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OH Là Là, ces Français !

(2015) de Marie TREPS (extrait AMGF)


Français & Administration et Napoléon (cf. Napoléon)
[…] Bien que l’Empereur n’ait jamais mis les pieds en Irlande, dans le vocabulaire irlandais, des mots rappellent
l’épopée napoléonienne et confirment l’apport institutionnel de la Révolution française : saighdiúir, « soldat »,
sáirsint, « sergent », « captaen », « capitaine », et « ginearál », « général »… « Ambasáid », « ambassade », ambasadóir,
« ambassadeur », et consalacht, « consulat ». 65
[…] En effet, avec Napoléon arrive en Europe le modèle administratif français. Le Code civil s’impose dans plusieurs
États, au nord, au centre et à l’est de l’Europe, le vocabulaire de la diplomatie suit. Tout ce qui a trait au métier de
diplomate, à la vie quotidienne d’une ambassade, au cérémonial et au protocole s’exprime désormais avec des
mots français : « ambassade », « ambassadeur », « consulat », « agrément », lettre de créance », lettre de rappel »,
« chargé d’affaires », « attaché », « corps diplomatique », « prérogatives de courtoisie »… Ces usages administratifs
persistent en bien des endroits et, quand j’interrogeai une Finlandaise sur les mots français installés dans sa langue, le
premier qui lui vint à l’esprit fut « force majeure »… Partout le modèle militaire français s’impose, lui aussi, comme le
rappellent de nombreux mots : « alarme », « attaque », « attentat », « barricade », « barrière »… « Adjudant », « amiral »,
« gendarme », « major », maréchal », « officier », « sergent, « soldat »…
[…] Aujourd’hui, la Slovénie abrite le seul monument de toute l’Europe dédié à la gloire de Napoléon. En 1929, à
l’occasion du cent vingtième anniversaire des quatre années d’administration française, les Slovènes érigèrent sur la
place de la Révolution française (« Trg francoske revolucije »), à Ljubljana, le monument à l’Illyrie napoléonienne.
Cette colonne renferme les cendres d’un soldat français de la Grande Armée et porte l’inscription, en français et en
slovène, d’une ode (Illyrie ressuscitée) spécialement dédiée à Napoléon par le poète Valentin Vodnik (1758-1819)
qui apporta son soutien à la présence française. 65
[…] Enfin, pour être envahi ou soumis, on n’en emprunte pas moins à l’ennemi certaines agréables habitudes. En
Slovaquie, quelques soldats napoléoniens sont restés sur place, et leurs descendants, qui portent des patronymes
français, ont transmis « mariage ». En slovaque, « mariáš » désigne un jeu de cartes, très proche de la belote
française. Il y a une vingtaine d’années, des Français voyageant dans cette région des Carpates ont été surpris de
découvrir, en arrivant sur la place d’un petit village, des hommes attablés absorbés par une partie de « belote »… en
français. Et dans le grand-duché de Varsovie, dont Napoléon avait fait un protectorat à la suite du traité de Tilsit
(1807), naît « alagierę ». Ce mot derrière lequel on doit reconnaître, ce qui n’est pas évident, notre « à la guerre
(comme à la guerre) », désigne une sorte de jeu de billard se jouant à deux personnes. 65
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Affectation


[…] Les Néerlandais ont fabriqué l’expression « Franse complimenten maken », littéralement « faire des compliments à
la française », c’est-à-dire « tenir des propos flagorneurs »… 28
[…] Les Néerlandais quant à eux ont inventé le « salon-socialiste », littéralement « socialiste de salon ». 28
[…] En période électorale, aujourd’hui encore, les Italiens évoquent la « politica del l’embrassons-nous. » Aussi
étonnant que cela paraisse, cet « embrassons-nous » provient du titre d’un vaudeville d’Eugène Labiche et Auguste
Lefranc, « Embrassons-nous, Folleville », représentée pour la première fois à Paris le 6 mars 1850. En France,
« Embrassons-nous, Folleville ! » est devenu une expression ironique désignant des démonstrations d’amitié ou de
joie factices, destinées à occulter les différends. En Italie, l’expression a cours dans les milieux politiques pour
désigner une unité de façade, des embrassades de circonstance, des sourires pour la galerie, cette sorte d’attitude
qui consiste, bien que l’on soit en désaccord profond, à s’afficher unis…28
[…] Derrière la politesse à la française se cacherait une certaine hypocrisie ? En portugais, « francesismo », qui
désigne banalement un gallicisme – un mot emprunté au français –, est aussi utilisé dans le sens de « fausseté,
dissimulation ». Apprenez en passant que « franchinote », fabriqué à partir de « français », signifie « morveux ». « Aide
de camp », arrivé en Espagne avec Napoléon, devenu « edecán », a poursuivi sa carrière outre-Pyrénées…
L’ « edecán » espagnol est désormais un « intermédiaire », voire un « entremetteur », un « colporteur de
ragots ». […] Certains ont retenu le mot « ami » mais ils en ont fait un personnage infréquentable. En Allemagne,
« Ami » désigne un type répugnant. En Roumanie, « amic », de « ami », s’applique à quelqu’un dont l’amitié n’est
pas sincère.
Les Anglais, quant à eux, ont le « faux bonhomme ». Celui-là est un « hypocrite fini »… Cette expression, en usage en
France au XIXe siècle 28
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OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Amour et Protagonistes


[…] Ainsi, la séduction à la française met en scène des protocoles et des acteurs répertoriés. On raconte, en
Allemagne, l’histoire de deux banquiers, l’un est un homme âgé, l’autre est jeune. Le premier est Bankier, il a ein
« Rendezvous » avec seiner « Mätresse ». Il lui offre des « Dessous », ein « Parfüm » et ein « Rouge »… Le second est
Banker, il a ein Date avec sa Love Affair. Ses cadeaux ? Underwear, eine « Fragrance » et ein « Blush ». Les mots
changent, le cérémonial est immuable… et français.
Chez les Anglais, les protagonistes sont « amant », « bien-aimé, « fiancé », « divorcé », côté messieurs. En face, on
trouve « demi-mondaine », « femme fatale » – modèle sophistiqué de garce –, « fille de joie », « ingénue »,
« maîtresse », « coquette – séductrice.
Chez les Italiens, on sait que les histoires d’amour finissent parfois mal : « barbablù » – de « Barbe-Bleue »,
personnage du conte popularisé par Charles Perrault – désigne un « mari violent ».
Chez les Grecs, outre la « kokéta » et son double masculin, le « galantómos », une galerie de personnages sont prêts
à endosser des rôles un peu olé olé : « métrésa », « kokota », « katina », « zinkolo », fam fatal. Chez les Espagnols,
galante et coqueta sont en place, apparaît « favorito ». « L’intriga » peut commencer, « chantaj »e et ménage à trois
au programme. Cet arrangement domestique vaudevillesque est connu au Portugal, tout comme la « deboche » ;
d’ailleurs, la « coqueta », femme galante, attend son heure. La « koketė » lituanienne, en fait autant, de son côté. En
Pologne, « lamur » entre en scène – notre l’amour désigne ici un « amant ». En Russie, voici « kujon », un « chaud
lapin ». Avant de s’offusquer, on se souviendra que son inspirateur, notre couillon, doit son nom au latin populaire
« colea », « couille ». Dans les Balkans, « francuski ljubavnici », « les amants français » ne sont pas des inconnus.
En Roumanie, « amor », calqué sur le français « amour », se substitue au terme du cru « dragoste » quand il est
question d’une simple aventure sexuelle. Sachant cela, on imaginera sans peine que « face amor » doive se traduire
par « faire du sexe ». Quant à « amorez », derrière lequel on reconnaît amoureux, il désigne un « amant », une
« maîtresse » ou… un « gigolo ». 57
En janvier 2014, une liaison prêtée au président Hollande affole la presse européenne. Le Times publie une sorte
d’agenda fictif du président en franglais, où celui-ci affirme : « Je suis le sexy, dirty chien ! » Le Daily Telegraph
relativise : « Les liaisons ne sont pas une nouveauté dans l’histoire des présidents français. » Plusieurs médias
allemands font de Oh là là ! leur gros titre. Évoquant une « affaire d’État » – un jeu de mots, puisque « Affäre » en
allemand évoque une liaison sentimentale –, le site internet de Bild se sent obligé d’expliquer que « les Français sont
particulièrement habitués aux frasques sentimentales de leurs présidents en exercice », en rappelant que Nicolas
Sarkozy avait entamé une relation avec Carla Bruni après le début de son mandat, alors qu’il était à peine divorcé. Le
quotidien turinois La Stampa rappelle que « la France, forte d’une ancienne tradition de libertinage, entre histoire,
cinéma et littérature, s’est toujours montrée tolérante à l’égard des histoires conjugales et extraconjugales de ses
présidents ».
En mai 2011 éclate à New York « l’affaire DSK ». Alors même que la presse française commente avec une certaine
retenue l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, les tabloïds anglo-américains se déchaînent. Le soupçon
d’agression sexuelle qui pèse sur le directeur du FMI, possible candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2012,
ne fait que renforcer l’opinion que l’on a des Français à l’étranger : ce sont des obsédés du sexe. Quand DSK, assigné
à résidence, emménage dans le quartier branché de Tribeca, le New York Post et le Daily News font à nouveau la une
avec la photographie de la maison du « Perv ». En titrant Chez « Perv », on a choisi un mot – emprunté au français
« pervers » – évoquant clairement le comportement sexuel supposé dépravé des Français.
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Cette piètre opinion est ancienne. On soupçonne son existence, dès le XVII siècle, en Europe du Nord, là où les
éducatrices protestantes ont laissé leur empreinte.
Au Danemark, un gouvernante-roman, roman à l’eau de rose, est destiné aux jeunes filles, alors qu’en Lituanie, dans un
« roman à la française », il sera question de liaison adultérine et ce roman-là n’est pas à mettre entre des mains
innocentes.
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Aux Pays-Bas, trois siècles durant, du XVII au XIX siècle, dans les familles bourgeoises, on avait pour habitude de
parler français en présence des domestiques, afin de les tenir à l’écart des affaires privées. Mais ces derniers,
attrapant au vol quelques mots, les adaptant au mieux à leurs gosiers néerlandais, ont enrichi leur vocabulaire. Ces
mots français, plus ou moins déformés, se sont ensuite répandus. Est-ce ainsi que se sont introduits « bagatel » (la
« bagatelle ») et « kado », « bordeel » et « plezier » (« plaisir »), « maîtresse » et « gigolo » ? Ou encore
« surveilleren », « fouilleren » et « chanteren », « exercer un chantage » ? Peut-être aussi « escapade », qui désigne
joliment un faux pas, « liaison » et « rendez-vous » – ce dernier n’est pas romantique aux Pays-Bas, il s’agit de sexe,

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en compagnie d’une maîtresse ou d’une prostituee, c’est comme ça. Et aujourd’hui encore, on utilise ce réjouissant
euphémisme, « parijse opvattingen », « idées parisiennes », pour évoquer toutes sortes de débauches.
Bien qu’il n’ait pas connu la même fortune que « garçonnière », on retrouve notre « bordel » en Europe du Nord
(Pays-Bas, Lituanie et Pologne), en Europe centrale, orientale et dans les Balkans (Hongrie, Tchéquie, Russie,
Roumanie, Bulgarie), en Europe du Sud (Italie, Espagne et Portugal). Ce qui semble coïncider avec l’épopée
européenne de Napoléon. Chez les Anglo-Américains, c’est on ne peut plus clair, « bordel » se dit « frenchery ».
Les « cartes postales françaises », photographies érotiques de femmes dénudées, éditées en France à la fin du
e e
XIX siècle et au début du XX siècle, ont été largement diffusées – parfois vendues sous le manteau. Elles sont connues
au Danemark, « franske postkort », et aux États-Unis, « French postcards ».
Ô surprise, un argot canaille inspiré du français s’amuse à rebaptiser certaines parties sensibles du corps. Qu’est-ce
qu’un « cul français » ? Un joli petit cul rebondi, me dit-on à Copenhague ; l’attribut peut être masculin ou féminin,
précise-t-on. Que sont les « michelines » ? Ces bourrelets disgracieux autour de la taille qu’on appelle en français
« poignées d’amour ». D’où sort cet euphémisme imaginé par les Espagnols ? De « Michelin », nom d’une marque de
pneumatiques dont l’emblème, mondialement connu, est le Bibendum. En Bulgarie, les appâts féminins ont inspiré
« avangard », « amortissiory » ou « balkon » : pour désigner la poitrine, il n’y a que l’embarras du choix. En Turquie,
« şanjıman » (de « changement »), qui, en turc, signifie « boîte de vitesse », désigne de manière argotique la poitrine
et vites, « levier de vitesse », le pénis. Avec un peu d’imagination…
Les Anglais ont popularisé le « French lover », « amant français », prototype de l’amant performant. Magnifique.
Las ! les Américains en ont dessiné une caricature. « Pépé le Putois », créé par Charles Martin « Chuck » Jones en
1945, est le héros d’un dessin animé mythique. L’animal se promène gentiment dans les rues de Paris au printemps,
saison des amours. Perpétuellement à la recherche du grand amour, il est désavantagé par son odeur insupportable
et un comportement harcelant qui font fuir ses conquêtes. Comme de juste, il parle avec un fort accent français, use
d’expressions typiquement françaises et abuse de l’article « le » ou « la ». Il est facile de le deviner, ce putois très
français est une parodie du French lover. Un nouveau Pepe le Pew est devenu aussi célèbre que l’original. En
mai 2011, le New York Post, premier journal à révéler l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, attribue un nouveau
surnom à DSK… Pepe le Pew. 59-61
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Argent et filouterie


[…] À Copenhague, les choses sont claires : « franske lommer », les « poches françaises », sont percées, « franske
ydelser », les « prestations françaises », sont des revenus échappant au fisc et « fransk guld, » l’« or français »,
c’est du toc. 14
[…] À Amsterdam, qu’est-ce qu’une « douceur » ? Un extra… en espèces sonnantes et trébuchantes. À Bucarest, un
« paraştíst », littéralement « parachutiste », est une personne pistonnée – par allusion au sens français, en usage
dans le monde politique, de « parachuté ». À Istanbul, nous trouvons « torpil » (de « torpille ») qui signifie
curieusement « favoritisme » et « eşantiyon » (de « échantillon ») qui désigne un pot-de-vin. Constatons au passage
que, dans ce dernier cas, l’argot français a emprunté « bakchich » au turc. Celui-là a pris en français la couleur
péjorative de « pot-de-vin » que l’on sait, alors qu’en turc il avait le sens neutre de « pourboire », au moment de son
introduction dans notre langue par Gérard de Nerval. […] Voyage en Orient, qui paraît en 1851.14
[…] Aux États-Unis, une eau-de-vie fine passée en contrebande se cache derrière le label « article français », et toute
forme de drogue narcotique illégale derrière la mention « français ». 14
[…] Dès la fin de la Renaissance, les Espagnols s’en plaignaient. Au moment où l’insuffisance de l’économie espagnole
et l’excessive présence étrangère sont dénoncées, le nombre important d’immigrés français pauvres suscite mépris
et méfiance. Au dédain s’ajoutent les soupçons de trafic commercial, fraude, commerce interlope, contrebande,
passage de livres hérétiques, faux-monnayage, etc. Dans ses « comedias nuevas », Lope de Vega rend compte de
l’apparition d’une expression francophobe : la « sopa del pobre », la « soupe du pauvre », devient la « sopa
francesa », la « soupe française » 16
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Français & Français en Asie


[…] Le sens est le cadet des soucis. Il n’empêche, les mots choisis témoignent encore d’un désir de France précis :
ce sont la cuisine, l’élégance vestimentaire, le luxe… qui font rêver. On recourt à un français en toc pour
bénéficier d’une sorte ll y a une certaine volupté pour un Français à déambuler dans les rues commerçantes de
Pattaya ou de Bangkok, pour peu qu’il soit curieux et perspicace. […] Les somptueuses résidences qui poussent
comme des champignons dans les grandes métropoles asiatiques portent des noms évocateurs du faste français :
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« Versailles », « Trianon », à Pékin, « Grande de Paris », « Raffiné », à Bangkok. On trouve, à Pattaya, le « Grand Solé
Hotel » et le « Club Boesché » – c’est un bar à go-go. Sur ces deux enseignes, l’accent aigu, parfaitement injustifié,
apporte la touche française. Il fonctionne comme un leurre, certes, mais révèle un certain souci esthétique.
Dans les villes thaïlandaises, les salons de coiffure ou d’esthétique affichant des noms à consonance française comme
Ma Mignonne ne sont pas rares, mais on ne compte pas le nombre de centres de soins aux noms évoquant une
France majestueuse, Versailles Massage, La Défense Massage, Champs Elysee Massage, à moins que l’on opte pour
des intitulés suggestifs comme Catherine Massage ou Emmanuelle Massage – probablement inspiré par Emmanuelle,
film érotique de Just Jaeckin qui obtint un succès mondial dès sa sortie, en 1974.
À Shanghai, un Français anime une émission télévisée, fort populaire, consacrée à la langue française. On y apprend
que les Chinois rêvent d’avoir un ami français et se familiarisent avec un vocabulaire – parfaitement hétéroclite, il
faut le dire – dans cette heureuse perspective. Des mots utiles dans la vie courante comme « téléphone » ou « grille-
pain ». Des termes de civilité comme « bonjour », « au revoir », « faire la bise ». Des expressions qui agrémentent la
conversation… notre » Oh là là » est ainsi arrivé en Chine.
Au Japon, le franponais se porte à merveille. Ce français sauce soja fleurit sur les enseignes des magasins, les T-shirts,
les menus… Truffé d’approximations, de faux-sens, de coq-à-l’âne, ce français choc est du dernier chic et du meilleur
goût, parfaitement, pour peu qu’il s’agisse de mode, de coiffure, de cuisine ou de pâtisserie… Valeurs sûres de l’art
de vivre à la française.
Des vêtements estampillés « Moi-même-Moitié », « Jle’mets solo », « Bulle de savon » ou « Bonjour tristesse »… aux T-
shirts affichant « Je heureux » ou « J’adore chien » et aux chaussures exposées à l’enseigne Les « Pieds avec
panaché »on trouvera son bonheur. Vous achèterez les sous-vêtements féminins chez « Intésucré » – tellement
raffinés, les accents aigus. Besoin d’un coiffeur ? Entrez de confiance à la boutique Hachis de fleurs, oui, oui. Tenté par
une pâtisserie ? Vous hésiterez peut-être entre « Bien cuit par notre ferveur » et C’est « la gâteau excellent » que nous
avons fait cordialement. Je ne suis pas certaine que vous vous arrêtiez à la boulangerie « Le Clos aux mouches », vous lui
préférerez l’enseigne « Vive la France ». Si vous cherchez un café pour vous remettre de ce shopping à la française, vous
n’aurez que l’embarras du choix : « Café de Amuse », « Tarte de roman », Jus de cœur, « Bistrot d’arbre »…

Français & Au revoir


[…] À Berlin, à Ljubljana, à Rome, à Madrid, à Lisbonne comme à Dakar, qui « file à la française » ferait-il preuve de
discrétion ? Point. Celui-là part sans dire au revoir… 7
Importun
[…] En Hongrie, l’expression « Menj francia ! » est utilisée pour envoyer promener un importun : « Va te faire voir
chez les Français ! » 7
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Bain et Propreté


