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ADT, Fonds Vayss.

, dossier 36, articles, Baron


L.-M. Baron, "Le père Vayssière (1864-1940)" in Revue du Rosaire (Décembre 1940),
12, pp. 195-2021.

Le père Vayssière (1864-1940)

Je me souviens de la première fois où je le vis. J'étais novice à Saint-Maximin et le père


Vayssière descendait quelque fois de la Grotte de la Sainte-Baume pour nous confesser.
"Vous verrez, c'est un père qui aime beaucoup la Sainte Vierge", m'avait-on annoncé un de
mes compagnons de Noviciat.
A peine étais-je agenouillé près de lui, qu'il me prit le bras, le serra avec force et une
douceur qui donnaient confiance, et, me rapprochant de lui, il me regarda avec ces yeux
bleus, limpides, inoubliables où je puis dire que j'ai eu l'impression d'un reflet de la Sainte
Vierge. Il me parut imprégné de l'âme de Marie. Tout de suite il me parla d'Elle".
Ce témoignage est révélateur de la sainteté au parfum tout marial du père Vayssière.
Saint religieux, il l'était vraiment. Je venais de prendre l'habit à Saint-Maximin, lors de la
restauration du Couvent après la Grande Guerre. Le réfectoire était encore réquisitionné, la
communauté renaissante prenait ses repas dans une toute petite salle. En m'asseyant à table, je
trouvai comme vis-à-vis un religieux inconnu. Moi aussi, je fus frappé par l'expression de
bonté, de sérénité, de sainteté empreinte sur son visage.
Cette première impression ne fit que s'accentuer au cours du dîner pris en silence. "Voici
un Père, me dis-je en sortant à l'un de mes frères, qui a observé pendant le repas tous les
conseils que saint Vincent Ferrier nous donne dans sa vie spirituelle". Dans ma ferveur de
novice, j'étais profondément édifié. J'appris que ce religieux exemplaire était le père
Vayssière.
Sa sainteté était toute mariale. Il n'avait pas joui de sa mère, morte jeune; il n'avait pas
appris de la nature les sentiments qu'il est si bon et si beau ensuite de transporter dans l'ordre
de la grâce. Il n'avait pas eu d'autre mère que la Sainte Vierge, et c'est d'Elle qu'il avait tout
appris, même les délicatesses les plus humaines de son coeur.
Avec quelle tendresse émue il parlait d'elle! "Le Père parle de la Sainte Vierge, disait-on,
vous allez le voir pleurer". C'était infaillible. Il ne savait voir dans sa propre vie, qu'un
enchaînement de ce que Marie avait fait pour lui. "Tout a été miséricorde dans ma vie, disait-
il, et miséricorde de Marie. C'est la Sainte Vierge qui a tout fait. Je lui dois tout... La Sainte
Vierge est une maman, elle nous aime comme une maman, il faut l'aimer comme une
maman".

Tu sera curé...

Toussaint Vayssière naquit à Saint-Céré, dans le Lot, le 29 octobre 1864. Il connut à


peine sa mère. Son père, modeste menuisier, le mit à l'école des Frères des Ecoles
Chrétiennes. Toussaint devait avoir dix ou onze ans, quand il servit un jour comme enfant de
choeur à un enterrement. On venait de descendre le cercueil dans la fosse. L'enfant se pencha
sur le trou béant... "Tu seras curé!..." Voix mystérieuse, premier appel qui oriente sa vie.

1 L'article reparu dans la même revue en Janvier 1975, pp. 7-22.


A quelque temps de là, une école presbytérale s'ouvrait à Saint-Céré. L'un des frères
instituteurs aborde un jour l'enfant et, à brûle-pourpoint : "Ne voudrais-tu pas être prêtre?"
- Oui, répondit l'écolier.
Et le 15 août, en la fête de l'Assomption, son père allait le présenter à Monsieur le Curé
pour commencer le latin. Trois ans plus tard, Toussaint partait pour le Petit-Séminaire de
Montfaucon. Il avait quinze ans. Très brillant élève, il s'y distingua par ses succès scolaires:
même il faut élu président de l'Académie de Montfaucon.
D'autre part, sa piété le fit juger digne d'être admis dans la congrégation de la Sainte
Vierge. Or les petits congréganistes allaient à certains jours réciter l'office de l'Immaculée-
Conception, pendant la récréation, et le règlement voulait qu'un congréganiste manquant trois
réunions, fût renvoyé. Étourderie et passion du jeu, chez Toussaint, l'emportèrent sur la
dévotion. "Ca me rasait cet office, me disait-il un jour... et je manquai trois fois pour être
renvoyé". On le raya, en effet, de la congrégation.
Petits péchés des saints, qui deviennent principe de réparations admirbles accomplies
tout au cours de leur vie. le jeune Toussaint, devenu Provincial des Dominicains, confiera
qu'il récitait l'office de l'Immaculée Conception tous les jours, quand il le pouvait, pour
compenser les omissions dont il s'était rendu coupable étant enfant.
L'incartade du petit séminariste ne doit pas pourtant nous donner le change sur ses
véritables sentiments de tendresse filiale envers la Sainte Vierge. Lord d'un pèlerinage à
rocamadour où chaque élève est invité à exprimer par écrit ses désirs à la Vierge, Toutssaint
sollicite la faveur de devenir le chapelain de Notre-Dame".

Tu seras dominicain...

Du Petit-Séminaire de Montfaucon, Toussaint passe au Grand-Séminaire de Cahors,


dirigé par les pères Lazaristes. Il s'y révèle ce qu'il est toujours demeuré, au fond:
primesautier, ardent et impétueux de caractère. Récemment encore il avait un de ces premiers
mouvements brusques, une de ces impulsions qu'il rattrapait immédiatement par une
irrésistible sourire. "Que voulez-vous, je suis un violent", dit-il avec une exquise douceur.
C'était surtout un ardent; il portait en lui une flamme. Lisant la vie du père Lacordaire par
le père Chocarne, une voix irrésistible: "tu seras dominicain!..." fixe à tout jmais sa vocation.
il entra dans l'Ordre de Saint Dominique "pour prêcher" et de fut sous le doux rayonnement
de l'âme de saint Dominique. Voici le témoignage précieux qui vient de nous adresser l'un de
ses anciens confrères au Grand Séminaire: "il m'avait fait la confidence de ses projets de vie
religieuse et dominicaine, et il m'engagea à lire la vie de saint Dominique par le père
Lacordaire. Je lus ce livre, en effet, et lorsqu'il me demanda mon impression, je me souviens
que je lui répondis simplement: "Oh! Quelle âme de cristal!..." Cette réponse dut lui faire
plaisir, car pour me le témoigner, il m'embrassa avec ferveur".
Il reçut l'habit blanc des prêcheurs des mains du vénéré Père Cormier, à Toulouse, en
1887, sous le nom de frère Marie-Etienne. Il se trouvait pleinement dans sa vocation. Un
bonheur si intense inondait son âme, qu'un jour il en fut troublé. Le Père-Maître voulant
dissipeer le nuage qui assombrisait ce fornt, lui demanda la cause de cette tirstesse passgère.
"Mon père, répondit le novice, je suis trops content!" Son bonheur l'effrayait.
Il fit profession l'année suivante. Le jeune profès se passionna pour l'étude de saint
Thomas. En classe, il discutait sans fin avec son condisciple, le futur père Pègues. Une de
leurs disputes théologiques demeure légendaire. Dans la chaleur de la discussion, le temps
fuyait... Un coup de cloche: c'est le signal de la Messe conventuelle. Le débat, inauguré dès le
commencement de la classe, avait duré une heure... sous le regard narquois et intéressé du
professeur, volontairement silencieux, qui, d'ailleurs, aurait eu bien de la peine à placer un
mot.
Mais ces beaux débuts d'un sujet d'élite devaient aboutir autrement qu'on ne pensait. Une
fatigue cérébrale profonde le rendi soudain impuissant à tout travail intellectuel. Il n'en guérit
jamais entièrement et ce fut la croix intime de sa vie. "J'en souffre encore", disait-il quelque
temps avant sa mort. Il dut fermer ses livres, et on l'envoya à Saint-Maximin, où il acheva de
se préparer au sacerdoce. Ce fut dans cet état de douloureuse impuissance, qu'il fut ordonné
prêtre, à Fréjus, en 1892.

Le père "brûle-cierges"

On se souvient encore à Saint-Maximin, chez les dominicains cloîtrée, combien


lentement il disait ses premières messes. La soeur sacristine l'appelait le père "brûle-cierges".
Toute sa vie d'ailleurs, quand il était tout à fait seul et certain de n'être à charge de personne,
il se donnait du large et commençait sa messe quelques dix ou quinze minutes plus tôt, pour
être sûr de l'avoir terminée à l'heure. Mais était-il dans une communauté ou devant les fidèles,
il rentrait avec simplicité dans les bornes liturgiques.
On a gardé en soi, dit un témoin, le beau visage qu'il avait à l 'oblation du calice à
l'offertoire le visage levé avec l'hostie où on lisait une telle expression d'offrande, et, selon la
remarque d'un jeune homme peu habitué à la messe, "une telle foi". C'était le moment où l y
avait en lui le plus de douceur, de pureté, de sérénité, Ala consécration, il était tout pénétré du
sentiment de la Préence réelle. Au oment de la communion, son visage semblait s'enflammer;
parfoit il pleurait. Qui eut dit qu'une telle piété cachait un fond habituel de sécheresse!
Prêtre il fut donné comme sous-maître au père Colche, auquel une amitié spirituelle
indissoluble devait l'unir pour toujours. peu après, il fau enovyé au couvent de Biarritz. "un
jourj racontait-il, j'étais à la salle commune, en train de lire les journaux et de causer avec l'un
et l'autre. Le père Provincial vint à passer et m'en fit un vif reproche. Mais que vouliez-vous
que je fisse? Je ne pouvais ni étudier, ni confesser, ni prêcher, ni rien... je m'ennuyais".

Avec le recul des années, le père Vayssière considérait cet état d'impuissance totale
comme l'une des plus grandes grâces de sa vie: "la grâce de ma maladie". Il apprit ainsi
expérimentalement qu'il fallait s'anéantir pour que Dieu règne".
La croix devait être son état habituel. L'humilité qu'il y puisa le disposa
merveilleusement à la voie d'enfance spirituelle qui fut la sienne à l'égard de la Très Sainte
Vierge; voie d'enfance puisée au contact de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Mais là où la
petite sainte mettait: "Dieu", le père Vayssière n'hésitait pas à inscrire: "Marie". Toutes ses
paroles sur la Sainte Vierge sortaient d'un coeur simple et dépouillé. Il en avait conscience.
"Plus on est petit, disait-il, plus on lui permet d'être mère. L'enfant est d'autant plus à sa mère,
qu'il st plus faible et plus petit". J'ai compris près de lui, que la vraie dévotion à la Sainte
Vierge est inacessible aux orgueilleux.

Le solitaire

Cet état d'impuissance physique se prolongeait. En 1901, ses supérieurs l'envoyèrent à la


Sainte-Baume, comme gardien de la Grotte de sainte Marie-Madeleine, dans l'espoir que cette
nouvelle vie fortifierait sa santé. A cette obédience, le jeune religieux de 37 ans frémit. Il
aurait frémi bien davantage s'il avait su qu'il devait rester 32 ans dans cette solitude.
Dieu lui avait enlevé l'étude, les observances monastiques, l'apostolat. Il achevait
maintenant le dépouillement, en lui enlevant la vie commune et la société normale des
hommes. Quel isolement... quelle solitude... quel silence des choses qui finit par ressembler à
l a mort!
Pour alléger le poids de sa réclusion, il descendait chaque jour à l'hôtellerie pour y
trouuver un peu de compagnie, de conversations, de journaux. Il était en train de s'habituer à
cete concession faite à sa nature. Dieu l'arrêta sur la pente facile. Il allait lui accorder ce que
le peère Vayssière reconnaissait être, après la grâce de sa maladie, la seconde grâce de sa vie:
sa vocation magdaléenne.
Comme de coutume, il s'apprêtait à gagner l'hôtellerie. Déjà il avait franchi le raide
escalier et la descente rapide qui lui fait suite. Le voici à la bifurquation des sentiers de
l'hôtellerie et du Saint-Pilon: l'hôtellerie, vers les plaines et les créatures; le Saint-Pilon, vers
les sommets abrupts avec Dieu... Une illumination soudaine de la grâce lui fit sentir le néant
de ce qu'il va chercher en bas. Ce fut aussi net que le "tu seras dominicain" de sa jeunesse.
Cette fois, la voix voulait dire: "tu seras contemplatif!"
Il tourne alors le dos à l'hôtellerie, et, résolument, gravit les cimes. "Depuis ce jour,
ajoutait-il, je ne me suis jamais ennuyé". il jouit même, pendant des semaines, de
consolations abondantes: la solitude lui faisait fête. "Je conduirai mon épouse au désert et je
lui parlerai au coeur".
Longtemps, pas un journal ne pénétra dans la maisonnette attenante à la Grotte où il
habitait avec son fidèle compagnon, le frère Henri, qui se plaît à redire le charme de la vie
commune avec lui. Là, il devint cet homme d'oraison et de contemplation continuelles que
nous avons connu... "Tout le monde se souvient de l'attitude qu'il avait gardée, étant devenu
provincial, dans les couvents qu'il était revenu habiter. Droit, grave et pacifié, il paraissait
toujours avoir conscience de porter Dieu. En vieillissant, il était devenu comme diaphane.
Lui, si gari, dont la physionomie était i expressive, si mobile, il entrait au cheour ou dans les
leux réguliers, avec le visage même quil avait à l'autel. Il restait à enoux pendant toute son
oraison qu'il faisait très immobile et les yeux fermés".
A la Sainte-Baume, il n'eut d'autres relations avec le dehors, que celles que ui imposait
sonministère. Il dirigeait un grand nombre d'âmes. On venait e fort loin solliciter ses conseils
et se mettre sous sa direction. En 1928, il réalisa un projet qui lui tenait à coeur depuis de
longues années: la construction de Nazareth du Sacré-Coeur, maison pour retraites, dnas la
solitude et le site incomparables de la Sainte-Baume.
Il fut tout particulièrement le père et le soutien des soeurs de Béthanie du Plan-d'Aups,
dont il devint même oendant six ans l'aumônier en titre. Toutes les soeurs rendent hommage à
sa piété mariale. En lui, la Sainte vierge venait aider ces âmes confiantes à renaître à la
pureté. C'était d'Elle , qu'il leur parlait habituellement.
Un trait charmant nous montre sur le vif sa manière. Une petite soeur de Béthanie, une
ancienne, celle qu'il aimait par-dessus toutes les autres, avait dans sa buanderie un petit autel
de la Vierge. Chaque fois que le père venait faire les confessions, c'est-à-dire chaque
semaine, avant de regagner la Grotte, il passait par la buanderie et l'on avait ce spectacle
touchant: la petite vieille toute cassée, à genoux près du père, tous deux devant la Sainte
Vierge récitant quelque Ave... Un jour, il oublia, se souvint après avoir passé la porte du
couvent, revint sur ses pas et, quelques minutes après, il était près du petit autel. A cette
occasion, la soeur allumait quelques bouts de bougies, arrangeait une draperie, quelques
dentelles. Tout cela était d'un goût douteux, mais le père regardait seulement le coeur qui
avait totues ces délicatesses pour la Mère.

Le passioné du Rosaire

"Le rosaire, aimait-il à dire, ce n'est pas une dévotion à la Sainte -Vierge, c'est la
dévotion à la Sainte-Vierge". Ce qui explique l'extraordinaire culte du père Vayssière pour
son Rosaire.
Vers 1908, il avait fait le voeu de le reciter chaque jour en entier. "Il y en a, remarquait-
il, qui font ce voeu sous peine de péché: c'est stupide. Il faut faire un voeu d'amour pour la
gloire de la Sainte Vierge. Notre peine sera d'enlever un peu de gloire à cette bonne mère si
nous le récitons pas. Récitons-le pour lui faire plaisir, pour lui donner de la joie". Quelque
trente-deux ans plus tard, il confiait: "Depuis ma promesse, il m'est arrivé une fois d'oublier
deux dizaines, ou trois, un jour. Cette récitation du rosaire quotidien n'est pas si difficile; on
le peut. Quand je puis en attraper un par là - et il souriait malicieusement - je ne manque pas
de lui faire faire le voeu de réciter son rosaire chaque jour". Il faisait allusion aux novices de
Saint-Maximin, dont il était alors le confesseur extraordinaire.
Un rosaire ne lui suffisait pas; il récitait et méditait habituellement plusieurs rosaires par
jour, parfois jusqu'à six. Lorsqu'il fut provincial, il s'imposa de se lever tous les matins avant
le réveil de la communauté pour offrir comme premier hommage, à la Vierge, un rosaire tout
entier, "le rosaire de mon provincialat". Il avouait qu'il lui fallût parfois lutter contre le
dégoût. "Un jour, je le ressentis avec une force particulière; alors j'en ai dit deux".
En voyage, il le récitait et le méditait sans cesse. Quand il était débordé de lettres à
écrire, d'affaires à traiter et qu'il sentait les bras lui en tomber, il commençait par réciter un
rosaire: et le travail se faisait.
Cette récitation n'avait rien de machinal et de superficiel, toute son âme y passait. Il était
persuadé de trouver là, tout ce qu'on peut chercher dans l'oraison. Il voulait que la méditation
des mystères ne fut pas seulement une méditation, mais une communion, par le coeur, à la
grâce du mystère. "Le rosaire, c'est la communion de tout le long du jour". "Que chaucun de
vos Ave soit un baiser très affectueux que vous donnerez à Marie tout au cours de la
journée".
Quand on le voyait constamment manier et remanier les grains de son rosaire, on pouvait
penser que chacun d'eux était devenu pour lui comme un signe sensible et presque parlant, un
mémorial de toutes ses pensées; de toue la contemplation accumulée au cours de sa longue
existence.
Son rosaire, comme il lui était précieux! On est tenté de voir un geste symbolique dans le
don qu'il fit, ces dernières années, à Notre-Dame de Rocamadour, d'un rosaire d'or que lui
avait offert une personne dévouée. Don magnifique qui lui valut, du Recteur du Sanctuaire,
l'assurance d'être mis au nombre des bienfaiteurs et amis pour lesquels on prie sans cesse à
Rocamadour la Dame de Céans.vAssurance qui lui procura tant de bonheur durant sa dernière
maladie.
Chacun sait trop bien que le père vayssière est l'inspirateur du pèlerinage du Rosaire à
Lourdes, pour qu'il soit néccessaire de le rappeler longuement.
De son coeur a jailli l'étincelle, est partie l'idée première de ce mouvement grandiose qui
ébranle la France entière, amenant chaque année, de nos provinces les plus reculées, pour les
grouper aux roches de Massabielle, des milliers de pèlerins, associés et amis du Rosaire
National d'automne qui fait l'admiration de tous et qui a reçu les approbations et les éloges les
plus flatteurs des plus hautes personnalités religieuses.
Pèlerin lui-même de ce pèlerinage du rosaire, qu'il était beau à voir, qu'il était rayonnant
au cours de ces journrées. Pendant les offices, prêtres et fidèles étaient saisis en voyant ce
vieillard majestueux, les mains sous le scapulaire, le capuce sur la tête, droit, immobile, les
yeux fermés, le visage sillonné de larmes, tout perdu en Dieu... Que se passait-il dans son
âme? De rares confidences échappées à sa modestie nous le laissent supposer; il disait son
amour à l'Immaculée... la conjurant d'avoir compassion de ce qu'il appelait sa "petitesse, son
rien, son néant".
Une telle humilité ravissait le coeur de la Vierge. Elle avait pour lui d'exquises
délicatesses. Celle-ci, par exemple, dont il fut l'objet au cours d'un des derniers pèlerinages,
par l'entremise d'une âme sainte à qui la Sainte Vierge disait: "Pour te diriger, je te donnerai
l'un de mes fils privilégiés... Regarde... c'est lui qui passe". Le père Vayssière passait au
même instant.
Il ne faudrait cependant pas conclure de ceci que le père vayssière nageât de façon
habituelle, dans les délices spirituelles. Tout au contraire. Résumant l'état d'âme de sa vie:
"aridités, sécheresses, obscurités coupées d'éclair".
Il eut sur ce point un trait de resemblance bien émouvant avec sa chère petite sainte
Thérèse de l'Enfant-Jésus: à la fin de sa vie, la sainte taversant les terribles épreuves où se
purifient la foi et l'espérance, disait qu'entre le Ciel et elle, il y avait comme un "mur". Un
jour, un de ses fils entrant dans la petite maison de la Grotte, trouva le père Vayssière en
larmes; surpris, le père lui confia: "le ciel, ça ne me dit rien!..." Et pourtant ceux qui l'ont
connu savent avec quelle conviction saisissante le père Vayssière parlait du ciel!

Gloire de midi au soleil couchant.

Le père Vayssière fut élu provincial en 1932 et réélu en 1936.


Tout le monde admira les voies de la Providence qui le tirait e sa tranquille vie de
solitaire à l'âge où d'autres prennent leur retraite, pour le plonger dans les soucis, les voyages,
les embarras de toutes sortes.
Son élection le surprit-elle tellement? Il m'a confié un jour, que le père Colchen le lui
avait prédit, lui appliquant cette antienne significative de l'office de Saint Louis-Bertrand: "la
splendeur du midi s'élèvera pour vous vers le soir, et, lorsque vous croirez être anéanti, vous
brillerez comme l'étoile du matin.
Ayant tout à faire et à penser, plus que jamais il se réfugia entre les mains de la Sainte
Vierge. Ses deux provincialats successifs furent des plus féconds. "Restauration du Couvent
de Toulouse; reprise d'une vigoureuse action apostolique du Couvent de Bordeaux;
développement considérable du rayonnement intellecutuel et spirituel de Saint-Maximin;
fondation de Saint-Paul au Brésil; fondation de Nice; impulsion décisive donnée à toute la vie
dominicaine du midi par une action incessante et personnelle sur les monastères
contemplatifs et les Tiers-Ordres réguliers et séculiers".
Et que dire de sa bonté pour ses religieux? Il nous aimait tous avec un coeur de père et de
mère. Dans les derniers jours de sa vie, à l'hôpital Saint-Joseph, quand on allait le voir, son
visage avait une expression de reconnaissance et de tendresse qui sera notre dernier souvenir;
reconnaissance pour Dieu, tendresse pour nous.
Les autres provinces dominicaines françaises enviaient à la province de Toulouse le
bonheur d'avoir un tel homme à sa tête. A Rome, on l'appelait le saint Provincial de
Toulouse".
Il avait mis sa confiance en Marie; sa confiance ne fut pas trompée. Il constatait avec
réconfort à la fin de sa charge, que "malgré tout, la Sainte Vierge avait beaucoup fait pendant
qu'il était là".
Un jour, il eut l'idée d'aller faire à Rocamadour un pèlerinage de reconnaissance pour
toutes les grâces de sa vie: grâces de son baptême, de sa vocation dominicaine, de son
sacerdoce... et pour ces trois grâces essentielles: grâce de la maladie, grâce de la solitude,
mais par dessus tout grâce de la révélation de la Sainte Vierge à son âme. Révélation intime
datant, d'après ses confidences, d'une quinzaine d'années, à la suite d'une retraite qu'il avait
faite à la Sainte-Baume.
Longtemps à l 'avance il semblait y penser à ce pèlerinage. "Le matin, il était tout joyeux,
nous rapporte son compagnon de route. J'enviais une telle fraîcheur d'impression, une foi si
candide. Nous y allâmes en récitant le rosaire. A peine arrivés, nous dîmes la messe en nous
la servant mutuellement, tels saint Dominique et le bienheureux Bertrand de Garrigues. Il ne
s'attarda pas à déjeuner, me montra rapidement les lieux, puis en hâte, craignant de perdre une
inute "allons prier." Il m'amena à midi, déjeuner chez les chapelains où il fut délicieux de
bonne grâce, s'intéressant à tout, riant de bon coeur, vivant pleinement la joie du ressouvenir.
En quittant l'aimable communauté, il me fit redescendre jusqu'à la grotte par les lacets d'où se
découvre une si belle vue sur la plaine. "Voyez-vous, il eut été plus agréable, plus reposant de
dîner en silence dans quelque coins, mais je leur devais cela". Alors regardant dans la plaine,
des clôchers: "Dire que je serais peut-être cré d'un de ces petitis villages... que la Sainte
Vierge est bonne!..." La Sainte Vierge avait divinement exaucé, à sa manière, la demande du
petit séminariste d'autrefois: "devenir unjour le chapelain de Notre-Dame".
Rarement je l'avais vu si spontané, si ouvert, si content. Tout le matin et presque toute
l'après-midi, il se renferma dans la Sanctuaire, priant à genoux avec un recueillement qui
faisait l'admiration de tous. Il samblait perdu dans sa contemplation. Alors, dans l'auto qui
nous ramenait du cher pays de son enfance, je lui demandai: "Mon père, vous êtes content?
- Non, me dit-il, non. Je suis toujours déçu dans ces choses. C'était la plus entière
sécheresse. Rien, presque rien, de toute la journée". Puis, se reprenant: "Mais non, mais non,
au contraire, je suis content. C'est de ça que je suis content... C'était un pèlerinage de
reconnaissance..." Il ne put exprimer davantage sa pensée, mais, dans son geste il y avait un
tel dépuillement, un tel dégagement de tout ce qui était petites joies et petites peines, une telle
certitude que la Sainte vierge vivait et agissait en lui et que cela seul comptait; j'ai mieux
aimé cette confidence que le transport de dévotion mariale attendu; "Après lui avoir tout
donné, laissons-la agir". Et nous récitâmes un second rosaire."

Aux premières Vêpres de N.-D. des douleurs.

A la mi-juillet, on apprenait l'hospitalisation du Père Vayssière à l'Hôpital Saint-Joseph à


Marseille et la nouvelle de la dangereuse opération qu'il avait à subir.
Toujours soumis à la volonté de Dieu, il accepta immédiatement cette épreuve. La vertu
d'abandon s'était tellement épanouie en lui, disons plutôt l'état d'abandon! "La laisser faire,
disati-il, c'est avancer à vol d'oiseau dans la voie de la sainteté. La volonté de Dieu!... C'est ce
qu'il fait que j'aime... Je veux souffrir, je veux bien souffrir, ne ne veux pas moins souffrir...
C'est ma charge et ma vie qui s'achèvent sur la croix. Il y a eut tant de déficiences dans
l'exercice de ma charge, qu'il fallait bien que je souffre un peu pour la Province, pour
réparer".
Le rosaire autour du cou, il ne cessait de l'égrener.
Il se délectait dans la vie de Sainte Thérèse de l'enfant-Jésus, sa petite sainte de
prédiclection, pour laquelle il nourrissait depuis de longues années, une dévotion si tendre.
Il lui était indifférent de vivre ou de mourir.
Le 15 août, il demanda à un père, originaire come lui de rocamadour, de célébrer la
messe dans une intention de reconnaissance pour toutess les grâces qu'il avait reçues de Marie
dans sa vie terrestre. "C'st après cette fête de l'assomption que je le revis pour la dernière fois,
rapporte un témoin. kIl me dit; "J'ai eu de grandes grâces en cette fête du 15 août. J'ai compris
clairement qu'il fallait que j'offre ma vie pour la province. Je ne sais pas si je vais mourir, ce
sera comme le Bon dieu voudra. Mais sa volonté est que j'offre ma vie pour la Province. Et
maintenant... j'attends... je suis tranquille... je suis content."
En face de son lit était une armoire à glace dontil tenait constamment la porte
entr'ouverte, de façon que s'y reflétât, pour l'avoir toujours devant les yeux, une sttuelle de la
Sainte vierge placée à son chevet. "Comme ça, je l'ai toujours devant moi", disait-il à ses
viviteurs, avec la satisfaction et le sourire d'un enfant heureux.
il pressentit le jour de sa mort. "J'ai manqué le 15 août, j'ai manqué le 8 septembre. Je ne
manquerai pa le 15 septembre... ma fête préférée". il nele manqua pas en effet. Le 14
septembre, aux premièrs vêpres de la fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs, vers troisheures
de l'après-midi, une crise subite l'emporta en peu d'instants.
La Très Sainte Vierge lui rendait sa parole. "Il y a aujourd'hui huit ans, jour pour jour,
confiait-il quelques instant plus tôt à un père de passage, que j'ai signé mn acceptation de
provincial, aux premières vêpres de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Je n'ai pas voulu la
signer avant; Cette notification était arrivée le 13 au soir ou le 14 au matin. Le père Beauvais,
Prieur de toulouse, voulait me faire fête à la récréation de midi. Je lui exprimai mon désir de
ne signer qu'après les premières vêpres de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Alors le père
Beauvais fit chanter les vêpres après les grâcs, ce jour-là. je signai la feuille et l'on me fêta
alors comme on voulait".
"En ce jour de sa mort, raconte le même témoin, il éait radieux. il me recommanda
entr'autre ce qu'il m'a recommandé - je crois ien pourvoir dire, toutes les fois que je l'ai vu
dans un entretien intime - la dévotionà la Sainte Vierge. Je garderai de lui, comme recomman
dation suprême, ces paroles: "Mon fils, prêchez la Sainte Vierge. Elle est si bonne..."
Le matin même, sur son agenda, il avait écrit cette pensée, la dernière, empruntée à
sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : "Ma gloire à moi sera un reflet sur mon front de la gloire de
ma Mère".

fr. Louis-Marie Baron,


des frères prêcheurs.
ADT, Fonds Vayss., dossier 36, articles, Nicolas
M.-J. Nicolas, « Le Père Vayssière, Ermite et provincial 1864-1940 »,
dans VS (avril 1941), pp. 3-23.

Le Père Vayssière, Ermite et provincial 1864-1940,


notes et souvenirs recueillis par le père M.-J. Nicolas des frères prêcheurs

C'est un pur foyer de vie spirituelle qui s'est éteint parmi nous avec le P. Vayssière, « le
saint Provincial de Toulouse» comme on l'appelait souvent dans l'Ordre de Saint Dominique
où le caractère exclusivement surnaturel de sa personnalité était bien connu. Les quelques
souvenirs que voici voudraient contribuer à prolonger l'effet de cette flamme qui était en lui
et dont la vivante chaleur ne sera pas remplacée. Dans ses jours, il ne savait plus voir dans sa
longue vie qu'un enchaînement de tout ce que la Sainte Vierge avait fait pour lui : « Tout a
été miséricorde dans ma vie, disait-il, et miséricorde de Marie ». Et il résumait cette
miséricorde en trois grâces essentielles dont toutes les autres étaient sorties : grâce de la
souffrance, de la solitude, grâce de la révélation de la Vierge à son âme. Qu'il soit permis à
ses enfants d'ajouter à cette énumération la grâce qui lui a été donnée pour eux que
j'appellerai sa grâce de paternité. Suivons cet enchaînement qui nous donne l'interprétation
surnaturelle de son âme et de sa vie.

GRÂCE DE LA SOUFFRANCE.

Pour bien l'apprécier il faut comprendre quel fut l'élan de cette âme vers la belle et riche
vie dominicaine. Séminariste, il était primesautier, ardent et impétueux de caractère. On le
croit facilement car il l'est toujours resté.

