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Journées @ univ.

/ Orme - Marseille - Octobre 2000

Les TIC à l’université : potentiel des


outils et conditions d’accès à
l’autonomie de l’apprentissage

Monique LINARD, Pr Em.


Université Paris X Nanterre
Irruption de l’instrumentation de la
connaissance comme problème
• Jusqu’ici, la description des enseignements à l’université
était fondée pour l’essentiel sur la définition :
• des territoires et des contenus scientifiques,
• des objectifs et des méthodes disciplinaires,
• des critères de sanction de la compétence chez les
chercheurs, les enseignants et les étudiants.
• La maîtrise des processus et des outils de connaissance
était considérée comme acquise ou allant de soi.
• Avec les technologies de l’intelligence : rupture dans les
modes de diffusion et de traitement, mais aussi de
production et d’acquisition des connaissances.
Mutation des outils de connaissance :
transformation des produits, permanence des processus

• Les TIC ne transforment pas les processus cognitifs de base mais


les moyens et conditions socio-économiques de production et
d’acquisition des connaissances.
• Cette transformation modifie les pratiques et les usages de la vie
courante, mais aussi l’épistémologie et les conditions de
production et de validation de la connaissance savante.
Modification des conceptions de temps, espace et causalité,
des modèles de rationalité, de raisonnement
• Interactivité dynamique, multimodalité sensorielle, opérativité et
manipulabilité directe des formes, accessibilité : la synergie de
ces propriétés dans la représentation symbolique des TIC crée de
nouvelles relations à la connaissance.
-> D ’une vision descriptive à une vision performative.
Les TIC, outils amplificateurs de processus

• TIC : d ’abord des outils fonctionnels du voir et du faire qui


nous attaquent directement au niveau neurophysiologique.
• Amplificateurs cognitifs qui catalysent la puissance et la vitesse
de nos fonctions d’action, perception, représentation et affect.
• Mais amplificateurs hyperdynamiques qui tendent à privilégier
les processus aux dépens des contenus et la conduite de l’action
(les moyens) aux dépens de la réflexion (les fins).
• --> Ambivalence des TIC liée à l’ambivalence (puissance et
artifice) de leurs représentations virtuelles du réel :
– Outils d’action remarquables : pour agir, interagir, explorer,
expérimenter, chercher de l’information, échanger, inventer;
– Outils de réflexion pauvres et même parfois contre-performants. La
performance immédiate tend à masquer les coûts, les conditions et limites
de validité et les conséquences à moyen terme de son efficacité.
De la raison linéaire à la raison réticulaire
• Depuis toujours, l’évolution des modes de production et de
diffusion des connaissances se fait au travers des outils,
équipements, méthodes d’exploration, recueil et de validation.
• Réseau : support typique des formes auto-organisatrices
complexes : interactives, dynamiques, réflexives, fluctuantes,
incertaines. Avec les TIC, les acteurs de l’action, leurs situation
et leurs aléas entrent comme éléments dans les processus mêmes
de conceptualisation et de théorisation.
• --> Cyber-pensée : une rationalité de type réticulaire à
logique floue, non exclusive, non hiérarchique, non linéaire.
• --> Fonctionnement par associations, aggrégats et noeuds de
relations, par « modèles » composites plus ou moins vérifiables
et réfutables, par conceptions de type collaboratif et inter-
disciplinaire déterminées par leurs thèmes et leurs objets.
Enseignement des contenus vs pédagogie des processus

• Remise en cause des modèles classiques d’enseignement par


transmission fondés sur la culture du livre, le discours expert du maître,
l’autorité des textes consacrés par l’expérience passée (cf : « crise de l’école »
dans tous les pays).
• Recours à une pédagogie de formation des processus cognitifs:
souhaitable mais complexe et difficile à mettre en oeuvre.
• Pourquoi? En éducation :
– Efficacité des TIC comme outils d’apprentissage : toujours pas
démontrée à grande échelle : gouffre entre réussites locales et globales.
– Coûts exhorbitants des équipements, des documents et des formations
des personnels : toujours pas résolus.
– Conceptualisation des théories et méthodes d’instrumentation de la
connaissance et de l’apprentissage par TIC : toujours pas au point.
• -> Risques de passer de l’excès de structure du discours
magistral à l’excès d’activisme des outils.
Un paradoxe de l’Enseignement Supérieur