[…] Le « petimetre » espagnol, le « janota » portugais, le « beaulah » anglais, voici autant de personnages exagérément
raffinés inspirés des Français, pour tourner en dérision l’excessive attention que nous portons à la toilette. En
revanche, le « French bath « imaginé par les Anglo-Américains – peu d’eau, beaucoup de parfum – laisse à penser
que les Français ne sont pas les champions de la propreté. 7
[…] Selon les Anglo-Américains, nous ferions usage du parfum comme désodorisant, pour faire l’économie d’une
toilette digne de ce nom… 9
[…] Les Grecs et les Chiliens nous attribuent aussi cette peu glorieuse parade pour cacher notre hygiène
approximative. Les Chiliens usent de l’expression « oler a francés », littéralement « sentir français », ce qui signifie
« puer ». 10
[…] « au Royaume-Uni, en milieu bourgeois, on s’amuse de cette coutume prêtée aux Français : « Je vais prendre une
douche française », dit-on quand on n’a pas le temps de se rafraîchir. Peu d’eau, beaucoup de parfum…
Les Grecs et les Chiliens nous attribuent aussi cette peu glorieuse parade pour cacher notre hygiène approximative.
Les Chiliens usent de l’expression « oler a francés », littéralement « sentir français », ce qui signifie « puer ». 10
[…] Les Italiens comme beaucoup d’autres ont en tête cette image du Français sale. On ne se laverait pas tous les
jours et, pour camoufler l’odeur, on utiliserait un Chanel, Gaultier et autre Dior. À croire que l’histoire du
premier bain de Louis XIV à l’âge de quatorze ans nous colle à la peau ! Aurélien Bureau, « Clichés, la France
vue par les Italiens », www.lepetitjournal.com, 2013 10
[…] Dans le petit manuel qui leur est distribué en 1945 pour les prémunir contre le choc culturel et les préparer à la
confrontation avec les Français, on explique ainsi le déplorable manque d’hygiène dont se plaignent les GI : « Ils
n’ont plus de savon depuis 1940. » ; « Leur niveau de vie est inférieur au nôtre (de par la guerre). » ; « Installer une

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plomberie moderne n’est pas bon marché pour des gens qui ont subi six ans de guerre, d’occupation et de
privation. C’est aussi le cas dans 80 % des fermes américaines. » 112 Gripes about the French, Information &
Education Division of the US Occupation Forces,1945. 9
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Français & Baiser


[…] Selon mon informatrice anglaise, « ce n’est pas spécialement bon mais particulièrement osé et sophistiqué, un
must du protocole de séduction. Le baiser avec la langue, c’est le nec plus ultra ». Voilà qui est clair. Le « baiser
français », il est vrai, est universellement connu dans sa version anglaise, « French kiss » – celui-ci fait son apparition
en 1923. Soit, mais, à l’exception des Néerlandais, chacun, en Europe, s’est approprié notre baiser et l’a adapté à son
gosier, si j’ose dire.
« Französisch Kuss » à Berlin, « póg Fraincis » à Dublin, « franskur koss » à Reykjavik, « fransk kys » à Copenhague et
Oslo, « franska kyss » à Stockholm, « franču skūpsts » à Riga, « prancūziškas bučinys » à Vilnius, « prantsuse
suudlus » à Tallinn, « ranskalainen suudelma » à Helsinki, « francia csók » à Budapest, « francouzský polibek » à
Prague, « francúzsky bozk » à Bratislava, « francoski poljub à Ljubljana, « francuski poljubac » à Belgrade ou Zagreb,
« frenska tselouvka » à Sofia, « pocałunek francuski à Varsovie, « frantsouzskiï potselouï » à Moscou, « fransız
öpücüğü » à Istanbul, « gallikó filí » à Athènes, « beso francés » à Madrid, « beijo francês » à Lisbonne, « bacio alla
francese » à Rome, « sărut francez » à Bucarest…
Ainsi, du nord au sud et d’est en ouest, sur le continent européen, on s’embrasse à la française. Et, pendant ce
temps-là, en France, on se roule des patins, des pelles, des galoches… Partout, les langues se mêlent. Les Québécois,
linguistes aventureux, sont allés jusqu’à inventer le verbe « frencher ». […] Au Royaume-Uni comme aux États-Unis,
le « French kiss », dans sa version hard, évoque le sexe oral. « To french » – apparu dès 1917 –, c’est « tailler une
pipe », autrement dit, pratiquer une fellation. Et pour nommer la chose, s’il existe une panoplie de synonymes, tous
ont en commun de mêler les Français à l’affaire. « French art », « French culture », « Frenching », « French job »,
« French way », « French sex », « French tricks », « tours français ». Il y a encore le fameux « French love ». Sachez-le,
en Pologne comme en Allemagne, aux Pays-Bas comme en Bulgarie, on évoque l »’amour français », « les rapports
français », ou bien « on le fait en français ». Peu importe la formulation, il s’agit toujours de sexe oral. Le mal court.
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OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Bel Ami


[…] Autre inspiration littéraire. Bel-Ami, grand séducteur, héros du roman du même nom de Guy de Maupassant, fit,
contre toute attente, une jolie carrière en Estonie. Là, celles et ceux qui ont en tête l’œuvre romanesque appellent
« bel-ami » un homme populaire auprès des femmes. Pour les autres, « bel-ami » est un terme affectueux que l’on
peut traduire par « bel ami » (kena sõber), « bon ami » (hea sõber), « cher ami » (kallis sõber), « mon chéri » (minu
armas)… Selon. 55
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Bidet


[…] Un autre objet de l’intimité venu de France a élu domicile partout. On le nomme « bidé » en Suède, en Espagne,
en Slovénie, en Serbie, en Bulgarie et en Russie, « bidē » en Lettonie, « bidė » en Lituanie, « mpintés » en Grèce,
« bide » en Turquie, « bidè » en Italie, bidê au Portugal et « bideu » en Roumanie. Les Anglais, les Néerlandais, les
Norvégiens, les Tchèques, les Slovaques, les Polonais et les Allemands s’en tiennent à « bidet », même si ces
derniers lui préfèrent parfois « französisches Becken », « bassin des Français ». Les Italiens attribuent la légendaire
saleté des Français au peu de goût qu’ils manifestent de nos jours pour cette commodité.
Mais l’argument irréfutable reste l’utilisation du bidet. En Italie, toutes les salles de bains en ont un. Et les Italiens ne pourraient pas vivre
sans. En France, on ne les intègre plus dans les salles de bains depuis les années 1970. Le plus absurde pour les Italiens, c’est qu’il s’agit d’une
invention française ! Aurélien Bureau, art. cit. 53
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Boulangerie


[…] Ah ! le pain français. Partout apprécié, jamais égalé. Vous retrouverez « baguette », souvent escorté de
« croissant » et de « brioche », aux quatre coins du monde. On s’est si bien approprié le pain qu’on lui donne parfois
de petits noms.

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En Finlande, on trouvera sous l’appellation « patonki, « bâton », notre baguette, et aussi le « pain français »,
« ranskanleipä ». Tandis qu’en Russie, « baton » désigne soit un pain industriel très sec, typique de la période
soviétique, soit un saucisson. Bon. Au Portugal, « casse-tête » désigne un pain long. En Hongrie, « baguet » désigne
un sandwich fait avec un pain blanc, qui ressemble à notre baguette, alors que l’on dit « sandwich » quand il est fait
avec des tranches de pain bis. Notre « baguette » devient « bagietka » chez les Polonais – qui chérissent les
diminutifs affectueux.
En Suède, « pain riche » désigne une « baguette », du nom du fameux restaurant Riche, campé depuis 1896 au beau
milieu du « Petit Paris », quartier chic de Stockholm. Là, restaurant désigne un pain de 500 grammes.
La boulangerie française s’est récemment installée en Irlande avec l’entreprise « Pain de France » : on peut
désormais s’y procurer les modernes croissant ou baguette, mais aussi l’ancien « builín », « miche de pain » – d’après
« boulenc », emprunté jadis aux envahisseurs normands. Au Danemark, on distingue « rugbrød » – c’est un pain de
seigle – et « franskbrød », « pain français » – c’est un pain blanc moulé.
[…] Ah ! le pain français. Partout apprécié, jamais égalé. Vous retrouverez « baguette », souvent escorté de
« croissant » et de « brioche », aux quatre coins du monde. On s’est si bien approprié le pain qu’on lui donne parfois
de petits noms.
En Finlande, on trouvera sous l’appellation « patonki, « bâton », notre baguette, et aussi le « pain français »,
« ranskanleipä ». Tandis qu’en Russie, « baton » désigne soit un pain industriel très sec, typique de la période
soviétique, soit un saucisson. Bon. Au Portugal, « casse-tête » désigne un pain long. En Hongrie, « baguet » désigne
un sandwich fait avec un pain blanc, qui ressemble à notre baguette, alors que l’on dit « sandwich » quand il est fait
avec des tranches de pain bis. Notre « baguette » devient « bagietka » chez les Polonais – qui chérissent les
diminutifs affectueux.
En Suède, « pain riche » désigne une baguette, du nom du fameux restaurant Riche, campé depuis 1896 au beau
milieu du « Petit Paris », quartier chic de Stockholm. Là, « restaurant » désigne un pain de 500 grammes. La
boulangerie française s’est récemment installée en Irlande avec l’entreprise « Pain de France » : on peut désormais
s’y procurer les modernes « croissant » ou « baguette », mais aussi l’ancien « builín », « miche de pain » – d’après
« boulenc », emprunté jadis aux envahisseurs normands. Au Danemark, on distingue « rugbrød » – c’est un pain de
seigle – et « franskbrød », « pain français » – c’est un pain blanc moulé. […] Au Royaume-Uni comme au Canada,
chacun a le choix entre « French loaf », la « miche », et « French bread », la « baguette ». Cette dernière, aussi
appelée « French stick », « bâton français », est, là comme ailleurs, appréciée pour sa croustillante croûte et sa
moelleuse mie. De la Belgique, où on l’appelle « pain français », à Singapour, où elle répond au nom de « roti
Perancis » – ce qui signifie exactement la même chose –, la baguette est un symbole de la France. À Tokyo, une
boulangerie qui fait, dans la tradition, du bon pain tout chaud sorti du four porte l’enseigne « Boulangerie chaude ».
À Shanghai, les grands hôtels ont besoin des ouvriers boulangers formés par des Français : pain de campagne, pain
de seigle, croissant, pâte à la française (pâte feuilletée) sont ici chez eux.
Et partout l’on redoute que les Français ne renoncent à la boulangerie traditionnelle.
[…] « La “baguette” de pain n’est plus ce qu’elle était, les Américains s’inquiètent », www.latribune.fr, 22 août 2013.
Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Un proverbe français dit : « Le pain est le meilleur des gâteaux », et les Français aiment
tant le pain que, lorsqu’il est rassis, ils en font une gourmandise nommée « pain perdu ». Anglais, Américains et
Canadiens l’ont adopté et rebaptisé « French toast ». Ici ou là, le pain est aussi utile à certaines préparations
qualifiées de « françaises ». Et celles-ci n’évoquent ni la pauvreté ni la frugalité, il s’en faut.
Voici le « French dip sandwich », « sandwich trempette à la française », aussi appelé « beef dip », « bœuf au jus » :
tranche de rôti de bœuf (chaude) dressée sur une baguette et arrosée du jus de cuisson. En dépit de son nom, cette
spécialité américaine est inconnue en France. Sans doute est-ce l’utilisation de la baguette et la qualité du produit
qui ont suscité l’appellation « à la française ». Il en va de même pour le « Fransk hotdog », « hot-dog français », régal
danois. La baguette est ici toastée et farcie d’un hot-dog enrobé de sauce crémeuse.
Au Portugal on trouvera la « francesinha ». Qu’est-ce qui se cache derrière cette « petite Française » ? Ce plat
typique de la région de Porto, mais apprécié, des plus âgés aux plus jeunes, partout dans le pays, est une sorte de
sandwich, qui n’a rien à voir avec un maigre « parisien » – jambon-beurre. La « francesinha » est bien lotie : entre
deux tranches de pain, on trouvera du jambon, du fromage en quantité, de la saucisse, du bifsteck, le tout nappé
d’une sauce piquante. Souvenir des invasions françaises au Portugal ? Les troupes françaises avaient, dit-on,
l’habitude de manger du pain avec n’importe quelle viande et beaucoup de fromage. Peut-être. Quoi qu’il en soit, la
« petite Française », c’est l’abondance ! 43-44
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

6
Français & Chaussure et Talon Louis
[…] Au rayon chaussures, Louis XIV a laissé sa griffe avec le « French heel » ou « Louis’s heel », « talon français » ou
« talon Louis ». Vers 1660, un cordonnier nommé Nicolas Lestage conçoit des chaussures à talons hauts pour Louis
XIV afin de compenser sa petite taille – le Roi-Soleil ne mesurait que 5 pieds 3 pouces. Sachez-le, certains talons
mesuraient plus de 10 centimètres et la plupart étaient décorés de scènes de bataille. Pour que le « talon Louis »
parvienne jusqu’à nous, il a fallu qu’une femme s’en mêle. Mme de Pompadour, maîtresse de Louis XV, sera la
première femme à s’en emparer, à le féminiser. Le voici rebaptisé « talon Pompadour ». La tendance a fait son
chemin et, dans les années 1800, les femmes américaines commencent à copier la mode parisienne, y compris ces
chaussures à talons moyens à courbe concave effilée vers l’extérieur, toujours connues outre-Atlantique sous le nom
de « talons français » ou « talons Louis ».
Au XXe siècle, notre « bottine » a séduit les Russes (« botinki ») et les Roumaines (« botină »), les Hongroises ont
opté pour les « trotteurs » (« trottőrcipő »), les Grecques se distinguent avec les « barettes », chaussures à brides. La
« sandale » fait fureur chez les Norvégiens, les Russes, les Roumains et les Turcs – qui connaissent aussi la
« sandalet », la « şoset », « chaussette », et le « şoson », « chausson ». Les Serbes, les Russes et les Ukrainiens
connaissent notre « espadrile ».
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Chauvinisme


[…] le Club Med, c’est recréer la France à l’étranger. Les Croates ont donné aux Français le surnom de « Tricolore »,
pour la bonne raison que ceux-ci portent des vêtements de sport tricolores, soit, mais aussi parce qu’ils sont prêts,
en toutes circonstances, à hisser haut leurs couleurs. La fortune patriotique de Nicolas Chauvin, grognard présumé
de la Grande Armée, type du soldat naïvement exalté de l’Empire, a perduré outre-Rhin, donnant à notre
« chauvin » des couleurs inattendues : pour les Allemands, « chauvi « n’est autre qu’un phallocrate, pour les
Autrichiens, un xénophobe qui n’aime que les Autrichiennes de souche. 16
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Chic français


[…] Dans les sociétés contemporaines, démocratisées, le chic français inspire toujours, et en Europe il a gardé son
parfum désuet. « Na, du bist ja totschick ! » dit-on, à Berlin, à qui se soucie de la mode et accorde de
l’importance à sa toilette, « Tu es bien toutchic ! ». 34
OH Là Là, ces Français ! (2015) de Marie TREPS

Français & Comportement


[…] À Florence, on dit : « À l’heure de la sieste, il n’y a que les chiens et les Français dans les rues. » Les Français
seraient-ils incapables de s’adapter aux us et coutumes locaux ? C’est, en effet, une opinion répandue que celle du
Français incapable de parler une autre langue que la sienne, voyageant avec ses chères habitudes. Au contraire, les
Français sont curieux, mais ils découvrent à leur manière, en promeneurs, et cela peut surprendre.
En Hongrie, en effet, on s’étonne de ce que les Français prennent le temps d’aller au parc, s’assoient sur un banc et
restent là sans rien faire, alors que dans d’autres pays les gens sont toujours pressés.
D’ailleurs, les Danois nous ont emprunté promener, promenade et flâneur. Dans ses habits danois, « flanør » désigne
quelqu’un qui déguste la vie, tranquillement.
Un Français globe-trotter, en voyage à Hong Kong, explique fort bien comment, sous une apparente paresse, on peut
déceler des qualités… Grande première : les Français sont très modestes… comparés aux anglophones. Ces derniers
semblent […] prétentieux et bruyants. Peut-être est-ce dû au fait que les Anglais ont colonisé Hong Kong ou
parce que la ville est totalement anglophone. […] Cela atténue fortement le sentiment d’être étranger et dépaysé.
Les Français n’ont pas cet avantage de la langue. La débrouille, la modestie vis-à-vis des locaux et l’envie de
découvrir en découlent. Je retrouve plus facilement les Français dans les lieux touristiques que dans les bars ou les
magasins. « Prosith Kong », « Comment reconnaître un Français à l’étranger ? », bondyblog.liberation.fr, 2011. 11
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Compréhension des Français


[…] Napoléon, voyant la sollicitude des Hongrois envers les malheureux, leur a laissé nombre de ses soldats
blessés. Ceux-ci furent bien soignés par la population, bien qu’entre les uns et les autres la communication ait

7
probablement été très réduite. Cet épisode de la campagne française de 1809 a inspiré l’expression « Beszélhetsz neki
mint a beteg franciának », « Tu peux lui parler comme aux Français malades ». On l’utilise dans des circonstances où,
quoi que l’on dise, cela n’aura aucun effet. Autant pisser dans un violon, comme on dit en France. 69
e
[…] On le pensait déjà au XIX siècle, les Français ne comprennent rien à rien. Au siècle suivant, il semblerait que, ni
en Tchéquie ni en Turquie, l’on ait changé d’opinion. Un ami tchèque, journaliste, me rapporte cette expression
hybride fort réjouissante, inventée par ses compatriotes : « Netvař se jako kakabus ». Si, à Prague, on vous adresse
une lettre en poste restante, pour la retirer, il faut impérativement prononcer le « e » final : « poste restante ». Sinon,
on ne vous remettra pas votre lettre et « vous resterez comme caca bouse » ! 70
[…] En 2008, à la une d’un journal stambouliote, une expression cousine de celle inventée par les Tchèques surgit,
elle n’a pas fini de faire du bruit. « Fransız kalmak », littéralement « rester français », signifie en réalité « être à côté
de la plaque, ne rien comprendre à la situation ». Les tergiversations de la France sur la question de l’entrée de la
Turquie dans l’Union européenne sont la cause de ce vif engouement pour cette expression cinglante.
Côté turc, elle traduit une déception certaine vis-à-vis des Français. Côté français, elle trahit une méconnaissance,
voire un déni, de l’Histoire. Car les relations entre la France et l’Empire ottoman sont anciennes – des traités,
établis entre le sultan Soliman le Magnifique et le roi François. Elles ont, ont ouvert aux commerçants français la
voie de la Sublime Porte. Elles ont été fructueuses – au XIXesiècle, des échanges diplomatiques conduisent à
une réorganisation de l’État et de l’enseignement qui se fera désormais en partie en français, au lycée impérial
ottoman de Galatasaray, à partir de 1868. Elles ont été marquantes – au XXesiècle siècle, la modernisation du pays,
l’occidentalisation des mœurs se fait sous l’influence de Mustafa Kemal, qui nourrissait une égale admiration à
l’égard des Lumières, de la France révolutionnaire et de Napoléon… Le Père des Turcs avait misé sur le tiercé
gagnant, en quelque sorte.
Il suffit encore d’un mot pour traduire ce désamour. « Alafranga », littéralement « à la française », qui existe
probablement en turc depuis le XIXe siècle au moins, est spontanément traduit, aujourd’hui, par « à l’européenne, à
l’occidentale ». Dans cette expression, utilisée pour souligner la modernité d’une chose, d’un style, la référence aux
manières françaises a ainsi été gommée… En 2008, à la une d’un journal stambouliote, une expression cousine de
celle inventée par les Tchèques surgit, elle n’a pas fini de faire du bruit. « Fransız kalmak », littéralement « rester
français », signifie en réalité « être à côté de la plaque, ne rien comprendre à la situation ». Les tergiversations de la
France sur la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne sont la cause de ce vif engouement pour
cette expression cinglante. 70
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Conversation