Il y avait en lui une flamme. Cette flamme se faisait jour dès son Grand Séminaire, et
l'objet habituel de son entretien avec son intime ami était la vie sacerdotale et le moyen de la
rendre parfaite. Un jour il lut la vie de Lacordaire et, à une page quelconque, entendit en lui
un brusque : « tu seras dominicain », qui le détermina à tout jamais. Il voulut donc se faire
dominicain « pour prêcher » ; rien n'était plus net dans son esprit, et ce fut Lacordaire qui
l'entraîna.

Entrant avec cette ardeur au Noviciat de Toulouse, il y fut fort appliqué au travail de sa
perfection et pleinement heureux : « Je suis trop content », disail-il avec crainte, à son Père-
Maître, et il a raconté souvent avec quelle consolation il se répétait sans cesse les paroles du
psaume, en les appliquant à son état d'orphelin : « Mon père et ma mère m'ont abandonné,
mais le Seigneur m'a pris avec lui ».

Il commença brillamment ses études. Mais ces beaux débuts d'un sujet d'élite devaient
aboutir autrement qu'on ne pensait. Une fatigue cérébrale profonde le rendit soudain
impuissant à tout travail intellectuel. Il n'en guérit jamais entièrement, et ce fut la croix intime
de sa vie. « J'en souffre encore », me confiait-il quelque temps avant sa mort. Il dut fermer
ses livres et on l'envoya à Saint-Maximin où il acheva de se préparer au sacerdoce. Son Père-
Maître y fut le Père Colchen, religieux de grande race, extrêmement bon mais passionnément
austère et peu communicatif. Lui qui bravait toutes ses infirmités pour aller à matines la nuit
quelque pût être son épuisement, il jugeait impossible qu'un si bon religieux put rester privé
de la grâce de pratiquer les saintes observances monastiques par défaut de santé. Il lui fit
entreprendre un jour une neuvaine préparatoire à la fête de saint Joseph qui devait consister à
se lever chaque nuit en dépit de tout. Il pensait qu'un tel acte de foi ferait un miracle. Le
huitième jour de la neuvaine, le pauvre novice n'avait même pas la force de se confesser. Le
Père Colchen n'insista pas devant cette réponse de saint Joseph. Les observances aussi bien
que l'étude et la prédication étaient fermées à jamais au Père Vayssière. Aussi bien, quoique
les aimant avec fidélité il insista toujours pour dire que l'essentiel de la vie religieuse et
dominicaine n'était pas là. Mais, ajoutait-il, ce qui en est bien la condition essentielle, c'est
l'abnégation et en cela il se rencontrait profondément avec le Père Colchen pour lequel il
conserva toujours une immense affection.

Ce fut dans cet état de douloureuse impuissance qu'il fut ordonné prêtre. Alors
commença dans sa vie le règne quotidien de la Messe. On garde gravé en soi comme un beau
tableau le visage qu'il avait à son offrande du calice à l'Offertoire, ce visage levé avec l'hostie
où on lisait une telle expression d'offrande et de foi. C'était le moment où il y avait en lui le
plus de douceur, de pureté, de sérénité. Au moment de la communion ce visage semblait
vraiment s'enflammer. Il disait: « Le prêtre, toute la journée doit rester ce qu'il était à l'autel,
il doit vivre sa messe, être immolé et donné et en se donnant donner Jésus. »

Mais je parle ici déjà des dernières années. Une fois prêtre, après avoir collaboré quelque
temps avec le Père Colchen comme Sous-Maître, il fut envoyé au couvent de Biarritz où il ne
put rien faire. « Un jour, racontait-il, j'étais dans la salle commune en train de lire les
journaux et aussi de causer avec tel ou tel Père. Le Père Provincial vint à passer et m'en fit un
vif reproche... Mais que vouliez-vous que je fis ? Je ne pouvais ni lire, ni confesser, ni rien :
je m'ennuyais.»
Cet état d'impuissance physique, le Père Vayssière allait jusqu'à le considérer parfois
comme la plus grande grâce de sa vie. Pourquoi ? — parce qu'il apprit ainsi
expérimentalement qu'il faut s'anéantir pour que Dieu règne. C'est de ne pouvoir rien faire par
soi-même de ce qu'il aurait voulu qui le réduisit à ne s'appuyer que sur l'action de Dieu. C'est
peu à peu sans doute que cette lumière se dégagea de son épreuve. Mais à la fin de sa vie la
vertu d'abandon s'était épanouie en lui. Disons plutôt : l'état d'abandon. Il ne vivait plus
qu'entre les mains de Dieu et de la Sainte Vierge. Nous savons tous comment il s'appliquait à
ne jamais employer aucun mot qui eût paru mettre en nous le principe de notre effort. Il ne
disait pas : aimez Dieu, mais : laissez-vous aimer. « Le laisser faire, c'est marcher à vol
d'oiseau dans la voie de la sainteté ».

Une telle attitude lui permettait de dépasser bien des souffrances. Il gardait cependant
encore plus de sensibilité que d'aptitude à s'évader des mille choses pénibles de la vie. La
croix fut son état habituel et il n'aurait pas voulu qu'il en fut autrement. Il la trouvait toute
naturelle et surtout nécessaire : « C'est une miséricorde de Dieu », disait-il. Je me souviens
d'un Vendredi-Saint, peu de temps avant son élection au provincialat, il était venu au couvent
de Saint-Maximin pour remplacer notre Père-Maître absent et faire les offices de la Semaine
Sainte. J'entrais chez lui après l'office du matin. Il semblait comme enivré par sa communion.
Avec une extraordinaire éloquence, il me montra que la croix est le centre de tout ici-bas : «
La croix est la substance de la vie. Je le vois encore ouvrant grand les bras en me parlant de
l'identification de notre destinée avec celle du Christ. Il apprenait aux âmes une formule à
dire aux heures de souffrance et qui était sa formule. « Il faut souffrir. Donc je veux souffrir.
Je veux bien souffrir. Je ne veux pas moins souffrir. Je veux mourir pour vivre. Je veux vivre
pour glorifier Dieu. Et je sais qu'en glorifiant Dien j'aurai tout mon bonheur ».

Ce qui, plus que tout peut-être, fit de son état d'impuissance une grâce, fut l'humilité qu'il
y puisa. Il n'est pas facile de parler de l'humilité des saints. « Dans l'histoire de mon âme, dit
Sainte Thérèse de Lisieux, il y a des pages qui ne se liront qu'au ciel ». Pour bien en parler, en
effet, il faudrait montrer les misères que Dieu laisse en eux, ces fautes « qui ne font pas de
peine au Bon Dieu » mais qui étonnent les hommes. Or, les hommes ne savent pas le côté
intérieur et caché de ces difformités, ils ne voient pas l'humilité qu'engendre cette
humiliation. Dans l'âme du Père Vayssière cette humilité était merveilleuse, il ne se
considérait lui-même que pour admirer la grâce de Dieu dans les moindres choses de sa vie ».
Or, je crois que l'expérience et surtout l'acceptation quotidienne de ses impuissances a été la
grande maîtresse de son humilité. Etant Provincial il disait : « On m'a mis là, je l'accepte.
C'est pour moi humiliation continuelle et je le bénis de me tenir dans ma petitesse ».

Hâtons-nous de dire qu'il exagérait en se croyant si totalement inapte. C'est bien vrai qu'il
ne pouvait prêcher sauf quand le devoir d'état l'y obligeait absolument, ni briller beaucoup
dans la conversation et les relations d'affaires. Mais quelle éloquence souvent immense dans
ses entretiens intimes : le geste, l'accent, la phrase imagée, vigoureuse, tout y était. Et c'était
toujours des synthèses doctrinales fort complètes. Il avait l'intuition de ce qui est essentiel
dans chaque sujet. Oh, certes, je ne me suis jamais étonné qu'avant sa maladie il ait pu
rivaliser en théologie avec le futur Père Pègues, ni qu'il ait eu l'ambition de prêcher aux
foules.

Ne pensez pas non plus que tout fut douleur dans sa vie. Comme les âmes très renoncées,
très dépouillées qui ne cherchent à s'installer dans aucune satisfaction, il goûtait pleinement
les moindres joies dans lesquelles il voyait toujours une attention de la Providence. On serait
infini à raconter les petites « consolations » du Père Vayssière, le don qu'il avait de
reconnaître la grâce en toutes choses. En réalité il renonçait perpétuellement à tout don et à
toute joie, et ce qui passait en lui de lumière et de douceur, il le recevait comme un don de la
Sainte Vierge, comme un signe d'amour, oui, un signe qu'elle était là et pensait à lui.

LA GRACE DE LA SOLITUDE.

II l'appelait aussi la grâce de sa vocation magdaléene. Il n'aurait certes pas choisi de lui-
même cette destinée. Quand, en 1901 ses supérieurs, pensant qu'on pouvait tout lui demander,
le nommèrent chapelain de la grotte de Sainte Marie-Madeleine à la Sainte-Baume, ce jeune
religieux de trente-sept ans frémit. Il aurait frémi bien davantage encore s'il avait su qu'il
devrait y rester trente-et-un ans. Dieu lui avait enlevé l'étude, les observances, l'apostolat de
la parole. Il achevait maintenant le dépouillement en lui enlevant la vie commune et la société
normale des hommes. La Sainte-Baume est un lieu magnifique, un vrai lieu de contemplation.
Il n'est pas un dominicain de la Province de Toulouse qui n'y ait goûté des moments de
sérénité et de plénitude inoubliables, dans le sentiment si bienfaisant de l'accord entre la voix
des choses et la prière de l'âme. On ne saurait décrire cette vaste et pure solitude dont l'âme
est encore plus saisissante que les formes épurées. Mais s'ensevelir là pour y vivre est une
redoutable épreuve. Les jours d'hiver sont parfois sinistres, la forêt par les pluies d'automne
est triste et froide à pleurer. Le plateau du Plan d'Aups, quand y souffle le mistral, est un vrai
désert âpre et dépouillé. Et quel isolement sur la haute et longue crête balayée par un vent
furieux ! Le silence des choses finit par ressembler à la mort. Le problème pour celui que
l'obéissance faisait ermite, était d'accepter cette solitude, de l'épouser, d'en épuiser la grâce. Il
le fit et voilà pourquoi il est devenu un contemplatif. Il a raconté à beaucoup d'entre nous
comment se décida sa vocation. Il était en train de s'habituer à descendre tous les jours à
l'hôtellerie des pèlerins où il pouvait trouver un peu de compagnie, de conversations et des
journaux. Une fois, se trouvant à une bifurcation, il eut l'intuition qu'il ne fallait pas continuer
à descendre. Une lumière subite lui montra le néant de ce qu'il allait chercher : « Que vas-tu
faire ? te distraire... Eh bien, tu n'iras pas ! » Ce fut aussi net que le « tu seras dominicain » de
sa jeunesse. Cette fois cela voulait dire : « tu vivras de l'esprit de la grotte, tu seras un
contemplatif ». Il prit l'autre chemin, celui de sa nouvelle vocation. Depuis ce jour, ajoutait-il,
« je ne me suis jamais ennuyé ». Il eut même pendant un mois environ des consolations
abondantes : la solitude lui faisait fête. Puis il retomba dans son état habituel, « sécheresse
coupée d'éclairs », selon son expression. Mais il resta fidèle.

Longtemps, pas un journal ne pénétra dans la petite maisonnette attenant à la grotte, où il


habitait avec son fidèle compagnon, le Frère Henri, qui redit le charme de la vie commune
avec lui. Il n'eut d'autres relations avec le dehors que celles que lui imposait son ministère, en
particulier avec les Sœurs de Béthanie dont il fut le vrai père et le soutien constant et même
pendant quelque temps l'aumônier en titre. Plus tard, les pèlerins se firent plus nombreux et il
ne suffit même pas à les accueillir pendant la bonne saison. La maison des retraites de
Nazareth qu'il avait fondée en 1931 l'absorba. Et depuis le retour du Noviciat à Saint-
Maximin en 1920, il commença à exercer une influence pénétrante sur les jeunes générations
de sa Province dominicaine. Il n'était donc plus tout à fait ermite, sinon pendant six mois de
l'année, quand il fut élu Provincial en 1932. Mais toute son action était un rayonnement de sa
solitude. La solitude avait pénétré si avant son âme qu'elle le forma pour toujours. Elle eut
beau diminuer peu à peu autour de lui, la grâce de solitude ne put le quitter. Là il devint cet
homme d'oraison et de contemplation continuelle que nous avons connu.
Ici encore, je raconte l'histoire d'un arbre qui ne s'est fait connaître que dans le plein
achèvement de ses fruits, mais ses racines sont bien dans la grotte de Sainte Marie-
Madeleine. Tout le monde se souvient de l'attitude qu'il avait gardée, étant devenu Provincial,
dans les couvents qu'il était revenu habiter. Droit, grave et pacifié, il paraissait toujours avoir
conscience de porter Dieu. En vieillissant il était devenu comme diaphane. Lui, si gai, dont la
physionomie était si expressive, si mobile, il n'entrait pas au chœur ou même dans les lieux
réguliers sans le visage même qu'il avait à l'autel. Il restait à genoux pendant toute son
oraison qu'il faisait très immobile et les yeux fermés.

Il confia un jour à l'un de ses enfants sa méthode d'oraison : « Je commence par renoncer
à tout ce qui pourrait sortir de moi. Puis je me mets tout entier dans les mains de la Sainte
Vierge et je reste là ». Il semble qu'il reçut dans les dernières années de sa vie une lumière
très nouvelle sur l'oraison de silence et de passivité. On avait l'impression que cette lumière le
libérait, lui montrait la véritable manière de prier à laquelle depuis longtemps tendait toute
son âme. A combien d'âmes a-t-il essayé de communiquer cette lumière ! Voici ce qu'il dit un
jour à l'une d'elles: « Il faut être des contemplatifs... Il faut le silence... mais le silence
intérieur, le silence des puissances... Il faut aller à Dieu dans la pure foi. Il faut se retirer de
soi avant tout pour être attiré par Dieu... Dieu n'est rien de ce qui est et il n'est nulle part. Il
faut aller à lui... Sto ad ostium et pulso... C'est dur parfois... Il faut se frayer un passage à
travers soi-même et à travers les créatures. Mais je l'ai remarqué : plus l'oraison est sèche,
plus il y a de la lumière dans la journée. Plus il y a d'anéantissement, plus il y a d'activité
divine dans la journée... Quand vous ne sentez rien en vous, croyez à cette parole de Notre-
Seigneur : « Mon Père et moi nous agissons sans cesse »... Et alors dans ce vide, devant Dieu,
qu'est-ce que fait Dieu ? — « Dieu a tant aimé le monde qu'il lui donne son Fils unique ».
C'est le don suprême, le don de Dieu à l'homme... Il y a une objection : et l'Humanité du
Christ? Mais on ne l'oublie pas : on passe par elle. On est pris, on est possédé par le Christ.
Cette union au Père, c'est la cime de l'âme du Christ. On est possédé, on est entouré du
Christ... Cela suppose un dépouillement... Mais une telle oraison n'est pas seulement un
terme. C'est un creuset. Elle-même dépouille l'âme. Sto ad ostium et pulso. Il faut y aller, à
cette porte, frapper... Et nous dominicains, nous devons être des contemplatifs par état, pour
connaître Dieu, pour connaître les âmes, le rien de tout et le tout de Dieu... On ne sait pas ces
choses-là, on ne les dit pas. Et maintenant que je commence à les savoir... je vais mourir ». Il
disait ces choses avec un visage illuminé, un visage de témoin. Et quelle énergie !

Cette oraison de foi n'était que la concentration forcément momentanée de tout son être
dans ce qui faisait les sentiments habituels de ses journées. « Mon juste vit de la foi »,
répétait-il sans cesse, « il vit de l'esprit de foi, non par à-coups, à certains moments, mais en
permanence... On a la foi, mais on ne s'en sert pas, on juge avec son jugement humain, on
veut avec une volonté naturelle. » Mais croire à quoi ? — Croire à Dieu, à Dieu qui est
amour. « Le fond de l'Etre de Dieu est l'Amour. Vous êtes aimé de Dieu. Son amour est un
Océan sans rivages... c'est un amour éternel ! Son amour nous submerge, nous étreint. Voilà
la vérité qu'il faut croire... Croire en l'amour de Dieu en toutes choses, comme cela grandit
tout!... On est continuellement dans le battement perpétuel de son cœur... Livrez-vous à
l'amour, voilà votre tente. Demeurez-y dans chaque volonté qui passe... Là il n'y a rien à
craindre et tout à espérer ! Ce n'est pas toujours facile... Car Dieu est un feu dévorant et
consumant qui dévore en nous tout ce qui n'est pas Dieu. Livrez-vous à l'Amour pur par pur
amour et vous vous sanctifierez.»

Il ne voulait pas qu'on se contentât de croire par l'esprit, il voulait qu'on adhérât par le
cœur, qu'on communiât à cette Volonté de Dieu, à cet « amour qui nous assiège de toutes
parts » et qui est le dernier mot de tout ce qui fait jouir ou souffrir. Il voulait qu'on ne fît que
cela : l'effacement de tout soi-même devant l'être et l'action de Dieu, se laisser faire, en
sachant que cela veut dire : se laisser aimer ; — mais aussi « étreindre Dieu à tout instant en
faisant sa volonté, puisque la Volonté de Dieu c'est Dieu ».

« Tout accepter, tout, absolument tout comme venant de son cœur... tout ce qui arrive est
expression de son amour. C'est notre seule manière de posséder Dieu, Dieu nous ne le voyons
pas, nous le tenons par sa volonté. Par elle nous pouvons communier à Lui. Dieu mène tout et
Dieu mène à Dieu. Donc en tout ouvrir l'âme à son amour qui en tout nous attire... Jésus nous
prouve moins son amour par ses douceurs et ses consolations que par ses volontés que chaque
instant nous apporte. Les douceurs ne sont qu'un incident passager et rapide... ses volontés
constituent la vraie trame de notre vie. Elles sont le jaillissement continu de son cœur, et la
manifestation intarissable, l'expression permanente de son amour pour nous ».

Un soir à la Sainte Baume, nous étions dehors. « La volonté de Dieu, mon enfant, ne
cherchez pas autre chose... C'est comme pour ma réélection. Tout semblait humainement s'y
opposer. Aussi je suis bien tranquille... « Adjutorium nostrum in nomme Domini »... et puis,
avec un geste large et d'une grande force qui me montrait tout le ciel et tous les horizons de sa
Sainte-Baume : « qui fecit coelum et terram ». Nous nous appuyons sur la Toute-Puissance
qui a fait le ciel et la terre ».

Mais pourquoi insister, c'était sa prédication constante, l'esprit même de sa vie qu'il nous
donnait en nous disant cela : « Je dis la même chose à tout le monde, concluait-il avec sa
simplicité inimitable, je ne sais plus que ça. Et ça va à tout le monde. Tout le monde est
content ». Surtout il le vivait lui-même et il l'avait appris dans le livre de son cœur. Cette
communion à l'amour de Dieu à travers tout ce qu'il faisait ou subissait, c'était sa
contemplation perpétuelle, « unie à l'action, disait-il, comme l'âme l'est au corps ». Il en était
arrivé à l'état qu'il définit ainsi : « Dans l'âme religieuse, le passé et l'avenir ne comptent pas.
Le moment présent seul compte, où elle est en communion avec l'infinité de Dieu. »

LA GRACE DE L'INTIMITÉ MARIALE.

Mais j'ai hâte de montrer la place que tenait la Sainte Vierge dans tout ce qui vient d'être
dit. Elle était le moyen universel, l'atmosphère même de sa vie spirituelle. Cet état de
dépouillement et de toute pure union à Dieu seul, c'est elle qui l'établissait en lui et qui le
maintenait et qui l'avait voulu. « C'est la Sainte Vierge qui a tout fait, Je lui dois tout, tout »,
disait-il souvent. Elle avait été la mère qu'exigeait le sentiment de sa petitesse, la douceur
suprême au plus profond de son renoncement, la fécondité de sa solitude et l'inspiratrice de
son oraison. Il ne prenait conscience d'aucune des grâces de Dieu sans prendre en même
temps conscience de la voie par laquelle elles lui venaient. « Tout est grâce » ; donc, pensait-
il, la Sainte Vierge est en tout très intimement là.

Tous les saints ne se placent pas ainsi dans le Cœur de la Sainte Vierge comme au centre
de leur vie spirituelle. Il faut pour y parvenir une lumière, une révélation de la Sainte Vierge
qui suppose un choix de sa part. Le Père Vayssière l'eut à un degré exceptionnel. C'est le
propre de l'âme mariale, cet instinct de trouver Dieu en Marie, d'avoir même une jouissance
particulière à en prendre conscience, à lui rendre gloire ainsi, en s'offrant non seulement par
ses mains, mais d'abord à elle, sachant bien que tout ce qui est à elle est à Dieu, que c'est un
effacement total et parfait de la mère devant le Fils. Ce sens de la transparence de Marie
explique la manière dont le Père Vayssière en parlait. Tout ce que nous avons dit sur son
oraison et sur sa vie de foi montre assez quel était le fruit d'une telle donation. J'ai trouvé
même cette pensée de lui si profonde : « La Sainte Vierge n'a plus la foi, mais elle la garde
pour nous. Il faut aller chercher la foi à sa source. Jésus-Christ n'a pas eu la foi. La source de
la foi, c'est Marie ». «Toute la vie spirituelle est là dedans, dans cette donation à l'Infini
amour. Mais n'oublions pas qu'elle se fait dans les bras de Marie, dans la grâce de son rôle
maternel... Marie, c'est comme un grand fleuve qui nous porte au Christ... Mais il ne faut pas
croire que Marie, Notre-Seigneur, ne soient que des étapes pour arriver au Père. Non ce n'est
pas cela : Marie, le Christ, Dieu, c'est un tout, c'est de l'inséparable ! »
Il sentait cela par instinct, mais il le justifiait aussi par une doctrine mariale qu'il suffirait
de développer pour faire une belle œuvre. « La Sainte Vierge n'est que mère, n'est mère que
de Jésus, c'est Lui qu'elle enfante dans l'âme... Toute l'action de Marie s'écoule vers Jésus...
On ne saurait concevoir en elle une parcelle quelconque de son activité qui n'aurait pas Jésus
comme objet et comme fin. C'est sa mission. Elle est mère. Son rôle de mère est de nous
donner la vie divine en échange de tout ce qu'elle nous aide à sacrifier... C'est l'Esprit-Saint
lui-même qui a créé et préparé le Cœur de Marie et qui a creusé en lui des profondeurs
ineffables. Il en a fait un cœur de mère, et pas d'une mère quelconque, mais de la mère d'un
Dieu... et c'est avec ce cœur fait pour un Dieu, avec ces tendresses réservées à Dieu que
Marie aime l'humanité, que Marie aime chacune de nos âmes. »

Le mystère de Marie, pour lui, c'était celui de la perpétuité du mystère de l'Incarnation


Rédemptrice auquel peut en toute vérité communier chaque âme humaine. Comme Jésus est
venu dans le monde, ainsi vient-il vivre en nous. « C'est la loi de Dieu qui depuis
l'Incarnation se renouvelle à travers les âges et dans toutes les âmes qui veulent être fidèles et
réaliser le même mystère d'amour : Jésus. »

C'est dans la méditation de ce rôle vivificateur de Marie qu'il puisait sa doctrine du


contact à maintenir toujours, de la dépendance à rendre tous les jours plus étroite et plus
totale. « Plus on est à Marie et à son action, plus on est en voie d'union à Dieu, de revivre
Jésus... Il faut vous établir spirituellement en Marie comme un enfant dans le sein de sa mère.
Plus sommes unis à elle, plus elle nous vitalise. C'est elle, c'est Marie qui nous forme... La
voie de fidélité filiale à Marie, c'est la vraie voie, croyez-le, c'est revivre la vie même de Jésus
à Nazareth. » Et si l'on avait trouvé quelque chose de trop métaphysique dans ces
considérations, il concluait tout simplement avec une extraordinaire et limpide tendresse : «
La Sainte Vierge est une maman. Elle nous aime comme une maman. Il faut l'aimer comme
une maman. » Pourtant le Père Vayssière n'avait pas joui de sa mère morte jeune. Il n'avait
pas appris de la nature ces sentiments qu'il est si bon et si beau ensuite de transposer dans
l'ordre de la grâce et des choses spirituelles. Non, il n'avait pas eu d'autre mère que la Sainte
Vierge et c'est d'elle qu'il avait tout appris, même les délicatesses les plus humaines de son
cœur. Un jour j'étais dans un tramway avec lui. Près de nous était assise une jeune maman qui
tenait dans ses bras son enfant. Après avoir regardé un moment, le Père me prit le bras et dit :
« Voyez... Cela me fait penser au Bon Dieu... Voilà ce que nous sommes entre ses bras. C'est
curieux, quand j'étais jeune, je ne faisais aucune attention aux enfants... Mais maintenant, ça
me touche ! »

On comprend combien l'humilité du Père rendait facile une telle dépendance : « Il faut se
faire enfant, il faut se faire petit ». J'ai compris près de lui que la vraie dévotion à la Sainte
Vierge était inaccessible aux orgueilleux. Toutes ses paroles sur la Sainte Vierge sortaient
d'un cœur simple et dépouillé.

Il en avait conscience. Plus on est petit, disait-il, plus on lui permet d'être mère. L'enfant
est d'autant plus à sa mère qu'il est plus faible et plus petit... La perfection de la voie
d'enfance dans le plan divin, c'est la vie en Marie.

Le Père se nourrissait continuellement et de plus en plus de la doctrine de Sainte Thérèse


de Lisieux, mais c'est dans cet esprit qu'il l'interprétait et se l'appliquait. Il définissait ainsi
l'enfance spirituelle : « avoir Marie pour mère et le savoir ». Il n'aimait pas qu'on trouvât «
sensible » la dévotion à la Sainte Vierge : « C'est dans la foi qu'il faut voir toutes choses et
croire qu'elle nous vient de Marie ».

Cette grâce d'intimité mariale, il la devait d'abord à l'état de petitesse où il avait été réduit
et auquel il avait consenti. Mais il la devait aussi à son Rosaire. Dans les longues journées de
solitude de la Sainte Baume, il avait pris l'habitude de dire plusieurs Rosaires dans la journée,
parfois jusqu'à six. Il les disait souvent entièrement à genoux. Et ce n'était pas une récitation
machinale et superficielle : toute son âme y passait, il le goûtait, il le dévorait, il était
persuadé qu'il trouvait là tout ce qu'on peut chercher dans l'oraison. « Récitez chaque dizaine,
disait-il, moins en réfléchissant qu'en communiant par le cœur à la grâce du mystère, à l'esprit
de Jésus et de Marie tel que ce mystère vous le présente... Le Rosaire, c'est la communion du
soir (ailleurs : c'est la communion de tout le long du jour) et qui traduit en lumière et en
résolution féconde la communion du matin. Ce n'est pas seulement une série d'Ave Maria
pieusement récités, c'est Jésus revivant dans l'âme par l'action maternelle de Marie. » Ainsi
vivait-il dans ce cycle sans cesse en action de son Rosaire, comme « entouré » par le Christ,
par Marie, selon son expression, communiant à chacun de leurs états, à chacun des aspects de
leur grâce, pénétrant par là et demeurant dans les abîmes du Cœur de Dieu : « Le Rosaire,
c'est un enchaînement d'amour de Marie à la Trinité ». On comprend quelle contemplation
c'était devenu pour lui, quel chemin pour l'union pure à Dieu, quel besoin, semblable à celui
de la communion. Et quand on le voyait constamment manier les grains de son rosaire, on
pouvait penser que chacun d'eux était devenu pour lui comme un signe sensible et presque
parlant, un mémorial de toutes ses pensées, de toute la contemplation accumulée pendant de
si longues années.

LA GRACE DE LA PATERNITÉ.

Longtemps retiré de la vie dominicaine normale, condamné même pendant les


expulsions à revêtir la soutane (la nuit pourtant il ne se couchait que dans sa robe blanche),
privé du rayonnement large et lointain qui est le propre de l'apostolat dominicain, il entendait
toujours dans son cœur la voix de sa jeunesse : « tu seras dominicain ». Alors voici comment
il comprit le sens de sa mission : représenter l'Ordre de Saint Dominique à la grotte de la
pénitence et de la contemplation. Elevé au-dessus de toutes les réalisations extérieures de son
idéal, il porta dans son cœur en silence son Ordre tout entier, il comprit l'essence de la
vocation dominicaine, il comprit surtout qu'elle était une vocation au sens fort du mot, c'est-à-
dire un appel de Dieu, la Volonté essentielle de Dieu sur certaines âmes, sur la sienne. Il
comprit que cette Volonté de Dieu se traduisait dans une Règle dont les moindres détails en
devenaient sacrés, mais qu'elle visait avant tout à réaliser une certaine forme de sainteté, une
certaine manière d'imiter Notre-Seigneur, un quelque chose de plus haut que toute théorie,
qui avait été une première fois réalisé en Saint Dominique et qu'il fallait revivre en union
avec lui. Il serait trop long de raconter et de décrire ce que fut en lui cette grâce d'union filiale
à Saint Dominique. Magnifique épanouissement de la grâce de fidélité à la vocation. Elle
avait un sens assez profond pour indiquer à tout religieux de quelle sorte doit être sa dévotion
à l'égard du Père de son Ordre. Elle le préparait sans qu'il pu s'en rendre compte à être le
représentant de Saint Dominique parmi nous. Sans doute ne l'eut-il avec la plénitude que nous
lui avons connue qu'une fois nommé Provincial.

Il a dit lui-même qu'en disant la messe du 4 août, peu de temps après son élection, il
s'était senti intérieurement poussé avec force « à se donner à Saint Dominique ». Cette grâce
a dominé tout son Provin-cialat. Je ne raconterai pas ici ce qui a rempli ces huit années si
pleines et si lourdes. Notre Révérendissime Père général nous a écrit qu'il n'avait pas vu le
provincialat plus fécond en réalisations. Lui-même constatait avec réconfort que « malgré
tout la Sainte Vierge avait beaucoup fait pendant qu'il était là ». Tout le monde admirait les
voies de la Providence qui le tirait de sa tranquille vie d'ermite à l'âge où d'autres prennent
leur retraite, pour le plonger dans les soucis, les voyages, les embarras de toute sorte. Mais il
se prêtait à tout avec simplicité. Il avait trouvé dans sa solitude le secret d'étreindre Dieu en
toutes choses en faisant en tout sa Volonté. Il pouvait quitter sa Grotte.

Au contraire, sa grâce ne pouvait plus que s'épanouir et elle avait besoin de cette mission
pour prendre sa forme plénière, en devenant une grâce de paternité. Plus que jamais ses
impuissances lui seraient une cause de dépouillement et d'humilité ; plus que jamais son
oraison se ferait pure et élevée, sa foi se tremperait au contact des contingences qu'elle
surmontait toujours. Plus que jamais surtout, ayant tant à faire et à penser, il se réfugierait
entre les mains de la Sainte Vierge. Sa grâce mariale n'a fait que croître et s'approfondir
jusqu'au bout : « La Sainte Vierge est un agent essentiel de la vie spirituelle, surtout dans les
états les plus élevés ». Quelques jours à peine après sa première élection, il me dit avec un air
étonnamment décidé : « Puisque me voilà Provincial, je vais en profiter pour me
perfectionner. » On reconnaît bien là sa correspondance immédiate à l'intention même de la
Volonté Divine, son don de voir l'essentiel d'une situation et de le dégager d'un mot. Il fut
fidèle à son propos. Et son rôle fut avant tout d'être une source, un foyer spirituel dans la
Province, un père. Grâce de paternité, communication à son cœur du don qu'eut celui de
Marie de donner Dieu en se donnant. Il nous aimait tous « avec un cœur de père et de mère ».
Il est vrai qu'il était parfois timide, « sauvage», comme il disait, avec ceux qui ne voyait en
lui que le supérieur. « Souvent, disait-il, quand un Père vient me parler, je suis crucifié par
mon impuissance, mon manque de moyens. Je ne sais que lui dire. Je souffre, j'offre ma
souffrance au bon Dieu pour celui qui est là. » Il n'était tout à fait à l'aise que quand il pouvait
librement parler de Dieu, quand il pouvait se mouvoir sur le terrain purement surnaturel qu'il
n'a jamais pu quitter, même en quittant la Sainte-Baume. Quelqu'un me disait : « Cet homme
est le cœur de sa Province. Toute la Province vivait en lui. » Rien de plus juste : il se
passionna pour elle.

