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34 Q U AT R E -T E M P S I P R I N T E M P S 2012
Les plantes basses (ici Paepalanthus columbiensis) sont fort communes dans les
páramos. La hauteur des végétaux y est limitée non seulement par le lent métabolisme
induit par un climat froid, mais aussi par les vents forts qui font pencher les plantes et
qui réduisent leur production ligneuse.
Dans les páramos, plusieurs espèces présentent un tronc unique protégé
par des feuilles mortes et se terminant par une rosette de feuilles vivantes. Dans les tourbières, les plantes en forme de coussin (ici, Plantago
C’est le cas chez les plantes du genre Espeletia, emblème des páramos. rigida) et les cactus en forme de ballon protègent leur tige et leurs
méristèmes sous une couronne de feuilles.
Espeletia killipii
D E L’ O R I G I N E D E S E S P È C E S
Une grande majorité des espèces végétales observées dans les páramos est issue de
processus évolutifs remarquables. Les páramos ont été colonisés par des plantes de
milieux tempérés provenant des hémisphères Nord et Sud. Par des migrations aléa-
toires (vent, animaux, etc.) en milieu tropical, ces plantes « pré-adaptées » aux condi-
tions tempérées ont fini par aboutir dans des habitats propices : au sommet des mon-
tagnes. C’est justement le cas de genres communs à l’Amérique du Nord et à l’Europe
tels Lupinus, Hypericum, Berberis, Valeriana et Halenia, qui ont survécu et donné nais-
sance à de nombreuses formes et espèces nouvelles. De plus, certains groupes de
plantes habitant les basses-terres tropicales avant que les Andes ne se soulèvent ont su
s’adapter aux changements climatiques survenus pendant le soulèvement de cette
? chaîne de montagnes. Ces plantes (Espeletia spp. et Puya spp.) se sont diversifiées abon-
damment pour produire de nombreuses espèces endémiques aux páramos.
Le processus d’adaptation et de diversification de ces groupes de plantes ayant
connu une forte spéciation (phénomène menant à la naissance de nouvelles espèces)
est sans doute l’aspect le plus intéressant touchant l’évolution de cette flore particu-
lière. Les páramos représentent aujourd’hui un écosystème naturellement disjoint
qui s’apparente à des îles. Toutefois, si l’on retourne dans le passé, ces divisions
n’existaient pas. Lors des glaciations du Pléistocène, par exemple, la limite des arbres
était environ 1 000 mètres plus bas que sa position actuelle. La végétation des
páramos occupait alors le réseau des vallées reliant les páramos, ce qui permettait des
échanges génétiques entre leurs populations végétales, jusqu'alors tenues isolées.
Pendant les périodes interglaciaires, la température plus élevée a permis à la limite
des arbres de gagner de l’altitude. L’espace disponible pour les plantes des páramos
Vaccinium floribundum
diminuait et confinait ces dernières aux plus hauts sommets. Ce morcellement des
páramos empêchait les échanges de gènes entre les communautés végétales, forçant
les plantes à s’adapter aux conditions locales qui constituèrent alors un moteur de
spéciation menant à la naissance d’espèces uniques à chaque páramo.
P É R I L C L I M AT I Q U E
Cet étonnant assemblage d’espèces endémiques dans un écosystème de moins de
cinq millions d’années (à l’échelle géologique, c’est jeune !) fait dire à plusieurs que
les páramos constituent l’un des exemples les plus fascinants de l’évolution des
plantes. Or, les changements de température actuels s’accélèrent à une vitesse jamais
atteinte pendant les cycles climatiques naturels du Pléistocène, et ce réchauffement
atteint dorénavant les plus hauts sommets des Andes. On craint sérieusement que la
végétation des páramos trouve de moins en moins d’habitats propices pour sa survie.
Disterigma alaternoides
Santiago Madriñán est professeur agrégé à l'Université des Andes, à Bogotá, en Colombie.
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