[…] En Croatie, qui lève les yeux peut apercevoir une maison agrémentée d’un « francuski balkon ». À quoi ressemble
ce « balcon français » ? Il est exigu, juste assez grand pour que l’on puisse ouvrir les volets, jeter un coup d’œil sur ce
qui se passe alentour… Et bavarder avec une commère du voisinage. 23
[…] Ce n’est pas tout. Moult petites tournures françaises sont injectées dans les dialogues anglais dès que l’occasion se
présente. « Noblesse oblige »… « Après moi le déluge »… « Faute de mieux »… « À contrecœur »… « À corps perdu »… « Un je ne sais
quoi »… « Laisser-aller »… « Laisser-faire »… « Esprit d’escalier »… « Fait accompli »… « Folie des grandeurs »… « Savoir-vivre »…
« Comme il faut »… « Beau monde »… « Crème de la crème »… 23
Les Anglais, qui ont, comme on sait, une réputation d’originaux aux yeux des Français, s’amusent d’expressions
formulées en français mais dont le sens échappe aux francophones. Ainsi, « À propos de bottes »…, tout à fait utile à
qui veut changer de sujet. Une invention plaisante de nos cousins d’outre-Manche. 23
[…] La vie sociale suédoise ne saurait se passer de mots français, tels « komplimang » (de « compliment ») ou
« touche » qui signifie « chic », « classe » : « Vilken touche » ! – « Quelle allure ! » 23
Les Espagnols usent avec parcimonie de formules françaises comme bonjour, au revoir ou merci mais n’hésitent pas
à lâcher « Chapo! » pour exprimer leur admiration, tandis que les jeunes gens portugais lancent « Bestial ! » dans de
semblables circonstances, à moins qu’ils ne saluent une action remarquable d’un « Com panache ! » admiratif. Les
Slovènes, quant à eux, ont choisi « Énorme ! » et l’utilisent à tout bout de champ, « alors que le slovène, commente
une linguiste puriste, a un mot approprié et parlant pour exprimer la même chose ». Cela ne traduirait-il pas une
certaine excentricité ? Folle jeunesse.
En Italie, l’on sera surpris d’entendre, au détour de la conversation, des expressions bien françaises : « à la page »,
« dernier cri », crème de la crème. Des proverbes aussi : « À la guerre comme à la guerre », « Cherchez la femme », et, tenez-
vous bien, « Point d’argent, point de Suisse, qui a quasiment disparu de notre côté des Alpes. Et même quelques
interjections : « Et voilà ! » « Parbleu ! » « Chapeau ! » 25

8
e
Dans un dictionnaire du parler varsovien au XX siècle, quelque sept cents gallicismes sont répertoriés, dont
beaucoup d’expressions reflétant un certain art de vivre et de converser. Un tantinet désuètes, ces formules
viennent pourtant, pêle-mêle, à l’esprit de mes informateurs : « vis-à-vis », « déjà vu », « à propos », « savoir-vivre », « carte
blanche », « au courant », « bon mot », « chapeau bas », « comme il faut », « enfant terrible », « faux pas », « fin de siècle », « noblesse
oblige », « par excellence ». 25
[…] Les Russes, friands de petites phrases françaises, peuvent décidément remercier Léon Tolstoï, mais aussi
Alexandre Pouchkine et Nicolas Gogol, d’avoir introduit dans leurs œuvres – non en caractères cyrilliques mais en
caractères latins, s’il vous plaît – « Revenons à nos moutons »… « Cherchez la femme ! »… « J’ai d’autres chats à fouetter… » « C’est
e
un enfant terrible ». Comment s’en étonner ? Au XIX siècle, quelques expressions françaises sont devenues un
trait distinctif de la langue russe parlée dans les hautes sphères de la société : Ah ! chère […], и в моей жизни
« tout n’est pas rose », разве я не вижу, что « du train que nous allons », […] нашего состояния нам
ненадолго… Léon Tolstoï, Guerre et Paix, 1878. 24
[…] Ainsi, les Russes se régalent de l’expression « je ne mange pas six jours ». Peut-être une allusion aux soldats
français affamés mendiant lors de la retraite de Russie ? Elle apparaît dans le roman satirique Les Douze Chaises d’Ilia Ilf
et Evgueni Petrov (1928), et depuis elle est prononcée à tout propos, par jeu. Se moquer des Français n’est-il pas
réjouissant ? Le français reste malgré tout une langue liée à la culture dans la bonne société russe. Les jeunes gens
d’aujourd’hui remettent au goût du jour, non sans humour, des expressions qui sembleraient vieillottes aux yeux de la
jeunesse française : « Cherchélafame » (cherchez la femme), « Selavi » (c’est la vie), « Sanfassone » (sans façons)… Et, quand rien
ne va plus, ils n’hésitent pas à user d’une interjection bien française : « Bordel ! »
[…] En Lettonie, on parle de « franču stils », « style français », et cela implique une certaine élégance, en particulier
dans la manière de s’exprimer. 24
[…] Non content de pointer l’infirmité linguistique des Français, on les accuse d’être fort bavards. En Irlande, il existe
un mot bien utile quand votre interlocuteur se lance dans des discours particulièrement vides de sens : « raiméis ».
Le père Breandán Ó Doibhlin, qui a enseigné le français à l’université de Maynooth, soutient que ce fort gaélique
raiméis vient du français « ramage », « chant d’oiseau ». Les Irlandais usent de raiméis ! [roomèche] comme d’une
interjection musclée adressée à qui parle à tort et à travers 25
[…] Au Danemark, « parlør », emprunté au français « parleur », « personne qui s’écoute parler », désigne un manuel
de conversation. 25
Aux Pays-Bas, les intellectuels ont inventé « flux de bouche », expression fleurie correspondant à notre « torrent de
paroles ». 25
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Couvre-chef


[…] Le béret, la casquette, le bonnet et même le « bonnet de nuit », le « panama », la « cloche » et même le
« cylindre », chapeau de cérémonie, ont colonisé l’Europe, tout comme le « foulard », « l’écharpe », le « châle » et
même le « cache-col », le (nœud) papillon, la « cravate » et même les « poignets mousquetaires », la « broche », le
« collier », le « médaillon » et même les « dormeuses » (boucles d’oreilles) … En matière d’accessoires, les Polonais,
qui font preuve d’un talent certain pour nommer les choses, ont la palme de l’originalité. Voyez, à Varsovie, les
garçons pourront dénicher le fameux petit foulard rouge emprunté aux apaches français : il répond au nom de
« apaszka ». Et la « casquette gavroche », « gawroszka », empruntée au héros frondeur du roman de Victor Hugo Les
Misérables. À la fin des années 1960, les plus branchés lui préféreront une sorte de képi, la « degolowka ». Ce nom
ne vous dit rien ? En 1967, le général de Gaulle, en visite officielle en Pologne, inspira et le mot et la mode, qui fit
véritablement fureur. 36
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Cuisine emblématique


[…] qu’une habitude de table venue de France s’installe outre-Rhin. « Teller », qui désigne en allemand une assiette,
est un lointain descendant du français « tailloir », tranche de pain sur laquelle étaient servies les viandes, au Moyen
 ge. L’influence française passait alors volontiers par la littérature, et c’est notamment à travers la poésie épique
que l’Europe du Nord découvre les mœurs raffinées du monde chevaleresque – dans les Pays-Bas, « Lancelot » a
d’abord été édité en français avant de susciter trois traductions. En Espagne, c’est la littérature courtoise qui dépose
e
« sumiller », « sommelier », et « servilleta », « serviette », au milieu du XVI siècle.

9
À son tour, l’émigration huguenote a largement contribué à diffuser vocabulaire et bonnes recettes. « Sally lunn » en
est ainsi un souvenir émouvant. C’est le nom d’une brioche, joliment imaginé à partir de « soleil » et « lune » par une
jeune huguenote française réfugiée vers 1680 au pays de Galles. Solange Luyon baptisa ainsi les brioches rondes
comme la lune et dorées comme le soleil qu’elle vendait à Bath. Avec les calvinistes fuyant la France, les mots
français arrivent en masse en terre germanique. À Berlin, un siècle après le début de l’immigration, un habitant sur
quatre se trouvait être d’origine française, et, aujourd’hui encore, l’argot berlinois est truffé d’expressions
pittoresques bricolées à partir de mots français : « Muckefuck », par exemple, qui désigne un mauvais café.
Dès 1669, à Paris, on connaissait le café, car Soliman Aga, ambassadeur du « Grand Turc » auprès de Louis XIV, en
diplomate avisé, en offrait à ses visiteurs. Et on allait bientôt goûter au délicieux moka, importé d’Arabie par les
négociants marseillais. Les immigrés huguenots arrivant de France découvrent en Allemagne du Nord une boisson
pâlichonne et fade, ils ont l’idée d’ajouter au breuvage de la chicorée sauvage, ce qui améliore le goût de la mixture
obtenue à partir de céréales et lui donne la couleur du moka. D’où son nom, « Muckefuck »… « moka faux ». 45
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Décontraction


[…] En revanche, en Italie, une attitude décontractée s’exprime volontiers par ces mots français, « laisser-aller,
laisser-faire ». Mieux, dans ses habits danois, on reconnaîtra sans peine notre « flâneur » : au pays d’Andersen,
« flanør » désigne quelqu’un qui déguste la vie, tranquillement. 7
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Desserts


[…] Trouver un « risalamande » au Danemark n’est pas si étonnant que cela, au fond, si l’on considère le succès
international, jamais démenti, de la confiserie et de la pâtisserie françaises.
À Saint-Pétersbourg, une chaîne de salons de thé porte l’enseigne « Оntromè » (de « entremets »). À Szentendre
(Saint-André), village touristique proche de Budapest, un salon de thé propose « csokoládé » (« chocolats »), « praliné »,
« bon-bon », « trüffel » (truffes), « drazsék » (« dragées »)… Les Hongrois ne sont pas les seuls à apprécier les douceurs
françaises, caramel et nougat, madeleine, pain d’épices et biscuit ont élu domicile, ici ou là. Les Turcs se régalent de pötibör
et gofret, figurez-vous. Le petit four est partout, oui, mais, inspirés par les nombreux pâtissiers français qui, au
XIXesiècle, s’installèrent dans les grandes villes de Roumanie, les pâtissiers locaux ont inventé un gâteau, glacé ou
non, fourré ou non, et ils l’ont baptisé « fursec », mot-valise créé à partir de « petit four » et de « gâteau sec ». Le
« marón glasé » est la douceur préférée des vieilles dames grecques, à N o ël l. Celles-ci connaissent aussi le
« savayiar », le biscuit à la cuiller – le grec a maintenu un sens ancien du mot « savoyard ». Tandis qu’au Portugal, les
mêmes biscuits répondent au curieux nom de « palitos la Reine », ce que certains traduisent par « cure-dents de la
reine » ! Les plus sages assurent que les palitos, « petits bâtons », sont utilisés pour faire la charlotte – qui a
beaucoup voyagé de par le monde – et que cet entremets ressemble à une coiffe de reine.
La meringue ? Elle a bourlingué. La voici au Danemark et en Norvège, « marengs », en Espagne et au Portugal,
« merengue » – si la meringue est de petite taille, les Portugais l’appellent joliment « suspiro », « soupir ». Si, à
Berlin, l’on vous propose un « baiser », à Varsovie, un « bezą » ou à Moscou un « bézé », acceptez, vous dégusterez
e
de petites meringues accolées par de la crème, souvenir du si léger XVIII siècle. Ne soyez pas surpris de retrouver, à
Londres, notre meringue sous un vocable froufroutant, « chiffon cake », « gâteau chiffon ».
Le flan, la crème brûlée, la crème caramel et la mousse (au chocolat), la crêpe et le sorbet, la charlotte, le baba (au
rhum), le chou (à la crème), le saint-honoré, le fondant, le parfait, la profiterole ont fait un malheur en Europe. Et
même la « tart-flambé » et les « frouí glasé », chez les Grecs, la « peşmelba », chez les Turcs, le « roulet », « gâteau
roulé », chez les Russes. Les Polonais, une fois encore, créent la surprise avec un entremets, le « blanc-manger », et
avec les « faworki », beignets en forme de ruban – d’où leur nom, tiré du français « faveur » – servis entre la fin du
carnaval et le début du carême. Sachez enfin que les Japonais aujourd’hui raffolent des « chou ala cream » et autres
« gato » chocolaté.
L’éclair a fait une jolie carrière transeuropéenne, les Tchèques l’ont affectueusement rebaptisé « banánek » – sa
forme n’évoque-t-elle pas la banane ? Pourtant, dans les années 1940, la société soviétique, qui a nourri une haine
féroce contre une culture française symbole de décadence, décrète l’abolition du mot « éclair » et le remplace par
« gâteau oblong avec de la crème ». Moins appétissant. 40-41
[…] Pendant la campagne militaire menée en Westphalie, un pain complet de seigle, brun foncé et légèrement
humide, fut offert à Napoléon. L’Empereur, ne le trouvant point à son goût, se serait écrié : « C’est bon pour Nickel ! »
Ainsi naquit le pumpernickel. Nickel était-il le nom d’un grognard ? Non, le surnom d’une jument. Fayoune, l’une des
cent cinquante montures de l’Empereur, avait en effet une robe grise, couleur de nickel.
10
En Lituanie comme en Pologne, en Géorgie et en Russie, un « napoléon » peut surgir au dessert. La préparation de
cette pâtisserie d’apparence quelconque – elle n’a pas la forme du bicorne de l’Empereur, je m’en suis assurée –
prend trois jours, chaque couche de pâte est en effet aplatie, malaxée, aplatie à nouveau, six fois de suite. Vous
l’aurez deviné, il s’agit d’une « pâte feuilletée », d’ailleurs appelée « pâte française » en Lituanie. Entre les fines
couches de biscuits croquants… beaucoup de crème et de sucre. Pourquoi ce mille-feuille a-t-il été baptisé
« napoleon » par les Lituaniens, les Géorgiens et les Russes, et « napoleonka » par les Polonais ? Nul ne le sait, mais
chacun y va de son hypothèse.
L’Empereur aurait pris le temps de s’arrêter en Lituanie durant sa campagne de Russie. « Depuis, pour célébrer son
empreinte dans la culture nationale, les Lituaniens dégustent le « napoleon »… D’ailleurs, c’était le dessert préféré de
l’Empereur », m’assure une jeune Lituanienne. Son amour pour la France et sa délicatesse lui auront sans doute
inspiré cette interprétation angélique – en réalité, le passage des troupes napoléoniennes en Lituanie a laissé des
souvenirs sanglants. 42
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Éducation


[…] En 1685, la révocation de l’édit de Nantes provoque le départ de France de près de deux cent mille huguenots qui
s’exilent au « Refuge » – Angleterre, Provinces- Unies, Prusse, Suisse et pays scandinaves. Parmi ceux-là se trouvent
de futurs précepteurs et gouvernantes qui vont être des agents de diffusion de la culture et de la langue françaises
dans les pays d’accueil – l’enseignement du français était un métier tout trouvé pour les émigrants cultivés à l’heure
où cette langue jouissait d’un indéniable engouement dans milieux princiers et aristocratiques de l’Europe du Nord.
Frédéric II de Prusse et sa sœur aînée Sophie Wilhelmine, margravine de Bayreuth, ont bénéficié d’une éducation à la
française. Mme de Roucoules – que le futur Frédéric II appelait sa « chère bonne maman » – et Jacques Égide Duhan
de Jandun, tous deux huguenots, inculquent aux enfants royaux le goût des livres, les initient aux manières
françaises, leur apprennent un français parlé, coloré, qui devient pour eux une seconde langue maternelle. Princesse
allemande, la future Catherine II de Russie est éduquée par une Française huguenote, Babette Cardel, qui lui
enseigne tout à la fois sa langue, la littérature française, les manières policées de son pays et les grâces de la société
dont elle est issue. Plus tard, pour les enfants de la noblesse russe, l’apprentissage du français ira de soi. Mais il ne
se fera pas toujours sans peine, comme l’atteste le mot « erunda », calqué sur notre « gérondif », qui, en russe,
signifie « absurdité »…
Après la révolution de 1789, et après celle de 1848 également, la culture française a transité dans les bagages de
nouveaux exilés. Des aristocrates fuyant la France reçoivent asile et bon accueil en Europe centrale, notamment en
Roumanie, où ils entrent comme précepteurs ou gouvernantes dans les maisons de boyards. Dans la seconde
moitié du XIXe siècle, des demoiselles de bonne famille venues de France prennent à leur tour le chemin de l’Est et
poursuivent cette mission d’éducation – en Pologne notamment. Souvenir indélicat de ces dames qui
s’expatrièrent dans toute l’Europe, du XVIIe au XIXe siècle, pour y implanter la langue et la culture françaises : en
Allemagne, une « Gouvernante » est une femme âgée qui donne des leçons à tout le monde, telle une maîtresse
d’école. Et pourtant, il semblerait que, au XXIe siècle, outre-Rhin, on rêve à nouveau aux mœurs policées de
France.
Les Allemands, […] pour veiller sur l’éducation de leurs enfants, ne jureraient que par les « mamies au pair »
françaises. Afin de satisfaire à cette demande, une agence de Hambourg, « Granny aupair », vient de lancer un appel
à candidatures […]. « Nous croulons sous les demandes […]. Paris est la plus belle capitale du monde et le français la
plus belle langue […]. En Allemagne nous aimerions bien ressentir un peu de ce savoir-vivre inatteignable. Nos
grannies sont plus que de simples éducatrices. Elles apportent leur expérience, leur raffinement et leur langue
dans un foyer. » Patrick Saint-Paul, Les Allemands réclament des mamies françaises in Le Figaro, 21 novembre 2012.
27
En Irlande, aujourd’hui, des Françaises séjournent comme jeunes filles au pair dans les familles – on les appelle
d’ailleurs « au pair ». Avec des mots et des usages français, cer taines y laisseront leur prénom. Thérèse et Antoinette
sont particulièrement appréciés, ce n’est pas le cas de Béatrice, qui est ressenti comme vieillot. Cette pratique
actuelle est dans le droit-fil de la tradition qui consistait jadis à emprunter des prénoms aux conquérants normands.
Étonnante permanence d’habitudes culturelles.
Signe d’un certain attrait pour l’éducation française, on retrouve parfois, dans les langues d’Europe, le mot
« pédagogue ». Mais bien plus souvent encore, il faut l’admettre, le mot « pédant ». En Lituanie, « pédant » est
utilisé à la fois comme substantif, « pedantas, et comme adjectif, « pedantiškas » ; mieux, « pédanterie » et
« pédantisme » ont aussi été retenus – respectivement « pedantiškumas » et « pedantizmas ». 27-28
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

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Français & Élégance
[…] en Norvège, une femme élégante peut être qualifiée de « Française »… 7
[…] Les Allemands n’ont-ils pas créé l’expression mit Schick und Charme, qui évoque outre-Rhin la manière
française de se comporter 7
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Évasion fiscale


[…] Tandis qu’en Suisse, le doux nom de « Frouze », « sale Français », est appliqué aux redevables de l’ISF réfugiés
dans la Confédération. 15
Les Belges ont donné un surnom spirituel aux Français venus s’installer chez eux pour échapper au fisc : les « SDF »,
« Sans Domicile Fiscal ». 7
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Familiarité et incongruité


