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La promesse Nastasia Hill

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Les
TERRES DISSIDENTES

Tome 3 – La promesse

Nastasia HILL
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© 2020 Nastasia HILL Tous droits réservés

Les personnages et les événements décrits dans ce livre sont


fictifs. Toute similarité avec des personnes réelles, vivantes ou
décédées, est une coïncidence et n'est pas délibérée par l'auteur.

ISBN : 9798563170940
Dépôt légal : Décembre 2020
Première édition : Décembre 2020

Crédits
Relecture et correction du texte :

@ Patricia Vautard
@ Olivier Poule
Chapitre 1

BOUM. BOUM. BOUM.

Je me précipitai dans la direction d’où provenaient les coups,


presque à bout de force.
— Venez m’aider ! Il y a quelqu’un ici ! criai-je en commençant à
déblayer les gravats à l’endroit où se trouvait la sortie de la Cité, des
heures auparavant.
Ian l’avait fait, il l’avait bombardée, détruite… Mon père n’avait
eu aucune pitié, aucune hésitation face aux gens qu’il savait encore
coincés à l’intérieur : en lançant son missile, il avait su qu’il briserait
des milliers de vies. Pourtant, cela ne l’avait pas retenu. Rien de ce
que nous avions pu faire ne l’avait empêché de mener son projet à
terme ; tous les sacrifices, toutes les personnes mortes pour tenter
de l’arrêter… Tout cela avait été vain. Ignorant mes pensées
sombres, je forçai sur mes bras fatigués, réussissant à bouger un
petit bloc de terre pour apercevoir un des battants de la porte qui
fermait la Cité.
BOUM. BOUM. BOUM.
De nouveaux coups résonnèrent, plus pressants cette fois-ci. Je
regardai à gauche et à droite, cherchant un moyen de soulever
l’énorme battant, au moins assez pour que les personnes coincées
en dessous s’extirpent. Je finis par faire signe aux membres du
groupe restés sur place pour nous aider à sortir les quelques
survivants des décombres ; ils étaient peu nombreux à être restés,
les autres étant déjà en route vers Cirath. Cela faisait des heures
que je m’acharnais, des heures que mes mains s’étaient mises à
saigner à force de creuser la terre, de déplacer des morceaux de
pierres. Le soleil était maintenant haut dans le ciel, il apportait la
chaleur étouffante dont je commençais à avoir l’habitude ; ses
rayons me brûlaient la peau, ma jambe me lançait, mais il était hors
de question que je m’arrête, pas avant d’avoir retrouvé Zach et ma
mère. Mes yeux picotèrent sous l’émotion, néanmoins aucune larme
n’en sortit : j’avais déjà trop pleuré, mes canaux lacrymaux étaient à
sec.
Je retirai de nouveaux bouts de roches de la porte tandis que
des hommes accouraient enfin dans ma direction. Nous déblayâmes
assez vite le reste des gravats, puis nous nous positionnâmes tous le
long du battant.
— PRÊT ? demanda un soldat à ma droite. SOULEVEZ !
Je mis mes dernières forces dans cet effort, quitte à me
déboiter les deux épaules. La porte se leva légèrement, juste assez
pour laisser une première personne se faufiler à l’extérieur, avant
que celui-ci n’en aide deux autres à s’extirper. Mon cœur battait la
chamade, comme à chaque fois que l’on retrouvait des survivants.
« Sahara ! Ils ne sont pas sortis à temps ! ». Les mots de
Maybelle m’avaient transpercé le cœur. Zach était allé chercher ma
mère dans la Cité parce que, comme d’habitude, j’avais été égoïste,
j’avais voulu sauver tout le monde et à cause de cela, ils n’étaient
pas remontés à temps. Mais ils n’étaient pas morts, j’en étais
persuadée ! Zach et ma mère étaient les personnes les plus
intelligentes que je connaissais, ils avaient forcément trouvé un
moyen de survivre.
Je ne pus m’empêcher d’être déçue lorsque les trois rescapés
qui sortirent des gravats m’étaient inconnus. Je ne perdis pas espoir
pour autant et continuai mes recherches, déblayant tout sur mon
passage, transformant mes mains en pelleteuse. Les minutes
défilèrent sans que je ne repère d’autres survivants.
« Ils sont forcément là, quelque part… » pensai-je en me
redressant, essuyant la sueur qui perlait sur mon front. L’angoisse
tenait mon estomac en étaux depuis l’explosion de ce matin,
refusant d’admettre ce qu’une partie de moi savait déjà. J’entendis
des pas s’approcher doucement et jetai un coup d’œil par-dessus
mon épaule pour apercevoir Maybelle, Wyatt, Gab ainsi que Clay se
diriger vers moi. Tous étaient blessés, épuisés, mais ils étaient restés
avec moi pour m’aider et sécuriser l’arrière de la colonie, jusqu’à ce
que nous la rattrapions. À mon grand étonnement, Ian ne nous
poursuivait pas, ne faisait pas pression sur nous. Wyatt estimait que
ses troupes se remettaient des pertes qu’elles avaient subies,
qu’elles se reposaient avant de lancer un nouvel assaut ; moi je
pensais plutôt que mon père préparait un mauvais coup. J’avais saisi
depuis un moment que Ian ne s’arrêterait pas avant d’avoir éradiqué
tous ceux qui s’étaient dressés contre lui, même son propre peuple.
Je n’oubliai pas non plus qu’il possédait deux missiles et qu’il
n’en avait lancé qu’un seul. Je serrai les poings ; jamais je ne
comprendrais pourquoi il avait fait tout cela, lui qui disait vouloir
fonder une paix stable et durable, un nouveau monde… Celui-ci
serait jonché de cadavres.
— Sahara, il va falloir que nous avancions… Nous avons déjà
assez pris de retard, la colonie commence à s’éloigner, m’apprit ma
meilleure amie en lorgnant mes mains blessées.
— Allez-y, je vous rejoindrai plus tard.
Je portai mes doigts à ma ceinture pour saisir une gourde et me
désaltérer avant de reprendre mes recherches, mais ils tombèrent
sur autre chose. Je fronçai les sourcils et baissai les yeux sur l’objet
dont j’avais oublié la présence. Mon souffle se bloqua dans ma gorge
lorsque je reconnus le couteau de Zach, celui qu’il m’avait confié
pendant notre repli du front Nord : j’avais omis de lui rendre avant
qu’il ne s’engouffre dans le tunnel, à la recherche de ma mère. Je le
fixai, immobile, silencieuse.
— Sahara.
La voix autoritaire de Wyatt me fit lever la tête vers lui. Ses
yeux bleus suintaient le chagrin, ses traits grisâtres montraient sa
fatigue. J’étais certaine que si Gab ne l’aidait pas à tenir debout, il
s’écroulerait au sol, béquille ou non.
— On ne peut pas rester plus longtemps, il faut que nous
rejoignions la colonie… et Cirath.
— Personne ne vous retient ici.
J’eus du mal à reconnaitre ma propre voix, elle était froide,
atone… brisée. Je savais bien au fond de moi qu’il fallait que je
parte, Ian se tenait peut-être tranquille pour l’instant, mais cette
accalmie ne durerait probablement pas. Je devais rejoindre la colonie
avant qu’il ne revienne à la charge… mais je n’arrivais pas à les
abandonner.
Je levai la tête en direction du flanc de la montagne : une
colonne de fumée continuait de s’élever, la suie qui s’en échappait
retombait sur nous, comme de la pluie noire et solide. Un trou béant
s’était formé à l’endroit où le missile avait frappé, de légères
détonations s’entendaient encore par moment. Du coin de l’œil, je
vis Maybelle s’approcher de moi, la mâchoire crispée, sa main
blessée ramenée contre sa poitrine. Je m’en voulus lorsque je pris
conscience que je ne l’avais pas soignée, jusqu’à ce qu’elle ouvre la
bouche.
— Arrête d’être aussi égoïste ! me balança-t-elle. Ne pense pas
qu’à toi, il faut que l’on parte d’ici ! Les habitants de la Cité, notre
peuple, a besoin de nous pour les guider !
Au départ, je la regardai, stupéfaite par ses mots que je trouvai
injustes : n’aurait-elle pas fait la même chose si cela avait été Cory
sous les décombres ? Une bouffée de colère déferla soudainement
sur moi, je m’approchai d’elle aussi vite que ma jambe me le
permettait et je la poussai si fort qu’elle tomba en arrière, ses fesses
servant d’amortisseur.
— Égoïste ? Moi ? répétai-je en postillonnant. C’est à cause de
toi et de ta petite vengeance personnelle que ma mère est
descendue te chercher ! Si tu étais revenue directement ici au lieu de
courir après Rafael, elle n’aurait pas eu besoin d’y aller, et Zach non
plus !
Bien que blessée, Maybelle ne perdit pas le nord : elle me fit
une balayette qui m’envoya à terre avant de ramper vers moi et de
me grimper dessus. Elle me saisit par le col à l’aide de sa main libre,
me soulevant jusqu’à ce que nos nez se touchent presque. Je fus
particulièrement étonnée de la force qu’elle avait, surtout après tout
ce que nous avions traversé.
— Je ne lui ai rien demandé, contrairement à toi ! C’est toi qui
as envoyé Zach la chercher ! Tu ne peux t’en prendre qu’à toi s’ils
sont morts tous les deux !
— ILS NE SONT PAS MORTS ! lui hurlai-je dessus en lui
attrapant le poignet pour tenter de la faire lâcher, sans succès.
J’essayai de lui envoyer un coup de boule, elle l’évita et se mit à
me secouer comme un prunier. J’aurais pu taper dans sa main
blessée, mais je ne m’abaissai pas à ça : elle devait avoir déjà assez
mal. Soudain, quelqu’un souleva Maybelle pour l’éloigner de moi. Je
me relevai difficilement, la respiration saccadée et me jetai de
nouveau sur elle, qui était dorénavant maintenue par Wyatt et Gab.
Des bras me ceinturèrent avant que je n’atteigne mon but.
— Bon sang Sahara, calme-toi ! m’ordonna Clay en resserrant sa
prise. Ne fais rien que tu puisses regretter !
Il me serrait assez fort pour me retenir, mais pas assez pour que
je me sente prisonnière. J’inspirai un grand coup pour reprendre mes
esprits en jetant une œillade noire à Maybelle qui me la rendit et fit
signe à Clay de me lâcher. May fut également libérée de ses
entraves.
— Bien, ça suffit ! tonna Wyatt. Ce n’est pas le moment de nous
diviser, nous devons rester soudés ! C’est notre force !
Je pinçai les lèvres avant de regarder Gab : elle fixait les
décombres de l’entrée du tunnel, les yeux mouillés de larmes. J’eus
l’impression de me recevoir un uppercut dans le diaphragme, et tout
à coup, je me sentis ridicule, comme une moins que rien. Je n’étais
pas la seule à souffrir et pourtant, je me comportais comme si c’était
le cas. Wyatt et Gab avaient également perdu un membre de leur
famille… Maybelle avait raison finalement, j’agissais en égoïste.
— Ils ne sont pas morts, répétai-je plus calmement en
regardant Gab.
Seul le silence me répondit. Je compris qu’ils avaient déjà
accepté l’inacceptable, ce qui n’était pas mon cas : ma mère et Zach
étaient vivants, il ne pouvait en être autrement.
— Écoute… reprit Wyatt en s’approchant de moi, avant que des
cris l’interrompent.
Nous nous tournâmes tous en direction de la femme qui
accourait vers nous. Tout le camp s’arrêta comme un seul homme,
attendant les nouvelles que l’éclaireuse nous apportait.
— Wyatt… commença-t-elle une fois à notre niveau, essoufflée
par sa course.
— Que se passe-t-il ?
— C’est Ian… Il ne repart pas à Atlom ! Ils sont en train de
monter un campement de base au front Nord, j’ai l’impression qu’ils
veulent le fortifier !
Wyatt jura avant de nous regarder, la mâchoire crispée. J’étais
persuadée que nous pensions tous à la même chose : Ian n’en avait
pas terminé avec nous.

