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REFERE SUSPENSION

DEVANT LE CONSEIL D’ETAT

MEMOIRE COMPLEMENTAIRE

Le 8 mars 2010

Dossier n°: 336710


Affaire : Monsieur Christophe GIRARD c/ FRANCE TÉLÉVISIONS

Pour :
Monsieur Christophe GIRARD
79, rue du Temple
75003 PARIS

Représenté par :
SELAS LARTIGUE TOURNOIS ASSOCIES
Représentée par Maître Véronique LARTIGUE
Avocat au Barreau de Paris
4 Rue Dumont d'Urville - 75116 PARIS
Tél. 01.53.57.72.72. – Fax / 01.47.23.32.47. - PALAIS R 005

Objet :

Référé suspension de l’exécution de la délibération du Conseil d'administration de FRANCE


TÉLÉVISIONS du 3 février 2010 mandatant Patrick de CAROLIS, Président-Directeur
général de France Télévisions, pour ouvrir des négociations exclusives avec le consortium
formé par la Financière LOV et de Publicis pour la privatisation partielle de la régie publicitaire de
FRANCE TÉLÉVISIONS, FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ.

1
*
**

Monsieur Christophe GIRARD a introduit le 16 février 2010 un recours pour excès de


pouvoir à l’encontre de la délibération du Conseil d’administration de la société FRANCE
TÉLÉVISIONS s’étant prononcé sur la résolution suivante commençant par :

« Cession de 70% du capital de France télévisions Publicité à Lov Publicis

Après en avoir délibéré, le conseil d’administration décide d’autoriser le président


directeur général à entrer en négociation exclusive avec le consortium Lov Group/
Publicis en vue de céder audit consortium 70% du capital de la société France
Télévisions Publicité, sur la base de l’offre de ce consortium figurant au dossier qui a
été remis à chacun des membres du Conseil d’administration, et prévoyant
notamment : (…).

Et se terminant par :

« A cette fin le Conseil d’administration autorise le président directeur général à


poursuivre et finaliser avec les actionnaires de Lov Publicis la négociation de la
documentation contractuelle et des éléments du projet industriel et des engagements
sociaux pris par Lov Group et Publicis, étant précisé que la signature des accords
définitifs devra être autorisée par une nouvelle délibération du conseil
d’administration. »

Par requête en date du 16 février 2010 Monsieur Christophe Girard a demandé au juge des
référés du Conseil d’Etat d’ordonner, sur le fondement de l’article L 521-1 du Code de justice
administrative, la suspension de l’exécution de la délibération du Conseil d’administration de
la société FRANCE TÉLÉVISIONS en date du 3 février 2010 afférent à la ladite résolution.

Au soutien de la demande de référé suspension introduite par demande en date du 16 février


2010, Monsieur Christophe GIRARD entend présenter les observations complémentaires
suivantes.

I. SUR LA RECEVABILITE DE LA PRESENTE REQUETE :

I.1 Sur l’impossibilité de produire la délibération du Conseil d’Administration en


date du 3 février 2010 :

Aux termes de l’article R 412-1 du Code de justice administrative, en cas d’impossibilité


justifiée, la requête n’a pas à être accompagnée de la décision attaquée.

Ainsi, comme le relève la doctrine autorisée («Jurisclasseur Justice administrative, Fasc. 42 :


Introduction de l’instance ») : « L'article R. 412-1 assortit cependant l'obligation qu'il édicte
d'une dispense en cas d' “impossibilité justifiée” : il consacre en cela une solution admise de
longue date en jurisprudence, selon laquelle on ne saurait opposer d'irrecevabilité à un
requérant qui n'a pu produire la décision attaquée en raison d'une impossibilité matérielle ou
juridique. Il en a été jugé ainsi à l'égard d'une requête dirigée contre une décision qui n'avait

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été ni publiée, ni notifiée au requérant et dont l'administration, sans en contester l'existence,
avait refusé de délivrer une copie au requérant (CE, ass., 4 janv. 1957, Messin : Rec. CE,
p. 10).. »

En l’espèce, Monsieur Christophe GIRARD justifie de son impossibilité à produire la


délibération du Conseil d’administration en date du 3 février 2010.

