sans cesse cette sensation affreuse d’un danger menaçant, cette appréhension d’un malheur qui vient
ou de la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l’atteinte d’un mal encore inconnu,
germant dans le sang et dans la chair.

18 mai- Je viens d’aller consulter mon médecin, car je ne pouvais plus dormir. Il m’a trouvé le pouls
rapide, l’œil dilaté, les nerfs vibrants, mais sans aucun symptôme alarmant.

25 mai. - Aucun changement! Mon état, vraiment, est bizarre. À mesure qu’approche le soir, une
inquiétude incompréhensible m’envahit, comme si la nuit cachait pour moi une menace terrible.
Correction

Exercice 1
TEXTE 1

En 1809, Mme Descoings, qui ne disait point son âge, avait soixante-cinq ans. Nommée
dans son temps la belle épicière, elle était une de ces femmes si rares que le temps respecte, et
devait à une excellente constitution le privilège de garder une beauté qui néanmoins ne soutenait
pas un examen sérieux.

-Texte à la 3ème personne du singulier « elle était une de ces femmes ».


-Le narrateur est donc extérieur au récit.
- Le narrateur connaît l’âge de Mme Descoings alors qu’elle le cache, connaît son passé (« dans son
temps »), et émet des jugements sur elle (« une beauté qui ne soutenait pas un examen sérieux ») =
Le narrateur est donc omniscient.

TEXTE 2

A l’époque où commence ce récit, c’est à dire en 1756, j’avais quatorze ans. J’étais un
robuste et jeune Léonard plutôt trapu et rouquin quant à la couleur des cheveux. J’aimais à
marauder dans les champs et quand mon père me cherchait, la couleur de mes cheveux révélait ma
présence.
A Kerninon, la vie était sauvage, quelquefois féroce. La plupart des hommes vivaient de la
pêche ou pillaient les épaves. J’ai couché bien des nuits en mer sous la grand-voile repliée en forme
de tente. Je m’endormais bercé par la haute musique de la mer bretonne. Certaines nuits cela
miaulait si fort que mon père prêtait l’oreille : « Ecoute, écoute, Louis-Marie, Ecoute-les. Ils se
plaignent, ils gémissent. Ils veulent quelque chose, mais quoi ? »
Pierre Mac Orlan, Les Clients du bon chien jaune, 1946.

-Texte à la 1ère personne du singulier « J'étais un robuste et jeune Léonard »


-Le narrateur est un personnage de l’histoire : il est intérieur au récit.
- Tout est vu à travers les yeux de louis-Marie. = le point de vue est Interne.
Remarque : Quand le narrateur est intérieur au récit, il ne peut y avoir qu’un seul point de vue : le
sien (point de vue interne).

TEXTE 3

Quant à D’Artagnan, il se trouva lancé contre Jussac lui même. Le coeur du jeune gascon
battait à lui briser la poitrine, non pas de peur, Dieu merci ! l n’en avait pas l’ombre, mais
d’émulation ; il se battait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour de son adversaire,
changeant vingt fois ses gardes et son terrain. Jussac était, comme on le disait alors, friand de la
lame, et avait fort pratiqué
A Dumas, Les Trois Mousquetaires, 1844.…

-Le texte est à la 3ème personne du singulier « il ». « il se trouva lancé contre Jussac »
-Le narrateur est donc extérieur au récit.

- Le narrateur connaît les sentiments et le caractère de tous les personnages : les sentiments de
Dartagnan (« son cœur battait ») et le caractère de Jussac (« friand de la lame ») = le point de vue
narratif est donc omniscient.

TEXTE 4
Deux hommes parurent.
L’un venait de la bastille, l’autre du Jardin des Plantes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait
le chapeau en arrière, le gilet déboutonné, et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le corps
disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête sous une casquette à visière pointue.
Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s’assirent, en même temps, sur le banc
Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1881..

-Le texte est à la 3ème personne.


-Le narrateur est donc extérieur au récit.
- L’identité des personnages est inconnue : « deux hommes ».
-Le narrateur ne décrit que l’aspect physique et les gestes des personnages dont il ne donne pas
l’identité. Il semble les découvrir en même temps que nous. On ne connaît pas les pensées ni
l’identité des personnages. = Le point de vue adopté est externe.

TEXTE 5

Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait
moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche, à deux
kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant en plein air et comme
suspendus. D’abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se
chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s’enfonçait. Tout disparut. Il avait à droite une palissade, […], tandis qu’un
talus d’herbe s’élevait à gauche, surmonté d’une vision de village, aux toitures basses et uniformes.
Emile Zola, Germinal

Le texte est à la 3ème personne du singulier « Il ».Exemple : « D’abord, il hésita, pris de crainte ».
Le narrateur est donc extérieur au récit.
- On voit tout à travers les yeux d’Etienne, on est dans sa tête, on ne voit que ce qu’il voit (« tout
disparut », on n’en sait pas plus que lui (que sont ces feux au loin ?) = Le point de vue est interne.
Exercice 2 :

1) 2) La nouvelle fantastique de Maupassant « Le Horla », se présente sous la forme d’un


journal intime, c’est-à-dire d’un texte dans lequel le narrateur dévoile ses pensées les plus
intimes et ses sentiments. Il se pose des questions personnelles et troublantes et l’utilisation de
la première personne invite le lecteur à se poser les mêmes questions.