Wyatt renvoya l’éclaireuse d’un mouvement de tête après l’avoir


remerciée. Nous gardions tous un silence prudent, même si les
nouvelles ne m’étonnaient pas plus que cela : Ian n’était pas un
homme qui renonçait facilement. Il avait beau avoir réussi son
objectif principal, c’est-à-dire détruire la Cité, il nous avait bien fait
comprendre à Zach et à moi qu’il voulait éradiquer mon peuple de la
Surface, reconstruire sur des bases saines ; or, des milliers de
personnes marchaient en direction de Cirath. Si je savais bien une
chose, c’était que Ian ne s’arrêterait pas tant qu’un seul des miens
serait encore vivant. Après tout, pour que la forêt repousse, il fallait
d’abord la brûler… Par réflexe, je me tournai pour chercher le regard
de Zach et serrai les poings.
— On n’a pas de temps à perdre, finit par dire Wyatt. Même si
Ruth n’est plus parmi nous, nous devons rejoindre son village au
plus vite… Ian est malin, il sait que ses hommes ont besoin de repos
avant de terminer le travail, il va falloir garder cette avance.
— Tu penses qu’il va aller à Cirath, qu’il va nous poursuivre
jusque là-bas ? demanda Gab en croisant les bras sur sa poitrine.
Ce fut Maybelle qui lui répondit.
— Sans aucun doute, mais ce qui m’inquiète, c’est que Ian
possède toujours un missile…
— C’est pourquoi nous devons rejoindre Cirath au plus vite,
l’annexer à nos troupes, former une alliance pour en finir une bonne
fois pour toutes avec la menace qu’il représente ! renchérit Wyatt
d’un ton las.
Je pinçai les lèvres ; dire que j’avais songé pendant un instant
que tout était finit avec la destruction de la Cité. Ma jambe me
faisait souffrir à rester debout ainsi, je la massai pour faire circuler le
sang en jetant un coup d’œil discret à ma meilleure amie : elle
mettait un point d’honneur à éviter mon regard, mais je savais que
cela ne durerait pas. Je n’avais jamais levé la main sur elle
auparavant, je me rendais compte que je n’aurais jamais dû faire
une telle chose, mais une partie de moi lui en avait voulu de tenir
ces propos. Une partie de moi que j’avais de plus en plus de mal à
reconnaître… Les événements de ces dernières semaines m’avaient
changée, et cela me faisait peur ; il ne fallait pas qu’en plus, je perde
les gens que j’aimais.
Gab se racla la gorge, nos regards se fixèrent sur elle.
— Comment savoir si Ian ne bombardera pas Cirath lorsque
nous serons tous réunis là-bas ?
— Je ne pense pas qu’il prendra le risque de déplacer son
arme… répondis-je avant que Clay m’interrompe.
— Tu ne penses pas, mais rien ne nous dit qu’il ne le fera pas !
C’est pour cela qu’une fois notre peuple à l’abri, nous irons à la
rencontre de Ian : l’attaque est la meilleure des défenses !
Tout le monde acquiesça, excepté moi. J’étais d’accord avec lui,
bien sûr, cependant personne n’avait évoqué le point le plus
important.
— Et que fait-on pour Zach et ma mère ? demandai-je en
observant le tunnel, maintenant écroulé.
Wyatt se passa une main sur le visage sans répondre, les autres
évitèrent soigneusement mon regard. Tout le monde, sauf une
personne. Comme un signal que j’étais la seule à ne pas entendre,
Wyatt et Gab s’éloignèrent ; Maybelle fixa Clay, les sourcils haussés.
Il hésita à nous laisser toutes les deux, je pouvais le comprendre
après notre semblant de bagarre, mais le regard insistant de May le
fit céder.
— Je ne serais pas loin, nous prévint-il en claudiquant dans la
même direction que Wyatt.
Un silence tendu s’installa entre nous, accompagné d’une
ambiance pesante. Je croisai les bras sur ma poitrine avant de
relever la tête pour fixer May. Un demi-sourire s’affichait sur ses
lèvres, bien consciente que cette situation était ridicule à souhait. Je
la regardai, les sourcils en forme de reliefs montagneux, attendant
qu’elle soit la première à prendre la parole.
— On ne peut pas rester plus longtemps ici, Sahara, finit-elle
par dire. Et on ne peut pas te laisser derrière nous, tu nous es trop
précieuse.
J’ouvris la bouche pour lui répondre, elle me stoppa en levant
une main.
— Sois réaliste… Tu ne peux pas déblayer la montagne toute
seule, tu dois venir avec nous ! Si Alice et Zach sont encore en vie…
— Ils le sont ! la coupai-je.
— Et bien tu ne penses pas que Zach, une fois sorti, pourrait se
diriger vers Cirath ? Ils connaissent notre destination, ils nous
rejoindront là-bas.
Je pinçai les lèvres ; par réflexe, ma main se posa sur le couteau
de Zach. Il y avait trop de points flous dans sa réflexion, mais
Maybelle n’avait pas tort : j’avais beau m’acharner à déplacer trois
rochers, ce que je faisais ne servait strictement à rien. Peut-être
avait-elle raison, peut-être que Zach avait trouvé un moyen de sortir
et que lui et ma mère étaient déjà en route pour Cirath… Je décidai
de me raccrocher à cette idée pour ne pas sombrer et prit une
décision que j’espérai ne pas regretter.
Je finis par hocher la tête dans sa direction.
— D’accord… d’accord… Allons-y, il faut rattraper notre retard
sur la colonie. Et (je regardai sa main, toujours maintenue contre sa
poitrine) je jetterai un œil à ta blessure.
— Ça peut attendre ce soir. Sahara ?
Nous venions de tourner les talons, nous éloignant des
décombres de la Cité sans un regard en arrière : si je le faisais,
j’avais peur de rester ici pour de bon à attendre qu’un miracle se
produise, m’enracinant dans la terre battue. Je tournai la tête vers
ma meilleure amie.
— Je suis désolée.
Je lui pris sa main intacte et la serrai dans la mienne. Maybelle
était comme ma sœur et à cet instant, c’était la personne en qui
j’avais le plus confiance, ma seule famille. Jusqu’à ce que ma mère
et Zach reviennent… Je n’avais plus qu’elle, je ne comptais pas la
perdre aussi.
— C’est moi qui suis désolée.
Chapitre 2

Après plus de trois heures de marche rythmée, notre groupe finit


enfin par rattraper l’arrière de la colonie. Les blessés ralentissaient
fortement sa progression à travers la forêt où proliférait une
végétation dense, ce qui nous avait permis de la rejoindre assez
rapidement, sans trop d’efforts. Je sentais que ma jambe, et mon
corps en général, commençait à fatiguer. Je tirai dans mes
ressources depuis plusieurs jours, ne mangeant et ne dormant que
par à coup, il était normal que j’en paie les conséquences à un
moment ou à un autre. Personne ne parlait, tous gardaient le peu de
force qu’il nous restait pour continuer à avancer, encore et encore.
Parfois, le long du sentier, nous enjambions un corps : certains
d’entre nous étaient trop faibles pour entreprendre un tel voyage,
d’autres abandonnaient, perdant simplement espoir. Je m’en voulais
de ne rien faire, de les laisser sur le côté, mais comme me le
répétait sans cesse mes amis, je ne pouvais pas sauver tout le
monde. Et tant pis si cela remettait un peu plus de poids sur ma
conscience déjà bien malmenée.
Des habitants avaient réussi à sortir avec des sacs, des affaires
et quelques provisions, même si je savais que nous n’en aurions
jamais assez pour tout le monde. Lorsque j’en avais parlé à Wyatt, il
m’avait assuré que l’eau ne serait pas un problème, il avait eu
raison : de nombreux cours d’eau, plus ou moins grands, se
trouvaient sur le chemin, les gourdes se remplissaient sans soucis.
En revanche, il avait été moins serein concernant la nourriture ; les
siens chasseraient en cours de route, mais il allait falloir rationner
jusqu’à l’arrivée au sein de Cirath, le village où Ruth nous avait offert
l’asile.
Cette dernière partie m’inquiétait également… Avec la mort de
Ruth, il était moins certain que les siens nous accueillent à bras
ouverts, mais j’avais envie d’y croire. Les membres des villages de
Wyatt et d’Anthéa qui avaient évacué avant l’assaut devaient
probablement déjà être installés là-bas, peut-être plaideraient-ils en
notre faveur. Je soupirai en secouant la tête ; il fallait que j’arrête de
m’inquiéter pour ça et que je me consacre plutôt au présent. Je levai
les yeux en direction de John, ce dernier se trouvait un peu plus
haut dans la colonne et d’ici, je pouvais le voir s’échiner à mener la
dizaine d’orphelins dont il s’occupait à travers les arbres, aidé
d’Ismaël et de quelques autres courageux.
« Oui… J’ai envie d’y croire », pensai-je une nouvelle fois. Les
oiseaux s’étaient remis à chanter sur notre passage, comme si la
forêt revivait après la furie que Ian avait déversée sur nous. Quand
je regardai autour de moi, je ne voyais que des gens qui avaient
perdu tout ce qu’ils possédaient : leur famille, leurs amis, leur foyer.
Je caressai le manche du couteau de Zach ; jamais je ne pardonnerai
à mon père ce qu’il avait fait et ce qu’il continuait à nous faire. Je
commençai seulement à comprendre ce que Maybelle ressentait,
cette colère, ce besoin de vengeance dans lequel elle avait sombré,
celui qui l’avait englouti peu à peu. Et maintenant, je regrettai les
paroles que j’avais eues envers elle, me rendant compte que je
l’avais jugée sans savoir ce qu’elle avait pu vivre et ce qu’elle vivait
encore.
Une racine me fit trébucher, seul le fait que Clay me rattrapa par
le bras m’empêcha de tomber face contre terre.
— Ça va ? Tu veux faire une pause ? me demanda-t-il en
scrutant mon visage.
Je secouai la tête en soupirant.
— Non, ça ira, je suis juste un peu fatiguée…
— Tu ne devrais pas forcer sur ta jambe.
— C’est plutôt à moi de te dire ça ! Je ne comprends pas
comment tu fais pour tenir encore debout.
Clay détourna les yeux, je crus même voir ses joues rougir.
Maybelle jeta un coup d’œil dans sa direction, un unique sourcil
dressé. Je les regardai chacun leur tour, avant de hausser les
épaules.
— Enfin bref, finis-je par dire, fait attention Clay, si tu continues
de forcer dessus, tu risques de perdre ta jambe.
— Ça ira pour moi, ne t’inquiète pas.
Clay me sourit avant de se concentrer sur le chemin, sous le
ricanement de Maybelle. Il se passait quelque chose entre eux deux,
j’en étais persuadée… Cependant, j’étais trop fatiguée pour y
réfléchir, sans compter qu’ils étaient assez grands pour régler ça
entre eux.
L’heure qui suivit fut particulièrement difficile : nous devions
grimper un plateau, le sentier était devenu de plus en plus raide,
tellement que j’en montai quelques mètres à quatre pattes, oubliant
toute forme de dignité. Je crus plus d’une fois que j’allais
abandonner, seuls les encouragements et l’aide de mes amis me
poussèrent à continuer d’avancer. Nous nous arrêtâmes seulement
quelques minutes pour remplir les gourdes avant de reprendre notre
chemin, épuisés mais déterminés. Des gardes de Pernrith, Pirn et
Cirath entouraient la colonie pour nous protéger d’éventuelles
attaques, d’animaux sauvages ou d’ennemis. Bien que peu
nombreux et fatigués par ces derniers jours, ils restaient sur le qui-
vive : nous ne savions pas ce qui était advenu des hommes de
Norbe après leur défaite, un second assaut n’était pas à exclure.
La lumière du soleil commençait à baisser pour laisser place à la
nuit et ce ne fut qu’au bout de quelques minutes que je me rendis
compte que la colonie ralentissait. Wyatt et Gab avaient accéléré le
rythme depuis un peu plus de trente minutes maintenant pour
remonter la foule et rejoindre le peu des leurs qui avaient survécu à
l’attaque, nous laissant à l’arrière. Des cris de joie s’entendirent
lorsqu’un enfant déboula vers un des gardes pour lui délivrer un
message. Ce dernier hocha la tête et une fois le coursier repartit en
sens inverse, il parla d’une voix forte.
— Anthéa a décidé de camper ici ! Que tout le monde s’installe
pour la nuit, nous repartirons demain aux premiers rayons de soleil !
Je soupirai de soulagement, jetant presque mon sac médical au
sol, rêvant du moment où je pourrai me reposer… même si j’avais
encore un peu de pain sur la planche avant de pouvoir grappiller
quelques heures de sommeil.

Je déambulai dans le campement de fortune que nous avions


monté à la va-vite, apportant mon aide à tous ceux qui en avaient
besoin. Je me rendais seulement compte que nous étions des
milliers, les réfugiés s’étendaient à perte de vue, même si nous
avions essayé de rester groupés pour passer la nuit. Je m’étais vite
aperçue, à mon grand soulagement, que quelques médecins et des
membres du personnel médical avaient réussi à sortir de la Cité à
temps : nous étions trop peu nombreux pour prodiguer des soins à
tout le monde, mais le travail pouvait être réparti. Au fur et à mesure
de mes vacations, je m’étais aperçue, non sans gêne, que beaucoup
de survivants venaient me remercier ; certains se déplaçaient
spontanément jusqu’à moi pour me tenir la main ou me serrer dans
leur bras.
Je pinçai les lèvres après qu’une mère me remercia de leur avoir
sauvé la vie, à elle et à son fils. Tous pensaient bien faire, mais cela
me faisait me sentir plus mal : ils avaient tous tort, ce n’était pas
grâce à moi qu’ils étaient encore parmi nous, c’était l’inverse, j’avais
provoqué tout ceci… Tous ces morts, toute cette catastrophe, c’était
moi qui l’avais déclenchée, alors je ne comprenais pas pourquoi on
venait me remercier. Je soupirai en décidant d’éviter d’y songer et
balayai les environs du regard, cherchant quelque chose, un blessé
qui pourrait me garder occupée un moment.
Les familles dormaient à même le sol, les unes contre les autres
pour se tenir chaud. La fraîcheur de la nuit en avait surpris plus d’un,
ils n’étaient pas encore habitués à de tels écarts de température.
Certains s’étaient calés contre les arbres centenaires, d’autres
avaient étendu des vêtements entre les branches ou les racines pour
avoir un semblant d’intimité. Je pouvais observer tout cela grâce aux
nombreux feux de camp allumés dès la nuit tombée. Un léger
brouhaha couvrait le campement, même si la plupart des personnes
s’étaient endormies, épuisées par la journée de marche. Seuls les
soldats montant la garde étaient aux aguets, prêts à parer la
moindre menace.
Mon regard s’arrêta sur des cheveux que j’aurais reconnus entre
mille : roux et bouclés, ces derniers se repéraient à des kilomètres.
Le cœur battant, je me dirigeai vers Mary, ma collègue infirmière. Je
ne l’avais pas revu depuis ma fuite, j’espérai de tout mon être
qu’Oliver, son fil et messager de la Cité, avait pu s’en sortir. Je fis
attention à mettre mes pieds dans le peu d’espace vide qu’il restait
au sol, entre les enchevêtrements de bras et de jambes, m’excusant
lorsque je marchai par inadvertance sur quelqu’un. Je finis par
arriver auprès de Mary après plusieurs minutes, mes yeux se
fermèrent de soulagement quand je remarquai Oliver, endormis dans
les bras de sa mère. Mary eut une expression de surprise au
moment où elle m’aperçut, avant de poser ses doigts sur ses lèvres
pour me faire signe de parler à voix basse.
— Comment allez-vous ? chuchotai-je en m’accroupissant à sa
hauteur.
— Moi ça va, mais Oliver s’est pris une balle dans le bras
pendant notre fuite… Je m’en suis occupée, ne t’inquiète pas.
Je me rapprochai un peu plus d’elle pour mieux l’entendre :
mon tympan droit ne fonctionnait presque plus, je ne pouvais
compter que sur mon oreille gauche. Je hochai la tête, sans
vraiment la regarder en face. Maybelle m’avait avoué plus tôt dans la
journée qu’ils avaient pris la décision de ne pas faire évacuer la
section médicale pour ne pas s’encombrer des blessés… Je
comprenais cette décision, cela ne m’empêcha pas d’être soulagée
que Mary et Oliver soient vivants.
— Est-ce qu’Elizabeth est sortie ? lui demandai-je en regardant
les alentours.
— Non, dit-elle en secouant la tête. Tu la connais… Elle est
restée avec les patients jusqu’à la fin. J’ai abandonné mon poste dès
qu’Oliver est venu me prévenir de ce qu’il se passait.
— Et tu as bien fait, la rassurai-je devant son air coupable. Nous
allons avoir besoin de personnel médical, ton aide sera la bienvenue.
Je me relevai difficilement, mes jambes étaient endolories,
courbaturées et ma cuisse commençait à me faire souffrir. Par
chance, les soignants qui avaient fui la section médicale avaient
emporté avec eux un nombre impressionnant de médicaments,
comme des antidouleurs et des antibiotiques ; je ne craignais donc
plus de mourir d’une infection, bien que nous devrions également
nous rationner.
J’allais m’éloigner lorsque Mary m’interpella.
— Sahara ?
— Oui ?
— Ta mère… ?
Mon cœur se serra, je me sentis blanchir.
— Je n’ai pas de nouvelle.
Mary ne prononça pas un mot de plus, tirant probablement ses
propres conclusions. Conclusions qui ne devaient pas être les mêmes
que les miennes…
— Reposez-vous bien tous les deux, la route est encore longue !
lui dis-je en tournant les talons, malheureusement pas assez vite
pour éviter d’entendre des paroles dont je me serais bien passée.
— Toi aussi… et merci.
J’accélérai pour qu’elle ne voie pas les larmes me monter aux
yeux. « Respire, Sahara, respire… », songeai-je en m’exhortant à
reprendre mon calme. Je marchai le plus discrètement possible à
travers le campement, faisant attention à ne pas réveiller les
nombreuses personnes endormies. Il allait falloir que je les imite si
je voulais réussir à tenir la journée de demain, je sentais le poids de
la fatigue sur mes épaules… Mais avant cela, je devais m’assurer que
quelqu’un tenait le coup. Je finis par la trouver après plusieurs
minutes de recherches, je souris lorsque je vis Andrew à ses côtés.