En effet, par lettre recommandée du 15 février 2010, le requérant a demandé à Monsieur


Patrick de CAROLIS, Président-Directeur-Général de FRANCE TÉLÉVISIONS de lui
communiquer la délibération du 3 févier 2010 l’ayant mandaté pour ouvrir des négociations
exclusives avec le consortium LOV/PUBLICIS au titre de la privatisation de la régie
publicitaire de FRANCE TELEVISIONS, à savoir FRANCE TELEVISIONS PUBLICITES.

La demande fondée sur les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 sur le libre accès au
document administratif a été réitérée par lettre recommandée avec accusé réception en date du
8 mars 2010

Or, ces demandes sont demeurées sans réponse.

En outre, FRANCE TELEVISIONS n’a toujours pas publié la délibération du 3 février 2010
au greffe du Tribunal de commerce de Paris.

Il résulte de ces éléments que le requérant est dans l’impossibilité juridique et matérielle de
joindre le procès verbal de délibération à la présente requête.

Cependant, le requérant produit à l’instance le projet de délibération soumis au Conseil


d’administration du 3 février 2010 et ses annexes révélées par le site internet d’information
MEDIAPART ainsi que la justification de l’annonce par FRANCE TÉLÉVISIONS de ce que
le projet de résolution a été voté lors de la séance du Conseil d’administration du 3 février
2010. (Communiqué de Presse de FRANCE TÉLÉVISIONS du 3 février 2010)

Par conséquent, en application de l’article R 412-1 du code de Justice administrative, le Juge


des référés constatera :

- l’impossibilité matérielle dans laquelle se trouve le requérant d’obtenir la


communication de la décision attaquée en raison de l’absence de dépôt du procès
verbal du Conseil d’administration de France Télévisions du 3 février 2010 au greffe
du tribunal de commerce de Paris et en raison du fait que sa demande de
communication du procès-verbal n’a pas donné lieu à réponse de la part de FRANCE
TÉLÉVISIONS ;

- L’impossibilité juridique de la production de la décision attaquée en raison de ce que


cette dernière se trouve entre les mains de la société FRANCE TÉLÉVISIONS et que
le requérant ne dispose d’aucun pouvoir d’injonction.

Par conséquent, le Juge des référés déclarera la présente requête recevable.

En outre, la tenue du Conseil d’administration de FRANCE TÉLÉVISIONS en date du 3


février 2010 étant rapportée de même que l’existence d’une délibération ayant mandaté le
Président Directeur Général de France Télévisions pour engager les négociations exclusives

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avec le consortium LOV-PUBLICIS, à défaut de communication par FRANCE
TÉLÉVISIONS du procès verbal du Conseil d’administration de FRANCE TÉLÉVISIONS
du 3 février 2010, il est demandé au Juge des référés d’enjoindre à FRANCE TÉLÉVISIONS
de communiquer ledit procès verbal.

I.2 Sur l’intérêt et la qualité à agir du requérant:

Par un précédent arrêt en date du 11 février 2010, le Conseil d’Etat a considéré, dans une
espèce qui concernait déjà un recours en annulation d’une délibération du Conseil
d’administration de France Télévisions relative à la commercialisation des espaces
publicitaires de FRANCE TELEVISIONS PUBLICITE que « les requérants ont, en leur
qualité d’usagers du service public de la télévision, intérêt à agir contre la décision du
conseil d’administration de France Télévisions en date du 16 décembre 2008 ».

En l’espèce, Monsieur Christophe GIRARD est un usager du service public de la télévision et


est assujetti à ce titre au paiement de la redevance audiovisuelle. De surcroît la délibération du
Conseil d’administration du 3 février 2010 a trait à l’organisation et au financement du
service public audiovisuel.

Par conséquent, ce dernier est recevable à solliciter devant le Conseil d’Etat l’annulation de la
délibération du Conseil d’administration de FRANCE TELEVISIONS en date du 2 février
2010.

II. SUR LA COMPÉTENCE

II-1 Sur la compétence de la juridiction administrative

La juridiction administrative est compétente à connaitre du recours en annulation de la


délibération du Conseil d’administration de FRANCE TELEVISIONS en date du 3 février
2010.

