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TEXTE 1 : « A la Reine »
Madame,
Peu faite au langage que l’on tient aux rois, je n’emploierai point l’adulation des
courtisans pour vous faire hommage de cette singulière production. Mon but, Madame, est
de vous parler franchement ; je n’ai pas attendu, pour m’exprimer ainsi, l’époque de la
Liberté ; je me suis montrée avec la même énergie dans un temps où l’aveuglement des
Despotes punissait une si noble audace.
Lorsque tout l’Empire vous accusait et vous rendait responsable de ses calamités,
moi seule, dans un temps de trouble et d’orage, j’ai eu la force de prendre votre défense.
Je n’ai jamais pu me persuader qu’une Princesse, élevée au sein des grandeurs, eût tous
les vices de la bassesse.
Oui, Madame, lorsque j’ai vu le glaive levé sur vous, j’ai jeté mes observations entre
ce glaive et la victime ; mais aujourd’hui que je vois qu’on observe de près la foule de
mutins soudoyée, et qu’elle est retenue par la crainte des lois, je vous dirai, Madame, ce
que je ne vous aurais pas dit alors.
Si l’étranger porte le fer en France, vous n’êtes plus à mes yeux cette reine
faussement inculpée, cette Reine intéressante, mais une implacable ennemie des
Français. Ah ! Madame, songez que vous êtes mère et épouse ; employez tout votre crédit
pour le retour des Princes. Ce crédit, si sagement appliqué, raffermit la couronne du père,
la conserve au fils, et vous réconcilie l’amour des Français. Cette digne négociation est le
vrai devoir d’une Reine. L’intrigue, la cabale, les projets sanguinaires précipiteraient votre
chute, si l’on pouvait vous soupçonner capable de semblables desseins.
TOINETTE, faisant semblant de s'être cogné TOINETTE - Querellez tout votre soûl, je le
la tête - Diantre soit fait de votre impatience, veux bien.
vous pressez si fort les personnes, que je me
suis donné un grand coup de la tête contre la ARGAN - Tu m'en empêches, chienne, en
carne d'un volet. m'interrompant à tous coups.
ARGAN - Monsieur Purgon m’a dit de me CLÉANTE - J’ai ouï dire que Monsieur était
promener le matin dans ma chambre, douze mieux, et je lui trouve bon visage.
allées, et douze venues ; mais j’ai oublié à lui
demander, si c’est en long, ou en large. TOINETTE - Que voulez-vous dire avec votre
bon visage ? Monsieur l’a fort mauvais, et ce
TOINETTE - Monsieur, voilà un... sont des impertinents qui vous ont dit qu’il
était mieux. Il ne s’est jamais si mal porté.
ARGAN - Parle bas, pendarde, tu viens
m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes ARGAN - Elle a raison.
pas qu’il ne faut point parler si haut à des
malades. TOINETTE - Il marche, dort, mange, et boit
tout comme les autres ; mais cela n’empêche
TOINETTE - Je voulais vous dire, Monsieur... pas qu’il ne soit fort malade.
TOINETTE, raillant - Ne parlez pas si haut, TOINETTE - Monsieur, cela ne fera que vous
de peur d’ébranler le cerveau de Monsieur. étourdir, et il ne faut rien pour vous émouvoir
en l’état où vous êtes, et vous ébranler le
cerveau.
CLÉANTE - Monsieur, je suis ravi de vous
trouver debout et de voir que vous vous
portez mieux. ARGAN - Point, point, j’aime la musique, et je
serai bien aise de... Ah ! la voici. Allez-vous-
en voir, vous, si ma femme est habillée.
TOINETTE, feignant d’être en colère -
Comment "qu’il se porte mieux" ? Cela est
faux, Monsieur se porte toujours mal.
TEXTE 8 : Acte III, scène 10
TOINETTE TOINETTE
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! J'en ai quatre-vingt- Cet homme-là n'est point écrit sur mes
dix. tablettes entre les grands médecins. De quoi
dit-il que vous êtes malade ?
ARGAN
Quatre-vingt-dix ! ARGAN
Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que
TOINETTE c'est de la rate.
Oui. Vous voyez en effet des secrets de mon
art, de me conserver ainsi frais et vigoureux. TOINETTE
Ce sont tous des ignorants. C'est du poumon
ARGAN que vous êtes malade.
Par ma foi, voilà un beau jeune vieillard pour
quatre-vingt-dix ans ! ARGAN
Du poumon ?
TOINETTE
TOINETTE
Je suis médecin passager, qui vais de ville en Oui. Que sentez-vous ?
ville, de province en province, de royaume en
royaume, pour chercher d'illustres matières à ARGAN
ma capacité, pour trouver des malades Je sens de temps en temps des douleurs de
dignes de m'occuper, capables d'exercer les tête.
grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans
la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce TOINETTE
menu fatras de maladies ordinaires, à ces Justement, le poumon.
bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à
ces fiévrottes, à ces vapeurs et à ces
migraines. Je veux des maladies
ARGAN TOINETTE
Il me semble parfois que j'ai un voile devant Ignorant !
les yeux.
ARGAN
TOINETTE Du veau.
Le poumon.
/…/
ARGAN
J'ai quelquefois des maux de coeur. ARGAN
Vous m'obligerez beaucoup.
TOINETTE
Le poumon. TOINETTE
Que diantre faites-vous de ce bras-là ?
ARGAN
Je sens parfois des lassitudes par tous les ARGAN
membres. Comment ?