— Comment va-t-elle ? demandai-je au guérisseur, inspectant au


passage les bandages propres de Jahia.
— Elle s’accroche… Son état ne s’est pas dégradé malgré le
voyage, même si je ne remarque aucune amélioration.
Andrew passa une de ses mains sur son crâne dégarni,
sûrement soucieux pour Jahia.
— Elle n’a pas repris connaissance ?
— Non… Je commence à m’inquiéter Sahara : j’arrive à la faire
boire, mais en ce qui concerne la nourriture…
— Oui, je sais… Espérons qu’elle se réveille rapidement. En
attendant, fait lui avaler du bouillon de viande et (je sortis un flacon
d’antibiotique de ma poche) donne-lui deux cachets par jour, un
matin et un soir. Écrase-les et fais-lui boire ou trouve une autre
solution, mais elle doit impérativement les prendre, c’est compris ?
— Oui, bien sûr ! répondit Andrew en s’emparant du tube.
Je regardai une dernière fois Jahia, puis me levai pour rejoindre
mon lit de fortune. Jamais je n’aurais pensé être autant heureuse à
l’idée d’aller dormir, pourtant un sourire se colla sur mes lèvres
durant toute la traversée du camp… avant de partir aussi vite qu’il
était arrivé lorsque je vis John, Maybelle et Clay m’attendre autour
de notre feu, quelques lanières de viande séchées à la main.
Renonçant pour le moment à m’écrouler au sol pour me reposer,
je m’assis à côté de John, prenant la nourriture qu’il me tendait
avant de la mastiquer en silence. Mon estomac vide gronda de
satisfaction, le repas, même frugal, me fit le plus grand bien. La
chaleur des flammes me fouettait le visage, le crépitement du bois
était le seul son qui perçait la nuit autour de nous.
— Anthéa te cherchait, elle est venue nous voir tout à l’heure,
m’apprit Maybelle, me regardant à travers le feu orangé. Elle restera
à la tête de la colonie pour nous guider, elle voulait seulement te
prévenir qu’il faudra franchir un fleuve demain dans la journée.
Je relevai la tête.
— Personne ne sait nager… commençai-je à paniquer avant que
John me coupe.
— Il y a un passage, une sorte de pont naturel, de ce que j’ai
compris… dit-il en remontant ses lunettes. Anthéa souhaitait juste
nous informer qu’il y aura un ralentissement, le temps que tout le
monde traverse.
Je hochai la tête, rassurée. Je jetai un œil par-dessus John et
vis Ismaël ainsi que les enfants ; ils dormaient à poings fermés.
— Comment vont-ils ? lui demandai-je.
Il haussa les épaules, fatigué. Je n’oubliai pas que John aussi
manquait de force, après les épreuves que Rafael lui avait fait subir,
mais je savais qu’il avait une énorme force mentale ; il tiendrait le
coup.
— La plupart d’entre eux sont sous le choc, les autres ne se
rendent pas vraiment compte de ce qui est arrivé… Certains me
demandent quand leurs parents les rejoindront...
— Tu devrais leur dire que ça ne se produira pas.
Nous nous tournâmes tous vers Clay ; il avait conservé le silence
jusque-là, se contentant de fixer les flammes. John soupira.
— Je sais, mais je préfère attendre que notre situation soit plus
stable.
— Plus tôt tu leur diras, mieux ce sera. Ce n’est jamais bon de
garder un mensonge pour soi, la vérité éclate toujours. J’espère
qu’ils ne t’en voudront pas à ce moment-là, ajouta Clay avant de
s’allonger en nous tournant le dos, clôturant la conversation.
Je le fixai, la bouche légèrement entrouverte : je ne connaissais
pas ce côté philosophe de Clay. En secouant la tête, je me levai pour
m’assoir à côté de May.
— Montre-moi ta main.
Je regardai sa blessure, qui n’était pas vraiment jolie à voir. La
balle lui avait traversé la main de part en part, de légers signes
d’infection commençaient à se faire observer. Je lui donnais un
flacon d’antidouleurs et un d’antibiotiques, lui demandant de bien
gérer sa consommation : elle n’aurait droit qu’à ceux-là. Je lui refis
un bandage propre après lui avoir nettoyé la plaie et la fixai. Elle
n’avait pas lâché du regard le dos de Clay, le scrutant comme si elle
ne savait pas si elle devait le réconforter ou l’étouffer avec son sac.
Une fois les soins faits, elle me remercia avant de s’allonger, j’en
fis de même, me servant du bras de John comme oreiller. J’étais
exténuée, mon cœur me faisait souffrir à chaque fois que j’avais une
pensée pour Zach et ma mère… mais je gardai espoir : ils allaient
trouver un moyen de nous rejoindre à Cirath, j’en étais persuadée.
Il ne pouvait pas en être autrement.

Un craquement assourdissant me fit sursauter. J’eus tout juste le


temps d’écarquiller les yeux qu’une branche énorme s’écrasa au sol,
quelques mètres à côté de moi. Il y eut un mouvement de panique à
l’arrière de la colonie avant que le calme ne revînt, quand tout le
monde constata qu’il n’y avait aucun blessé et que ce n’était pas une
attaque. Je me détendis, essuyant par la même occasion la sueur qui
perlait de mon front ; malgré la protection des arbres, la chaleur
était étouffante, humide. L’après-midi commençait seulement, le
soleil tapait déjà fort lorsqu’il réussissait à percer la canopée, me
brûlant la peau. Je me remis à avancer, fermant la marche ; après
ma nuit de sommeil réparatrice, je me sentais revigorée. Nous
avions levé le camp à l’aube, dès que les premiers rayons de soleil
avaient éclairé le ciel pour parcourir un maximum de distance dans
la journée : le fleuve allait ralentir notre progression et d’après nos
provisions, nous n’aurions plus assez de vivres pour nourrir tout le
monde dès ce soir. Il était urgent d’arriver à Cirath et ça, le plus vite
possible…
Les chefs de villages avaient donné la consigne de cueillir toute
plante, racine ou écorce comestible qui avait la malchance de se
trouver sur notre trajet ; les chasseurs tentaient quant à eux de
traquer le peu de gibier qui ne fuyait pas sur notre passage. Wyatt et
Gab étaient venus nous saluer rapidement ce matin avant de
rejoindre une nouvelle fois les leurs, plus en avant dans la colonie.
J’avais eu un autre coup au cœur lorsque l’absence de Zach s’était
fait ressentir à cet instant : j’avais beau être entourée de mes amis,
je me sentais plus seule que jamais. Depuis que j’avais fui à la
Surface, Zach avait toujours été avec moi, son ombre ne m’avait
jamais quittée… Étrangement, en dehors d’elle, il n’y avait ni chaleur
ni lumière ; seulement le froid de la solitude.
J’étais tiraillée de toute part, je m’inquiétais pour ma mère,
Zach, son peuple, le mien… Je ne voulais pas y penser, pas être
pessimiste, mais sans lui à mes côtés, j’avais peur que les choses
changent et que son peuple finisse par tourner le dos aux miens.
Certains ne le remarquaient pas, mais de légères tensions étaient
déjà apparues durant le premier jour de voyage, la méfiance
subsistait : la Cité et Ceux de la Surface ne se mélangeaient pas. Ce
n’était pas forcément gênant pour le moment, cependant ça le serait
à terme. Il faudra travailler avec Anthéa et Wyatt sur une possible
collaboration par la suite, bien que cela me semblait un peu
utopique, surtout quand j’avais l’impression que plus nous
approchions de Cirath, plus les chefs de villages prenaient de la
distance… Entre ça et le fait que certains soldats de la milice
devaient se tenir parmi nous, ceux qui avaient réussi à se fondre
dans la masse en sortant de la Cité et qui faisaient planer une
menace sur notre avenir, je ne savais plus où donner de la tête. La
seule bonne nouvelle, c’était que Rafael devait probablement être
mort à l’heure qu’il est, néanmoins il fallait que j’en aie la
confirmation.
— À quoi penses-tu ?
Je me tournai vers Clay, surprise : j’avais oublié qu’il marchait à
mes côtés depuis une bonne heure.
— A la suite des événements… répondis-je. À ce qu’il nous
attend.
Clay se passa une main sur sa barbe de trois jours. Elle était
d’un blond plus clair que ses cheveux châtains et beaucoup plus
fouillis qu’à l’ordinaire. Cela ne le départissait pas pour autant de son
charme naturel.
— Il nous faut une solution de replis, me dit-il de but en blanc.
— Comment ça ?
Il se tourna vers moi pour me transpercer de ses yeux bleu-gris.
— Si tout ne se passe pas comme prévu et que Ceux de la
Surface finissent par changer d’avis, il nous faudra une issue de
secours, un endroit où emmener notre peuple en sécurité.
— Je ne pense pas que…
— Tu n’en sais rien ! me coupa Clay. Je ne leur fais pas autant
confiance que toi… et Maybelle est d’accord avec moi.
Je pinçai les lèvres. Je n’étais pas vraiment étonnée de ce que
venait de souligner Clay, en revanche je n’appréciai pas vraiment le
fait que Maybelle et lui en avaient discuté dans mon dos, comme s’ils
ne me faisaient pas confiance. Clay dû s’en apercevoir puisqu’il
enchaina.
— On comptait t’en parler, mais nous pensons que tu n’es pas
très objective, à cause de…
— À cause de Zach, c’est ça ? rétorquai-je, mauvaise. Ne
t’inquiète pas, j’ai déjà réfléchi à tout ça, mais merci de m’en
informer.
J’avais parlé plus sèchement que nécessaire ; prononcer le nom
de Zach me mettait du plomb dans l’estomac. Clay rougit
légèrement, gardant un silence prudent. Je soupirai : il ne cherchait
qu’à m’aider, qu’à aider notre peuple, je ne pouvais pas lui en vouloir
pour ça.
— Je suis désolée, lui dis-je. C’est juste que…
— Je sais, tu t’inquiètes pour lui et ta mère… Ne t’en fais pas, je
comprends.
Il me fit un sourire timide que je lui rendis. C’était ce que
j’aimais le plus chez Clay : quel que soit le problème, il arrivait
toujours à trouver une solution grâce à sa maturité et à son esprit
vif. Même si je sentais que quelque chose n’allait pas en ce moment,
que Clay avait un souci, qu’il gardait secret, je savais que je pouvais
compter sur lui. Je reportai mon attention sur le chemin, dégagé
grâce aux milliers de jambes qui le piétinaient. La forêt n’en finissait
pas, le chant des oiseaux non plus. Le peu d’air qui parvenait jusqu’à
nous était une bénédiction, je relevai mes cheveux en un chignon
haut pour que la légère brise rafraîchisse ma nuque. Devant nous,
un peu plus loin dans la colonne, Maybelle aidait John et Ismaël avec
les enfants, son fusil passé en bandoulière dans son dos. Je la voyais
sourire pour les rassurer, mais même d’ici, je remarquai qu’il
n’atteignait pas ses yeux.
— Je peux te poser une question ? demandai-je à Clay, brisant
le silence apaisant qui s’était installé entre nous.
Il parut décontenancé un instant avant de se reprendre.
— Bien sûr, que veux-tu savoir ?
— Est-ce qu’elle a réussi à tuer Rafael ?
Clay trébucha sur une racine au même moment. Je le rattrapai
de justesse en pinçant les lèvres ; j’avais peur qu’à ce rythme, sa
jambe garde des séquelles irréparables. Clay me remercia sans un
regard, sa main s’était remise à fouiller sa barbe.
— Dis-moi la vérité, je sais que tu étais avec elle, insistai-je. J’ai
besoin de savoir à quel point elle a sombré pour pouvoir l’aider…
Clay sembla hésiter, avant de soupirer et de commencer à me
raconter.
— Quand j’ai réussi à la rejoindre, elle avait son fusil levé…
J’étais encore trop loin pour l’empêcher de faire quoi que ce soit, la
section agricole était en flamme, mes cris étaient inaudibles pour
elle.
Je retins mon souffle, le cœur battant dans mes tempes.
— Elle était prête à tirer… mais elle ne l’a pas fait, m’apprit Clay.
Elle n’y est pas arrivée.
Un soupir de soulagement m’échappa ; Maybelle n’avait pas tué
Rafael, elle n’était pas allée jusque-là. Cependant, cela voulait dire
autre chose.
— Donc Rafael est vivant…
— Je n’ai pas dit ça.
Je relevai la tête vers lui.
— Il est mort ?
— Oui, une des lampes UV lui est tombée dessus pendant qu’il
tentait de fuir : il est mort brulé vif.
C’était une mort horrible, néanmoins une partie de moi était
soulagée, nous n’avions plus qu’à gérer une seule menace. Comme
un effet de mon esprit, je sentis une légère odeur de fumée avant de
secouer la tête.
— Merci, lui dis-je en lui serrant la main, réellement apaisée.
Mes doigts se figèrent devant l’expression de son visage. On
aurait dit qu’elle était pleine de culpabilité, comme si…
— AU FEU !!
Nous nous tournâmes comme une seule personne vers l’homme
qui hurlait : l’éclaireur accourait dans notre direction, faisant de
grands gestes avec ses bras. Stupéfait, tout l’arrière de la colonie se
stoppa.
— AU FEU !! continua de crier l’éclaireur.
L’adrénaline se déversa dans mes veines, je me mis aussitôt à
courir vers lui, talonnée par Clay qui marchait d’un pas rapide. Ce ne
fut qu’à cet instant que je remarquai un mur de flammes ainsi
qu’une épaisse fumée noire, à une centaine de mètres de nous.
L’incendie s’avançait sur la colonie, dévorant tout sur son passage.
Nous y comprit.
Chapitre 3