[…] En russe, « amikochonstvo », littéralement « ami-cochon », désigne une attitude familière. Cette réjouissante
expression croise vraisemblablement « être copains comme cochons » – très copains – et « nous n’avons pas gardé
les cochons ensemble » – qui suggère une privauté malvenue.
Les Polonais, qui ont le génie d’assaisonner les mots français à leur façon, révélant ainsi une fantaisie fort
réjouissante, ont transposé notre « guillotiner » dans le domaine du savoir-vivre : « gilotynować » traduit le fait de
mettre brusquement fin à une conversation.
Une jeune Lettone me confie, : « Il y a une expression utilisée par mes amis et moi- même, qui allons souvent en
France. C’est « franču rinda », une « queue française », c’est-à-dire une queue où chacun cherche à passer devant
l’autre sans respecter l’ordre. […]. » 30
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Femme Française


[…] Si la femme française telle qu’on l’imagine est toujours au centre de ce dispositif de séduction, elle en est bien
souvent l’intrépide actrice principale. « Cherchez la femme » et « femme fatale » ont fait fortune, et ce n’est
certainement pas un hasard. 57
[…] Dans les années 1930-1940 apparaissait « Mademoizook », anglicisme éphémère désignant une fille française de
mœurs légères ou se livrant à la prostitution. Aujourd’hui, aux états unis, une « tante française » est un type de
gemme frivolz, « une vanille française », une femme blanche sexy, « article français » désigne une prostituée.
Hors du monde anglo-américain, qu’en est-il ? En Bulgarie, « chantaj » (de « chantage ») désigne curieusement une
prostituée, « trotoarka » (de « trottoir ») une prostituée exerçant sur le trottoir et « parfioum » une prostituée qui a
des contacts avec des clients riches. En Pologne, « szampan » (de « champagne »), transformé en épithète,
s’applique à une femme gaie, aimant la fête.
« Niks zo sexy als ‘n vrouw die in ‘t Frans bestelt », « Rien de plus sexy qu’une femme qui vous sert en parlant
français ». C’est du moins ce qui se dit en Belgique néerlandophone. Là-dessus, tout le monde a l’air de s’accorder, la
Française est sexy. Et le prototype de la fille sexy semble bien être notre « soubrette ». Cette femme de chambre
coquette et délurée a voyagé partout en Europe, figurez-vous, avec la littérature et le théâtre. Elle est « soumpréta »
pour les Grecs, « szubrett » pour les Hongrois, « sooubretté » pour les Serbes, « subretka » pour les Polonais, les
Russes, les Bulgares, « subretă » pour les Roumains et demeure « soubrette », du nord au sud, pour les autres.
Les Italiens se distinguent en ouvrant une nouvelle carrière à la soubrette. Ayant fait ses adieux au théâtre, la voici
accorte présentatrice de télévision, n’ayant, outre ses appâts, d’autre talent que celui d’animer une émission de
variétés.
Les Anglo-Américains, pour revenir à eux, ont retenu l’habit de la soubrette et en ont fait un usage détonnant.
« French maid », « femme de chambre française », ou soubrette, est une tenue qui s’inspire du costume noir (robe)
et blanc (coiffe, col, tablier) porté l’après-midi par les servantes, au XIX e siècle, réutilisé plus tard par la soubrette des
drames burlesques et du vaudeville. Cette variante affriolante, qui se transforme parfois en lingerie sexy, combine
divers accessoires : gants ou mitaines en satin ou dentelle, coiffe, tablier blanc, mini-robe courte et décolletée noire,
jupon blanc froufroutant, corset ou porte-jarretelles, bas, talons aiguilles et plumeau, le tout souvent agrémenté
d’un collier de chien et parfois d’une culotte blanche. La piquante soubrette est notamment portée dans les jeux de

12
rôle sexuels fétichistes et les relations masochistes. Au Japon, on la retrouve dans les « Maid cafe », où les serveuses
revêtent une version collégienne de la « French maid ». Parfait exemple d’acclimatation. 59
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Filer à la Française


[…] Tandis que chez nous les discrets « filent à l’anglaise », outre-Manche les malotrus « filent à la française » – « to
take French leave ». Et cela, quoi qu’on en dise, ne revient pas au même. Ainsi, les Anglais nous attribuent cette
fâcheuse habitude de quitter une assemblée sans prendre congé poliment, alors qu’eux-mêmes, en pareille
circonstance, n’ont pour seul souci que d’agir discrètement – « filer à l’anglaise ». Or, il semble malheureusement que
nous devions endosser la paternité de cette indélicate attitude car l’expression circule en Europe. Elle revêt tout de
même, ici ou là, des significations différentes. En effet, la traditionnelle animosité entre voisins, qui a pu motiver le
dénigrement des manières françaises, s’est accentuée, çà et là, au gré des moments sensibles de l’Histoire.
Selon les Anglais, « filer à la française » consiste donc à partir d’une réunion sans prendre congé, sans même songer à
remercier ses hôtes ni prendre la peine de donner quelque explication ou excuse pour un tel départ précipité.
Or, l’expression apparaît après la guerre de 1914-1918.
Rebondissement inattendu. Selon mon informatrice anglaise, « to take French leave » endosserait un nouveau sens
après la guerre de 1939-1945 : « laisser une fille avec un bébé en route ». Ce qui est d’autant plus plausible que,
dans le même temps, apparaît la « French leave letter ». Quelle est-elle ? La lettre d’un amoureux anglais que les
Françaises espéraient, après la guerre, lettre qui n’arriverait jamais.
Chez les Allemands, « sich auf französisch empfehlen », « prendre congé à la française », ou, plus couramment, « sich auf
französisch verabschieden », « se dire au revoir en français », c’est, au mieux, se quitter sans dire au revoir, au pire,
partir en oubliant de payer – ce dernier sens étant apparu récemment. Et c’est après la guerre de 1914-1918, encore,
que « sich auf französisch empfehlen » a remplacé « sich auf englisch empfehlen », « prendre congé à l’anglaise », moins
e
malotru, avec lequel il était en concurrence depuis le XIX siècle.
Chez les Italiens, « andarsene alla francese », c’est quitter une compagnie en adressant un salut général, se dispensant
de saluer chacun en particulier. Ce n’est pas particulièrement impoli, plutôt un peu cavalier.
Chez les Grecs, filer à la française, c’est s’en aller sans saluer, d’une façon très discrète, presque en cachette, attitude
ne relevant pas de l’impolitesse mais plutôt de la diplomatie. « To skao ala gallika », c’est partir sans se faire
remarquer pour échapper à une situation embarrassante, où l’on est mal à l’aise.
e
Chez les Espagnols, les choses sont moins roses. La locution « despedirse a la francesa » apparaît dès le XIX siècle –
elle est attestée en 1879. Ce « prendre congé à la française » correspond, alors, à la locution espagnole « hasta más
ver », « jusqu’à se revoir », que l’on emploie au moment de partir. Cette formule découle probablement de la
coutume française du « sans adieu », expression traduisant l’idée que l’on quittait ses interlocuteurs avec l’intention
de les retrouver bientôt. Il s’agissait d’un geste courtois qui exprimait combien la compagnie que l’on abandonnait
temporairement était agréable. Mais, après qu’un violent sentiment antifrançais est apparu dans les milieux
populaires avec l’invasion napoléonienne et la guerre d’Indépendance, le « congé à la française » devint un signe
manifeste d’impolitesse. Il l’est encore et l’animosité envers les voisins français se nourrit d’étymologies aussi
fantaisistes qu’édifiantes.
[…] Au Portugal, l’expression se prête aujourd’hui à des interprétations contraires. Selon les circonstances,
« desperdirse à francesa » ou « sair à francesa » est une marque de discrétion ou d’incivilité.
Les Slovènes ont la même expression. Quand, au cours d’une soirée par exemple, on se rend compte que l’un des
invités a discrètement disparu sans dire au revoir, on dira :
« Il est parti à la française » – « odšel je po francosko ». Les Slovènes ont une autre formule, encore plus mordante,
laissant sous-entendre que les Français prennent certaines libertés avec le protocole : « Il ne m’a pas téléphoné. Il
faisait semblant d’être français » – « naredil se je Francoza », dira par exemple l’organisateur d’une conférence qui
attend vainement la confirmation de la participation d’un professeur invité…
Au Sénégal, « filer à la française » a pris récemment un tour nettement péjoratif : c’est partir en catimini après avoir
fait un mauvais coup. 30-31
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Galanterie


[…] Les mots « galant » et « galanterie » ont fait le tour de l’Europe, « rendez-vous » et « garçonnière » aussi. 7
e
[…] Plus tard, au XVII siècle, les Néerlandais calquent notre « faire la cour »… « Het hof maken » est toujours là.
Dans la Grèce contemporaine, il existe un joli mot, « agagé », inspiré de notre « engagé », il s’applique à deux
13
personnes se tenant bras dessus bras dessous, tels deux fiancés. Au Japon, on appelle « abekku » (adapté de notre
« avec ») un couple d’amoureux. Il reste de ces anciennes délicatesses une manière aimable de s’adresser aux
dames ou de se comporter avec elles : « Place aux dames », disent les Russes.54
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Garde-robe et Vêtement


[…] Ancêtre du hideux « dressing », la jolie « garde-robe » se sent partout chez elle en Europe. À l’exception de la
Hongrie et de la Suisse alémanique, où « garderob » signale, dans les lieux publics, le vestiaire, et de la Bulgarie où
« garderob » désigne un costaud – genre « armoire à glace », précisément, montant la garde à l’entrée d’une banque
ou d’une discothèque –, la garde-robe est, ailleurs comme chez nous, l’endroit où l’on range les vêtements. Et que
trouve-t-on dans la garde-robe de nos voisins proches ou lointains ?
Une trace émouvante, car fort ancienne, de l’influence vestimentaire française se trouve aux Pays-Bas. « Mantel »,
forme archaïque de « manteau », suggère en effet un emprunt antérieur à la fin du Moyen Âge. 36
[…] D’autres manteaux ont, par la suite, élu domicile ici ou là : le « pardessus », le « paletot ». Aux Pays-Bas on
trouve même le « demi-paletot », un manteau léger pour l’intersaison ; en Grèce les dames disposent du
e
« mantó », vêtement léger, pour le printemps, et du « paltó », pour l’hiver. Adoptés au XX siècle par les Turcs, le
« kaban », la « gabardin » et le « kaşpusiye », « cache-poussière ».
En Islande, c’est une curiosité, le manteau est appelé « frakki », et ce mot signifie « Français ». En Roumanie, on
s’étonne de découvrir le « delon ». Qu’est-ce donc ? Un trois-quarts en daim doublé de fourrure… Arrivé dans les
années 1960, avec Rocco et ses frères de Luchino Visconti – un des rares films occidentaux à avoir échappé à la
censure du régime communiste –, sur le dos de l’acteur Alain Delon.
Il subsiste également une trace inattendue de l’épopée européenne de Napoléon : sa redingote grise. Elle était
célèbre et, les choses futiles étant souvent mêlées aux sérieuses, Suédois, Lituaniens, Polonais, Russes et Hongrois
ont adopté cette longue veste croisée, à basques, qui met si bien la silhouette masculine en valeur. En Suède, elle se
cache derrière « redingot », ou « syrtut (de « surtout »). En Lituanie, on l’appelle « surdutas », en Pologne « surdut » et
en Russie « redingot » ou « siourtouk ». Les Hongrois, champions de la précision, la nomment « császárkabát »,
« manteau de l’empereur ».
Surprise, la redingote impériale s’est déclinée en veste d’intérieur en Suède, où elle s’appelle bonjour. On la
retrouve en Pologne et en Russie. À Varsovie, elle répond au doux nom de « bonżurka » – de « bonjour », bien
entendu – ou de « tużurek » – inspiré de « toujours », évidemment. À Moscou, on l’appelle « toujourka ». Ces
noms imaginés par nos lointains cousins slaves disent que cette veste, on l’enfile dès le matin et qu’on la porte tous
les jours, chez soi. Dans l’URSS des années 1920-1930, « toujourka » va désigner cette fois une « veste de cuir,
uniforme » des miliciens et des commissaires politiques.
La « veste » est largement appréciée, mais sachez qu’elle désigne un « gilet » – en Allemagne, aux Pays-Bas, en
Norvège, en Tchéquie et en Roumanie… Et même un « gilet pare- balles » en Suède. Pour ces originaux d’Anglais,
« vest » est un tricot de corps – pour les garçons – ou une chemise – pour les filles. Et le gilet que vous trouverez
en Grèce, « ziléko », est une veste. Flou linguistique. Les dames espagnoles ont tranché la question en adoptant
« chaqueta » (de « jaquette ») : c’est une « veste » ou un « cardigan ».
Une certitude pourtant : la plus sobrement élégante des vestes, c’est aux Pays-Bas que vous la trouverez. Elle est
noire, les messieurs comme les dames l’enfilent pour donner du chic à leur tenue. Son nom ? « Colbert ». Souvenir
du Grand Siècle, n’est-ce pas, car c’est bien l’habit austère de Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, contrôleur
général des finances, qui donna son nom à ce vêtement. Le « colbert » est toujours porté, mais les jeunes femmes
m’avouent avoir un faible pour le moderne « soirelet » (bricolé d’après notre soirée), un petit haut ou un
accessoire chic pour sortir.
S’il s’agit d’être élégant, l’on s’inspire encore des habitudes françaises en adoptant vestes ou costumes de
cérémonie : l’« habit » (au Danemark)… le « frock » (en Suède) ou le « frak » (en Russie)… la « zsakett »,
« jaquette » (en Hongrie). Au Portugal », « toilette », c’est une tenue de soirée.
e
« Pantalon » et « veston », « costume » et « complet, arrivés au XIX siècle avec la modernité, ont fait à leur tour une
belle carrière. Notamment en Turquie. Quand Mustafa Kemal, soucieux de moderniser le pays, entreprend
l’occidentalisation des mœurs, les Turcs sont priés d’adopter le code vestimentaire européen – « kostüm », « pardösü »,
« veston », « kaşkol », « şömiz », « kravat »… Curieusement, en Hongrie, le « kosztüm » est équivoque : soit il

14
désigne le costume anglais, très chic, soit il désigne un accoutrement, plutôt choc. Sachant que les Hongrois
nourrissent une certaine rancœur vis-à-vis de la France depuis la fin de la Première Guerre mondiale, que devons-
nous penser ? 37
Les Turcs n’en ont pas le monopole, notre chemise, on la retrouve partout. Mais seuls les Espagnols ont le privilège
de compter dans leur garde-robe la « chemilaco », « chemise Lacoste ». Sachez aussi que la Révolution a laissé sa
marque. En Italie, la « camicia alla Robespierre » est une chemise dont l’encolure est taillée très large… Au cas
où.
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Costume féminin


En Pologne, les dames ont l’avantage d’avoir à leur disposition « garsonka » (de « garçonne ») et « kostium » (de
« costume »), deux tailleurs-pantalons féminins, l’un pour l’été, l’autre pour l’hiver, chipés aux messieurs.
Côté chiffons féminins, outre la « robe » et même la « robe-manteau », la « godet » (« jupe à godets ») et la
« plissée » (« jupe plissée »), le « corsage » et le chemisier, on trouve dans les garde-robes européennes la
« blouse ». Elle est partout, apparemment aussi indispensable que la « perruque » autrefois. Pourquoi un tel succès,
alors que chez nous « blouse » évoque davantage la tenue de la ménagère ou de l’infirmière que la confection de
luxe ? Outre-Rhin, on connaît la réponse : la blouse, c’est sexy. En témoignent deux expressions. « Die hat ganz schön
was in der Bluse ! », littéralement « Elle n’a que du beau dans sa blouse »… L’inspiratrice de cette remarque a une
belle poitrine. « Sie ist eine heisse Bluse ! », littéralement « C’est une chaude blouse »… Elle est excitante.
Dans le même ordre d’idées, nos amis allemands ont adopté de bon cœur notre « décolleté ». Outre-Rhin, les dames
ignoraient-elles la chose avant l’apparition du vocable français ? Pas tout à fait. Avant l’importation de « Dekolleté »,
on utilisait le mot « Ausschnitt », qui vient du verbe « ausschneiden », « découper ». On le soupçonne, les deux mots
n’ont pas exactement la même nuance. Une enquête le confirme : quand on l’emploie « das Dekolleté », on penserait
moins au décolleté lui-même qu’à ce qu’il dévoile… « Als sie sich nach vorne beugte, sah er ihr Dekolleté ». « Quand
elle se penchait, il voyait sa poitrine. » On réserve « Ausschnitt » à un usage plus technique – il est d’ailleurs
l’équivalent de « échancrure », en usage chez les couturières françaises – et l’on choisit « Dekolleté » dès l’instant où
il y a du sex-appeal dans l’air. La réputation de frivolité des Françaises fait fantasmer les étrangers depuis belle
lurette, cela n’étonnera personne. 37
Les Turcs n’en ont pas le monopole, notre « chemise », on la retrouve partout. Mais seuls les Espagnols ont le
privilège de compter dans leur garde-robe la « chemilaco », « chemise Lacoste ». Sachez aussi que la Révolution a
laissé sa marque. En Italie, la « camicia alla Robespierre » est une chemise dont l’encolure est taillée très large… Au
cas où. En Pologne, les dames ont l’avantage d’avoir à leur disposition « garsonka » (de « garçonne ») et « kostium »
(de « costume »), deux tailleurs-pantalons féminins, l’un pour l’été, l’autre pour l’hiver, chipés aux messieurs.
Côté chiffons féminins, outre la « robe » et même la « robe-manteau », la « godet » (« jupe à godets ») et la
« plissée » (« jupe plissée »), le « corsage » et le « chemisier », on trouve dans les garde-robes européennes la
« blouse ». Elle est partout, apparemment aussi indispensable que la « perruque » autrefois. Pourquoi un tel succès,
alors que chez nous « blouse » évoque davantage la tenue de la ménagère ou de l’infirmière que la confection de
luxe ? Outre-Rhin, on connaît la réponse : la blouse, c’est sexy. En témoignent deux expressions. « Die hat ganz schön
was in der Bluse ! », littéralement « Elle n’a que du beau dans sa blouse »… L’inspiratrice de cette remarque a une
belle poitrine. « Sie ist eine heisse Bluse ! », littéralement « C’est une chaude blouse »… Elle est excitante.
Dans le même ordre d’idées, nos amis allemands ont adopté de bon cœur notre « décolleté ». Outre-Rhin, les dames
ignoraient-elles la chose avant l’apparition du vocable français ? Pas tout à fait. Avant l’importation de Dekolleté , on
utilisait le mot Ausschnitt , qui vient du verbe « ausschneiden », « découper ». On le soupçonne, les deux mots n’ont
pas exactement la même nuance. Une enquête le confirme : quand on l’emploie « das Dekolleté », on penserait moins
au décolleté lui-même qu’à ce qu’il dévoile… « Als sie sich nach vorne beugte, sah er ihr Dekolleté ». « Quand elle se
penchait, il voyait sa poitrine. » On réserve Ausschnitt à un usage plus technique – il est d’ailleurs l’équivalent de
« échancrure », en usage chez les couturières françaises – et l’on choisit « Dekolleté » dès l’instant où il y a du sex-
appeal dans l’air. La réputation de frivolité des Françaises fait fantasmer les étrangers depuis belle lurette, cela
n’étonnera personne. 38
[…] déferlement dans le monde des dessous féminins français ?
Dans l’intimité, tandis que ces messieurs vaquent à leurs affaires en veste d’intérieur, que font ces dames ? Elles
paressent en tenue légère… C’est du moins ce que laisse penser le succès du « déshabillé » et du « négligé ». Anglaises,
Allemandes, Néerlandaises, Danoises, Hongroises, Tchèques, Bulgares, Polonaises, Russes, Turques, Italiennes,
Espagnoles… elles en sont toutes folles, jusqu’aux années 1930.

