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Discours de Renaud Donnedieu de Vabres

FÊTE DE LA BANDE DESSINÉE

Remise de décoration à Tibet


mardi 30 mai 2006

> le mot d'accueil

Cher Gilbert Gascard ou plutôt Cher Tibet,

Je suis très heureux de vous accueillir ce soir pour honorer en vous un illustre représentant
de ce neuvième art qui nous réunit ce soir, un dessinateur de grand talent dont les héros
peuplent aujourd’hui le Panthéon des personnages de bande dessinée.

En 2000, Patrick Gaumer vous consacrait un ouvrage, La Fureur de rire. Et c’est en effet
cette fureur, cet amour du rire, celui que vous avez en vous-même, celui que vous avez su
déclencher chez des générations de lecteurs, qui vous anime depuis toujours, qui vous
caractérise, qui fait que l’on revient sans cesse vers vous, vers vos albums, avec bonheur et
gratitude.

Vous êtes né à Marseille, et c’est votre frère aîné, encore tout jeune, qui, ayant du mal à
prononcer « Gilbert », vous donne le surnom de « Tibet ». C’est sous ce sobriquet enfantin
que vous connaîtrez la gloire.

A dix ans, vos parents déménagent pour Bruxelles, et vous rejoignez alors cette patrie, s’il
en est, de la bande dessinée. Un art dans lequel vous êtes vraiment tombé quand vous étiez
petit, puisque à 16 ans seulement, vous entrez au studio bruxellois de Walt Disney pour
rejoindre les jeunes talents de l’édition belge de Mickey Magazine. Votre route croise alors
celle de André-Paul Duchâteau, le sphinx du magazine, qui s’ingénie à proposer, dans
chaque numéro, des jeux et des énigmes aux enfants.

En 1949 naît sous votre plume Dave O’Flynn, un détective privé de choc, qui devient le
héros d’une série policière publiée dans le magazine Héroïc-Albums. L’année suivante, vous
devenez maquettiste illustrateur au journal Tintin. Vous réalisez votre première histoire
complète en quatre planches, Yoyo s’est évadé, sur un scénario de André-Paul Duchâteau.

En 1952, l’éditeur souhaite que des animaux viennent grossir les rangs des héros de Tintin.
Vous imaginez alors un western animalier, Les aventures de Chik Bill en Arizona, dont les
personnages prendront rapidement les visages humains que nous connaissons. Dans les
premiers épisodes de la série aujourd’hui culte – les passionnés le savent – les deux
complices du jeune cow boy Chik Bill, Petit Caniche, le jeune indien, et Dog Bull, le shérif de
Wood City, flanqué de son adjoint Kid Ordinn, appartenaient donc réellement à la race
canine !

De La Bonne Mine de Dog Bull à Maligne Claire, la Mata Hari jaune, en passant par Le Roi
d’Esclosh, Le Faux Mage de Hollande, Le Persan à sonnettes et A la recherche du taon
perdu, vous avez imposé un style reconnaissable entre tous, un mélange d’humour et
d’aventures, savamment relevé de jeux de mots, que vos lecteurs assidus guettent avec
dévotion.
Toujours avec la collaboration de André-Paul Duchâteau, vous publiez votre première
aventure à suivre, une série chevaleresque, dans le périodique flamand Ons Volkske : Les
aventures de Conrad.

Puis votre complice de la première heure, grand maître de l’énigme et roi du mystère,
imagine avec vous en 1955 un jeune personnage, Ric Hochet, crieur de journaux puis
reporter à La Rafale, et détective amateur. La série connaît un immense succès. Ric Hochet
est depuis longtemps notre frère, notre ami, notre héros, celui qui nous a accompagnés,
d’année en année. L’année dernière, nous fêtions ses cinquante ans et, avec Silence de
mort, le soixante-dixième album de la série. Droit, courageux, intrépide, malin, votre héros
incarne tous nos rêves d’aventures et de justice. Ric Hochet est indémodable, parce qu’il est
vrai, parce qu’il est simple, parce qu’il est du côté de l’enfance. Parce que vous avez su
l’entourer de tant de personnages, du commissaire Bourdon, à Nadine, son éternelle petite
fiancée, en passant par le lunaire et lunatique professeur Hermelin, sans oublier les «
méchants », le Bourreau, l’ennemi juré, et Lambert, le journaliste peu regardant de Paris-
Night. Plus qu’une galerie de personnages, vous avez créé une véritable famille, un univers,
à la fois stable et bondissant, qui nous offre en même temps, et c’est cela qui est
merveilleux, des repères et des surprises.

Une fresque murale est réalisée à la gloire de Ric Hochet, dans la petite rue bruxelloise du
Bon Secours, non loin de la maison qui vous a vu grandir, et depuis 2002, la commune de
Roquebrune-sur-Argens, sur la Côte d’Azur, où vous passez vos vacances, compte un
boulevard Ric Hochet ! Quelle plus belle preuve de la vie, du souffle, de la force de caractère
que vous avez su donner à ce « journaliste détective », tel qu’il est décrit sur sa plaque,
désormais élevé au rang de figure historique !

Vous avez créé de très nombreux personnages, et, parmi eux, la Famille Petitoux, mais
aussi Globul le Martien et Alphonse, avec René Goscinny, Mouminet et Junior – président du
Club des Peur-de-Rien – avec Greg, et les 3 A, avec Mittéï et André-Paul Duchâteau. Génie
dans l’art de donner vie à des êtres sortis tout droit de votre imagination, vous excellez aussi
dans l’art de croquer les traits de vos contemporains, illustres ou amis, dont vous glissez les
caricatures avec beaucoup de malice, au détour de vos albums.

Votre « fureur de rire » a toujours un sens, une cible, une insolence, une jeunesse, une vraie
liberté, et si les « grands de ce monde » en ont pris pour leur grade dans la Tibetière, qui a
fait de vous le Saint-Simon de la bande dessinée, c’est le cœur et la générosité qui percent
sous la jubilation de la satire, ce même cœur que vous avez donné à tous vos personnages.
Des personnages qui, même s'ils courent d'un bout à l'autre de la planète, même s'ils
s'aventurent dans tous les couloirs de l'imaginaire, même s'ils s'élancent vers tous les
mystères, restent humains, et donc très proches de nous. Comme vous, qui n'avez cessé de
nous émerveiller. Simplement. Naturellement. Avec cet humour, cet art du trait et cette
invention qui sont les vôtres.

Gilbert Gascard, au nom de la République, nous vous faisons Officier dans l’ordre des Arts
et des Lettres.

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