• L’utilisation efficace et autonome des TIC nécessite des


compétences socio-cognitives de haut niveau autrefois exigées
des seuls cadres supérieurs : autonomie, initiative, capacité à
gérer complexité et incertitude, à collaborer, apprendre et
s’adapter « tout au long de la vie ».
• Le développement massif de ces compétences devient un enjeu
politique et industriel majeur et la maîtrise des TIC un facteur
d’exclusion économique et social, entre pays et dans chaque pays.
• A l’université, la capacité des étudiants à accéder au travail
autonome et à la forme académique de la connaissance sont
deux facteurs décisifs, à l’origine de nombreux échecs.
• Pourtant ces compétences sont considérées comme des prérequis
hors-discipline qui relèvent de la pédagogie et de la didactique et
ne sont pas à assumer par l’enseignement proprement dit.
Un paradoxe des TIC

• Les TIC actuelles ont tous les potentiels techniques nécessaires


pour instrumenter le développement des processus cognitifs qui
conditionnent en amont les capacités de travail autonome et de
formalisation conceptuelle.
• Mais en raison de leur déséquilibre de nature entre fonctions de
représentation-action et fonctions de réflexion, elles tendent plutôt
- chez les débutants - à favoriser les apprentissages de premier
ordre (empiriques, pratiques, dépendants du contexte) par rapport
aux apprentissages de second ordre (abstraits formels).
• La recherche montre que par elles-mêmes, les TIC servent
surtout à ceux qui savent déjà s’en servir (les experts et les bons
élèves) et qu’elles présupposent acquises plutôt qu’elles ne
suscitent les fonctions cognitives nécessaires à leur usage optimal.
Des résultats de recherche mitigés
• OUI, les TIC peuvent, à tous les niveaux, améliorer certaines
modalités cognitives, psycho., sociales de l’apprentissage;
• NON, sauf pour les utilisateurs déjà experts, elles ne peuvent
pas le faire seules, ni en-dehors de conditions techniques,
institutionnelles, pédagogiques, également observées depuis
longtemps en situation d’enseignement traditionnel.
• OUI : les TIC peuvent aider à passer d’une pédagogie de
transmission des connaissances à une pédagogie de
construction des processus cognitifs qui les rendent possibles.
• NON, elles ne le font pas à grande échelle en raison de :
– la faiblesse générale des conceptions de l’apprentissage
qui empêche d’exploiter au mieux les potentiels des outils.
– la sous-estimation des contraintes de l’innovation qui
entraîne à plaquer du neuf sur des situations inchangées.
Des confusions conceptuelles à réduire
. Interactivité technique (réactivité d’un dispositif lui permettant de
s’adapter automatiquemt à des stimuli externes),
Interaction humaine (influence réciproque des actions et compor-
tements d’individus ou groupes d’individus dotés de sens et
d’intention).
-> C’est l’interaction qui pilote l’interactivité et non l’inverse.
. Information (description et organisation rationnelle de données et
procédures objectives, matérielles et symboliques),
Savoir(s) ou connaissances (information finalisée, décrite dans
des discours et documents socialement validés,
Connaissance (processus subjectif interne d’intériorisation des
informations et des savoirs par un individu et état qui en résulte ).
-> C’est la connaissance en tant que processus individuel-collectif
qui produit l’information et les connaissances et non l’inverse.
Des discontinuités à surmonter
• Rupture entre savoirs sociaux externes et connaissance interne
des individus. La transformation de l’un en l’autre constitue
l’objet même de l’apprentissage (Psychologie du développement)
• Rupture entre compétence cognitive des experts et compétence
des novices. Le passage de l’un à l’autre explique les problèmes
propres à tout apprentissage (Psychologie cognitive).
• Rupture entre les divers espaces de représentation symbolique
qui constituent un environnemt d’apprentissage, avec ou sans TIC
– espace-tâche (description objective par l’enseignant-expert, du domaine et
de l’activité à réaliser) et espace-problème (interprétation par l’expert des
stratégies à mener par le débutant pour réaliser la tâche et aussi
interprétation de cette interprétation par le débutant).
– espace-navigation (espace symbolique des objets, actions et parcours
aménagés par l’expert à l’intention du débutant et pilotage effectif par ce
dernier de son propre apprentissage à l’intérieur de cet espace).
Des transitions cognitives à assurer
• Les difficultés de la transition du premier ordre (pratique)
au second ordre (théorique) de la connaissance sont bien
repérées par la recherche. Elles peuvent servir de repères aux
conceptions de formation par TIC . Transitions :
– des objectifs immédiats du faire et du réussir (recherche des
effets) au objectifs différés du comprendre et du réfléchir
(recherche des causes et autres relations sous-jacentes),
– de l’abstraction empirique spontanée à l’abstraction
conceptuelle formalisée,
– du pilotage cognitif au pilotage métacognitif de sa propre
conduite d’apprentissage,
– des méthodes locales d’analyse aux approches globales
synthétiques des contenus, structures et procédures du
domaine.
TIC en éducation : processus
d’autonomisation et médiation humaine
• Les pédagogies interactives sont des pédagogies du processus,
centrées sur l’activité des apprenants. Elle prennent en charge la
formation des structures et fonctions cognitives - psychologiques
et sociales, individuelles et collectives - qui conditionnent en
amont l’accès au second ordre « savant » de la connaissance.
• Les TIC ont toutes les propriétés nécessaires pour instrumenter
une pédagogie des processus et la transition vers la connaissance
savante. Mais elles ne le font pas seules.
• Pour les débutants et semi-débutants, il faut un médiateur
humain :
– pour apporter sens, direction et distance réflexive à l’activité spontanée
des apprenants,
– pour développer le niveau méta-cognitif de l’auto-régulation cognitive
qui permet d’accéder à l’autonomie.
Potentiels des outils et apprentissage humain

