«LES MEDIAS
SONT PASSES
DU CONTRE-
POUVOIR
AL'ANTL
POUVOIR»
Selon Marcel Gauchet, |’affaire Fillon
risque d’accélérer A la fois
Yempéchement de l’exercice
du pouvoir et le discrédit des médias,
qui apparaissent comme manipulés.
Cependant, note l’intellectuel,
il faut d’urgence « une nuit du 4 aoat
de la nomenklatura francaise ».
PROPOS RECUEILLIS
PAR ANNE ROSENCHER
‘Vaffaire Fillon - qui, A’heure ott nous parlons,
semble toujours pouvoir déboucher sur le renoncement
‘du candidat de la droite - est-elle, selon vous,
un signe du bon fonctionnement de notre démocratie?
C'est plus compliqué, Au premier degré, bien sti, ilestessen-
tiel que le droit de savoir qui sont au juste les candidats &
’élection présidentielle s’exerce. En méme temps, ce coup de
pprojecteur qui se concentre sur le cas particulier de Frangois
illon, en épargnant ‘ombre qui régne sur le reste, déclenche
‘un malaise. D’ailleurs, on sent bien dans l'opinion un mé-
lange de condamnation et de compassion pour celui sur |,
Iequel tombe la foudre : « Pourquoi lui? s'interroge-t-on,
Apres tout, si on allait voir les autres, est-ce que ea serait si
différent? » ly a une géne, patente,
Est-ce Aire quele fonctionnement des médias
aposé un probleme démocratique?
Entre autres, oui... 'y ai vu une éniéme confirmation d'un
phénoméne que 'on sent poindre depuis longtemps deja,
LIEXPRESS + NUMERO 2423 - 08.02.2017
Laffaire Fillona déctenché de
indignation, mais aussi dela géne:
«Pourquoi ui?s'interrogent les Francais »,
remarque le philosophe Marcel Gauchet.
53encouverture
Sans les primaires (ici, débat dela gauche,
1e19 janvier), «on auraiteu Sarkozy
contre Hollande|..),précisémentce que
les Franeaisnevoulaient pas».
BP A savoir que les médias sont passés d'un rdle de contre-
pouvoir—absolument nécessaire dans ave dela démocratie~
Aun le « d'anti-pouvoir», cesta-dire lempéchement sys-
tématique de Fexercice du pouvoir, at motif de Ia capacité
examiner ses coulisses et ses veritables motivations. D'au-
tant plus quillyadans le cas spécifique de ceteaffaire beau-
coup delecteurs, de éléspectateurs td auditeurs qui restent
surleur faim et ont impression que es médias n'ont fait que
lmoitié it travail autre chose que 'on voudraitconnaitre
~et c'est la, aussi, que le journalisme d’investigation devrait
STexercer - est idemtité des gens qui sont derriére la sortie
de ces informations. Ne pas e savoir vaalimenter la paranoia
~qui est dae climat endémique de nos démocraties. Enten-
dons-nous, les faitsreprochés & Frangois Fillon sont totale-
sent condamnables, mais qui avait intérét Ale déringuer? Et
pourquol? C'est la question qui vient inévitablement a Yes-
pri. On voudrait avoir les tenants et les aboutissants, alors
seulement on serait dans la vraie transparence. Les médias
ont impression dagiren chevalier blanc et pourtant je suis
A peuprés certain que celavaseretourer contre eux:ils vont
passer pour les idiots utiles
d'une manipulation politique M bl
dontssontneapanesaeve MINIDIO
voilerles resorts. émoltion Hisorenet philsope,
ment du pouvolreedzcaae. Soe fnllemodese de
Normandie est directeur
du contre-pouvoir, voila quel} sues emernestboale
risque d'etre, au final, Veffet deshautesctudesen sciences
perversdetouitecettehistoire, sorales etrédacteur
en chef de a revue Le Débat
(Gallimard), quilla fondée
ind est-on passé
Quay P: avec Pierre Nora. [lest
selon vous du contre- "
auteur de nombreux
pouvoiraVanti-pouvoir? — ouvrages, dont Comprendre
Et pourquoi? 1
Te matheur francais,
avec Eric Conan et
Francois Azouvi (Ed, Stock)
Lephénoméne résulte dabord
de la montée en puissance des
34
‘médias ~ chaines d'information continue, réseaux sociaux...~
dans un contexte ot, parallélement, les partis politiques ont
cessé d'avoir une fonction organisatrice, ce qui rend les
hommes politiques esclaves des médias en ce qu’ils consti-
tuent leur seul relais avec Ia société... 'ambivalence des po-
litiques & leur égard est d’ailleurs assez remarquable : ils les
détestent en méme temps qu'ils ne peuvent s'en passer. En-
suite, la société politique, particuliérement en France, n'a pas
compris ’évolution de esprit démocratique avec 'élévation
du niveau d'information, du niveau d’éducation, Ellen’a pas
mesuré le phénoméne de désacralisation du pouvoir. Je ne
connais pas personnellement M. Fillon, mais imagine bien
quiilvivait dans 'idée, 'abord, qu'il faisait comme les autres,
et quensuite on n’allait pas lui chercher des poux, & lui, élu
du peuple, dans sa « privilégiature »...
