L'organisation du travail chez Re- Objectifs tique. Des situations de souffrance nault et ses modes de management et de mal être au travail s'installent actuels sont la cause de nom- Les grands groupes en général rapidement, avec les dégâts poten- breuses difficultés. Le manque de comme France Telecom ou Renault tiels que l'on connaît sur la santé des reconnaissance individuelle est et Peugeot en particulier se sont personnes. chronique et génère de la souffrance orientés sur mode de management au travail. Les managers, les CUET basé exclusivement sur les objectifs L'ère du Top-down (Chefs d'Unités Elémentaires de et la primauté des indicateurs, quel- Travail), sont enfermés dans un sys- qu'en soit le coût pour l'entreprise, et et du Bottom-Up tème ultra rigide de fonctionnement les dommages collatéraux subis par qui nuit à un fonctionnement correct les salariés happés par la bouscu- Ce pilotage exclusif par les ob- des équipes. A tous les niveaux hié- lade de la charge. Le principe d'un jectifs favorise un management du rarchiques, les salariés subissent suivi factuel des activités et des ré- haut vers le bas (top-down), sans des pressions quotidiennes induites sultats est bafoué et masque toute réelle possibilité de faire remonter par la politique de pilotage des KPIs, visibilité d'une trajectoire tendant (bottom-up) les réalités du terrain. (Key Performance Individuelle) sans vers l'objectif. Car, quand la pression Filtré, le fameux bottom-up débute pouvoir assumer leur charge, faute s'exerce à tous les niveaux de l'en- dans le meilleur des cas au niveau de ressource adéquate. Le diagnos- treprise afin que les fameux indica- du chef de service ou du chef de dé- tic établi chez Renault, au Techno- teurs convergent systématiquement partement. Les objectifs ainsi décli- centre de Guyancourt, par la société au vert, cela conduit implicitement à nés verticalement, (pour ne pas dire Technologia, à la suite des suicides, désavouer les réalités quotidiennes imposés), occultent l'implication des à mis en évidence la nécessité du terrain. personnels et des nombreuses diffi- d'identifier les facteurs organisation- cultés rencontrées sur le terrain. nels pervers. C'est ainsi qu'est née La documentation des indica- L'encouragement de la performance "la journée de l'équipe". Rendez teurs à un effet pervers, car elle in- individuelle tue dans l'œuf la perfor- vous désormais annuel (néanmoins duit une surcharge de travail. Il en mance collective et dessert, in fine, annulé cette année pour cause de résulte pour les collaborateurs et les la performance globale de l'entre- chômage partiel), ces rencontres managers de proximité un surcroit prise. tentent de gommer un management d'activité chronophage dont le seul réducteur qui favorise l'individua- but est de justifier des résultats cor- Les CUET ou le syndrome lisme et l'isolement. Des militants de rélant le niveau de l'indicateur. L'ac- du marteau et de l'enclume la CFDT, épaulés par des cher- tivité réelle du travail est ainsi cheurs et des ergonomes du travail, escamotée. Cette politique de ma- Les CUET, (N+1), ont le senti- ont questionné en profondeur enca- nagement par les objectifs est per- ment d'être des éponges. Ils tien- drement et salariés. De nombreuses çue par les cadres comme néfaste nent le rôle délicat d'absorber les sources d'incertitudes et d'inquié- au résultat global de l'entreprise. chocs et les contraintes imposées tudes ont été identifiées. Notamment Etouffés par les KPIs, les managers par leurs hiérarchies, et se doivent la pérennité et l'évolution des activi- délaissent leurs équipes et les de répondre aux demandes et aux tés posent question. Liée à la sup- contacts de terrain. Certains collabo- interrogations de leurs équipes. Ils pression brutale des prestations rateurs pratiquent l'obéissance pas- se trouvent entre le marteau et l'en- extérieures, le nouveau paysage de sive sans comprendre les véritables clume, impuissants et seuls, dému- l'équilibrage charge / ressource enjeux de leur mission. Le gâchis nis pour