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Monsieur le Président de la République

Palais de l'Elysée
55, rue du Faubourg Saint-Honoré
F – 75008 Paris
FRANCE

Namur, le 18 novembre 2009.

Monsieur le Président de la République,

Concerne : Candidature de M. Herman Van Rompuy à la Présidence de


l’Union Européenne.

Wallons, nous tenons à vous faire part de notre profond étonnement et de


notre vive inquiétude, après avoir appris votre souhait de voir M. Herman
Van Rompuy, chrétien-démocrate flamand (CD&V) et actuel Premier ministre
du Royaume de Belgique, occuper le nouveau poste de Président du Conseil
européen.

Nous estimons qu’une telle attribution serait contraire non seulement aux
intérêts de la France mais aussi aux idéaux de l’Union européenne. Le
parcours politique de M. Van Rompuy est, effet, caractérisé par des positions
antifrançaises constantes, conformes à celles du parti auquel il appartient
depuis si longtemps. Des positions qui bafouent les principes démocratiques
partagés en Europe en visant à la suppression des protections linguistiques
des francophones de Bruxelles et de sa périphérie, et à la subordination
économique, financière et politique de la Wallonie.

Votre souhait de voir cet homme politique accéder à un poste d’une telle
importance nous semble dicté par l’aspect sage, réfléchi et consensuel qui se
dégage de sa personne, ainsi que par son excellente connaissance de notre langue
et de notre culture. Aussi nous paraît-il essentiel de soulever ici quelques points
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d’une réalité belge dont les milieux décisionnels français n’ont, pour la plupart,
qu’une vague connaissance.

Dans une précédente « Lettre ouverte », nous vous avons exposé la raison pour
laquelle le système fédéral belge, officiellement mis en place depuis 1993, s’est
soldé par un échec : la Flandre ne se comporte plus en entité fédérée, mais bien en
véritable Etat-nation, dont les milieux dirigeants poursuivent le but soit de
s’assurer le contrôle total de l’Etat belge en subordonnant sa communauté
française, soit de le briser pour se débarrasser de la Wallonie, tout en conservant
Bruxelles, troisième Région, à 90 % de langue française et enclavée en territoire
flamand.

Depuis les élections législatives du 10 juin 2007, la poussée nationaliste flamande


ne cesse de se confirmer. Aujourd’hui, les partis flamands ultra-flamingants -
Vlaams Belang, N-VA et Lijst Dedecker - représentent près de 38 % de
l’électorat flamand. Et les autres partis flamands, dont celui du Premier ministre,
sont loin d’être en reste en matière d’intransigeance communautaire.

Le mouvement nationaliste flamand - dont, depuis le tout début de sa vie


publique, M. Van Rompuy, comme son frère, est un militant actif -, après avoir
obtenu la quasi-éradication et l’interdiction de l’usage public du français en
Flandre, cherche à étendre ce résultat à la périphérie de Bruxelles, dans la
perspective de la mise sur pied d’un Etat flamand souverain.

La problématique du contentieux intercommunautaire et bruxellois de


l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) prend
ici tout son sens. Cet arrondissement participe à la protection des droits des
150.000 Belges de langue française habitant en périphérie de la Région bilingue
de Bruxelles, donc en Région unilingue flamande. La classe politique flamande,
unanime, entend obtenir la scission de cet arrondissement à court terme.

Le but poursuivi est évident. En effet, selon un principe de droit international, les
délimitations administratives admises au sein d’un Etat font généralement autorité
pour la définition d’une frontière nouvelle, au cas où cet Etat serait appelé à se
scinder. Comme l’arrondissement en question chevauche la limite linguistique
des deux communautés, sa scission faciliterait la tâche de ceux, qui, dans le nord
du pays, préparent le contrôle total de Bruxelles par le renforcement de son
enclavement total en Flandre, étape préalable à l’indépendance flamande. La
scission de BHV permettrait de parachever l’homogénéité territoriale et
linguistique de la Flandre, par l’effacement de toute présence de la langue
française autour de Bruxelles.
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Il nous faut dénoncer ici avec force la duplicité de M. Van Rompuy. En signant
une proposition de loi visant à scinder l’arrondissement de Bruxelles-Hal-
Vilvorde, il a lui-même placé sous son propre gouvernement la bombe qui risque
de le faire sauter au printemps. Car les positions sont à ce point éloignées qu’on
voit mal une solution négociée intervenir d’ici là, sauf lâcheté partagée des partis
francophones. On ne peut donc être surpris par le fait que, depuis sa désignation
au poste de Premier ministre, en décembre 2008, M. Van Rompuy ne soit pas
parvenu à démêler l’écheveau communautaire belge, dont BHV est aujourd’hui le
nœud principal, action qui aurait permis à la Belgique de retrouver une certaine
sérénité après les dix-huit mois de profonde instabilité vécus depuis les élections
législatives de juin 2007.

