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Systèmes juridiques européen et

Constitution
Pour une théorie constitutionnelle de la démocratie. A côté d'une pensée philosophique et sociologique
sur la démocratie, peut-il y avoir une pensée juridique sur la démocratie ? Le droit a-t-il à dire des
choses sur la démocratie ?

3 rapports préparatoires à la rédaction du mémoire :


1) Sur ce qui a été écrit avant ? Et quelles sont les thèses défendues ? (avant Noël)
2) Proposer les innovations, nouveautés et points de vue différents de ce qui a été écrit. (fin
janvier)
3) Construire sur la base des deux premiers rapports, une problématique et le plan. (fin février)
=> Mars, avril, mai, juin = 4 mois de rédaction.

Sujets de mémoire proposés :


1. La fabrication de la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi
2. La fabrication de la loi du 26 juillet 2013 sur la séparation et la régulation des activités
bancaires
 L’idée est qu’à travers l’étude de la fabrication de cette loi, on étudie comment s’articulent,
se mêlent, s’opposent, s’allient démocratie politique, démocratie sociale et démocratie
juridique. Il y a d’autres entrepreneurs législatifs que les députés.

3. La représentation du Conseil constitutionnel à travers ses délibérations.


 Quelle est l’image que les membres du Conseil ont de leurs propres institutions ?

4. L’usage par la Cour de cassation de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.


 L’objet de ce mémoire est de voir comment la Cour de cassation devient peut-être un juge
constitutionnel de droit commun, puisque pour refuser de transmettre des QPC au CC, la Cour
utilise la jurisprudence constitutionnelle.

5. Le principe de non rétroactivité des lois.


 C’est un thème qui monte en puissance dans la mesure où un certain nombre de lois prévoient
des effets différés dans le temps.

6. La notion de Constitution chez un auteur


7. La notion de démocratie qui apparaît dans les mouvements sociaux (indignés, occupy, etc.) :
voir Vie et mort des assemblées.

Introduction:
La principale difficulté pour les sciences humaines et sociales est que les objets sur lesquels nous avons
à travailler ne sont pas des objets qui sont donnés mais qui sont construits (l'Etat, la nation, la
démocratie, la famille, …). Par conséquent, selon le mode de fabrication de l'objet, le traitement qui
en sera fait sera différent. Il faut exposer le cadre à l'intérieur duquel on traite la question.

Il y a trois grands cadres épistémologiques classiques (le « bon sens » excepté) :


1. Le positivisme : Méthode juridique qui consiste à prendre pour objet d'étude le droit qui est
posé par les textes, les juges, … Cette méthode à comme support l'idée qu'en prenant pour
objet le droit posé on peut développer une analyse scientifique, objective, neutre dans la
mesure où l'on ne s'interroge pas si le droit posé est bien ou mal, où l'on ne s'intéresse pas au
contenu mais à la forme par laquelle le droit est posé. Méthode qui consiste à séparé autant
que possible les questions morales de politiques, il s'agit de faire une « théorie pure du droit »
et d'enlever tous les éléments extérieurs au droit (Hans Kelsen). Cette méthode a donné
naissance à trois grandes tendances :
1. L'exégèse = commentaire de textes, d'arrêt, …
2. Le positivisme sociologique (Duguit) qui considère que le droit est dans la société afin de
constater les régularités sociales et de transformer les lois sociales en lois juridiques. Le
droit découle de la société.
3. Le normativisme juridique (Kelsen) : le travail du juriste consiste à étudier l'articulation
des normes les unes par rapport aux autres. Le droit découle du droit : L'autopoïése. Cette
école est une école qui a très longtemps dominé les études juridiques. Pour D. Rousseau
cette méthode a plusieurs faiblesses :
▪ Elle se pose comme une méthode neutre et objective, notamment dans l'école
kelsenienne. Mais la norme fondamentale qui est une norme « hypothético-
logique », qui n'existe pas. Mais cette norme n'est pas neutre : « il faut obéir à
la Constitution ». Cette valeur de l'obéissance n'est pas neutre.
▪ Cette méthode fait une distinction entre la forme et le fond qui n'est pas
intellectuellement pertinente. « La forme c'est le fond qui revient à la
surface » (V. Hugo). La question de la forme est en réalité une question de
fond : dans quel texte on met la règle.
▪ Cette méthode rend hémiplégique la réflexion juridique en arrêtant la
réflexion du juriste à la substance du droit.

Cette position est indéfendable et ce n'est pas faire la totalité de son travail de juriste que de s'arrêter
à cette conception du droit. Un juriste ne peut pas se désintéresser de la question du contenu des
règles.

2. Le jus naturalisme : Il prend comme point de départ que le droit est donné à l'homme et c'est
pour cette raison que ce droit est neutre car il est supérieur et extérieur à l'homme. Cela
rejoint d'une certaine manière les positivistes. Qui donne le droit à l'homme ?
1. On a le jus naturalisme antique : Voir Michel Villey. L'homme n'occupe que la place que le
cosmos lui donne. Tout le malheur des hommes vient de ce que les hommes ne veulent pas
occuper la place qui leur est donné par le cosmos. Cf. Exemple de C. Taylor → « L'aigle et
le moineau ». Cette école a énormément de succès au Canada, aux Etats-Unis et
commence un peu en France. Cette doctrine a été reçue en France comme très
conservatrice. A l'inverse, au Canada et Etats-Unis cette doctrine a été reçue comme
progressiste car c'était pour défendre la manière de vivre des peuples autochtones. Qui sait
ce que la nature dit ? Ceux qui sont en contact avec le Cosmos → ceux qui savent le
déchiffrer : par exemple, les prêtres dans l'antiquité. Dans nos société modernes on a
remplacé le Cosmos par Dieu. C'est un droit d'origine divine.
2. On a le jus naturalisme moderne → on se repose sur la nature humaine. Kant considère que
nous avons des idées a priori et on va trouver dans la raison humaine les mêmes idées
partout. C'est toute l'influence du siècle des Lumières. Ce sont donc les philosophes qui
doivent gouverner.