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Amusant, en Roumanie comme en Pologne, le « rayon sous-vêtements féminins d’un grand magasin répond au
doux nom de « galanterie ». Tandis qu’en Tchéquie et en Russie, « galanterie » désigne une mercerie – ce qui n’est
pas sans rapport. Quant aux dessous des dames polonaises, ils portent un nom délicieux : « ineksprymable ».
Depuis sont apparus le « jupon » et la « combinaison », la « culotte » et le « soutien-gorge », moins affriolants. Quoique.
Depuis les années 1960, les jolies poitrines polonaises sont mises en valeur par la « bardotka ». La prestation de Brigitte
Bardot, vedette du sulfureux Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, a dû marquer les esprits en Pologne. Le nom de
l’actrice, pourvu d’un diminutif comme aiment à le faire les Slaves, « Bardotka », littéralement « petite bardot »,
est communément utilisé là-bas pour désigner cette blonde personne. Mieux encore, ce diminutif affectueux a été
choisi pour qualifier un soutien-gorge pigeonnant, un « balconnet ». On devine pourquoi. Pour ce qui est du
comment, sachez qu’il y a de la métonymie là-dessous : notre Brigitte nationale a été réduite à une partie de son
anatomie, charnue et appétissante, sa poitrine. Tout comme le Général avait été réduit à son képi… Et les Polonais
ne se sont pas arrêtés en si bon chemin, puisqu’ils ont baptisé les bas résille « kabaretki » – nom inspiré de
« cabaret », bien entendu. 38-39
Les Anglo-Américaines ignorent notre « soutien-gorge », mais elles disposent de « bra », raccourci affectueux de
e
« brassière ». Le nom de cet ancien vêtement français, importé au XIII siècle par les Normands, a été remis au
goût du jour par le magazine Vogue, en 1907, pour baptiser l’invention de l’Américaine Mary Phelps Jacob, dite
Caresse Crosby : un ancêtre du soutien-gorge.
Ce n’est pas tout. Les mêmes disposent de « French cut underwear », le « sous-vêtement à la française », et de
« French knickers », « culotte française ». Mon premier se caractérise par une taille haute et une coupe dégageant
bien la cuisse, mon second est une sorte de short à taille basse, en soie ou en dentelle, dont les jambes amples sont
dépourvues d’élastique. Selon certains, la « culotte française » serait la petite sœur de la culotte à froufrous
portée par les danseuses de French cancan. « French knickers » est généralement traduit par « petite culotte », indice
du sous-entendu sexy prêté à cette pièce de lingerie, comme disent les Anglais.
Car, non contentes de porter des dessous chics, les Françaises s’arrangeraient pour le faire savoir, si l’on en croit les
Anglaises. « It is raining in Paris… », dit-on, à Londres, dans les années 1960 : ces propos commentent l’attitude
aguicheuse d’une fille qui, l’air de rien, laisse apparaître une dentelle, promesse de dessous affriolants. Ces paroles
perfides, cela va de soi, sont susurrées par la meilleure copine… Jalouse. 39
Aujourd’hui ? Le monde semble encore sous le charme suranné de la lingerie française. « Corset », « corsetière » et
« cache-corset », accessoires indispensables à la toilette féminine, ont inondé le continent européen jusqu’au début
e
du XX siècle. Ont-ils disparu ? Point, le « corset » fait un retour timide dans les années 1980, plus marqué depuis la
fin des années 1990, et n’en finit pas de séduire. Le mot et la chose ne sont pas près de s’effacer.
Qu’en est-il du « faux-cul » ? « Pariser Hintern », « cul parisien », et cul de Paris sont les jolis noms que l’on a retenus
pour désigner le faux-cul, outre-Rhin. En 1870, au moment de la guerre franco-prussienne, la mode change. La
crinoline est jetée aux orties et les dames adoptent la tournure et son indispensable accessoire, le faux-cul. On
imagine les Prussiens rentrant chez eux vainqueurs avec le souvenir de ce cul parisien qui fait aux femmes un si joli
derrière… En français, « cul de Paris » a fait long feu : le mot trop grivois a été marginalisé mais il a été longtemps
employé dans les autres pays d’Europe.
Et voici qu’en 2013, on me signale l’ouverture d’une boutique à Tokyo. Les jeunes japonaises y trouvent des
vêtements féminins, chics et bobos. Son enseigne ? « Cul de France ».
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Grande Nation auto-proclamée


[…] En Allemagne, bien que l’entente franco-allemande soit reconnue comme incontournable par toute la classe
politique, la presse fait souvent preuve d’une virulente francophobie. L’usage obsessionnel de l’expression
« Grande Nation » voire, en toute mauvaise foi, « selbsternannte Grande Nation, » « Grande Nation
autoproclamée », en dit long à ce sujet. 72
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Grenouilles (cf. Surnom)


[…] Soit, pour les Allemands, nous sommes des « Froschfresser », « bouffeurs de grenouilles ». Notre appétence pour
le batracien a encore été remarquée par Anglais et Québécois qui nous confondent tout bonnement avec la bestiole :
« Frogs », disent-ils… 7
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

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Français & Grogne & Rouspétance
[…] outre- Manche. Celui de Mr. Rude, « Monsieur Malpoli », personnage mal léché à l’accent français prononcé,
héros fort grognon d’un dessin animé très populaire au Royaume-Uni. Sa colère congénitale est figurée par une
rougeur du visage. Eh bien, les Norvégiens semblent avoir observé naguère, chez nos congénères, le même
comportement sanguin. Voyez, la couleur du coquelicot a inspiré l’adjectif « kokeliko », purement et simplement
transposé du français, qualifiant une personne très en colère : « Han er helt kokeliko », « Il est rouge de colère ».
10-11
[…] en Russie, on n’en pense pas moins, comme en témoigne cette observation consignée par Dmitri Pissarev,
révolutionnaire et nihiliste (1840-1868), dans son Esquisse historique : « Quand un Français a la colique, il dit que
c’est la faute du gouvernement. » 11
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Honneur et Panache


[…] Le « French leave », manière cavalière de filer sans prendre congé, prend dans le domaine militaire un autre
sens : il s’agit purement et simplement de « désertion ». Les Anglo-Américains semblent décidément se faire une
piètre idée du soldat français. Car sa couardise, savez-vous, ne l’empêcherait nullement de courir après les honneurs,
et il ne serait d’ailleurs pas très difficile de les obtenir. C’est du moins ce que suggère la version osée de
Mademoiselle from Armentières, Hinky Dinky Parley voo, chantée pendant la Première Guerre mondiale. […] La
francophobie américaine exacerbée en 2003 répond à un précédent sentiment francophile. Les patriotes américains
savent s’en souvenir, la France fut le premier allié des révolutionnaires américains. Quand le marquis de La Fayette
parcourt les États-Unis en 1824-1825, il est accueilli en héros et de nombreuses nouvelles localités sont baptisées en
son honneur, Lafayette, Fayette ou encore Fayetteville. Pendant la Première Guerre mondiale, les troupes
américaines viennent soutenir les Français et, le 4 juillet 1917, au cimetière Picpus, le lieutenant-colonel Charles E.
Stanton prononce sur la tombe du marquis de La Fayette ces mémorables paroles : « La Fayette, nous voilà ! » De nos
jours, il arrive qu’un Français voyageant aux États-Unis voie les Américains se lancer en un émouvant hommage au
rôle de ses ancêtres durant la révolution américaine. Las, ce baume lénifiant, appelé ironiquement » the Lafayette
sauce » demeure absent du discours à usage domestique. Il est servi aux seuls Français au motif que ceux-ci
n’aimeraient rien tant que les honneurs et le panache. Toujours prêts à chanter Cocorico, les Français – les
Allemands ne nous ont-ils pas gratifiés du surnom « Hahnenkopf », « Têtes de coq » ? 72
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Injure


Avant de servir une bordée d’injures, l’on se plaît, outre-Manche, à lancer, en manière de précaution oratoire, le
délicieux « Pardon my French ! » Traduisez : « Excusez-moi de parler grossièrement. » Vous avez bien compris,
« Pardonnez mon français », d’usage très courant, permet de faire passer des propos grossiers, injurieux ou obscènes
pour des propos français […] deux exemples célèbres, tirés de La Folle Journée de Ferris Bueller, une comédie
américaine écrite et réalisée par John Hughes (1986). Cameron Frye, copain de frasques de Ferris Bueller, interpelle
le proviseur : Pardonnez mon français, mais vous êtes un trou du cul.
Ferries Buller, en aparté, dit ce qu’il pense du père de Cameron : Excusez mon français, mais Cameron est
tellement coincé que si vous lui fourriez un morceau de charbon dans le cul, en deux semaines, vous auriez un
diamant. 31
[…] Dans la même veine, les Anglo-Américains, pour renouveler l’expression « to use bad language », « jurer », « dire
des grossièretés », ont imaginé « to speak French ». L’expression, jusque-là méconnue des Français, est devenue
célèbre à la suite d’un récent et magistral quiproquo. Le 13 décembre 2003, alors que Saddam Hussein sort, en
maillot de corps, tel un Raimu fatigué, du réduit souterrain où il s’était caché, à Tikrit, une dépêche américaine relate
la capture du président irakien déchu en précisant que Saddam Hussein « was speaking French ». La dépêche est
diffusée sur les réseaux français, dans une traduction erronée : « On l’a trouvé hirsute… parlant français. » 32
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Invasion normande


[…] En Irlande, on se souvient toujours de l’invasion normande. En 1166, des seigneurs normands, dépités de n’avoir
pu obtenir de terres en Angleterre et décidés à poursuivre, cent ans plus tard, l’aventure menée par Guillaume le
Conquérant, débarquèrent sur l’île.

17
Depuis, le mot irlandais « francach », calqué sur « français », désigne à la fois un Français… et un rat ! L’arrivée des
Normands aurait-elle été accompagnée d’une explosion dans la population de rats ? Aucune certitude à ce sujet.
Mais l’on raconte qu’au XIIe siècle, les envahisseurs normands auraient introduit dans la douce Irlande… la
grenouille. Les chroniques relatent l’inquiétude des Irlandais, persuadés qu’aucun reptile ne pouvait vivre sur leur sol
depuis que saint Patrick les en avait chassés. Plus de serpents en Irlande, mais des grenouilles envahissantes, c’était
un bien mauvais présage annonçant sans doute que les « Francach » allaient s’installer pour longtemps. Le double
sens attribué à « francach » au Moyen  ge serait ainsi le fait d’Irlandais facétieux – une sorte de pied de nez à
l’occupant. Des siècles plus tard, la couleur péjorative du mot « francach » est encore nettement perçue car, dans un
souci diplomatique, un Irlandais préférera parler de « luchóg mór », « grande souris », pour désigner le rat à quatre
pattes. On a baptisé les Français « rats » et rebaptisé le rat, voilà bien un héritage linguistique inattendu. 66
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Jabot et Perruque


[…] À ma grande surprise, « parochňa » et « žabó » viennent spontanément à l’esprit de ma jeune informatrice
slovaque. Ainsi, à l’aube du XXIe siècle, à Bratislava, on entend un lointain écho de ce centre international qu’était
Presbourg au XVIIIe siècle : là, des mots français probablement venus par la Hongrie des Habsbourg ont élu domicile
et, parmi eux, « perruque » et « jabot ». La Slovaquie serait-elle une exception ? Loin de là. On pourrait entendre
« Perücke et Jabot » à Berlin… « pruik » à Amsterdam… « peruke » et « jabot » à Londres… « paryk » à Copenhague…
« peruk » à Stockholm… « parykk » à Oslo… « perukas » à Vilnius… « peruukki » à Helsinki… « peruka » et « żabot » à
Varsovie… « parik » à Moscou… paróka à Budapest… « paruka » et « žabó » à Prague… « perika » à Belgrade… peruka
à Sofia… peluca à Madrid… peruca à Lisbonne… « parrucca » à Rome… « perouka » à Athènes… « perucă » à
Bucarest.
Si ces variétés de perruque sont partout désuètes, la « frisette » et le « friseur » sont bien vivants, eux : dans les rues
de Copenhague, l’enseigne « frisør » signale aujourd’hui la boutique d’un coiffeur, comme autrefois en France. Et à
Berlin non plus, il n’est pas difficile de trouver un « Friseur ». 34
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & France


[…] Imaginez une Europe toquée de modes, de gastronomie, de politesse à la française, des sociétés aristocratiques
vivant à l’heure de Versailles, conversant et correspondant dans la langue de Molière. On est alors confronté à ce
pur paradoxe : la langue du roi de France est plus parlée à l’étranger que sur le territoire français. 6
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Literie


[…] Seuls les Allemands connaissent « das Etui », vocable ancien désignant un lit étroit, pour une personne. Le « lit
français », à l’inverse, est connu partout, mais tout le monde n’est pas d’accord sur sa particularité.
Un hôtel international fournit cette information : « une taille de reine française (140/ 185 cm) ». Le lit français
serait donc trop vaste pour une personne seule, fût-elle une souveraine. Un lit d’apparat, en somme. En Allemagne,
le terme « französisches Bett » désigne un lit double avec un seul grand matelas – à distinguer du lit double avec
deux matelas côte à côte, et un espace entre les deux.
[…] Le lit français est indiscutablement conçu pour deux personnes, pour un couple. Tout cet espace appartient aux deux […]. La tête sur le traversin, on peut se
contempler amoureusement. Une langue de terre reliant deux continents. En revanche, le lit français ne convient guère aux couples qui vivent en état de
guerre. C’est alors qu’apparaissent tous les avantages du lit allemand. Deux oreillers. Deux couettes. Et au centre, un interstice, pour bien marquer la
Michael Rutschky, « L’objet : le lit français », Karambolage, Arte, 16 mai 2004.
frontière entre les deux territoires.
Anglais et Italiens semblent d’accord. Un « French bed » est plus large qu’un lit simple, mais plus étroit qu’un lit
double. Le « letto francese » est aussi appelé « una piazza e mezza », « une place et demie ». Donc, le « letto
francese » est large de 140 centimètres, alors que le « matrimonio » atteint 160 centimètres. Laissons le fin mot aux
Croates. « Francuski krevet » est un petit lit double, à la différence d’un lit matrimonial, lit double plus large.
Conclusion : c’est plutôt un lit pour les amants… Le lit français favoriserait le rapprochement.
« Maman avait fait enlever la table de nuit qu’il y avait entre les lits jumeaux et les avait rapprochés, à la française ». Elsa Triolet, Le premier accroc
coûte deux cents francs, 1945. 56
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

18
Français & Mauviette
[…] D’un côté, les Français ont été considérés comme des conquérants insatiables et des gendarmes du monde, de
l’autre, on ne se prive pas, aujourd’hui, de les faire passer pour des pleutres. Cette opinion atteint son plus haut
degré d’expression au moment où la France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Dominique de
Villepin, refuse d’approuver le plan d’invasion de l’Irak présenté par les États-Unis au Conseil de sécurité des Nations
unies.
Si les relations franco-américaines n’étaient pas au beau fixe après 1945, elles se dégradent considérablement en
2003. À la une de son édition du 10 février 2003, le New York Post, à l’avant-garde du dénigrement antifrançais,
affiche une photographie des tombes de soldats américains morts en Normandie en 1944 avec la manchette
suivante :
« Ils sont morts pour la France mais la France a oublié ». Et Steve Dunleavy de commenter : « Ces garçons sont morts
pour sauver la France d’un tyran nommé Adolf Hitler. Et maintenant, alors que d’autres garçons américains se
préparent à lutter et à mourir pour sauver le monde d’un tyran tout aussi vil, Saddam Hussein, où sont les Français ?
Ils se cachent. Et proclament : Vive les mauviettes ! » 70
[…] Ressurgit alors une expression désobligeante, « cheese-eating surrender monkeys » – littéralement, « singes capitulards
bouffeurs de fromage ». Inventée par le scénariste Ken Keeler en 1995, et employée pour la première fois par Willie
le jardinier dans « Salut l’artiste », vingt-deuxième épisode de la saison 6 des Simpson, l’expression est alors traduite
par « Rendez-vous, singes mangeurs de fromage ! », puis largement utilisée à partir de 2003 pour souligner
« l’ingratitude » des Français et la mettre au compte d’une lâcheté qui les rendrait incapables de gagner une guerre
sans aide extérieure.
Le 11 mars 2003, les cafétérias des trois bâtiments de bureaux de la Chambre des représentants des États-Unis
modifient leur menu : « French fries », « frites françaises », appellation classique pour désigner les frites aux États-
Unis, se transforme en « freedom fries », « frites de la liberté ». Les « French toasts » – « toasts français », autrement
dit le « pain perdu » – ont aussi été rebaptisés « freedom toast », « toasts de la liberté ».
La chaîne de restauration rapide Subway affiche une publicité jouant sur les mots : « France and chicken », « somehow »,
« it just goes together », pourrait se traduire par « La France et le poulet, d’une certaine façon, ça va bien ensemble ».
Quand on sait que « chicken », « poulet », veut aussi dire « poule mouillée »…
Outre-Manche, on raconte une bonne blague en forme de jeu de mots. Pour l’apprécier, il faut savoir que
« soldier », en anglais, signifie « soldat », bien sûr, mais aussi « mouillette », cette chose délicate et molle que
l’on trempe dans les œufs à la coque. Les Anglo-Américains ont usé de la métaphore culinaire pour stigmatiser la
couardise des Français. Ailleurs, en d’autres temps, on s’y est pris autrement. En alsacien, on qualifie les Français de
« Hàsebock », « lièvres », au motif qu’on les aurait vus détaler lors des invasions allemandes. En norvégien, comme
en polonais ou en russe d’ailleurs, on se sert aussi de « kujon ». Oui, mais chez eux, notre « couillon » désigne un
« pleutre » – et non plus un étudiant peu assidu ou un chaud lapin 71
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Mobilier


[…] Aux États- Unis, le « French bed » n’est autre qu’un « lit en portefeuille ». 14
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Napoléon (cf. Administration & Napoléon)


[…] Pour revenir à Napoléon, son passage n’a pas laissé que de bons souvenirs. Dans les pays Baltes, d’abord, où s’est
principalement déroulée la campagne de Russie. En Estonie, trois expressions, encore en usage aujourd’hui, ne
laissent aucun doute sur la teneur de ces souvenirs. D’abord, on dit « kange kui Prantsus », « têtu comme un
Français ». Ensuite, on met en garde en ces termes : « Ma näitan sulle, kudas Prantsus Moskvas käis ! » – « Attends
que je te montre comment les Français sont allés à Moscou ! » Enfin, après une violente dispute conjugale on dira
« Seal löödi küll täna Prantsuse maha », « Aujourd’hui, on a tué des Français ». 66
[…] En Europe centrale, ensuite. Deux mots français, « sac » et « paquet », ont été réunis dans l’expression elliptique
« saky-paky », littéralement « sacs-paquets ». Elle signifie « faire ses paquets, déguerpir ». Les Slovaques n’étaient
sans doute pas fâchés de voir décamper les soldats, comme en témoigne cette anecdote. Après le passage de
Napoléon, des villageois ont griffonné des graffitis vengeurs. Mais ils ont choisi pour cela un endroit où l’inscription
ne risquait pas d’être lue. Comment être certain que Napoléon ne reviendrait pas ?
En Hongrie, aussi. Là, les Français ont été rebaptisés « Szürke », « Gris ». Ce terme péjoratif a été inspiré par la
célèbre redingote grise de l’Empereur. Moins anodin, il existe en hongrois une interjection, datant probablement