On sera d’autant moins surpris que la proposition de loi dont M. Van


Rompuy est l’auteur a été votée le 7 novembre 2007 en commission de l'Intérieur
de la Chambre, majorité flamande contre minorité francophone. Cet épisode
constitue une rupture du « pacte des Belges », en vertu duquel la majorité
numérique flamande (57 %), s’abstient de décider unilatéralement, sans
négociations, contre la minorité numérique française (43 %), et à son
détriment.

Si cet arrondissement électoral était effectivement scindé, les 150.000


francophones de la périphérie bruxelloise perdraient la possibilité de voter pour
des candidats francophones bruxellois aux élections législatives et européennes.
Cela entraînerait également la scission de l’arrondissement judicaire et donc la
perte, pour cette minorité francophone, de la possibilité de se faire entendre en
français devant les juridictions de Hal-Vilvorde. Et si la Flandre venait à prendre
son indépendance, la frontière de l'Etat flamand deviendrait difficilement
contestable, avec la conséquence que la Région de Bruxelles-Capitale, une
métropole française de tout premier rang en dehors de la France, se retrouverait
définitivement enclavée dans un Etat unilingue flamand.
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D’autre part, M. Van Rompuy considère, comme l’ensemble de ses compatriotes


flamands, que les facilités linguistiques des six communes à statut spécial de la
périphérie bruxelloise - dont les habitants, à près de 75%, sont francophones et
qui, en application de ces droits, peuvent faire éduquer leurs enfants en français et
accomplir en français les formalités administratives - ont été octroyées à titre
provisoire et sont dès lors vouées à l’extinction. Or, ces facilités ont été actées en
contrepartie de l’insertion de ces communes au sein du territoire linguistique
flamand.

Pour les responsables francophones, il est hors de question d’accepter la scission


de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde sans un élargissement de la
Région bruxelloise, qui permettrait d’intégrer certaines communes de la
périphérie flamande à forte concentration francophone et de créer ainsi un lien
territorial entre Bruxelles et la Wallonie. Mais la Flandre refuse de céder un
pouce de son territoire.

L’enjeu, on le voit, est de taille.

Contrairement à leurs collègues du sud, les responsables flamands n’entendent


pas remettre la Belgique sur de nouveaux rails fédéraux. Dans une interview
accordée au journal « L’Echo », le 27 septembre 2008, M. Van Rompuy déclare :
Plus vous refusez le confédéralisme, plus vous risquez d’avoir le séparatisme. Je
dis aux francophones : « Saisissez cette opportunité, sans quoi on ne sait pas de
quoi demain sera fait ». La réalité historique internationale ne permet aucune
ambiguïté : le confédéralisme implique l’existence d’Etats indépendants qui
acceptent, dans un nombre limité de matières, de collaborer. Une telle option
suppose donc le démantèlement préalable de la Belgique.