On ne retiendra pas non plus cette méthode car le référent de cette école est un référent au contenu
instable qui ne permet pas de jouer le rôle qu'il prétend jouer, c'est-à-dire, d'extraire les règles
juridiques de la subjectivité des acteurs qui le pose. Si on se réfère à la nature humaine, qui a raison
Hobbes, Rousseau ou Sade ?
L'article 2 de la DDHC parle des droits naturels de l'homme. Il y aurait des droits qui seraient au-dessus
du politique et intouchable. Donc cette conception du droit est encore d'actualité. Et on a même un
retour en force de ce droit naturel.
Cette méthode naturalise des faits de culture, c'est l'oubli de la genèse, l'oubli de l'histoire et faisant
apparaître l'état des choses présente comme ayant toujours existé et comme devant toujours exister.
Elle éternalise une situation de fait en ignorant le processus historique par lequel elle s'est construite.

3. Le cadre régressif / progressif : c'est la méthode que l'on va retrouver beaucoup plus
développée dans l'introduction de L'être et le néant de Jean Paul Sartre. Cette méthode
consiste d'abord à prendre un fait d'expérience par exemple un considérant du CC, écrit en
1985, dit que la loi votée exprime la volonté générale dans le respect de la Constitution. La
méthode consiste à remonter dans le temps : on refait la généalogie de la fabrication de la
volonté générale. En remontant dans le temps on trouve ce que Sartre appel des médiations.
On va retrouver l'histoire et la philosophie permettant de comprendre les processus historiques
qui ont amené à ce que le conseil constitutionnel pose ce considérant. Cette méthode
réintroduit l'histoire.
Puis on se demande ce que cela projette comme configuration politique. Cette fois on
rencontre l’herméneutique, le langage, …
Avantages de cette méthode : elle donne à l'activité du juriste une position de contact, de connexion,
avec les autres disciplines. Un juriste meurt à rester dans le domaine du droit. Il s'enrichit à aller
chercher dans les autres savoirs.

1°- La démocratie est-elle un objet du droit ? Peut-elle faire l'objet d'une théorie constitutionnelle ?
Il n'est pas évident que le droit constitutionnel ait des choses à dire sur la démocratie. Un fait est que
lorsqu'il faut réfléchir sur cette question-là, on convoque des sociologues, historiens, philosophes,
économistes, mais rarement des juristes.
La démocratie n'est pas spontanément conçue comme un objet du droit. Il faut donc réfléchir sur les
conditions qui rendent possible de faire de la démocratie un objet du droit. Elles sont au nombre de
trois :
1. Il faut repérer et identifier les obstacles à cette reconnaissance de la démocratie comme objet
du droit.
2. Il faut reconnaître, dans l'expérience constitutionnelle la présence de l'objet « démocratie ».
3. Situer la reconnaissance de ce fait d'expérience dans le contexte historique présent.

I- Identifier et reconnaître les obstacles


Voir, article de Stéphane Pinon, revue Politeïa, n°10 de 2006.

Il y a deux obstacles principaux :


1. Crise qu'a connu le droit constitutionnel dans les années 1950 qui a conduit à considérer que le
droit et la Constitution en particulier était un texte dépassé, qui ne permettait pas de rendre
intelligible le fonctionnement des institutions:Voir, George Burdeau, La constitution une notion
en survivance, Recueil Sirey, 1956.

Dans cet article Burdeau fait le bilan du déclin de la Constitution comme acte capable de rendre compte
des activités sociales et politiques d'une société. La Constitution a été faite pour mettre de l'ordre dans
la diversité des règles juridiques. Or, en 1956, la Constitution ne joue plus ce rôle, chaque discipline se
développant de manière autonome (droit du travail, droit administratif, etc.) cherchant ailleurs les
sources de leurs règles. En outre, la Constitution a été faite pour encadrer et diriger la vie politique.
C'était la manifestation de la raison dans le champ politique à l'instar de Descartes pour la nautre. Or,
Burdeau constate qu'il y a un décalage entre ce qui est écrit dans le texte des Constitutions et la
pratique suivie par les acteurs publics. Il conclu son analyse en jugeant que le droit n'a plus rien à dire
sur la vie politique. C'est une notion en survivance qui disparaîtra progressivement comme la Raison
disparaîtra progressivement comme principe de la modernité juridique.

A la même époque, Georges Vedel, lors du congrès de l'association internationale de science politique à
Rome publie un rapport en concluant que la séparation des pouvoirs comme principe fondamental du
droit constitutionnel moderne a vécu et ne permet plus d'expliquer les régimes constitutionnels et que
même s'il se trouve inscrit dans la Constitution il ne permet plus de rendre compte de la réalité
politique des Etats. Il propose une nouvelle typologie dans laquelle il met ensemble l'URSS et le
Royaume-Uni : il n'y a pas de séparation des pouvoirs, le parti a tout les pouvoirs : « l'exécutif et le
législatif ne sont plus séparés ils sont désormais soudés ».

Vedel et Burdeau ont sous les yeux la IVe : il n'était prévu qu'un gouvernement n'était renversé qu'à la
majorité absolue des membres présents. Dans la pratique, les gouvernements démissionnaient même
s'il n'y avait pas une majorité absolue des députés contre le gouvernement. Ce qui a conduit à la
réforme de 1958 et l'article 49.

Ce qui doit alors remplacer le droit constitutionnel est la science politique : études des systèmes
électoraux, des partis politiques, des forces sociales, … ce sont ces éléments qui sont plus importants
pour comprendre le fonctionnement d'une société que le droit.
Maurice Duverger qui publie sa thèse en 1954 sur les partis politiques invite l'ensemble de ses collègues
à abandonner les études juridiques pour aborder la réalité concrète des sociétés et non plus à l'exégèse
des Constitutions.

Jusqu'à la fin du XX e siècle la Science politique va donc dominer l'étude de la société, de la politique.
Voir, Une résurrection de la notion de Constitution, D. Rousseau, RDP, 1990 + Réponse de Pierre Avril.

Par conséquent le premier obstacle que le droit devait surmonter est d'arriver à démontrer que la
Science politique devait faire sa place à la réflexion propre des juristes.