Prise de court devant l’ampleur de l’incendie, je ralentis avant


de me remettre à accélérer en direction de l’éclaireur : celui-ci
continuait de hurler pour donner l’alerte. Maintenant que je me
rapprochai des flammes, je me demandai comment j’avais pu ne pas
les apercevoir plus tôt : on aurait dit qu’un raz de marée orange
rampait vers nous, si vite que je n’étais pas certaine que la colonie
réussisse à en réchapper. La brise qui soufflait dans le mauvais sens
aidait la progression des flammes, une fumée opaque commençait à
envahir la forêt, j’étais prise d’une quinte de toux lorsque je
m’arrêtai devant le garde. De la suie lui recouvrait le visage, je
reconnus un des hommes de Pirn derrière la crasse.
— Que s’est-il passé ? le questionnai-je une fois à sa hauteur.
Les feux de camp ont été mal éteints ?
Il secoua la tête en reprenant son souffle, sans cesser de jeter
des regards inquiets par-dessus son épaule.
— Non ! Il est beaucoup trop violent pour qu’il soit d’origine
naturelle !
Je me tournai vers Clay, il nous avait enfin rejoint, la mâchoire
crispée. Il observait les alentours, ses yeux s’arrêtèrent sur un
troupeau de biches et de cerfs fuyants les flammes un peu plus loin.
Les oiseaux avaient disparu des arbres pour se réfugier à l’abri, et
nous ferions mieux de les imiter.
— C’est probablement Ian, finit par dire Clay. Il sait que
plusieurs milliers des nôtres sont vivants et qu’en termes d’effectifs,
il ne fera pas le poids face à nous : il utilise tous les moyens mis à sa
disposition pour nous affaiblir.
Mes lèvres se pincèrent. Mon père ne s’arrêtera donc jamais ? Je
jetai un coup d’œil rapide à la colonie ; mon peuple commençait à
s’agiter, il se rendait compte de ce qu’il se passait. Il fallait faire
quelque chose avant qu’un mouvement de panique se crée, même si
je sentis la peur ramper sur moi, produisant un frisson d’angoisse.
Ayant vécu à la Cité toute ma vie, à l’abri, je n’avais jamais eu affaire
à un incendie comme celui-ci. Une douleur m’élança la poitrine
lorsque je pensai à Zach : lui aurait su quoi faire… mais il n’était pas
là et il fallait réagir, vite.
Je croisai le regard de l’éclaireur ; il me fixait, comme s’il
attendait des instructions de ma part.
— Trouve Wyatt et Anthéa, explique-leur ce qu’il se passe et dis-
leur d’accélérer la cadence ! Dépêche-toi, ne perds pas de temps !
L’homme s’exécuta sans poser la moindre question ni la moindre
objection. Je me tournai ensuite vers Clay, ce dernier observait les
environs, sûrement à la recherche d’une solution.
— Tu penses que l’on peut se déporter sur un côté pour
échapper aux flammes ? lui demandai-je en massant ma cuisse.
— J’étais en train de regarder, mais l’éclaireur a raison, ce n’est
pas naturel : Ian a été malin, il a fait en sorte que le brasier nous
encercle, comme s’il souhaitait nous conduire vers un endroit bien
précis…
Je blêmis immédiatement. Si le vrai but de mon père était de
réduire notre nombre, cela ne voulait pouvoir dire qu’une chose.
— Quoi ? À quoi penses-tu ? me demanda Clay.
— Le fleuve… Il nous pousse dans le fleuve, murmurai-je. Il est
au courant que personne ne sait nager.
Anthéa nous avait prévenus la veille que nous devrions traverser
la branche d’un cours d’eau, et cela grâce à un passage naturel ;
seulement avec la panique, ce serait la cohue… et Ian le savait. Je
serrai les poings, il nous avait fait penser à tort que lui et ses
troupes prenaient un peu de répit après les derniers combats, mais
ce n’était qu’une feinte pour mieux nous surprendre. J’avais été bête
d’y croire, j’aurais dû être plus méfiante… Je le détestais, il avait pris
tout ce qui comptait le plus pour moi et il continuait de le faire,
cependant je n’étais plus la petite fille effrayée qu’il avait vue à
Atlom. Je ne le laisserai pas perpétuer le mal qu’il faisait aux miens,
plus jamais.
— Allons-y ! dis-je à Clay en tournant les talons, courant vers la
queue de la colonie pour leur faire accélérer la cadence.
J’arrivai vers les premières personnes quand je remarquai
Maybelle fendre la foule dans ma direction. Ses yeux s’écarquillèrent
légèrement devant notre petit problème avant que son visage ne
redevienne impassible. C’était impressionnant, j’étais certaine que le
mien était déformé par la panique. J’essuyai mes mains moites sur
mon pantalon lorsqu’elle s’arrêta face à moi. Je lui fis un bref topo
de la situation, même si elle avait déjà deviné la précarité dans
laquelle nous étions.
— Il faut que tout le monde atteigne le fleuve ! dit-elle une fois
que j’eus fini.
— On ne sait pas si le passage est assez large, répliquai-je.
— C’est soit ça, soit la plupart d’entre nous mourront brûlés
vifs !
Ma respiration devint saccadée devant l’urgence de la situation,
je regardai plus haut dans la colonie : John avait compris ce qu’il se
passait et avec l’aide d’Ismaël, il faisait avancer les enfants,
remontant la foule en forçant le passage. J’étais presque certaine
qu’il s’excusait à chaque personne qu’il bousculait…
— Et si nous dévions la trajectoire de la colonie sur un des
côtés, au moins le groupe de queue ? demandai-je.
Clay secoua la tête. Son teint pâle et ses lèvres exsangues
m’inquiétaient, il n’avait pas l’air d’aller aussi bien qu’il le disait, mais
ce problème-là pouvait attendre.
— Je te l’ai déjà expliqué, le mur de flamme est en forme d’arc
de cercle : ce serait prendre un trop grand risque de tenter une
déviation. Non, le mieux à faire est d’avancer vers le fleuve, les gens
pourront se mettre dans l’eau là où ils ont pied, le temps que
l’incendie se calme.
Nous nous accordâmes tous exactement cinq secondes avant de
hocher la tête unanimement.
— Très bien ! dis-je, déterminée. Conduisons tout le monde au
fleuve !

Quelqu’un me bouscula, je tombai violemment au sol, me


cognant la tête contre une racine noueuse. Une paire de mains me
releva aussitôt, je remerciai Clay en me frottant le front : une bosse
s’y formait déjà. Je lançai un regard circulaire autour de moi et
commençai à perdre espoir. Si au début la panique avait envahi la
colonie, ce n’était rien comparé à maintenant. Des hurlements, des
cris transperçaient la forêt, couvrant presque le bruit des arbres qui
craquaient lorsqu’ils s’embrasaient. Certaines personnes préféraient
partir de leur côté pour tenter d’échapper aux flammes, emmenant
leur famille avec eux malgré nos mises en garde. D’autres ne
semblaient pas connaître la solidarité, je voyais des hommes et des
femmes en piétiner d’autres sans vergogne pour avancer plus vite,
ignorant les appels à l’aide des gens en difficulté. Tous n’avaient
qu’une seule idée en tête : atteindre le fleuve à temps.
Maybelle avait rejoint John pour le seconder, tandis que nous
étions restés à l’arrière avec Clay pour venir en aide aux
retardataires, ceux trop faibles pour tenir la cadence. C’était la
débandade dans les bois, le mur de flammes se rapprochait
dangereusement de nous, même si nous avions une longueur
d’avance grâce à l’humidité de la forêt qui ralentissait sa
progression.
« Comme s’il ne faisait pas assez chaud », pensai-je en en
essuyant la transpiration qui coulait dans mes yeux. Je relevai
rapidement une femme, lui sommant d’abandonner le baluchon
qu’elle portait avant de me tourner vers Clay : il traînait la patte,
souffrant à chaque pas qu’il faisait. Je sortis un tube d’antidouleur de
mon sac et lui tendis.
— Prends en deux, ça t’aidera à tenir le rythme ! criai-je dans sa
direction pour couvrir les hurlements.
Clay se raidit, les yeux fixés sur les cachets. Ses narines se
dilatèrent, ses poings se serrèrent.
— Ça ira, garde-les pour quelqu’un d’autre.
— Mais…
— GARDE-LES !
Je reculai, pressant la main contre ma poitrine, stupéfaite ; ça
m’apprendra à vouloir l’aider… Je le fixai avec un regard mi-mauvais,
mi-inquiet lorsqu’une personne que je connaissais bien accourut vers
nous, coupant court à la remarque acerbe que j’allais lancer à Clay.
— SAHARA ! me héla Gab en me faisant de grands gestes avec
ses bras. Sahara !
Je partis dans sa direction, espérant qu’elle m’apportait de
bonnes nouvelles. L’éclaireur qui avait donné l’alerte était revenu
vers nous un peu plus tôt nous informer qu’Anthéa et Wyatt avaient
bien reçu mon message et qu’ils s’occupaient de faire accélérer la
colonne. Ce que nous avions vite constaté… Gab pila juste devant
moi avant de poser les mains sur ses genoux pour reprendre son
souffle ; elle avait sûrement dû descendre la horde à toute vitesse.
Elle finit par se relever en me faisant face.
— Que se passe-t-il devant ? demandai-je aussitôt, inquiète.
— La première partie de la colonie a débuté la traversée,
m’apprit-elle en jetant un coup d’œil à Clay.
Je commençai à sourire lentement, cependant Gab me coupa
dans ma joie.
— Le problème, c’est qu’il y a des rapides partout autour du
pont, papa m’a dit de te prévenir : un certain nombre des nôtres va
rester sur la berge pour aider ton peuple. Le passage est trop étroit,
certains d’entre vous vont devoir franchir le fleuve à la nage.
— Mais c’est impossible, personne ne sait nager !
La bonne nouvelle dans tout ça, c’était que Wyatt ne m’avait
pas abandonnée. La mauvaise, c’était qu’il allait falloir persuader des
gens qui ne s’étaient jamais baignés de leur vie de sauter dans un
fleuve, entouré de rapide.
Je devais trouver un moyen et ça, le plus vite possible.
— Clay ? dis-je en le regardant. Est-ce que tu peux…
— Je reste ici, me coupa-t-il. Avance et réfléchis à une solution !
— Merci (je me tournai vers Gab), conduis-moi au fleuve !
— Suis-moi !
J’avais l’impression que le mur de flammes commençait à
prendre de la vitesse, qu’il fonçait droit sur nous, dévorant tout ce
qui se trouvait sur son passage. Certains arbres centenaires
résistaient à l’embrasement complet, d’autres étaient déjà perdus,
flambant jusqu’à leur cime. La chaleur ne se faisait pas encore sentir,
mais cela ne serait tarder. Nous remontâmes la colonie aussi vite que
possible, déviant un peu notre trajectoire sur le côté pour éviter le
plus gros de la cohue. Cela ne nous empêcha pas de nous prendre
quelques coups, Gab trébucha même sur un sac laissé à l’abandon
en plein milieu du chemin. Elle s’écorcha les mains assez
sérieusement, mais l’ignora pour continuer sa route, se relevant
mine de rien. Je lui attrapai le bras pour l’arrêter lorsque nous
arrivâmes à la hauteur de ma meilleure amie.
— MAYBELLE ! hurlai-je. MAYBELLE !
Elle tourna la tête dans tous les sens avant de me voir, chuchota
quelques mots à John puis accourut dans ma direction, prenant bien
garde à garder sa main blessée contre elle pour ne pas se recevoir
de coups.
— Où est-ce que vous allez ? demanda-t-elle une fois devant
nous. Il faut calmer la foule, John a du mal à avancer avec les
enfants !
J’étais tout à fait d’accord avec elle, seulement la panique avait
pris le dessus sur toute la colonie : entre les cris, les pleurs et les
appels au secours, il était difficile de se faire entendre.
— Le fleuve est droit devant, la première moitié a commencé à
traverser !
— Mon père vous attend sur la rive pour aider au
franchissement ! ajouta Gab avant de me regarder. Sahara, on doit
remonter la foule !
Je jetai un œil derrière moi pour observer les flammes se
rapprocher dangereusement de Clay ; bien que théoriquement elles
étaient à une distance respectable, je n’avais aucune idée du temps
qu’elles prendraient pour nous rattraper. Ce dernier tirait les
trainards comme il le pouvait, mais beaucoup d’entre eux partaient
de leur côté pour tenter de sauver leur vie. Je saisis la main de
Maybelle.
— Reste avec John, Ismaël et les enfants ! Protège-les, amène-
les au fleuve !
— Compte sur moi !
Elle redressa son fusil, comme s’il pouvait arrêter le brasier qui
gagnait du terrain et rejoignit John : son tee-shirt lui collait à la
peau, montrant sa maigreur et d’ici, je pouvais voir qu’il commençait
à paniquer. Gab me tira par le bras, me déracinant de mon
emplacement.
— Allez, on bouge !
Nous nous remîmes à longer la colonne à un rythme régulier,
histoire de ne pas nous fatiguer davantage : le rationnement ne
nous avait pas permis de manger à notre faim et avec les
événements de ces derniers jours, nos réserves d’énergie se
faisaient maigres. Ce ne fut qu’à cet instant que je me rendis compte
à quel point la colonie était étendue, le peu d’espoir que j’avais
réussi à garder voulait fuir en même temps que nous. Je m’y
accrochai comme je le pouvais, accélérant la cadence jusqu’à
dépasser Gab pour arriver le plus vite possible sur la berge. Ma
cuisse devenait douloureuse, je l’ignorai, préférant me concentrer
sur le léger bruit du clapotis de l’eau. Si au début il était à peine
audible, le grondement du fleuve finit par me parvenir distinctement,
annonçant la proximité des rapides.
Les arbres se firent de plus en plus espacés, la terre sèche de la
forêt se transformait petit à petit en gravillons, puis des galets gros
comme ma main vinrent les remplacer. Mon souffle commençait à
manquer lorsque j’arrivai enfin sur la berge du fleuve, Gab sur mes
talons. J’eus un mouvement de recul face à l’attroupement paniqué
qui attendait devant le… « passage » : ce n’était rien de plus qu’une
succession de rochers, plus ou moins massifs, dont le haut dépassait
légèrement de la surface de l’eau. La mousse qui les recouvrait avait
l’air de les rendre particulièrement glissants, sans oublier les rapides
les entourant. Ces derniers s’écrasaient avec force et fracas contre
les pierres, les personnes qui chuteraient des rochers auraient peu
de chance de s’en sortir vivant, même les bons nageurs.
Gab me dépassa pour se diriger vers son père ; Wyatt s’était
posté au niveau du premier obstacle et tentait d’apaiser la foule,
aidant les gens à grimper sur les rochers dans le calme. Ce qu’il
avait bien du mal à faire… Je levai les yeux sur la rive d’en face,
située à une vingtaine de mètres environs et tombai sur Anthéa :
elle se tenait au même endroit que Wyatt, mais de l’autre côté,
réceptionnant les personnes qui arrivaient. Elle me fit un signe de la
main lorsqu’elle m’aperçut, avant de se remettre au travail.
Nous dûmes jouer des coudes pour parvenir auprès de Wyatt ;
Gab se prit même un coup de poing dans le nez. Je soupirai de
soulagement, mieux valait elle que moi…
— Comment est la situation à l’arrière ? me demanda
immédiatement Wyatt lorsque nous arrivâmes enfin devant lui.
— Mauvaise ! Les flammes avancent rapidement, à ce rythme-là,
beaucoup vont brûler ! Il faut faire accélérer la cadence !
— On fait ce qu’on peut ! rétorqua le chef de village en aidant
une femme à monter sur le premier rocher.
Je serrai les poings, préférant garder la bouche fermée devant
la remarque acerbe qui m’était venue : ce n’était pas son peuple qui
se trouvait à l’arrière, près du brasier. Les siens étaient soit sur la
berge pour tenter de faire régner un semblant d’ordre, soit déjà de
l’autre côté pour faire avancer ceux qui avaient traversé. Mais bien
sûr, Wyatt avait deviné mes pensées, comme si elles s’affichaient en
gros au-dessus de ma tête. Il posa une main sur mon épaule et la
serra.
— Ne t’inquiète pas, je ne te laisserai pas tomber… Ni toi ni les
tiens, j’ai une promesse à tenir.
Je retins mon souffle ; il parlait de la promesse faite à Zach juste
avant qu’il ne s’engouffre dans le tunnel à la poursuite de ma mère.
Ce rappel me transperça le cœur, j’eus du mal à respirer de nouveau
normalement, mais je finis par y arriver, tant bien que mal.
— Merci, et désolée, soufflai-je avant d’observer les alentours.
À cette vitesse, une partie des habitants n’aurait pas le temps
de traverser, c’était une certitude, il fallait donc trouver un autre
moyen de franchir ce satané fleuve et ses rapides. Un nuage de
fumée noire recouvrait le ciel, obscurcissant la forêt ; seules des
lueurs orangées le perçaient. Elle commençait à me piquer les yeux
et de nombreuses personnes étaient prises de quintes de toux.
« Réfléchis Sahara, réfléchi ! », songeai-je en tournant sur moi-
même pour trouver une solution, n’importe quoi. Si seulement il y
avait un pont… Je relevai la tête d’un coup : la voilà, la réponse, un
pont ! Je saisis Gab et la tirai vers moi, lui arrachant presque le bras.
— Est-ce que quelqu’un à des cordes sur lui ? la questionnai-je à
quelques centimètres de son visage.
Elle me regardait étrangement, comme si j’avais soudainement
perdu l’esprit, cependant elle fronça les sourcils, réfléchissant.
— Je ne sais pas… Oui, peut-être, mais il faudrait demander à
toutes les personnes que l’on croiserait…
— On n’a pas le temps ! Écoute-moi, je vais avoir besoin d’aide :
voilà ce qu’on va faire…