LA GRACE DE LA MORT.

La santé du Père Vayssière s'était sentie fortement atteinte pendant la guerre. Mais
toujours plus ou moins malade comme il était, il fut d'abord étonné d'apprendre que c'était
grave et qu'il fallait subir une dangereuse opération. Il accepta immédiatement la situation et
décida qu'il irait jusqu'au bout. « C'est ma charge et ma vie, dit-il, qui s'achève sur la croix. Il
y a eu tant de déficiences dans l'exercice de ma charge qu'il fallait bien que je souffre un peu
pour la Province pour réparer. Et maintenant, ma vie, mes souffrances, mes prières, c'est tout
pour la Province. » Le Rosaire autour du cou, il ne cessait de l'égrener. En face de lui était
une armoire à glace qui reflétait la statuette de la Sainte Vierge placée sur le mur : « Comme
ça, je l'ai toujours devant moi, confiait-il volontiers à ses visiteurs. Il se laissait faire comme
un enfant. Son âme vivait dans un sentiment souvent débordant d'action de grâces. Le 15
août, il demanda à un Père originaire comme lui de Rocamadour, de célébrer la messe dans
une intention d'action de grâces pour toutes les grâces qu'il avait reçues de Marie dans sa vie
terrestre. Ayant reçu en cadeau un chapelet en or, il l'envoya au cher sanctuaire du pays natal
en gage de reconnaissance. C'est après cette fête de l'Assomption que je le revis pour la
dernière fois. Il me dit : « J'ai eu de grandes grâces en cette fête du 15 août. J'ai compris
clairement qu'il fallait que j'offre ma vie pour la Province. Je ne sais pas si je vais mourir, ce
sera comme le bon Dieu voudra. Mais sa volonté c'est que j'offre ma vie pour la Province. Et
maintenant... j'attends... je suis tranquille... je suis content. » A un autre, il disait : « C'est
comme maintenant où je vais mourir, je ne peux même pas songer à la mort. Je songe que je
vais faire la volonté de Dieu en mourant, comme quand je prenais le train pour Toulouse ou
que je partais de la grotte pour aller à l'hôtellerie. « Mon enfant, disait-il encore, comme une
suprême confidence de son expérience et de sa sagesse, ce qui manque au religieux, c'est
l'abnégation. On se recherche en ceci ou en cela, voilà pourquoi on ne s'unit pas à Dieu. » Et
il reprenait : « Oui, même ceux qui sont vertueux et méritants, ils ne renoncent pas à eux-
mêmes. Aussi leur vie spirituelle se traîne. »

Il devina le jour de sa mort : « J'ai manqué le 8 septembre et le 15 août ; je ne manquerai


pas le 15 septembre. » Il ne le manqua pas en effet. Le 14 septembre, vers trois heures de
l'après-midi, il eût une crise subite qui l'emporta en peu d'instants. On était aux premières
vêpres de Notre-Dame-des-Douleurs. Huit ans auparavant, jour pour jour et presque heure
pour heure, il signait son acceptation de la charge de Provincial. Il arrivait exactement à son
terme, la dernière goutte du calice était bue, tout était consommé. Sur son agenda, le matin
même, il avait écrit cette phrase de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : « Ma gloire à moi sera
un reflet sur mon front de la gloire de ma mère. »

On transporta sa dépouille au petit cimetière de la Sainte-Baume, au pied de la grotte. II


avait eu, qui le croirait, la tentation de demander un autre lieu de retraite et de sépulture. Mais
peu de temps avant sa maladie, en marchant dans la grande forêt qui avait été la confidente de
son isolement, de ses dépouillements, et de ses grâces, il entendit en lui une voix de
reproche : « Tu es un ingrat. » Que son humble tombe reste dans ce lieu saint comme un
témoignage de sa reconnaissance pour tout ce que son âme y reçut avec simplicité et fidélité.

fr. Marie-Joseph Nicolas, op.


ADT, Fonds Vayss., dossier 36, articles, Marie-Joseph Nicolas
Conférence du Père M.-J. Nicolas 8 septembre 1990

Mes chers amis,


Tout à l'heure, le Père Philippe nous a très fortement dit que le Père Vayssiere avait
été ,si l'on peut dire,formé par la Sainte-Baume, mais qu'aussi à son tour il a agi pour
l'orienter pour l'animer. C'est vrai, evidemment, mais il est vrai q'avant la Sainte-Baume, il y
a eu Saint Dominique. Je veux dire que, quand il y est arrivé, il était déjà pénétré,
profondemment pé-nétré de l'idéal et plus que cela ,d'une sorte de rapport person nel avec St
Dominique. Quand on m'a demandé de parler de l'être dominicain du Père Vayssiere, un
souvenir s'est levé en moi,très précieux, celui d'un pélérinage que j'ai eu le bonheur de faire
avec le Père Vayssiere. Il était amené par la Mère générale de Monteil et la Maîtresse des
novices, je crois,il y était amené parce-qu'il voulait célébrer le cinquantenaire de sa vocation
dominicaine et qu'avant de partir pour le noviciat il avait été faire un pélérinage à
Rocamadour. Je passe bien des choses qui me sont restées de ce pélérinage avec lui, je me
représente un petit.peu,à ma petite manière, comme Bertrand de Garrigues ac-compagnant St
Dominique, selon la tradition, et priant avec lui à Rocamadour. Mais ce que je voudrais vous
dire c'est que, après avoir prié toute la matinée, nous étions monté là où les prêtres les
religieux, se réunissaient pour le repas. Et ce repas était très joyeux pour le père Vayssiere,
c'était la retrouvaille avec des camarades,des amis d'autrefois, avec ceux qui avaient été son
diocèse, et il était même très animé. Puis nous sommes repartis ensemble pour continuer
notre pélérinage et redescendre vers la grotte. Alors, la plaine se développait au-dessous de
nous, c'est magnifique Rocamadour, il voit des clochers dans la plaine, il me les montre tout
d'un coup, en me disant:" Quand je pense que j'aurais pu rester curé. Ah! quelle
reconnaissance" et il me cite le verset du psaume d'Esther Koré : " Il a élevé le pauvre à partir
de son néant, sa faiblesse." J'étais très frappé de cette reconnaissance et de ce sentiment
puissant qu'il avait à ce moment là.C'est vrai le Père Vayssiere, on le rappelait tout à l'heure,
de même qu'il avait dit:" Je suis curé, je serai curé!"quelques années après il a dit:" Je serai
Dominicain, tu seras Dominicain!". On vous a raconté ses débuts et aussi ce qu'il a vécu au
novi-ciat; ces premières années où il figurait, en effet, avec le Père Peygre, comme
l'intellectuel, ils avaient des débats entre eux et je vous assure qu'il en a gardé beaucoup de sa
théologie, bien qu'en effet il ait perdu une partie de sa puissance intel-lectuelle et surtout,et
surtout, la possibilité de vraiment prêcher à de larges auditoires; or,il me disait, mais il l'a dit
à beaucoup d'autres: "Pourquoi me suis-je fait Dominicain ? Pour prêcher! pour prêcher!" .
Réellement il a gardé toute sa vie, sans aucun doute, une sorte de besoin d'exprimer avec for-
ce, par sa parole, ce qu'il vivait, ce qu'il pensait, ce qu'il sentait pour le leur communiquer.
Oui, mais cette vie dominicai-ne a pu paraître sérieusement entravée par la maladie dont on
vous a parlé aussi, et qui l'a laissé . toute sa vie, c'est vrai que il a acquis, quand même,une
possibilité d'action et de parole incontestable, mais comparé à ce qu'il voulait, comparé à ce
qu'il aurait voulu, eh bien, véritablement il a été gêné, il a été frustré, d'une certaine manière,
c'est certain. Et l' épisode qu'en effet on a cité, en le racontant, cette croisée des chemins où il
dit: " Non, que vas-tu faire à voir les gens simplement pour causer, pour bavarder ?" . Eh
bien, il a changé de chemin, pour uniquement se consacrer à la contemplation. Et même, dans
ses débuts, ii y a une phrase de lui, assez frappante il a dit:" Je voulais être Prêcheur et Dieu
m'a dit: " Tu seras saint ."11 voulait dire :" Tu travailleras à la sainteté". Il vou-lait dire, tout
de suite,qu'il a été prêcheur sans aucun doute. Et il faut reconnaître, cependant, et il me l'a dit
souvent, il l'a dit à beaucoup, qu'il était très souvent paralysé, gêné, en-travé par une
mauvaise santé. Cette difficulté qu'il avait, lui si intelligent, si intuitif, à longtemps concevoir
et prolonger une étude, il avait tout en lui-même et cela sortait dans des intuitions quelquefois
fulgurantes. Je puis vous dire que je suis de ceux qui auraient la tentation- que le père
Philippe tout à l'heure disait exagérée, peut-être- d'admirer extrèmement toutes sortes de
choses qu'il m'a dites, qu'il a dites, qu'il a écrites, et de penser que ce n'est pas seulement
spirituellement que ça a de la valeur, mais aussi doctrinalement. Ceci dit, il était lui-même si
convaincu de tout,ce qui lui manquait, si simple que ce qui a été dit reste vrai aussi, n'est-ce
pas. Il était d'un abord extraordinairement facile, attention,à une condition,c'est qu'il put être
lui-même c'est à dire parler de Dieu, parler de spiritualité, aussi pour les choses quotidiennes,
bien-entendu, mais tout de même, il disait souvent , il l'a dit à d'autres qu'à moi: "Ma vie
spirituelle, c'est une sécheresse entrecoupée d'éclairs" et vraiment c'était bien dit. Lorsqu'il a
été nommé à la Sainte-Baume, cette vie dominicaineipour laquelle il se sentait fait, pourrait
paraître avoir été empêchée , il vivait très seul, surtout pendant toutes ces années où les
religieux étaient expulsés. Il vivait très seul parce que, comme on l'a rappelé, il n'était pas
tellement facile d'aller à la Sainte-Baume, on y allait mais il y avait des périodes de solitude,
mais il était seul en ce sens qu'il ne vivait pas au milieu de ses frères avec les supérieurs. Il
avait lui-même la responsabi-lité non seulement de ses actes mais de l'oeuvre qu'on lui avait
confiée, c'est vrai. Mais, voyez-vous, le Père Vayssiere, c'était un homme qui faisait les
choses en esprit et en vérité, non pas qu'il ne les fit pas à la lettre mais cette lettre il l'a
compre-nait selon son esprit et quand elle venait à lui manquer eh bien il le faisait. Cette vie
dominicaine de fraternité, de prières communes, de vie conventuelle, de choses pensées en
commun, elle a été empêchée, bien souvent, mais à quel point? de fait, il a vécu l'austérité
joyeuse, le renoncement meilleur que toutes les pénitences et il faut dire que la Ste-Baume, à
cette époque, c'était une pénitence bien plus grande que celle qu'il aurait eue dans un couvent.
Mais ce qui me frappe, c'est que, il aurait pu, en vivant assez seul, être un peu coupé de ses
frères, or, il n'en était pas ainsi. Il avait une convivialité, il était à l'aise lorsqu'il revenait dans
un couvent, il l'a bien montré quand il était Provincial, une convivialité dans son coeur, dans
son âme, il portait toute la province dominicaine dontil était, l'Ordre de St Dominique. On a
dit, mais c'est très juste, que toute la Province dominicaine de Toulouse vivait dans son coeur.
C'est pour cela que, lorsque nous l'avons connu étant jeunes novices, jeunes étudiants, et qu'il
venait nous confesser,quatre fois par an, ça s'appelait dconfession extraordinaire) à ce
moment là, quand nous allions le voir frequemment à la Ste-Baume ( de ST-Masimin on allait
facilement et volontiers à la Ste-Baume ) il nous accueillait vraiment comme un grand frère et
cela se sentait. Je ne l'ai jamais, pour ma part, en-tendu parler avec hostilité de quelqu'un. Il
n'était evidemment pas d'accord avec tout le_monde, mais il dépassait cela. Je crois que la vie
commune, la fraternité, il n'a pas été gêné par la Ste-Baume pour vraiment la vivre. Et
dailleurs, c'est cela seul qui explique son election comme Provincial, qui avait quelquechose
d'un petit peu surprenant pour quelqu'un qui n' avait jamais eu de charges et qui n'avait
pratiquement, depuis les premières années de son sacerdoce, pas vécu dans un couvent. Eh
bien cela se comprend parceque on le connaissait comme vrai-ment, profondemment mêlé,
mais en profondeur, en esprit et en vérité, à la vie de ses frères, à la vie de la Province, à l'
idéal de St Dominique. Il faut dire, dailleurs, qu'il a été élu dans un moment difficile de la
Province. Vous savez, les moments difficiles, dans les provinces, sont fréquents, mais il y en
avait un où vraiment il y avait une division, une division vraiment dangereuse,
amplifiée,presque toujours, par des conflit de personnes et quand il s'est agi d'élire un
Provincial, on l'a choisi parce qu'on a senti qu'il ferait la paix, et qu'il ferait la paix pas
simplement par esprit de conciliation, par art de mettre tout le monde d'accord, par les
sommets déjà, par le haut, par ce qui le préoccupait plus que tout et qui malgré tout
préoccupait aussi les autres, oui cela explique aussi que ce qu'il a réussi comme Provincial-
on ne réussi pas tout, quand on est Provincial, je la sais bien puisque je l'ai été, on ne réussi
pas tout, c'est évident - ce qu'il a réussi lui venait,je crois,de ce sentiment de solidarité,
d'amitié, de fa-mille,si on peut dire, qu'il avait avec toute sa Province.Il aimait, il aimait. Mais
la vie dominicaine, evidemment, ne comprend pas seulement la vie conventuelle et tout ce
qui peut s'y faire de pénitence, de mode de vie, de dépendance, de contraintes, la vie domini-
caine, en réalité, est toute entière ordonnée à l'apostolat.êt c'est là que ce mot qu'il a dit: " Je
voulais être prêcheur, Dieu m'a dit : Tu seras saint ", eh bien cela s'est trouvé n' être pas du
tout contradictoire, n'est-ce pas, très loin de là . En effet quand on parle de l'apostolat, dans
l'Ordre de saint Dominique, on ne parle pas d'un moyen pour arriver à quelque-chose de plus
grand, c'est la fin même de l'Ordre et de ceux qui entrent dans l'Ordre. Il a écrit, dans cette
belle lettre à la-quelle on a fait allusion sur saint Dominique, ceci: "Nous ne serons
Dominicains que si nous sommes apôtres, c'est dans la mesure où nous sommes apôtres, que
nous serons dominical Je vous le disais, il a eu une certaine frustration à cet égard, je vous
avoue qu'il me l'a dit bien des fois, il m'a dit qu'il souffrait encore de ses impuissantes qui
alors ont été beaueoup plus graves dansa jeunesse, mais il ajoutait...j'allais dire il se consolait,
ce n'est pas le mot, il se répondait à lui-même quand il serait tenté de regretter de na pas avoir
été un Lacor-daire ou un Dominique prêchant, " Aucune vie n'est grande " dit-il " ni utile
quand on la mesure où elle est ce que Dieu veut, même si apparemment, ce que Dieu veut
n'est pas, ne parait pas être , du moins du premier coup, la réalisation de ce pourquoi on a
obei à la voix de Dieu. Même alors, cette vie est réussie bien plus quand on est Dominicain et
par conséquent, et c'est ainsi qu'il le sentait, qu'il le vivait, qu'on est fait pour por ter la foi,
pour porter Dieu aux autres, à ce moment même quand on ne le peut pas ou qu'on est
empêché d'y réussir - pas seule-ment par la santé, l'incapacité ou simplement parce que les
gens ne répondent pas - à ce moment on est toujours apôtre. C'est ce qu'il disait, empruntant à
Ste Catherine de Sienne cette phrase que je trouve absolument merveilleuse: "L'action est
tou-jours finie, le désir seul est infini" le désir qui se trans-forme en offrande de soi et en
prière, en amour. Je vous assure que tout Dominicain connait des moments où son apostolat
ou les possibilités d'apostolat le déçoivent. Ah! comme il faudrait se répondre cela! Et
que,lorsque on arrive au temps où l'on peut moins agira où on n'est plus le prêcheur actif,
dans ces moments là, il faut se souvenir, oui vraiment se souvenir,de la puissance qu'il disait
si souvent,car la prière et surtout l'amour qu'on met dans la prière et la géné-rosité qu'on met
dans toutes les difficultés, les peines de la vie, c'est toujours agissant pour le salut des âmes.
Ce que St Dominique a dailleurs montré de manière si frappante quand il passait ses nuits en
priant, parce qu'il n'en faisait pas assez en prêchant. Ceci dit, la Ste-Baume sest de fait, et on
vous l'a dit tout /' à l'heure, et c'est rudement vrai, s'est révélée pour lui- et il l'a comprise ainsi
- comme un lieu incomparable d'apostolat. Je pense que vous en avez été convaincus,pour lui,
par l'énumé-tion de tout ce que, de fait, il a eu à faire: est-ce gardien de la grotte quand il y a
des pélérinages - comme il y en avait, comme il y en a encore maintenant- et puis Curé dans
le voisina-ge, aumônier-chapelin des soeurs de Béthanie, lorsqu'on va au-delà même de ce
secteur, par exemple lorsque il suggérait- il ne pouvait pas le faire lui-même- mais c'est lui
qui a eu l' idée du pélérinage du rosaire, c'est vrai,d'une certaine ma-nière, c'est un homme
d'action, mais il ne se sentait pas l' homme qui fonderait ça et il en a lancé l'idée. Il a lancé
aus-si, ou plutôt il a voulu réformer- mais le Père Perrin vous le dira tout à l'heure- l'idée du
lanat dominicain et ça a pris une énorme importance dans sa vie, c'est sûr. Et puis il a fondé
Nazareth, Bethléem d'abord, puis Nazareth, ce lieu de ressour-cement spirituel qu'il animait7-
je le vois encore pendant l'été-c'est à ce moment que nous novices, étudiants d'alors, nous
pouvions le voir à Nazareth toujours prêt à reçevoir et vrai-ment avec cette bonté, cette
transparence qù'il avait. On a rappelé tout à l'heure le mot que lui inspirait la lecture de la vie
de St Dominique: " C'est une âme de cristal ". Et bien je lis dans beaucoup de
témoignages ,que la Mère Dominique Poincenet, dans son beau livre sur le Père Vayssiere,
cite, dans beaucoup de ces témoignages, il y a une transparence,une transparence et, si vous
le permettez, une petite confidence, aussi, la première fois que je l'ai vu, j'étais tout jeune
novice, il venait nous confesser et quand je lui ai fait ma confession, je le vois encore me
prenant le bras, le serrant avec force et douceur et me disant: "Vous aimez la Sainte-Vierge" !
Mais alors ce regard bleu! cette transparence sur son visage, cette sérénité, c'est vrai il avait
cela, il avait cela. Alors, bien sûr, à Nazareth il a fait un bien considéra--ble, mais le nombre
de personnes qu'il a contactées, qui se sont adeessées à lui est considérables Au fond c'est là
puissance de. sa personnalité qui s'est manifestée. Surtout, il n'y a pas de doute dailleurs)c'est
presque toujours comme cela, quand on par-le des directeurs spirituels il y en a qui sont
vraiment des trésors, pour certains, et d'autresjil n'y a pas eu le contact. Le contact il l'a eu
avec beaucoup et pas seulement avec des personnes spirituellement raffinées, mais bien
souvent c'était avec des personnes simples.Il avait sa correspondance aussi. Sa
correspondance, voyez-vous, moi ce que j'en ai lu me paraît re-marquable,tout de même, je
vais vous le dire, c'est toujours la même idée qui revient, une idée construite, une idée redite
sous toutes les formes, pour toutes les situations, nous ver-rons quelle est cette idée, tout à
l'heure. Donc, sa correspon-dance était très importante, il a beaucoup écrit et je vous as-sure
qu'il écrivait avec une certaine facilité; il avait sa tê-te quoiqu'il ait dit quelquefois. Ce qui me
frappe, chez lui ce qui me frappait, c'était l'éloquence qu'il avait dans une conversation.Il
suffisait qu'on le mette un petit peu, ou qu'on soit disponible, ou même qu'on le mette sur le
chemin des choses de Dieu, pour qu'immédiatement il parle, cette sécheresse entre-coupée
d'éclairs on l'a vue,j'en ai vu de ces éclairs, ce qui était frappant c'était la vigueur, la force des
paroles qu'il employait. Je me souviens, par exemple une fois, j'étais à la Ste Baume, que
nous l'étions souvent, je me promenais la nuit , une de ces nuits merveilleuses d'été, le ciel
étoilé, je me promenais en essayant de prier. Il s'approche de moi, il venait, lui aussi,prendre
l'air et prier, je pense, et alors nous avons causé un moment et je l'entend encore me dire, à
propos de la confiance ea Dieu dont il parlait toujours, :" Notre secours est dans le nom du
Seigneur" alors un grand geste, en montrant les étoiles: "qu'a fait le ciel et la terre!". J'âi su, à
la force de ce mot à quel point j'ai senti que cette assistance de Dieu, dans la
quotidienneté,dans le tous les jours, cette assistance de Dieu à cette petite fourmi que nous
étions là, sous ce ciel étoilé, ce ciel de celui qui a créé le ciel et la terre, le tout puissant si
proche,c'est l'éloquence ! Mais qu'était, pour lui, l'apostolat ? C'est ça qui est interes-sant,
parce que chacun a sa manière d'être apôtre mais il y a une mystique de l'apôstolat, il y a un
sens qu'on lui donne ou qu'on ne lui donne pas. Et c'est là qu'il était Dominicain. "L'écueil des
apôtres; disait-il,"c'est de ne songer qu'à se répandre toujours et toujours davantage, oubliant
qu'à perdre contact avec la source, le ruisseau est vite tari et impuis-sant à arroser et féconder
autour de lui. L'apôstolat vrai, c'est une vie qui déborde, c'est l'éruption d'une flamme que le
coeur est impuissant à contenir, un foyer qui rayonne. L'apôstolat dans son fruit
unique,essentiel, c'est le don de Dieu aux âmes. Or, comme on se donne, comme on ne donne
Dieu que dans la mesure où on le possède, il faut le posséder, non seulement sur ses lèvres,
pour une parole brillante,et sonore car alors on n'est qu'un orateur, non seulement dans son
esprit par des études profondes, des conceptions sublimes, car on est alors qu'un savant, qu'un
philosophe, il faut le posséder aussi dans son coeur, dans son âme, dans sa vie comme un
vase qui le contienne dans la plénitude de sa grâce et de son amour,de telle sorte qu'il déborde
et s'épanche au dehors et qu'il com-munique aux âmes de sa surabondance. On est
Dominicain pas4seulement par son prêche, on est Domini-cain par la large place accordée à
l'oraison et à la contempla-tion, dans sa vie, de telle sorte qu'on ne donne que la sur-
il abondance de ce qu'on a puisé en Dieu.
Mais que prêchait-il, je veux dire : quel était son message ? Vous savez, tout apôtre a un
message, presque toujours il a une vision des choses de Dieu, du chemin vers Dieu, une
vision qui comporte énormément d'éléments, mais qui a des dominantes , chez lui c'était très
marqué. Un de ceux qui a interrogé la Soeur Poincenet, et qui n'était pas un lettré, disait ceci:
" Il nous prêchait toujours, toujours ça: qu'on trouvait Dieu à chaque instant, puisque tout
était sa volonté et que sa vo-lonté c'était Dieu lui-même." Résumé frappant mais auquel il
manque quelque chose,qui ne manquait pas certes, à ce que di-sait le Père Vayssiere, il faut
ajouter ceci qui éclaire tout: "Dieu est Amour, il nous aime, à travers tout il nous conduit à
lui, sa volonté est l'expression même de cet amour, Dieu on ne peut le voir - on l'a déjà dit
plus d'une fois, on ne peut pas le voir, on ne peut pas se faire une idée claire de lui -mais on
peut le saisir, le posséder si on saisit sa volonté. Et on la trouve partout, toujours, on peut
toujours trouver la volonté de Dieu dans ce qui nous arrive, dans ce qui nous est demandé."
"Je dis cela à tout le monde"disait-il"et tout le monde est con-tent",ça frappait:" et tout le
monde est content " Le fait est que c'était vrai. A vrai dire il le disait et l'écrivait de tou-tes les
manières, il ramenait,à cela, tout. Mais ce que je vou-drais souligner ici, puisque mon rôle est
de vous montrer l' être dominicain du Père Vayssiere, c'est comme se révèle,dans la manière,
dans la forme qu'il donnait à son message, la mar-que dominicaine, je dirais même thomiste;
je veux dire la vé-rité doctrinale, doctrinalement exprimée, mais la vérité qui jus tifie une
attitude et qui l'inspire. Je vous dis:même thomiste, le mot'même" est de trop , c'est normal
qu'il fut thomiste, il avait fait sa bonne théologie, mais voici en quoi je reconnais la touche, la
marque, la griffe de Saint Thomas: 7 Dieu mène à Dieu " , formule qu'il répétait souvent , 7
Dieu mène à Dieu " "Il mène tout, il mène tout à Dieu" et c'est le résumé de la "Somme
théologique". Quel est le plan de la Somme Théologique? À
C'est Dieu, d'abord, Dieu en lui-même et dans son action et puis c'est notre mouvement
vers Dieu et puis c'est celui par qui nous vient la grâce,sans .lequel ce mouvement vers Dieu
est impossible : Jésus-Christ. Dieu, l'homme marchant vers Dieu, Jésus-Christ qui réunit
l'homme à Dieu, Dieu mène à Dieu par Jésus-christ et en Jésus-Christ. Et alors, pour lui,
c'était la confiance totale et complète en même temps que la totale ac-ceptation, mieux
qu'acceptation, une certaine manière de faire sienne la Volonté de Dieu dont il était sûr
qu'elle menait au meilleur, au plus beau, à Dieu. Vous me direz?mais c'est la spiritualité de
Sainte Thérése de l'Enfant-Jésus; c'est évi-dent, il aimait beaucoup Ste Thérèse de L'Enfant-
Jésus et quand Ste Thérése de l'Enfant-Jésus a commencé à "percer", si je puis dire, tout le
monde n'était pas tellement emballé par sa peti-te voix, qu'on estimait trop facile et
spécialement dans la Pro-vince dominicaine de Toulouse, les spirituels étaient un peu
méfiants à cet égard. Lui, tout de suite, il s'y est reconnu et je dirai il s'y est reconnu beaucoup
plus, bien davantage que il en a subi l'influence. Il portait ça en lui,dans son être profond,
depuis son entrée au couvent et surtout depuis l'épreu-ve qui l'a frappé. Je vous lis un mot de
lui sur Ste Thérèse de l'Enfant-Jésus: "Thérèse est la Sainte du dégagement, de la pleine et
sainte liberté intérieure, de l'élan rapide dans la pureté de l'amour. Rien de plus bienfaisant et
de toujours op-portun que sa petite voie, voie d'humilité et de confiance, c' est la voie.
évangélique et toutes les autres la supposeeéces-sairement" . C'est dans la mesure où il
retrouvait l'évangile, dans sa profondeur, qu'en effet, il. trouvait dans Ste Thérèse de l'Enfant-
Jésus une stimulation à vivre véritablement,non seulement cette confiance, cette foi, mais
toute entière fon-dée sur l'amour,
l'amour de Dieu pour nous et de nous pour Dieu. Là encore, on citait de lui, ce mot sur
elle, sur SainteThérèse de l'Enfant-Jésus: "ça,c'est de l'amour, on peut dire que c'est de
l'amour" ....Il faut que je passe des choses, j'aurais bien voulu parler, mais enfin ce n'était pas
immédiatement le sujet, de la place de Marie, du rosaire (ça nous ramenait à un autre , sujet),
pour en venir à sa dévotion personnelle à St Dominique. J'avais à vous montrer l'être
dominicain du père Vayssiere mais, pour lui, cet être dominicain c'est avant tout dans la
person-ne de ST Dominique qu'il s'est réalisé et dans une intimité spirituelle avec lui, qu'il
peut continuer à l'être. Voyez-vous, pour sa foi, qui était réaliste, comme doit l'être la foi, (on
ne croit pas simplement en des théories, en des idées, on croit en des réalités) pour sa foi si
réaliste St Dominique n'était pas seulement un homme d'autrefois,dont il aurait aimé la
personnalité attachante, exemplaire, il le voyait comme quel-qu'un de vivant et de proche,
tout occupé à obtenir à ses fils la grâce qui avait été la sienne. Depuis Vatican II , on insis-te
beaucoup, et avec raison, sur ce qu'on appelle le charisme des fondateurs d'Ordres, ce
charisme qui, dit-on, continue à être donné à sa descendance, charisme plus important que la
matérialité des règles et des modes de vie. Le Père Vayssiere avait déjà perçu cela, d'une
manière qui était la sienne, très ample, très spirituelle aussi, il l'a exprimé dans une lettre
circulaire à la Province de Toulouse, qu'il avait écrite pour le centenaire de la consécration de
la canonisation de Saint-Dominique; il y a un grand souffle dans ces pages. A vrai dire, plutôt
que de charisme et même de mission, il parlait de grâce, c'est à dire de sainteté. "Une famille
religieuse, disait-il, c'est une âme qui se multiplie, c'est une vie qui se prolonge, se transmet,
une grâce qui se déverse. L'Ordre de St Dominique c'est Saint Dominique lui-même, se
perpétuant et se survivant à travers les siècles, dans la vérité de sa grâce et de sa
prédestination. C'est assez puissant, vous savez, comme expression, ça. Il ne peut s'agir , à
l'intérieur de cet unique corps du Christ qu'est l'Eglise, que de la grâce du Christ,
naturellement, mais cette grâce diversifie, s'accompagne de charisme, accompa-gne une
mission. Or cette grâce, cette sainteté, ce type de sain-teté, a été donné d'abord au Fondateur
qui demeure,jusqu'à la fin du monde et au delà, le modèle fondamental.et l'invisible
accompagnateur de toute sa descendance. Il insiste pour dire : " C'est le Christ toujours qui
agit mais il se sert des causes secondes. Et pour la grâce propre à l'Ordre de St Dominique,
celle qu'il a donnée au Christ, à St Dominique, elle est aussi pour la descendance."': Une page
de St Jean de la Croix, dans la "Vive flamme d'Amour" donne à cette intuition du Père
Vayssiere une confirmation étonnante. Ayant parlé (St Jean de la Croix ) d'une grâce tout à
fait exceptionnelle qu'il décrit en termes très mystiques, qui donnait à certains comme un
grain de sénevé destiné à devenir un grand arbre."L'âme, dit-il, devient, peu à ïe?-• peu, un
immensed'amour, elle voit que sa transformation pro-vient de ce petit point embrasé, qui se
trouve au coeur même de son esprit". Et à ceci, St Jean de la Croix ajoute:" Il y a peu d'âmes
qui arrivent à ce degré aussi éminent. Il y en a cepen-dant quelques unes qui y sont
parvenues, ce sont surtout celles de ces personnages dont la vertu et l'esprit devaient se trans-
mettre dans la succession de leurs disciples. Dieu, en donnant à ces chefs de famille les
prémices de son esprit, leur a confé-ré des trésors et des grandeurs en rapport avec la
succession plus ou moins grande d'enfants, de descendants qui devaient em-brasser leur règle
et leur esprit". Eh bien voilà ce que veut dire... Le grand arbre,voyez-vous, ce n'est pas
seulement cette consommation, cette transformation de l'âme de Dominique à la fin de sa vie,
cela a continué après lui ....cela a continué après lui ."Voilà ce que veut réaliser, ce que doit
réaliser l'âme éprise de st Dominique" nous dit le Père Vayssiere et je voudrais terminer par
là. Elle veut la revivre, cette grâce, c'est la grande obligation de sa vocation, obligation
glorieuse mais aussi combien labo-rieuse et difficile. Ne l'oublions pas, Dominique habite sur
de plus hauts sommets, les plus hauts sommets, les sommets de Dieu. Là, se dresse sa vie
intérieure et apostolique. Dans sa vie, Dieu n'est pas un simple souvenir, une halte rapide, un
incident passager, c'est un séjour habituel, un permanent contact, une communion incessante
à tout ce qu'il est, un écoulement sans fin de tout son être en lui. Sa vie est un regard toujours
avide, un désir jamais rassasié, un élan qui toujours soulève et, dans ce regard, ce désir, cet
élan, son âme avec toutes ses puissan-ces passe, ardente, assoifée, trouvant là son repos et sa
joie; joie qui.,tout à la fois)là-rassasie et l'affame, la creuse et la remplit. Ce n'est pas tout, de
même que la vie de Dieu n'est pas entièrement dans le mystère de ses communications
intimes, trinitaires, mais qu'elle s'épanche encore au dehors dans l'ir-résistible élan d'une
infinie Bonté, de même, la vie de Domini-que ne s'épuise pas dans la divine plénitude qui est
son parta-ge. Elle fait rejaillir, à l'extérieur, sa surabondance et de là,sa vie apostolique, son
zèle dévorant, les conquêtes de son apostolat, mais apostolat toujours divin au sein de ses
activi-tés humaines. Si loin que son zèle l'emporte, et sur ce point, le Tère vayssiere était très
ouvert à tout ce qui véritablement était inspiré par une foi ardente, un désir du salut des âmes,
telles qu'elles sont, telles qu'il faut les rencontrer, telles qu'il faut se faire comprendre d'elles,
Il était très ouvert. Il disait même, modestement: " On dit que je comprendsles idées dee
autres, c'est que je n'en ai pas moi-même". C•était beaucoup trop modeste mais, on voit bien
ce qu'il voulait dire,n' est-ce-pas. Mais attention, sans jamais descendre des hauteurs où il
habite, sans jamais sortir de la société de Dieu qui le possède, toujours fixé en ce Dieu, son
centre et son repos, d'autant plus retenu par le ciel qu'il est plus lié à la terre. Eh bien, voyez-
vous, chers amis, en ce moment où nous sommes tous tellement persuadés que la Sainte-
Baume est un lieu pro-digieux d'apostolat, en ce moment où on cherche, et il le faut, les
moyens de développer cet apostolat,d'y appeler beaucoup de monde, de répondre ,par lui,aux
grands besoins de l'âme et du coeur, en ce moment, certes on peut dire que le Père Vayssiere,
qui a toujours aimé les grandes entreprises apostoliques, est avec nous. Il est avec nous mais,
pourvu, pourvu que ce soit la foi, la foi ardente, la foi et la parole de Dieu qui soient le
but,finalement, de tout ce qu'on veut faire et dire et pour-vu que cette foi, qu'on veut faire
vivre aux autres, qu'on veut faire agir dans la société et le monde d'aujourd'hui, pourvu que
cette foi soit vécue par l'apôtre lui-même. Voilà ce qu'était Saint Dominique, voilà ce que le
Père Vayssiere nous apprend à voir en lui. Que nos jeunes qui vont reçevoir, demain, ou
plutôt , faire demain, c'est eux qui vont donner, par la grâce de Dieu, qui vont faire leur don
de leur vie à l'Ordre de Saint Dominique; que les jeunes, je le leur souhaite, aient cette ardeur
égale pour la recherche passion-née de Dieu et pour la recherche passionnée, non moins pas-
sionnée du prochain à qui communiquer Dieu.
ADT, Fonds Vayss., dossier 36, articles, Olive
Martin Olive, op, "Ultima verba", dans Vie dominicaine, oct. 1940, pp. 8-16.

