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sans l’avoir bien compris, de comme la fonction publique. Ils croient en la justice
sociale, en l’idée que l’impôt et la redistribution
peuvent rendre la société équitable. Du côté des élec-
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le triomphe de Fourastié ? S. F.
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qui ont obligé les plus pauvres à vivre à crédit. L’ex- En 2008, la crise qui très diférent en ce sens de la social-démocratie – ma
plosion de la bulle inancière a tué les derniers espoirs ébranle la finance mondiale famille politique, même s’il ne s’y trouve plus grand
de reprise. La crise a succédé à la crise et cela explique trouve son origine dans monde – qui, elle, pense qu’il faut aider les individus à
en grande partie l’exaspération des peuples. l’explosion de la bulle des s’émanciper à la fois des familles, des églises et des
Emmanuel Macron ne tient-il pas aussi ce dis- subprimes, ces prêts marchés.
cours néolibéral pour doper l’investissement et risqués accordés à une Mais sa politique n’est pas vraiment sociale-
l’emploi ? C’est une autre forme de révolution clientèle américaine peu libérale…
conservatrice. Est-il à contretemps ? solvable. Des centaines Qu’a-t-il, en efet, conservé du « en même temps » ?
Macron est en efet à contretemps de la vague popu- de milliers de ménages Est-il, en fait, libéral tout court ? C’est la question que
liste, comme Mitterrand l’avait été de la révolution des catégories populaires lui ont posée ses soutiens de la première heure. On
conservatrice. Ce dernier est parvenu au pouvoir au doivent renoncer à leurs peut penser qu’aujourd’hui Macron est davantage
moment même où la révolution libérale portée par logements hypothéqués. occupé à tuer la droite qu’à donner des gages aux
Reagan et Thatcher conquérait le monde. A l’heure électeurs de gauche qui l’ont mené au pouvoir car il
où le populisme gagne partout, la France est à nou- pense qu’il n’a rien à craindre de ce côté-là…
veau à contresens de l’histoire. Macron est un libéral Vous faisiez allusion à la crise inancière de
dans un monde qui est devenu illibéral. D’où sa dii- 2008. Certains sont convaincus qu’une nouvelle
culté à peser sur la scène internationale. crise s’annonce. Qu’en pensez-vous ?
Macron donne aussi des gages aux courants les L’histoire récente nous apprend à être prudent, le
plus conservateurs… pire est toujours possible. Une crise provoquée par
Pendant la campagne présidentielle, il a défendu un la hausse des taux d’intérêts américains, une panique
programme social-libéral assumé. Contrairement à la sur l’Italie, la guerre commerciale menée par Trump
social-démocratie qui repose sur l’idée que le marché ne peuvent être exclues à court terme. Mais la ques-
est une menace, le social-libéralisme pense que le mar- tion de long terme est celle de la croissance. Retrou-
ché est un facteur d’émancipation. Mais contrairement vera-t-on une croissance inclusive comme celle des
au libéralisme tout court, les sociaux-libéraux plaident Trente Glorieuses ? Hier les machines rendaient les
pour des eforts spéciiques en faveur des exclus. A les travailleurs plus productifs, aujourd’hui elles les
suivre, il s’agit de combattre la rente et les privilèges rendent inutiles, comme en leur temps les concierges
des insiders, qui sont à l’intérieur du système, pour per- avaient été remplacées par des interphones. Un
mettre aux outsiders de se faire une place. De leur point grand nombre de tâches ont été supprimées, mais
de vue, un service comme Uber est une bonne chose, celles qui ont survécu, pour les classes populaires,
il permet aux jeunes de banlieue d’avoir un job… C’est sont des services de proximité, à la personne,
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DOSSIER
aujourd’hui que la déshumanisation qui accompa- notre vie privée et notre identité. Sans oublier la
gnait la société industrielle, dont nous voulions tant dimension écologique, le monde numérique deve-
sortir en Mai-68, était le prix à payer pour la crois- nant un grand contributeur au réchaufement de la
sance. Ce sacriice, on s’apprête à le faire de nouveau planète.
en entrant dans le monde cybernétique, dématéria- Quels sont les dangers de la société numérique ?