En effet, là encore, aux termes de l’arrêt du 11 février 2010 du Conseil d’Etat susvisé, la
Haute juridiction a pu juger, dans un cas d’espèce concernant une délibération du Conseil
d’administration de FRANCE TELEVISION affectant les règles de commercialisation des
espaces publicitaires sur France 2, France 3, France 4 et France 5 que « considérant que la
délibération du conseil d’administration de France Télévisions en date du 16 décembre 2008
chargeant son président-directeur-général de mettre en œuvre de nouvelles règles de
commercialisation des espaces publicitaires affecte la garantie des ressources de la société,
lesquelles constituent un élément essentiel pour assurer la réalisation des missions de service
publics confiées à cette société en vertu des dispositions de l’article 43-11 de la loi du 30
septembre 1986, dont celles de diversité, pluralisme, qualité et innovation dans les
programmes mis à disposition des services publics : que par suite, cette délibération, qui
touche à l’organisation même du service public, relève de la compétence de la juridiction
administrative ; »

En l’espèce, force est de constater que la délibération du Conseil d’administration de France


TELEVISIONS en date du 2 février 2010 autorisant « le Président-directeur général à entrer
en négociation exclusive avec le consortium Lov Group/Publicis en vue de céder au dit
consortium 70% du capital de la société France Télévisions Publicité » et « à poursuivre et
finaliser avec les actionnaires de Lov Publicis la négociation de la documentation

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contractuelle et des éléments du projet industriel et des engagements sociaux pris par Lov
Group et Publicis » est de nature à affecter directement la garantie des ressources de
FRANCE TELEVISIONS qui est une élément essentiel de la réalisation des missions de
service public de FRANCE TELEVISIONS.

Par conséquent, le Conseil d’Etat est parfaitement compétente à connaître du recours en


annulation de la délibération du Conseil d’administration en date du 3 février 2010.

II-2 Sur la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort

Par déjà deux décisions du Conseil d’Etat en date des 6 février 2009 et 11 février 2010, la
haute juridiction a déjà retenu sa compétence en premier et dernier ressort au titre du
contentieux relatif à l’annulation de délibérations du Conseil d’administration de FRANCE
TELEVISIONS.

Le Conseil d’Etat est donc en l’espèce, bel et bien compétent en premier et denier ressort.

En outre, aux termes de l’article R 311-1 5° du Code de justice administrative, le Conseil


d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les
actes administratifs dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal
administratif.

En l’espèce, comme il l’a déjà été démontré ci-avant, la délibération du conseil


d’administration de France TELEVISION en date du 3 février 2010 est de nature à affecter
directement la garantie des ressources de FRANCE TELEVISIONS qui est un élément
essentiel de la réalisation des missions de service public de FRANCE TELEVISIONS.

Cette remise en cause de la réalisation des missions de service public de FRANCE


TELEVISIONS développe évidemment ses effets bien au-delà du siège social de FRANCE
TELEVISIONS et/ou de FRANCE TELEVISIONS PUBLICITE mais, au contraire, produit
ses effets auprès de chaque utilisateur du service public de la télévision et ce dans quelque
ressort de tribunal administratif qu’il se trouve.

L’activité de service public remise en cause au titre de la délibération du 2 février 2010 étant
déployée dans la France entière, la délibération du 2 février 2010 déploie un champ
d’application qui s’étend bien au-delà du ressort d’un seul tribunal administratif, à savoir en
l’espèce celui de Paris.

Il résulte donc de ces éléments que le Conseil d’Etat est bel et bien compétent à connaître du
présent recours.

III. SUR LA CONDITION D’URGENCE DE L’ARTICLE L 521-1 DU CODE


DE JUSTICE ADMINISTRATIVE :

L’urgence au sens de l’article 521-1 du Code de justice administrative a été conçue afin
« d’éviter qu’un préjudice grave ne soit porté à la situation du requérant ou à un intérêt
public (sans que soient désormais exclus les préjudices pouvant donner lieu à réparation
pécuniaire) mais aussi afin de tenir compte de conséquences qui risqueraient d’être difficiles
à faire disparaître si la décision administrative devait être exécutée » Rapport de Monsieur
Colcombet (Doc A.N. n°2002 p 37).