2. Domination dans le monde juridique du positivisme qui prend pour postulat de mettre à
l'écart de sa réflexion toutes les questions de fond pour ne s'intéresser qu'au mode de
production des règles, qu'à la forme des règles. Le positivisme consiste à écarter de la réflexion
du juriste tous les éléments psychologiques, sociaux, moraux qui viendraient gêner la réflexion
proprement juridique : théorie pure du droit. Par conséquent, la question de la démocratie va
être écartée puisqu'elle est une question de valeur pour les positivistes. Décrire le mode de
fabrication de la règle, l'emboîtement des règles entre elles, telle est le travail du juriste et
non pas chercher à savoir quelle règle est meilleur ou quel système est démocratique ou non.

Ce sont les deux principaux obstacles qui ont empêché la réflexion des juristes sur la démocratie. Si
l'on remonte encore plus loin on peut regarder le moment où l'enseignement du droit constitutionnel a
été introduit en France : On le retrouve surtout après les années 1875. L'introduction du droit
constitutionnel dans les facultés de droit a été considérée comme l'introduction de la question
politique, de la question de la République et de la Démocratie. Il y avait jusqu'alors uniquement des
professeurs de droit civil ayant pour méthode l'exégèse, neutre, juridique, impartial visant à expliquer
les articles du Code civil. A l'époque on considérait cette introduction comme la remise en cause de
l'esprit d'impartialité de la méthode juridique. C'est à ce moment que se crée Science Po' Paris.
Finalement, l'enseignement du droit constitutionnel sera admis dans les facultés de droit : mais les
professeurs de droit constitutionnel pour se faire admettre vont emporter avec eux la méthode des
privatistes.

Une fois que l'on a repéré les obstacles, il faut identifier ou reconnaître si ces obstacles peuvent être
surmontés ou si, reprenant l'histoire du droit constitutionnel d'un autre point de vue, il ne pourrait pas
apparaître que la démocratie a été depuis toujours un fait d'expérience de la pensée constitutionnelle.
II- Y'a-t-il un fait d'expérience de la pensée constitutionnelle
prenant la démocratie comme objet ?
« Fait d'expérience » vient de John Dewey dont les œuvres viennent d'être traduites récemment en
France → Le public et ses problèmes / La question des valeurs en droit. J. Dewey est considéré comme
l'un des pères du pragmatisme, c'est-à-dire partir de l'expérience. Philosophie qui s'oppose directement
de la nôtre, celle de Kant, la raison a priori.

1er fait d’expérience :


La question de la démocratie a toujours été une préoccupation des constitutionnalistes :
1. Le lien pratique entre Constitution et démocratie est un fait d'expérience puisque l'idée de
Constitution est née avec l'idée que ce texte était seul en mesure d'assurer la liberté politique.
En effet, rédiger un texte qui pose les règles de la vie politique en société était
nécessairement là pour limiter l'arbitraire, le pouvoir discrétionnaire des gouvernants et
assurer la liberté politique. Y'a-t-il eu Constitution avant 1789 ? Lois fondamentales du
Royaume ? Chartes communales ? Dans les chartes communales le Tiers-Etats a obtenu la
responsabilité de gérer des villes franches en réduisant le pouvoir discrétionnaire et arbitraire
des seigneurs. Le mouvement constitutionnel de 1789 est la généralisation et l'extension du
mouvement des chartes communales. Ces petites constitutions locales sont nées de cette
demande de liberté politique par les citoyens eux-mêmes.
Montesquieu est celui qui va le plus fortement marquer ce lien entre Constitution et démocratie. L'idée
même de Constitution implique l'idée de liberté politique parce que la Constitution comporte trois
caractères qui favorisent ce lien avec la démocratie :
1. L'écriture : c'est la première marque de ce fait d'expérience dans la mesure où elle a deux
effets démocratiques.
1. Elle diffuse plus largement, la capacité d'écrire les règles. Le phénomène de l'écriture
d'une Constitution est un phénomène qui élargit le champ des personnes aptes ou capables
de participer à l'élaboration des règles. Tant que les règles sont orales, elles sont réservées
à une catégorie de la population. A partir du moment où de plus en plus de gens maîtrisent
l'écriture on se saisit toujours plus des règles constitutionnelles. Passage de l'oralité
(noblesse) à l'écriture (bourgeoisie).
2. Permet aux citoyens de comparer ce qui est écrit avec ce qui est fait. Cela permet au
peuple de juger les politiques et le cas échéant de les sanctionner. Cela permet de
dénoncer les violations de la Constitution. Cf. préambule de la DDHC : « Les représentants
du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli
ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la
corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les
droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, […] afin que les actes du pouvoir
législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but
de toute institution politique, en soient plus respectés ; »
2. La Constitution sépare les pouvoirs et cette séparation a pour fonction la démocratie. Reste à
savoir comment comprendre la séparation des pouvoirs. Est-ce qu'on la comprendre de manière
dogmatique et figée (telle que Montesquieu l'a posé)? Ou est-ce qu'on la comprend de manière
ouverte ?
Si on reste sur la conception de Montesquieu, il n'y a plus de séparation donc il n'y a plus de
démocratie : le régime est déséquilibré. Ce qui montre bien a contrario que la séparation des pouvoirs
reste bien un marqueur de la démocratie puisque lorsqu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs on
considère qu'il n'y a pas de démocratie.
Il est une autre manière de penser la séparation des pouvoirs qui est non pas de rester fidèle au
modèle de Montesquieu, mais rester fidèle à la méthode de Montesquieu (chapitre 9 de L'esprit des lois
sur la Constitution d'Angleterre) : ce qui intéresse Montesquieu n'est pas tellement la séparation des
pouvoirs, mais la séparation entre la faculté de statuer et la faculté d’empêcher. Quelles sont les
institutions qui expriment la faculté de statuer ? Quelles sont celles qui expriment la faculté
d'empêcher. Aujourd'hui la faculté de statuer est entre les mains de l'exécutif et du législatif. Il
faudrait trouver l'institution ou les institutions qui vont exprimer cette faculté d'empêcher. L'objet des
constitutionnalistes est d'étudier les contre-pouvoirs.
3. La Constitution est aussi ce texte que les citoyens peuvent utiliser pour réclamer. Pourquoi
rédige-t-on une Constitution ? Pour permettre aux citoyens de contester le pouvoir → Voir
préambule DDHC : « ...afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des
principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au
bonheur de tous. » Ici on a le fondement constitutionnel possible de la QPC.