Quelques minutes plus tard, une pile de vêtements en tout genre


se trouvait devant Wyatt, Gab et moi. Cette dernière me regardait
comme si j’avais définitivement perdu la raison tandis que Wyatt
avait l’air plus intrigué qu’autre chose.
— Je ne sais pas ce que tu veux faire avec tout ça Sahara, mais
dépêche-toi, le temps va nous manquer ! finit-il par me dire.
Wyatt n’avait jamais cessé d’aider les gens à monter sur les
rochers, la file avait légèrement avancé pendant que je détroussais
les habitants de la Cité, parfois de force, de leurs vêtements. Je jetai
un coup d’œil en direction de Gab ; elle regardait la foule s’agglutiner
sur la berge et ce qu’il se passait un peu plus loin. Je constatai avec
horreur que certains tentaient le tout pour le tout, n’hésitant pas à
sauter dans les rapides pour essayer de traverser à la nage.
Malheureusement, tous n’arrivaient pas à la moitié : ils coulaient et
ne remontaient jamais à la surface.
Je me jetai à quatre pattes, détournant les yeux de ce spectacle
macabre pour saisir un tee-shirt et un pantalon avant de commencer
à les nouer entre eux.
— Noue les vêtements ! ordonnai-je à Gab. Serre bien les
nœuds, c’est important !
— Mais pourquoi… Oh !
Je souris ; elle venait de comprendre. Elle se mit aussitôt au
travail, attachant pantalons, sweat et hauts ensembles. Rapidement,
une corde de plus de vingt mètres vit le jour, certes elle était
grossière, mais elle devrait faire l’affaire. Je l’enroulai et demandai à
Gab de m’aider à la porter : elle pesait super lourd, il allait falloir la
transporter à deux jusque l’autre côté. Nous nous dirigeâmes vers le
début du pont naturel, Wyatt me stoppa.
— Gab va traverser, toi tu restes ici ! Ton peuple doit voir un
visage familier !
Je hochai la tête, donnant ma partie au soldat que Wyatt avait
désigné pour me remplacer. J’observai les alentours et finis par
trouver un tronc ni trop large ni trop éloigné de la rive. J’accrochai la
corde autour, tirai dessus à plusieurs reprises pour vérifier sa solidité
avant de faire signe à Gab.
— Tu peux y aller !
Sans perdre un instant, elle et le garde escaladèrent le premier
rocher avant d’avancer vers la berge d’en face, la corde artisanale
sur le dos. Ils la déroulèrent au fur et à mesure, la laissant flotter sur
les rapides. Je poussai un cri lorsque le pied de Gab dérapa, mais
elle réussit à reprendre son équilibre. J’entendais les arbres craquer
derrière moi, la chaleur des flammes commençait à se faire ressentir,
de plus en plus de monde arrivait sur la rive, paniqué. Gab atteignit
enfin l’autre côté, Anthéa l’aida à descendre avant de discuter
quelques secondes avec elle ; elles finirent par se décaler en face de
moi et tendirent la corde, créant la ligne de survie qui servirait à
faire traverser un plus grand nombre de personnes.
Je remarquai qu’elles tentaient de me dire quelque chose,
cependant d’ici, entre le grondement des rapides et les cris, je
n’entendais rien. Elles me montrèrent alors la corde, je compris au
même instant et me sentis pâlir : cette dernière était assez longue
pour traverser, mais trop courte pour la nouer autour d’un arbre. Je
pinçai les lèvres jusqu’à ce que j’aperçusse les hommes d’Anthéa se
regrouper pour saisir chacun un bout de corde. Je souris, ce serait
eux qui feraient office de tronc.
Les minutes qui passèrent furent compliquées : il fallait que
j’explique à des gens n’ayant jamais nagé de leur vie de s’immerger
dans un cours d’eau secoué par des rapides, en tenant une corde
faite à partir de vêtements, tout cela en leur assurant que cette
dernière était solide… Mais une fois les premiers engagés et arrivés
à bon port, je n’eus plus aucun mal à les persuader, je devais plutôt
faire l’inverse et les réguler pour ne pas qu’ils soient trop nombreux
à traverser en même temps. Le franchissement du fleuve se faisait
donc sur deux fronts : un sur le passage naturel et un grâce à ma
corde. Les minutes, puis les heures défilèrent, et il y eut rapidement
plus de monde en face que de notre côté ; heureusement, le mur de
flammes n’était plus qu’à une vingtaine de mètres de nous, même
s’il semblait ralentir à cause du manque d’arbres près de la rive et
des quelques personnes de la Surface qui tentaient de faire barrage
en lançant de l’eau dessus.
Je cherchai mes amis des yeux, commençant à paniquer,
lorsque je les aperçus plus loin vers les rochers. Je les rejoignis,
confiant le rôle de régulateur à un des hommes de Wyatt.
— John ! Maybelle ! criai-je dans leur direction. Où est Clay ??
— Je suis là ! répondit ce dernier en claudiquant vers moi, le
visage recouvert de suie. Il faut faire traverser les enfants, tout de
suite !
Clay avait toujours eu un calme et un sang-froid à toute
épreuve, alors entendre la panique percer dans sa voix me fit l’effet
d’un coup de fouet. Je me tournai vers John : ce dernier avait déjà
commencé à porter les enfants pour les hisser sur les rochers, aidé
de Wyatt et d’Ismaël.
— On vous suit de près ! lui dis-je une fois tout le monde à l’abri
sur le pont.
John acquiesça, avant de dire à Wyatt de passer devant et à
Ismaël de rester au milieu de la file pour sécuriser leur traversée.
Maybelle s’approcha de moi, tout comme Clay.
— On a perdu des dizaines de personnes dans les flammes,
m’apprit ce dernier. Ils se sont embrasés comme des torches !
— Il y a encore du monde à l’arrière ? demandai-je en essayant
d’y voir quelque chose, sans grande réussite à cause de la fumée.
— Même si c’est le cas, intervint Maybelle, ils devront se
débrouiller sans nous ! Il faut que l’on traverse, on n’a pas le choix !
Je pinçai les lèvres devant la justesse de sa remarque avant
d’acquiescer. Nous nous mîmes aussitôt à grimper sur les rochers,
les uns derrière les autres, à la suite de John et de la file d’orphelins.
La progression fut particulièrement lente, j’eus le temps d’observer
que plus grand monde ne franchissait le fleuve, que ce soit sur le
pont ou avec la corde.
Je me reconcentrai lorsque je perdis l’équilibre, focalisant mon
regard droit devant moi. Comme si je lui avais porté malchance, la
fillette que je fixais glissa du rocher qu’elle surplombait, mon cœur
s’arrêta, un frisson de peur me glaça le sang. Pour éviter de chuter,
l’enfant saisit la première chose que sa main pouvait attraper, en
l’occurrence, ce fut le bras de John. Surpris, il fut déséquilibré ; je les
regardai, impuissante, partir tous les deux sur le côté, tomber à l’eau
et disparaître dans les rapides. Mon seul réflexe fut de hurler.
— JOOOOOHN !
Chapitre 4

J’entendis à peine les cris d’Ismaël se fondre dans les miens


tellement mon cœur cognait fort dans ma poitrine, résonnant dans
mes tempes.
BOUM, boum. BOUM, boum. BOUM, boum.
Mes yeux ne lâchaient pas mon meilleur ami ; il s’enfonçait dans
les flots tumultueux avant de refaire surface par à coup, à l’aide de
grands mouvements de bras. John avait réussi à agripper la fillette
et tentait de la soulever hors de l’eau pour qu’elle puisse respirer, en
vain : le courant était beaucoup trop violent, ils les entrainaient vers
le fond, impitoyablement. Je sortis de ma transe lorsque Maybelle
me secoua et me tournai vers Ismaël. Il regardait, sous le choc,
John couler.
— Ismaël ! l’interpellai-je. Conduis les enfants jusqu’à la berge
d’en face et dis à Anthéa de déplacer la corde de l’autre côté des
rochers quand je lui ferais signe ! Que tout le monde se tienne prêt !
L’ingénieur était pâle comme la mort, cependant il eut l’air de
saisir mon intention. Il se mit aussitôt en marche, poussant presque
les gamins pour qu’ils avancent plus vite. Ces derniers pleuraient
face à la situation, Clay alla les réconforter en les aidant à parcourir
le peu de chemin qu’il restait. Je me tournai ensuite vers Maybelle.
— Je vais faire demi-tour et détacher la corde pour…
— C’est de la folie ! me coupa-t-elle. Je vais y aller à ta place,
j’ai plus de chance de m’en sortir !
— Non, pas avec ta main ! rétorquai-je.
Elle crispa la mâchoire avant de lorgner sa blessure, puis
quelque chose l’interpella.
— Sahara ! Regarde !
Je suivis des yeux le doigt qu’elle tendait vers les rapides, le
cœur battant la chamade, m’attendant au pire… Mais l’espoir revint
légèrement lorsque je vis que John avait réussi à s’agripper d’un
bras à un rocher, un peu plus loin. De l’autre, il tenait la fillette ;
cette dernière semblait inanimée. Il n’y avait plus de temps à
perdre !
— Je vais les chercher ! Traverse et va aider Anthéa, si elle a
besoin !
Sans attendre sa réponse, je fis demi-tour d’une manière assez
souple en prenant bien garde d’éviter de poser mes pieds sur la
mousse pour ne pas glisser. Ce serait dommage que je me retrouve
dans la même situation que John. Ma jambe me faisait de plus en
plus mal, je devais forcer dessus plus que d’habitude, mais j’ignorai
la douleur, accélérant encore. Plus je me rapprochais de la rive, plus
la chaleur des flammes me brûlait le visage. Les arbres craquaient,
le hurlement des miens qui avaient préféré partir de leur côté se
fondait dans le bruit du brasier : Clay avait malheureusement eu
raison, l’incendie formait un arc de cercle et empêchait quiconque de
fuir sur les côtés.
Arrivée sur le dernier rocher, je sautai pour atterrir sur la berge ;
mal m’en a pris de me prendre pour une gazelle. Ma jambe lâcha
sous l’impact, la douleur me vrilla la cuisse lorsque je m’étalai sur les
galets. Les larmes me montèrent aux yeux, mais cela ne m’arrêta
pas et je me relevai pour boiter jusqu’au tronc où la corde était
attachée. J’avais serré le nœud beaucoup trop solidement, je forçai
dessus en jetant des coups d’œil inquiet autour de moi : la
puissance des flammes donnait l’impression qu’elles me brûlaient la
peau, leurs éclats orangés atterrissaient presque sur moi. Je
commençai à avoir du mal à respirer, des quintes de toux
m’empêchaient de reprendre mon souffle lorsque j’eus une
illumination. Je saisis le couteau que j’avais à la ceinture et coupai la
corde, tant pis s’il manquait quelques mètres.
Clay et Maybelle venaient d’arriver sur la rive d’en face, Anthéa,
Wyatt ainsi que Gab étaient à leur côté ; tous me regardaient, dans
l’attente. Je leur fis un signe de la main et d’un même mouvement,
nous partîmes du côté de John, la corde en vêtement tendue au-
dessus le fleuve. L’adrénaline m’aida à déplacer la corde qui pesait
son poids, mais je compris rapidement que je ne pourrais pas
continuer sur ce rythme encore bien longtemps. Cette dernière se
prit dans les pierres lorsque nous dûmes la faire passer par-dessus le
pont, mais je m’approchai vite de mon meilleur ami : John tenait
bon, il s’accrochait comme une moule à son rocher.
— JOHN ! J’ARRIVE ! hurlai-je pour couvrir le bruit des rapides.
AGGRIPPE-TOI À MOI !!
Lui et la fillette qu’il maintenait contre son corps commençaient
à bleuir, néanmoins, il hocha légèrement la tête pour me dire qu’il
avait compris mon intention. Un arbre en flamme s’écroula tout près
de moi, je ne perdis plus de temps et nouai la corde autour de ma
taille, la serrant jusqu’à me faire mal. Je levai les yeux vers la rive
d’en face, apercevant beaucoup de monde à son autre extrémité
pour la tenir et nous tracter.
Je m’approchai de l’eau, inspirai une bonne goulée d’air. En
théorie, tout était simple : je sautai dans les rapides, j’agrippai John
et l’enfant, et une fois fait, Anthéa ainsi que les soldats nous
ramèneraient jusqu’à eux. Il n’y avait pas de quoi paniquer… Je me
répétai cette phrase en boucle avant de plonger dans les eaux
tumultueuses du fleuve.