19
des guerres napoléoniennes, qui en dit long sur les sentiments qui peuvent animer les Hongrois quand il s’agit de
la France et des Français. « Menj francia ! », mot à mot « Va chez les Français ! », pourrait être traduit exacte ment par
« Va te faire foutre ! ». Napoléon était attendu en libérateur, les Hongrois ont été déçus. Cette injonction est
d’autant plus brutale que, selon certains, en évoquant la France, on évoque du même coup le « mal français ». En
effet, le mot « franc » – prononcé « frantz »– signifiait autrefois la France et, il y a un siècle, le même mot désignait
la syphilis. Aujourd’hui ce sens a disparu mais l’expression « Menj francia ! » est restée, elle est utilisée pour envoyer
promener quelqu’un : « Va te faire voir chez les Français ! »
Dans les Balkans, encore. L’occupation de la côte adriatique par Napoléon a fait assez de bruit pour inquiéter les
Serbes qui ont adopté « buka », « bruit »… de « boucan, et kanonada », « canonnade », utilisé au sens propre comme
au figuré. En Serbie, on a même fabriqué cette expression pléonastique « topovska kanonada », littéralement « la
canonnade du canon ».
En Bulgarie, on se rit de l’héritage administratif français. Dans la formule parfaitement hybride et assurément railleuse
« Ne me kandeurmé pa », « Ne me convaincs pas, ne me persuade pas », on reconnaîtra notre « gendarmer » auquel
on a donné une allure bulgare.
En Russie, des mots disent les misères de la guerre. L’origine du mot « chval » – du français « cheval » – remonte à la
débâcle de 1812. Sur le chemin de la retraite, grognards et cavaliers se trouvent aux prises avec la boue provoquée
par le dégel. Le spectacle de milliers de chevaux pourrissants aurait inspiré aux cosaques le détournement du mot
« cheval » qui, en russe, désigne une « personne malhonnête », autrement dit une « pourriture ». Au jourd’hui, ce
mot est également appliqué à une prostituée de bas étage. « Charomyga » est arrivé, lui aussi, avec les soldats de
Napoléon. Ce mot désignant un mendiant est curieusement tiré de notre formule de politesse, « Cher ami ». Les
soldats de l’armée en déroute, affamés, mendiaient quelque nourriture en s’adressant ainsi aux villageois.
Décidément à la hauteur de leur réputation de courtoisie, les Français.
Dans la péninsule Ibérique, enfin, les guerres napoléoniennes ont suscité des appellations péjoratives. L’empereur
des Français envahit l’Espagne par surprise en 1808, alors qu’elle était son alliée. « Dos de mayo » et « Tres de
mayo », deux tableaux de Francisco de Goya, témoignent de la violence de l’occupation. Elle a laissé un souvenir
particulièrement brûlant et, parmi les mots évoquant les Français spontanément cités par mes interlocuteurs
espagnols, « gabacho » revient souvent.
On ne s’accorde ni sur l’origine du mot, ni sur sa date d’apparition. Pour certains, peu nombreux, « gabacho » serait
issu de « gabán », « redingote » – ainsi, « Gabachos » serait une sorte d’écho du « Szürke » hongrois. Pour d’autres,
majoritaires, « gavach » est un mot occitan désignant un montagnard grossier, originaire d’une région nordique,
parlant mal la langue nationale. « Gavach » serait appliqué aux Français depuis 1530.
Le Dictionnaire de l’Académie royale de la langue espagnole confirme que l’expression vient de « gavach », qui signifie
« étranger » en catalan, mais date son apparition de 1825 et en décrit les circonstances. En juillet de cette année, des
villageois de Cerdagne – divisée en deux provinces, l’une espagnole et l’autre française, par le traité des Pyrénées en
1659 – appartenant aux deux nationalités se réunirent à Puigcerdà pour des festivités qui se terminèrent par une
tuerie provoquée par les Espagnols. Ces derniers frappèrent les Français en criant : « À mort les gavachs, ils ont
gouvernés l’Espagne pendant assez longtemps ! »
En réalité, le mot, s’il est ancien, aurait pu être popularisé lors des guérillas de résistance à Napoléon. Quoi qu’il en
soit, tout le monde s’accorde sur la couleur fortement péjorative de « Gabacho ». Aujourd’hui, certains
traduisent ce terme familier par « franchouillard » et lui ont inventé un féminin, « Gabacha ».
En Espagne et au Portugal, comme ailleurs, le nom de Napoléon était associé à la Révolution française. Mais pas pour
le meilleur, en l’occurrence. Ainsi, « Jacobins », surnom donné par les Espagnols et les Portugais aux Français au
moment de l’occupation de la péninsule, est particulièrement cinglant.
À la fin de la guerre d’Indépendance, en 1814, après la restauration du pouvoir de Ferdinand VII d’Espagne, les
« Ilustrados », intellectuels proches de la philosophie des Lumières, et les « Afrancesados », tenants de la culture
française, ont été tenus à l’écart. La francophobie atteignit alors une virulence extrême, au point qu’il en reste des
traces un siècle plus tard. L’une des pires insultes dont on pouvait affubler un Espagnol jusque dans les années 1930
était « afrancesado », ce qui correspondrait en France au qualificatif de « collaborateur », avec les mêmes
connotations politiques de complicité avec l’ennemi et, par conséquent, de trahison à la patrie.
« Franchute ! » est une injure, un peu vieillotte, datant aussi de l’arrivée des armées de Napoléon en Espagne.
« Français » se dit « francés » en espagnol et ce « franchute » a une connotation péjorative, un peu comme
« Espingouin » en français. Certains dictionnaires traduisent « franchute » par « grenouille ».
Pour finir, sachez que l’invasion des troupes napoléoniennes et la répression du soulèvement qui s’ensuivit, pour
violentes qu’elles aient été, ont toutefois laissé une trace amusante. Depuis ces événements, en Espagne, des
générations de chiens ont été nommés « Sul » et « Nei »… En mémoire de deux maréchaux d’Empire qui se sont
particulièrement illustrés dans ces conflits, Jean de Dieu Soult et Michel Ney. Humour noir. 67-68
20
[…] Napoléon, voyant la sollicitude des Hongrois envers les malheureux, leur a laissé nombre de ses soldats
blessés. Ceux-ci furent bien soignés par la population, bien qu’entre les uns et les autres la communication
ait probablement été très réduite. Cet épisode de la campagne française de 1809 a inspiré l’expression « Beszélhetsz
neki mint a beteg franciának », « Tu peux lui parler comme aux Français malades ». On l’utilise dans des
circonstances où, quoi que l’on dise, cela n’aura aucun effet. Autant pisser dans un violon, comme on dit en
France. 69
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Poils et Cheveux


[…] Trois siècles après la « perruquomania », les modes capillaires s’exportent encore. La plus célèbre des maîtresses
de Louis XV a inspiré les Américains. Les rockers appellent « pompadour » ce que nous nommons prosaïquement
« banane ». À Istanbul, les dames vont au « kuaför » (et non pas chez le coiffeur), pour une « mizanpli » avec
« bigudi », elles en ressortent « bukleli » (« bouclées »), les plus modernes préfèrent une coupe « alagarson ». Les
messieurs vont chez le « berber » (le « barbier ») pour une coupe « alabro ». Les Allemands appellent
« Menjoubärtchen » les moustaches taillées en triangle, en s’imaginant que chacun a encore à l’esprit celles de
l’acteur d’origine française Adolphe Menjou, qui a interprété le rôle du Français dans une centaine de films
américains. 36
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Politesse


e
[…] À Londres, depuis l’installation, au XVIII siècle, d’une importante communauté française fuyant la Révolution,
l’on use et l’on abuse de : « madame », « mademoiselle », « adieu », « au revoir », « à votre santé », « bon appétit », « bon
voyage ». Ce n’est pas tout : « RSVP » figure couramment sur les cartons d’invitation. 20
[…] En Irlande, au chapitre des formules utiles en société, voici pardún, de pardon, et galanta. Issu de galant – mais oui
– il s’utilise en interjection : « Galanta ! », « Joli ! ». Ce « galanta » est un lointain souvenir de l’épopée normande en
Irlande et des comportements chevaleresques des seigneurs. Ceux-là ont laissé d’autres traces en gaélique, les noms
désignant de jeunes personnes, notamment. « Gasúr », inspiré de garçon, reste aujourd’hui le seul mot pour
désigner un garçon ou s’adresser à lui. Pour accompagner celui-là, les Irlandais ont même imaginé un féminin,
« girseach », qui correspondrait à notre garçonne. « Páiste », « enfant », vient du français page. Prononcé [pochte], ce
mot est toujours en usage, ainsi que « peata », emprunté jadis au français petit, qui aujourd’hui fait office de
terme affectueux, une sorte de « chouchou ». 20
[…] En Vénétie, dans la région de Bussolengo, « Tesoro » est un nom de famille répandu. L’origine de ce nom est liée
au passage des troupes françaises du général Marmont, futur général d’Empire, qui livra bataille en ce lieu contre les
troupes autrichiennes, le 26 mars 1799. Un soldat français, dit-on, tomba amoureux d’une Italienne et en eut un fils
répondant au doux nom de « Trésor ». Italianisé, ce sobriquet est devenu un patronyme. 20
Aux Pays-Bas, « merci » et « pardon », termes de civilité probablement arrivés dans les bagages des huguenots
e
fuyant les persécutions après la révocation de l’édit de Nantes (1685), après avoir été, au XIX siècle, l’apanage des
hautes sphères de la société où l’on parlait français pour n’être pas compris des domestiques, sont aujourd’hui
utilisés dans la vie courante, et le verbe « tutoyer » a été récemment importé.
À Berlin, on fait des termes d’adresse français un curieux usage. « Mamsell », de « mademoiselle », désigne une
employée de restaurant chargée de préparer et de distribuer les plats, et « die kalte Mamsell », « la froide
mademoiselle », est préposée au buffet froid. Parailleurs, l’allemand, d’une extrême courtoisie en la circonstance, a
fait de « Politesse » une contractuelle. Curieux, non ? 20
[…] En 2003, au moment de la crise politique qui a précédé la guerre en Irak, à l’image de ce qui s’est passé en
France, la question linguistique a cristallisé l’antiaméricanisme ambiant mais, outre-Rhin, des linguistes sont
intervenus ! Ces derniers ont organisé le boycott des anglicismes et leur remplacement par des mots français déjà
présents dans le lexique allemand. À cette occasion, « Adieu », « D’accord » ou « Formidable » ! ont été réactivés
dans l’espoir de rejeter aux ténèbres « Bye bye », « Okay » ou « Cool »… 20
[…] En Estonie, ces dernières années, les jeunes gens qui rentrent d’un séjour en France agrémentent leurs échanges
de ces petits mots français, si légers. Ainsi, à Tallinn, on sera agréablement surpris d’entendre « bonjour », « au revoir »
ou » salut », « pardon » ou « s’il vous plaît, « rendez-vous », « bise » et même « mon amour ». Si les voyages ouvrent des
horizons linguistiques, la jeune génération n’en reste pas moins classique : « RSVP » est encore très utilisé
aujourd’hui. 21

21
C’est probablement une certaine attirance pour les manières françaises qui a inspiré aux Finlandais une utilisation
curieuse de la préposition « avec ». Sur un carton d’invitation, la mention « avec » suggère que la présence du
compagnon ou de la compagne est souhaitée. Usage tout à fait inconnu en France – ce serait considéré comme
inconvenant. 21
À Sofia, « madama » désigne benoîtement une femme ou une fille, et « maman », une mère, mais « mersi » s’utilise
avec une nuance de familiarité – le mot bulgare est réservé aux contextes plus protocolaires. Ces termes de civilité
sont arrivés à partir de 1878, quand la Bulgarie, libérée de l’occupation ottomane, s’est tournée vers l’Europe de
l’Ouest. Ils ont été diffusés par les enfants des riches marchands de Plovdiv et Roussé, éduqués par des gouvernantes
françaises avant d’être envoyés en France pour étudier.
En Roumanie, l’on découvre une autre « madam » : cette appellation familière, encore en usage à la fin du siècle
dernier dans la petite bourgeoisie ou chez les commerçants, n’est pas franchement sympathique, elle est plutôt
moqueuse. Ce n’est pas tout. « Bonjurica » est un salut du bout des lèvres où la politesse se teinte d’un léger mépris,
et « monserica » (de « monsieur ») manifeste une ironie certaine vis-à-vis de la personne à qui l’on s’adresse ainsi.
D’un autre côté, à Bucarest, on peut entendre d’innocents « bonjur mon cher », « bonsoar », « au revoar », « mersi »,
« pardon ma chère ». La coexistence de ces deux « bonjour » contrastés serait-elle due au hasard ? Point. 21
[…] La découverte de la civilisation française et son choix comme modèle tutélaire sont le fait de la jeune génération
e
de Roumains du début du XIX siècle. Les jeunes gens de la bonne société, progéniture des grands propriétaires
terriens, vont parfaire leurs études dans les capitales européennes, notamment à Paris, et, au cours de séjours
culturels plus ou moins longs, ils entrent en contact avec les idées de la Révolution française et les idées nationalistes
qui seront à l’origine des mouvements révolutionnaires de 1848. […] c’est ainsi que « bonjur » a fait son entrée en
roumain. 21
À peine « bonjur » était-il implanté que les Roumains ont malicieusement fabriqué « bonjurist », pour désigner tel ou
tel jeune homme entiché de français au point d’évacuer le « bună ziua » roumain. Ensuite, dans les années qui ont
précédé la révolution de 1848, « bonjurist » a désigné un Roumain progressiste, imprégné des idées françaises de
liberté, partisan de l’idée de rendre aux provinces de Moldavie et de Valachie, alors sous suzeraineté turque, leur
indépendance. Ces nouveaux « bonjuristi » sont toujours une référence dans la Roumanie contemporaine où ils
inspirent le respect, à l’inverse des premiers. 21
[…] À Bratislava comme à Prague, dans certains cercles, on use de « monsieur », « madame », « merci » sans ironie
aucune. Sur les cartes de vœux de fin d’année, la formule « PF », ou « Pour féliciter », s’utilise inchangée. Ainsi
Slovaques et Tchèques donnent-ils à leur discours un brin de sophistication. 22
[…] Le français en usage aujourd’hui en Hongrie est une trace de la « Belle Époque », antérieure aux
bouleversements qui ont suivi la Première Guerre mondiale – en 1920, avec le traité de Trianon, le pays a perdu 71 %
de son territoire. L’image de la France s’en est trouvée ternie et, aujourd’hui, les jeunes Hongrois chahutent ces
marques de civilité venues de France. Ainsi « affektált », issu de notre « affecté », qualifie de manière railleuse
quelqu’un qui manque de simplicité, et « madam » est lancé, sur un ton badin ou humoristique, à une dame
maniérée. 22
e
[…] Le bilinguisme russe-français, apanage de la haute société russe du XVIII siècle, et en particulier des officiers
pour qui le français était une seconde langue maternelle, apparaît au grand jour dans les romans de Tolstoï. Dans le
langage des protagonistes on peut rencontrer, en français dans le texte, des mots et des formules respectueuses de
l’étiquette de la parole : « ma chère », « ma bonne amie », « charmant ami », « ma délicieuse », « merci, mon père ».
À Istanbul, dans la vie de tous les jours, on peut encore entendre « bonjur », « pardon » ou « mersi » et, si « mösyö »
ou « dam » ont pris un coup de vieux, « madam » se maintient. […] Aux yeux des Turcs lettrés, la langue française a
certes gardé un grand prestige et reste synonyme de culture, mais aujourd’hui l’usage familier du vocabulaire
importé ou son détournement moqueur permet de mesurer la déception de la Turquie vis-à-vis d’une France qui
hésite à l’accueillir au sein de l’Europe. Ainsi, « monşer », devenu une épithète péjorative, s’applique aux personnes
snobs, individualistes, un tant soit peu hypocrites. Par ailleurs, « monşer » désigne malicieusement un diplomate.
22
[…] Quelques formules de politesse ont cours dans la Grèce contemporaine. « Pardon » était très courant jusqu’aux
années 1960, il ne l’est plus – indice d’un probable changement culturel – mais les jeunes gens utilisent encore
« merci » ou « mille mercis ». En fait, l’usage massif de mots français a longtemps été l’apanage de la bourgeoisie
grecque : une jeune fille de bonne famille se devait de jouer du piano et de parler français, tradition considérée
comme parfaitement snob depuis quelques décennies. Le parler frangrec a ensuite suscité des réactions ironiques,
comme en témoigne une série télévisée qui eut un succès fou dans les années 1970 : « Mantam Sousou, « Madame
Chouchou ». Dans ces réjouissantes saynètes, une jeune femme, Mantam Sousou, tient à passer pour une personne

22
de qualité, aussi fait-elle étalage de sa bonne éducation et, quand elle rencontre quelqu’un, elle ne manque de lancer
une formule de son cru : « Bonjour ké bonsoir » – « ké » signifie « et » –… Merci Mantam, orvouár Monsieur…
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Qualité douteuse


[…] En Bulgarie, on n’hésite pas à parler de « garantsiya Frantsiya », « garantie française », lorsque l’on doute de la
bonne qualité d’un produit. 7
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Raffinement exagéré & Certaine prétention


[…] en napolitain, l’adjectif « francioso », « français », s’applique à un personnage un peu snob, mignard.
En polonais, pour parler d’une personne difficile, qui ne finit pas son assiette, une personne apprêtée et maniérée,
voire prétentieuse, on use de l’expression « francuski piesek », littéralement « petit chien français ». L’incarnation de
ce personnage imbuvable qui a tout l’air de s’être échappé d’un monde révolu, c’est le « petit-maître ». En 1762, la
quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française le définit comme un « jeune homme de cour qui se
distingue par un air avantageux, par un ton décisif, par des manières libres et étourdies ». Eh bien, s’il n’a plus cours
e
en France depuis longtemps, étonnamment, le petit-maître a franchi les Pyrénées au XVII siècle. Petimetre s’est
installé en Espagne où il n’est autre qu’un minet ou une minette. Surprise, ce tenant de la vieille école a aussi
franchi la Manche. Là, « petimetre » est une jeune personne élégante aux manières affectées, aux airs supérieurs, ou
encore une personne tatillonne – ressemblant à s’y méprendre au « francuski piesek ». 13
[…] nos amis anglais ont inventé au « petimetre » une sorte de cousin, le beaulah. Celui-là est on ne peut plus
efféminé. D’où sort-il ? Ce terme moqueur est un mot-valise composé de l’adjectif « beau » et de « oh là là » –
interjection typiquement française 13
Au Portugal, cette fois, « Janota », calqué sur le diminutif français « Jeannot », nom d’un personnage échappé d’une
e
pièce de théâtre en vogue au XVIII siècle, aujourd’hui tombée dans les oubliettes, désigne une sorte de dandy. À
Lisbonne, beaucoup connaissent un « janota « : celui-là est tiré à quatre épingles, il est vêtu avec une élégance
exagérée, hors de propos, ce qui trahit une certaine prétention. 12
[…] En Roumanie, on rencontre un autre personnage pittoresque inspiré par le modèle français. Le « filfizon » est un
m’as-tu-vu. « Filfizon » transcrit « vive le son », figurez-vous. Pourquoi diable est-on allé chercher le refrain de La
Carmagnole, « Dansons la carmagnole, vive le son, vive le son ! », pour qualifier une attitude vaniteuse ? La
réputation de futilité de ces Français qui ont fait la Révolution entre deux pas de danse n’y est certainement pas
pour rien. 13
[…] En Pologne, « buffón » (notre bouffon) signale un fanfaron et notre galant… un frimeur. Ce dernier, en Russie,
est appelé « pijon », derrière lequel on reconnaît notre « pigeon ». Aux Pays-Bas, « astrant », derrière lequel il
faut imaginer notre « assurant », s’applique à quelqu’un de trop sûr de lui et pourrait être traduit par
« impertinent ». Le Français aurait-il tendance à se rengorger, à se gonfler d’orgueil ?
Les choses ne sont peut-être pas si noires. Voyez, en Roumanie encore, un « skubilitic », est une personne un peu
fofolle. Ce nom est, lui aussi, emprunté au refrain de Scoubidou, une chanson immortalisée par Sacha Distel en
1959… « Des pommes, des poires et des scoubidous-bidous ». 13
[…] Il existe en portugais deux expressions, un brin railleuses, pointant le goût immodéré des Français pour la
splendeur. « À grande e à francesa », littéralement « en grand et à la française », signifie que les choses sont
faites sans regarder à la dépense, quand il s’agit de recevoir, notamment. Avec parfois une nuance d’excès frisant
l’indécence. Se réfère-t-on au passé glorieux de la France, aux fastes de la table du roi à Versailles ? […] Les émigrés
portugais installés en France construisent au Portugal des maisons en prévision de leur retraite. Mais beaucoup
d’entre eux font finalement le choix de finir leurs jours en France, près de leurs enfants, et ces maisons trop
grandes, vides, considérées comme prétentieuses, sont appelées « casas de style maison ». 16
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Rendez-vous