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Cette définition de l’urgence est confirmée par la jurisprudence administrative rendue au visa
de l’article L 521-1 du Code de justice administrative considérant que: « la condition
d’urgence à laquelle est subordonnée le prononcé d’une mesure de suspension doit être
regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière
suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux
intérêts qu’il entend défendre ; il en va ainsi, alors même que cette décision n’aurait qu’un
objet ou des répercussions que purement financiers et que , en cas d’annulation, ses effets
pourraient être effacés par une réparation pécuniaire » (CE sect 19 janvier 2001 RFD adl
2001 p 378) (Considérant de principe)

En l’espèce, la décision dont la suspension est demandée est de nature à créer un réel et grave
préjudice, immédiat ou estimé comme tel, les effets de la décision attaquée n’étant pas en
l’état épuisés.

En outre, la délibération du Conseil d’administration de FRANCE TÉLÉVISIONS est un acte


décisoire qui préjudicie de manière grave et immédiate à un intérêt public.

III-1 La délibération du Conseil d’administration de FRANCE TÉLÉVISIONS du 3


février 2010 est une délibération décisoire :

Par délibération du 3 février 2010 et en l’état de la production du projet de délibération


soumis au conseil d’administration du 3 février 2010, il apparait que le Conseil
d’administration de FRANCE TÉLÉVISIONS a autorisé son Président-directeur-général à
« poursuivre et à finaliser avec les actionnaires de Lov Publicis la négociation de la
documentation contractuelle et des éléments du projet industriel et des engagements sociaux
pris par Lov Group et Publicis, étant précisé que la signature des accords définitifs devra
être autorisée par une nouvelle délibération du conseil d’administration ».

Les éléments soumis au Conseil d’administration reflètent l’état d’avancement des


négociations.

Il est incontestable que l’autorisation et le pouvoir donnés au Président de FRANCE


TÉLÉVISIONS « d’entrer en négociation exclusive avec le consortium Lov Group/Publicis
en vue de céder audit consortium 70% du capital de la société France Télévisions Publicité,
sur la base de l’offre de ce consortium figurant au dossier qui a été remis à chacun des
membres du Conseil d’administration, et prévoyant notamment…. » constituent un acte
décisoire.

En effet, le choix du cocontractant a été arrêté par la décision d’exclusivité de la négociation.

De plus, les bases de l’accord expressément détaillées par le descriptif soumis au Conseil
d’administration et le dossier dénommé « dossier de présentation au Conseil d’administration
de France Télévisions » ont été entérinés par le périmètre du mandat limité à l’offre du
consortium LOV GROUP/PUBLICIS.

Enfin cette délibération a entériné le calendrier des opérations qui se déroule tel que prévu
puisque le comité d’entreprise de France Télévision Publicité s’est déjà prononcé le 1er mars
2010.

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Ainsi les éléments déterminants de l’accord et des consentements ont été arrêtés, à savoir,
l’objet, le prix et le maintien jusqu’en 2014 du contrat de régie.

Par conséquent, la portée de la délibération excède largement la simple consultation préalable


puisque celle-ci donne pouvoir au Président-directeur-général de FRANCE TELEVISIONS
de finaliser la négociation de la documentation contractuelle et des éléments du projet
industriel et des engagements sociaux.

La seule considération de ce que la signature des actes définitifs devra être autorisée par une
nouvelle délibération du Conseil d’administration n’est pas de nature à ôter à la délibération
attaquée son caractère décisoire.

En effet la situation dans laquelle se trouvera FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉS si la


délibération attaquée produit ses effets jusqu’à son terme sera celle d’une négociation
finalisée sous réserves (i) de l’approbation par la Conseil d’administration de la signature de
l’accord intervenu et (ii) de l’agreement du nouvel actionnaire de FRANCE TÉLÉVISIONS
PUBLICITÉS.

Cette situation sera donc génératrice d’une situation de droit nouvelle, puisque celle-ci sera
susceptible de générer un droit à indemnisation du consortium LOV-PUBLICIS en cas de non
signature du traité de cession alors même que la documentation contractuelle aurait été d’un
commun accord finalisée en exécution de la décision attaquée (action en rupture abusive de
pourparlers, voire action en rupture de l’accord intervenu par la rencontre des consentements
sur les éléments essentiels et déterminants de la cession).

Les effets et conséquences de la délibération attaquée sont donc immédiats et créateurs de


droits, mais ne seront véritablement consommés qu’une fois que la délibération aura épuisé
tous ses effets, c'est-à-dire lorsque la finalisation des accords aura abouti et que le Conseil
d’administration sera à nouveau convoqué pour autoriser la signature de la cession qui
deviendra immédiatement de plein effet.