certains d'une formation conduit à des angoisses et des ressenti dans l'utilisation des res- sérieuse au management et tracas- questionnements légitimes. Enfin, sources et de leurs compétences, sés de surcroit par des problèmes l'incapacité de l'entreprise à maitri- ainsi que l'inefficacité des services administratifs. Leur niveau de frus- ser la charge réelle du travail " gris " Ressources Humaines est grand. tration peu à peu s'exacerbe et leur et l'insuffisante reconnaissance de la Parallèlement, il subsiste quelques motivation s'envole. mobilisation des compétences favo- managers zélés, adeptes du pilo- rise les appréhensions et les tage par le stress qui acculent les craintes de l'ensemble des collabo- salariés dans un schéma de compé- Manager par les réalités rateurs. tition interne. Le management parti- du terrain cipatif, prôné" aux journées de Manager autrement que par les l'équipe" devient alors directif et cri- Le travail des équipes de terrain nécessite de conserver un ancrage
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fort avec les réalités du quotidien. En donnant du sens au travail les coopé- La France malade du travail rations se tissent et donnent de la vi- Jean Louis MALYS, secrétaire professionnalisme son travail. sibilité sur les objectifs essentiels. national, écrit dans l'éditorial paru > La destruction des solidarités Manager suppose donc de travailler dans le numéro 3235 de Syndica- internes et des collectifs de travail du au plus prêt des interfaces des mé- lisme Hebdo, "Se tuer au travail est fait notamment de l'introduction de tiers et des organisations. L'évidence une expression qui indique l'engage- l'individualisation des performances. d'arbitrages incontournables impli- ment personnel dans la tâche à ac- > Les humiliations régulières. quent parfois de sortir des objectifs, complir… Cette expression prend > L'absence de reconnaissance. de travailler en marge du processus une signification insupportable > Un sous effectif permanent. établi. Il devient nécessaire, urgent quand elle s'applique à une femme > Des fusions absorptions d'en- même, de trouver d'autres façons de ou un homme qui commet l'irrépa- treprises, des délocalisations, des fixer les objectifs. rable en le liant à son vécu dans externalisations… l'entreprise". Manager par les valeurs et Les dérives actuelles du mana- les compétences Depuis quelques mois, en effet, gement des entreprises doivent être on assiste à une recrudescence des dénoncées et notamment afin d'en L'entreprise s'attache à ce que les suicides en entreprise. France Télé- stopper les conséquences psycholo- comportements des managers et des com, Renault, PSA et d'autres sont giques sur les salariés. Ne pas inter- collaborateurs soient conformes à depuis plusieurs semaines au centre venir lorsqu'on a connaissance de une certaine éthique tout en préser- de cette situation catastrophique. dérives dans l'entreprise est crimi- vant "l'excellence" envers nel. les clients. Dans certaine Cette Nous devons donc faire fonction- direction, l'esprit d'équipe vague de ner dès maintenant les différentes est encouragé. Mais ces suicide a institutions représentatives du per- valeurs ne constituent pas ouvert le sonnel et en particulier le CHSCT et un socle tangible de mana- débat sur le CE afin de prévenir les dérives en gement car la priorité est à la souf- matière d'organisation du travail. l'obtention des résultats à france au Trop longtemps, nous avons été ac- court terme et de la tenue travail et compagnateurs des évolutions d'or- des objectifs individuels. ses causes ganisation, même si nous étions Par ailleurs, hormis dans les critiques, mais reconnaissons le quelques opérations ponctuelles, les entreprises touchées, mais pas seu- aussi, fatalistes. Ressources Humaines sont dévalori- lement car le ministère du travail sées, leur mission initiale étant dé- s'empare aussi du sujet en imposant Qui n'a pas connu dans son en- tournée. L'encadrement peine à une négociation sur ce sujet dans treprise des salariés "mis au pla- valoriser