Ultima verba du T.R.P Vayssière


Le 14 septembre 1940 après 8 ans de Provincialat

C'est une délicatesse de la Providence dont le T.R.P. Vicaire provincial a été l'admirable
instrument, si j'ai pu en me rendant à Saint-Maximin pour faire ma retraite, voir une dernière
fois le T.R.P. Vayssière à l'hôpital Saint-Joseph et recueillir ses derniers entretiens.
C'était le 14 au matin, vers 10 heures ¼.
Quand j'entrai dans sa chambre, le père était occupé à lire. En me voyant entrer, il pose
ses lunettes et il retourne son livre à la page lue sur le dispositif qui lui sert de table. Il est
radieux. Un peu surpris de me voir, car il ne savait pas que je fusse dans ces parages, il en
paraît ravi. Il m'embrasse avec effusion et me remercie d'être venu le voir. Et puis nous
causons. Je reste d'abord debout contre son lit.
Après lui avoir demandé des nouvelles de son état, et reçu en réponse qu'il se trouvait
très bien, qu'il était parfaitement soigné – je lui dis- (car j'avais reconnu que le livre qu'il lisait
n'était autre que la vie de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, la petite édition):
“ Je vois père, que vous ne quittez pas votre petite sainte.
Mon cher ami, il n'y a que ça – l'amour – tout est là. C'est le pur évangile. Il faut aller
jusque là pour trouver la sainteté. Tenez, les premiers temps que j'étais ici, j'ai lu la vie du
saint curé d'Ars par l'abbé Tronchu. C'est bien écrit, très bien écrit, mais ce livre m'a laissé
l'impression de découragement. Pénitence, mortification corporelle, c'est cela qui ressort,
mais ce n'est pas cela la sainteté; la sainteté... c'est l'amour de Dieu. Ici, chez la petite Thérèse
de l'Enfant-Jésus, je le trouve à chaque page”.
Au cours de la conversation où se mêlent choses et autres, je lui dis que je me rends à
Saint-Maximin faire ma retraite.
“ Oh! Excellente idée... c'est bien... c'est bien... Ce qu'il faut surtout, c'est se laisser
aimer du bon Dieu comme il le veut... ses baisers sont parfois des morsures, mais c'est
toujours son amour. Voyez, quand on nous prêche une retraite, on nous parle de
pauvreté, de chasteté, de l'obéissance, de la vie religieuse, etc. Au bout de deux ou
trois retraites nous savons là-dessus tout ce qu'il faut savoir. Mais l'abnégation, le
renoncement, voilà ce que demande Notre-Seigneur. Abneget semetipsum; et cela
pour faire la volonté de Dieu qui est amour. Il faut nous sentir tout enveloppés de
l'amour de Dieu et répondre à cet amour par l'amour. Comment? En se renonçant soi-
même pour laisser la place à Dieu our faire la volonté de Dieu, que chaque chose nous
apporte (avec quelle suavité il détachait tous les mots de cette dernière phrase).
Voyez cette petite (sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus) depuis l'âge de trois ans, elle n'a rien
refusé au bon Dieu; voilà la sainteté et d'après ce que l'on peut lire entre les lignes, ce ne fut
pas toujours facile. Prenez cette ligne de conduite”.
Notre entretien se prolonge. Le père me demande ce que je suis devenu au moment de
l'offensive. Et pour mieux m'entendre, il me fit asseoir de l'autre côté du lit, près de la
muraille. Il m'écoute avec bienveillance. Il est surtout heureux d'apprendre que tout le temps
que j'ai été mobilisé, j'ai pu célébrer la messe tous les jours, même au cours des longs
déplacements. Il y avait toujours des arrêts opportuns. Il est vrai que dans ces circonstances,
je restais à jeun jusqu'à l'extrême limite. Un jour, je ne pus dire ma messe qu'aux environs de
midi et pour installer mon autel, je n'avais rien de plus qu'un poële plus ou moins bien
désaffecté, tandis que les camarades dont le ventre était creux comme le mien, mangeaient
avec appétit la soupe:
“ vous vous en souviendrez, me dit le père en me serrant le bras, de cette messe
célébrée sur un poële aux environs de midi. Quelle grâce de l'avoir pu dire votre
messe tous les jours.”
On cause le temps passe. Le docteur entre voir son malade. Le père lui prend la main,
la tapotte affectueusement et me dit tout haut sa reconnaissance pour les soins si dévoués que
le docteur lui prodigue.
“ Vous êtes un si bon malade”, réplique le docteur, qui satisfait de l'état du père, s'en
va plus loin. Quand le docteur est parti, le père continue:
Voyez, je suis très bien, je ne souffre pas, je n'ai jamais souffert de mes opérations. Et il
me sourit en me confiant cela.
Le bon Dieu vous a traité avec douceur lui dis-je.
Oh oui, avec miséricorde. Miséricorde ma vocation sacerdotale, miséricorde ma vocation
dominicaine, miséricorde (ici le père se soulève un peu et ajoute avec force en marquant
chaque syllabe)... ma vocation magdaléenne... La Sainte-Baume! (et plus bas, comme en
confidence), j'ai demandé d'être enterré là-haut (cette perspective semble le remplir de
bonheur).
Et maintenant il y a aujourd'hui huit ans jour pour jour que j'ai signé ma pagelle de
provincial, aux premières vêpres de Notre-Dame des Septs douleurs. Je n'ai pas voulu la
signer avant. Elle était arrivé le 13 au soir ou le 14 au matin. Le père Beauvais, prieur de
Toulouse voulait me faire fête à la récréation de midi. Je lui exprimai mon désir de ne signer
qu'après les premières vêpres de Notre-Dame des Sept douleurs. Alors le père Beauvais fit
chanter les vêpres après les grâces, ce jour-là. Je signai la pagelle et l'on me fêta alors comme
on voulait.”
Il me recommande ensuite ce qu'il m'a recommandé – je crois bien pouvoir dire,
toutes les fois que je l'ai vu dans un entretien intime – la dévotion à la Sainte Vierge.
“ Prêchez la Sainte Vierge. Elle est si bonne. Tenez, voici un trait récent. Vous le
direz à la gloire de la Sainte Vierge. Et il me raconte comment grâce à cette bonne
Mère, une communauté dans un grand besoin a été secourue d'une manière
merveilleuse.
Tandis qu'il parle de la bonté de Marie, ses yeux deviennent rouges – et, au coin de
chacun d'eux, il essuie, de son doigt, quelques larmes.
Toutes les fois que je l'ai entendu rappeler quelque grâce ou quelque faveur de la
Sainte Vierge, je l'ai vu aussi pleurer de reconnaissance.
Je suis resté près d'une heure avec lui. Le temps nous paraissait court à l'une et à
l'autre, car il était si heureux dans ses moments d'abandon, de livrer son âme à l'un de ses fils.
Il me dit encore:
“je suis bien. Je ne me préoccupe de rien. Le père Général m'a gardé en charge
jusqu'au chapitre avec la faculté de déléguer quelqu'unn à ma place. Comme le
prochan chapitre doit se tenir à Saint-MAximin et qu'en mon absence, c'est le prieur
de Saint-Maximin qui devient Vicaire provincial, j'ai choisi le père Dupuy, Et
maintenant je sais que je n'en ai pas pour longtemps. J'ai 76 ans et cette opération en
plus, mais je ne désire ni vivre ni mourir: ce que le Bon Dieu voudra”.
Je me levai pour sortir. Je quittai le bord du lit. En passant devant l'armoire à glace
placée vers le fond du lit, en face du père – et qui était entr'ouverte – j'en fis bouger la porte.
“ Vous venez de commetre un crime, me dit-il, ouvrez un peu l'armoire”. Un peu
interloqué tout d'abord, je compris vite: “ouvrez un peu plus, doucement, là, venez voir”. Et
approchant la tête de la sienne pour me mettre dans son champ de vision, il me montrait,
reflètées dans la glace, les images du Christ et de la Sainte Vierge placées sur une étagère
contre l'un des côtés dela chambre, à sa droite, et que par le moyen de la glace il pouvait
toujours apercevoir en face de lui.
La Sainte Vierge est toujours devant moi. Et il me disait cela avec la satisfaction et le
sourire d'un enfant heureux.
La-dessus je pris congé de lui: il m'embrassa et me promit de prier pour moi pendant
ma retraite en me répétant de m'abandonner à la volonté de Dieu.
Je retournai au couvent de la rue Edmond Rostand à pied. Je pris l'allée du Prado, à
ma gauche, peu fréquentée. Les paroles du bon père me revenaient en mémoire, avec une
clarté étonnante et c'était dans mon coeur comme un chant très doux, comme une impresion
délicieuse.
A ce moment-là sans penser que la mort fut si proche (je l'avais trouvé bien portant et
le docteur avait dit de même) je me proposai de mettre par écrit au moins quelques bribes de
l'entretien. [...]
ADT, Fonds Vayss., dossier 36, articles, Rzewuski
A.-C. Rzewuski, op, “Le Père Vayssière, quelques souvenirs personnels”,
dans NV 24 (1949/2), pp. 127-144.Le père Vayssière

Quelques souvenirs personnels

Quand j'essaie de l'évoquer, il m'apparaît toujours tel que je l'ai vu pour la première fois
au Noviciat de Saint-Maximin dont il était le confesseur extraordinaire et où je n'étais entré
que depuis peu de temps.
Je rencontrai un jour dans l'escalier un religieux, la tête recouverte de son capuce, et qui
était tout rayonnement de simplicité, de pureté, de blancheur. Oui, c'est bien là ce qui
distinguait le père Vayssière : en lui tout était simple, tout était pur, tout était blanc.
Si donc par commodité de l'exposé, j'ai dû établir quelques divisions dans mon souvenir,
celui-ci n'en demeure pas moins extrêmement simple.
Il arrive que des jeunes novices redoutent cette visite au confesseur extraordinaire chez
lequel cependant ils sont tenus de passer, ne fût-ce que pour lui demander sa bénédiction.
Mais ceux qui ont eu la grâce de s'adresser à lui, savent qu'il leur a été de connaître le
confesseur extraordinaire par excellence, et que cette rencontre demeure une des grandes
dates de leur vie spirituelle.
Il était d'ailleurs fort accueillant et d'une simplicité remarquable. Il écoutait et ne disait
presque rien ou, s'il parlait, c'était toujours pour remettre les choses au point, pour nous
replacer dans la ligne de Notre-Seigneur.
Un jour que je lui demandais ce qu'il fallait faire pour diriger les âmes, il me fit cette
réponse :
« en réalité il faut voir et si l'on ne voit pas, il faut se taire... il ne faut jamais craindre de
ne rien dire. Quand on vous demande un conseil, ajoutait-il, si vous voyez qu'il y a quelque
chose à dire, quelque chose qui manque, qui n'est pas tout à fait adéquat à la mesure de Notre-
Seigneur, à cette mesure qui doit vous être toujours présente, alors attirez les âmes vers cette
limite sans limite que vous entrevoyez. Autrement ne dites rien et ayez la simplicité,
l'humilité d'avouer que vous ne voyez pas, que vous n'avez rien à dire. »
Pour en revenir au confesseur extraordinaire, cette impression de mon premier contact
avec le père Vayssière est demeurée vivante en moi tout au long des années. Dès cet instant je
l'ai considéré non seulement comme un père, mais comme un être exceptionnel, car je n'ai
jamais rencontré personne qui fît autant rayonner Notre-Seigneur en lui.
I. Quelques aspects de sa vie extérieure
Son histoire est très belle. C'était un petit paysan du plateau central qui reçut une forte
éducation chrétienne. L'appel à la vie sacerdotale se manifesta à lui d'une manière assez
remarquable. Une voix lui disait: " Tu seras prêtre". Et quelques années plus tard, la voix
devait à nouveau se faire entendre: " Tu seras dominicain".

Comme il l'avait la première fois, il obéit à cette voix, et c'est ainsi qu'il est arriva au
noviciat. Jeune homme plein de promesse, possédant beaucoup de capacités, il était très
intelligent, très actif ( peut-être trop, comme il le reconnaissait lui-même). Les premières
années de noviciat et d'études furent des années pleines d'une belle vie religieuse et qui
autorisait les plus grandes espérances pour l'avenir. Il se voyait bon professeur et bon
prédicateur. Il était le condisciple du père Peygues, et leurs continuelles disputes théologiques
sur toutes sortes de sujets leur avait valu d'être appelés « les deux théologiens ».
Mais, alors qu'il avait déjà reçu les ordres mineurs, il tomba malade, atteint de cette
fatigue cérébrale profonde qui ne devait jamais plus le quitter et dont il souffrit jusqu'à la fin.
Il dut interrompre ses études, fermer ses livres et partir pour St Maximin afin d'y achever
sa préparation au sacerdoce. Cet arrêt dans son travail devait être définitif : jamais il ne put
rien reprendre. Ce fut pour lui quelque chose d'infiniment tragique, l'écroulement de toutes
ses espérances (peut-être encore trop humaines) le bouleversement de tous ses plans. Les
supérieurs jugèrent toutefois qu'un bon religieux peut toujours être utile à l'Ordre et c'est ansi
que, ses études terminées, sans examen, il fut ordonné prêtre.
Après un court séjour à Biarritz, il fut envoyé à la Sainte-Baume, où il allait passer
trente-et-un ans comme gardien de la grotte où il a respiré à pleins poumons cette grâce
magdaléenne d'amour dont il aimait parler à la fin de sa vie.
Il avouait lui-même que ce lui fut un sacrifice très dur de se voir ainsi placé dans cette
grotte pour une période indéterminée. Il était loin de se douter que plus de trente années de sa
vie seraient employées à ce service et que cela lui apparaîtrait un jour comme une grâce
privilégiée.
Pour le moment, il se sentait suffoqué sous un poids écrasant quand il se retrouvait
chaque matin, dans cette grotte, seule et sans aucune perspective d'activité pour tout l'hiver.
On a déjà dit – car à plusieurs de ses fils il en fit la confidence – comment, au début, il
recherchait l'hôtellerie où il descendait régulièrement en quête de compagnie humaine et de
nouvelles. Ce fut alors qu'un jour, au sortir de la forêt, un mouvement intérieur lui fit
comprendre le néant de ce qu'il allait chercher et qu'il était nécessaire de tout cesser, de tout
couper et tout donner à Dieu, absolument tout, même les attraits qui peuvent paraître
légitimes.
Il dut à ce moment soutenir une véritable lutte intérieure, mais cette lutte ne fut pas trop
terrible, car quelqu'un était victorieux en lui. Il prit l'autre chemin, celui de sa nouvelle
vocation et revint à la grotte. Dès cette date, pendant ses deux heures de promenade, il monta
quotidiennement au Saint-Pilon qui est le point culminant qui surplombe la grotte de la
Sainte-Baume. Tous les jours, durant de longues années,, il monta là-haut. Pour lui ce fut
quelque chose de définitif. Désormais non seulement il se résigna à sa vie d'ermite, mais il
commença à l'aimer.
Je lui posai un jour cette question : « Comment faire pour qu'une telle vie ne pèse pas ?
 Le grand secret, me répondit-il, c'est d'avoir une vie très bien organisée, une journée
bien divisée. Et le secret le plus grand, c'est d'avoir Dieu en soi et savoir lui parler. »
Or le Père Vayssière avait certainement Dieu en lui et il savait très bien lui parler.
A l'âge de 68 ans, il fut élu provincial de Toulouse, puis réélu. Et ces deux provincialats
furent une bénédiction pour la Province.

II. Quelques aspects de sa vie intérieure

La vie extérieure du père Vayssière se présente, nous venons de le voir, comme quelque
chose de très simple. Il en est de même de sa spiritualité : elle se ramène à quelques pensées,
je dirais même à une pensée d'une extrême simplicité et que l'on retrouve sans cesse présente.
Cete pensée, c'est celle de la volonté de Dieu.
A. La volonté de Dieu.
Le Père Vayssière parlait, et aimait à parler de cette présence réelle de la volonté de Dieu
qui nous entoure à chaque moment de notre vie. Bien des fois, je lui ai entendu formuler sa
doctrine qui se réduisait à ceci:
« Dieu et sa volonté ne font qu'un; il n'y a pas de distinction réelle entre Dieu et sa
volonté."
Et encore :
Cette volonté de Dieu qui ne se distingue pas de lui-même, mais qui est Dieu, embrasse
tout, rien ne lui échappe... Donc Dieu est en réalté à chaque moment autour de nous, dans
chaque chose, dans chaque événement qui nous arrive, tout cela, c'est la volonté de Dieu, c'est
Dieu lui-même. Pourquoi alors le chercher extrêmement loin, par des chemins et des moyens
extraordinaires, puisqu'il suffit de le chercher en nous, en dehors de nous pour nous heurter à
chaque moment à sa volonté ?
Et cette volonté qui est dans tous les événements n'est autre que Dieu, et Dieu n'est autre
chose que l'amour. Dieu et sa volonté ne font qu'un. Par conséquent, si Dieu est partout
autour de nous, si sa volonté nous enveloppe, ce qui nous arrive est un effet de cet amour;
nous sommes entourés de cet amour."
C'était le fondement extrêment simple de la doctrine du Père Vayssière.
Il avouait :
"L'autre jour, je me disais: pourquoi chercher la joie ou la tristesse, ceci ou cela? Tout ce
qui nous arrive ce sont des baisers de la bouche de Dieu. Pour tout ce qui nous arrive,
recevoir ce baiser de l'amour divin."
"Et ces baisers de l'amour divin, peuvent être non seulement brûlants, mais parfois ils
sont extrêmement douloureux, mortels même... Qu'importe! Puisque c'est l'amour... La
douleur vient de nous et non de la dureté de Celui qui nous afflige, car Lui, il est l'amour."
"Ainsi donc tout le progrès consiste dans l'acceptation de cette volonté du moment
présent; à croire non seulement d'une manière spéculative, mais à arriver à être pénétré de la
profonde conviction que ce moment présent n'est pas autre chose qu'un baiser de cette bouche
divine qui est l'amour. Et restons continuellement dans cet amour."
Oui disait-il, encore, nous autres dominicains, au fond, nous avons la doctrine de la
prémotion physique, de cette causalité continuelle qu'exerce Dieu en tant que cause première,
et nous en tant que cause seconde. Bien souvent pour nous, cela pour nous, ce ne sont là que
des paroles... Nous sommes intellectuellement thomistes, mais nous le sommes bien rarement
dans notre spiritualité..."
Qu'entendait-il par là?
Exactement la même chose. Il voulait dire que si nous étions véritablement thomistes, si
nous avions foi en cette causalité continuelle de Dieu en chaque chose, nous vivrions dans cet
amour divin, nous répondrions à cet amour divin qui nous entoure, nous ne nous perdrions
pas dans d'infimes détails, mais notre amour serait une continuelle réponse à l'amour.

III. Ses effets en nous:


 ne rien craindre :
"si ce baiser de la bouche divine nous est doux, remercions. S'il est douloureux, même
mortel, là encore, ne craignons pas, acceptons-le et remercions encore."
 Ne rien désirer: mais toujours tout accepter avec amour, être comme une cire
malléable et toujours prête à recevoir les motions divines.
 Se donner sans réserve à cette volonté. Quant il disait que cette volonté divine, ce
baiser de l'amour divin, pouvaient etre mortel, il ajoutait:
"Oui c'est vrai, en principe, la doctrine est facile: accepter à chaque moment la volonté
de Dieu; la suivre à chaque moment. Mais quel renoncement cela vous demande! C'est alors
qu'il faut avoir vraiment l'héroïsme du renoncement pour suivre dans sa vie, à chaque
moment, cette volonté divine. En réalité, nous sommes toujours en lutte avec les événements
avec les choses parce que nous désirons toujours que notre volonté se fasse. Cette
soumission, cette acceptation totale de la volonté de Dieu présuppose un renoncement, une
soumission totale de notre volonté à nous, une vraie pauvreté évangélique.
 La vie de pénitence
De ce qui précède on peut comprendre l'attitude de Père Vayssière en ce qui regarde la
vie de pénitence. Il parlait rarement de pénitence, plus rarement encore conseillait-il les
pénitences extraordinaires.
Il estimait qu'un religieux doit évidemment suivre la Règle, et s'y conformer pleinement,
mais il n'insistait que peu sur les pénitences extérieures. Il était pourtant lui-même très
pénitent; non point parce qu'il faisait des excès de pénitence corporelle, mais par sa vie
extrêmement régulière et par une réelle et totale soumission à la volonté de Dieu... et aussi
aux volontés de son frère Henri.
Je n'aurais garde, en effet, d'oublier le frère Henri. C'était un frère convers qui était à la
Grotte depuis plus longtemps que le père. Il s'occupait du Père Vayssière au point de vue
matériel. Pensait-il que le Père était malade ? Aussitôt, il le soignait de son mieux avec des
tisanes ; il lui préparait de petits menus fort peu mangeables. Et toujours le père Vayssière les
acceptait. Or, le frère Henri avait un grand scrupule, c'était son café aux carottes. Il vendait en
effet aux pélerins du café qu'il faisait lui-même avec un mélandge de carottes et de pois
chiches. Fallait-il dire à chaque pèlerin que c'était du café aux carottes et non du véritable
café ? C'était là son grand cas de conscience! Bien entendu, il offrait son café au Père et
toujours le Père Vayssière buvait le jus de carotte!
Telle était donc la pénitence du Père Vayssière: l'acceptation de la volonté divine à
chaque moment de la vie. Il lui arrivait certains hivers, de devoir rester bloqué par la neige
(quelque fois jusqu'à un mois durant) avec fort peu de réserves alimentaires, sans chauffage.
Tout cela constituait un ensemble de pénitences très réelles, mais lui disait :
« Ce n'est rien... La vraie pénitence, c'est celle de la soumission totale à chaque moment,
à la volonté divine, c'est ce renoncement qui parvient jusqu'à l'héroïsme. »
Et l'un de ces actes les plus héroïques, ce fut certainement pour lui l'acceptation de la
charge de Provincial.
On peut aisément imaginer ce que fut pour cet homme, ermite dans l'âme, après trente
années de vie vécue pour ainsi dire dans le désert, l'élection au provincialat ! Je sais combien
cela lui a été douloureux. Et bien, sans un mot, sans une plainte, il prit son baluchon et
descendit de la grotte. Il n'y remonta presque plus, car les huit dernières années de sa vie se
passèrent dans un continuel mouvement. Il en plaisantait lui-même, disant qu'il ne savait plus
jamais le matin de quel côté il devait sortir de son lit, parce que le mur était tantôt à droite,
tantôt à gauche. Tous les jours cela changeait.
Malgré ce grand mouvement d'existence, on ne l'entendit jamais proférer la moindre
plainte, le moindre murmure. Bien plus, jamais on ne lui vit le visage tant soit peu tendu. Il
garda toujours ce même sourire très bon, très limpide, que l'on avait accoutumé de lui voir
lorsqu'il vivait dans sa grotte.
Tel est donc le fondement de cette doctrine: abandon total à la volonté divine; ne rien
craindre, ne rien désirer, être toujours reconnaissant, être toujours attentif au moment présent.
Un autre forme d'héroïsme du Père, c'était son obéissance aux indications de la
Providence, non seulement les indications extérieures, mais aux indications intérieures, c'est-
à-dire à cette voix de la conscience qui est en quelque sorte l'agent de Dieu en nous.
Il me disait un jour :
"Lorsque quelqu'un se plaint de ne pas être assez mortifié, de ne pas pouvoir se mortifier,
je lui répons ceci: "il n'est pas question de mortification au point de vue quantité. Mais
lorsque vous entendez en vous: ne fais pas ceci, ne prends pas cela, alors chaque morceau de
sucre en plus peut devenir un reproche de Dieu.”
C'est là l'obéissance, non seulement aux événements, mais encore aux voix intérieures.