En d’autres termes, la décision attaquée engage la responsabilité de FRANCE TÉLÉVISIONS


et, à ce titre, et parce qu’elle est susceptible de générer une situation de droit nouvelle, il y
urgence à en suspendre les effets avant que ceux-ci ne soient épuisés par la finalisation des
accords.

III-2 La délibération du Conseil d’administration de FRANCE TÉLÉVISIONS du 3


février 2010 est une délibération faisant gravement grief à l’intérêt public

La nature même de cette délibération fait gravement grief en ce qu’elle entérine la base d’un
accord et le choix du cessionnaire et qu’elle permet d’engager le processus légal de
consultation des comités d’entreprise de FRANCE TÉLÉVISIONS et de FRANCE
TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ.

En effet, cette décision engage, si la démarche qu’elle autorise devait aller à son terme, un
processus qualifié par le Président de FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ d’irréversible.
(Interview de Monsieur Santini)

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De surcroît, et sur un plan plus général, cette délibération entérine un processus de cession de
nature à modifier l’équilibre financier de FRANCE TÉLÉVISIONS et à porter gravement
atteinte à son indépendance et à la mission de service public qu’elle est en charge d’assumer.

Enfin, la délibération du Conseil d’administration du 3 février 2010 cause d’ores et déjà un


trouble à l’ordre public en ce qu’elle entérine le principe de la privatisation de la régie, mais
également en ce qu’elle entérine le choix du cessionnaire et qu’elle arrête le prix de la cession.

De tels choix sont de nature à porter gravement atteinte au service public de l’audiovisuel car,
ainsi qu’il en sera rapporté ci-après, il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision
attaquée.

IV SUR LA CONDITION TENANT AU DOUTE SERIEUX DE LA LEGALITE DE


LA DECISION ATTAQUEE DE L’ARTICLE L 521-1 DU CODE DE LA
JUSTICE ADMINISTRATIVE

La loi du 30 juin 2000 a reformulé l’exigence relative au moyen en évoquant « un moyen


propre à créer en l’état de l’instruction un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

IV-1 La passation du contrat de régie du 31 juillet 2009 et a fortiori son maintien


jusqu ‘en 2014 relèvent de la procédure d’appel d’offres de l’article 23 de
l’ordonnance du 6 juin 2005 transposant la directive 92/50/CEE:

En l’espèce, le Conseil d’Etat relèvera que le nouveau contrat de régie en date du 31 juillet
2009 ne saurait être considéré comme un simple avenant au contrat antérieur puisque à cette
occasion, les éléments substantiels du contrat de régie ont été revus, qui plus est au très grand
bénéfice de FRANCE TELEVISIONS PUBLICITE.

En effet, le document d’ « information sur le projet de cession de la majorité du capital de


FRANCE TELEVISIONS PUBLICITE » révèle que :

« afin de donner à FTP ses meilleures chances et pour préserver la pérennité de son exploitation, trois
mesures ont été prises en 2008 et 2009 :

- le taux de régie est passé de 7% en moyenne en 2008 à 17,5% en 2010 ;


- (…)
- Le contrat de régie a été prolongé jusqu’en 2014 »

Or, en matière de contrat de régie publicitaire, les éléments substantiels de tels contrats sont le
taux de régie et la durée de la régie.

En l’espèce, il apparaît que les éléments substantiels du contrat de régie publicitaire liant
FRANCE TELEVISIONS à FRANCE TELEVISIONS PUBLICITE ont bel et bien fait
l’objet d’une renégociation.

Dans ces conditions, il est incontestable que le contrat de régie publicitaire a bel et bien été
modifié dans ses éléments substantiels et qu’il ne s’agit en aucun cas d’un simple avenant et
dès lors il devait, compte tenu du fait que le processus de privatisation était en cours, relever
d’une procédure d’appel offres.