les collaborateurs car le les entreprises de plus de 1000 sala- card" ? sens du travail des équipes reste riés. flou. Le produit de ces incertitudes Aujourd'hui, il nous faut re- est pointé par les experts du cabinet Les causes sont connues et dé- prendre l'initiative afin qu'aucun sa- Technologia qui notent : "la moitié noncées par les organisations syn- larié ne soit abandonné sur le bord des salariés estiment aller au travail dicales depuis de nombreuses de la route lors des évolutions du avec moins d'enthousiasme années. Citons entre autres : travail et de l'organisation de nos qu'avant", et "ressentent une frustra- > L'organisation du travail en boites. De même, nous devons libé- tion de ne pas pouvoir faire leur tra- perpétuel mouvement. rer la parole, réinventer le collectif et vail correctement". Il faut tendre vers > La fixation d'objectifs inattei- de nouvelles solidarités afin que un management par la reconnais- gnables. chacun puisse à nouveau s'épanouir sance des compétences et non pas > L'incapacité des managers à dans son travail. par la classique conduite d'adapta- protéger les salariés des contraintes tion des compétences aux exigences extérieures et particulièrement la Dans un monde où la finance est requises par le poste occupé, ou en- pression mise sur la réalisation du reine, où la notion de travail évolue core, par l'adaptation des aptitudes résultat. sans cesse, où la stabilité de l'entre- en fonction du contexte concurrentiel > La solitude dans laquelle sont prise est continuellement remise en des marchés. Il faut une intégration placés les salariés pour affronter les cause par de perpétuelles évolu- du parcours professionnel par l'ou- difficultés de leur travail tions, l'organisation syndicale doit verture de vraies négociations sur > Le sentiment donné au person- être un rempart pour éviter que le une GPEC (Gestion Prévisionnelle nel qu'il ne fait pas assez alors que salarié ne soit plus considéré des Emplois et des Compétences), chacun réalise correctement avec comme une valeur marchande. négociations demandées à maintes 18 SYMÉTAL CFDT SUD FRANCILIEN Suite de la page 12 reprises par la CFDT. La non recon- larié, il est probable que cela accen- d'engagement des salariés seront de naissance professionnelle ressentie tue la situation de job-strain". plus en plus réduites. par les salariés déprécie les compé- tences et les savoir-faire. La valeur En Conclusion Enfin, il faudrait revoir l'ensemble travail ainsi désavouée larve les ini- de notre organisation, de la section tiatives, étouffées par la seule recon- Les carences du management de syndicale d'entreprise à notre struc- naissance qui vaille, celle d'avoir l'entreprise, dans ses relations pro- ture confédérale pour redonner une atteint les intangibles objectifs fixés. fessionnelles et dans l'animation des image positive, moins conservatrice Les managers doivent comprendre, équipes prennent d'autan plus et bureaucratique telle qu'elle est per- qu'au final, c'est la performance de d'acuité dans un contexte écono- çue par les jeunes et les précaires. l'entreprise qui est altérée. Quant à la mique difficile, avec une absence de reconnaissance matérielle et les lé- visibilité sur l'après " contrat 2009 " et Dépoussiérons le fonctionnement gendaires rallonges, les dispositifs in- sur l'avenir de l'entreprise. Le sys- et l'architecture de nos différentes ternes de promotion et d'évolution de tème de management de l'entreprise structures (Syndicats, URI, Fédéra- carrières ont été laminés au profit de doit donner la possibilité aux mana- tions, Confédération) pour donner de la prépondérance donnée aux forma- gers de proximité d'adapter leurs la place aux militants et non pas seu- tions issues des grandes écoles. Ce propres pratiques dans un cadre de lement à des experts sortis fraiche- système discriminatoire entame peu valeurs définies, qui réaffirme la va- ment des bancs de l'université sans à peu les relations de travail de la po- leur des " Ressources Humaines ". expérience du monde du travail. pulation