1. - LA CR~ATION ET LES D~BUTS plus d'un demi-siè- DE LA CAISSE D'ESCOMPTE 1 è 1 h d c e apr sac ute e Law, que le Conseil d'État se résolut à approuver le projet de banque qui lui était présenté par le Suisse Panchaud et l'Écos- sais Clonard. Ce projet, soutenu par Beaumarchais et que Turgot agréa, se gardait soigneusement de tout ce qui pouvait rappeler l'expérience de Law. Le mot même de banque, jugé trop compromettant, fut proscrit et, pour reprendre les termes de M. Harsin, « on camoufla, sous le nom trompeur de Caisse d'Escompte, une véritable banque d'émission» (1). Le nouvel établissement était une société en commandite par actions au capital de 15 millions, divisé en 5.000 actions d'un nominal de 3.000'livres. Sur ce capital, un tiers, soit 5 millions, devait servir de fonds de roulement à la Caisse, les deux autres tiers devant être déposés au Trésor, à la sûr~té des engagements que pouvait prendre la nouvelle société. La' création de la Caisse, on le voit, présentait pour l'État cet avantage de lui donner quelques fonds, et dans une période où il en avait grand besoin. Comme bien l'on pense, c'est cette considération qui prima toutes les autres dans l'appui que rencontra le plan de Panchaud. Mollien affirme dans ses Mémoires que Panchaud« était versé dans tous les genres de spéculation qui se font sur les places de Londres et d'Amsterdam. Le petit cercle qui se groupait
(1) Harsin, Crédit public et Banque d'Etat en France du XV le au XV Ille siècle,
1933, p. 84. 102 LA MONNAIE ET SES INSTITUTIONS
autour de lui espérait apprendre de lui la haute science de la
finance, c'est-à-dire l'art de spéculer sûrement sur les variations des cours des effets publics». Panchaud était donc un spécula- teur sur titres. C'était là une qualité qui ne le désignait pas particulièrement pour constituer une banque d'émission. Aussi hien Panchaud, tout comme l'Écossais Patterson qui créa la Banque d'Angleterre, ne resta-t-il que peu de temps à la tête de la maison dont il avait été le fondateur. Il fut évincé de la Caisse d'Escompte par les banquiers importants de la place de Paris, auprès desquels il apparaissait comme un joueur sans grande surface. Ces banquiers étaient suisses pour la plupart. La faiblesse de Panchaud et de ses amis apparut d'ailleurs très vite. Car si le capital de 15 millions fut rapidement souscrit, les versements effectifs se firent fort malaisément. A telle enseigne qu'en septembre 1776 le Trésor renonça à ses droits et remboursa à la Caisse les sommes qu'elle lui avait déjà versées. Il fallut attendre plusieurs années pour que les appels \ faits aux actionnaires donnassent 12 millions, et c'est en définitive à ce chiffre que dut être ramené le capital de la Caisse. L'objet avoué de la nouvelle société n'était pas l'émission de billets, mais le commerce des matières d'or et d'argent, l'es- compte des lettres de change à un taux ne pouvant dépas- ser 4 %, l'ouverture de comptes à tous particuliers qui désire-. raient la« charger en recette et en dépense» de leurs« deniers, caisses et paiemens » et ce sans que la nouvelle société pût « exiger d'eux aucune commission, rétribution ou retenue quelconque, et sous quelque dénomination que ce puisse être». Tout emprunt était interdit à la Caisse, laquelle, aux termes de l'article 3 des statuts, ne pouvait contracter aucune obligation qui ne fût payable à vue. Mais, les billets étant précisément remboursables à présentation, la Caisse, bien que le cas ne fût pas expressément visé dans les statuts, était libre d'en émettre. Elle n'y manqua pas. Toutefois, elle se montra au début très prudente puisque, quinze mois après sa création, sa circulation n'atteignait pas 800.000 livres. Financier avisé, Necker, quand il arriva aux affaires où il euccédait à Turgot, chercha à développer les opérations de la Caisse. « Comme il apparaît des écrits mêmes du ministre- banquier, écrit M. Chappey, ce dernier partit de cette idée que FORMATION DES INSTITUTIONS 103
les mouvements de fonds entre banquiers parisiens avaient pris