Voir, La vie sous la déclaration de 1789.

Il y a donc un lien entre Constitution et démocratie, et c'est un fait d'expérience que la Constitution
est conçue comme devant assurer la démocratie.

2e fait d'expérience :
La question du peuple. Dans cette référence que tout démocrate fait au Peuple, la Constitution joue
un rôle déterminant. En ce sens que sans Constitution il n’y a pas de Peuple. Cette présentation des
choses ne va pas de soi parce qu’on retrouve dans le sens commun l’idée que c’est le peuple qui fait la
Constitution. Aristote : « la Constitution est le génie d’un Peuple ».

Cet ordre des choses à été parfaitement décrit par Siéyes (Tiers-Etat) : il y a d’abord la nation, le
peuple. La nation est une donnée naturelle qui n’a besoin de rien pour exister : elle est. A partir de là,
la nation exprime son vouloir politique en rédigeant une Constitution. Ensuite, les représentants de la
nation votent des lois dans le cadre de la Constitution. C’est l’ordre politique des choses. Le pouvoir
constituant ne peut pas être déterminé par le droit. La nation peut vouloir comme elle veut et ce
qu’elle veut. Face au roi qui existe il faut qu’il pause en dehors du droit, l’existence de la nation. Voir
le lit de justice de Louis XV : « il n’y a pas de différences entre les intérêts du roi et les intérêts de la
nation ».

Cette, théorie de Sieyès va être reprise en étant totalement déformée par Carl Schmitt. Pour lui, le
peuple ethnique existe : le peuple c’est la race.

Idée que le peuple existe d’abord et qu’il fait ensuite la Constitution. Or cette présentaton mérite
d’être discutée, il faut recontextualiser ces doctrines politiques.Il faut rediscuter cette présentation
des choses par rapport à l’histoire et par rapport à la dimension magique du droit (Bourdieu) ou
performative (John Austin, Quand dire c’est faire/ Ludwig Wittgenstein). La force du langage comme
condition de conduite de notre pensée : nous sommes coincés, prisonniers du langage
Inverser la thèse de Sieyès : on s’appuie sur des éléments historiques. Voir la Constitution américaine
« We the people » : « nous » de majesté ? « nous » de pluralité qui devient le peuple américain ? La
société française est faite d’une pluralité de groupes, d’individus avec des modes de vie différents, des
langages différents qui se font la guerre et qui progressivement vont faire vivre ensemble ces individus,
pour au bout de compte, constituer sur un territoire, un peuple. On constate alors que toutes les
sociétés se sont faites par l’intégration d’individus, de groupes, qui sédentarisés dans l’espace ont créé
des institutions qui ont contribué à forger un peuple. Mirabeau : avant la Révolution, il y avait une
« myriade » de peuples, depuis 1789, il y a « Le Peuple français ».
Ce processus se fait historiquement par le travail des institutions : voir par exemple « Les ponts et
chaussées » qui relient les territoires entre eux. On avait aussi la justice qui remonte au roi.
Puis on a la portée créatrice du droit : on pense souvent que le droit est un reflet de la réalité (théorie
marxiste). Mais c’est plus compliqué > le droit n’est pas simplement un ensemble qui enregistre une
réalité et la met en forme. Le droit est peut-être aussi un instrument qui crée la réalité.
Voir dimension magique du droit (Bourdieu) ou performative (John Austin, Quand dire c’est faire/
Ludwig Wittgenstein). La force du langage comme condition de conduite de notre pensée : nous
sommes coincés, prisonniers du langage.
On a plusieurs forces du langage :
 Force locutoire : on comprend mais ça ne veut rien dire par rapport à la réalité.
 Force illocutoire / force performative : les mots font advenir ce qu’ils disent. Il fait advenir
en vrai ce qu’il dit. Mais il faut un certain nombre de conditions pour que le langage crée la
réalité.
 Force perlocutoire : certains mots produisent des effets sur quelqu’un qui n’étaient pas
attendus par les mots prononcés. Question de la réception des énoncés par l’auditoire.

La Constitution, pose le Peuple en énonçant qu’il existe. C’est la Constitution qui crée la réalité selon
laquelle le peuple est souverain (article 3 Constitution). Plus exactement, c’est le processus
constituant qui fait le peuple (voir Tunisie, Egypte, ...). La Constitution fait advenir ce qu’elle énonce.
C’est la raison pour laquelle en 1789 tout le monde n’était pas d’accord pour rédiger une déclaration
des droits dans la Constitution. Il a fallu attendre 1971 pour intégrer la DDHC dans le bloc de
constitutionnalité.

L’idée de Sieyès est une thèse parfaitement discutable, mais qui au regard des processus par lesquelles
les sociétés ce sont constitués et par rapport à l’action du droit pousse à considérer que c’est
davantage la Constitution qui fait le peuple et non l’inverse.

La qualification juridique des faits reconnaît que les faits n’ont pas de qualification préexistante. On
crée alors ces faits dans le langage du droit en les dénommant. La qualification juridique des faits va
devenir la réalité. Cela peut avoir des conséquences sur l’idée de Constitution européenne : certains
disaient qu’il ne peut y avoir de Constitution, car il n’y a pas de peuple européen (vision de Sieyès). En
rechanche, d’autres, dont Habermas, c’est la Constitution qui viendrait construire le peuple européen
dans sa réalité.

Ces éléments permettent donc de penser, comme fait d’expérience que parce que la Constitution a un
rôle important dans la construction du peuple et que le peuple est le référent de la démocratie, elle se
trouve donc être légitimement au centre de la réflexion des constitutionnalistes.