D Confiance absolue.
Puisque cette volonté divine est amour et qu'elle nous entoure continuellement, il va de
soi que nous devons avoir une confiance absolue.
« Confiance absolue »... il avait une manière toute particulière de prononcer ces mots.
Tout ce qu'il disait, toutes ses lettres, toutes ses instructions au confessionnal finissaient par
cet appel à la confiance en cet amour divin qui nous entoure.
"Puisque la volonté de Dieu est l'amour de Dieu, puisque nous somme entourés de cette
volonté divine à chaque moment de notre vie, cette volonté divine nous est manifestée par des
instruments. Et l'instrument principal de la volonté divine, pour nous dominicains, c'est saint
Dominique.
E. Dévotion à s. Dominique, instrument de la volonté divine.

a) avant tout, aimer s. Dominique


Le second aspect de la spiritualité du Père, c'est une immense dévotion à St Dominique,
issue, comme on peut s'en rendre compte, de cette dévotion fondamentale à la volonté divine
présente partout.
"Puisque nous sommes dominicains, que Dieu nous a voulu Dominicains, nous devons
être dominicains profondément; et si nous voulons répondre fidèlement à notre vocation et
être vraiment Dominicains, il faut nous imbiber de l'esprit de St Dominique en tâchant de le
reconnaître toujours plus et de l'aimer davantage. Si nous avons l'amour de St Dominique,
nous pouvons affirmer que St Dominique, lui, nous aime beaucoup plus que nous ne
l'aimons"
b) doctrine de la grâce capitale de saint Dominique
De là, découlait tout naturellement la très belle doctrine du père sur ce qu'il appelait la
"grâce capitale"des Fondateurs d'Ordre, et pour nous, en particulier, de s. Dominique.
« Saint Dominique a été chargé par Dieu de fonder une famille, un Ordre, qui va
subsister probablement – espérons-le – jusqu' à la fin du monde. Dominique a enfanté cet
Ordre, qui n'est pas une abstraction mais qui est formé par chacun de nous. Il nous a enfantés
par ses prières, ses souffrances, ses flagellations, sa vie extrêmement pénitente.”
Le père ajoutait alors:

"Pourquoi était-il un grand pénitent? Parce qu'il devait gagner, guider, inspirer par son
exemple non seulement les âmes qui l'entouraient mais toutes les âmes qui, jusqu'à la fin du
monde, entreraient dans cet Ordre et y feraient du bien”
C'était une grâce d'une certaine manière analogue à la grâce capitale de Notre-Seigneur.
Il avait un amour tout spécial pour St Dominique :
"Je reproche aux dominicains, disait-il parfois, de ne pas avoir assez d'amour pour St
Dominique. Il arrive que l'on aime plus saint Thomas que saint Dominique. On peut aimer
saint Thomas, car c'est un saint prodigieux et un grand dominicain au sens plein du mot; mais
mais nous manquons à St Dominique quand nous l'aimons moins parce que c'est lui qui a
conçu l'Ordre, et si saint Thomas est ce qu'il est, il le doit aussi en majeure partie à saint
Dominique. Car sans l'ordre de saint Dominique, point de saint Thomas et sans Dominique
point de saints dominicains."
Tel nous apparaît donc le second aspect de la spiritualité du Père Vayssière : une
soumission totale de l'esprit de St Dominique. Saint Dominique, en effet, nous a gagnés à
l'Ordre et à l'Eglise par ses prières et ses souffrances terrestres, et maintenant nous sommes,
en quelque sorte, entrés dans son auréole ; car la réussite de notre propre vocation élargit le
rayonnement de sa gloire. Il demeure notre Père au ciel, et si nous cherchons à réaliser ses
désirs, nous pouvons être assuré de son perpétuel appui.
F Dévotion à la Très Sainte Vierge et au Saint Rosaire
La dévotion qui domina pourtant toute sa vie, c'était la dévotion à la Très Sainte Vierge.
Le père Vayssière fut une âme profondément mariale.
Sa doctrine sur ce point était classique et très simple. La Très Sainte Vierge n'est pas
seulement Mère de Dieu, mais elle est Mère de grâce, notre mère à tous, car le Corps
Mystique n'est pas séparé de son Fils. Parce qu'elle l'a conçu et porté dans son sein, la Sainte
Vierge aimme son fils d'un amour immense et qui déborde sur l'Eglise. Or, qu'est-ce que
l'Eglise sinon chacun d'entre nous? Nous sommes ainsi tous placés dans la sphère de cet
amour maternel de la Ste Vierge. Elle a vaincu le mal, Elle a vaincu le démon. Nous pouvons
donc être libérés de toute crainte si nous allons à Elle comme à une Mère?
"Toute la vie spirituelle est là dedans, dans cette donation à l'infini Amour. Mais
n'oublions pas qu'elle se fait dans les bras de Marie, fleuve qui nous porte au Christ."
C'était là sa doctrine mariale, et l'on peut dire qu'elle remplissait sa vie. Il nous enseignait
à remplir de cette dévotion nos vies de religieux. Si, pendant un certains temps, nous en
faisons un réalité, la sainte Vierge, elle, fera dans nos âmes une réalité vivante de sa
maternité. Elle répondra,
« car elle est mère. Son rôle de mère est de nous donner la vie divine en échange de tout
ce qu'elle nous aide à sacrifier. C'est l'Esprit Saint lui-même qui a créé et préparé le coeur de
Marie et qui a creusé en lui des profondeurs ineffables. Il en a fait un coeur de Mère, et pas
d'une mère quelconque, mais la mère d'un Dieu, et c'est avec ce coeur fait pour un Dieu, avec
ces tendresses réservées à Dieu, que Marie aime l'humanité, que Marie aime chacune de nos
âmes. »
Rosaire.
De ces dévotions, à saint Dominique et à la sainte Vierge, découlait une troisième
dévotion qui elle, aussi remplit sa vie, mais d'une manière très mytérieuse : la dévotion au
Saint Rosaire.
Il disait beaucoup de rosaires, beaucoup. Je regrette maintenant d'avoir été discret, de
n'avoir pas insisté pour me faire expliquer avec plus de détails en quoi consistait sa dévotion
au Rosaire. Le connaissant bien et l'ayant vu très souvent prier, je pense que cette récitation
était quelque chose d'extrêmement simple. Il avait toujours un sourire très bon, et très
malicieux quand on lui parlait de sa méditation. Cela lui rappelait pourtant un souvenir ssez
pénible de son séjour au séminaire où l'on avait l'habitude de convoquer les jeunes
séminaristes devant le supérieur pour leur faire rendre compte de leur méditation :
"On prenait, disait-il, un air pieux, puis on disait: je me suis mis devant Dieu, et j'ai fait
le prélude, la composition du lieu, etc. Et la grande souffrance, c'était de trouver ce qu'il
devait dire au supérieur.”
Je ne pense pas qu'il faisait à proprement parler, en récitant son Rosaire, ce qu'on appelle
une méditation. Je crois plutôt que, pour cette âme si simple, toute pénétrée de la grâce
mariale de l'esprit de St Dominique, la récitation des Ave qui se succédaient devait être
comme une douce et monotone musique qui captait sa sensibilité, son imagination. C'était
comme un arrière-fond sur lequel se dessinait de plus en plus impérieusement la grandiose et
toute simple présence de Dieu.
Il aimait beaucoup le Nuage Nuage de l'inconnaissance et disait que dans aucun autre
livre il n'avait trouvé exprimé avec autant de simplicité et de vérité le sens de cette vie avec
Dieu.
G. Humilité.
Il s'humiliait beaucoup. Il disait souvent :
"je suis comme une bûche, jamais je n'ai aucune espèce de pensée, ni d'idée, ni rien du
tout. Pourquoi Dieu m'a-t-il fait Provincial? C'est uniquement pour ma grande confusion... et
je suis confus, profondément confus de ce qu'il a fait de moi"
Aussi, quand je fais le rapprochement de ce qu'il me disait sur ce simple regard de Dieu
et sur son incapacité totale à méditer, je ne puis voir en ses rosaires qu'un moyen qui l'aidait à
se placer dans une atmosphère intimement mariale et dominicaine et à rester ainsi là dans la
volonté de Dieu qu'il voyait en toutes choses.
A la Sainte-Baume, je le voyais souvent réciter son rosaire le soir, à la fin d'une de ces
journées passées au confessionnal et parfois si épuisantes. Il avait pour principe, en effet, de
donner à chacun tout le temps désiré en sorte qu'il lui arrivait de passer tout le jour dans ca
cellule assis, littéralement emprisonné par les personnes qui venaient pour demander
direction.
Après le souper seulemen, il sortait et se promenait pendant une heure ou deux en
récitant son rosaire.
Vers la fin de sa vie, il ne se contenta plus de cette récitation du soir. Depuis son éléction
au provincialat, il se levait parfois à 3. 30 ou à 4 heures et, avant la messe, il passait des
heures à dire son rosaire. C'est un secret qu'il a emporté avec lui. Je le répète, j'ai toujours
supposé que cette récitation devait être très simple. Je puis me tromper, car le secret d'une
âme sainte est connu de Dieu seul et de la Ste Vierge, et Dieu seul sait ce qui se passait entre
cette âme et lui.
Avec une discrétion admirable, il comprenait que sa dévotion au rosaire était une grâce
assez particulière et que d'autres âmes pouvaient ne pas être menées par le même chemin et il
s'interdisait d'imposer cette dévotion aux autres. Il parlait du rosaire, il le conseillait, mais s'il
voyait que des âmes étaient appelées à une autre voie spirituelle que celle-ci, il n'insistait
jamais.
Tout dans sa spiritualité se ramenait à ces points essentiels : la volonté de Dieu, la Sainte
Vierge, saint Dominique, le rosaire.

VII La Sainte Messe

Je ne puis passer sous silence le souvenir des Messes du Père Vayssière. Ses messes
étaient vraiment inoubliables. Plus les années avançaient, plus elles devenaient longues. S'il
devait dire la messe conventuelle pour une communauté, il était attentif à ne pas dépasser
l'horaire. Mais à la Sainte-Baume où il était chez lui, la messe durait, durait.
La dernière année, il s'était fait, à la maison de retraite de Nazareth, à la Sainte-Baume où
il résidait en été, un tout petit oratoire et là, la messe durait plus longtemps encore. Il la disait
avec une grande simplicité, le visage presque toujours baigné de larmes, et éclairé d'un
sourire admirable. Je n'oublierai jamais son expression au moment de l'élévation et des
memento!
III Quelques confidences.
Je ne pense pas qu'il soit indiscret de rappeler ici quelques confidences du père.

A. Sécheresse.
Parlant de sa sécheresse intérieure, il disait, sauf de rares exceptions (voix entendues aux
grandes heures de la vocation, par exemple), il n'avait jamais connu de grâces sensibles :
« Je suis, répétait-il souvent, comme une bûche, je ne comprends rien, je n'ai pas de
pensées, je n'ai pas d'imagination, je suis comme devant un vide... et je me demande pourquoi
je suis là. »
B. Foi pure
Il aimait aussi à parler de la foi pure :
"Ce que Dieu veut de nous, c'est la foi pure, toute simple, qui embrasse d'un regard toute
notre vie."
Il eut bien des difficultés à surmonter au cours de son existence. Mais de même qu'à la
Sainte-Baume il avait accepté en souriant le café de pois chiches du frère Henri, de même il
accepta sans se plaindre, et sans jamais se dérober à la discipline de la Règle, le lourde
épreuve d'une santé depuis longtemps abimée.
C. Epreuve du provincialat
L'exercice de l'autorité lui était également très dur. Que de fois l'ai-je entendu dire :
« comme c'est bon d'obéir... et quand on aime quelque chose, le Bon Dieu nous fait faire
juste le contraire, mais il le fait pour que nous arrivions à l'aimer encore plus. Dieu soit béni!"
D. Epreuve intime. Eternité.
Mais l'épreuve la plus douloureuse de sa vie était d'un ordre tout à fait intérieur, elle
touchait à la foi. Cette épreuve l'avait poursuivi pendant de longues années de sa vie et lui
était présente jusqu'à ses dernières années.
« Je n'ai pas la foi, c'est-à-dire que je peux pas dire que j'ai la foi.... Evidemment, je l'ai,
mais pas dans mon salut. Je crois à la promesse de la vie éternelle. Lorsque je parle aux
autres, je suis convaincu de ce que je leur dis, que c'est cela... Mais pour moi, je n'y crois pas.
Je ne crois pas à la vie éternelle pour moi. Lorsque j'y pense, j'ai devant moi un immense
abîme noir."
Telle était la souffrance intime de cette grande âme que Dieu purifiait en lui permettant
d'avancer dans la vie d'amour, sans appui sensible. Mais pour mon compte, je crois pouvoir
affirmer que je n'ai jamais douté de la pureté de la foi de ce vénérable et grand religieux.
E. Grâces extraordinaires
Il connut cependant quelques grâces extraordinaires, mais il n'y attribuait aucune
importance, disant :
« Ce qui compte, c'est d'aimer Dieu la foi pure, et la grâce sanctifiante... le reste, Dieu le
donne, je ne sais pourquoi: ce n'est pas pour nous, c'est pour les autres."
H. Les appels
On sait que par deux fois il entendit des voix l'appeler, d'abord à la vie sacerdotale, puis à
la vie dominicaine. Il devait être également le témoin d'une grâce extraordinaire qu'il m'a
racontée, non pour se mettre en évidence, mais à propos de la foi. Il me parlait un jour des
épreuves auxquelles notre foi est soumise et me dit ceci :
"en réalité, la foi est une chose mystérieuse. Le miracle, les grâces extraordinaires ne
l'augmentent pas forcément. Je comprends la parabole du mauvais riche et de Lazare, lorsque
le mauvais riche demande à Lazare de descendre sur la terre pour avertir ses frères. Abraham
lui dit: "n'ont-ils pas Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent et s'ils ne croient pas en eux,
quand même Lazare irait, ils ne le croiraient pas non plus." »
Il ajouta alors :
I. L'hostie
« Oui, dit-il, ces grâces extraordinaires sont très bizarres, elles n'augmentent pas la foi.
J'ai été témoin d'une de ces grâces, même d'un miracle. Un jour que je donnais la Ste
Communionau au Plan d'Aups, à plusieurs personnes, je fis tomber une hostie. J'eus un
moment d'effroi. Mais cette hostie, au lieu de tomber à terre, fit un tour sur elle-même et alla
se poser sur la langue de l'enfant à qui je la destinais. C'est extraordinaire, cela ne m'a pas
impressionné.”

Rien évidemment ne pouvait impressionner son âme toute pénétrée par la vérité de la foi,
et par la foi dans la possibilité du miracle.
J. Secours matériel
Dans les choses matérielles, il fut souvent aidé de façon extraordinaire. Accablé de
charges et dépourvu de ressources, il recevait cependant toujours à temps ce dont il avait
besoin. Souvent il me disait : « je ne sais pas comment cet argent me vient . ».
Une fois il évoqua pour moi le souvenir d'une de ces interventions providentielles :
« Dernièrement, il me fallait vingt deux mille francs pour le noviciat de St Maximin et je
n'avais rien! Il y a deux jours, une dame arrive et me donne trois mille francs. J'étais très
content, mais qu'est-ce que trois mille francs lorsqu'il m'en faut vingt deux mille? Et hier, une
autre dame m'apportait dix neuf mille francs. J'avais ainsi ce qu'il me fallait. »
Je suis porté à croire que ce genre de choses lui arrivaient fréquemment. Ce qui est
certain, c'est que, pendant son provincialat, la Province se tira toujours d'affaire au point de
vue des finances. Et cependant, peu d'hommes furent moins aptes que lui à sa lancer dans des
combinaisons financières.
Jamais il n'entreprenait rien, jamais il ne décidait une affaire sans être convaincu que
c'était bien la volonté de Dieu. D'où lui venait une telle conviction? C'est un mystère que son
âme a emporté avec elle. Evidemment il priait, mais je crois aussi qu'il prenait en
considération tous les mouvements intérieur de son âme ainsi que les événements. Et quand il
y avait une sorte de coïncidence dans toutes ces indications, il y voyait là la volonté de Dieu.
K. Dévotion à s. Marie-Madeleine
Je voudrais encore rappeler sa grande dévotion pour Ste Marie-Madeleine Souvent, il
parlait de sa vocation magdaléenne et de la grâce magdaléenne. C'était selon lui une grâce
d'amour et de bienveillance. Il en était lui-même tout imprégné.
Il arrivait qu'on le questionnât :
« Sainte Marie-Madeleine est-elle vraiment venue à la Ste Baume ? Y a-t-elle vraiment
habité? »
Et lui de répondre, avec une légère pointe de malice :
« Je ne suis pas un historien, et je ne sais pas si elle y a venue, mais ce que je sais pour
sûr, c'est qu'elle y est, car une grâce d'amour, une grâce magdaléenne est incontestablement
attachée à ces lieux. »
L. Amour pour l'oeuvre de Béthanie

C'est cette grâce, c'est cet amour dont son âme était pleine qui lui ont fait tellement aimer
Béthanie. Il s'est inlassablement dévoué à cette oeuvre et ont peut dire qu'il en a été le
rénovateur, car c'est lui qui a donné à Béthanie son grand élan. Il avait en effet un amour
infini pour les âmes déchues qui revenaient à l'amour divin.

M. Amour pour sainte Thérèse de Lisieux.


Il aimait beaucoup sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, trouvant que sa spiritualité était
profondément dominicaine. Il reprochait, quelque fois aux dominicains de ne pas croire assez
pratiquement, comme nous l'avons dit, à la doctrine qu'ils enseignaient, de ne pas croire à la
prémonition physique. Or, ste Thérèse de Lisieux, elle, y croyait éperdûment et le père
Vayssière voyait dans la doctrine thérésienne de l'abandon à l'amour miséricordieux une
application spirituelle et pratique de notre belle doctrine classique.
Il aurait été bien curieux de savoir si cette âme avait de la dévotion pour le rosaire.
Plusieurs fois je l'entendis poser cette question.
Le livre spirituel qu'il relisait et conseillait aux autres de lire c'était L’esprit de la Bse
Thérèse de l’Enfant-Jésus. Au fond, expliquait-il, la doctrine de s. Thomas se retrouve dans
ce livre.

IV. Ses vertus.


De tempérament fougeux et même violent, il savait se maîtriser. Il était très bienveillant
et charitable. Dans sa charité profonde il s'oubliait complètement pour les autres sans jamais
faire un retour sur lui-même. Fatigué, dévoré, il demeurait toujours à la disposition de
chacun... même le soir alors que son âme éprise de silence aurait tant aimé un peu de solitude.
Cette charité n'avait cependant rien de douceureux. Bien au contraire, quand il le fallait,
le père savait être ferme. Il aimait les âmes passionnément.
« Oh, disait-il, il y a des âmes qui sont très ennuyeuses, mais ce sont des âmes…. »
Le père Vayssière possédait le sens de la magnanimité en sorte que ce qu'il faisait, il le
faisait en grand. Il était large et n'aimait pas les mesquineries.
Il aimait et savait se mettre à la portée de chacun. Sa compréhension de tous les cas
particuliers qu'on lui soumettait était profonde. Il savait écouter les âmes. Il fut le directeur
par excellence. « Si vous ne voyez pas, ne dites rien…. »
Mais lui il voyait... Il voyait très certainement ce qui manquait à l’âme et ce qu'attendait
d'elle Notre-Seigneur.
Ayant reçu en partage les dons de Conseil et de Science, il possédait une connaissance
très exacte des choses et de leurs rapports avec Dieu.
Il avait beaucoup d'obéissance à l'Ordre et aux supérieurs. Sa dévotion profonde pour s.
Dominique, il l'avait reportée sur le Maître général qui, pour lui, représentait saint
Dominique.
« La personnalité du Maître Général est secondaire, répétait-il, ce qui est important, c’est
qu’il est le représentant de St Dominique. S’il est général, c’est que Dieu l’a voulu ainsi. »
Il eut toujours une parfaite déférence envers ses supérieurs.
Enfin pour compléter cette esquisse pscychologique, je voudrais rappeler le don qu'il
avait d'être si agréable, gai, ce que saint Thomas appelle la vertu d'eutrapélie.
Les récréations étaient pénibles pour lui, car il était sourd. Cela ne l'empêchait pas d'être
agréable. Sans doute ne pouvait-il pas suivre très bien les conversations, mais il allait de l'un
à l'autre avec un sourire exquis et n'oubliait personne. Estimant que les récréations doivent
être une détente et un repos, il n'y abordait jamais de questions pénibles ou astreignantes. Et
quand il était présent, on ne sentait aucune contrainte, et l'on trouvait toujours du réconfort.
Me dernière entrevue.
La dernière fois que je le vis, c'était au couvent de Marseille et il venait d'avoir un
accident. Il était assis dans son fauteil et était très pâle.Il me semblait être d'un blanc radieux.
Comme je sortais, il me dit : « Regardez cette porte ». Le bas de la porte était en effet
défoncé. Il m'expliqua : « Ce matin, je me suis levé, je suis tombé, j'ai perdu connaissance.
Quand je suis revenu à moi, j’étais par terre. Je vis la porte défoncée, et ma tête était dedans...
mais je n’avais rien, aucune égratignure. »
Ce jour-là, il me parla longuement de la Province, de ses anxiétés, car la guerre était
toute proche. A une question que je lui posais sur sa santé, il me répondit de façon
prophétique : « Au fond, je vais assez bien. Le docteur trouve que je suis malade, mais je dois
dire d’abord que je suis très bien traité par la Ste Vierge dans mes maladies. Quand on me fait
une opération, la Sainte Vierge arrange si bien les choses que je n’ai jamais eu à en souffrir,
mais je sais que je vivrai jusqu’à la fin de mon Provincialat. »
Ce fut la dernière confidence que je reçus de lui. Sa prédiction devait se réaliser d'une
manière absolue puisque le père Vayssière est mort le dernier jour de son provincialat alors
qu'on était aux premières vêpres de Notre-Dame des Sept-Douleurs.
C'est ainsi que le père Vayssière demeure dans mon souvenir. C'est ainsi que je me le
rappelle alors qu'il passait dans notre province, faisant le bien par le seul rayonnement de sa
foi et de sa charité. Beaucoup d'âmes qu'il a dirigées et pour lesquelles il été un instrument de
la grâce vivent encore aujourd'hui de son enseignement si simple et si puissant.

A.-C. Rzewuski, op
ADT, Fonds Vayss., dossier 36, articles, Philippon
Marie-Michel Philippon, op, le Très Révérend père Provincial », dans Vie dominicaine
(oct. 1940), pp. 2-8 .

Très Révérend père Provincial

Avec le T.R.P. Vayssière vient de disparaître l'âme d'un saint. Tous les dominicains de
France ont tenu à manifester à la province de Toulouse, à l'occasion de sa mort, à quel point
ils avaient su apprécier son grand esprit surnaturel et son inépuisable bonté.

La vocation dominicaine

Né le 29 octbre 1864 dans une petit village du Lot à Saint-Céré, après la mort de son père
et de sa mère, il entra à 15 ans au petit séminaire de Monfaucon, puis ses études secondaires
terminées, au grand séminaire de Cahors. Ses condisciples se souviennent encore de son
intelligence admirablement lucide et intuitive. Il fut un très brillant élève, presque toujours en
tête de son cours. Dès cette époque son âme se sentait attirée vers cette grande piété mariale
et contemplative qui devait plus tard devenir l'un des traits caractéristiques de sa vie
spirituelle. Il aimait avec passion le sanctuaire de Rocamadour où il rêvait de devenir
"chapelain de la Vierge". Dieu l'exauça à sa manière divine: au-delà de ses espérances
d'enfant tandis qu'il priait s. dominique, venu autrefois en pèlerinage en ce sanctuaire de
Marie, le jeune séminariste se sentit impérieusement appelé vers le vocation
dominicaine. Il entra à Toulouse, prit l'habit religieux la veille de la fête de s. dominique en
1887, et fit profession dans la même ville un an après. Le père Guillerain enseignait alors
avec éclat la théologie à l'institut catholique de Toulouse. Le jeune profès se mit avec ardeur
à l'étude de s. Thomas. De solennelles et subtiles disputes théologiques mit en évidence ses
remarquables aptitudes intellectuelles. Il brillait.
Dieu le réservait pour une autre vocation. Tombé malade et incapable de poursuivre ses
études, il faut envoyé au cours matériel alors à Saint-Maximin. Ordonné prêtre à fréjus, et
donné comme sous-maître au père Colchen, une amitié indissoluble les unit pour toujours.
Puis le père fut assigné successivement dans les couvents de Marseille et de Biarritz. Ces
trois ou quatre premières années de monastère lui révélèrent sa vocation de directeur d'âmes,
qui sera la grâce essentielle de son action apostolique.

la vocation magdalénne

De nouveau la maladie l'anéantit; tout effort intellectuel devint impossible, il lui fallait
un repos absolu. On l'envoya à la Sainte-Baume. C'est là que Dieu l'attendait. Le provisoire
devint définitif. Au cours de quelques mois les supérieurs le désignaient comme gardien de
la grotte. Cette nouvelle lui causa d'abord une douloureuse surprise: "Je me suis fait
dominicain pour prêcher!" Il ne prêchera pas aux grandes foules comme ses frères mais Dieu
a ses desseins: il sauvera une multitudes d'âmes et les élèvera à l'union divine par le
rayonnement de sa prière et la force de son exemple. Plus tard, il dira avec humour: "Je suis
un chien muet"!
La vie solitaire et purement contemplative est un sommet d'humanité: pour vivre seul, il
faut être un être tout divin ou une bête sauvage :" aut bestia, aut Deus". Un jour le père se se
sentit torturé par le désir ardent, irrésistible, de retrouver des visages d'hommes et de femmes.
La solitude absolue lui semblait une mort. Il prit sa canne et se mit en route vers l'hôtellerie,
où l'appelaient des voix humaines joyeuses. Intérieurement une autre voix lui reprochait
d'aller mendier à des conversations une pauvre petite goutte de joie passagère. Dangereuse
tentation! Le père le sentit. Arrivé au croisement, il laissa le chemin de l'hôtellerie, pour
gravir résolument le sentier de la montagne, vers les sommets. Que de fois, en confidence, le
père Vayssière nous a raconté cet épisode crucial de sa vocation Magdaléenne! Il y a dans la
vie des saints des heures décisives où, dans un seul acte, ils jouent leur destinée.
Le père prit la résolution de ne garder que les visites nécessaires, de supprimer les visites
d'agrément. Cet acte héroïque de renoncement le fixa dans sa vocation contemplative: toute
sa vie désormais ne sera plus qu'une adhésion de plus en plus parfaite à la volonté divine. Le
père Vayssière fut par excellence l'homme de la volonté de Dieu. 32 ans durant, (1901-1932)
il vivra à la Sainte-Baume, dont Béthanie n'est qu'une extension, et les six années qu'il
passera comme aumônier de ce monastère ne firent que lui faire prendre mieux conscience
des miséricordes et des préférences divines sur les êtres tombés, comme la pécheresse de
Magdala.
Les longs mois d'hiver étaient remplis de lecture assidue et de prière contemplative. Les
mois d'été ramenaient à la grotte les caravanes joyeuses de marseillais et de provençaux; il
fallait voir avec quel sourire le père les accueillait tous, indulgents à ces touristes-pèlerins
qu'il essayait de faire participer aux grâces contemplatives propres à la Sainte- Baume. Je le
revois encore un jour de sainte Madeleine, organisant pendant les heures qui précédaient la
grand'messe, la récitation méditée et chantée du Rosaire pour tenir en silence et en prière la
foule plus particulièrement bruyante de ce jour de fête; l'âme apostolique du dominicain
s'épanouissait alors en plénitude. Les pèlerinages préparés par la correspondance d'hiver,
amenaient continuellement des groupes paroissiaux, des institutions, des familles, des
patronages, parfois de véritable masses de pèlerins. Jamais le père ne les aurait laissés repartir
sans un mot de circonstance et une cérémonie religieuse. Il avait conscience que la Sainte-
Baume est le centre spirituel de la Provence, un lieu de prière et de bénédiction. Il s'ingéniait
à multiplier au maximum pour les âmes les possibilités de bénéficier aux grâces de la célèbre
grotte de pénitence. Il fit bâtir l'escalier monumental qui y conduit; et en 1914, il lança en une
cérémonie retentissante, l'inauguration du calvaire. Dès qu'il s'agissait de la Sainte Baume, le
père Vayssière voyait grand. Il projetait un chemin de la croix, jalonnant la forêt; dont chaque
pays devait offrir une station, voulant pour cette oeuvre grandiose une participation du monde
entier. Le groupe artistique de la Pietà qui domine la splendide terrasse de la grotte fut un
nouveau pas vers la réalisation de ce projet. Enfin pour permettre à beaucoup d'âmes de
savourer à loisir les grâces de recueillement et de prière, si manifestement caractéristiques de
la Sainte-Baume, il bâtit et organisa une maison de retraite qui, sous son impulsion, les
premières années, fonctionna parfaitement.
Ainsi, la Providence, toujours si bonne envers ses serviteurs fidèles, avait su trouver dans
les secrets de sa miséricorde la formule idéale permettant au père Vayssière de réaliser d'une
manière éminente le sens de sa vocation dominicaine; le rayonnement apostolique d'une âme
de contemplatif.

Le Provincial
En 1932 le choix de ses frères se porta sur lui pour le désigner comme provincial de
Toulouse. Il accepta. Le lendemain du chapitre d'élection, il fut de passage avec un de ses
religieux dans la forêt de la Sainte-Baume; son coeur l'y attachait encore, son âme de
provincial en était absolument détachée. Déjà, il était entré sans réserve dans cette nouvelle
phase de la volonté divine sur lui, avec la conscience de sa misère et de son néant qui
l'accompagnait toujours, mais aussi avec une confiance filiale en la Providence et en
maternelle protection de Marie. Les longues années silencieuses de sagesse contemplative,
l'avaient préparé à s'adapter en toute circonstance au plan de Dieu. Les hommes d'étude et les
hommes d'action étaient émerveillé de son admirable facilité à entrer dans leurs vues, par une
compréhension supérieure de leur tâche et des nécessités de l'apostolat moderne. Quand on
lui présentait un projet qui fût dans la ligne de Dieu on trouvait en lui un appui très sûr.
D'autres reçoivent en partage le charisme de chef qui conduit les hommes avec décision et
autorité. Lui avait gardé surtout un coeur de père d'une inépuisale bonté. On comptait plus sur
sa prière que sur son action. Mais quelle efficacité souveraine dans la supplication auprès de
Dieu de cette âme de saint! Les problèmes de gouvernement et d'administration en apparence
les plus insolubles, les situations de fait qui paraissaient des obstacles insurmontables,
soudain faisaieent place à une solution divine et libératrice qui remetttait les hommes et les
choses en leur place d'une manière souvent inattendue et imprévisible. Restauration du
Couvent de Toulouse, reprise d'une vigoureuse action apostolique du couvent de Bordeaux,
développement considérable du rayonnement intellectuel et spirituel de Saint-Maximin,
fondation de Saint-Paul au Brésil, fondation de Nice, impulsion décivive donnée à toute la
vie dominicaine du midi par une action incessante et personnelle sur les monastères
contemplatifs et les tiers-ordres réguliers ou séculiers: voilà pour ne marquer que l'esssentiel,
le bilan d'un provincialat que la confiance de ses frères tint à renouveler une seconde fois et
que le Révérendissime Père, Maître Général de l'Ordre encourageait avec une si affectueuse
et si parternelle bonté.

Une âme de saint

Toutes les personnes qui avaient la grâce d'approcher cet homme de Dieu sentaient qu'il
fallait chercher au-delà des apparences le secret de cette âme de saint. Le père Vayssière fut
l'une des figures religieuses les plus grandes et les plus simples de l'Ordre de saint
Dominique. Sa lettre-encyclique à l 'occasion du centenaire de la canonisation de Saint
Dominique, nous révéla avec quelle extraordinaire profondeur de pensée il avait saisit dans le
plan de Dieu le secret de notre prédestination personnelle en saint Dominique. Il voulu
reprendre comme devise de son gouvernement de provincial le mot d'ordre du vénéré Père
Cormier: instaurare omnia in Dominico: tout restaurer en s. Dominique. On n'en finirait pas à
vouloir retraçer les traits de sa physionomie dominicaine et à recueillir les détails de son
amour pour l'Ordre et pour nos saints, envers s. Catherine de Sienne en particulier, en qui il
aimait à découvrir la fille de l'Eglise, l'épouse du christ, la mère des âmes. Un simple fait qui
en dit long: pendant près de 20 ans, après les expulsions, ne pouvant porter ostensiblement au
grand jour l'habit de saint Dominique, fidèlement chaque soir, il s'en revêtait pour s'endormir.
Quel culte aussi pour nos dévotions dominicaines! Ici encore, un seul exemple: chaque
matin, les dernières anées de sa vie, il se levait avant la communauté pour réciter en entier un
Rosaire, réservant un second pour les autres heures de la journée.
Son action surnaturelle s'étendait à la France. Toute la France où des âmes nombreuses
vivaient de ses conseils de direction qu'une correspondance de plus de 40 ans alimentait sans
cesse. Ses principes de vie spirituelle se réduisaient à quelques maximes simples mais
décisives visant à conduire les âmes vers Dieu par le détachement total, l'acceptation aimée
de notre misère, la confiance la plus filiale que l'on puisse imaginer envers la T. S. Vierge
"notre mère du Ciel", un abandon sans réserve à la Providence. Il fut dans la direction des
âmes l'inlassable apôtre de l'amour miséricordieux, dont la pécheresse de Madgala demeure
dans l'Eglise l'exemple le plus éclairant. Il se défiat des mortifications excessives, n'aimait pas
les orgueilleux qu'il démasquait en des formules lapidaires. Par-desssus tout il voulait vivre
dans un abandon filial et aimant à la volonté divine: "C'est ce qu'il fait que j'aime", aimait-il
redire, reprenant à son compte les paroles de s. Thérèse de Lisieux, l'une de ses saintes
préférées. Combien d'âmes, dans le secret d'une vie pardonnée par la miséricorde divine,
gardent le souvenir de sa bienfaisante bonté.
Au retour de la guerre, quand les uns après les autres, chacun de ses fils venait le voir,
son visage s'illuminait: la vraie joie du père qui retrouve ses enfants après le danger. Il était
radieux. Des larmes de joie nous accueillaient. Combien lui devront la vie sauve. Il avait tant
prié pour chacun de nous! On le retrouvait dans son lit d'hôpital, la figure rayonnante, encore
plus près de Dieu. Ses paroles communiquaient quelque chose de la vie éternelle. C'étaient les
mêmes sentiments familiers à son âme - que l'on connaissait bien - mais à une lumière encore
plus haute, avec plus de simplicité. Dans cette vie finissante tout était unifié. Il s'intéressait au
moindre détail de la vie de tous, réglait avec lucidité les questions courantes, puis à l'occasion
d'un rien, son âme était emportée vers Dieu en qui il vivait. - "Ce que le Bon Dieu voudra." -
"Il faut se laisser aimer" - "S'abandonner sans réserve à l'amour". - "La sainteté, c'est l'amour.
Et le jour même de sa mort: "le Bon Dieu m'a toujours traité ainsi avec miséricorde... toute
ma vie est miséricorde... Miséricorde ma vocation magdaléenne." "La Sainte Vierge est
toujours devant moi". J'eus l'occasion de l'approcher à plusieurs reprises, les derniers jours
qui précédèrent sa mort: c'était le parfait abandon à la volonté divine, une totale
transformation dans le Christ: "Je ne désire ni la vie, ni la mort... Je suis dans la paix".
Il avait demandé à Dieu de lui conserver la vie jusqu'au retour de ses religieux. Le 14
septembre, à l'heure même où la grande communauté de Saint-Maximin tenait son premier
chapitre d'après guerre, après le chant des vêpres de Notre-Dame des sept Douleurs, comme il
l'avait annoncé ce jour-là, son âme quitta la terre pour s'en aller chez Dieu. Sur son carnet
intime, à la suite de longues pages laissées en blanc sans notes, le Père avait écrit, à la date du
14 septembre, quelques instants avant sa mort, cette phrase qu'il venait de lire dans s. Thérèse
de l'Enfant-Jésus, son livre de chevet: "Ma gloire à moi sera le reflet qui jaillira du front de
ma Mère." Testament suprême d'une âme toute mariale!
Et maintenant son regard contemplatif est fixé sur Celle dont il aimait ici-bas chanter
dans son coeur le mystère éternel d'une maternité de grâce qui enfante toutes les âmes dans le
Christ à la vie de Dieu. C'est là, dans la lumière et dans l'amour, que nous devons aller le
chercher le visage irradié de gloire devant la face de Dieu, tandis que son coeur de père veille
sur chacun de nous dans une prière continuelle devenue son office d'éternité.

fr. Marie-Michel Philippon, des ff prêcheurs.


