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ROSETTE POLETTI
Rosette POLETTI
Infirmière chercheur
Il était une fois un ashram, un .centre religieux aux Indes. Le Guru responsable de
cet ashram aimait beaucoup les chats et il en possédait un magnifique qui n’avait qu’un
défaut, durant l’office solennel du ‘soir, il se promenait parmi les fidèles et perturbait leur
recueillement. Le Guru demanda à ses aides d’attacher ce chat tous les soirs, cinq mi-
nutes avant l’offke solennel. Ce qui fut fait. Les années passèrent, le Guru mourut, son
chat aussi, un autre chat remplaça le premier et il fut fidèlement attaché cinq minutes
avant le début de l’office solennel. Trois cents ans plus tard, des disciples de ce Guru
écrivirent un savant traité sur le rôle indispensable d’un chat attaché pour le bon dé-
roulement de l’offke solennel du soir.
Combien de “chats” attachés a-t-on encore dans les soins infirmiers 2 Je ne sais pas
exactement, mais il faut admettre que de nombreuses situations quotidiennes reposent
sur des traditions plus que sur des faits, sur des opinions que sur des connaissances
scientifiques.
Cependant cet état de chose est en train de changer et la recherche en soins infirmiers
devient une réalité. J’ai la chance~de représenter l’Association Suisse des Soins,Infirmiers
au Groupement Européen des Infïrtiières,(2hercheurs et en quelques années, je mesure
l’avance formidable de cet aspect de la discipline des soins in&miers.
Dès le début de l’histoire, les hommes se sont posé des questions à propos de leur ex-
périence, à propos de la nature de leur activité. Ils ont cherché des réponses à travers
différentes approches, ils ont essayé d’expliquer les phénomènes par la magne, l’autorité,
le raisonnement logique et la méthode scientifique.
De #me au .cours des âges, les infirmières ont utilisé toutes ces approches pour ex-
pliquer,leurs activités et résoudre leurs problèmes.
L’homme primitif pensait qu’un pouvoir surnaturel expliquait ce qui pour lui était
inexplicable, puis des sages, des autorités devinrent ceux sur lesquels on se reposait pour
donner des réponses dans,des situations difficiles.
Du reste, les experts continuent à être utilisés c& la recherche ne peut donner des
réponses immédiates à tout. Il n’y a en fait que trois cents ans que la recherche pro-
prement dite existe.
La recherche en soins infirmiers est encore beaucoup plus jeune. Les soins infirmiers
ont toujours été considérés comme une discipline appliquée, comme une “pratique”. On
plaçait beaucoup plus d’importance sur les aspects pratiques que sur les idées ou sur les
connaissances abstraites.
D’autre part, les infirmières tendaient à accepter sans question les idées et les ordres
des autorités.
Florence Nightingale avec tout son génie avait tout de même placé la formation
en soins infirmiers dans la tradition militaire, ce qui a ,contribué à souligner le concept
de l’autorité et celui de la tradition.
Il y a quelques années encore, une infirmière qui disait : “Il doit y avoir une meilleure
façon de faire !” était suspecte.
La prévention~des escarres :
Depuis plus de trente ans, des recherches sur la prévention des escarres ont été menées
à bien. Ces recherches démontrent clairement que de tourner les patients fréquemment
et régulièrement s’avère être la mesure préventive la plus efficace. Il est possible d’iden-
tifier les patients à risque de sorte que le temps et les ressources infirmières peuvent être
concentrées sur ceux qui en ont le plus besoin. Cependant encore aujourd’hui, on ne
tourne pas les patients aussi souvent que nécessaire, et les infirmières espèrent trouver
une lotion ou potion qui assurera les soins pour elles, quand bien même elles connaissent
la pratique la plus efIïcace.