3e fait d’expérience :
Le mot démocratie est dans la Constitution (voir article 1er). Voir thèse : l’idée de démocratie dans la
jurisprudence du Conseil constitutionnel (Lidye Doré).
III- Comment aujourd’hui ce fait d’expérience se situe dans le
champ des savoirs ?
Aujourd’hui, le droit constitutionnel se trouve à un moment d’interrogation et de questionnement sur
son objet (Cf. RDP, 1979, la Méthode en droit constitutionnel, F. Luchaire / S. Rial Malaise dans la
Constitution, RDP, 1984 / controverse entre P. Avril et D. Rousseau / Louis Favoreux, RFDC n°1 1990).
Jusque dans ces années 80/90, le droit constitutionnel ne s’interroge pas sur son objet. Il va de soi que
l’objet d’étude de la Constitution sont l’Etat, ses institutions (parlementaires, judiciaires, exécutives).
Toutes les thèses durant cette époque portent sur la recherche de la meilleure organisation
constitutionnelle de l’Etat.
La phrase qui symbolise cette période vient du Doyen Carbonnier : « Le Code civil est la véritable
Constitution de la société, la Constitution de l’Etat est le texte constitutionnel ». Cette division va
commencer à se fissurer dans les années 1980 sous l’effet de deux mouvements convergents :
1. Développement de la construction européenne on passe d’une union économique à une union
plus politique (politique de défense, politique étrangère, citoyenneté européenne) : Cf.
première élection européenne du Parlement en 1979 (mais qui n’a pas de compétences à
l’époque). La chute des démocraties populaires va poser la question de l’entrée de ces pays
dans l’UE. La question se pose de l’organisation institutionnelle de l’Europe. S’ajoute à ce
phénomène, la prise de conscience que se crée un écart entre le niveau d’intégration
économique de l’Europe qui est supra-nationale et le niveau d’intégration politique qui reste
faible au niveau européen et toujours fort au niveau des Etats-nations.

On va donc penser à un pouvoir politique européne et qu’il faut donc une Constitution pour
organiser ce pouvoir politique. C’est à cette époque qu’apparait la controverse entre les
souverainiste et les européanistes. Entre le traité et la Constitution, il y a la dimension
symbolique du droit. Le mot Constitution donne à voir que l’Europe est un même pays.

Ce qui conduit à une crise du droit constitutionnel puisque jusqu’à présent il était lié à l’Etat-
nation. Or l’Europe n’est pas un Etat : peut-on imaginer une Constitution sans Etat ? Voir
Conclusion de Louis Favoreu dans le colloque de La Rochelle (1997/1998) contre l’utilisation
de l’appareil constitutionnel pour parler de l’Europe.

2. Emergence et développement de la place prise par le contrôle de constitutionnalité en France.


En 1789, on a une révolution contre les juges, pas contre le Roi. La première grande loi
révolutionnaire est la loi de 1790 qui interdit au juge de s’immiscer dans les affaires
législatives et exécutives, « sous peine de forfaiture ». Ceux qui vont la Révolution en 1789
sont les avocats et ils ont vu les Parlements bloquer toutes les réformes de Louis XV et Louis
XIV. Ils craignent plus les juges que le Roi. La Constitution de 1791 place la Cour de cassation à
côté de l’Assemblée nationale, lorsque les juges ont un doute sur l’interprétation ils
demandent au xorps législatif (Cf. création du référé législatif). Le législateur fait la loi et
interprète la loi.

La France constitutionnelle moderne nait donc sur le légicentrisme : la loi est incontrolable
puisqu’elle est l’expression de la volonté générale. A la même époque, les Etats-Unis partent
sur une position totalement différente : Cf. 1803, Arrêt Madison VS Marbury.

Pour la France, cela va durer jusqu’en 1958-1971. Ce n’est qu’en 1958 qu’est créé un Conseil
constitutionnel qui a pour mission de contrôler la conformité de la loi à la Constitution. Il
faudra attendre 1971 pour que le Conseil intègre comme normes de référence du contrôle des
lois la déclaration de 1789 et le préambule de 1946. Ce n’est plus seulement un contrôle de
constitutionnalité externe (procédure) c’est aussi un contrôle de constitutionnalité interne
puisque le juge est susceptible de contrôler la loi. Cela va conduire à la décision de 1985 : «La
loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution ».

Le vote de la loi ne suffit plus pour faire la volonté générale. Une loi votée à la majorité peut
très bien être censurée car entre dans la fabrication de la loi des éléments qualitatifs : liberté
d’aller et venir, vie privée, droit à la santé, etc. La seule loi qui aujourd’hui échapperait au
Conseil constitutionnel est la loi référendaire.

Les constitutionnalistes voient tout ce sur quoi ils s’appuyaient s’effondrer par ces deux mouvements
symétriques. La QPC va encore accélerer ce mouvement : il y a des décisions du Conseil constitutionnel
qui portent sur « n’importe quoi », qui ne sont pas des objets habituels du droit constitutionnel
(tauromachie, garde à vue, gaz de schiste, mariage homo, …). D’un seul coup, la Constitution a des
choses à dire sur des sujets de société (pour prendre le contrepied de Carbonnier).

Aujourd’hui, il y a au sein du savoir constitutionnel, une division entre les partisans du droit
constitutionnel institutionnel, du droit politique et les partisans d’un droit constitutionnel
jurisprudentiel, des droits fondamentaux, qui pensent que l’objet de la Constitution aujourd’hui est
l’ensemble des activités d’une société.
Le droit constitutionnel vit donc une crise identitaire qui doit quand même être nuancée. La distinction
qui est faite entre « droit politique » et « droit sociétal » même si elle renvoie à une réalité doit être
appréciée dans le cadre qui surplombe cette division et qui est précisément la question démocratique.
Quel est l’identité du droit constitutionnel par rapport à d’autres savoirs ?

On pourrait évaluer cette crise avec la grille de lecture proposée par Bourdieu qui met en avant, pour
rendre intelligible quelque chose, non pas les idées, la conscience mais les structures sociales qui ont
produit l’évènement. On pourrait le faire par l’étude du vocabulaire par lequel s’exprime cette
opposition :
Droit politique : « La QPC tue le droit constitutionnel », sentiment aristocratique (les autres
professeurs de droit s’occupaient des choses vulgaires alors qu’eux de l’Etat, de la noblesse d’Etat),
condescendance, le droit constitutionnel se vulgarise car il perd sa distinction. Voir les trajectoires
morphologiques et sociales des partisans du droit politique (Les professeurs de droit constitutionnel
sous la IIIe République, Guillaume Sacris).
Droit sociétal :