ADT, fonds Vayss., dossier 36, article, Marie-Cécile
Marie-Cécile, “Le T.R.P. Vayssière”, dans Miséricordia, pp. .

Le T.R.P. Vayssière, 14 septembre 1940

Parmi les plus grandes grâces que la providence réserva à Béthanie de la Sainte-Baume,
il faut compter la présence et l'assistance pendant 38 ans de notre saint père Vayssière. En
1901 le jeune religieux était nommé chapelian de la grotte de Sainte Marie-Madeleine. Une
faiblesse cérébrale avait coupé court tous ses beaux rêves d'apôtre. Il voulait être prêcheur,
Dieu allait le faire ermite. Il lui fallait pposer la mort de la croix sur ses aspirations les plus
saintes. Grande grâce que cet état d'impuissance auquel il devait d'être gardien du sainctuaire
de l'amour pénitent. La nature frémit d'abord à l'idée de s'ensevelir vivant dans cette solitude.
Seul avec un frère convers, dans une petite maison perchée comme un nid d'aigle au flance de
la montagne, soumis à la rigueur des saisons qui s'ajoutait encore à la pénitence et à la
pauvreté religieuse, face à un horizon grandiose et dénudé, prêtre de la vaste grotte sombre où
l'eau s'égoutte au long du roc avec un bruit de larmes, dans le silence où ne parvient nul écho
des humains, c'était la vie austère des sommets dans la grâce magdaléenne.
Au début le père fut souvent tenté de descendre dans la plaine, chez les fermiers, à
l'hôtellerie, chercher un peu de compagnie. Mais un jour en traversant la forêt, au carrefour
des chemins, il s'arrêta net et remonta vers sa grotte. Dieu l'attendait dnas la solitude, il fut
fidèle à s'y rendre. “Et depuis lors, disait-il, je ne me suis jamais ennuyé”. Cela dura 31 ans.
L'esprit de la Sainte-Baume qu'il épousait dans l'abnégation de son être devait faire de lui un
contemplatif, et de ce contemplatif un apôtre. Le Seigneur lui rendait au centuple cet
apostolat qu'il croyait avoir sacrifié. Sans parler des âmes qui accouraient à lui de toute part,
des humbles villages de la région comme des plus riches demeures de Marseille et
n'hésitaient jamais à faire l'ascension de sa montagne, il commença bientôt son ministère
auprès de celle de Béthanie.
Entre la grotte et le petit couvent que l'on apercevait au bout de la plaine, des liens
spirituels se nouèrent qui ne devaient plus se dénouer. Il était naturel que le prêtre de Marie-
Madeleine devint le prêtre de Béthanie. Lorsque les béthaniennes montaient en pélerinage
auprès de leur sainte patronne, elles trouvaient là-haut le père qui était comme l'âme de la
Sainte-Baume, et il les aidait à puiser cette grâce de contrition et d'aour qui est l'essence de
leur vocation. Elles asssistaient à sa messe et, en le voyant arriver à l'autel avec une majesté
sacerdotale, diaphane, les yeux clos sous son capuce, ou, au moment de la communion
transfiguré par l'hostie elles entraient dans sa contemplation eucharistique. Au confessional,
elles le trouvaient absolvant avec tant de force et d'onction au lieu même où Madeleine a
pleuré ses péchés. Mais le plus souvent, c'était lui qui se rendait au couvent dont il était le
confesseur ordinaire. Par tous les temps, neiges et orages, il descendait de son nid d'aigle,
parcourait les sentiers sauvages de la forêt, et arrivait à Béthanie. Il gagnait directement le
confessional, sans jamais vouloir s'arrêter au parloir pour prendre haleine et s'y reposer un
peu. Les âmes l'attendaient et il se hâtait de leur porter le Christ. Au ciel seulement nous
verrons s'épanouir les semences profondes qu'il sema en celles qu'il aimait comme ses
enfants, soeurs et petites soeurs de Béthanie.
Pour comprendre “les montagnes de bien” selon le mot du père Boulanger qu'il put
réaliser auprès d'elles, il nous faut jeter un regard sur lui-même. Sa vue seule inspirait le
respect de la sainteté. Son attitude exprimait à la fois la dignité du religieux et l'humilité de
l'homme. Un parfum de pénitence et de pureté s'exalait de sa vie mortifiée. Son regard clair
évoquait la candeur et l'altitude des cimes vierges que le soleil seul touche de ses rayons. Son
front rayonnait calmement cette pix qui surpasse tout sentiment. Et cependant, rien de froid
mais au contraire, bonté qui donnait envie de pleurer, une bonté qui découlait vraiment de la
paternité divine. Malgré son expression habituelle de gravité, il était d'une siimplicité
merveilleuse, et le fin sourire parfois malicieux qui illuminait son visage avait le don d'ouvrir
les coeurs. Chaque âme se sentait aimée de lui, traitée avec un respect infini, orientée dans le
sens de sa vocation éternelle. De la physionomie spirituelle de chacune d'elles, alors même
qu'il ne l'avait vue qu'une fois, il se souvenait. Nulle acception de personne. S'il marquait une
prédilection, une condescendance, plus délicate, c'était comme son maître Jésus, pour les
humbes, les petites gens qui ne font pas de bruit sur la terre, mes petites soeurs qui passent
inaperçues. Rien d'humain ne l'influençait: éducation, don de la nature, il dépassait tout cela
pour entrer au fond de l'être, et ne tenait compte de ces facteurs temporels que pour les faire
servir au bien spirituel avec une prudence inspirée par l'Esprit-Saint.
Quelle force aussi, quel éclair de sévérité sur son visage, lorsqu'il se trouvait devant le
péché à écarter, le vice à déraciner, l'injustice à redresser, l'honneur de Dieu à défendre. Il
n'hésitait pas alors à trancher au vif, à ouvrir les plaies salutaires, quitte à les panser ensuite
avec la miséricorde du bon samaritain. Que ses conseils étaient précieux. Il remplaçait toute
chose sur le plan d'éternité, de telle sorte qu'avec lui tout se simplifiait et prenait sa vraie
valeur. Avec l'oeil pur du don de sagesse il semblait regarder notre vie passagère du haut de
sa contemplation, comme du haut de sa montagen de Sainte-Baume, l'aride vallée pleine
d'ombre.
Un des signes distinctifs de son apostolat était son humilité, sa joie de s'effacer devant
l'action divine ou même devant l'action d'autrui. “C'est Dieu qui fait tout”. Il ne se comptait
pour rien, parvenu à ce degré de transparence où nulle ombre personnelle ne met obstacle à la
lumière d'en-haut. C'est pourquoi les âmes étaient si à l'aise avec lui, en lui parlant, elles se
sentaient seules avec Dieu, elles ne s'arrêtaient jamais à lui-même, mais le traversaient pour
rencontrer leur Seigneur. “Il faut demander Die à Dieu” avait-il coutume de dire.
Le père Vayssière n'était si parfaitement l'homme des âmes que parce qu'il était l'homme
de Dieu. Homme de Dieu, de Dieu seul dans toute la force du terme, c'est-à-dire,
foncièrement et purement théologal. Pour découvrir en toutes choses le tout de Dieu, il
commençait par découvrir le rien de tout. Quel entier détachement des créatures. Un jour, à
Béthanie, on vint lui apprendre la mort d'une tante qui l'avait élevé. La mère prieure allait lui
offrir ses condoléances, lorsqu'elle le trouva dans le cloître, rayonnant de joie surnaturelle: “le
dernier lien qui m'attachait à la terre est brisé”, lui dit-il, alors maintenant toute ma famille est
au Ciel”. Et son regard se tournait vers la Patrie.
La spiritualité du père Vayssière on pourrait la résumer d'un mot: “le culte de la volonté
divine”. Etreindre Dieu à tout instant, en faisant sa volonté, puisque la volonté de Dieu, c'est
Dieu. Il aurait été jusqu'au bout du monde pour l'accomplir. Et pourtant son respect amoureux
de la sagesse divine lui inspirait une discrétion admirable à l'égard des projets les plus
saintement désirés tant que le bon plaisir de son père du Ciel ne s'était pas manifesté. Ainsi
attendait-il pendant 20 ans l'heure de Dieu pour fonder une maison de retraite Nazareth à la
Sainte-Baume. “Mon enfant, disait-il un jour, la volonté de Dieu, c'est l'âme des choses.” A
cette âme il allait droit, sans s'arrêter au corps, à la forme des circonstances extérieures. Il
aimait la chanter, la magnifier, dans le psaume 118.
Avec Sainte petite Thérèse, pour laquelle il eut toujours une dévotion grandissante,
marquée certainement de faveurs singulières, il pouvait dire en vérité: “c'est ce qu'il fait que
j'aime”. L'abandon était pour lui la communion perpétuelle au Dieu vivant, la cîme de sa
charité qu'il cachait soigneusement, mais que l'on entrevoyait parfois par éclair. “Comme
c'est bon, avouait-il un jour, de pouvoir dire: mon Dieu!.. cela soulage”; et il posait sa main
sur sa poitrine, comme sur un foyer en flammes qu'il ne pouvait contenir. Il était de ceux qui
croient à l'amour: “croire à l'amour de Dieu, en toutes choses, cela grandit tout, on est
continuellement dans le battement de son coeur. Livrez-vous à l'amour pur par pur amour et
vous vous sanctifierez”.
Le plus pur amour de son âme de saint, le père Vayssière le donne aux soeurs et petites
soeurs de Béthanie et les entraînait sur la route où il marchait lui-même, avec une tendre et
forte sollicitude qui rappelait celle de notre père Lataste. Aux plus faibles, les meilleurs
ménagements, la main toujours tendue, la miséricorde toujours jaillissante. Mais aussi il ne
souffrait pas que l'on s'arrêta à mi-côte, qu'on acceptât de minimiser le grand idéal divin.
Avec lui, il fallait marcher droit. Certaines de ses enfants, particulièrement parmi nos petites
soeur tertiaires, parvinrent sous sa conduite à un degré de vertu héroîque. Son sens de Dieu
lui faisait pénétrer intimement le mystère de Béthanie, depuis les nuances les plus délicates
jusqu'aux exigences les plus crucifiantes. Il voyait l'oeuvre dans la lumière de la rédemption.
De ses conseils il éclairait avec sagesse et discrétion la mère prieure, s'intéressait au bien
spirituel et temporel de la communauté de la Sainte-Baume.
De 1920 à 1926, à la suite d'une petite attaque, il changea son poste de gardien à la grotte
contre celui d'aumônier à Béthanie et vint ainsi résider tout à fait au couvent. Ce furent des
années de bénédiction, inoubliables pour celles qui les ont vécues. Que de beaux et profonds
souvenirs. Que de mémorables pèlerinages à la Grotte de Marie-Madeleine dont il était l'âme.
On se souvient encore d'avoir fêté avec lui le centenaire de la mort de notre bienheureux père
s. Dominique, le centenaire de s. Thomas, le cinquantenaire de la proclamation de s. Joseph
patron de l'Eglise universelle. Bien nombreuses les couronnes de roses rouges qu'il déposa
sur le front des enfants de la miséricorde, les cérémonies qu'il présida, les instructions où il
nous confiait les divins secrets de la perfection. Mais par-dessus tout, il suivait les âmes,
s'intéressait à chacune, les suivait même lorsqu'elles étaient loin, visitait les malades et se
penchait sur les mourantes avec un amour fort comme la mort, priant pendant des heures et
des jours auprès d'elles, les assistant pour leur faire gagner un degré suprême de charité. En
un mot, il était le père.
Et il le demeura toujours, même après que l'obéissance l'eut rappelé à la grotte en 1926 et
ensuite nommé provincial en 1932. Comme c'est beau de voir le solitaire descendre dans la
plaine au soir de sa vie, à 68 ans, devenir le père de toute un province. Il le fit avec la même
simplicité d'adhésion: “puisque me voilà provincial, je vais en profiter pour me
perfectionner.” Il s'était donné pleinement à s. Dominique et puisait en lui sa grâce de
paternité. De même qu'il avait représenté l'odre dominicain au sanctuaire de Marie-
Madeleine, il allait maintenant porter le coeur de Madeleine dans le champ d'action de s.
Dominique. La fécondité de son apostolat, fut à la mesure de sa contemplation. Rien ne
changeait plus pour son âme, fixée dans l'immuable. Toujours le même dépouillemnet, la
même petitesse unie à la magnanimité, le même abandon au vouloir de Dieu, aux mains de la
Très Sainte Vierge.
Il est temps de parler ici de son extraordinaire grâce mariale: “C'est la Sainte Vierge qui
a tout fait. Je lui dois tout, tout..., répétait-il souvent. Tout est miséricorde dans ma vie, et
miséricorde de Marie. On peut dire qu'il avait établi toute sa vie spirituelle dans le coeur de la
Très Sainte Vierge. “Elle n'est que mère, disait-il, et Mère que de Jésus, c'est lui qu'elle
enfante dans l'âme. Toute l'action de Marie s'écoule vers Jésus. Plus on est uni à Marie, plus
on est en voie d'union à Dieu, de revivre Jésus. Il ne faut pas croire que Marie, notre Seigneur
ne soient que des étapes pour arriver au Père. Non! Marie, le Christ, Dieu, c'est un tout, c'est
de l'inséparable.” Les soeurs, les petites soeurs de Béthanie qui l'écoutèrent se souviennent du
débordement d'amour avec lequel il parlait de sa mère, c'était une tendresse infinie et souvent
une larme coulait de ses yeux bleus. Avec quel accent disait-il un ave maria avant un
entretien spirituel, pour tout confier à Marie. Il se complaisait à dire lentement: “Je vous salue
Marie, pleine de grâce”. Le rosaire était l'atmosphère qui baignait toute sa journée. Parfois
dans la solitude de la Sainte-Baume, à Béthanie, il avait l'habitude d'en dire plusieurs par
jour, souvent entièrement à genoux, les yeux fermés.
“Le rosaire, c'est la communion du soir, disait-il, qui traduit en lumière et en résolution
féconde la communion du matin. Le rosaire, c'est un enchaînement d'amour de Marie à la
Trinité.” Il n'eut pas écrit ne page sans poser la parole initiale: Ave Maria, et dans ses lettres
de paternité spirituelle, il appelait les âmes: “mon enfant en Marie”. Rien n'était trop beau
pour elle, pour la glorifier. Ce fut lui qui donna le premier l'inspiration des pèlerinages du
Rosaire. A la Sainte-Baume, il se dépensa pendant des années pour placer en face de la grotte
une belle pietà en bronze. A Béthanie enfin, quand il était aumônier, il fit creuser au flanc du
roc une grotte de Notre-Dame de Lourdes.
Pendant les années de son provincialat, le père Vayssière demeura confesseur
extraordinaire, puis il devint supérieur du couvent de la Sainte-Baume. En 1936, il vint pour
la première fois à la maison mère qu'il désirait depuis longtemps connaître, à l'occasion des
voeux perpétuels de s. Marie-Dalmace. En 1937, il revint pour témoigner au procès diocésain
et assister à l'exhumation de notre père Lataste. Pendant la cérémonie, alors qu'il y avait émoi
autour du cercueil qui livrait les ossements vénérés, le père Vayssière immobile comme un
vitrail, à genoux devant l'autel, priait. Puis une dernière vision, touchante et symbolique que
garderont de lui les béthaniennes: le père Vayssière, grave et recueilli, réenfilant les grains du
rosaire de notre père Lataste.
Lorsque la guerre éclata, les épreuves et les fatigues altérèrent beaucoup sa santé. Il avait
demandé cependant à la Sainte Vierge d'aller jusqu'au bout de sa charge, et en effet, il partit
au moment précis où elle expirait. L'année cruciale de 1940 allait marquer aussi son calvaire.
Il venait de réunir son conseil provincial pour la première fois depuis la démobilisation, en
août 1940, ayant eu la joie d'apprendre que tous ses chers fils étaient vivants, lorsqu'il partit
discrètement et simplement se faire opérer à l'Hôpital Saint-Joseph de Marseille. Le 15 août il
pria un père originaire comme lui de Rocamadour de célébrer la messe dans une intention
d'action de grâces pour toutes les grâces qu'il avait reçues de Marie pendant sa vie terrestre.
En cette fête de l'Assomption, il comprit clairement qu'il devait offrir sa vie pour la Province,
cette province de Toulouse qu'il aimait, dit-il, avec un coeur de père et de mère.
Son abandon devant la mort gardait la même sérénité que pendant sa vie: “je suis
tranquille, je suis content. Maintenant je vais mourir, disait-il, je ne peux songer à la mort. Je
songe que je vais faire la volonté de Dieu en mourant, comme quand je prenais le train pour
Toulouse ou queje partais à la Grotte pour aller à l'hôtellerie."
Jusque dans son lit de souffrance, il témoignait son fidèle attachement à Béthanie.
Depuis l'isolement du couvent de la Sainte-Baume, il se montrait doublement père. La mère
prieure vint le voir plusieurs fois à l'hôpital, et quelques jours avant sa mort, il l'entretint
longuement de tous les intérêts de la communauté. “Il ne faut compter que sur Dieu seul, lui
disait-il, avec un accent pénétrant. Il faut beaucoup souffrir mon enfant.” Et comme elle lui
racontait qu'un de 10.000 frs était arrivé providentiellement le 8 sept., il l'écoute avec
bonheur, puis se renversant sur ses oreillers, ses yeux limides levés en haut, avec un sourire
inoubliable: “c'est la sainte Vierge, il faut que vosu racontiez cela, c'est une nouvelle preuve
de son grand amour pour Béthanie.” Mère prieure voulut se retirer, craignant de fatiguer le
malade: “non, restez, je suis heureux d'entendre parler de Béthanie”. Elle partit enfin, mais là-
haut, sur la sainte montagen, soeurs et petites soeurs si aiémes, ne cessaient, par leur prière,
d'entourer le père mourant. Il annonça le jour de sa mort: “j'ai râté le 15 août, le 8 septembre,
mais ce sera pour Notre-Dame des Sept douleurs, disait-il”.
En effet, le samedi 14 septembre, pendant les premières vêpres de N-D. Des Septs
douleurs, le père s'en alla d'une syncope cardiaque, si rapidement, qu'on ne pût même lui
donner l'extrême onction.
Sa mère venait le chercher. Le matin même de sa mort, il avait noté sur son agenda cette
phrase de S. Thérès de l'Enfant-Jésus: “ma gloire à moi sera un reflet sur mon front de la
gloire de ma mère”. Le père Vayssière était là tout entier.
Par un beau matin de lumière, le cercueil prit le chemin de la Sainte-Baume. A un
moment, le père avait eu la tentation de demander un autre lieu de sépulture, mais peu de
temps avant sa maladie, traversant la grande forêt qui l'avait entouré tant d'années de sa grâce
austère, il entendit en lui ce reproche: “tu es un ingrat”. Et depuis lors, il avait choisi sa
dernière demeure dans le petite cimetière au pied de la grotte. C'est là que les Béthaniennes
d'aujourd'hui et de demain, passant au cours de quelque pèlerinage, déposeront au père
endormi, la grâce de vivre ce qu'il leur a si souvent prêché: se laisser aimer par l'amour de
Dieu”.

Mère Marie-Cécile
ADT, Fonds Vayss., Dossier 36, articles, Carle
Paul-Laurent Carle, op, « Le père Marie-Etienne Vayssière, op (1864-1940) »
(traduit de l'espagnol)

Le père Marie-Etienne Vayssière, op (1864-1940)

Toussaint Vayssière est né d'une famille paysanne dans le Quercy, à Saint-Céré. Il fut
baptisé le 29 octobre 1864. Il perdit rapidement sa mère et sa soeur, puis son père qui était
menuisier. Il vécut alors chez sa Tante qui l'adopta. Il reçut une solide éducation religieuse et
fit une première communion fervente à l'âge de douze ans, le dimanche de la passion, le 26
mars 1876. Chaque année il marquait la fête anniversaire de sa naissance et de son baptême.
Depuis l'âge de dix ans il ressentait en lui l'appel au sacerdoce. Son éducation au petit
séminaire, puis au grand séminaire de Cahors révéla en lui un tempérament ardent, même
violent, un coeur fervent et une intelligence exceptionnelle.
La lecture de la vie de s. Dominique par Lacordaire lui communiqua bientôt le virus de la
vocation dominicaine. La figure de s. dominique le fascinera d'ailleurs tout au long de sa vie :
jamais son souvenir ne l'abandonnera.

Premières années dominicaines

Il entra au noviciat de Toulouse en 1887, après avoir, dans un premier mouvement, pris
de panique, fuit en courant au moment de frapper à la porte du couvent. Il prit l'habit le 3
août, en la fête de l'invention des reliques de s. Etienne. En vertu de sa dévotion pour le
premier martyr de l'Eglise, il demanda à recevoir le prénom religieux de Marie-Etienne.
Comme étudiant à Saint-Maximin, il fit l'expérience d'une vie austère : vigile perpétuelle,
depuis le 14 septembre jusqu'à Pâques, avec l'obligation de se lever tous les jours au milieu
de la nuit pour matines.

Les expulsions de 1880, puis de 1905 renforcèrent l'attachement à la discipline et aux


observances, et suscitèrent chez les religieux une mentalité de pionniers sans cesse obligé à
repartir de zéro. Ce climat aboutit à des excès de zèle qui provoqua chez le jeune dominicain
une anémie mentale dont il subit les conséquences toute sa vie. Lui, qui se voyait dominicain
pour précher, devait garder le silence ; encore qu'il ne faille pas exagérer, puisqu'après sa
mort on découvrit d'importantes archives contenant des sermons et instructions données aux
moniales et aux frères comme provincial. Cependant, il dut renoncer pour toujours à la
passion des études. Il ne pouvait même plus s'adonner à la lecture, en tout cas pas au-delà de
20 mn. Ce n'est que bien plus tard qu'il put lire avec enthousiasme Catherine de Sienne, Louis
de Grenade, Chardon, les auteurs spirituels dominicains ou ceux du carmel, Jean de la Croix,
Thérès d'Avila, ou Thérès de Lisieux.

Son père maître, le père Colchen, grand ascète – on disait de lui qu'il prenait la discipline
une heure par jour – mais d'une grande bonté, n'avait pas perçu au commencement la gravité
de l'état nerveux de Marie-Etienne. Cependant, sur de la grande valeur religieuse de son
étudiant, il insista pour que, nonobstant une formation incomplète, il soit ordonné ad missam.
Il reçut le sacrement de l'Ordre dans la chapelle épiscopale de l'Evêque de Fréjus-Toulon le
samedi 19 septembre 1891. Lui, le frère bon à rien, comme il se surnommait, fut assigné au
couvent de Biarritz. Dans ce couvent Saint-Joseph où le confessional ne se désemplissait pas
de la journée, tout ministère lui était impossible, même celui de confesseur. Pourtant cette
innaction ne devait pas durer ; bientôt on lui confierait le ministère de la miséricorde, dans
lequel il donnerait le meilleur de lui-même.

La sainte Baume

En 1900, la charge de gardien de la grotte à la Sainte-Baume dédiée à s. Marie-


Madeleine devint vacante1. C'est là qu'il fut envoyé provisoirement par le Provincial ; il y
resta en fait 32 ans. C'est un lieu extraordinaire, avec son microclimat, sa faune et sa flore
unique en provence, avec sa forêt de Hêtres (le Hêtre, le roi des forêts humides, disait
Chateaubriand), à l'abri d'une chaîne montagneuse calcaire de 12 km, à plus de 1000 m.
d'altitude, dominée, sur une corniche au-dessus de la grotte par la chapelle du Saint-Pilon
(994 m). Comme la chapelle de

Un jour d'avril, en la fete de Ste Catherine de Sienne, alors que la foret de hetres et de
chenes commençaient à reverdir, le père Audrin (+1948), futur missionaire au Brésil, passait
par la Sainte Baume avant d'embarquer pour l'Amérique du Sud en 1903. Il avait entendu
parler de ce religieux qu'on avait relégué en ce lieu désolé en raison de son impuissance et de
son inutilité apostolique. En réalité, il découvrit un homme hautement apostolique. Car, il a
beau avoir écrit dans une de ses lettres qu'il était ermite, le père Vayssière était dominicain,
apotre cent pour cent.

A la grotte notre jeune religieux de 36 ans fait la connaissance de son inséparable frère
Henri avec qui il va vivre 30 ans. Frère convers dévoué et infatigable, homme de service, il
offrait aux pèlerins une tasse de chocolat ou de café de carotte pour leur souhaiter la
bienvenue. Il courrait d'un coté à l'autre comme lapin ; pestait dans la foret contre l'ane qui
s'attardait à brouter les feuilles au lien de remonter le chemin ; il parlait à la bourrique en
l'incriminant : « Allons, fainéant, n'oublie pas que tu es la bourrique Marie-Madeleine ».
Quand c'était nécessaire, il coupait le bois qui alimentait la cheminée en hiver. La cuisine
n'était pas son fort. Surchargé de taches, il se limitait à préparer des pates ou à faire bouillir
du riz. Le soir, un oeuf avec une salade. Quand le père de Foucauld2 cependant, vint à 4
reprises à la grotte pour y dormir avant d'embarquer pour l'Algérie, le frère Henri se fendit
d'une omelette qui est resté célèbre dans les annales de la grotte.

Confesseur

Le programme journalier du père Vayssière était invariable : lever à 5.00, oraison de 6.30
à 7.30, messe célébrée avec un grand recueillement. La matinée était ensuite consacrée au
courrier innombrable envoyé par les pèlerins et les pénitents. Ce n'est qu'en fin de matinée
qu'il recevait les pèlerins. Si en hiver, seuls les paroissiens d'alentour venait le visiter, après le
printemps c'est toute la provence qui arrivait en diligence, et bientôt en bus. Comme le père
ne pouvait precher, ce sont ses confrères dominicains, surtout le père Laugier, qui assuraient
la prédication. Le père Vayssière recevait sur le parvis, puis dans le parloir et confessait
autant que nécessaire. Ce père qu'on surnommait bon à rien montra dans ce ministère une
grande capacité d'écoute, un charisme de conseil, de compassion et de discernement
remarquable3.

Mais bien vite le père Vayssière se retrouve seul, ses confrères de la province étant
expulsés par les lois de 1905. Du jour au lendemain, il devint l'abbé Etienne Vayssière, porta
la soutane4 et prit le titre de Vicaire de la paroisse de Nans de laquelle il dépendait.
L'angoisse fut grande pour le père et pour frère Henri de voir l'hotellerie confisquée par l'état.
Le père Provincial chargea en quelque sorte le père Vayssière de défendre les intérets
temporels de la Province menacée en préservant cette hotellerie elle aussi en péril.

Le père Vayssière évoquera plus tard avec une grande émotion la neuvaine de prière qu'il
avait faite à cette intention avec le fr. Henri à saint Joseph; la réponse vient du ciel un 19
mars, fete du charptentier de Nazareth : un émissaire arrivé de Marseille à l'improviste,
apporta l'assurance écrite à temps et en bonne et due forme que l'hotellerie demeurait
possession dominicaine via un administrateur : monsieur Pedone, ancien officier de marine,
allait en assumer la direction avec une ardeur sans limite et manu militari.

Entre le pretre et le convers se noua d'ailleurs, une solide et fraternelle amitié; une
émulation pour la vie d'oraison et le service de s. Marie-Madeleine. L'adaptation à la vie
magdaléenne fut sans doute difficile au début, en particulier dans les premières années, aux
jours de solitude hivernale; il avouera notamment avoir compté sans s'en apercevoir toute les
poutres de la salle à manger. Dès le commencement il aura à vaincre la tentation de descendre
journellement à l'hotellerie qu'avait construite Lacordaire, pour prendre des nouvelles ou lire
le journal. Mais un jour, il entendit une voix : « Que fais-tu ? Tu perds ton temps... Tu seras
un saint5 ». L'ordre était péremptoire. Il retourna à la grotte et y demeura fidèle à sa mission à
la fois contemplative et apostolique. Sa promenade de détente, rosaire en main, deviendra le
chemin des pères, un sentier aujourd'hui bien traçés au pied du Saint-Pilon que réalisèrent les
pères dominicains au xviie s.