Le froid fut la première chose que je ressentis ; il me saisit avec


une telle violence que j’eus l’impression de me tenir dans un étau. Je
restai engourdie un petit instant, avant que la panique prenne
presque aussitôt le dessus. Les rapides me tiraient vers le fond, je
me retrouvai vite immergée, à vouloir me raccrocher à tout ce qui
m’entourait, comme des branches sous-marines ou même des
rochers. Lorsque je rebondis dans le fond du fleuve, je réussis à
pousser sur mes pieds et remonter à l’air libre, inspirant la plus
grande goulée d’air de toute ma vie. Le courant m’entraina contre
une énorme pierre rocailleuse, l’impact fut douloureux, mais le froid
avait engourdi la plupart de mes membres. Je fus de nouveau tirée
vers le fond avant de refaire surface, profitant d’avoir la tête hors de
l’eau pour regarder autour de moi : seul le fait d’être reliée à une
corde m’empêchait de sombrer dans la panique la plus totale et de
me noyer. Mes yeux s’arrêtèrent enfin sur mon objectif, la chance
tournait, le courant m’entrainait droit sur eux.
— JOHN ! hurlai-je avant de repartir sous l’eau, retenant ma
respiration.
Ce fut à cet instant que je me rappelai les mouvements de Zach,
ceux qu’ils avaient faits lors de notre première baignade, puis à
l’Oasis. J’essayai de l’imiter, ce qui marcha légèrement ; je remontai
à la surface et réussis à y rester. Heureusement, John et la fillette
étaient tout proche. Nos regards se rencontrèrent, il comprit que
j’allais arriver sur eux à la vitesse d’un boulet de canon et resserra sa
prise sur l’enfant, conscient du choc qui allait venir. Même si je tentai
de ne pas paniquer, c’était plus fort que moi : j’inspirai l’air de
manière erratique, buvant la tasse presque à chaque fois. Ma tête
me faisait mal, je sentais que j’étais épuisée ; il ne me restait plus
beaucoup de temps avant que je coule au fond de fleuve et que j’y
périsse.
« Trois… deux… un… Là ! », comptai-je juste avant de les
percuter avec violence. Le peu de force que nous avions gardé nous
permit de nous agripper l’un à l’autre, malgré nos doigts engourdis ;
pour ma part, je ne les sentais plus, je fis entièrement confiance à
mon cerveau pour les refermer sur John. Ce dernier se cramponna à
moi, quittant son rocher. Nos poids combinés nous firent couler, je
faillis lâcher ma prise lorsque nous percutâmes un obstacle immergé.
Le choc de l’impact me fit expirer tout l’oxygène que j’avais réussi à
garder dans mes poumons. Je regardai, hébétée, les bulles d’air
remonter vers la surface, se mélangeant avec les remous des
rapides. Ce fut à cet instant que je la sentis : la traction qu’exerçait
la corde sur moi. Je resserrai ma poigne, donnant tout ce que j’avais
pour ne pas lâcher John et l’enfant.
« Allez, plus vite… Plus vite ! » les implorai-je en ressentant une
pression énorme sur mes poumons et dans mes tempes. Il me fallait
de l’air, tout de suite ! J’étais en train d’étouffer, mais je devais tenir :
j’étais la seule de nous trois à être reliée à la corde, je devais tenir
bon, pour eux. Les rayons du soleil se rapprochaient, et après des
secondes longues comme des heures, nous remontâmes hors de
l’eau pour atterrir sur le rivage. Oubliant toute dignité, je lâchai John
pour me mettre à ramper sur la berge, inspirant l’air tellement fort
que mes yeux virent mille étoiles, ma tête se mit à tourner. Ma joue
reposait sur les galets chauffés par le soleil, tout semblait flou autour
de moi, même si j’entendais des cris, comme des échos. Mes oreilles
bourdonnèrent un moment, jusqu’à ce que les sons me parviennent
plus nettement. Mon sang ne fit alors qu’un tour.
— Sahara ! Elle ne respire plus ! hurlait Maybelle en me
saisissant par les vêtements pour me tirer vers l’enfant.
Engourdies par le froid de l’eau, mes jambes eurent du mal à
me porter, mes mains et mes lèvres tremblaient violemment. Je
luttai pour faire un pas, puis un autre dans la direction de la fillette.
John était allongé sur le dos, à proximité ; je soupirai de
soulagement lorsque je vis son torse se soulever, même faiblement.
Maybelle me traina jusqu’à l’enfant, je me précipitai sur elle.
— Co… comment s’appelle-t-elle ? parvins-je à articuler.
— Maria…
Un murmure de John. Je secouai Maria en criant son nom, mais
la petite n’eut aucune réaction ; je pris alors son pouls, me
concentrant. Mes doigts engourdis ne sentaient pas grand-chose,
mais là, ils ne sentaient rien du tout.
— Il faut lui prodiguer un massage cardiaque ! dis-je à voix
haute en me mettant en position. Maybelle ?
— J’insuffle !
— Clay ?
— Je te reprends si besoin !
Je hochai la tête : tous les soldats de la Cité avaient
obligatoirement suivi une formation médicale pour connaitre les
gestes d’urgence et de première nécessité, je savais que je pouvais
compter sur eux. Je débutai le massage cardiaque, donnant tout ce
que j’avais. L’adrénaline m’aida à tenir le choc et le rythme, même si
mes bras commençaient à chauffer.
— Aller Maria… Réveil toi… murmurai-je.
De la transpiration roulait sur mes tempes, je me rendis à peine
compte que plusieurs personnes nous entouraient, trop occupée à
tenter de sauver la vie de l’enfant. Lorsque Maybelle se pencha la
quatrième fois pour lui insuffler de l’air, Maria eut un soubresaut
avant de recracher une bonne quantité d’eau. Je la positionnai
immédiatement sur le côté pour ne pas qu’elle s’étouffe, retenant de
justesse des larmes de soulagement. Une main serra faiblement la
mienne, je me tournai pour regarder John, toujours allongé. Je
tentai de lui sourire, mais il fallait croire que cet ultime effort fut de
trop : je me sentis perdre connaissance, tombant en avant avec pour
dernière pensée que j’allais avoir une autre bosse sur le front.

Zach me tenait la main avec douceur. La sienne, chaude et


calleuse, englobait totalement la mienne, la faisant complètement
disparaître. Je souris ; même ici, il était protecteur.
— Où m’emmènes-tu ? demandai-je en regardant autour de
moi.
Nous marchions à travers la forêt que nous avions arpentée
pendant des jours, cependant contrairement à d’habitude, je ne me
sentais pas menacée, mais plutôt apaisée. Zach continuait d’avancer,
il me répondit sans me montrer son visage.
— Je t’emmène à l’endroit où je me trouve.
Je fronçai les sourcils.
— Comment ça : « à l’endroit où je me trouve » ? Tu es là, juste
devant moi !
— Patience.
Le calme que je ressentais jusqu’à présent fut rapidement
remplacé par un frisson de peur.
— Zach… ?
Pas de réponse.
— Zach, regarde-moi…
Je n’obtins aucune réaction de sa part. À la place, il me lâcha la
main, continuant à avancer.
— Regarde-moi ! Zach ! REGARDE-MOI !! criai-je en me mettant
à courir après lui, paniquée.
Les rayons du soleil qui me berçait jusqu’à présent disparurent
d’un coup, vite remplacés par des nuages gris poussés par des
bourrasques. La forêt devint silencieuse comme la mort, plus aucun
oiseau ne chantait dans les arbres.
— ZACH !
Je tendis la main pour essayer de l’attraper, mais il s’enfonça
dans un tunnel à flanc de montagne, apparu comme par magie
devant nous. Sans réfléchir, je m’engouffrai à sa suite pour me
retrouver dans le noir le plus total. Derrière moi, la sortie avait
disparu, seul le silence me tenait compagnie, parfois bercé par l’écho
de ma respiration saccadée. Je tournai sur moi-même, appelant Zach
sans relâche, jusqu’à tomber nez à nez avec la dernière personne
que je pensais voir ici.
— Anthéa ? Que…
Ses yeux noisette me transperçaient de part en part lorsqu’elle
pointa un doigt dans ma direction.
— Je t’avais prévenu… dit-elle d’une voix remplie de colère. Je
t’avais dit que ça te jouerait des tours de vouloir sauver tout le
monde…
— Quoi ? Mais… bégayai-je avant que quelqu’un d’autre
apparaisse à côté d’elle. Wyatt ?
— Tu ne fais que semer la mort parmi les miens depuis que tu
es arrivée…
Puis ce fut au tour de Gab.
— Tu m’as pris Jenna, puis Ruth… et maintenant, Zach ! dit-elle,
accusatrice. Tout est de ta faute !
Jenna apparut, un trou béant dans l’estomac. J’avais de plus en
plus de mal à respirer, je voulais une seule chose : fuir, mais dès que
je tentais de faire un pas, mes pieds restaient collés au sol. J’étais
coincée, paralysée.
— Si tu n’étais pas venu à Pirn, si tu n’avais pas quitté les tiens,
je serais encore de ce monde pour prendre soin de ma sœur… dit-
elle, la voix pleine de chagrin.
Je détournai les yeux pour les poser sur John ; il était torse nu,
ses côtes saillaient sous sa peau, son regard était hanté.
— Tout ça, c’est de ta faute…
« Trop… C’est trop, il faut que je sorte d’ici… » pensais-je, alors
que je faisais face à ceux dont j’avais brisé les vies. Ils avaient
raison, ils ne pouvaient en vouloir qu’à moi.
— Zach ! Où es-tu ? Il faut… Il faut… criai-je.
— Je suis là, Sahara.
Sa voix provenait de derrière moi, je me retournai difficilement
avant d’avoir un mouvement de recul, horrifiée. Zach était bien là,
mais il était ensanglanté, son corps semblait avoir été broyé par des
roches, sa peau pendait par endroit et son visage était entièrement
défiguré. Et, à ses côtés, se trouvait ma mère, dans le même état
que lui. Il me sourit et tendit les doigts vers moi.
— Je t’avais dit que je la ramènerai…
Je me réveillai en sursaut, le corps trempé de sueur, le souffle
court. Je serrai les poings sur ma cuisse quand je m’aperçus que
mes mains tremblaient, encore sous le coup de mon cauchemar…
J’avais l’impression que ma tête abritait un marteau piqueur et mes
poumons me faisaient souffrir légèrement lorsque je respirais, mais à
part ça, j’allais bien. Je jetai un coup d’œil autour de moi pour
reprendre mes esprits, évitant de repenser à ce mauvais rêve, si
réaliste soit-il. Je compris rapidement que la nuit était tombée, ce
qui voulait dire que j’étais restée inconsciente un bon moment,
presque tout l’après-midi.
Je baissai les yeux sur Maybelle, elle dormait juste à côté,
veillant sur moi comme à son habitude. J’avais remarqué qu’elle
avait du mal à trouver le sommeil depuis la mort de Cory, je décidai
de la laisser se reposer un maximum et me levai le plus discrètement
possible. Mon corps semblait souffrir d’une crampe intégrale, je
retins des gémissements de douleur pour ne pas la réveiller. De
petits feux de camp avaient été allumés un peu partout, éclairant le
campement et ses occupants ; certains chuchotaient entre eux,
d’autres dormaient à tour de rôle, ne faisant pas confiance aux
soldats de la Surface qui montaient la garde. Je m’éloignai
silencieusement de ce qui avait l’air d’être le coin infirmerie
lorsqu’Andrew m’interpella.
— Sahara, tu es réveillée… dit-il en chuchotant, l’air soulagé.
— Oui, comment va Maria ? Et John ?
— Grâce à toi, bien, ils sont tous les deux sains et saufs.
Le souvenir de mon cauchemar revint à la charge, je secouai la
tête comme si cela pouvait m’en débarrasser. Andrew se racla la
gorge en se grattant le haut du crâne quand il vit que je ne
répondais rien.
— J’ai nettoyé ta plaie à la cuisse et remis un cataplasme ainsi
qu’un bandage propre.
— Oh ! Je n’avais pas fait attention... Merci, Andrew ! Il faut que
j’aille parler à Anthéa et à Wyatt, sais-tu dans quel coin du
campement ils sont ?
Le guérisseur me montra la direction dans laquelle ils se
trouvaient, je pris également des nouvelles de Jahia et le remercia
avant de regarder Maybelle.
— Si elle se réveille, dis-lui que je vais bien, s’il te plaît, ajoutai-
je avant de tourner les talons.
Je marchai un moment à travers le campement qui s’étalait au
milieu de la forêt. Quelques oiseaux et bêtes nocturnes criaient par à
coup, une légère brise soulevait mes cheveux que je n’avais pas pris
la peine d’attacher. J’arrivai enfin au feu de camp qu’Andrew m’avait
indiqué, Wyatt et Anthéa étaient assis devant ses flammes tandis
que Gab dormait à poings fermés, un peu plus loin. Les deux chefs
chuchotaient entre eux, le visage fermé et inquiet, avant de se taire
lorsqu’ils me virent marcher dans leur direction. Je ne pus
m’empêcher de ressentir un pincement au cœur en pensant que la
situation allait peut-être se retourner contre les miens et que sans
Zach pour me soutenir, ces deux-là n’interviendraient sûrement pas.
« Tout était plus facile quand tu étais près de moi, Zach… »
songeai-je en m’asseyant de l’autre côté du feu, face à eux. Il fallait
que je sache une bonne fois pour toutes ce qu’ils comptaient faire,
que mon peuple puisse avoir la possibilité d’un éventuel revirement.
Le silence s’installa entre nous pendant un long moment,
jusqu’à ce que je le brise.
— Merci pour tout à l’heure, leur dis-je sincèrement, droit dans
les yeux. Vous nous avez sauvé la vie…
Ils hochèrent la tête.
— Tu n’as pas besoin de nous remercier, c’est normal, répondit
Wyatt.
Ses yeux se posèrent sur les flammes dansantes du feu de
camp, je me doutai qu’il songeait à sa promesse faite à Zach, celle
de veiller sur moi. Même s’il pensait que son neveu avait trouvé la
mort dans l’effondrement de la Cité, ce n’était pas mon cas. Malgré
tout, des larmes me piquèrent les yeux au rappel de tous ceux que
j’avais perdus. Je n’insistai pas devant ces paroles, me contentant de
caresser le manche du couteau de Zach pour me donner du courage
et enfin leur poser les questions pour lesquelles j’étais venue. Les
deux chefs de villages devaient me répondre honnêtement pour que
je puisse savoir à quoi m’attendre dans les jours à venir.
Je papillonnai rapidement des yeux, chassant les larmes qui
menaçaient de couler avant de relever la tête vers eux.
— Êtes-vous toujours de notre côté ?
Anthéa ouvrit légèrement la bouche, surprise par la soudaineté
de ma question. Wyatt resta quant à lui stoïque, je n’aperçus aucune
stupéfaction chez lui, comme s’il s’attendait à cette confrontation.
Même si d’apparence je paraissais de marbre, mon cœur battait à
tout rompre, de peur et d’appréhension : les prochaines minutes
pourraient décider du destin de mon peuple. Ce fut Anthéa qui prit la
parole en première et je sus à son regard que sa réponse serait
honnête, bien que ce n’était pas vraiment celle que j’avais envie
d’entendre.
— Je parle pour mon village, Wyatt parlera pour le sien,
commença-t-elle. Pernrith vous aidera tant que nous le pourrons, il
faut que je pense aux miens avant tout. Mais je peux te dire ceci : si
nos routes doivent se séparer, je te promets que nous ne serons
jamais une menace pour ton peuple.
Je hochai la tête, comprenant sa position : Anthéa avait perdu
assez des siens dans cette guerre. Il était fort probable qu’un jour ou
l’autre des décisions devraient être prises, cependant sa promesse
de ne pas s’en prendre à nous laissait planer une lueur d’espoir, une
lueur qui ressemblait fortement à une future paix.
— Je t’aiderai aussi tant que ce sera possible, jusqu’à ce que les
tiens trouvent un endroit où vivre, ajouta Wyatt à son tour. Tout
n’est pas fini, tant que Ian est en vie, il restera une menace… Je
pense sincèrement que nous devons être unis face à lui, même si je
sais que c’est plus facile à dire qu’à faire. Et puis…
J’essuyai mes mains moites sur mon pantalon.
— Et puis ?
— Ian a toujours un missile, j’ai peur de ce qu’il compte faire.
— Wyatt n’a pas tort, nous nous dirigeons tous au même
endroit… souligna Anthéa.
Je pâlis devant ce qu’ils ne disaient pas clairement.
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declares its firm conviction that the manufacture,
exportation, importation, and sale of alcoholic beverages has
produced such social, commercial, industrial, and political
wrongs, and is now so threatening the perpetuity of all our
social and political institutions, that the suppression of the
same by a national party organized therefor is the greatest
object to be accomplished by the voters of our country, and is
of such importance that it, of right, ought to control the
political actions of all our patriotic citizens until such
suppression is accomplished. The urgency of this course
demands the union without further delay of all citizens who
desire the prohibition of the liquor traffic. Therefore be it