22 Rencontre avec . . .
L+x prise de températuree buccale avec un thermomètre en verre :
La recherche sur le fait de dkterminer la température des patients date des années
soixante. A température ambiante, neuf minutes sont nécessaires chez les femmes et huit
minutes chez les hommes pour obtenir un résultat correct. Si vous demandez aux infir-
m&es, elles savent que leur pratique habituelle (de laisser le thermomètre en place une
h trois minutes) ne correspond pas à un savoir adéquat, et pourtant elles continuent à
tàire ainsi.
La dépkdance psychique aux opiacées, si crainte, s’est révélée ne pas être un vrai
problème pour les patients.
L’Adriamycine est l’un des médicaments cytotoxiques les pluy @Ecaces pour un .cer-
tain nombre de tumeurs solides. C’est en particulier l’un des agents simples le plus efi-
cace dans le traitement du cancer avancé du sein. Malheureusement pour la majorité
des patientes (90 à 95 %) il cause une perte des cheveux complète. Cette perte est rapide
(un à deux mois après le début du traitement) et très traumatisant pour la patiente,
spécialement dans la mesure où elle peut avoir également subi une opération chirurgicale
mutilante.
Bien que les cheveux recommencent à pousser une fois que la traitement est terminé,
la patiente sera restée chauve pendant un temps pouvant alter jusqu’à six mois. Des
rapports sont apparus il y a plus de cinq ans sur te fait que le refroidissement du cuir
chevelu peut être une manière effective de prévenir I’alopécie induite par 1’Adriamycine.
La première étude a été menée par Dean aux U.S.A.. On a utilisé de la glace pilée
comme agent de refroidissement et obtenu de bons résultats bien que le succès soit en
relation avec la dose d’Adriamycine administrée.
Cette étude a été .répétée, utilisant une technique de refroidissement plus brève et
utilisant comme agent de refroidissement, le Cryoget. La moyenne de succès global était
très semblable à celle de Dean. Parfois des succès ont été obtenus avec des patientes re-
cevant bes doses également plus élevées (80 mg). L’insuccès de cette technique peut ètre
du au mauvais fonctionnement hépatique. Deux études qui suivirent obtinrent également
de bons résultats.
Rosette POLETTI
-
Ces études ont été répétées en Suissé, en France et souvent avec d’excellents résultats
lorsque la, procédure était respectée. Malheureusement, il y a des endroits où cette pos-
sibilitk n’est pas offerte aux patients, simplement parce’ que les infirmières ne la
connaissent pas.
Par conséquent, voila cinq domaines dans lesquels la recherche en soins infirmiers est
suffisante pour nous fournir à nous, infirmières, des découvertes valides et sûres que nous
devrions incorporer à ,la pratique infirmière.
De nombreuses recherches ont aussi été, faites concernant la meilleure manière d’or-
ganiser les soins à donner aux patients. Par exemple les soins individualisés semblent être
plus satisfaisants aussi bien pour les soignants que pour les patients, mais il n’y a pas
encore de résultats significatifs sur le plan des économies réalisées par ce système.
En ce qui concerne le processus de soins infirmiers; nous avons terminé en mars der-
nier l’étude faite en Suisse, la première recherche purement “Soins Infirmiers” subven-
tionnée par le Fond National Suisse de la Recherche. Les résultats sont probants sur le
plan de la qualité des soins, de la manière globale de soigner la personne, sur la qualité
de transmission de l’information, sur l’intérêt au travail des soignants. Ce qui n’est pas
encore démontré, c’est l’économie réalisée par l’utilisation du Processus de Soins Infir-
miers. Il faudrait un temps plus long pour voir si les patients rechutent moins, si leur
séjour,est ab%g6 et si la rotation du personnel diminue.
Cequi nous manque encore souvent., ce sont des recherches ,qui permettent de dé-
montrer l’avantage sur le plan $co,nomique d’une haute qualité de soins infirmiers.
Ainsi, il existe des résultats fiables, on peut les obtenir, ils peuvent être traduits et
disséminés, alors sont-ils utilisés ?
Certains chercheurs ont fait des travaux sur l’utilisation de ces recherches’dans la
pratique et il se confirme que les infirmières n’utilisent pas, où n’utilise que très peu ces
résultats de recherche.