« Identité malheureuse » du droit constitutionnel. Contexte : période de critique du rôle du droit et de


la Constitution qui serait trop important dans le fonctionnement de nos sociétés.Cette critique émane
de la classe politique qui conteste la place du droit, la trop grande importance du juge qui les
empècheraient de gouverner : voir Grande Bretagne qui a été et est toujours condamnées par la CEDH
pour sa loi qui prive les prisonniers du droit de vote et qui refuse d’appliquer cette décision de justice
au motif que les politiques doivent être libres de décider du statut juridique des prisonniers, sans la
contrainte du droit, sans la contrainte des juges européens. Voir également les réactions des hommes
politiques à l’égard des juges : lorsque le CC, par une réserve d’interprétation, prive d’effet la peine
de rétention de sûreté, le PDR saisi le premier président de la Cour de cassation pour lui demander de
trouver les moyens d’appliquer malgré tout la loi instaurant la rétention de sûreté. Voire encore un
ministre de la justice qui fait voter une loi sur les peines planchers et qui dit aux députés qu’il sait que
sa loi est contraire à la Constitution, qui demande aux députés de ne pas saisir le CC.

Mais on retrouve aussi cette contestation dans la réflexion de plusieurs intellectuels et en particulier
Marcel Gauchet qui a publié trois tomes (2010) dans l’avènement de la démocratie. Ces ouvrages
viennent en infléchissement net et fort de sa pensée précédente.

Marcel gauchet défend l’idée qu’une société repose sur trois éléments :
1. Le politique -> La communauté des hommes, la Nation, l’Etat
2. Le droit -> Discours qui légitime la communauté politique
3. L’Histoire -> Le destin de cette communauté politique, la mission, le sens…

Il reprendre la fameuse division en trois de Dumezil : le prêtre, le paysan et le soldat. Une société
fonctionne bien lorsque les trois éléments s’articulent de manière équilibrée. Elle fonctionne mal
lorsqu’un des trois éléments l’emporte sur les autres. Ils donnent deux exemples :
1. 1930 -> Crise du libéralisme, le politique l’emporte sur les autres. Il n’y a plus d’histoire, plus
de droit.
2. 2000-> Crise de la démocratie, le droit l’emporte sur les autres. Il écrase le politique car il y a
tellement de droits subjectifs que la société devient politiquement ingouvernable, il écrase
l’histoire puisque les droits de l’homme sont considérés comme étant universels.

Sont sur la même ligne Finkelkraut, Debray, …

D. Rousseau est en désaccord total avec Gauchet : le droit n’écrase pas la politique mais le fait revivre.
Les droits de l’homme mettent les individus en rapport les uns avec les autres. Cet espace produit est
un espace politique puisque c’est dans cette espace que se forme ou se préforme la volonté général.
Le droit n’écrase pas l’histoire dans la mesure ou ce sont davantage des promesses, des choses à venir,
qu’un retour vers le passé. La DDHC tire la communauté politique vers son futur (horizon et objectif).
Les droits de l’homme impulsent une autre manière de faire du politique qui n’est effectivement plus
la forme étatique, mais qui est la forme sociale, de l’espace publique, dans la formation de la volonté
général.

Cette tension identitaire renvoie plus particulièrement à une mutation de l’identité du droit
constitutionnel. Jusqu’à la fin du XXe siècle, le droit constitutionnel avait essentiellement deux
objets : l’études des institutions et l’étude de la pensée constitutionnelle. A la fin du XXe siècle s’est
ajouté un troisième objet : la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux et comme cet objet
était nouveau, les constitutionnalistes de la fin du XXe siècle ce sont précipités sur cet objet, donnant
l’impression que les deux premiers objets avaient disparu.
Mais cette nouveauté n’est pas moins politique que l’était les objets du droit constitutionnel classique.
Cf. Colloque au Conseil constitutionnel le 24 janvier 2013. Cette distinction est discutable dans la
mesure où l’objet droits de l’homme est un objet qui oblige les constitutionnalistes à reprendre toutes
les notions classiques du droit constitutionnel :
La découverte du contentieux constitutionnel amène le CC a traiter la question de l’herméneutique :
« c’est l’interprétation qui donne sa portée effective aux lois » (Décision du 15/10/10). Le CC va se
pencher sur la science du langage : Voir les travaux pionniers de M. Troper sur les TRI.
Les droits fondamentaux ont permis aux constitutionnalistes d’investir leurs études sur la question
juridictionnelle, place de la justice dans une société. Fait-elle partie du pouvoir exécutif (C. de
Malberg), du pouvoir législatif ? Est-elle uniquement l’articulation entre l’exécutif et l’espace publique.
Ils ont aussi conduit à ouvrir une réflexion sur l’extension possible du principe de la séparation des
pouvoirs à l’ensemble des activités sociales. Il faut aussi réfléchir la séparation entre le poltiique,
l’économie, l’argent, le pouvoir syndical, religieux, etc. Voir Thèse de M. Walzer et la nécessite de
protéger l’autonomie de chaque sphère pour garantir la liberté.

La discipline constitutionnelle n’est pas privée de sa dimension théorique et doctrinale mais au


contraire à pu découvrir de nouveaux champs d’application, d’études, etc.

Au total, le savoir constitutionnel a connu, depuis la fin du XXe siècle, non pas une crise, au sens de
décadence, de sa vérité identitaire. Il a connu une mutation qui a permis, qui a rendu possible l’apport
du savoir constitutionnel sur la question démocratique. S’il est possible d’avoir une pensée
constitutionnelle de la démocratie c’est parce que le savoir constitutionnel s’est profondément
transformé depuis la fin du XXe siècle.

II - Quelles sont les qualités de cette pensée constitutionnelle


de la démocratie ?