• La technicité des TIC est largement en avance sur nos


capacités à en faire un usage correct et approprié.
• La définition de : « qu’est-ce qu’un usage approprié des TIC
en éducation » reste à faire. Elle ne relève pas seulement de la
rationalité technique, mais surtout et d’abord de la rationalité des
conduite humaines, elle-même pilotée par une vision de la
société et de l’avenir que l’on désire aménager.
• On a encore besoin de beaucoup de recherche et de réflexion
pour mieux articuler les propriétés techniques des outils aux
propriétés humaines de l’acte d’apprendre.
• Des pistes et des solutions partielles existent. Elles ont toutes en
commun de poser la question des TIC non pas contre, ni à côté,
mais en relation avec l’activité humaine en général et avec
l’apprentissage en particulier
TIC en éducation : vers une application du
principe de précaution
- Pédagogie des processus et enseignement des contenus ne sont
pas antagonistes mais complémentaires. L’un est la base,
l’autre est l’aboutissement. Eliminer l’un au profit de l’autre
est une prise de risque aux conséquences imprévisibles.
- Toute activité instrumentée est un « mixte » incertain qui
résulte de l’interaction entre les propriétés objectives des
outils et les capacités subjectives des utilisateurs à les mettre
en œuvre (Rabardel, 1992). --> Il n’y pas d’efficacité absolue
ni automatique à attendre d’aucun instrument.
- On ne sait pas encore comment, dans chaque discipline,
intégrer les TIC pour en faire des moyens souples et
accessibles d’accès à l’apprentissage autonome et à
l’abstraction formelle.

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