lisé. Le titre de mon livre, « Il faut dire que les temps Le ilm « Her » me semble particulièrement emblé-
ont changé… », qui fait référence à Bob Dylan et Diane matique du monde qui nous guette. Le héros est
Tell, est ironique. Les temps ne changent pas autant amoureux d’un logiciel qui répond à la perfection à
qu’on le croit. Sur les décombres de la société indus- ses fantasmes et lui permet d’échapper à la déception
trielle se développe une société numérique qui de ses relations amoureuses antérieures. Cela fonc-
reprend les travers de l’ancienne. L’homme accepte tionne très bien – la voix de Scarlett Johansson est
de se déshumaniser pour entrer dans la « matrice » enchanteresse – jusqu’à ce qu’il découvre qu’elle a un
qui promet la démultiplication des rendements. million d’amants à la fois, qu’il n’est pas unique, qu’il
Cette transformation de l’homme en données, Le mouvement de Mai-68 est pris dans la matrice. Il comprend que l’amour,
c’est ce que font les Gafa. Ce monde-là n’est-il pas est porteur d’une critique c’est une personne qui en aime une autre, unique
déjà contesté ? radicale du capitalisme dans son cœur, dans sa chair ! A la in, c’est la machine
En mai 1968, il y avait une double critique : sociale – et de la société de qui le quitte car elle le trouve ennuyeux. Ainsi, le
on dénonçait l’exploitation des travailleurs – et consommation. Cinq ans héros, qui a accepté de faire l’expérience de la déshu-
« artiste », contre la société de consommation, du plus tard, le premier choc manisation, init seul et abandonné…
« chacun devant sa télé ». Aujourd’hui, nous avons pétrolier fait basculer le Pourtant cette révolution numérique n’est-elle
plus que jamais besoin de retrouver le soule de cette modèle productiviste pas en pleine accélération ?
double contestation. Il faut réarmer la critique des Trente Glorieuses C’est vrai. Nous ne sommes qu’au tout début. En imi-
sociale, ne pas jeter le syndicalisme, les services dans la crise. Déjà la fin tant les réseaux neuronaux, la machine a appris à
publics ou la redistribution comme des oripeaux de des rêves de 68 ou apprendre. C’est la révolution du deep learning. On
l’ancien monde. Il faut aussi contester la déshumani- l’annonce d’une société sait maintenant que la machine peut avoir des sou-
sation en cours, sauvegarder notre intégrité morale, « postindustrielle » ? venirs, prendre des décisions en convoquant son
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LA ROBOTISATION EN MARCHE « post » que de prendre un café en tête à tête avec
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quelqu’un. La société numérique est faite pour favo-
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riser les rendements d’échelle. Les relations directes,
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Stock de robots industriels,
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en nombre d’unités dans le monde le face-à-face, qui formaient le grand espoir de Fou-
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rastié, passent à la trappe.
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C’est du productivisme…
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Oui, tout simplement. On peut établir un parallèle avec
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“ On sait maintenant
que la machine peut
avoir des souvenirs,
prendre des décisions
et s’adapter à des
situations imprévues.”
Impossible. Maintenant, l’enjeu n’est rien moins que
de ne pas nous laisser déposséder une nouvelle fois
de notre humanité. Les réseaux sociaux sont en train
de fabriquer un monde de surveillance et d’addic-
tions. Tout ce que nous désirons un jour ou une nuit
est enregistré, évalué pour nous traquer ensuite, nous
rendre addictifs à la Toile, aux séries, à Facebook…
Le travail critique de Mai-68 contre la société indus-
trielle doit être entièrement repris pour la société
digitale. Il faut reciviliser le monde. Ne pas accepter
que nos discussions soient constamment interrom-
pues par des appels, des e-mails auxquels il faut
répondre immédiatement. Une expérience danoise
a montré qu’une semaine sans Facebook faisait recu-
ler les syndromes dépressifs…
Le revenu universel peut-il créer une alternative ?
Le revenu universel est une piste intéressante. Le score
catastrophique de Benoît Hamon pendant la cam-
pagne présidentielle montre qu’il faudra beaucoup de
pédagogie et de pragmatisme pour l’imposer. Mais je
pense qu’il peut donner une chance aux personnes qui
veulent explorer d’autres modes d’existence, paysans
ou artistes, et à tous ceux qui sont les victimes de cette
société de précarité. Le revenu universel peut s’inter-
préter comme la conquête d’une liberté nouvelle, qui
permet de faire une pause, un pas de côté, de ne pas
subir constamment la pression, punitive ou addictive,
du marché et de la Toile.
André Gorz [ancien collaborateur du « Nouvel
Observateur », NDLR], à la in de son livre « Adieux au Créée en 2015 par Hanson Robotics (Hongkong),
prolétariat », disait : « Le capitalisme a ôté le désir ou le Sophia est la star des robots humanoïdes. Capable
pouvoir de réléchir aux besoins “véritables” de chacun, d’apprentissage, elle peut converser et prend part
et de déinir souverainement les options alternatives qui à de nombreux débats. Invitée au « Tonight Show »
pourraient être explorées. » Rien n’a vraiment changé : de Jimmy Fallon aux Etats-Unis, elle a même réussi
nous devons réléchir à nos besoins véritables. n à lancer une blague. L’avenir ?