[…] L’Europe s’est régalée de notre « rendez-vous » , le vocabulaire de la séduction a suivi. Certes, un « randevu »
turc n’est pas réservé aux affaires sentimentales, pas plus qu’un « rendez-vous » espagnol, mais cet usage, conforme
à celui du français, n’est pas majoritaire en Europe. Jugez vous-mêmes. Un « rendez-vous » ne peut qu’être
amoureux en Croatie, en Slovaquie ou en Slovénie, et les noms qu’on lui donne, là-bas, sont affectueux,
23
« rendes », » randé », « randi » – plus gracieux, à vrai dire, que notre « rencard ». Le « randévou » grec comme le
rendez-vous polonais sont dénués de sous-entendus, il s’agit d’une simple rencontre. Si affinités, il suffit d’ajouter un
diminutif affectueux, comme Grecs et Polonais les aiment, et le tour est joué : « randévouzaki », « randka »,
« petit rendez- vous ». Là, évidemment…
Outre-Rhin, un « Rendezvous » ne peut qu’être galant et un Tête-à-Tête, amoureux. Qu’entend-on par Karessasch ? Il
s’agit d’un flirt. « Karessant » désigne un homme à femmes, Kavalier un galant homme, « Filou » un vil séducteur. En
2003, la crise déclenchée par l’intervention américaine en Irak réveille les identités nationales. Les Allemands
accompagnent le boycott des anglicismes d’une incitation à utiliser des mots français présents de longue date mais
délaissés par l’usage. Ainsi, « Bonvivant » – « noceur », « fêtard » – est ressorti du placard pour évacuer le trop
américain « Playboy ». 5 6
Au Royaume-Uni, « affair » est utilisé dans le domaine amoureux pour parler d’une brève relation, souvent
adultérine. « Affaire de cœur » est plus sérieux. Le coup de foudre n’est pas exclu, mais le parcours d’une « love affair »
est parfaitement balisé. D’abord, « billet-doux » et « badinage ». À ce stade, les amoureux disposent de « to cajole »,
« couvrir de flatteries, de gentillesses », et de « coquettish smiles », « sourires séducteurs ». L’affaire suivant son cours,
on arrive à l’incontournable rendez-vous. Sachez qu’en anglais un rendez-vous est certes galant mais chaste, alors
qu’avec une date, c’est la couette assurée… Ensuite, « escapade », « tête-à-tête » ou « soixante-neuf » ? 57
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Restauration


[…] Notre restaurant continue de courir le monde, tel qu’en lui-même, ou accommodé à la sauce locale comme en
Suède où il se fait « restaurang ». Ce « g » final serait-il la trace du pas sage de Jean-Baptiste Bernadotte roulant son
accent méridional ? Certains l’affirment, ce qui n’est pas invraisemblable, ce maréchal d’Empire a connu un destin
curieux : il est devenu roi de Suède et de Norvège.
À Oslo, au Grand menu « Creation » du célèbre Bagatelle, restaurant tenu de 1930 à 1982 par une famille française,
on lit : « Amuse bouche »… « Grand dessert »… « Petits fours ». Au même endroit, « À la carte », on peut choisir
« Rosastekt due » « À la broche » ou « Andelever » « Foie Gras » « i terrine med » « Pain d’épices » krydder. Oui, oui.
Au menu du Royal Café de Copenhague, on note « Rosé vin », « Dessertvin », « Champagne ». Et pour peu que l’on
veuille goûter aux « smushies », croisement du typiquement danois « smørrebrød » et du « sushi japonais, on
tentera peut-être le « smushie » « Camembert frit ». Non ?
Dans tel ou tel « reštaurácia » chic de Bratislava – Chez David… Camouflage… Le Monde –, beaucoup de termes
français au « Menu ». « Paštéta », « terina » et « foie gras »… » Krevetý » et « langustín »… « Omeleta » et
« chateaubriand »… « Pyré », « ratatouille » et « šalát ».
À Dublin, la référence à la France semble de plus en plus recherchée comme en témoignent les noms évocateurs de
restaurants récemment implantés qui proposent la cuisine française : Chez Max… La Péniche… L’Gueuleton – sur
l’enseigne de ce dernier établissement, une grenouille !
À Tarifa, cité touristique du sud de l’Andalousie, un restaurant affiche fièrement l’enseigne « Tienda » « Gourmet ».
Mais aussi dans la vieille ville de Bergame, en Lombardie, où se niche le « Ristorante Gourmet ». Au Mexique, à
l’enseigne « Ambigú », on trouve un lieu où l’on peut grignoter à toute heure, un buffet de gare, par exemple.
Persistance du mot français en usage sous l’Ancien Régime qui s’appliquait à un repas d’après-spectacle mêlant les
plats. […] Il reste, en Europe centrale et en Europe du Nord, une trace démocratisée du service à la française… Le
buffet.
En Slovénie, francoski bife, « buffet français », et « francoska strežba », « service français », désignent le buffet où
chacun vient se servir. Notre « buffet » a aussi voyagé vers les pays tchèques. Si son apparence a quelque peu changé
(un f s’est perdu en chemin), sa polysémie est restée intacte. Ainsi, « bufet » désigne aussi bien un meuble de salle à
manger qu’un dressoir sur lequel sont disposés des plats froids ou un café-restaurant, notamment dans une gare.
Comme en France.
En Finlande, dans toutes sortes d’endroits, luxueux ou non, les mets proposés sont exposés et cela s’appelle
« buffet ». En Lituanie, on fait de même et cela s’appelle « bufetas ». Celui-ci a fait des petits : à partir de « bufetas »,
les Lituaniens ont fabriqué « bufetininkas », qui désigne un barman. Au pays d’Andersen, à Noël, on se régalera d’un
« julebuffet », « buffet de Noë l », où l’on goûtera au traditionnel « risalamande », un riz au lait vanillé parsemé
d’amandes effilées. Une spécialité danoise qui se donne des airs français ! Curieux, non ? 41
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

24
Français & Révolution
[…] Oui, dès le XVIIe siècle, en Europe, le français est l’étendard derrière le quel se rallient les gens de qualité, car
avec cette langue élue voyage un état d’esprit contagieux. Une certaine légèreté. Plus tard, c’est un idéal, ce lui de
liberté, qui se transporte avec le français, et l’on voit dans son sillage émerger des nations. 5
[…] La révolution de 1789, puis celle de 1848, l’impérialisme napoléonien entre-temps, n’ont pas manqué de ternir la
prestigieuse réputation d’une France aristocratique dont l’Europe avait coutume d’adopter, sans l’ombre d’une
hésitation, les modes suaves et les usages policés. Un certain désamour se fait sentir, exprimé de manière cinglante
par le philosophe allemand Arthur Schopenhauer : « Les autres parties du monde ont des singes ; l’Europe a
des Français. Cela se compense » 6
[…] la Révolution éclata. Les cours ressentent les événements de 1789 comme un séisme et la réaction des
souverains ne se fait point attendre. Le roi d’Espagne Charles III ferme son royaume aux nouvelles venues de France,
Catherine II de Russie, horrifiée du sort réservé à un monarque, brûle ce qu’elle avait adoré : en 1792, les ouvrages
de Voltaire et de Rousseau sont livrés aux flammes. La Révolution française va d’ailleurs laisser chez les Grecs une
curieuse trace. « Karmaniola » ne désigne pas cette ronde dansée et chantée par des révolutionnaires, la
carmagnole, non, c’est le surnom qu’ils donnent à la guillotine. 64
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Sac à main


[…] Côté maroquinerie, me croirez-vous, le « retikyl », petit sac à main chic, juste assez grand pour contenir un
poudrier, fait partie de la panoplie des dames russes, tandis que pour les jeunes Hongroises, « retikül » désigne
n’importe quel sac à main. En France, le réticule, parfait pour un mouchoir ou un flacon de sels, était l’accessoire
indispensable dans les bals vers 1850, certes. Il est aujourd’hui confiné dans les placards. 35
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Savoir vivre


[…] La civilité française séduit dans la mesure où on lui reconnaît élégance et légèreté. Voyez, l’expression
allemande « mit Manieren » (du français « manières ») signifie « avec élégance » et, au Danemark, une « visite
française », « fransk visit », est une « courte visite à l’improviste, dépourvue de protocole ». En outre, les Danois ont
calqué notre « tenir salon », « at holde salon », et ils ont aussi imaginé, d’après notre « prendre le pli », « at have pli »,
littéralement « avoir le pli ». Ce qui signifie ? « Avoir de l’éducation », « avoir le sens des situations », de l’intuition
pour trouver le bon comportement. 25
[…] Mais la bienséance française ne s’accompagnerait-elle pas d’un formalisme excessif ? En république Tchèque, en
Pologne comme en Slovénie, le « bonton » (de « bon ton ») est de règle… Les Italiens ont bricolé l’hybride « Che
gaffe ! », « Quelle gaffe ! »… « Faux pas », qui n’est guère utilisé en France par la jeune génération, est au contraire
vivant en Europe, en particulier chez les jeunes Estoniens. Qu’est-ce qu’un « faux pa »s – qui peut aussi bien s’écrire
« fopaa » ? C’est une « gaffe culturelle ». Ne pas finir son assiette, c’est un « fopaa »… En Serbie, on peut entendre
« Ouchtoglen frantsouz » – traduisez : le « Français est trop formel », étouffant, coincé. Tandis qu’en Croatie, on
relève » larpurlartist », création en forme de calembour imaginée à partir de l’art pour l’art, qui désigne un
« puriste », un « artiste sans concession » ou « excessivement attaché à la forme ».
Un mot français fort ancien, « blâmage », « jugement moral défavorable, sanction disciplinaire », est passé en
allemand – Blamage – et, de là, en tchèque – blamáž. Le mot, aujourd’hui disparu de notre propre langue, traduit le
sentiment que l’on éprouve lorsque l’on s’est rendu ridicule par un acte ou un comportement contraire aux bonnes
manières ou à la norme. Un dictionnaire tchèque contemporain traduit « blamáž » par « courte honte ». 26
Autre curiosité dans la région des Balkans, on note la présence du mot « jour ». Probablement arrivé par l’Autriche
des Habsbourg, il est tiré de l’expression « Jour fixe » – jour où l’on reçoit chez soi, à date fixe. Si la pratique
e
mondaine du jour n’a probablement pas survécu au XIX siècle, « jour » a connu un destin singulier en Bulgarie.
« Jour » s’implante dans l’argot bulgare des années 1930 et désigne une « fête de jeunes qui se tient dans la
journée » : danses et sandwiches au programme. Jour s’efface et « koupon » (de « coupon ») apparaît dans le parler
estudiantin des années 1950 où il signifie « fête », « boum » : en Bulgarie, les coupons étaient alors indispensables
pour se procurer denrées et boissons. Au début des années 1970, « teren » (de « terrain ») et « moket » (de
« moquette ») font leur apparition, désignant l’un et l’autre une fête, une surprise-partie. Pour organiser une fête-
surprise, il faut un lieu : à l’extérieur, l’idéal est un terrain, à l’intérieur, une moquette est bienvenue. 26

25
Aux dernières nouvelles, « koupon » aurait repris du poil de la bête. Aujourd’hui connu partout et de tous en
Bulgarie, le mot a fait des petits : koupondjiya (au masculin) et « koupondjiïka » (au féminin) désignent une
« personne participant à une fête », et le verbe « kouponiasvam » signifie « participer à une fête ». Et voici qu’en
1989, après la chute du communisme, le roi Siméon II et sa famille se rendent en visite à Sofia. Le journal 24 tchаsa
évoque la princesse Kalina en ces termes « e kouponiasvala do zori ». La princesse avait « kouponné » jusqu’à l’aube,
autrement dit, Kalina avait fait joyeusement la fête. On est bien loin du rigide jour de réception, la légèreté est
retrouvée. 26
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Service à la française


[…] Service à la française et service à la russe. Le service dit à la française, à peu près abandonné, consistait à laisser
exposés sur la table, durant un service, les mets du service suivant, pour permettre aux convives d’en contempler
l’engageant aspect. […] Dans le service dit à la russe, on opère différemment : les mets sont simplement présentés
aux convives avant d’être découpés et servis. Larousse ménager illustré, 1926 40
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Français & Sexualité


[…] La coquette, la femme fatale et la soubrette ont fait fantasmer bien du monde. Quant au baiser français, il est
universellement connu, c’est magnifique. La maladie française aussi, hélas. 7
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Français & Socialiste


[…] Le surnom French whine n’est pas choisi au hasard. Sur fond de francophobie ordinaire, les Anglo-Américains
appellent « pleureuses » les responsables politiques appartenant au Parti socialiste. 1 1
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Suffisance


[…] Pour les Belges flamands, l’opinion selon laquelle les Français sont suffisants va de soi. Cela se manifeste au
travers de querelles linguistiques. Il existe en Belgique un personnage peu sympathique, appelé « Franskiljon » ou
« Fransquillon ». À quoi le reconnaît-on ? Celui-là est wallon et il « fransquillonne »… Il parle le français avec
affectation. Ce mot fort péjoratif ne stigmatise pas les Français en général, me dit-on, mais avant tout la
communauté francophone de Belgique qui s’affiche comme championne de la culture française considérée comme
supérieure à toute autre. Ainsi, dans les querelles internes, « Franskiljon » sort de la bouche des Flamands qui, bien
que majoritaires dans le pays, souffrent de l’écrasante présence de la France à côté de leur territoire. En retour, les
francophones de Wallonie, malgré leur petit nombre et leur faiblesse économique, adoptent une attitude arrogante
et donnent à leur ennemi préféré du « Flamingant », avec en arrière-pensée l’idée que le flamand est la langue de
l’ennemi – celle des Pays-Bas. 1 7
[…] En Flandre, « le mot français est positif, me dit-on, quand il évoque la bonne bouffe, les bons vins, mais négatif
quand il fait allusion aux défauts des Français : ils sont énervés, trop pressés, bavards, chauvins, abusent des
formules de politesse et des compliments. Le Parisien cumule tous ces défauts, par-dessus le marché, il est
nombriliste, toujours dédaigneux ; à ses yeux, hors de Paris, il n’y a que des ploucs ». Alors, en Flandre, « Parijs », le
« Parisien », n’a pas bonne presse, pas plus que « Pariser » en Allemagne.
Quant aux Italiens, ils perçoivent les Français comme orgueilleux et amants de la grandeur, et expriment, eux aussi,
ce sentiment à travers une blague :
Tu savais que, d’après un sondage, un tiers des Français croit encore que le Soleil tourne autour de la Terre ?
Ah ? Et les deux autres tiers ?
Ils croient que le Soleil tourne autour de la France… 17
[…] Les Français nourriraient-ils un léger complexe de supériorité ? Les Russes semblent le penser. Chez eux, un
« alen delon » évoque un homme présomptueux, tandis qu’un « belmondo » est un homme avantagé au point
de se croire irrésistible – sa réplique féminine, la « belmonda », ne vaut pas mieux. 17
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

26
Français & Surnom
[…] Escargots de Bourgogne ou petits-gris, nous nous régalons de ces mollusques hermaphrodites, c’est de notoriété.
Quant à notre attrait pour les cuisses de grenouille, il est fameux au point que les Anglais nous surnomment « Frogs »
ou « Froggies » – affectueusement, le diminutif m’incite à le croire, mais, sachez-le, certains considèrent « Froggies »
comme peu sympathique.
Donner aux autres des petits noms évoquant leurs préférences alimentaires réelles ou supposées, c’est de bonne
guéguerre – ainsi, en retour, donnons-nous aux Anglais du « Rosbif », le bœuf rôti étant, outre-Manche, la pièce
maîtresse du déjeuner dominical, n’est-il pas ? Le plus amusant est sans doute l’origine purement française de ce
« beef », derrière lequel se cache bien mal notre bon vieux « bœuf ». Celui-là, importé jadis par les Normands sur les
tables anglaises, a relégué d’office l’« ox » autochtone aux pâturages et aux arrière-cuisines. Passons. « Froggies »
e
aurait été imaginé au XIX siècle, dit-on, par les jeunes Anglais fortunés, confrontés à la cuisine française à
l’occasion du Grand Tour – voyage à travers l’Europe via la France, l’Italie et la Grèce. En milieu anglophone,
« Froggies » s’est imposé sur plusieurs continents […]. Les Anglais, qui sont allés jusqu’à forger l’adjectif « froggish »,
« comme un Français », ont fait école. Voyez, en Allemagne, les Français sont « Froschfresser », « bouffeurs de
grenouilles », ou, plus précisément, « Froschschenkelfresser », « bouffeurs de cuisses de grenouille », au Danemark,
les voici « frølår », « cuisses de grenouille », et en Pologne, żaby, « grenouilles ». Au Canada anglophone, les
Français sont des « Frogs » ou des « Gorfs » en verlan, mais oui. À moins qu’on ne les appelle « Pea-soupers », non
sans un certain mépris : la soupe aux pois, roboratif plat de pauvres, est étroitement associée aux peuples
francophones du Canada – québécois, acadien et leurs diasporas. C’est la pauvreté des émigrants français venus
e
s’installer au XVIII siècle qui est alors stigmatisée. À Montréal, à la fin des années 1950, apparaît « Pepsi ». Les
Canadiens anglais ont ainsi désigné péjorativement les pauvres Canadiens français censés se gorger de Pepsi parce
qu’ils ne pouvaient se permettre le Coca, légèrement plus cher. Mais les mêmes anglophones ont aussi baptisé les
Québécois « Pepsi Mae West » – la pulpeuse et sulfureuse actrice américaine avait donné son nom à un gâteau blanc
et moelleux, fourré à la crème et recouvert d’un enrobage chocolaté, le « Mae West », pâtisserie fort populaire chez
les Canadiens français. L’abondance française retrouvée au dessert… 48
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Syphilis


[…] Nouveau Monde, Europe, Amérique ? L’origine de la syphilis, controversée depuis des siècles, est incertaine. En
Europe, on a tiré parti de ce flou, chacun y va de son appellation, refilant ainsi à ses voisins l’encombrante paternité
de la maladie. Miracle linguistique, ces appellations discourtoises révèlent le parcours d’une épidémie foudroyante.
La syphilis apparaît à Naples en 1495. On l’appelle alors « le mal italien » en France, « la maladie française » en
Angleterre, et « la maladie anglaise » en Écosse. On la nomme « la maladie française » aussi en Espagne, et « la
maladie espagnole » au Portugal. En Europe centrale, la syphilis se répand d’ouest en est. C’est, une fois de plus, « la
maladie française » en Allemagne, « la maladie allemande » en Pologne et « la maladie polonaise » en Russie…
Quatre siècles plus tard, le mal courait toujours. Les mots sont éclairants, une fois encore. Que disent-ils ? Là où il y a
eu des contacts avec les armées françaises, on connaît le « mal français ». Il « male francese » aurait été apporté par
l’armée de François Ier, assure-t-on en Italie. Propagée par les armées napoléoniennes, on retrouve la « maladie
française » en Allemagne – französische Krankheit –, en Pologne – choroba francuska –, en Slovénie – « francoska
bolezen ». En Russie, contre toute attente, elle est nommée « parijski nasmork », « rhume parisien ». À défaut
d’avoir été colportée par les grognards, aurait-elle été rapportée par les cosaques qui ont occupé Paris en 1814 ?
Ceux-là mêmes qui, bons garçons, nous ont laissé le mot « bistrot », à ce que l’on dit. En Grèce, on connaît le « mal
français », on lui donne même deux noms, « malafràntza » ou « galliki arròstia ». Pourquoi ? Mystère.
À la célébrissime « French disease », « maladie française », les Anglais ont donné, au fil du temps, divers noms :
« French feaver », « fièvre française », « French gout », « goutte française », « French ache », « mal français »,
« French pox », « variole française ». Qui est atteint d’une maladie vénérienne hérite du charmant surnom de
« frenchified », « francisé ». Selon les Anglais, la syphilis est, de toute évidence, une maladie colportée par ces
maudits Français.
Nos chers cousins d’outre-Manche ont même imaginé, pour en décrire les hideux symptômes, quelques expressions
fleuries, « frenchified potatoes », « patates francisées », ou « French marbles », « billes françaises »… testicules
déformés après avoir été plongés dans l’eau bouillante – pour soigner le mal français, on aura tout essayé. Grâce au
ciel, les progrès de la médecine ont rendu obsolètes ces termes grossiers. Dans la même gracieuse veine, sachez-le
tout de même, les Bulgares qualifient de « bouket » (d’après « bouquet ») celui qui est atteint d’une maladie
vénérienne. Amis de la poésie, bonsoir.