au XVIIIe siècle une importance considérable. Paris est devenu la place où s'effectue le clearing des paiements et encaissements des commerçants en gros de l'ensemhle du pays. La monnaie de papier devra assurer ces mouvements de fonds d'une manière commode et peu coûteuse» (1). Grâce aux efforts de Necker, la circulation de la Caisse d'Escompte, qui était encore d'environ 1 million de livres au 1 er janvier 1778, quadrupla presque dans l'année.« C'est peu, écrit Harsin, si l'on songe qu'à la fin de l'année 1718, après trente-et-un mois de fonctionnement, la Banque Générale de Law avait émis, contre espèces ou lettres de change, près de 150 mil- lions (de billets). Il fallut d'ailleurs reprendre l'une des premières mesures adoptées par l'Écossais pour accréditer son papier: on permit la réception des billets de la Caisse d'Escompte aux fermes et aux recettes générales. En un an, la circulation doubla et elle atteignit 20 millions en 1781» (2). Elle était de 40 mil- lions en 1783. Cette dernière poussée ne correspondait malheu- reusement plus à un développement normal des opérations commerciales. Car le Gouvernement, gêné dans sa trésorerie, avait obtenu de la Caisse un prêt secret de 24 millions et la couverture métallique de la circulation ainsi grossie était deve- nue insuffisante. Cet état de choses transpira dans le public qui, pris de panique, demanda le remboursement de ses billets. La situation fut bientôt assez grave pour que, le 27 septembre 1783, le pouvoir royal dût intervenir et suspendre les remboursements. Ainsi, il n'avait pas suffi à la Caisse d'Escompte de chercher à restreindre le cercle des porteurs de ses hillets en limitant la circulation à de grosses coupures (1.000, 600,300 et 200 livres). Bien qu'au moment où la panique se produisit, une dizaine de maisons de banque, à elles seules, eussent chacune en caisse .plus de 1 million de hillets sur les 43 millions auxquels se chiffrait l'émission totale, et qu'ainsi le nombre de porteurs notables de hillets apparût très faihle, la Caisse d'Escompte n'en fut pas moins victime d'un rune Les mesures grâce aux- quelles la Banque d'Angleterre, à ses débuts, avait pu s'assurer
(1) Chappey, op. cit., pp. 352 et 353.
(2) Harsin, op. cil., pp. 85 et 86. 104 LA MONNAIE ET SES INSTITUTIONS
une relative sécurité, s'avéraient ainsi peu efficaces dans notre
pays. Chez nous, la confiance dans le billet de banque restait extrêmement précaire quelle que fût la qualité des porteurs. Diverses mesures furent prise~ pour ramener la confiance. Tout d'abord, la Caisse d'Escompte s'appliqua à réduire la circulation. D'autre part, elle décida d'augmenter son capital de 3 millions; cette opération fut réalisée par l'émission au pair de 1.000 actions nouvelles. Il fut également décidé d'imposer désormais à la Caisse un plafond d'émission et un minimum de couverture métallique. Enfin, défense fut faite à l'Institut d'émission d'escompter les effets ayant moins de 3 signatures ou plus de trois mois à courir. Ainsi se dégageaient, sous la pression des nécessités, les points essentiels d'une réglementation de l'émission.« Le succès couronna ces efforts: à la fin de 1784 la circulation arrivait à 70 millions et les escomptes du second semestre de cette année avaient atteint 143 millions. Les actions, émises à 3.000 livres, en cotaient 8.000 et le dividende distrihué avait dépassé 9 % (1.800.000 livres)>> (1).
D'après ses sta-
2. - LES OPÉRATIONS COMMERCIALES tuts la Caisse DE LA CAISSE D'ESCOMPTE d'E ' . . scompte, aInSI d'ailleurs que le fait prévoir sa raison sociale, avait pour rôle d'« escompter des lettres de change ou autres effets à échéance fixe, commerçables ». M. Chappey s'est posé la question de savoir ce qu'il faut entendre par les mots « effets commer- çahles ». « Le XVIIe siècle, écrit-il, entend par « effe~s » les différents éléments dont l'ensemhle constitue par solde la situation de fortune de telle entreprise ou de telle personne. Au hilan de cette entreprise ou de cette personne figurent, d'un côté, ses effets actifs et, de l'autre, ses effets passifs. Dans son Parfait Négociant, Savary nous précise que les effets actifs comprennent non seulement les lettres de change, les billets, les créances inscrites au journal, mais aussi les immeubles, les mar- chandises, l'outillage... Toutefois, dès le début du XVIIIe siècle... l'usage tend à s'établir de désigner sous le nom d' « effets commerçables », parmi l'ensemble des effets, une catégorie