Ces cinq raisons sont celles que suggère Jennifer Hunt, infirmière chercheur au Royal
Marsden ~à’Londres.
2 4 Rencontre ‘avec . . .
Il est essentiel de faire la différence entre la conduite d’une recherche et l’utilisation
du savoir acquis par cette recherche, soit le transfert des résultats des découvertes de la
recherche, dans la pratique infirmière. Lire, comprendre et même accepter les résultats
d’une recherche ne veut pas dire être capable d’en transposer les résultats dans la prati-
que.
Finalement on doit reconnaît.re que les infirmières peuvent être empêchées d’utiliser
les découvertes de lë recherche et d’introduire des innovations. Les soins infirmiers sont
souvent résistants au changement, préférant la sécurité de pratiques et procédures éta-
blies. Cela peut signifier que ceux qui ont l’autorité pour entamer un changement ne le
veulent pas, pendant que ceux qui veulent innover n’ont pas l’autorité requise.
LA COMPRÉHENSION
Il faut qu’un changement se produise des deux côtés tant des chercheurs que des
praticiens, pour augmenter chez les infirmières la compréhension de la recherche. Par
exemple, les chercheurs infirmiers devraient sentir l’importance d’écrire les implications
de leur recherche pour la pratique infirmière et prendre part à la responsabilité de mettre
le rapport de recherche sous une forme qui peut être utilisée dans le domaine pratique.
i, C R O Y A N C E
Mieux vaut prévenir que guérir. Dans le futur nous devrons nous assurer que les in-
firmières sont formées pour être et rester ouvertes à l’innovation et au changement.
CAPACITÉ
Il est, irréalisable d’attendre de chaque infirmière qu’elle puisse lire toute la littéra-
ture, l’évaluer et en abstraire les implications pour sa pratique, en regard de tous les as-
pects des soins infirmiers dans lesquels elles est impliquée.
Comme mentionné plus haut, une telle synthèse des connaissances peut nécessiter
d’être entreprise par des chercheurs se spécialisant dans un domaine particulier. De cette
synthèse, la connaissance des soins infirmiers et les actions qui en découlent ont besoin
d’être identifiées et l’innovation en soins infirmiers d’être précisée clairement. Cette in-
novation a ensuite à être introduite et +Saluée.
LA PERMISSION
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Finalement toutes les infirmières, qu’elles soient chercheurs, praticiennes, enseignantes
ou directrices doivent accepter d’essayer et de tester les idées basées sur la recherche.
Nous devrions toutes demander “POURQUOI” et si la réponse est “PARCE QU’IL ou
ELLE LE DIT” soit-il directeur, responsable d’unité, infirmier responsable, infirmière
chef, générale ou médecin, nous devrions demander et attendre d’avoir l’évidence sur
laquelle cette activité ou pratique infirmière est basée. Nous devrions également être
préparé à fournir une telle évidence lorsque nous voulons changer quelque chose. Ceux
qui désirent innover doivent être prêts à évaluer et accepter les résultats de cette éva-
luation. Ceux qui ont le savoir doivent être d’accord de le partager, ceux qui ont, l’au-
torité doivent être préparés à l’abandonner.
C’est avant tout se dire que la réalité peut changer et que moi-même, je suis ,partie
intégrante de cette réalité et que je peux travailler à la modifier.
Avoir une attitude de recherche dans la vie quotidienne, c’est tout d’abord avoir une
attitude ouverte, une attitude d’espérance, une attitude positive.
Etre ouvert au positif face à un problème, être persuadé qu’il doit y avoir une solu-
tion, c’est préparer le terreau dans lequel la recherche infirmière pourra prendre racine.
Je crois que l’une des grandes raisons pour lesquelles la recherche en soins infirmiers
n’a pas dans nos vies professionnelles l’impact et le développement qu’elle pourrait avoir,
c’est que nous ne croyons pas que des changements soient possibles, nous cessons d’es-
pérer que la réalité puisse être changée.