On trouve trois principales qualités :


1. Mettre en œuvre une pensée de l’écart
2. Mettre en scène le peuple social
3. Donner une forme continue à la démocratie

A/ Une pensée de l’écart


Cette idée de l’écart est directement liée au nouvel objet du droit constitutionnel, à savoir les droits
fondamentaux. Si les droits fondamentaux sont un élément de la pensée constitutionnelle, cela
implique nécessairement de les distinguer d’un autre objet du droit constitutionnel à savoir, la loi.
Comme ces droits fondamentaux sont désormais garantis et protégés par une institution spéciale, le CC,
se met en en scène, à chaque décision du Conseil constitutionnel, la loi face aux droits fondamentaux.
Se met donc en place par le jeu même du droit une scène politique sur laquelle évolue deux corps : le
corps des droits fondamentax, et le corps de la loi. Par le jeu de l’institution conseil constitutionnel, se
crée un écart entre les corps des droits fondamentaux et le corps de la loi. La loi n’est plus considérée
comme spontanément, évidemment l’expression des droits fondamentaux. Il y a un écart possible entre
ce que dit le mot liberté d’expression et ce que dit une loi qui va venir règlementer les entreprises de
presse.
Le corps des droits fondamentaux est le corps du souverain, le référent de la loi est le corps des
représentants du souverain. Chacun son référent, chacun son institution (les juges / le Parlement). On
a donc une mise en scène par le droit de deux corps.

Commentaires sur cet apport de l’écart :


 Est-ce que les droits fondamentaux qui constituent le corps du souverain est un corps
homogène ? Non, dans la mesure où il y a des droits fondamentaux d’inspirations et de
logiques potentiellement différentes : il y a des contradictions entre les droits de 1789 et les
droits de 1946 (droits « de » / droits « à », individus/groupes, abstention de l’Etat/Action de
l’Etat). Mais cette différenciation classique chez les juristes mérite d’être beaucoup discutée
dans la mesure où les droits fondamentaux ont finalement une seule et même logique qui est
de mettre en relation les individus entre eux. Voir article de Claude Lefort, les droits de
l’homme sont une politique, ed. du Seuil. Le corps des droits fondamentaux met toujours en
relation les hommes entre eux, ils ont la même logique d’action.
 Le moment de cet écart entre le corps des droits fondamentaux et le corps de la loi. La
France est longtemps passée à côté : 1789 est le moment de la première mise en scène de
l’écart. L’Ancien régime fonctionne sur la mise en scène de la fusion, pas de l’écart : Louis XIV
« l’Etat c’est moi ». La révolution de 1789 va casser cette fusion, les intérêts du roi ne sont pas
nécessairement ceux de la Nation. Le problème est qu’après avoir cassé cet écart, les
révolutionnaires vont aussitôt reconstituer la fusion en changeant le titulaire de la fusion qui
n’est plus le Roi mais l’Assemblée nationale. Relire les écrits de Siéyès : on vient d’établir un
régime representatif « où le peuple ne peut agir, parler et vouloir que par ses représentants ».
Le corps du peuple et des représentants ne font qu’un.
Cette politique de la fusion a donc conduit à ce que l’on a appelé la démocratie représentative, ce qui
aux yeux de Siéyès est une abberration. C’est ce que va décrire Carré de Malberg sur la loi expression
de la volonté générale, c’est le moment où le Parlement est le souverain. Paul Reynaud pendant le
débat de 1962 à l’Assemblée nationale « le peuple est là ».

La France a raté régulièrement ces moments de ruptures en refermant très vite les moments où il y
avait un écart entre les représentation.

En quoi la politique de l’écart permet de comprendre le fonctionnement démocratique de nos


sociétés ?
On pourrait en effet considérer que la fusion est l’exigence même la démocratie : plus le corps du
peuple est proche du corps des représentants mieux c’est. Cette fusion renvoie à une très forte
anthropologie politique. Pourtant cette idée de fusion est plus d’inspiration autoritaire, monarchiste
que d’inspiration démocratique : une pensée de la fusion est nécessairement une pensée où l’un des
deux corps est oublié.

Au contraire, la politique de l’écart, lorsqu’il y a reconnaissance de l’autonomie de ces deux corps, il y


a nécessité que ces deux corps discutent, se rencontrent, délibèrent échanges pour arriver à dégager
un principe. Quand il y a fusion on ne délibère pas, on acclame. On met en avant le principe de
délibération. Ce qui est important n’est pas le produit mais le mode de production. On tend vers un
régime d’énonciation concurrentielle.

Est-il pertinent de continuer à faire une distinction entre les droits « de » (droits-libertés) et les droits
« à » ? L’analyse de la juriprudence constitutionnelle ne permet pas objectivement de considérer que
le CC opère une hiérarchie entre les droits fondamentaux.

Ecart signifie, écart entre ce qu’exigerait les droits fondamentaux et ce qui est traduit dans la loi. On
peut supposer que ces deux exigences coïncident et fusionnent. Mais dans la démocratie par le droit ou
démocratie constitutionnnelle il y a un écart et c’est cet écart qui est constitutif de la démocratie
constitutionnelle / démocratie majoritaire. Cela renvoie sur le plant sociologique ou politiste à la
distinction entre le corps des représentés (droits fondamentaux) et le corps des représentants des
citoyens (loi).
Sur le plan philosophique, cette pensée de l’écart renvoie à la grande controverse philosophique entre
Cassirer et Heidegger à propos de la notion de limites chez Kant (voir autre cours de Rousseau).

Cette pensée de l’écart à pour conséquence logique le principe de délibération : la qualité d’un régime
politique dépend du mode de fabrication de la loi. Ou la loi est fabriquée à partir de la volonté de dieu
(théologie), du chef (autoritaire), du vote (majoritaire électoral), ou de la mise en concurrence de
plusieurs acteurs législatifs, ce que dit du point de vue du droit la décision du CC de 1985 et la
réécriture de l’article 6 DDHC -> « La loi exprime la volonté générale que dans le respect de la
Constitution ». Il y a donc par cet écart entre le corps des représentant et des représentés la mise en
place d’un régime concurrentiel d’énonciation/fabrication de la volonté générale. Quand il y a écart il
y a délibération, par définition. Quand il n’y a pas écart, il y a simplement acclamation.

Depuis 1985 on a donc au moins deux acteurs (Parlement, Conseil constitutionnel) qui sont en
concurrence dans la fabrication de la loi. Toutes les décisions du CC mettent en scène cette
confrontation/concurrence entre ce qu’exigeraient les droits fondamentaux et leur traduction par le
législateur.
Par exemple, sur la garde à vue : Le législateur définit son régime en étant persuadé qu’il exprime le
respect des droits fondamentaux. Le CC pense le contraire, il faut la présence de l’avocat dès la
première heure. En 2010, le CC annule mais renvoie la balle au Parlement. S’il n’y a pas de juge
constitutionnel, la loi exprime directement les droits fondamentaux et il n’y a pas de moyens de faire
savoir au législateur qu’il n’aurait peut-être pas respecté les droits fondamentaux.