"Resolved, That we favor the legal prohibition by state and


national legislation of the manufacture, importation, and sale
of alcoholic beverages. That we declare our purpose to
organize and unite all the friends of prohibition into one
party; and in order to accomplish this end we deem it of right
to leave every prohibitionist the freedom of his own
convictions upon all other political questions, and trust our
representatives to take such action upon other political
questions as the changes occasioned by prohibition and the
welfare of the whole people shall demand."

{572}

Resolved, "The right of suffrage ought not to be abridged on


account of sex."

Those delegates who were dissatisfied with this platform


withdrew from the convention, assembled in another hall,
assumed the name of "The National Party," adopted the
following declarations, and nominated Charles E. Bentley, of
Nebraska, and J. II. Southgate, of North Carolina, for the two
highest offices in the national government:

"The National Party, recognizing God as the author of all just


power in government, presents the following declaration of
principles, which it pledges itself to enact into effective
legislation when given the power to do so:

"The suppression of the manufacture and sale, importation,


exportation, and transportation of intoxicating liquors for
beverage purposes. We utterly reject all plans for regulating
or compromising with this traffic, whether such plans be
called local option, taxation, license, or public control. The
sale of liquors for medicinal and other legitimate uses should
be conducted by the State, without profit, and with such
regulations as will prevent fraud or evasion.

"No citizen should be denied the right to vote on account of


sex.

"All money should be issued by the General Government only,


and without the intervention of any private citizen,
corporation, or banking institution. It should be based upon
the wealth, stability, and integrity of the nation. It should
be a full legal tender for all debts, public and private, and
should be of sufficient volume to meet the demands of the
legitimate business interests of the country. For the purpose
of honestly liquidating our outstanding coin obligations, we
favor the free and unlimited coinage of both silver and gold,
at the ratio of sixteen to one, without consulting any other
nation.

"Land is the common heritage of the people and should be


preserved from monopoly and speculation. All unearned grants
of land, subject to forfeiture, should be reclaimed by the
Government and no portion of the public domain should
hereafter be granted except to actual settlers, continuous use
being essential to tenure.

"Railroads, telegraphs, and other natural monopolies should be


owned and operated by the Government, giving to the people the
benefit of service at actual cost.

"The National Constitution should be so amended as to allow


the national revenues to be raised by equitable adjustment of
taxation on the properties and incomes of the people, and
import duties should be levied as a means of securing
equitable commercial relations with other nations.

"The contract convict-labor system, through which speculators


are enriched at the expense of the State, should be abolished.

"All citizens should be protected by law in their right to one


day of rest in seven, without oppressing any who
conscientiously observe any other than the first day of the
week.

"American public schools, taught in the English language,


should be maintained, and no public funds should be
appropriated for sectarian institutions.

"The President, Vice-President, and United States Senators


should be elected by direct vote of the people.

"Ex-soldiers and sailors of the United States army and navy,


their widows, and minor children, should receive liberal
pensions, graded on disability and term of service, not merely
as a debt of gratitude, but for service rendered in the
preservation of the Union.

"Our immigration laws should be so revised as to exclude


paupers and criminals. None but citizens of the United States
should be allowed to vote in any State, and naturalized
citizens should not vote until one year after naturalization
papers have been issued.

"The initiative and referendum and proportional representation


should be adopted.
"Having herein presented our principles and purposes, we
invite the co-operation and support of all citizens who are
with us substantially agreed."

UNITED STATES OF AMERICA: 1896.


Socialist-Labor Party Nominations.

Still another party which placed candidates for the presidency


and vice-presidency in nomination was the Socialist-Labor
organization, which held a convention in New York, July 4-10,
and named for the two high offices, Charles H. Matchett, of
New York, and Mathew Maguire, of New Jersey. Its platform
embodied the essential doctrines of socialism, as commonly
understood, and was as follows:

"The Socialist Labor Party of the United States, in convention


assembled, reasserts the inalienable rights of all men to
life, liberty, and the pursuit of happiness.

"With the founders of the American Republic we hold that the


purpose of government is to secure every citizen in the
enjoyment of this right; but in the right of our conditions we
hold, furthermore, that no such right can be exercised under a
system of economic inequality, essentially destructive of
life, of liberty, and of happiness.

"With the founders of this Republic we hold that the true


theory of politics is that the machinery of government must be
owned and controlled by the whole people; but in the light of
our industrial development we hold, furthermore, that the true
theory of economics is that the machinery of production must
likewise belong to the people in common.

"To the obvious fact that our despotic system of economics is


the direct opposite of our democratic system of politics, can
plainly be traced the existence of a privileged class, the
corruption of Government by that class, the alienation of
public property, public franchises, and public functions to
that class, and the abject dependence of the mightiest of
nations upon that class.

"Again, through the perversion of democracy to the ends of


plutocracy, labor is robbed of its wealth which it alone
produces, is denied the means of self-employment, and by
compulsory idleness in wage slavery, is even deprived of the
necessaries of life.

"Human power and natural forces are thus wasted, that the
plutocracy may rule. Ignorance and misery, with all their
concomitant evils, are perpetuated, that the people may be
kept in bondage. Science and invention are diverted from their
humane purpose to the enslavement of women and children.

"Against such a system the Socialist Labor party once more


enters its protest. Once more it reiterates its fundamental
declaration that private property in the natural sources of
production and in the instruments of labor is the obvious
cause of all economic servitude and political dependence.

{573}

"The time is fast coming when, in the natural course of social


evolution, this system, through the destructive action of its
failures and crises on one hand, and the constructive
tendencies of its trusts and other capitalistic combinations
on the other hand, shall have worked out its own downfall.

"We therefore call upon the wage-workers of the United States,


and upon all honest citizens, to organize under the banner of
the Socialist Labor party into a class-conscious body, aware
of its rights and determined to conquer them by taking
possession of the public powers, so that, held together by an
indomitable spirit of solidarity under the most trying
conditions of the present class struggle, we may put a summary
end to that barbarous struggle by the abolition of classes,
the restoration of the land and of all the means of
production, transportation, and distribution to the people as
a collective body, and the substitution of the co-operative
commonwealth for the present state of planless production,
industrial war, and social disorder, a commonwealth in which
every worker shall have the free exercise and full benefit of
his faculties, multiplied by all modern factors of
civilization.

"With a view to immediate improvement in the condition of


labor we present the following demands:

"1. Reduction of the hours of labor in proportion to the


progress of production.

"2. The United States shall obtain possession of the


railroads, canals, telegraphs, telephones, and all other means
of public transportation and communication; the employés to
operate the same co-operatively under control of the Federal
Government and to elect their own superior officers, but no
employé shall be discharged for political reasons.

"3. The municipalities shall obtain possession of the local


railroads, ferries, waterworks, gas-works, electric plants,
and all industries requiring municipal franchises; the
employés to operate the same co-operatively under control of
the municipal administration and to elect their own superior
officers, but no employé shall be discharged for political
reasons.

"4. The public lands declared inalienable. Revocation of all


land grants to corporations or individuals the conditions of
which have not been complied with.

"5. The United States to have the exclusive right to issue


money.

"6. Congressional legislation providing for the scientific


management of forests and waterways, and prohibiting the waste
of the natural resources of the country.

"7. Inventions to be free to all: the inventors to be


remunerated by the nation.

"8. Progressive income tax and tax on inheritances; the


smaller incomes to be exempt.

"9. School education of all children under fourteen years of


age to be compulsory, gratuitous, and accessible to all by
public assistance in meals, clothing, books, etc., where
necessary.

"10. Repeal of all pauper, tramp, conspiracy, and sumptuary


laws. Unabridged right of combination.

"11. Prohibition of the employment of children of school age


and of female labor in occupations detrimental to health or
morality. Abolition of the convict-labor contract system.

"12. Employment of the unemployed by the public authorities


(county, State, or nation).

"13. All wages to be paid in lawful money of the United


States. Equalization of women's wages to those of men where
equal service is performed.

"14. Laws for the protection of life and limb in all


occupations, and an efficient employers' liability law.

"15. The people to have the right to propose laws and to vote
upon all measures of importance according to the referendum
principle.
"16. Abolition of the veto power of the Executive (National,
State, or municipal), wherever it exists.

"17. Abolition of the United States Senate and all upper


legislative chambers.

"18. Municipal self-government.

"19. Direct vote and secret ballots in all elections.


Universal and equal right of suffrage without regard to color,
creed, or sex. Election days to be legal holidays. The
principle of proportional representation to be introduced.

"20. All public officers to be subject to recall by their


respective constituencies.

"21. Uniform civil and criminal law throughout the United


States. Administration of justice free of charge. Abolition of
capital punishment."

UNITED STATES OF AMERICA: 1896.


The Canvass and Election.

The canvass which occupied the months between party


nominations and the election was the most remarkable, in many
respects, that the country had ever gone through. On both
sides of the silver question intense convictions were burning
and intense anxieties being felt. To the defenders of the gold
standard of value—the monetary standard of the world at
large—an unlimited free coinage of silver legal tender money,
at the ratio of 16 to 1, meant both dishonor and ruin—national
bankruptcy, the wreck of industry, and chaos in the commercial
world. To many of those who strove with desperate eagerness to
bring it about it meant, on the contrary, a millennial social
state, in which abundance would prevail, the goods of the
world be divided more fairly, and labor have a juster reward.
So the issue fronted each as one personal, vital, almost as of
life and death. Their conflict bore no likeness to those
commonly in politics, where consequences seem remote, vague,
general to the body politic,—not, instantly overhanging the
head of the individual citizen, as in this case they did. Not
even the patriotic and moral excitements of the canvass of
1860 produced so intense a feeling of personal interest in the
election—so painful an anxiety in waiting for its result. And
never in any former political contest had the questions
involved been debated so earnestly, studied so widely and
intently, set forth by every artifice of exposition and
illustration with so much ingenious pains. The "campaign
literature" distributed by each party was beyond computation
in quantity and beyond classification in its kinds. The
speeches of the canvass were innumerable. Mr. Bryan
contributed some hundreds, in tours which he made through the
country, and Mr. McKinley, at his home, in Canton, Ohio,
received visiting delegations from all parts of the country
and addressed them at more or less length.

{574}

With all the excitement of anxiety and the heated conflict of


beliefs there was little violence of any kind, from first to
last. The critical election day (November 3) passed with no
serious incidents of disorder. The verdict of the people,
pronounced for the preservation of the monetary standard which
the world at large has established in general use, was
accepted with the equanimity to which self-governing citizens
are trained. Nearly fourteen millions of votes were cast, of
which the Republican presidential electors received 7,104,244;
electors representing the various parties which had nominated
Mr. Bryan received, in all, 6,506,835; those on the National
Democratic ticket received 134,652; those on the Prohibition
tickets, 144,606; those on the Socialist-Labor ticket, 36,416.
In the Electoral College, there were 271 votes for McKinley,
and 176 for Bryan. The States giving their electoral votes for
McKinley were California (excepting 1 vote, cast for Bryan),
Connecticut, Delaware, Illinois, Indiana, Iowa, Kentucky
(except 1), Maine, Maryland, Massachusetts, Michigan,
Minnesota, New Hampshire, New Jersey, New York, North Dakota,
Ohio, Oregon, Pennsylvania, Rhode Island, Vermont, West
Virginia, Wisconsin. The States which chose electors for Bryan
were Alabama, Arkansas, Colorado, Florida, Georgia, Idaho,
Kansas, Louisiana, Mississippi, Missouri, Montana, Nebraska,
Nevada, North Carolina, South Carolina, South Dakota,
Tennessee, Texas, Utah, Virginia, Washington, Wyoming, besides
the single votes won in California and Kentucky. For Vice
President, Hobart received 271 electoral votes—the same as
McKinley; but Sewall received 27 less than Bryan, that number
being cast for the Populist candidate, Watson. This was
consequent on fusion arrangements between Democrats and
Populists in 28 States.

In some States, the majority given against silver free coinage


was overwhelming, as for example, in New York, 268,000
plurality for McKinley, besides 19,000 votes cast for the
"Gold Democratic" candidate; New Jersey, 87,000 Republican
plurality and 6,000 votes for General Palmer; Pennsylvania,
295,000 and 11,000; Massachusetts, 173,000 and 11,000. On the
other hand, Texas gave Bryan a plurality of 202,000, and
Colorado 135,000.

UNITED STATES OF AMERICA: A. D. 1896 (November).


Agreement with Great Britain for the settlement of the
Venezuela dispute.

See (in this volume)


VENEZUELA: A. D. 1896-1899.

UNITED STATES OF AMERICA: A. D. 1896 (December).


President Cleveland on affairs in Cuba.

See (in this volume)


CUBA: A. D. 1896-1897.

UNITED STATES OF AMERICA: A. D. 1896-1897.


Immigration Bill vetoed by President Cleveland.