TOINETTE TOINETTE
Le poumon. Voilà un bras que je me ferais couper tout à
l'heure, si j'étais que de vous.
ARGAN
Et quelquefois il me prend des douleurs dans ARGAN
le ventre, comme si c'étaient des coliques. Et pourquoi ?
TOINETTE TOINETTE
Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous Ne voyez-vous pas qu'il tire à soi toute la
mangez ? nourriture, et qu'il empêche ce côté-là de
profiter ?
ARGAN
Oui, monsieur. ARGAN
Oui ; mais j'ai besoin de mon bras.
TOINETTE
Le poumon. Vous aimez à boire un peu de TOINETTE
vin. Vous avez là aussi un oeil droit que je me
ferais crever, si j'étais à votre place.
ARGAN
Oui, monsieur. ARGAN
Crever un œil ?
TOINETTE
Le poumon. Il vous prend un petit sommeil TOINETTE
après le repas, et vous êtes bien aise de Ne voyez-vous pas qu'il incommode l'autre,
dormir ? et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi,
faites-vous-le crever au plus tôt : vous en
ARGAN verrez plus clair de l'oeil gauche.
Oui, monsieur.
ARGAN
TOINETTE Cela n'est pas pressé.
Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que
vous ordonne votre médecin pour votre /…/
nourriture ?
ARGAN
ARGAN Me couper un bras et me crever un oeil, afin
Il m'ordonne du potage. que l'autre se porte mieux ! J'aime bien mieux
qu'il ne se porte pas si bien. La belle
TOINETTE opération, de me rendre borgne et manchot !
Ignorant !
ARGAN
De la volaille.
Objet d’étude : Le théâtre du XVIIè au XXIè siècle
La chambre de Madame. Meubles Louis XV. Au fond, une fenêtre ouverte sur la façade
de l’immeuble en face. A droite, le lit. A gauche, une porte et une commode. Des fleurs à
profusion. C’est le soir. L’actrice qui joue Solange est vêtue d’une petite robe noire de
domestique. Sur une chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une paire de
souliers noirs à talons plats.
Claire, debout, en combinaison, tournant le dos à la coiffeuse. Son geste –le bras tendu–
et le ton seront d’un tragique exaspéré.
Et ces gants ! Ces éternels gants ! Je t’ai dit souvent de les laisser à la cuisine. C’est avec
ça, sans doute, que tu espères séduire le laitier. Non, non, ne mens pas, c’est inutile.
Pends-les au-dessus de l’évier. Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas
être souillée ? Tout, mais tout ! ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes
crachats ! Mais cesse !
Pendant cette tirade, Solange jouait avec une paire de gants de caoutchouc, observant
ses mains gantées, tantôt en bouquet, tantôt en éventail.
Ne te gêne pas, fais ta biche. Et surtout ne te presse pas, nous avons le temps. Sors !
Solange change soudain d’attitude et sort humblement, tenant du bout des doigts les
gants de caoutchouc. Claire s’assied à la coiffeuse. Elle respire les fleurs, caresse les
objets de toilette, brosse ses cheveux, arrange son visage.
Préparez ma robe. Vite le temps presse. Vous n’êtes pas là ? (Elle se retourne.) Claire !
Claire !
Entre Solange.
Solange
Claire
Claire
Solange prend dans l’armoire quelques écrins qu’elle ouvre et dispose sur le lit.
Pour votre noce sans doute. Avouez qu’il vous a séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-
le !
Solange s’accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis.
Je vous ai dit, Claire, d’éviter les crachats. Qu’ils dorment en vous, ma fille, qu’ils y
croupissent. Ah ! ah ! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous
regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.) pensez-vous qu’il
me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la
brume de vos marécages ?
Vous me détestez, n’est-ce pas ? Vous m’écrasez sous vos prévenances, sous votre
humilité, sous les glaïeuls et le réséda. (Elle se lève et d’un ton plus bas.) On s’encombre
inutilement. Il y a trop de fleurs. C’est mortel. (Elle se mire encore.) Je serai belle. Plus
que vous ne le serez jamais. Car ce n’est pas avec ce corps et cette face que vous
séduirez Mario. Ce jeune laitier ridicule vous méprise, et s’il vous a fait un gosse…
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Quand le ciel bas et lourd pèse comme un
Luxe, calme et volupté.
(couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs
Des meubles luisants, ennuis,
Polis par les ans, Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Décoreraient notre chambre ; Il nous fait un jour noir plus triste que les
Les plus rares fleurs nuits ;
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre, Quand la terre est changée en un cachot
Les riches plafonds, humide,
Les miroirs profonds, Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
La splendeur orientale, S’en va battant les murs de son aile timide,
Tout y parlerait Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
À l’âme en secret
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
Sa douce langue natale. D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’horribles araignées
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Vient tendre ses filets au fond de nos
Luxe, calme et volupté. cerveaux,
Vois sur ces canaux Des cloches tout-à-coup sautent avec furie
Dormir ces vaisseaux Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Dont l’humeur est vagabonde ;
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
Mais comme je tiens à elle beaucoup plus qu'à mon poème, eh bien, je veux lui laisser sa
chance, et ne pas trop la transférer aux mots. Car elle est ennemie des formes et se tient
à la frontière du non-plastique. Elle veut nous tenter aux formes, puis enfin nous en
décourager. Ainsi soit-il ! Et je ne saurais donc en écrire, qu'au mieux, à sa gloire, à sa
honte, une ode diligemment inachevée…