L’utilisation du point de vue interne et de la première personne permet au lecteur de «


vivre» ce que ressent le narrateur. On parle alors d'identification ( je = narrateur = lecteur )
car le lecteur peut facilement se reconnaître dans ce que ressent le narrateur.

C’est un procédé fréquent dans les récits fantastiques car le lecteur s’identifie ainsi aux
doutes et aux angoisses du narrateur.
Séance 4 : La plongée dans le surnaturel

extrait 3

Je ne savais que penser de ce que je voyais ; mais ce qui me restait à voir était encore bien
plus extraordinaire. Un des portraits, le plus ancien de tous, celui d’un gros joufflu à barbe grise,
ressemblant, à s’y méprendre, à l’idée que je me suis faite du vieux sir John Falstaff, sortit, en
grimaçant, la tête de son cadre, et, après de grands efforts, ayant fait passer ses épaules et son ventre
rebondi entre les ais étroits de la bordure, sauta lourdement par terre. Il n’eut pas plutôt pris haleine,
qu’il tira de la poche de son pourpoint une clef d’une petitesse remarquable ; il souffla dedans pour
s’assurer si la forure était bien nette, et il l’appliqua à tous les cadres les uns après les autres.
Et tous les cadres s’élargirent de façon à laisser passer aisément les figures qu’ils
renfermaient. Petits abbés poupins, douairières sèches et jaunes, magistrats à l’air grave ensevelis
dans de grandes robes noires, petits-maîtres en bas de soie, en culotte de prunelle, la pointe de
l’épée en haut, tous ces personnages présentaient un spectacle si bizarre, que, malgré ma frayeur, je
ne pus m’empêcher de rire.

Ces dignes personnages s’assirent ; la cafetière sauta légèrement sur la table. Ils prirent le
café dans des tasses du Japon blanches et bleues, qui accoururent spontanément de dessus un
secrétaire, chacune d’elles munie d’un morceau de sucre et d’une petite cuiller d’argent.

Quand le café fut pris, tasses, cafetière et cuillers disparurent à la fois, et la conversation
commença, certes la plus curieuse que j’aie jamais ouïe, car aucun de ces étranges causeurs ne
regardait l’autre en parlant : ils avaient tous les yeux fixés sur la pendule. Je ne pouvais moi-même
en détourner mes regards et m’empêcher de suivre l’aiguille, qui marchait vers minuit à pas
imperceptibles.

Enfin, minuit sonna ; une voix, dont le timbre était exactement celui de la pendule, se fit entendre et
dit :

— Voici l’heure, il faut danser.

Toute l’assemblée se leva. Les fauteuils se reculèrent de leur propre mouvement ; alors, chaque
cavalier prit la main d’une dame, et la même voix dit :

— Allons, messieurs de l’orchestre, commencez !

J’ai oublié de dire que le sujet de la tapisserie était un concerto italien d’un côté, et de l’autre
une chasse au cerf où plusieurs valets donnaient du cor. Les piqueurs et les musiciens, qui, jusque-
là, n’avaient fait aucun geste, inclinèrent la tête en signe d’adhésion.

Le maestro leva sa baguette, et une harmonie vive et dansante s’élança des deux bouts de la
salle. On dansa d’abord le menuet. Mais les notes rapides de la partition exécutée par les musiciens
s’accordaient mal avec ces graves révérences : aussi chaque couple de danseurs, au bout de
quelques minutes, se mit à pirouetter, comme une toupie d’Allemagne. Les robes de soie des
femmes, froissées dans ce tourbillon dansant, rendaient des sons d’une nature particulière ; on aurait
dit le bruit d’ailes d’un vol de pigeons. Le vent qui s’engouffrait par-dessous les gonflait
prodigieusement, de sorte qu’elles avaient l’air de cloches en branle.
L’archet des virtuoses passait si rapidement sur les cordes, qu’il en jaillissait des étincelles
électriques. Les doigts des flûteurs se haussaient et se baissaient comme s’ils eussent été de vif-
argent ; les joues des piqueurs étaient enflées comme des ballons, et tout cela formait un déluge de
notes et de trilles si pressés et de gammes ascendantes et descendantes si entortillées, si
inconcevables, que les démons eux-mêmes n’auraient pu deux minutes suivre une pareille mesure.