Le Parlement est obligé de partager cette fabrication de la volonté générale. Quels sont ces acteurs ?
1. Il y a le gouvernement qui a l’initiative de la loi.
2. Le Parlement qui discute, vote, amend.
3. Le juge constitutionnel qui vérifie si tout ça est fait dans le respect de la Constitution.
Actuellement, émerge, à la marge du droit le Conseil économique et social et environnemental. Il
commence à apparaître comme l’un des acteurs de ce régime d’énonciation concurrentiel de la volonté
générale. Il représente la société civile organisée.
Ce principe de la délibération remet en lumière plusieurs éléments oubliés et négligés de la réflexion
constitutionnelle. Le premier élément est que le droit est fait de mots, que ces mots n’ont pas de sens
normatifs immédiats et évident et que la construction de la normativité d’un énoncé dépend de la
discussion entre plusieurs acteurs. Discussion qui a pour objet d’arrêter à un moment donné le
consensus d’une société sur le sens à accorder à un mot. S’il y a délibération c’est qu’on est pas sur.
La norme n’est pas l’énoncé mais la signification de l’énoncé : qui nous est donné par une
transcendance (Heidegger) ou qui est découverte par le langage (la discussion).
La deuxième conséquence est que la norme issue du travail de la délibération ne peut pas être
considérée comme une norme définitive, un fétiche devant lequel il conviendrait de s’agenouiller à
tout jamais. La signifcation est nécessairement datée historiquement et sur le plan juridique, rien
n’interdit que le travail de délibération sur la signification accordée à un moment donné reprenne.
Doit-on respecter ce qu’on dit les pères fondateurs ? « est-ce que le mort peut saisir le vif » (P.
Bourdieu) ? si la signification vient de l’extérieur, on a la signification pour tout le temps. Si en
revanche, la signification est le résultat d’une délibération spatio-temporelle, rien n’interdit sur la
plan juridique que les acteurs reprennent à différents moment la délibération sur la signification
accordée à un moment donné. D’où l’importance des opinions séparées et dissidentes (voir étude de
Rousseau dans le cahiers du CC).
Il y a aussi la question du changement de circonstance de fait ou de droit : la QPC est un moyen de
faire vérifier que le législateur a bien exprimé ce qu’il y a dans la Constitution, mais aussi que le temps
ne devrait pas conduire à reprendre la délibération sur une jurisprudence qui a été établie : le principe
non bis ibidem peut être écarté s’il s’avère qu’il a eu changement de circonstances. Le CC s’est lui-
même arrogé ce pouvoir de reprendre la délibération : en élargissant les changements de circonstances
de droit mais aussi de fait. Résultat, cela veut dire que l’on peut reprendre à tout moment la
délibération : cela s’est passé pour la garde à vue alors qu’il l’avait validé en 1993 -> Depuis cette date
le nombre de garde à vue a augmenté, etc. Il faut donc rejuger et modifier la loi.

Voir Dworkin : le droit se construit comme un roman écrit à plusieurs mains. Le constituation pose les
mots, mais les autres acteurs donnent le sens des mots.
La délibération remet en lumière cette différence entre l’énoncé et la signification : on donne la vérité
à un moment donné.

Troisième élément de la délibération : elle implique nécessairement que le régime d’énonciation


fonctionne par la reconnaissance et le respect des droits fondamentaux. Si la volonté générale est
d’abord par le moyen de la délibération, alors pour que l’on délibère, il faut qu’il y ait nécessairement
reconnaissance de la liberté d’expression, de la liberté d’aller et venir, des droits de la défense.
Cf. Agir communicationnel (Habermas). Pour Habermas la démocratie est essentiellement une
démocratie procédurale. Mais selon Rousseau il manque un aspect important : la procédure est celle
des droits fondamentaux, il y a de la substance. Il ne peut pas y avoir de délibération sans
reconnaissance de droits substantiels.

B/ Une pensée de l’individu social


Nous ne sommes pas une société individualiste mais une société d’individus. La Constitution s’adresse à
l’indivud social, alors que l’élections s’adresse à l’individu abstrait, à l’électeur.
La théorie de la démocratie constitutionnelle met en avant l’individu social.
Conclusion
-La question était de savoir s’il pouvait exister une définition juridique et plus précisément
constitutionnelle de la démocratie.
-A partir du moment où on réfléchissait en terme juridique, il convenait de mettre en avant la
procédure, le mode de fabrication d’une décision. D’où l’importance du régime d’énonciation
concurrentielle de la volonté générale.
-On aboutit que la démocratie par le droit, la constitution est une démocratie qui met en place un
régime d’énonciation concurrentielle de la volonté générale appliqué à l’ensemble des structures
sociales = démocratie continue, distincte de la démocratie représentative que de la démocratie directe.
Dans ces deux dernières la procédure est monopolisée par un seul acteur, le peuple ou les
représentants.
-Question sur la pertinence d’appeler toujours démocratie ce système où la séparation des pouvoirs ne
concerne pas seulement l’Etat. Entre la démocratie athénienne, représentative, populaire ou
autoritaire, le mot est utilisé mais n’a pas la même signification. Un mot peut changer de signification
lorsque le sens nouveau qui émerge correspond aux attentes de la société pour saisir différement les
problématiques.
Autre exemple, si on prend le mot égalité, ce dernier n’a pas changé de 1789 a aujourd’hui, mais ne
signifie pas toujours la même chose. Le mot égalité est resté car c’est un mot fétiche et prestigieux.
Il en est de même pour le mot démocratie et continuer à appeler démocratie le système proposé peut
se justifier car il permet de saisir des pratiques que la démocratie représentative ne peut pas saisir. La
société produit un certain nombres de pratiques qui ne trouvent pas leur place dans le cadre de la
démocratie représentative.
L’idée de démocratie continue le rôle et la place du vote. C’est la critique récurrente et la plus forte
adressée à cette théorie. On se heurte là au principal obstacle qui est celui de l’habitude, des
représentations classiques de ce qu’est une démocratie.

Attention à ne pas confondre la représentativité et la représentation.

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