L’excuse du manque de temps est aussi l’une des plus fréquentes pour ne pas faire et
ne pas utiliser la recherche en soins infirmiers.
Dans la recherche sur le processus de soins infirmiers, dont je vous parlais précédem-
ment, il a été mis en évidence que du temps est gagné quand on a une réelle anamnèse
des soins infirmiers, que les données recueillies sotit analysées, les soins planifiés et éva-
lués, une fois la démarche connue, intégrée, utilisée, la satisfaction au travail augmente,
car on “voit ce qu’on fait” comme disait une infirmière. On est maître de son ouvrage,
plutôt qu’esclave.
Une infirmière suédoise présentait à un congrès des recherches faites concernant les
soins donnés à des personnes démentifiées, grabataires, au dernier stade de la maladie
d’Alzeimer. Les soins à ces personnes représentent une charge très lourde pour ceux qui
les soignent. Ainsi avec des équipes de soignants, elle a cherché à améliorer certains as-
pects des soins, par exemple, elle a pris deux groupes de patients, avec l’un deux on a
utilisé de la musique de relaxation et certaines formes de massage pendant la toilette et
petit-à-petit on a vu ces personnes toutes contracturées se détendre et leur position être
meilleure, au lieu de donner une alimentation par sonde gastrique avec les dangers que
cela représente. Une tentative a été faite de reconnaître les patients,qui avaient encore
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un réflexe de succion et d’utiliser cela pour les nourrir avec un biberon. On s’est aperçu
que cette fonction très primitive restait présente chez les patients les plus atteints et même
semblait procurer un certain plaisir, visible par la détente musculaire mesurable.
Tous les soignants du service ont été dynamisés par cette recherche, tout-à-coup, il
était clair, que cet endroit où si peu de changements pouvaient être attendus était un lieu
où des changements étaient possibles. Quelque chose de nouveau s’y passait, des données
étaient récoltées qui pouvaient servir à.tester des hypothèses. Un savoir infirmier y était
construit qui pourrait être partagé avec d’autres collègues dans d’autres institutions.
La recherche en soins infirmiers c’est avant tout une expression active et concrète de
l’espérance qui habite au fond de chacun de nous, qu’il existe des solutions, qu’il doit y
avoir une autre alternative et qu’il nous appartient de la trouver.
Rester ouvert, flexible, prêt à essayer quelque chose de nouveau, voilà tout un pro-
gramme de vie professionnelle.
Souvent dans les soins infirmiers, nous nous plaignons, nous voyons les aspects négatifs
et de cette manière nous nous coupons des sources vives d’où pourraient jaillir les solu-
tions.
En conclusion, je voudrais vous laisser deux histoires qui me semblent pouvoir s’ap-
pliquer à la recherche en soins infirmiers :
Il était une fois un homme qui était très ennuyé par des touffes de dents-de-lion, dans
sa pelouse, il avait tout essayé, les couper, les arracher, mettre des herbicides, sans
succès ! II décide finalement d’écrire au Département de l’Agriculture pour obtenir leur
avis.
La réponse .suivante lui parvint, nous vous suggérons tout d’abord de bien regarder
vos dents-de-lion et de les aimer, alors seulement vous trouverez quoi faire.
Voir les problèmes comme des défis, comme des occasions dlapprentissage. Les aimer,
voilà l’attitude fondamentale du Chercheur.
Et puis une autre histoire, celle du Mullah Nashrudin, qui avait perdu sa clé et qui
la cherchait sous un réverbère. Son ami, qui l’aidait lui demande s’il était certain de
l’avoir perdue là. Non, dit le Mullah, je l’ai perdue dans ma maison, mais ici, c’est
mieux éclairé pour la chercher !!
Faire de la recherche en soins infirmiers, c’est souvent quitter la lumière des réver-
bères pour aller là où il fait plus sombre et où c’est plus difficile, mais c’est aussi avoir
plus de chance de trouver la clé de la qualité et de la satisfaction dans la pratique des
soins infirmiers.
Rosette POLETTI