A plusieurs reprises, les plus hautes instances européennes et internationales


(Commission européenne, Parlement européen, Conseil de l’Europe, ONU) ont
dénoncé la politique vexatoire menée par la Flandre à l’encontre des
francophones de la périphérie flamande de Bruxelles (comme la non-nomination
de trois bourgmestres pourtant élus très majoritairement), ainsi que les
discriminations dont ceux-ci sont victimes. S’il ne s’est jamais démarqué de ces
initiatives, M. Van Rompuy manie toutefois l’art du double langage. Au journal
« L’Echo », il déclare, en effet : Ce qui m’énerve, c’est qu’on essaie de donner de
la Flandre une image d’intolérance et de repli sur elle-même. Or, sur les valeurs
fondamentales, il n’y a pratiquement pas de différences entre Flamands et
Wallons. Mais, très vite, le naturel reprend le dessus : En Flandre, on n’a pas
besoin des Wallons. Culturellement, la Wallonie, c’est l’étranger ».
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M. Denis Ducarme, député MR (Mouvement réformateur) entend plaider devant


la Commission des libertés du Parlement européen contre la désignation de M.
Van Rompuy à la présidence du Conseil européen. « Il est difficile, explique-t-il,
d’envisager une présidence belge flamande vu ce qui se passe dans la
communauté de M. Van Rompuy. La Flandre continue à violer la libre
circulation et le libre établissement en utilisant des critères linguistiques pour
accorder des logements ou des terrains ».

Monsieur le Président,

Le parti démocrate-chrétien de M. Van Rompuy s’est toujours distingué par son


intransigeance sur le plan communautaire. C’est lui qui fut à l’origine de
l’expulsion des Wallons (le fameux « Walen buiten ! », « Les Wallons dehors ! »)
de l’Université de Louvain en 1968. Lors de son passage à Louvain, l’ancien
Premier ministre Wilfried Martens, membre de ce parti, se fit également
remarquer par son radicalisme linguistique. En compagnie du « Jeugdkomitee »
(Comité de la Jeunesse), il ira même jusqu’à investir le pavillon français lors de
l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958. Quant à M. Yves Leterme,
prédécesseur de M. Van Rompuy au poste de Premier ministre, et pressenti pour
lui succéder si son camarade de parti accédait à cette fonction européenne, voici
ce qu’il déclarait, le 17 août 2006, au journal «Libération », alors qu’il était
ministre-président du gouvernement flamand : Que reste-t-il en commun ? Le
Roi, l’équipe de foot, certaines bières... (...). La Belgique n’est pas une valeur en
soi ».

Lorsqu’on sait que tout cela émane de la sphère démocrate-chrétienne, on peut


imaginer aisément ce qu’il en est de la pensée, de l’attitude, de l’action et des
projets des partis ultra-flamingants.

Monsieur le Président,

L’hypothèse d’une chute du gouvernement belge à court terme n’a rien de


chimérique. M. Van Rompuy a précisé récemment que des élections législatives
anticipées seraient « inconstitutionnelles » si l’arrêt de la Cour constitutionnelle,
imposant de trouver une solution au problème de Bruxelles-Hal-Vilvorde, n’était
pas préalablement appliqué. Crise gouvernementale et impossibilité de se rendre
aux urnes : cela signifierait l’implosion de la Belgique. Ce n’est pas cela que nous
craignons, puisque nous souhaitons nous éloigner de la Flandre et nous
rapprocher de la France, d’une manière ou d’une autre. Ce que nous craignons,
c’est un nouveau compromis « à la belge », accepté par nos politiciens
francophones, incapables d’imaginer et de préparer un autre cadre politique pour
la Wallonie et Bruxelles. Compromis qui entraînerait la subordination
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économique et financière de la Wallonie à la Flandre et aux intérêts flamands, et


la soumission territoriale de Bruxelles à l’Etat flamand en gestation.

Nous avons estimé de notre devoir de vous aider à prendre conscience du


danger que représenterait, pour les intérêts de la France et des 4,5 millions
de francophones de Belgique (Wallonie, Bruxelles, périphérie bruxelloise),
l’attribution de la fonction de Président du Conseil européen à M. Herman
Van Rompuy.

L’Allemagne veille aux intérêts des Allemands des Balkans et d’ailleurs. La


Hongrie s’assure du respect des droits des Hongrois en Roumanie, en Slovaquie
et en Serbie. La France pourrait-elle manifester publiquement une telle
négligence pour les intérêts de la francité en Europe et à sa frontière ?

En vous remerciant de l’intérêt que vous daignerez réserver à la présente


requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République,
l’expression de notre très haute considération.

…,
au nom du Collectif « Union pour une Belgique française »

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