Les élus sont-ils des privilégiés?
Tly ade tout, mais ils sont nombreux a vivre comme des pri-
vilégiés et A courir aprés 'argent par des moyens pas toujours
honorables, méme s‘ils sont légaux. L’affaire Fillon n'est
qu'une goutte d'eau dans l'océan d'un probleme qui empoi-
sonne notre vie publique et qui est obstinément nié en haut
lieu, que ce soit par les médias ou pare personnel politique.
‘Chacun Le sait, opinion est trés majoritairement convaincue
que les responsables politiques sont corrompus. Protesta-
tions vertueuses & chaque sondage quile confirme, indigna-
tion générale devant ce lamentable « populisme »! Au sens
strict du terme, c‘est-a-dire lenrichissement personnel, ilest
vrai que la corruption reste rare, heureusement. Mais c'est
autre chose qui est visé sous ce mot. C’est le systéme de clien-
télisme selon lequel fonctionne la société politique et dont
tout le monde ades échantillons sous le nez, qui vontdel’at-
tribution des logements sociaux, Ala base, au systéme des no-
minations, au sommet, en passant par les subventions aux
associations... Entre ses enfants et ses obligés, la frontiére est
floue. Or a société ne le supporte plus. ILn'est que temps d’en
LIEXPRESS NUMERO 3423 - 08.02.2017prendre acte. Et comme aujourd'hui les médias sont de plus
en plus libres, heureusement, de mettre au jour ces pra-
tigues, méme sic’est au hasard, par accident 18, Fillon, c'est
Y'AZF de la politique !-, 1a foudre va tomber de plus en plus
souvent. Ilya urgence! Pour rétablir un rapport sain entre le
personnel politique et opinion, il faut une nuit du 4 aodt de
Ia nomenklatura francaise, Francois Fillon n’avait qu'une
maniére de sortir de la nasse par le haut, qui était de recon-
naltre honnétement les faits et de mettre & son programme
Ia réforme radicale du systéme qui les a permis. La Répu-
blique, c'est la transparence dans l'emploi de l'argent pub!
et aceés aux fonctions publiques.
Pourquoi ’affaire Marine Le Pen n’a pas autant pris?
Lecas est différent : Marine Le Pen a fait salarier par le Parle-
ment européen sa directrice de cabinet, ce qui est tout & fait
xépréhensible, mais cela dte le caractére « fctif » de lemploi,
et done fait baisser le degré d indignation. Ajoutez A cela que
le FN est un parti outsider, qui n'a pas les moyens des autres,
partis, et que Marine Le Pen est percue par ses électeurs
comme victime d'un acharnement médiatique, et vous com-
prendrez pourquoi 'affaire a fait moins de bruit.
On ale sentiment d’une extréme violence,
voire d'un « ball-trap », dans la présidentielle,
aujourd'hui. Les favoris dégagent les uns
aprés|es autres... Comment expliquez-vous cela?
La politique a toujours été violente : la roche Tarpéienne ne
date pas d’hier! C'est a rangon des systémes électifs. Is sont
violents et injustes. Churchill est battu au sortir de la guerre,
Clemenceau n’a jamais été élu président, ete. Le concert
«