27
Revenons à nos merveilleux amis anglais. Chez eux, « to take French lessons », « prendre des leçons de français »,
c’est « contracter une maladie vénérienne ». Ce qui pourrait être évité grâce à la « French letter », « lettre
française », ou, pour le dire en français, la « capote anglaise ». Procédé remplaçant avantageusement « the Vatican
roulette », méthode de contraception hasardeuse recommandée par les autorités ecclésiastiques.
On ne s’accorde ni sur la date de naissance ni sur les origines de l’expression. Cette « lettre française » serait apparue
e
au milieu du XIX siècle, selon certains, pendant la Seconde Guerre mondiale, selon d’autres. L’ancêtre du préservatif
aurait été ainsi nommé par les Anglais en déformant le verbe to let, « entraver », disent les uns. Pas du tout,
rétorquent les autres, lettre s’explique ainsi : à l’origine la chose était présentée dans une enveloppe. À moins que
les soldats anglais, qui ont découvert le préservatif en France, ne les aient expédiés de l’autre côté de la Manche par
le courrier…
Le débat a fait couler beaucoup d’encre, reste que l’essentiel, c’est bien la présence de l’adjectif français :
l’expression, aujourd’hui désuète, prend place dans la liste de celles associées avec les si décriés Français, obsédés
sexuels notoires. Dans le monde anglo-américain, on use aujourd’hui de « French cap » – exact équivalent de notre
« capote anglaise –, « French safe », « coffre-fort français », « French ticket », « frencher » ou encore de « Frenchie »,
terme argotique désignant par ailleurs un Français.
La référence aux Français est capitale, la preuve ? Les Allemands appellent la capote « der Pariser », « le Parisien »,
et les Danois, « Franske artikler », « articles français ». 62-63
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Talon Louis (cf. Chaussure & Talon Louis)


OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Travail


[…] Aux Pays-Bas, faire quelque chose « met de Franse slag », « à la manière française », suppose que l’ouvrage a été
vite fait mal fait, tandis qu’au Portugal « À grande e à francesa », littéralement « en grand et à la française », signifie
que les choses ont été faites de manière grandiose, sans regarder à la dépense, avec une certaine exagération, peut-
être. 7
[…] Pourquoi les Français expédient-ils le travail d’une journée en deux à trois heures ? Ils passent tout leur
temps dans les cafés : ils restent assis à boire au lieu de travailler. 112 Gripes about the French, 10
[…] En Pologne, quand il s’agit de faire savoir que tel ou tel n’est pas un foudre de travail, on dit qu’il est « paresseux
comme un Français ». Et les Polonais nous ont jadis emprunté « couillon » – ils en ont fait « kujon ». Qui mérite
cette appellation si peu élogieuse ? Un lycéen ou un étudiant qui se met au travail juste avant les examens. 10
[…] qu’en Islande, dans le Borgarfjö rð u, fjord situé près de la petite ville de Borgarnes, a vécu un fermier français.
Cinquante années durant, celui-là n’a jamais renoncé à sa longue sieste de l’après-midi. Ainsi naquit l’expression « Að
taka franskan blund », littéralement « faire une sieste française ». Que comprendre ? Passer sa journée à dormir.
10
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Vite fait mal fait


[…] Aux yeux des Néerlandais, les Français manqueraient-ils d’application ? On pourrait le croire, car, aux Pays-Bas,
« iets met de Franse slag doen », littéralement « faire quelque chose à la française », c’est bâcler le travail. La
meilleure traduction de « met de Franse slag ? » « Fait par-dessus la jambe et on est content comme ça », me
suggère un diplomate néerlandophone. Et d’ajouter qu’en Flandre, si quelque chose a été organisé « op zijn Frans »,
ce n’est pas très bien préparé, c’est fait avec nonchalance et sans respect du calendrier, mais néanmoins avec
beaucoup de tralala, de charme, de pompe et de protocole, voire avec une certaine prétention.
Les Italiens ont la même formule. Dans la région de Venise, devant une chose réalisée sans soin, on commente
ainsi : « fatto alla francese ».
Du côté des Anglo-Américains, la façon française n’est guère mieux traitée. « A French pigeon », « un pigeon
français », est un oiseau tiré hors saison, autrement dit : voilà le travail d’un goujat. Et, « a French screwdriver », « un
tournevis français », c’est un marteau. L’idée sous-entendue par cette bonne blague ? L’incapacité supposée du
Français à exécuter un travail simple correctement.
En Espagne ? « Hacer la cama a la francesa », c’est faire le lit à toute vitesse, sans prendre la peine d’aérer les draps,
en se limitant à les étirer un peu.

28
En Norvège, on peut entendre « Det er et virkelig bordell her !, « C’est un vrai bordel ici ! ». Que faut-il en conclure ?
Que le désordre est grand, et d’une. Que les Norvégiens usent, comme nous, de notre mot « bordel » dans son sens
figuré, et de deux.
[…] les Américains sont formels. Un GI, arrivant en France après la Seconde Guerre mondiale, note : Les Français se
fichent de tout, ils ont même une formule pour le dire, « laissez-faire » [sic]. Cela signifie : à quoi bon se donner du
mal, il suffit de laisser aller les choses. 112 Gripes about the French 12
En Italie, au détour d’une conversation, vous entendrez ces mots, en français dans le texte : « laisser-aller, laisser-
faire ». En Finlande, « C’est la vie ! » est apprécié à double titre. Tout d’abord, l’expression est intraduisible en finnois –
une longue périphrase serait nécessaire –, mais, surtout, elle représente assez bien notre manière décontractée, un
brin fataliste, de vivre, quelque peu exotique aux yeux des Finlandais. Un dictionnaire danois soucieux de traduire au
mieux le proverbe « Den sten man ikke kan løfte, lader man ligge », littéralement « La pierre qu’on ne peut soulever, on
la laisse », propose le très joli : « Il faut faire comme on fait à Paris, on laisse pleuvoir. » 12
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Urbanisme


[…] Dans toutes les capitales d’Europe, le voyageur curieux peut deviner l’influence française à travers un vocabulaire
urbain à l’allure assez familière pour être reconnu sous ses habits étrangers.
« Tunnel », « viaduc », « canal »… « Avenue » – agrémentée de « plataan » aux Pays-Bas –, « boulevard », « esplanade » et
même « chaussée » – souvenir de Napoléon qui, pour faciliter le déplacement de ses troupes, développa un important
réseau de voies en Europe. Ainsi, il existe à Moscou une « chossé Entouziastov », « chaussée des Enthousiastes », et,
en Norvège, à la fin de l’hiver, des panneaux fleurissent sur le bord des routes, recommandant la prudence, où l’on
peut lire : « chaussee deformee »… « Passage », « trottoir »… « Pavillon » et « kiosqu »e – on y trouve les journaux… « Magasin
et boutique » – aux Pays-Bas, « boetiek » confère prestige et élégance à toutes sortes d’entreprises, des petits
magasins de mode aux boulangeries qui prennent l’enseigne de « broodboetiek », « boutique de pain »… « Toilettes –
en Turquie, « dama » est inscrit sur celles réservées aux dames. Au cours d’une promenade à Copenhague, dans le
quartier de Nyhavn, on sera surpris de voir un panneau d’aspect officiel indiquant « Pissoir ». Si l’on suit la direction
indiquée, on arrive devant des toilettes publiques… Hôtel, pension, meublé et garage… En Suède, un hôpital est signalé
par « lasarett » – de « lazaret », lieu de mise en quarantaine en des temps où sévissait la peste… En Suisse alémanique
comme en Hongrie, en Russie, en Pologne et en république Tchèque, notre « perron » désigne un « quai ». 49
[…] L’art de vivre à la française se manifeste à travers d’élégants aménagements : mansarde – les Anglais la
nomment – « French roof », « balustrade », « balcon », « terrasse », « bassin », « véranda » et « marquise » en témoignent.
« Appartement » est très répandu – c’est un appartement luxueux ou une suite dans un grand hôtel – ainsi que « bel
étage » – le premier étage d’une résidence officielle ou d’un hôtel particulier, dédié aux réceptions. Il suffit de
déambuler dans les rues de Budapest pour humer le parfum désuet des mots français. Certains, importés à la Belle
Époque, bénéficient encore d’une aura favorable exploitée par les commerçants désireux d’attirer la clientèle des
touristes. La ville fourmille d’enseignes aux noms français : « Memoár café », « Rendezveni café » – où
« rendezveni » est un pluriel fantaisiste de « rendez-vous »… –, « Antikvitás », « Porcelán », « La Belle Époque », «
Gourmand », « Konfekti ó », « Elegantia »… Notre salon est fort prisé, il donne du chic aux enseignes des instituts
de beauté, « Bio beauty szálon », « Kosmetika szálon », « Massazse szálon ». « Szálon » annonce aussi un salon de
couture, d’essayage. Ultime trace d’un monde qui n’est plus, dans les villes d’Europe : notre « garçonnière », arrivée
e
au XIX siècle par la voie littéraire. En Hongrie, en Tchéquie, en Slovénie, en Pologne et dans les Balkans, une
société polyglotte a introduit le mot et la chose, trouvant son inspiration dans les romans mettant en scène une
aristocratie décadente. La garçonnière est souvent devenue un innocent studio. Mais « garsoniyer » demeure un lieu
de rendez-vous galants, en Turquie. Aussi appelé « pied-à-terre », c’est un lieu voué aux ébats clandestins, en Italie.
« Garsoniéra », en Macédoine, ne désigne ni un lieu dédié à la bagatelle, ni un studio, comme ailleurs en Europe,
mais une suite dans un grand hôtel. […] En visite à Tokyo, on est surpris par la multitude d’enseignes affichant notre
alphabet. À y regarder de plus près, on s’amuse de l’utilisation surréaliste de nos vingt-six lettres : on n’est pas loin
du cadavre exquis. Se promener dans un centre commercial promet une bonne partie de rigolade. Une société
s’appelle « Touchez du bois 4 heures », une boutique de mode répond à l’enseigne « La Cocue », une autre à celle de
« Lapine blanche ». 49
[…] En visite à Tokyo, on est surpris par la multitude d’enseignes affichant notre alphabet. À y regarder de plus
près, on s’amuse de l’utilisation surréaliste de nos vingt-six lettres : on n’est pas loin du cadavre exquis. Se promener
dans un centre commercial promet une bonne partie de rigolade. Une société s’appelle « Touchez du bois 4
heures », une boutique de mode répond à l’enseigne « La Cocue », une autre à celle de « Lapine blanche ».
Orthographe et grammaire sont bien le cadet des soucis, cela crève les yeux. Ce qui compte, c’est vaguement le

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caractère évocateur de ces mots – dont le sens peut se révéler parfaitement fantaisiste –, mais surtout leur
consonance exotique. Si le mot sonne bien, cela suffit à donner une ambiance positive au négoce. Deux petits mots,
« comme ça », vidés de leur sens, font les choux gras des commerçants désireux de séduire, si l’on en juge par la
multiplicité des enseignes qui en usent : « Comme ça du mode », « Comme ça store », « Comme ça café » 50
[…] Les intérieurs allemands d’aujourd’hui semblent se souvenir de ce goût invétéré du siècle des Lumières pour ce qui
vient de France. « Das Vestibül » et « der Korridor »… « Das Parkett » et « das Sekretä »r… « Die Jalousie » et « die Girlande »… « Der
Lampion » et « die Lanterne »… […] Quelle surprise d’entendre, à Budapest, ma jeune correspondante citer
« budoár », « boudoir », mot français qui lui est venu spontanément à l’esprit. Plus curieux encore, ce petit salon de
dame, auquel les Hongrois donnent un autre nom, « intim női szalon » – « női » signifie « féminin » –, je l’ai retrouvé
un peu partout en Europe. Un peu comme l’« alcôve » et le « bureau ».
Le « Sekretär » adopté par les Allemands compte des cousins par-ci par-là. Les Anglais se distinguent en lui préférant
« cabinet ». La « commode » et le joli « chiffonnier » meublent les appartements des dames à peu près partout.
Privilégiées, les Hongroises peuvent disposer d’une « toilette-asztalka » et les Tchèques d’une « toaleta » ou « toaletní
stolek », une table de toilette. Outre le « lustre » – que nous avions nous-mêmes emprunté aux Italiens –, le
chandelier, la girandole et l’abat-jour, la lampe a conquis l’Europe. Les Suédois ne se sont pas contentés de
« lampa », ils ont imaginé « lampett », « petite lampe », « applique », et « lampel », « suspension ». Les jeunes Grecs
raffolent du « portatif », « lampe portative », et de la « sez pliant », « chaise pliante ».
Quelle surprise d’entendre, à Budapest, ma jeune correspondante citer « budoár », « boudoir », mot
français qui lui est venu spontanément à l’esprit. Plus curieux encore, ce petit salon de dame, auquel les Hongrois
donnent un autre nom, « intim női szalon » – « női » signifie « féminin » –, je l’ai retrouvé un peu partout en Europe.
Un peu comme l’« alcôve » et le « bureau ».
Le « Sekretär » adopté par les Allemands compte des cousins par-ci par-là. Les Anglais se distinguent en lui préférant
« cabinet ». La « commode » et le joli « chiffonnier » meublent les appartements des dames à peu près partout.
Privilégiées, les Hongroises peuvent disposer d’une « toilette-asztalka » et les Tchèques d’une « toaleta » ou « toaletní
stolek », une table de toilette. Outre le « lustre » – que nous avions nous-mêmes emprunté aux Italiens –, le
chandelier, la girandole et l’abat-jour, la lampe a conquis l’Europe. Les Suédois ne se sont pas contentés de
« lampa », ils ont imaginé « lampett », « petite lampe », « applique », et « lampel », « suspension ». Les jeunes Grecs
raffolent du « portatif », « lampe portative », et de la « sez pliant », « chaise pliante ».
Nos voisins proches ou lointains disposent d’une ribambelle de sièges confortables. Comment recevoir à la française,
sans cela ? « Divan », « canapé », « sofa », « banquette » et « fauteuil », assurément. Plus étonnant, en Allemagne, on
connaît notre « Tête-à-Tête », un canapé dont le dossier en s permet à deux personnes de converser sans se
contorsionner… Aux Pays- Bas, le « crapaud », « fauteuil crapaud »… Au Royaume-Uni, la « bergère ». Ce fauteuil
large et profond, folie des salons Louis XV, les Hongrois l’ont rebaptisé « karosszék » – s’inspirant de « carrosse » – ou
« rokokó karosszék », « fauteuil Pompadour », selon un dictionnaire hongrois contemporain.
e
À l’aube du XIX siècle, la « chaise longue », le « récamier » et la « méridienne », ces sièges sur lesquels peuvent reposer
les jambes, vont faire un malheur en Europe. Juliette Récamier, que le peintre Jacques-Louis David immortalisa, en
1800, nonchalamment allongée sur une banquette munie de deux dossiers aux extrémités, donna son nom à cette
variété de chaise longue et la rendit célèbre. En Allemagne les esprits s’enflammèrent. Outre-Rhin, on imagina la
« chaise longue », propice à la conversation ou à la paresse, idéale pour la pratique de certaines activités agréables,
ce que l’allemand exprime par « Chaislong-Akrobatin ». Est-il besoin de traduire ? Un peu désuète de nos jours,
l’expression cède la place à « Après- Ski Sport ». Est-il nécessaire de le préciser, l’activité évoquée se déroule en
chambre… En cas de refus, vous serez surprises, mesdames, d’entendre le galant glisser dans un soupir C’est la vie,
en français dans le texte… Quand il s’agit de la bagatelle, l’exemple français inspire toujours. Nous en reparlerons.
Le « récamier » eut en Europe un destin plus prosaïque. Derrière « rekamié » ou « recamier », toujours en usage en
Hongrie et en Roumanie, se cache un « canapé-lit » ou un convertible. Cela semble curieux, mais, sachez-le, les
Polonais ont aussi leur canapé-lit. Ils l’appellent « wersalka », vocable fabriqué à partir de « Versailles », mais oui. Par
référence amusée au logement de fortune des courtisans dans les corridors encombrés de Versailles, j’imagine.
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OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & Vêtements


[…] Les dessous, les vêtements, les accessoires venus de France s’exportent depuis plusieurs siècles : le « cul de
Paris » (faux-cul), la « blouse » et le « talon Louis » font encore rêver Japonais, Allemands ou Américains. 7
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

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Français & Voler en magasin
[…] En Australie, on fait la chasse aux Français, adeptes du « French shopping »1 : ceux-là écument les magasins et
oublient de payer. 7
[…] OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

Français & « Voulez-vous couché avec moi ? »


Aujourd’hui ? Dans le monde anglo-saxon ou en Italie,
». les dames courent le risque de se faire apostropher d’un
« Voulez-vous coucher avec moi, ce soir ? ». Comme dans la chanson ? Parfaitement. Lady Marmalade de Patti
LaBelle, classée no 1 aux États-Unis en 1974 et 1975 et reprise de nombreuses fois, a fait un malheur et, depuis, tout
le monde connaît le refrain français. Le croiriez-vous, cette cavalière invitation est tirée du roman Trois Soldats de
John Dos Passos, paru en 1921, où la phrase est écrite sous la forme américanisée, « Voulay vous couchay aveck
moy ? Elle réapparaît en 1947 dans la pièce de Tennessee Williams, Un tramway nommé Désir. Elle a inspiré les Italiens,
également : Voulez-vous coucher avec moi ? est le titre d’une émission coquine présentée par la sulfureuse actrice
Cicciolina à partir de 1973 sur Radio Luna.
Mettre les codes formels de la bienséance – « Voulez-vous… » – au service d’une audace un peu voyoute, voilà la
galanterie française. Les Anglais distinguent finement « galant », « homme courtois », et « gallant », homme
entreprenant. En réalité, les deux ne font qu’un.
OH LÀ LÀ, CES FRANÇAIS ! (2015) DE MARIE TREPS

1
« Les Français en Australie, comportement abusif ou stigmatisation ? », www.australia-australie.com, 2016.

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