Malgré ses limites apostolique, il se dévoue surabondamment comme apotre : les curés
des environs lui envoyaient leurs fidèles, leurs paroissiens qui le prenaient comme
confesseur. Il se lia d'amitié avec le saint doyen d'Auriol, l'abbé Fouques6, qui plus tard sera
le confesseur infatigable de Marseille ; le chanoine Rastouil, avec son accent provençal
marqué, natif de Roquevaire au pied de la Sainte-Baume qui apporta de Marseille ses bérets
roses, consituées de toutes les classes sociales grace à son zèle apostolique7 ; le père Bonifay,
fils aimé et tertiaire dominicain, de Saint-Zacharie, alors curé de Nans, qui avait laissé un
souvenir profond comme curé de Brignoles, et que le père Vayssière remplaça autant qu'il put
pendant les 4 années de la première guerre à Nans. Encore aujourd'hui on se souvient à Nans
des nuits d'adoration le jeudi saint et les exhortation du père Vayssière qui soutenait la prière
des paroissiens. Un témoin confie : « on ne s'ennuyait pas! » Il deviendra curé du Plan
d'Aups, quand une détérioration de sa santé l'oligea de 1918 à 1926 à demeurer chez les
soeurs de Béthanie. La cuisine des soeurs, plus substantielle que celle du f. Henry permettra
de recouvrer assez de force pour reprendre sa place à la grotte.
Béthanie

Le monastère de Béthanie était aussi un de ses champs d'apostolat. Sous la direction de la


prieure Mère Cécile8, la communauté de Béthanie à Plan d'Aups comprenait une
cinquantaine de soeur, dont quelques unes étaient d'anciennes détenues ou filles de mauvaises
vies repenties. Cette congrégation fondée par le père Lataste dans le dernier quart du xixe s.
permettait d'adapter les conditions de vie religieuse à des femmes pour qui le régime de
cloture monastique était difficile d'accès. Le Père Vayssière devint leur confesseur ordinaire.
Avec une parfaite discrétion, il les écouta et les aida dans leur vie contemplative. Si l'une ou
l'autre était tentée de retourner à sa vie antérieure, il les soutenait en demandant avec elle la
grace de la fidélité : « tenez, petite soeur, jusqu'à ce soir, et si ce soir vous etes encore là,
nous chanterons le magnificat. » Et la petite soeur tint bon9.

Le Tiers-Ordre

Le père Vayssière, lui, l'incapable, convaincu, comme il le disait, de n'etre rien, aimait à
répéter avec l'Ecriture : « moi, je suis un homme qui voit sa pauvreté ». Pourtant, il eut une
influence apostolique étonnante. Pparmi les habitants de la région de Provence qui vinrent en
pélerinage à la Sainte-Baume, il y en eut sous sa direction qui devinrent des apotres
remarquables : certains catéchistes, d'autres enseignants dans des écoles libres, d'autres
animateurs de patronage. Dans la paroisse du Beausset par exemple, sur le versant sud de la
Sainte-Baume, le pays de la famille Portales, un tiers-odre dominicain jeune et actif prit
naissance, sous l'influence du père Vayssière relayée par le zèle du curé, l'abbé Bouisson, qui
avait une foi à transporter les montagnes.

Chaque année, pour la fete de s. Dominique, les habitants montaient à la grotte dès
l'aube, et ils s'y rendaient à pieds, et adoraient le Saint-Sacrement tout le long du jour. Il disait
en riant, en parlant des pèlerins qui venaient à la Sainte-Baume : « c'est curieux, à tous je dis
la meme chose, et tous semblent content. » Il aimait à réciter, en ouvrant grand les bras pour
embrasser tout l'horizon : « notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la
terre. » Pour tout pèlerin qui venait le consulter il avait une parole d'espérance et de réconfort
qui marquait les esprits.

La spiritualité de Caritas Christi fondé sur cette parole : « demeurez en mon coeur
comme moi je demeure dans l'amour du Père, était au fond celle-la même que le père
Vayssière enseignait, lui qui aimait à répéter sa fameuse formule : il faut aimer. En toutes
choses lui donner une confiance sans limite », et « croire à son amour ».
Une autre initiative apostolique importante fut en 1908 le pèlerinage dominicain du
rosaire à Lourdes, dont l'intuition initiale est venu du père Vayssière. A partir de 1927, le père
Tapie, avec l'argent de son livre Chez les peaux-rouges, feuilles de routes d'un missionnaire
au Brésil10, lui demanda de construire près de l'hotellerie une maison de retraite spirituelle
appelée Nazareth du Sacré-Coeur, qu'il confia à sa direction. S'y succédèrent sans
interruption, hommes et femmes qui voulaient un vrai temps de conversion à la Sainte-
Baume. Le Père Vayssière se consacra à cette tache, avec d'autres prédicateurs, jusqu'à sa
mort.
Mais dans sa providence Dieu lui demandait une générosité totale. Car le père Vayssière
manquait du sens pratique et d'organisation que réclamait la fondation d'un institut. Aussi ce
devait etre un de ses fils très aimé, le père Joseph-Marie Perrin, le père Spirituel de Simone
Weil, qui allait réaliser cette oeuvre. Ce fut la naissance en 1937 de l'institut séculier Caritas
Christi, appelé à connaitre une expansion rapide et internationale.

En 1900, les tiers-ordresf étaient très actifs en Provence et solidement implantés dans les
campagnes, aux cotés des confréries de pénitents, qui étaient en plein développement. Les
dominicains s'en occupaient activement. Le père Vayssière, qui aimait tant Catherine de
Sienne, la tertiaire par excellence, s'y employait de toute son ame. Tant et si bien qu'un jour,
venant à Marseille, le Provincial lui suggère de prender à sa charge la rénovation du tiers-
ordre11. Pendant qu'il remontait à pied jusqu'à la grotte en coupant le chemin, près du vieux
sanctuaire de notre Dame de la Miséricorde, avec sa statuette romaine, à Nans, cet homme
opprimé par un état de sécheresse spirituelle fut soudainement envahi par une profonde et
durable illumation. Il se sentit appelé à fonder, avec quelques unes de ses filles spirituelles
une sorte d'institut séculier d'inspiration dominicaine. Pour cela il devait prier et s'offrir avec
elles. Cette obcession pour l'oeuvre, comme il l'appelait, ne devait pas l'abandonner jusqu'à sa
mort.

Provincial

Au moment où le père Vayssière, après avoir construit l'escalier de 150 marches qui
conduisent àla grotte et au chemin de croix, songeait à de grands projets pour le pélerinage,
survint l'inattendu : lui, âgé de 68 ans, à la santé continuellement défaillante, se vit élu
comme Provincial de Toulouse. Il mesura la gravité de la situation et accepta la volonté de
Dieu, qui était chez lui une idée directrice de toute sa vie à l'école de Dom Marmion qu'il
avait découven en 1922.
Jusqu'à la fin il subira le poids de cette charge qui était tombé sur lui et qui pesait sur ses
vieilles épaules, sans jamais l'avoir prévu.

Il se confia à un de ses fils qu'il aimait tout particulièrement, le père M.-V. Bernadot12,
quand il alla à la capitale : « J'ai 70 ans et je vais pour la première fois de ma vie à Paris13 ».
Il eut le courage de voyager en train, avec ses lourdes valises en bois, en wagon de 3e classe,
tirées par des locomotives bruyantes qui crachaient des vapeurs chargées de poussière de
charbon, pour sillonner la Province d'un couvent à l'autre, sans manquer de visiter les soeurs
dominicaines de Monteil, d'Auch, de Gramond.

Sa résidence habituelle était le couvent Saint-Lazare à Marseille, avec une église


massive, réalisée par le meme architecte que la basilique de Fourvière. Quand il lui arrivait
une difficulté financière, il recourrait à N.-D. De la Garde, et souvent les finances du père
économe était renflouées avec l'arrivée d'un chèque providentiel. En vérité, il consacrait
souvent sa journée à l'oeuvre de retraite à la maison Nazareth de la Sainte-Baume, mais
dormait la nuit à la Grotte. En octobre, on le rencontrait au pélerinage du Rosaire, heureux de
retrouver à la Chapelle ses fils et ses filles. Il était tout à tous. L'unique temps qu'il
s'accordait, immanquablement, était la semaine de retraite annuelle qu'il programmait tous les
ans du 2 au 11 février. Alors, il n'y avait plus de courrier, ni de téléphone. Il partait pour un
long voyage, seul avec Dieu.

Bien qu'il ait été élu provincial, il n'avait aucune expérience de gouvernement. Il fut élu
pour établir l'unité dans une province divisée par les remous de l'action française. Il y apporta
la paix, et en meme temps la fermeté et la patience miséricordieuse. Avec lui on ne plaisantait
pas avec l'obéissance et savait donner des préceptes formels. Mais, à tous il savait aussi offrir
une attention paternelle et fraternelle, spécialement aux plus jeunes. Tous faisaient l'objet de
sa prière attentive et quotidienne.

Durant son double mandat de provincial – élu coup sur coup – sous la régence du père
Philippon14, il remonta le niveau des études. Il choisit aussi un père maître qui était un saint,
le père Dausse, ancien missionnaire du Brésil. Peu doué pour la parole, mais sachant parler de
Dieu, le père Vayssière disait de lui : « Chaque jour, je me rends grâce à Dieu de me l'avoir
donné comme père Mamaître de la province ». Il fonda deux nouveaux couvents à
Montepellier et à Nice, mais aussi à Saint-Paul au Brésil. Il donna une âme à la Province. Il
n'écrivit pas comme le firent les premiers provinciaux, entre autres le bienheureux père
Cormier, une lettre circulaire au commencement du carême ; mais son amour, son intimité
avec s. Dominique transparut avec une force extraordinaire dans une lettre écrite pour le 7e
centenaire de la canonisation du saint.

Dévoué à Marie.

Il veillissait visiblement, et lui-même disait que l'heure était venu de reconduire le cheval
à l'écurie ». Mais cela était impossible. En 1939, un nombre important de ses fils furent
mobilisés, et le 5 novembre il perdit un fils très aimé, le père Bernard Geoffroy, professeur de
Théologie positive à l'Anélique, un converti, une âme mariale si l'en ait, qui ayant repris du
service comme aviateur pendant la guerre, devait mourir durant un vol de reconnaissance,
alors qu'il s'était proposé à remplacer un père de famille de 5 enfants. La déroute de 1940
l'atteint profondément, mais il garda sa confiance en l'amour de Dieu. Une opération de la
prostate au l'hopital Saint-Joseph, de Marseille, l'affaiblit sans entamer sa sérénité, son
abandon à Dieu, sa confiance en Marie aussi qui était total, depuis que sa retraite de 1926
date à laquelle Marie prit une place prépondérante dans sa vie : il était en communion
continuelle avec Elle..

Lui, si aride au plan spirituel, et qui se voyait comme exclu du Royaume des Cieux dont
il était pourtant sûr pour les autres, reconnaissait que Marie ne l'avait jamais abandonné. Il
disait à son propos : « Il faut l'aimer un peu comme Jésus l'aime, non seulement pour l'amour
du Seigneur et du Fils de Dieu dont elle est la Mère, mais pour elle-même, gratuitement. Il
écrivait : « Jésus est la vie, l'eau qui jaillit jusqu'en la vie éternelle. Mais pour que cette eau
jaillisse en nous, il est nécessaire ue la fontaine bénie soit au fond de nos âmes.De là la place,
le rôle de Marie dans notre vie. Jésus vint à nous par Elle. Le chemin suivi par lui doit
devenir le nôtre. Plus on est uni à Marie, plus on communie à sa grâce maternelle, cett grâce
de vie divine qu'elle a pour mission de nous communiquer, et qui n'est pas autre que Jésus
lui-même. Ne séparez pas Marie de Jésus, Marie et Jésus, de la Sainte Trinité. Dans
l'économie du salut, c'est le bloc divin. Marie est comme un beau fleuve qui, sans réserve et
dans la plénitude de son flot, s'écoule vers Dieu15. » A ses fils de la Province, aux visiteurs à
qui il était toujours attentif, il disait : « Elle n'est pas venu me chercher le 15 août, ni le 8
septembre, ce sera pour le jour de N.-D. Des douleurs.

Après les premières vêpres de cette fête, le 14 septembre, sonna l'heure de sa Pâques vers
le Père, alors qu'il achevait son second mandat de provincial. Selon son désir, il fut inhumé le
16 septembre dans le petit cimetière de la Sainte-Baume. Les frères étudiants alors à
l'hôtellerie – puisque le couvent de Saint-Maximin avait été réquisitionné comme hôpital
militaire – portèrent son cercueil au milieu d'une foule récueillie et pleine d'espérance. Il
repose dans ce cimetière de campagne, près de la forêt de la grotte : tout y chante la paix de
Dieu et l'espérance sûre de la Résurrection.

P.-L. Carle, op
ADT, Fonds Vayss., Dossier 36, articles, Carle
Paul-Laurent Carle, op, « El padre Marie-Etienne Vayssière, op (1864-1940) »

El padre Marie-Etienne Vayssière, op (1864-1940)

Toussaint Vayssière, nacido en una familia de aldeanos en Quercy, Saint-Cèrè, y


bautizado el 29 de octubre de 1864, pierde muy pronto a su madre y a su hermana, luego a su
padre (que era carpintero), y vive adoptado en casa de una tía. Recibe una sólida educación
catequística y hace una ferviente primera comunión a los doce años, el domingo de la Pasión,
en fecha 26 de marzo de 1876 (cada año festejaba este aniversario y el de su bautismo). Hacia
los diez años siente en sí el llamado al sacerdocio. Su educación en el seminario menor, luego
en el seminario mayor de Cahors, revela en ese temperamento ardiente, aun violento, un
corazón fervoroso y una inteligencia excepcional.
La lectura de Santo Domingo de Lacordaire le comunica entonces el virus de la vocación
dominicana. La figura de Santo Domingo lo fascinará para siempre: será el Padre amado
cuyo recuerdo ya no lo abandonará.

Primeros años dominicanos


Entra en el noviciado de Toulouse en 1887, no sin antes, en un primer impulso, presa de
pánico, haber huido a toda velocidad delante de la entrada del convento. Toma los hábitos el
3 de agosto, fecha del descubrimiento de las reliquias de Saint-Etienne. A ello se debe sin
duda que recibe el nombre de Fray Marie-Etienne. Como estudiante en San Maximino,
encuentra allí una vida muy austera: vigilia perpetua, ayuno desde el 14 de septiembre hasta
Pascuas, levantarse todos los días en medio de la noche para maitines ; las expulsiones de
1880, y luego en 1905, reafirman disciplinas y observancias, y suscitan en los religiosos una
mentalidad de pioneros obligados sin cesar a volver a partir de cero. Ello inducía excesivos
ardores de neófito, que van a producir en el joven dominicano un problema mental duradero,
el de toda su vida. El, que se hizo dominicano para predicar, deberá permanecer mudo
(aunque sin embargo no hay que exagerar, ya que después de su muerte se encontró un
importante legajo de sermones e instrucciones dados a monjas o a sus hermanos como
Provincial). El apasionado por los estudios teológicos debe renunciar a ellos para siempre. Se
le prohíbe prácticamente la lectura, salvo veinte minutos como máximo. Es así que más tarde
leerá con pasión a Catalina de Siena, Luis de Granada, Chardon, los autores espirituales
dominicanos o San Juan de la Cruz, Teresa de Ávila y La historia de un alma.
Su Padre formador, el P. Colchen, gran penitente (se decía que a veces se flagelaba
durante una hora por día), pero de una gran bondad, no había percibido al comienzo la
gravedad de esa repercusión cerebral. Pero, seguro de su gran valor religioso, insiste para
que, a pesar de los estudios incompletos, el hermano sea ordenado sacerdote ad missam. Se le
confiere el Orden en la capilla episcopal del obispo de Fréjus el sábado 19 de septiembre de
1891... Ese "bueno para nada", de acuerdo a su confidencia, es asignado al convento de
Biarritz. En ese convento de San José, donde el confesionario no se vacía en todo el día, se le
prohíbe al principio todo ministerio, aun el de confesor. Empero esta inacción no dura. Muy
pronto se le confía ese ministerio de misericordia, donde va desde entonces a dar lo mejor de
sí mismo.
La Sainte-Baume
En 1900 se encuentra vacante el cargo de guardián de la gruta votiva de Santa María
Magdalena. Allí lo envía provisoriamente el Padre Provincial; permanecerá treinta y dos
años. Es un lugar extraordinario, con su microclima, su fauna y su flora especiales, su vasto
bosque de hayas ("el haya, rey de los bosque húmedos", decía Chateaubriand), al abrigo de
una cadena montañosa calcárea de 12 Km., a más de 1000 metros de altura, dominado, más
arriba de la gruta, por la capilla de S. Pilon (994 m). Como la cabellera de María Magdalena,
el frondoso bosque desciende hacia la planicie, socavada por sus pozos ahí donde comienza
la seca Provenza, con sus eriales, sus asfodelos, su tomillo, su romero, tan fragantes. De ese
lugar de peregrinación, importante desde los siglos antiguos, emana espontáneamente una
grandeza sagrada. Por un vuelco sorprendente, ahí donde tal vez se ejercía la prostitución
sagrada, el cristianismo, con la gruta votiva de santa María Magdalena, instaló el culto de la
pecadora arrepentida, la que mucho amó. La leyenda provenzal fue providencial: se pensaba
que había venido a evangelizar Marsella en las márgenes de Lazare, y que luego se habría
retirado, penitente y contemplativa, a la famosa gruta votiva (1), en espera de "su ascenso al
Padre" (Jn. 20, 17). El Padre Vayssière se contentaba con decir: "Si es que ella no ha venido,
viene, está aquí!"
El Padre Vayssière llega un día desde Sta. Catalina de Siena, cuando el bosque de hayas
y de encinas comienza a reverdecer.. El P. Audriun (+1948), futuro misionero en Brasil,
pasaba por la Sainte-Baumé antes de embarcarse para América del Sur en 1903: oye hablar
de ese religioso que por su incapacidad y su inutilidad apostólica ha merecido ser relegado a
ese lugar. En realidad, aunque una sola vez, en una de sus cartas, él se auto-intitula "eremita",
será dominicano, apóstol cien por ciento!
Allá arriba, nuestro joven religioso, que entonces tenía 36 años, va a encontrar a su
"inseparable" durante treinta y dos años, el hermano Enrique, converso devoto e infatigable,
hombre de todo servicio, que ofrecía a los peregrinos un bienvenido tazón de chocolate o un
café de garbanzos; que corría de un lado a otro como una laucha; o que echaba pestes en el
bosque contra la borrica que cargaba el abastecimiento de la gruta y se negaba a remontar la
pendiente: "Arre, inútil, no olvides que eres la borrica de María Magdalena!"; o que, de ser
necesario, trabajaba con el Padre cortando la leña que ardería en las chimeneas. La cocina no
era su fuerte: sobrecargado de tareas, se limitaba demasiadas veces a pastas o arroz hervido.
De noche, un huevo con ensalada. Cuando el Padre de Foucauld (2), antes de embarcar para
Argelia, viene a rezar toda la noche en cuatro etapas, el hermano Enrique hace un extra: una
tortilla que se hizo célebre en los anales de la gruta.
Entre el sacerdote y el converso se anuda una sólida y fraternal amistad, y una emulación
en la vida de oración y el servicio de Sta. María Magdalena. La adaptación a esta vida
magdeliana es sin embargo difícil al principio.
En los primeros años, en los días de soledad del invierno, más tarde confesará haber
contado sin apercibirse las vigas del techo de la sala de estar. Ya al inicio, debió vencer la
tentación de bajar diariamente al albergue que había construido Lacordaire, para hacerse de
noticias o leer el diario. Pero un día, en la fuente de Nans, una voz interior lo detuvo: "¿Qué
haces? Pierdes tu tiempo"... Tú serás un santo!" . Esta orden era perentoria. Retorna a la gruta
y permanecerá fiel a su misión a la vez contemplativa y apostólica. Su paseo de descanso,
rosario en mano, será desde entonces "la alameda de los Padres", un sendero todavía bien
trazado al pie de S. Pilon, que habían realizado los padres dominicanos en el siglo XVII.
Confesor
El programa del día no cambia: levantarse a las 5 de la mañana, oración de 6,30 a 7,30,
luego la misa, celebrada en gran recogimiento. En seguida la mañana transcurrirá muy
rápidamente en el epistolario innumerable enviado a peregrinos y penitentes. Luego es el
turno de recepción de los peregrinos. Si en invierno no se trata sino de los patrocinios de las
aldeas, desde la primavera afluyen una a una todas las parroquias provenzales en diligencias,
cabriolés, más tarde autobuses. Como el Padre no puede predicar, son los cofrades
dominicanos, sobre todo el Padre Laugier, quienes aseguran la predicación. El Padre
Vayssière recibe en la galería, después en el locutorio, y confiesa tanto cuanto es necesario. Y
ese joven religioso al que llamaban bueno para nada, muestra en este aspecto una capacidad
de escucha, de consejo, de compasión asombrosa, y aun un gran discernimiento (4).
Pero muy pronto el P. Vayssière va a quedar solo, sus cofrades de la Provincia son
rudamente expulsados por las leyes de 1905. De ese modo deviene en abate Etienne
Vayassière, reviste la sotana, toma el título de vicario de la parroquia vecina de Nans de la
cual depende (5). La angustia por el riesgo de que sea confiscada la hospedería, abraza al
Padre y al hermano Enrique. El Padre Provincial ha encargado en cierta forma al P.
Vayssière, que ha quedado solo, defender los intereses temporales de ese albergue que está
por perderse.
El P. Vayssière evocará más tarde con emoción esas novenas fervientes hechas en el
mismo recinto, a San José, con el hermano Enrique, y la respuesta venida del cielo un 19 de
marzo, fiesta del carpintero de Nazaret: un emisario arribado de improviso de Marsella,
aportando la seguridad escrita en tiempo y forma de que el albergue quedaría como posesión
dominicana a través de un mediador. El Señor Pedone, ex-oficial de marina, iba a asumir la
dirección con una entrega sin límites y "manu militari".
A pesar de sus obstáculos para la predicación, se consagra sobreabundantemente como
apóstol: los curas de los alrededores le envían sus fieles, sus patrocinios, lo toman como
confesor. Se anudan amistades: el santo deán de Auriol, el abate Fouques (6), que más tarde
fuera el confesor infatigable de Marsella, y también el canónigo Rastouil, con su marcado
acento provenzal, nativo de Roquevaire al pie de Saint-Baume, que trae de Marsella sus
"boinas rosadas", confeccionadas de todas clases por su celo pastoral (7), otro hijo muy
amado y terciario dominicano, el Padre Bonifay, de Saint-Zacharie, en ese entonces cura de
Nans, poseedor de la legendaria locuacidad provenzal, que dejaría un tan profundo recuerdo
como cura de Brignoles, y que el P. Vayssière suplantaba cuanto podía durante los cuatro
años de la guerra, de 1914 a 1918, en la casa parroquial de Nans. Todavía se recordaban en
Nans las noches de adoración en Jueves Santo y la palabra del P. Vayssière sosteniendo la
oración común: un testigo -viejo lugareño- confesaba: "Uno no se aburría!" Llegará a ser cura
de Plan-d’Aups, cuando un gran desmejoramiento de su salud lo obliga a permanecer, de
1918 a 1926, en la sede de las hermanas de Betania. La cocina de las Hermanas, más
sustancial que la del Hno. Enrique, poco a poco va ir reponiéndole una salud suficiente.

Betania
También era Betania su campo de apostolado. Se trataba de un enjambre de ochenta a
cien monjas, bajo dirección de la priora Madre María Cecilia (8), mitad de ellas reclutadas
entre ex-prostitutas. Pero cuando se conocía el régimen de la casa de clausura, los nervios se
desequilibraban, y era una apuesta hacerse religiosa contemplativa en esas condiciones. Para
intentarlo se necesitaba la locura apostólica del P. Lataste. El P. Vayssière acude a
confesarlas semanalmente. Y allí, con perfecta discreción, las escucha y las alienta. Si una u
otra tenía la tentación de volver a su vida anterior, la acompañaba rezando con ella una
novena de fidelidad: "Soportará, hermanita, hasta la noche, y si aún a la noche está ahí,
cantará su Magnificat". y la Hermanita perseveraba (9).

La Tercera Orden
Ese incapaz, "compenetrado -como él decía- de ser nada", que gustaba de repetir con una
total convicción: "ego vir videns paupertatem meam" (10)16, tuvo una influencia apostólica
muy sorprendente. De las aldeas de Provenza que venían en peregrinación, había quienes
bajo su dirección se volvían apóstoles, éste encargándose de la catequesis, éste de una escuela
libre, éste de un patronazgo. Tomemos el ejemplo de Beausset, sobre la vertiente
mediterránea de Sainte Baume, el país de "Portales": gracias al cura, el abate Bouisson, de
una fe que transportaba montañas, se desarrolló en la parroquia toda una tercera orden joven
y activa, y cada año, en la fiesta de Santo Domingo, la aldea subía al alba, y, ¿qué les
parece?, a pie, a rendir adoración al Santísimo Sacramento a lo largo de todo el día. El decía
riendo, al hablar de los peregrinos que venían a Sainte Baume: "Es curioso, a todos les digo
lo mismo y todos regresan contentos!" Le gustaba recitar, con un amplio gesto que abarcaba
el horizonte, el versículo del salmo: "Nuestro auxilio está en el nombre del Señor que hizo el
cielo y la tierra". A cada peregrino que venía a consultarlo le devolvía la esperanza, y cada
uno regresaba reconfortado.
En 1900 las terceras órdenes eran muy activas en Provenza y estaban sólidamente
implantadas en las campiñas, junto a las cofradías de penitentes, ellas también desarrolladas.
Los dominicanos se ocupaban activamente. El P. Vayssière, que tanto amaba a Sta. Catalina,
la terciaria por excelencia, se entregó con toda su alma. Tanto así que un día, llegado a
Marsella, su Provincial le sugirió tomar a su cargo la renovación de la tercera orden. Mientras
remontaba a pie hacia la gruta (11) cortando camino, desde el viejo santuario de Ntra. Sra. de
la Misericordia (con su estatua romana), en Nans, este hombre que confesaba su estado de
sequedad espiritual sintió entonces el alma invadida por una profunda y durable iluminación.
Se sentía llamada a fundar, con sus hijas más queridas, una suerte de instituto secular de
inspiración dominicana. Por esta intención debía orar y ofrendar con ellas. Esta obsesión por
"la obra", como él la llamaba, no debía abandonarlo hasta su muerte.
Pero en este plano Dios le pediría un desprendimiento total. El Padre Vayssière carecía
totalmente del sentido práctico y organizador que reclama la fundación de un instituto. Debía
ser un hijo muy querido, el P. José María Perrin (el dominicano ciego que encontró Simone
Weil) el que llevaría a cabo esta tarea. La misma fructificó en 1937 en el Instituto secular
"Caritas Christi", llamado a una expansión rápida y aun internacional.
La espiritualidad de Caritas Christi: "Permaneced en mi corazón como yo permanezco en
el Amor del Padre", era la misma que inculcaba el P. Vayssière repitiendo sin cesar sus
famosos lemas: "Dejaos amar." - "En todas las cosas dadle un crédito sin límites" - "Creed en
su amor". Otra iniciativa apostólica importante había sido, en 1908, la peregrinación otoñal
dominicana del Rosario a Lourdes, cuya intuición inicial había venido de él... Hacia 1927,
con el dinero de su libro "Hoja de Ruta" (12), el P. Tapie, Provincial, le pidió construir cerca
de la hospedería una casa de retiro llamada Nazareth del Sagrado Corazón, y le confió la
dirección. En verano, se sucedían sin interrupción hombres y mujeres. El P. Vayssière se
consagrará a esa tarea, con otros predicadores, hasta su muerte.
Provincial
Pero en momentos en el que P. Vayssière, después de haber hecho construir la escalera
de 150 gradas que conducía a la gruta y al Camino de la Cruz, meditaba grandiosos proyectos
para la peregrinación, sucedió lo inesperado. Ese anciano de 68 años, de salud
frecuentemente deficiente, era elegido Provincial de la Provincia de Toulouse. El restó
importancia a la situación y aceptó la "Voluntad de Dios", una de las ideas rectoras de su vida
tras la lectura en 1922 de un pasaje de Dom Marmion. Hasta el final se sentirá asombrado por
ese cargo que le toca en suerte y que pesa sobre sus viejas espaldas, sin que nada lo haya
anticipado.
Confía a uno de sus hijos más queridos, el P. M. Vicente Bernadot (13), cuando llega a la
capital: "Tengo setenta años y llego por primera vez a París" . Se animó sin embargo a viajar
en tren, con sus toscos bancos de madera en vagones de 3a. clase de la Cía. del Mediodía, sus
estrepitosas locomotoras que escupían vapores cargados de sucio polvo de carbón, y a surcar
la Provincia de un convento al otro, sin dejar de visitar a las Hermanas dominicanas de
Monteil, de Auch, de Gramond.
Su residencia habitual era el Convento de Saint Lazare en Marsella, de maciza capilla,
realizada por el mismo arquitecto de Fourvières. Cuando se encontraba en un atolladero,
acudía prontamente a Ntra. Sra. de la Guardia, y entonces se reflotaban las finanzas del Padre
ecónomo con la llegada del cheque faltante. En verano, consagraba su jornada a la obra de
retiros de Sainte-Baume en Nazareth, pero generalmente pernoctaba en la gruta. El otoño lo
encontraba en la peregrinación del Rosario, feliz de reencontrar en la Chapelle a sus hijos (y
sus hijas). Era todo para todos. El único espacio de tiempo que se reservaba, intocable, era la
semana de retiro anual, del 2 al 11 de febrero. Entonces ya no más correo ni teléfono. Partía
en un largo viaje, solo con Dios.
Si bien había sido promovido a Provincial, no tenía ninguna experiencia de gobierno. Se
lo eligió para establecer la unidad en una Provincia dividida por los remolinos de la Acción
francesa. El aportaría la paz, y al mismo tiempo la firmeza y la paciencia misericordiosa: con
él no se podía jugar con la obediencia; sabía dar preceptos formales. Pero a todos les
otorgaría una atención paternal y fraternal, en especial a los más jóvenes. A todos los
encomendaba largamente en su oración.
Durante su doble período de Provincial (porque fue reelecto cuatro años más tarde), bajo
la regencia del P. Philipon mejoró el nivel de estudios. También escogió un Padre Maestro
que era un santo, el P. Dausse, ex misionero en Brasil. Con respecto a él, poco dotado para la
palabra pero que sabía comunicar a Dios, decía: "Cada día agradezco a Dios haberlo dado
como Padre Maestro a la Provincia". Se habían fundado dos nuevos conventos, en
Montpellier y en Niza (y en San Pablo, Brasil). En especial, le daba un alma a la Provincia. El
no escribiría, como lo hacían los primeros Provinciales (entre ellos el bienaventurado P.
Cormier) una circular de espiritualidad al comienzo de cuaresma, mientras se distribuían las
predicaciones cuaresmales; pero su amor, su intimidad con Sto. Domingo se transparenta
íntegramente en su carta, extraordinaria, escrita en el séptimo centenario de la canonización
del santo.