cadre. Conjointement à la Cette autonomie encadrée est à re- Encore faut-il que l'élaboration façon dont sont fixés les objectifs, définir et doit se retrouver dans la d'un vrai plan de carrière soit réalisée l'absence de management par les fixation des objectifs et l'évaluation entre les structures et les militants. compétences concourt à sous éva- des résultats. Elle doit encourager la luer le travail réel. Les tâches obs- transversalité, la coopération au sein Donnons du sens à nos actions et cures et imprévues, les mauvaises des équipes et entre les différentes à nos valeurs. Agissons pour que nos répartitions de charge de travail sont entités. Elle doit redonner du pouvoir actions soient efficaces et qu'elles sous évaluées. Les managers déplo- en bas de la hiérarchie, à celles et aillent dans le sens d'un réel progrès rent les workflows (gestion informa- ceux qui savent apprécier l'utile et le pour l'être humain. tique des congés) et autres DIDET nécessaire dans l'activité de travail. (Déclaration Individuelle d'Emploi du Elle doit enfin être génératrice de co- Ce n'est pas tout à fait la vision Temps). Ils soupirent face à la virtua- hésion sociale et d'émancipation. proposée par la confédération. Celle- lité de SDA (Saisie De l'Activité) et Conséquence de la complexité des ci souhaite modifier en profondeur le moult autres indicateurs, s'indignent organisations de travail il ne peut être rôle et les missions des SSE sans re- contre les reports, les gels et les défini d'objectifs sans prendre en mettre en cause ses propres pra- carry-over tous azimuts des projets compte leurs éventuels effets per- tiques. Si le rôle de la confédération modifiés sans cesse. Les pics d'acti- vers. C'est pourquoi il serait plus que (avec les URI et les fédérations) est vité à gérer, les réorganisations per- souhaitable qu'une démarche d'ana- de coordonner la réflexion, le débat, pétuelles corrodent les plus lyse des objectifs soit mis en place la mobilisation et la négociation, cela déterminés. Et puis l'arrêt brutal des suivant une approche systémique. ne doit pas se faire au détriment des prestations, la gestion de la sous trai- Pour un objectif fixé par l'entreprise il salariés. Ces structures doivent être tance et les délocalisations, le "Cor- s'agirait de prendre l'avis des profes- à l'écoute des syndicats et des sec- porate", la montée en puissance des sionnels issus des conditions de tra- tions d'entreprises (souvenons-nous compétences des RTx (sites ingénie- vail et de la médecine du travail, des de l'accord sur les retraites). Et sur- ries délocalisés)… Accumulées, ces ressources humaines, accompagnés tout la confédération devrait avoir tracasseries du quotidien deviennent des opérationnels techniques et fi- comme objectif de revitaliser les syn- pesantes puis douloureuses à porter. nanciers, sans oublier les partenaires dicats. Contrairement à ce qu'elle Des situations tendues sont pure- sociaux. Le tout administré par une préconise, c'est par le syndicat que ment ignorées et des collaborateurs direction des risques psychosociaux les sections d'entreprises multinatio- anonymes, souffrant de mal-être au dont le directeur siégerait au sein du nales et les sections de petites socié- travail, sont en danger. Les risques Comité Exécutif Groupe Renault. tés peuvent confronter leurs psychosociaux qui en découlent sont problématiques et s'enrichir d'un avérés. Comme le cite le rapport Pour la CFDT il est temps de re- débat correspondant à leur réalité Technologia, chez Renault par placer la valeur humaine au plus haut territoriale. exemple : "le déni de l'existence niveau du groupe ! d'une charge de travail constitue un C'est par l'ensemble de ces com- facteur de développement du senti- bats que nous arriverons à assurer ment d'injustice. Lorsque ce déni Thierry Saintot un avenir au syndicalisme. s'accompagne d'un manque de reco- Sources : Rapport d'expertise Technologia 01/08 naissance et d'un retournement des Gérard MANTOAN causes du côté des capacités du sa- SYMÉTAL CFDT SUD FRANCILIEN 19