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En effet les dispositions de l’article 23 de l’ordonnance du 6 juin 2005 (ordonnance qui régit
les procédures d’appel d’offres et transposant la directive 92/50/CEE) qui dispensent de
procédures d’appel d’offres pour les « marchés conclus entre un pouvoir adjudicataire et un
cocontractant sur lequel il exerce un contrôle comparable à celui qu’il exerce sur ses propres
services et qui réalise se l’essentiel de ses activités pour lui » ne trouvent plus à s’appliquer
dès lors qu’au moment de la conclusion du marché dispensé d’appel d’offres, l’ouverture du
capital de la filiale à une entreprise privée était prévue ou en cours (Commission des
communautés européennes contre République d’Autriche,10 novembre 2005 et CJCE, Sea Srl
contre commune di Ponte Nossa, 10 septembre 2009)

En l’espèce, il convient de relever qu’au 31 juillet 2009, FRANCE TELEVISIONS organisait


déjà la privatisation de sa filiale FRANCE TELEVISIONS PUBLICITE et était activement en
recherche d’un partenaire privé en mesure de prendre le contrôle du capital de sa filiale, et ce
par la voie d’une cession de titres.

En effet, le « dossier de présentation au Conseil d’administration de France Télévisions » en


date du 2 février 2010 stipule, au titre de la revue du processus « Phase 1 : juin 2009/22
juillet 2009, A compter du mois de juin 2009, Rothschild & Cie a pris contact avec des
candidats potentiels, 27 candidats potentiels ont été contactés dont 16 candidats ont reçu le
mémorandum d’information, le 22 juillet 2009, 7 candidats ont remis des lettres d’offres
indicatives ». (Soulignement ajouté)

En tout état de cause la prise de contrôle de France Télévisions Publicité par des intérêts
privés interdit l’engagement de maintien du contrat jusqu’en 2014 et la garantie d’exclusivité
qu’il comporte.

En effet, la CJCE a jugé, par un arrêt du 10 septembre 2009 :

53 Il convient toutefois de préciser que, dans l’hypothèse où un marché aurait été attribué sans mise en
concurrence à une société à capital public dans les conditions indiquées au point 51 du présent arrêt, le
fait que, ultérieurement, mais toujours pendant la durée de validité de ce marché, des actionnaires
privés soient admis à participer au capital de ladite société constituerait un changement d’une
condition fondamentale du marché qui nécessiterait une mise en concurrence. »

Ainsi, la décision attaquée qui stipule clairement que mandat est donné au Président de
FRANCE TÉLÉVISIONS afin de permettre la finalisation par FRANCE TÉLÉVISIONS des
conditions ou engagements relatifs au cadrage des conditions de régie telle que décrites en
annexe 1 de la délibération engage FRANCE TÉLÉVISIONS sur des bases illicites que
FRANCE TÉLÉVISIONS ne pourra donc légalement tenir.

IV-2 La délibération litigieuse a été prise sur la base d’un prix de valorisation qui ne
prend pas en considération l’avantage exorbitant que constitue le taux de régie
accordé en juillet 2009.

Le taux de rémunération de la régie accordé par le contrat du 31 juillet 2009 est totalement
hors marché puisqu’il s’élève à 17,5 % alors qu’un taux de 6 à 8% est usuellement pratiqué
pour de grandes chaînes nationales.

Or, la valorisation de FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ a été réalisée en prenant en


compte la perte probable de chiffre d’affaires dont il a été estimé qu’il serait divisé par trois
du fait des dispositions législatives afférentes à la publicité sur les chaînes publiques.

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Toutefois, cette valorisation omet de prendre en compte le fait que le taux de régie ayant été
multiplié par trois, la rémunération de la régie (à tout le moins jusqu’en 2014) demeurera
inchangée voir augmentera et ce nonobstant la perte de chiffre d’affaires estimée.

Ainsi, le taux de régie habituellement pratiqué pour ce type de diffusion à portée nationale
étant de 6 à 8% en fonction de la position de marché de la régie concernée, il apparait
clairement que le taux accordé à FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ constitue un
avantage totalement exorbitant permettant au consortium LOV-PUBLICIS d’espérer un retour
sur investissement de moins de trois ans.

Or, cet avantage exorbitant n’est aucunement compensé par le prix de cession tel qu’arrêté par
la décision attaquée, celui-ci étant même inférieur à l’indemnité à laquelle aurait pu prétendre
un simple régisseur dont le contrat de régie n’aurait pas été renouvelé.

Il apparait donc ainsi que la délibération contestée a arrêté un prix de cession qui porte
atteinte aux intérêts du service public de l’audiovisuel puisqu’il n’a pas pris en compte la juste
valeur de FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉS au regard des avantages consentis à la
régie.