Aussi, c’était pitié de voir tous les efforts de ces danseurs pour rattraper la cadence. Ils
sautaient, cabriolaient, faisaient des ronds de jambe, des jetés battus et des entrechats de trois pieds
de haut, tant que la sueur, leur coulant du front sur les yeux, leur emportait les mouches et le fard.
Mais ils avaient beau faire, l’orchestre les devançait toujours de trois ou quatre notes.

La pendule sonna une heure ; ils s’arrêtèrent. Je vis quelque chose qui m’était échappé : une
femme qui ne dansait pas. Elle était assise dans une bergère au coin de la cheminée, et ne paraissait
pas le moins du monde prendre part à ce qui se passait autour d’elle. Jamais, même en rêve, rien
d’aussi parfait ne s’était présenté à mes yeux ; une peau d’une blancheur éblouissante, des cheveux
d’un blond cendré, de longs cils et des prunelles bleues, si claires et si transparentes, que je voyais
son âme à travers aussi distinctement qu’un caillou au fond d’un ruisseau.

Et je sentis que, si jamais il m’arrivait d’aimer quelqu’un, ce serait elle. Je me précipitai hors
du lit, d’où jusque-là je n’avais pu bouger, et je me dirigeai vers elle, conduit par quelque chose qui
agissait en moi sans que je pusse m’en rendre compte ; et je me trouvai à ses genoux, une de ses
mains dans les miennes, causant avec elle comme si je l’eusse connue depuis vingt ans.

Mais, par un prodige bien étrange, tout en lui parlant, je marquais d’une oscillation de tête la
musique qui n’avait pas cessé de jouer ; et, quoique je fusse au comble du bonheur d’entretenir une
aussi belle personne, les pieds me brûlaient de danser avec elle. Cependant je n’osais lui en faire la
proposition. Il paraît qu’elle comprit ce que je voulais, car, levant vers le cadran de l’horloge la
main que je ne tenais pas :

— Quand l’aiguille sera là, nous verrons, mon cher Théodore.

Je ne sais comment cela se fit, je ne fus nullement surpris de m’entendre ainsi appeler par
mon nom, et nous continuâmes à causer. Enfin, l’heure indiquée sonna, la voix au timbre d’argent
vibra encore dans la chambre et dit :

— Angéla, vous pouvez danser avec monsieur, si cela vous fait plaisir, mais vous savez ce qui en
résultera.

— N’importe, répondit Angéla d’un ton boudeur.

Et elle passa son bras d’ivoire autour de mon cou.

— Prestissimo ! cria la voix.

Et nous commençâmes à valser. Le sein de la jeune fille touchait ma poitrine, sa joue


veloutée effleurait la mienne, et son haleine suave flottait sur ma bouche.

Jamais de la vie je n’avais éprouvé une pareille émotion ; mes nerfs tressaillaient comme des
ressorts d’acier, mon sang coulait dans mes artères en torrent de lave, et j’entendais battre mon cœur
comme une montre accrochée à mes oreilles. Pourtant cet état n’avait rien de pénible. J’étais inondé
d’une joie ineffable et j’aurais toujours voulu demeurer ainsi, et, chose remarquable, quoique
l’orchestre eût triplé de vitesse, nous n’avions besoin de faire aucun effort pour le suivre. Les
assistants, émerveillés de notre agilité, criaient bravo, et frappaient de toutes leurs forces dans leurs
mains, qui ne rendaient aucun son.

Angéla, qui jusqu’alors avait valsé avec une énergie et une justesse surprenantes, parut tout à
coup se fatiguer ; elle pesait sur mon épaule comme si les jambes lui eussent manqué ; ses petits
pieds, qui, une minute auparavant, effleuraient le plancher, ne s’en détachaient que lentement,
comme s’ils eussent été chargés d’une masse de plomb.

— Angéla, vous êtes lasse, lui dis-je, reposons-nous.

— Je le veux bien, répondit-elle en s’essuyant le front avec son mouchoir. Mais, pendant que nous
valsions, ils se sont tous assis ; il n’y a plus qu’un fauteuil, et nous sommes deux.

— Qu’est-ce que cela fait, mon bel ange ? Qu’est-ce que cela fait, mon bel ange ? Je vous prendrai
sur mes genoux.

Théophile Gautier, La Cafetière, 1831

Questions :

1) Quels sont les phénomènes surnaturels qui se manifestent dans le texte ?

2) La jeune femme que le narrateur rencontre est-elle un être humain ou un être


surnaturel ? Justifier votre réponse en relevant des éléments dans le texte.

3) Pourquoi peut-on parler de coup de foudre entre le narrateur et la jeune


femme ? Ce coup de foudre est-il lui aussi un phénomène surnaturel ? Justifiez
votre réponse.

4) Quel lien établissez-vous entre l'histoire du texte et l'image de Grandville, «


L'Apocalypse du ballet »

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