Devoto de María
Envejecía visiblemente, y él mismo decía: "sería hora de llevar el caballo al establo".
Pero ello no sería posible. En 1939 fue movilizado un número de sus hijos, y el 5 de
noviembre perdió un hijo muy querido, el P. Bernardo Geoffroy, profesor de teología positiva
en Angélico, un convertido, alma mariana si la hay, que, retomada su condición de aviador
durante la "extraña guerra", debía morir en pleno vuelo de reconocimiento, mientras que se
había propuesto como reemplazante de un padre de familia de cinco hijos. La derrota de 1940
lo aflige pero permanece en la confianza del Amor de Dios. Una operación de próstata en el
hospital San José, de Marsella, lo debilita: su serenidad, su abandono a Dios, su confianza en
María son sin reservas, pues tras su retiro anual de 1926 la Virgen tenía un lugar privilegiado
en su vida: era como una comunión continua con ella !
El, espiritualmente tan árido, y que se veía como excluido de ese Reino que daba por
seguro para los otros, había reconocido: "Ella no me deja". Decía de Ella: "Hay que amarla
un poco como Jesús la ama, no solamente por el Señor y por El Pueblo de Dios del que es la
Madre, sino por Ella misma, gratuitamente. "Escribía: "Jesús es la Vida, el agua que brota
hasta la vida eterna; pero para que esta agua brote en nosotros, es preciso que la fuente
bendita esté en el fondo de nuestras almas. De ahí el papel, el lugar de María en nuestra
vida... Jesús vino a nosotros a través de Ella. El camino seguido por El debe ser el camino
nuestro...! Cuanto más unido se está a María, más se comulga con su gracia maternal, esa
gracia de vida divina que tiene la misión de comunicarnos y que no es otra que Jesús mismo...
No separéis María de Jesús, María y Jesús, de la Santa Trinidad! En la economía de la
salvación, es la peña divina... María es un hermoso río que sin reserva y en la plenitud de su
cauce corre hacia Dios" . A los hijos de su Provincia, a los visitantes a los que permanece
siempre atento, les dice: "No vino a buscarme el 15 de agosto, ni el 8 de septiembre, será en
el día de Ntra. Sra. de los Siete Dolores!".
Después de las primeras Vísperas de esa fiesta, el 14 de septiembre, sonaba la hora de su
Pascua hacia el Padre, cuando acababa de expirar su segundo cargo de Provincial. Según su
deseo, será inhumado el 16 de septiembre en el pequeño cementerio de Sainte Baume. Los
hermanos estudiantes alojados en el albergue (el convento de San Maximino había sido
requisado como hospital militar) condujeron su féretro en medio de una asistencia recogida y
plena de esperanza. Descansa en ese cementerio campestre, junto al bosque de la gruta: todo
allí canta la paz de Dios y la espera segura de la Resurrección".

NOTAS

(1) La peregrinación magdaleniana es confiada a la Orden de Santo Domingo desde


1295.
(2) Por un voto del P. de Foucauld se encuentra en la gruta una vela encendida
permanentemente. Cuatro de sus ex-votos están también en las paredes de la gruta, uno de los
cuales corresponde al bautismo del primer tuareg, Ouksem.
(3) Esta palabra interior "tú serás un santo" entendida como una orden expresa venida de
Dios, él la había confiado al P. Danilo, entonces joven Guardián de la gruta. Fue una
confidencia que se le escapó. Era algo imperioso, como lo fue a los 10 años la otra locución
"serás cura", oída cuando era niño corista en San Céré, en el momento de una sepultura. Otra
locución le había sido así de perentoria, en el seminario, en ocasión de la lectura de Sto.
Domingo: "serás dominicano."
(4) En esos años había en la hospedería un pseudo-estigmatizado de gran renombre,
superchería que hizo descubrir el P. Vayssière.
(5) (5)Pero de noche, el Hno. Enrique y él vestían con amor el hábito dominicano que
usaban, según la costumbre, al dormir.
(6)Su vida fue escrita hacia 1932 por Henri Bordeaux, "El abate Fouques, el santo de
Marsella".
(7) Será obispo de Limoges.
(8)La Madre María Cecilia llegó a superiora general de Betania en Montferrand.
(9)"Tuve la gracia de confesar a los sobrevivientes de esa época, durante mi guardia.
Esas hermanitas eran puras como el cristal!".
(10) Lam. 3.1.: "Soy el hombre que ha visto su propia pobreza".
(11)Era la noche del domingo 17 de enero de 1917.
(12)Las palpitantes aventuras en medio de los indígenas, contadas en "Hoja de Ruta",
son verídicas y les sucedieron a tal o cual dominicano de la misión de Brasil. Pero, para
abreviar, el P. Tapie se las atribuye a él solo !
(13)El P. M. Vincent Bernadot O.P. (+1941), fundador de "La vida espiritual", y luego
de las "Editiones du Cerf".
(14)Los tres Provinciales presidían en París las reuniones de la tercera orden.
(15)San Maximino había recibido el refuerzo de los cursos de exégesis del P. J.M.
Lagrange, regresado de Jerusalén. Había en ellos excelentes y prometedores alumnos: los
Hnos. Gillon, Geoffroy, Labourdette; los dos Padres Nicolás y el P. Gagnebet ya dictaban sus
primeros cursos.
(16) Cf. "Con María Madre de Jesús", pp. 131-132.
ADT, Fonds Vayss., dossier 1936, articles, Spéville,
H.-D. de Spéville, « Le P. Marie-Étienne Vayssière »,
dans Courrier de la Sainte-Baume, pp. .

Le P. Marie-Étienne Vayssière dominicain,


Gardien fidèle de la Grotte (1900-1932)

Ceux qui s’approchaient de sainte Bernadette Soubirous voulaient voir les yeux qui
avaient vu la Sainte Vierge. Ceux qui ont fréquenté le Père Vayssière ont eu la conviction que
ce religieux voyait l’invisible, à l’exemple de son saint patron, le proto-diacre Étienne (Ac 7,
57) : limpidité, clarté, transparence, mais au prix de quels dépouillements ! Tôt privé de sa
mère (orphelin avant 5 ans), puis de son père, Toussaint Vayssière n’en a pas moins
manifesté un tempérament bien trempé, encore que craintif. Mais le dépouillement, il l’a vécu
au cœur même de sa vocation religieuse.

Entré chez les Frères Prêcheurs le 22 juillet 1887 à 22 ans, il rêve de devenir un
prédicateur de l’Évangile. Il s’y distingue par ses dons intellectuels. Avec le P. Pègues, il était
considéré comme l’un des frères de sa génération les plus prometteurs pour l’étude de la
théologie. Hélas, son élan fut brisé à tout jamais : asthénie cérébrale, fatigue, épuisement
l’empêchent de poursuivre le moindre effort intellectuel. Même le pratique des observances
régulières de l’Ordre demeurera hors de sa portée.

Profès solennel et prêtre en 1891, il passe ses six premières années de « ministère » au
couvent de Biarritz nouvellement fondé. Il ne pouvait ni prêcher ni confesser ni assurer un
quelconque travail. C’est alors qu’il est envoyé à la Sainte-Baume pour un remplacement. Il y
arrive le 29 avril 1900. Il y restera 32 ans ! Solitude et dépouillement lui sont échus en
partage. Seul l’attend là-haut le frère Henri Paul, frère convers au cœur généreux, mais sans
grande conversation. Là encore, comme si le dépouillement n’est pas complet, la Loi de 1901
sur les Associations et les Congrégations conduit à l’expulsion des Dominicains hors de
France en 1903, et ce jusque après la guerre de 14-18. Les couvents sont vidés, et l’Hôtellerie
nationalisée puis vendue. Le P. Vayssière reste à la grotte, avec fr. Henri, officiellement
comme vicaire du curé de Nans, mais forcé d’abandonner l’habit religieux et même son nom
de religion, se faisant appelé désormais M. l’abbé Toussaint Vayssière.

Ce qui constitue la ligne maîtresse de la spiritualité du P. Vayssière est le consentement à


la volonté de Dieu. Ce qui était jusqu’alors subi, ou même supporté avec patience et courage,
désormais il le choisit. « La volonté de Dieu, c’est Dieu », aimait-il répéter : il faut donc
l’aimer de tout son cœur et de toute son âme. À l’école de sainte Marie-Madeleine, le Père
Vayssière choisit le dépouillement total dans la recherche de l’unique nécessaire : se tenir
amoureusement aux pieds du Seigneur. Pour lui, l’adhésion à la volonté de Dieu à l’imitation
de Jésus s’épanouira dans une dévotion mariale très sûre et très profonde, sans fioritures ni
sensibleries, toute centrée sur l’essentiel de la foi. Marie est la mère de Jésus, elle est aussi
notre mère : elle nous enfante à la vie filiale, à la vie de la grâce.

Malgré sa santé déficiente, mais solidement ancré en Dieu, le Père Vayssière accomplira
de grandes œuvres, dont nous sommes encore les bénéficiaires aujourd’hui.
En plus de son rayonnement spirituel comme confesseur et conseiller, il mènera à terme
plusieurs projets : réfection des escaliers de la grotte en 1913,
aménagement d’une citerne et du Calvaire en 1914,
établissement d’une petite maison au Plan d’Aups, appelée Bethléem, pour y accueillir
des retraitants, bientôt remplacée en 1928 par Nazareth, en face de l’Hôtellerie.
En 1924, il persuade Pierre Pedone, propriétaire de l’Hôtellerie, de créer une société
anonyme dont les associations, représentant la Province dominicaine de Toulouse,
deviendront actionnaires, permettant ainsi à la Province de recouvrer son patrimoine.
Sans en être l’auteur, il sera à l’origine de l’inspiration de plusieurs œuvres. Il
reconnaîtra lui-même qu’il ne fut pas étranger à la fondation en 1908 du Pèlerinage du
Rosaire à Lourdes.
On lui doit aussi l’intuition initiale de la rénovation du laïcat dominicain sous l’égide de
sainte Catherine de Sienne, mise en œuvre, un peu différemment, il est vrai, par le fr. Joseph-
Marie Perrin († 2002).

Enfin, il faut mentionner l’œuvre dernière, toute de dévouement au service de ses frères :
ses deux mandats de Prieur provincial, du 14 septembre 1932 jusqu’à sa mort à Marseille le
14 septembre 1940. Il aura un regard surnaturel sur les personnes et les circonstances, et il
apportera une grande paix dans la Province après une période troublée. Sa tombe au cimetière
des Dominicains à l’Hôtellerie de la Sainte Baume est souvent visitée.
Ces quelques lignes qu’il écrit après une absence prolongée de la Sainte Baume
pourraient servir d’épilogue : « Me voici revenu au pays de sainte Marie-Madeleine, et je
vous trace ces lignes, le regard fixé sur sa chère Grotte qui est là devant moi, en face de ma
petite cellule dans ce quartier des Pères que nous occupions autrefois. Il me semble que je
reviens de l’exil, et que je me retrouve dans ma patrie, à ma vraie place. »

H.-D. de Spéville, op
ADT, Fonds Vayss., dossier 36, articles, J.-M. Perrin

On ne peut envisager de parler du père Vayssière sans réfléchir à ce qui a été une des
idées dominantes de sa vie, d'autant qu'elle est une expression très vive de l'esprit apostolique
qui possédait ce vrai fils de saint dominique. Je ne pouvais donc me récuser à la demande qui
m'en avait été faite, puisque je suis, sur ce point, le premier et souvent le seul témoin. Il ne
s'agit pas de présenter ici la fondation de Caritas Christi, mais seulement le rôle et la manière
d'être du père en ce qui touche cette fondation. Cela peut mettre en lumière qui il était. C'est
pourquoi j'ai donné à ces pages la forme très simple de témoignage, en m'excusant du tour
personnel qu'elles ont de ce fait; mais y avait-il moyen de faire autrement? La reconnaissance
est une excuse qui s'ajoute à la nécessité.
Pendant près de vingt ans, le père Vayssière porta dans sa prière “les petites soeurs de
sainte Catherine de Sienne, missionnaires du Sacré-Coeur et de N.-D. Du Rosaire”; ce nom,
un peu long, dit assez bien les éléments essentiels du projet. La première idée n'en revient
pas, semble-t-il, au père Vayssière, mais à son provincial d'alors. Le père Tapie avait été
frappé de la nécessité de raviver l'esprit apostolique chez lez tertiaires et ce désir avait attiré
son attention sur sainte catherine de Sienne et l'idéal qu'elle pouvait offrir à de telles
recherches. Le 27 novembre 1917, il recommandait donc au père Vayssière de penser à un tel
projet et d'en faire l'objet de sa prière. C'est cette date que vingt ans après me rappelait le père
Vayssière, en se plaisant à la voir liée à la fête de la médaille miraculeuse.
Cette idée était entrée si profondément en l'âme du père Vayssière qu'elle ne le quittait
plus et quand l'année suivante, le père Tapie, revenant là-dessus, disait au gardien de la grotte
de la Sainte-Baume, de ne plus prendre la peine de penser à ce projet, c'était chose inutile tant
il avait profondément mûri en lui.
Depuis lors, souvent le père Vayssière passait des heures à relier les écrits de la Sainte
dominicaine et à se faire une image de plus en plus précise de sa spiritualité. On avait appelé
“chapelet de sainte Catherine de Sienne”, les invocations qu'il avait formulées à la Vierge
siennoise: en elle il était fasciné par l'esprit apostolique, par l'immolation de soi pour la sainte
Eglise; il prévoyait, pour celles qui se mettraient ainsi à sa suite un voeu d'apostolat.
Si le père passait de longues heures en prière pour demander à Dieu se susciter cette
postérité spirituelle de sainte Catherine de Sienne, il avait le pressentiment et eut vite la
certitude qu'il n'était pas appelé à en être le réalisateur. Une de ses maximes était: “il ne suffit
pas qu'une chose soit bonne pour l'entreprendre, mais il faut être sûr qu'elle est la volonté de
Dieu”.
Il ressentait avec une compassion incroyable la détresse du monde sans dieu et on ne
peut oublier de quel accent il redisait: “je suis en cela comme notre Seigneur... Misereor
super turbam. J'ai pitié de la foule”.
Il avait parlé de ce projet à plusieurs tertiaires et envisageait avec une grande joie une
consécration à Dieu en plein monde qui rend, disait-il, “comme le lis au milieu des épines”,
soulignant d'ailleurs que cette oblation de soi devait être pour la sainte Eglise.
Plusieurs fois, il me parla à moi-même de son cher projet. Savait-il que je devrais un jour
le réaliser? Je suis porté à le croire. Je me souviens fort bien que, lui parlant d'une tertiaire qui
avait trouvé tant de joie dans sa première communion qu'elle s'était offerte à Dieu pour que
d'autres aient la même joie (toute jeune, mourante, elle prenait, selon le mot, les commissions
du ciel), le père lui avait fait demander de prier pour “les petites soeurs de sainte catherine de
Sienne”.
Dans les première semaines de 1937, je lui présentais une dirigeante jaciste ardente
apôtre d'action catholique, qui aspirait à cet idéal de vie laïque donnée en plein monde. Le
père, après l'avoir sérieusement écoutée, interrogée et comprise, lui remit le cahier contenant
ses notes pour qu'elle en fasse ce qu'elle penserait être la volonté de Dieu. “Ayez confiance,
et marchez”, lui dit-il et il ajouta: “si mon cahier ne vous paraît pas utile, vous pouvez le
brûler.”
Il eut dès lors la conviction que la recherche que je servais était la réalisation de sa
prière, c'est pourqoui il lui donna le nom qui représentait ses désirs et sa prière; il parla à
plusieurs ce celles qui étaient localement les plus proches et avec qui, souvent, il avait
réfléchi à cette nécessité dans l'Eglise (ce sont d'ailleurs deux d'entre elles qui avaient
recueilli ces notes écrites n'importe comment, sur n'importe quel bout de papier ou dos
d'enveloppes et qui avaient constitué le cahier qu'il avait ainsi donné); de mon côté, j'avais été
confident de recherches semblables et le 4 août 1937, s'offraient à Dieu sous le nom de
“petites soeurs de catherine de Sienne”, les premières de cette fondation qui, quelques années
plus tard, changeait de nom et devenait “caritas christi”.
Le projet porté par la prière du père Vayssière allais s'incarner dans ses traits, un langage,
une forme apostolique assez différents de ce que lui-même avait pensé mais qui répondaient à
la grâce qu'il avait appelée. “Je ne pense pas comme eux, dit-il une fois à un ami, mais la
grâce est avec eux.” Pour lui, que ce fût la volonté de Dieu, il ne cessa de me l'affirmer avec
la force qu'il savait mettre en tout ce qui touchait la divine volonté. Il avait conscience que
Dieu lui demandait le suprême dépouillement en cette oeuvre qu'il avait portée par tant de
prière. “Je serai d'autant plus dedans que je resterai dehors”, me disait-il un jour, où
j'insistaits pour qu'il prît vraiment part à la fondation; il me parlait alors avec une vigueur
sans appel du rôle d'enfouissement en terre que devait avoir une fondation; Dans cet esprit, le
4 août 1937, il ne voulut pas même venir bénir les premières appelées afin de bien marquer
que j'étais responsible de la fondation.
Sur bien des points, non seulement de style mais de pratiques, et de moyens exigés, nos
vues divergeaient. Il ne pouvait se rendre compte exactement de ce que devenait la vie réelle
des laîques pour qui la vie apostolique s'ajoute à la vie professionnelle et familiale, et cela,
d'autant que les conditions économiques de notre civilisation étaient sur le point d'évoluer
dans le sens que nous connaissons. Il se peut que le père Vayssière, partant du Tiers-Ordre et
des religieuses dans le monde qu'il avait rencontrées, n'ait pas vu la nouveauté de l'action
catholique et des déploiements qu'elle ouvrirait à une vie évangélique de consécration se
réalisant dans une forme authentiquement laïque; malgré cela, il ne douta jamais de la
fondation; il avait la conviction que le sceau de Dieu serait la fusion dans l'unité des divers
rapports qu'il me désignait un jour comme l'ancien et le nouveau testament”. Jamais il ne
songea à faire acte d'autorité pour imposer ses idées; il le pouvait, à la fois comme provincial
et comme ancien écouté avec avidité depuis quinze ans, dès les premiers jours de mon
noviciat.
Il n'empêche qu'une dure obscurité pesait sur lui par rapport à cette fille de ses désirs...
Les promesses divines dépasseraient ses prévisions, mais il ne devait pas en voir la pleine
réalisation.
En 1939, je prêchais le Carême à Biarritz; ses devoirs de provincial l'y amenèrent. Nos
divergences n'altéraient plus la lumière; il donnait pleinement son accord – en ce qui le
concernait – aux engagements définitifs des premières que devait recevoir l'évêque de
Marseille en la prochaine fête du Sacré-Coeur; il avait rencontré une nouvelle vocation qui
allait sans tarder se joindre aux premières.
A la fin de l'été, la guerre éclatait et s'achevait temporairement à l'hôpital Saint-Joseph de
Marseille où il devait subir une opération. Il avait la certitude intérieure que la Vierge Marie
ne tarderait pas à venir le chercher; alors que tous le croyaient hors de danger, il attendait
l'accomplissement de la promesse divine.
A la veille de sa mort, il me fit venir pour me faire ses adieux, me confier un des soucis
qu'il portait et me parler de “l'oeuvre” comme il le disait. Il m'exprima clairement sa pensée,
me fit ses dernières recommandations et appela sur ce qui allait devenir bientôt Caritas
Christi, la bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit, cette bénédiction que la croix
exprime et qui nous redit la même promesse: autre celui qui sème, autre celui qui récolte;
tous n'ont qu'une joie: que Dieu soit aimé, lui qui seul donne la croissance.

J.-M. Perrin, op
ADT, Fonds Vayss., dossier 36, articles, Perrin
Conférence du père J.-M.. Perrin à la Sainte-Baume du 8 septembre 1990

Je vais vous présenter le frère Perrin, qui est tout de même bien connu ici surtout dans la
région marseillaise car il a été très longtemps marseillais. Il va maintenant nous parler donc
du pare Vayssiere dans son action auprès des laics.Vous savez que le père Vayssiere avait
reçu instruction de son provincial en 1917 de fai-re quelquechose pour les laïcs . Le Père
vayssiere a toujours été obsédé par cette renaissance d'un laïcat à l'intérieur de la famil-le
dominicaine : il l'a commencée avec la"petite oeuvre de Bethléem" et puis ensuite à Nazareth
et le père Perrin.yqui a bien connu le père Vayssiere)est celui qui a réalisé,à sa manière, cette
oeuvre auprès du laïcat quelques années après . Voilà, je lui cède la paro-
le:
Evidemment, après ce qui a été dit, je viens en parent pauvre parce-
que l'oeuvre , même réalisée est peu de chose à côté de ce que nous avons constaté du
père Vayssière . Mais je voudrais être totalement transparent, ne pas dissimuler les questions ,
et en même temps avec vous réfléchir à tout ce qui peut rester à faire,de ce>après les
réalisations actuelles. C'est, en effet, en 1917, que le père TAPI et le père VAYSSIERE
plaçaient cet entretien le 27 novembre , ce qui lui était cher parce que c'est la fête de la
Médaille Miraculeuse donc une fête de NOTRE.DAMEI le père VAYSSIERE , donc, m'a
parlé une fois ou l'autre de cet entretien avec son provincial qui lui a dit, parce qu'il avait vu
une réalisation catherinienne à Marseille, ilfaudrait faire quelquechose pour transformer les
Tertières Domini-caines,susciter un laïcat inspiré par Catherine de Sienne. Et cette idée est
entrée dans l'âme du père VAYSSIERE et ne l'a plus quittée. Et ce qui est frappant, c'est que
l'année suivante, le père TAPI LUI A DIT:"ah! ce que je vous ai dit, n'y pensez plus, ce n'est
pas ià peine et il n'en fût rien parce que la père VAYSSIERE était possédé de cette idée de
créer, de susciter un laïcat qui soit comme une ...dépendance... une descendance spirituelle de
Catherine de SIENNE, qui fasse revivre aujourd'hui Catherine de Sienne dans la famille
dominicaine. Et donc il faudrait, pour présenter bien les choses, suivre ces années pendant
lesquelles le père VAYSSIERE a porté ce désir en parlant à l'un à l'autre tantôt d'une manière,
tantôt d'une autre, il n'est pas facile, même lorsque j'étais tout à fait à Saint-Maximin encore,
de concilier certaines manières de parler, il a même pensé qu'il y ait ici un centre où les
membres de cette famille dominicaine méneraient une vie toute religieuse et seraient au
dehors apôtres, en dehors de la maison ,il y a des cho-ses comme ça. En tous cas, il serait bon
- et là je ne peux pas le faire , je ne l'ai pas fait - de connaitre l'évolution, les tâ-tonnements,
les essais de réalisations du père Vayssière entre ce
1917 et la réalisation des 20 ans plus tard. Donc, là il y aurait toute une préhistoire, très
intéressante et je pense que c'est un jour une chose qui pourrait devenir une thèse pour un
jeune frêre, de voir comment le père VAYSSIERE a conçu ce laïcat apostolique ins-piré par
Catherine de Sienne. Toujours est-il que je savais que la père VAYSSIERE avait cette
pensée, mais evidemment je ne pen-sais pas du tout que ce serait moi qui serait le réalisateur.
Vers les années 1936, donc... déjà en 35, le père VAYSSIERE m'avait dit (il y avait une
Tertiaire qui se mourait à Saint Joseph, et qui prenait les commissions pour le ciel) et pour la
première fois,le père VAYSSIERE m'a dit:" Dîtes lui de prier pour les Petites Soeurs de Ste
Catherine de Sienne " . C'est la première fois que j'ai enten-du le nom que le père
VAYSSIERE donnait à ce projet qu'il portait. Toujours qu'il avait eu aussi - parce qu'il y
aurait à noter aussi ce caractère - des intuitions de tel ou tel de ses proches qui lui avait dit
que la réalisation se ferait à son second provincialat. Donc, de fait, il a été réélu en 1936.
Mais toujours est-il, qu'au début de l'année, une Tertiaire, ici présente, ayant entendu parler
d'une apôtre extraordinaire qui transformait son village et qui était à la fois ardente dans
l'amour de Dieu et capable de grandes oeuvres -elle se disait, elle-même désireuse de remuer
le monde- le père VAYSSIERE entendit parler de cette Juliette Moland et, comme je de-vait
la rencontrer dans une retraite où se créait la J.A.C.-la jeu-nesse agricole chrétienne- il
m'avait recommandé de voir...d'avoir le souci... parce que elle pourrait être pour cette oeuvre
de Catherine de Sienne. De fait, dès cette retraite, j'ai tout de suite perçu le caractère
extraordinaire de cette jeune apôtre et qui était entourée de toutes, qui s'effaçait pour laisser
passer tout le mon-de, et qui était caractérisée par le.... comme une flamme provençale. Alors
une flamme,et une flamme en style provençal,c'est quelquechose! Donc, dans cette retraite ...-
elle a mis par écrit, heureusement, cette rencontre, ce n'est pas le jour puisque je veux rester
dans le père VAYSSIERE - ...mais à la fin de la retraite, les choses en restèrent là, nous
partîmes chacun de notre coté. c'est simplement cinq ou six mois plus tard qu'elle revint et
que nous sommes venu à la Ste-BAUME, pendant l'été I936,sans qu'elle rencontre le père
VAYSSIERE qui justement était au Chapitre Provincial qui l'a réélu. Donc, Juliette avait
conscience que le Seigneur voulait fonder quel-quechose pour ce laïcat, pour qu'il y ait des
saints dans le monde. C'était le désir qui la brûlait et à Noël de cette année 36 brusque-ment,
dans une grâce mystique de plus haute tenue, elle eut conscien-ce que le Seigneur lui
demandait, à elle, et à moi avec elle, de fonder un Ordre laïc sous l'égide de Sainte Catherine
de Sienne. Donc, je n'avais qu'une chose à faire:en parler au père VAYSSIERE qui était à la
fois le Provincial, mon supérieur par conséquent, et le frère très aimé à qui nous aimions
demander les conseils pour les choses les plus importantes. Pendant ce temps Juliette vivait
ce qui a été relu tout à l'heure, de cette vive flamme d'amour, de ces grâces exceptionnelles
données à ceux qui ont une mission de Fondation.J' étais très ému de penser que ce texte, que
Juliette vivait, sans l' avoir jamais lu , me soit relu au moment où je pensais à ces mois avant
la rencontre avec le père VAYSSIERE . Donc, le père n'a pu concrète et pratique, j'ajoute que
je prépare, par.là, la réponse par vous désirée au sujet de l'approbation totale et explicite
attendue de mon autorité, comme aussi des changements intervenus dans mon attitude. En
septembre dernier, mes impressions étaient moins claires et
précises dans mon esprit. Au cours de ces derniers temps elles se sont davantage fixées et
affermies, et de là une manière d' agir et de voir plus ou moins modifiée. Notez bien, j'y
reviens encore, que je n'incrimine en rien le cours actuel des choses. Le Bon Dieu l'inspire
sans doute et le veut de la sorte et, en conséquence, je le veux avec Lui et serais vraiment
heureux de sa réussite. Mais, malgré tout, mon impression intérieure sub-siste. Puis-je, dans
ce cas, parler et agir en sens contraire? Je ne le crois pas et je le crois d'autant moins que mon
appro-bation n'aurait aucune valeur pratique. En la matière l'appro-bation d'un provincial est
impuissante à agréger une oeuvre nou-velle à l'Ordre dominicain. Il y faut l'approbation
officielle du Maître Général et voilà pourquoi, sans réticence aucune,j' approuve pleinement
votre pensée de recourir au Maître Général, lui-même, pour avoir de son autorité supême
l'approbation que vous estimez déjà opportune et désirable dès maintenant. Et, bien
sincèrement, je fais les voeux les meilleurs pour qu'il vous l' accorde en pleine conformité à
vos désirs. Excusez ces lignes, cher père, tracées à la hâte, mais pour une rédaction meilleure,
je n'ai pas voulu les retarder puisque vous ête's tout désireux de les reçevoir ,sans retard.Et
croyez bien que malgré les quelques divergences,qu'elles vous signalent, cela ne diminue en
rien la bonne affection que je vous garde toujours ni mon désir de vous aider toujours de mon
mieux dans les manifestations où votre zèle pour Dieu et pour les âmes pour-ra s'exprimer,
dans l'avenir.
et à ce moment là, j'ai beaucoup de rencontres avec le père Vayssier qui m'encourageait à
prendre toute la possibilité apostolique néces-saire pour remplacer les aumôniers,des
différents groupes jécistes, mobilisés et partis au front. Donc ça a été toute une année de très
chaud encouragement dans la vie apostolique.Et au mois de septembre 1940 (je l'avais revu
plusieurs fois) il était à l'hopital St Joseph et, je ne sais plus si c'était le 13 ou le 14 septembre
au matin ( j'aurai le moyen de retrouver le jour ) il me fit appeler d'ur-gence. Il me parla d'une
question,qui lui tenait à coeur, et puis il ajouta que son départ était imminent, qu'il avait
manqué le 15 aôut, que la Vierge n'était pas venue le chercher pour le 8 septem-bre, que ce
serait donc pour la Fête de ses Douleurs qui commence-rait le 14, par les premières vêpres.
De fait le père était abso-lument sûr de l'imminence de son départ et c'est ce qui est arrivé.
Donc, je peux rendre témoignage que la veille il savait qu'il al-lait partir. La mère
Annonciade, supérieure de St Joseph, disait: " Le père se fait des idées, il croit qu'il va mourir
comme ça, c'es pas sûr du tout: A ce moment là, le père me reparla de l'oeuvre, il me dit un
mot sur les trois Principales: sur Juliette, sur Claire Fiouppe, sur Solange Baumier et puis il
me dit: " Prenez le timon, tenez le et ça ira et je vous bénis." Er c'est donc avec cette
bénédiction pour l'oeuvre qu'il avait por-tée, pendant vingt ans, que je suis reparti et qui a été
scellée l'après-midi même, ou la veille je ne sais plus, ou le lendemain, par sa mort qui était
survenue le 14 aux premières vêpres de Notre Dame des Douleurs. C'est donc dans cette ligne
que l'oeuvre a grandi avec,d'une part ces directives de Pie XI voulant que le caractère laïc soit
de mieux en mieux marqué, pour en respecter l'originalité et ensuite, l'évo-lution différente
avec les groupes se multipliant, naissant au fur et à mesure au Brésil, en Allemagne, en
Italie...d'une manière... d' une diffusion très rapide, mais en même temps la forme Institut
Séculier, qui au démarrage avait été le respect de la vocation du Donc, au moment même où
il écrivait cette lettre ( elle est très belle, cette lettre- justement à la fois cette clarié, cette dis-
tance- c'est une des merveilles qui expliquent cette évolution d'ui mouvement )Pie XI désirait
que les mouvements qui naissaient dans le laïcat, dans ce sens, prennent un style
profondemment, totale-ment laïc; si bien qu'il désirait les rattacher non à la congréga-tion des
religieux mais à la congrégation du concile. J'avais rap-porté cette directive de Saint Gall, où
je m'étais rendu l'année précédente et le nom de Petites Soeurs de Ste Catherine était plus fait
pour désigner une forme de vie religieuse qu'une forme laïque Il était donc , dès ce moment
là, mis en question. Et ce qui montr à la fois la grande compréhension du père Vayssiere, au
moment même où il montre la distance, c'est que il me présentait,en même temps une
Nouvelle pour qui il pensait que sa vocation était ce groupe même dont il notait les
divergences. J'ai vu après sa mort, dailleurs, la lettre qu'avait écrite le père Vayssiere. Elle
était si parfaite que je ne l'aurais pas écrite autrement, respectant sa vocation à elle et ne
mettant pas,du tout, en doute le groupe qui allait devenir Caritas Christi prenant donc un autre
mot. Mais en même temps, quelques jours après cette lettre, nous nous rencon-trions et il
semblait plus conforme à l'état actuel de l'évolution de ne pas demander l'approbation de
l'Ordre, mais simplement de rester dans la ligne diocésaine, Mgr Delay reçevant les premières
donations pour la fête du Sacré-Coeur 1939. Mais parce que, justement, l'une des premières
qui venaient du pèr Vayssiere s'était retirée, je dois avouer que ça simplifiait cer-taines
choses: elle avait contribué à gener certaines relations. Nous étions en juin 1939, deux mois
plus tard, c'est la guerre

J.-M. Perrin, op

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