IV-3 La délibération du Conseil d’administration de FRANCE TELEVISIONS ne


respecte pas les objectifs du service public de la télévision

Il résulte de l’opération de prise de contrôle projetée que, jusqu’à tout le moins novembre
2011, 70 % des rémunérations tirées de l’activité de régie publicitaire reviendra à un
consortium de droit privé.

Il est en outre avéré que le chiffre d’affaires d’une régie dépend de son auditorat, lequel est
directement dépendant de la qualité de ses programmes.

Or, les programmes de la télévision publique sont financés pour partie par les redevances
versées par les usagers.

Cette redevance a pour objet de financer France Télévisions afin que cette société assure la
réalisation des missions de service public prévues par les dispositions de l’article 43-11 de la
loi du 30 septembre 1986, dont celles de diversité, pluralisme, qualité et innovation dans les
programmes mis à disposition des publics.

Elle n’a donc aucunement pour objet de contribuer, même indirectement, au résultat d’une
entreprise privée et il est contraire à l’affectation et à l’objet de la redevance, de même qu’il
est contraire à l’affectation et à l’objet des fonds publics, de contribuer même indirectement
au résultat d’une entreprise privée

IV-4 La délibération du Conseil d’administration entérine un processus au terme


duquel le principe de libre concurrence qui s’impose à tout service public n’a pas
été respecté.

La prise de contrôle par LOV GROUP/PUBLICIS du capital de FRANCE TELEVISIONS


PUBLICITE à hauteur de 70% dans un premier temps puis de 55% après mise en place d’un

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actionnariat des salariés, est de nature à entraver les règles de la concurrence nationale et
communautaire.

PUBLICIS GROUPE est le 4eme groupe mondial de la communication, le 2eme groupe


mondial en conseil et achat média et le leader mondial en communication digitale et dans les
secteurs de la santé et est déjà positionné sur le marché de la commercialisation d’espaces
publicitaires au travers de MEDIAS REGIE EUROPE qui assure notamment la régie des
quotidiens nationaux « Le Monde et Libération ».

LOV GROUP est présent sur les métiers de la production audiovisuelle, du numérique et des
jeux en ligne au travers de BANIJAY, EUROMEDIA, MANGAS GAMING et MY MAJOR
COMPANY.

La prise de contrôle par LOV GROUP/PUBLICIS de FRANCE TELEVISIONS PUBLICITE


est susceptible de conduire à une atteinte à la concurrence, aussi bien dans ses effets
horizontaux, que dans ses effets verticaux et au titre de la concentration conglomérale.

En outre, le choix du cessionnaire suscite d’innombrables situations de conflits d’intérêts


qu’aucun encadrement contractuel par des engagements structuraux ou comportementaux ne
saurait résoudre de manière certaine et efficace.

IV-5 La délibération du Conseil d’administration contestée a, en tout état de cause, été


prise de façon prématurée et précipitée, sur la base d’une information partielle
insuffisante et incertaine au regard du contexte réglementaire et législatif et de la
situation concurrentielle, et ce sans qu’aucun objectif d’intérêt public ou général
n’en justifie.

Les bases sur lesquelles les candidats ont présenté leurs offres sont incertaines.

En effet, la perspective du rétablissement total ou partiel de la publicité sur les Chaines du


service public est loin d’être exclue.

Ainsi, la Commission Européenne a ouvert une procédure d’infraction contre la France visant
la taxe de 0,9% sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications destinée à
compenser la perte de recettes publicitaires liées à la suppression progressive de la publicité
dans l’audiovisuel public. Madame Viviane REDING Commissaire européenne en charge des
nouvelles technologies a considéré que la dite taxe était « incompatible avec les règles
européennes » et venait « frapper un secteur qui est aujourd’hui un des principaux moteurs
de la croissance économique ». Madame Viviane Reding a également précisé que « de plus
le risque est grand que la taxe soit répercutée vers les clients, alors que nous cherchons
précisément à faire baisser la facture des consommateurs ».

Dans ces conditions, il apparait que le rétablissement de la publicité, à tout le moins avant 20
heures va devoir être examiné, le financement du service public n’étant en l’état pas assuré.