On the 17th of December, 1896, a bill to amend the immigration


laws, which had passed the House of Representatives during the
previous session of Congress, passed the Senate, with
amendments which the House refused to accept. By conferences
between the two branches of Congress an agreement was finally
reached, in which the House concurred on the 9th of February
and the Senate on the 17th. But the President disapproved the
measure, and returned it to Congress on the 2d of March, with
his objections set forth in the following Message:

"I herewith return without approval House bill No. 7864,


entitled 'An act to amend the immigration laws of the United
States.'

"By the first section of this bill it is proposed to amend


section 1 of the act of March 3, 1891, relating to immigration
by adding to the classes of aliens thereby excluded from
admission to the United States the following: 'All persons
physically capable and over 16 years of age who can not read
and write the English language or some other language; but a
person not so able to read and write who is over 50 years of
age and is the parent or grandparent of a qualified immigrant
over 21 years of age and capable of supporting such parent or
grandparent may accompany such immigrant, or such a parent or
grandparent may be sent for and come to join the family of a
child or grandchild over 21 years of age similarly qualified
and capable, and a wife or minor child not so able to read and
write may accompany or be sent for and come and join the
husband or parent similarly qualified and capable.'

"A radical departure from our national policy relating to


immigration is here presented. Heretofore we have welcomed all
who came to us from other lands except those whose moral or
physical condition or history threatened danger to our
national welfare and safety. Relying upon the zealous
watchfulness of our people to prevent injury to our political
and social fabric, we have encouraged those coming from
foreign countries to cast their lot with us and join in the
development of our vast domain, securing in return a share in
the blessings of American citizenship. A century's stupendous
growth, largely due to the assimilation and thrift of millions
of sturdy and patriotic adopted citizens, attests the success
of this generous and free-handed policy which, while guarding
the people's interests, exacts from our immigrants only
physical and moral soundness and a willingness and ability to
work. A contemplation of the grand results of this policy can
not fail to arouse a sentiment in its defense, for however it
might have been regarded as an original proposition and viewed
as an experiment its accomplishments are such that if it is to be
uprooted at this late day its disadvantages should be plainly
apparent and the substitute adopted should be just and
adequate, free from uncertainties, and guarded against
difficult or oppressive administration.

"It is not claimed, I believe, that the time has come for the
further restriction of immigration on the ground that an
excess of population overcrowds our land. It is said, however,
that the quality of recent immigration is undesirable. The
time is quite within recent memory when the same thing was
said of immigrants who, with their descendants, are now
numbered among our best citizens. It is said that too many
immigrants settle in our cities, thus dangerously increasing
their idle and vicious population. This is certainly a
disadvantage. It can not be shown, however, that it affects
all our cities, nor that it is permanent; nor does it appear
that this condition where it exists demands as its remedy the
reversal of our present immigration policy. The claim is also
made that the influx of foreign laborers deprives of the
opportunity to work those who are better entitled than they to
the privilege of earning their livelihood by daily toil. An
unfortunate condition is certainly presented when any who are
willing to labor are unemployed, but so far as this condition
now exists among our people it must be conceded to be a result
of phenomenal business depression and the stagnation of all
enterprises in which labor is a factor.
{575}
With the advent of settled and wholesome financial and
economic governmental policies and consequent encouragement to
the activity of capital the misfortunes of unemployed labor
should, to a great extent at least, be remedied. If it
continues, its natural consequences must be to check the
further immigration to our cities of foreign laborers and to
deplete the ranks of those already there. In the meantime
those most willing and best entitled ought to be able to
secure the advantages of such work as there is to do.

"It is proposed by the bill under consideration to meet the


alleged difficulties of the situation by establishing an
educational test by which the right of a foreigner to make his
home with us shall be determined. Its general scheme is to
prohibit from admission to our country all immigrants
'physically capable and over 16 years of age who can not read
and write the English language or some other language,' and it
is provided that this test shall be applied by requiring
immigrants seeking admission to read and afterwards to write
not less than twenty nor more than twenty-five words of the
Constitution of the United States in some language, and that
any immigrant failing in this shall not be admitted, but shall
be returned to the country from whence he came at the expense
of the steamship or railroad company which brought him.

"The best reason that could be given for this radical


restriction of immigration is the necessity of protecting our
population against degeneration and saving our national peace
and quiet from imported turbulence and disorder. I can not
believe that we would be protected against these evils by
limiting immigration to those who can read and write in any
language twenty-five words of our Constitution. In my opinion,
it is infinitely more safe to admit a hundred thousand
immigrants who, though unable to read and write, seek among us
only a home and opportunity to work than to admit one of those
unruly agitators and enemies of governmental control who can
not only read and write, but delights in arousing by
inflammatory speech the illiterate and peacefully inclined to
discontent and tumult. Violence and disorder do not originate
with illiterate laborers. They are, rather, the victims of the
educated agitator. The ability to read and write, as required
in this bill, in and of itself affords, in my opinion, a
misleading test of contented industry and supplies
unsatisfactory evidence of desirable citizenship or a proper
apprehension of the benefits of our institutions. If any
particular element of our illiterate immigration is to be
feared for other causes than illiteracy, these causes should
be dealt with directly, instead of making illiteracy the
pretext for exclusion, to the detriment of other illiterate
immigrants against whom the real cause of complaint cannot be
alleged.

"The provisions intended to rid that part of the proposed


legislation already referred to from obvious hardship appear
to me to be indefinite and inadequate. A parent, grandparent,
wife, or minor child of a qualified immigrant, though unable
to read and write, may accompany the immigrant or be sent for
to join his family, provided the immigrant is capable of
supporting such relative. These exceptions to the general rule
of exclusion contained in the bill were made to prevent the
separation of families, and yet neither brothers nor sisters
are provided for. In order that relatives who are provided for
may be reunited, those still in foreign lands must be sent for
to join the immigrant here. What formality is necessary to
constitute this prerequisite, and how are the facts of
relationship and that the relative is sent for to be
established? Are the illiterate relatives of immigrants who
have come here under prior laws entitled to the advantage of
these exceptions? A husband who can read and write and who
determines to abandon his illiterate wife abroad will find
here under this law an absolutely safe retreat. The illiterate
relatives mentioned must not only be sent for, but such immigrant
must be capable of supporting them when they arrive. This
requirement proceeds upon the assumption that the foreign
relatives coming here are in every case, by reason of poverty,
liable to become a public charge unless the immigrant is
capable of their support. The contrary is very often true. And
yet if unable to read and write, though quite able and willing
to support themselves and their relatives here besides, they
could not be admitted under the provisions of this bill if the
immigrant was impoverished, though the aid of his fortunate
but illiterate relative might be the means of saving him from
pauperism.

"The fourth section of this bill provides—'That it shall be


unlawful for any male alien who has not in good faith made his
declaration before the proper court of his intention to become
a citizen of the United States to be employed on any public works
of the United States or to come regularly or habitually into
the United States by land or water for the purpose of engaging
in any mechanical trade or manual labor for wages or salary,
returning from time to time to a foreign country.' The fifth
section provides—'That it shall be unlawful for any person,
partnership, company, or corporation knowingly to employ any
alien coming into the United States in violation of the next
preceding section of this act.'

"The prohibition against the employment of aliens upon any


public works of the United States is in line with other
legislation of a like character. It is quite a different
thing, however, to declare it a crime for an alien to come
regularly and habitually into the United States for the
purpose of obtaining work from private parties, if such alien
returns from time to time to a foreign country, and to
constitute any employment of such alien a criminal offense.
When we consider these provisions of the bill in connection
with our long northern frontier and the boundaries of our
States and Territories, often but an imaginary line separating
them from the British dominions, and recall the friendly
intercourse between the people who are neighbors on either
side, the provisions of this bill affecting them must be
regarded as illiberal, narrow, and un-American. The residents
of these States and Territories have separate and especial
interests which in many cases make an interchange of labor
between their people and their alien neighbors most important,
frequently with the advantage largely in favor of our
citizens. This suggests the inexpediency of Federal
interference with these conditions when not necessary to the
correction of a substantial evil, affecting the general
welfare. Such unfriendly legislation as is proposed could
hardly fail to provoke retaliatory measures, to the injury of
many of our citizens who now find employment on adjoining
foreign soil.
{576}
The uncertainty of construction to which the language of these
provisions is subject is a serious objection to a statute
which describes a crime. An important element in the offense
sought to be created by these sections is the coming
'regularly or habitually into the United States.' These words
are impossible of definite and certain construction. The same
may be said of the equally important words 'returning from
time to time to a foreign country.'

"A careful examination of this bill has convinced me that for


the reasons given and others not specifically stated its
provisions are unnecessarily harsh and oppressive, and its
defects in construction would cause vexation and its operation
would result in harm to our citizens.
GROVER CLEVELAND."

In the House of Representatives, the Bill was passed again,


over the veto, by the requisite vote of two-thirds; in the
Senate it was referred to the Committee on Immigration, and no
further action was taken upon it. Therefore, it did not become
a law.

UNITED STATES OF AMERICA: A. D. 1896-1898.


Agitation for monetary reforms.
The Indianapolis Commission.
Secretary Gage's plan.
The Senatorial block in the way.

On November 18, 1896, the Governors of the Indianapolis Board


of Trade invited the Boards of Trade of Chicago, St. Louis,
Cincinnati, Louisville, Cleveland. Columbus, Toledo, Kansas
City, Detroit, Milwaukee, St. Paul, Des Moines, Minneapolis,
Grand Rapids, Peoria, and Omaha to a conference on the first
of December following, to consider the advisability of calling
a larger convention from commercial organizations throughout
the country for the purpose of discussing the wisdom of
selecting a non-partisan commission to formulate a sound
currency system. This preliminary conference issued a call for
a non-partisan monetary convention of business men, chosen
from boards of trade, chambers of commerce, and commercial
clubs, to meet in Indianapolis, on January 12, 1897. At the
convention there were assembled, with credentials, 299
delegates, representing business organizations and cities in
nearly every State in the Union. The result of its
deliberations was expressed in resolutions which opened as
follows:

"This convention declares that it has become absolutely


necessary that a consistent, straightforward, and deliberately
planned monetary system shall be inaugurated, the fundamental
basis of which should be: First, that the present gold
standard should be maintained. Second, that steps should be
taken to insure the ultimate retirement of all classes of
United States notes by a gradual and steady process, and so as
to avoid the injurious contraction of the currency, or
disturbance of the business interests of the country, and that
until such retirements provision should be made for a
separation of the revenue and note-issue departments of the
Treasury. Third, that a banking system be provided, which
should furnish credit facilities to every portion of the
country and a safe and elastic circulation, and especially
with a view of securing such a distribution of the loanable
capital of the country as will tend to equalize the rates of
interest in all parts thereof."

Recognizing the necessity of committing the formulation of


such a plan to a body of men trained and experienced in these
matters, a commission was proposed. In case no commission
should be authorized by Congress in the spring of 1897, the
Executive Committee of the Convention was authorized to select
a commission of eleven members, "to make thorough
investigation of the monetary affairs and needs of this
country, in all relations and aspects, and to make appropriate
suggestions as to any evils found to exist, and the remedies
therefor."

Congress did not authorize the appointment of a monetary


commission; and the Executive Committee of the Convention
selected a commission of eleven members, which began its
sittings in Washington, September 22, 1897. … The Commission
was composed as follows: George F. Edmunds, Vermont, chairman;
George E. Leighton, Missouri, vice-chairman; T. G. Bush,
Alabama; W. B. Dean, Minnesota; Charles S. Fairchild, New
York; Stuyvesant Fish, New York; J. W. Fries, North Carolina;
Louis A. Garnett, California; J. Laurence Laughlin, Illinois;
C. Stuart Patterson, Pennsylvania; Robert S. Taylor, Indiana;
and L. Carron Root and H. Parker Willis, secretaries. Early in
January, 1898, the report of the Monetary Commission was
made public, and a second convention of delegates from the
boards of trade and other commercial organizations of leading
cities in the country was called together at Indianapolis,
January 20-26, to consider its recommendations. The measures
proposed by the Commission were approved by the convention,
and were submitted to Congress by a committee appointed to
urge their enactment in law. The Secretary of the Treasury,
Mr. Gage, had already, in his first annual report and in the
draft of a bill which he laid before the House committee on
banking and currency, made recommendations which accorded in
principle with those of the Commission, differing somewhat in
details. Both plans, with some proposals from other sources,
were now taken in hand by the House committee on banking and
currency, and a bill was prepared, which the committee
reported to the House on the 15th of June. But the other
branch of Congress, the Senate, had already declared itself in
a way which forbade any hope of success. By a vote of 47 to
32, that body had resolved, on the 28th of January, that "all
the bonds of the United States issued, or authorized to be
issued, under the said acts of Congress herein before recited,
are payable, principal and interest, at the option of the
government of the United States, in silver dollars, of the
coinage of the United States, containing 412½ grains each of
standard silver: and that to restore to its coinage such
silver coins as a legal tender in payment of said bonds,
principal and interest, is not in violation of the public
faith, nor in derogation of the rights of the public
creditor." The House, by 182 to 132, had rejected this
resolution; but the Senate action had demonstrated the evident
uselessness of attempting legislation in the interest of a
monetary reform. Accordingly the House bill, after being
reported and made public, for discussion outside, was
withdrawn by the committee, and the subject rested in
Congress, while agitation in the country went on.

{577}

UNITED STATES OF AMERICA: A. D. 1897.


The Industrial Revolution.
"In 1865 the problem presented was this: The United States
could certainly excel any European nation in economic
competition, and possibly the whole Continent combined, if it
could utilize its resources. So much was admitted; the doubt
touched the capacity of the people to organize a system of
transportation and industry adequate to attain that end.
Failure meant certain bankruptcy. Unappalled by the magnitude
of the speculation, the American people took the risk. What
that risk was may be imagined when the fact is grasped that in
1865, with 35,000 miles of road already built, this people
entered on the construction of 160,000 miles more, at an
outlay, probably, in excess of $10,000,000,000. Such figures
convey no impression to the mind, any more than a statement of
the distance of a star. It may aid the imagination, perhaps,
to say that Mr. Giffen estimated the cost to France of the war
of 1870, including the indemnity and Alsace and Lorraine, at
less than $3,500,000,000, or about one-third of this
portentous mortgage on the future.

"As late as 1870 America remained relatively poor, for


America, so far as her export trade went, relied on
agriculture alone. To build her roads she had to borrow, and
she expected to pay dear; but she did not calculate on having
to pay twice the capital she borrowed, estimating that capital
in the only merchandise she had to sell. Yet this is very nearly
what occurred. Agricultural prices fell so rapidly that
between 1890 and 1897, when the sharpest pressure prevailed,
it took something like twice the weight of wheat or cotton to
repay a dollar borrowed in 1873, that would have sufficed to
satisfy the creditor when the debt was contracted. Merchandise
enough could not be shipped to meet the emergency, and
balances had to be paid in coin. The agony this people endured
may be measured by the sacrifice they made. At the moment of
severest contraction, in the single year 1893. the United
States parted with upwards of $87,000,000 of gold, when to
lose gold was like draining a living body of its blood. …

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