Dès lors, il est évident que la possibilité du rétablissement de la publicité modifie


naturellement de façon radicale la valorisation de la régie de FRANCE TÉLÉVISIONS et par
conséquent les bases sur lesquelles les candidats à l’appel d’offres ont été amenés à présenter
leur offre.

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Les interrogations formulées par Monsieur Patrick de CAROLIS à Monsieur le Président de
la République n’ont pas à ce jour reçu réponse.

Ces incertitudes étant apparues au cours de la procédure d’appel d’offre et les règles de la
procédure d’appel d’offres, notamment les critères de sélection ayant été modifiés sans
préavis, il est constant que le Conseil d’administration a été conduit à se prononcer sur la base
de données parcellaires, insuffisantes et incertaines rendant sa délibération nulle et non
avenue en l’état.

Il est avéré que le taux de rémunération consenti permettra à la régie, FRANCE


TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ, de maintenir son équilibre financier et ses résultats de sorte
qu’il n’y a pas de justification à la mise en œuvre d’un calendrier aussi prématuré que
rapproché, alors même que le contexte et l’environnement législatif et réglementaire de ce
dossier demeurent encore incertains.

En considération de cette situation il est urgent d’attendre et de suspendre les effets d’une
décision qui, contrairement à tout principe de prudence, de bonne administration et de gestion
avisée, a donné mandat de finalisation de la cession au consortium LOV Group/Publicis.

*****
**
*

Il résulte de l’ensemble des éléments ci-avant exposé que Monsieur le Juge des Référés ne
pourra que prononcer la suspension de l’exécution de la délibération du Conseil
d'administration de FRANCE TÉLÉVISIONS du 3 février 2010.

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PAR CES MOTIFS

Vu l’article R 412-1 du Code de justice administrative ;

Vu l’article L521-1 du Code de justice administrative ;

Il est demandé au Juge des référés du Conseil d’Etat :

- de déclarer la requête de Monsieur Christophe GIRARD recevable ;

- d’ordonner à France TELEVISIONS de produire la délibération de son Conseil


d’administration en date du 3 février 2010 ;

- d’ordonner, sur le fondement de l’article L 521-1 du Code de justice administrative, la


suspension de l’exécution de la délibération du Conseil d’administration de la société
FRANCE TÉLÉVISIONS en date du 3 février 2010 ;

- de condamner FRANCE TELEVISIONS à la somme de 5.000 euros au titre de


l’article L 761-1 du Code de justice administrative ;

SOUS TOUTES RESERVES

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LISTE DES PIECES

Pièce n°1 : Extrait Jurisclasseur, Fascicule 42 : Introduction de l’instance ;

Pièce n°2 : Courrier de Monsieur GIRARD en date du 15 février 2010 ;

Pièce n°3 : Courrier de Monsieur GIRARD en date du 8 mars 2010 ;

Pièce n°4 : Capture d’écran « Infogreffe » en date du 8 mars 2010 ;

Pièce n°5 : Projet de délibération du Conseil d’administration de France TELEVISIONS


du 2 février 2010 ;

Pièce n°6 : Dossier de présentation au Conseil d’administration de France


TELEVISIONS ;

Pièce n°7 : Document présenté au comité d’entreprise « Information sur le projet de


cession de la majorité du capital de France TELEVISIONS » ;

Pièce n°8 : Communiqué de presse France TELEVISIONS en date du 3 février 2010 ;

Pièce n°9 : Arrêt du Conseil d’Etat du 11 février 2010 ;

Pièce n°10 : Conclusions de Monsieur Jean Philippe THIELLAY ;

Pièce n°11 : Ordonnance du Conseil d’Etat du 6 février 2009 ;

Pièce n°12 : Extrait du Rapport de Monsieur François COLCOMBET ;

Pièce n°13 : Ordonnance du Conseil d’Etat du 19 janvier 2001 ;

Pièce n°14 : Interviews de Monsieur Philippe SANTINI ;

Pièce n°15 : Arrêt du 10 novembre 2005 de la commission des Communautés européennes


contre République d’Autriche ;

Pièce n°16 : Arrêt de la CJCE du 10 septembre 2009, Sea SRL contre Commune di Ponte
Nossa ;

Pièce n°17 : Communiqué de la commission européenne en date du 29 janvier 2010 ;

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