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UNIVERSITE DE PARIS VIII SAINT DENIS

Département de Psychanalyse

FRANCIS BACON : Au-delà du miroir

L’image, le corps et l’imaginaire dans l’art et dans la psychanalyse

Mémoire de D.E.A. soutenu par


Jeanette VALINAS

Sous la direction de Mme Marie-Hélène BROUSSE

Septembre 2002

1
« Dans le miroir deformé de l’art la réalité apparaît indeformé »

Kafka.

2
TABLE DES MATIERES

Remerciements 5

Préambule 6

1. L’image et l’imaginaire chez Jacques Lacan de 1936 à 1953 7

1936 : Au-delà du principe de réalité 8

1938 : Les Complexes familiaux dans la formation de l’individu 9

1946 : Propos sur la causalité psychique 14

1948 : L’agressivité en psychanalyse 15

1949 : Le stade du miroir 17

1953 : Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse 19

1.1. Brève conclusion 24

1.2. Perspective de l’image, l’imaginaire et le corps dans la

clinique lacanienne de 1936 à 1953 25

2. L’image et l’imaginaire chez Jacques Lacan de 1953 à 1960 32

1953 - 1954 : Séminaire I, Les écrits techniques de Freud 32

1954 - 1955 : Séminaire II, Le moi dans la théorie de Freud

et dans la technique de la psychanalyse. 43

1955 : La Chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse 53

1955 – 1956 : Séminaire III, Les psychoses 55

3
1956 – 1957 : Séminaire IV, La relation d’objet 59

1957 – 1958 : Séminaire V, Les formations de l’inconscient 60

1958 – 1959 : Séminaire VI, Le désir et son interprétation 62

1960 : Remarque sur le rapport de Daniel Lagage 64

1960 : Subversion du sujet et dialectique de son désir dans l’inconscient

freudien. 66

2.1. Brève Conclusion 68

2.2. Perspective de l’image, l’imaginaire et le corps dans la

clinique lacanienne de 1953 à 1960 70

3. L’image et l’imaginaire chez Jacques Lacan de 1960 à 1969 84

1961 – 1962 : Séminaire IX : L’identification 84

1962 – 1963 : Séminaire X : L’angoisse 86

1963 – 1964 : Séminaire XI : Les quatre concepts fondamentaux

de la psychanalyse 88

1964 – 1965 : Séminaire XII : Problèmes cruciaux pour la psychanalyse 90

1968 – 1969 : Séminaire XVI : D’un Autre à l’autre 92

3.1. Brève Conclusion 97

3.2. Perspective de l’image, l’imaginaire et le corps dans la clinique

lacanienne de 1970 à 1980 98

4. L’image et l’imaginaire chez Jacques Lacan de 1970 à 1980 105

1973 – 1974 : Séminaire XXI : Les Non-Dupes Errent 105

1974 – 1975 : Séminaire XXII : R.S.I. 111

4
1975 – 1976 : Séminaire XXIII : Le Sinthome 114

1975 : Conférences et entretiens dans les Universités Américaines 116

1976 – 1977 : Séminaire XXIV : L’insu que sait de l’une-bévue s’aile

à mourre. 120

4.1. Brève Conclusion 127

4.2. Perspective de l’image, l’imaginaire et le corps dans la clinique

lacanienne de 1970 à 1980 129

5. Francis Bacon

5.1. Vie et Œuvre 133

5.2. Références visuelles et littéraires de son œuvre 143

5.3. Le style particulier de Bacon 150

5.4. L’image du corps chez Francis Bacon 154

5.4.1. La déformation 155

5.4.2. Le cri, la bouche ouverte 159

5.4.3. Les figure anthropomorphes 162

5.5. Deux au-delà dans l’œuvre de Bacon et dans l’art contemporain 169

5.6. Quelques repères cliniques sur Francis Bacon 175

6. Conclusion 188

7. Bibliographie 194

8. Table des illustrations 199

5
Remerciements

Je remercie très spécialement Madame Marie-Hélène Brousse, pour ses

enseignements, son temps, et ses remarques. Merci beaucoup.

6
Préambule

Les concepts du corps, l’image et l’imaginaire nous semblent reprendre un

poids fondamental à l’époque actuel où nous habitons.

Dans ce travail nous essayerons de saisir ce qu’il en est du corps et de

l’image dans la psychanalyse et dans l’art contemporain.

Nous étudierons les dits concepts chez Jacques Lacan, dans toutes les

époques de son enseignement, de 1936 à 1980, en essayant de saisir toutes les

modifications suivis à partir de sa théorie, et les conséquences de ces

réformulations dans la clinique analytique.

Ensuite, nous étudierons le travail artistique d’un des peintres

contemporains plus importants de notre époque, Francis Bacon, qu’a proposé une

théorie sur le corps et l’image, notamment intemporelle à son époque, mais qu’a

modifié après tous les codes et paramètres de l’art, en ce qui concerne le corps

humain.

Notre intérêt n’est pas appliquer la psychanalyse à son œuvre, et non plus

parler d’art ; notre intérêt c’est de saisir l’enseignement sur le corps que la

peinture peut proposer à la psychanalyse, la peinture comme un exemple de la

façon dont les êtres parlants, les parlêtres, se réfèrent, traitent, et conçoivent son

corps dans l’actualité.

7
L’IMAGE ET L’IMAGINAIRE CHEZ JACQUES LACAN

De 1936 à 1953

Quand nous parcourons les textes de Lacan, qui précédent les années 1953

– 1954, c’est-à-dire, tous les textes écrits entre « Le stade du miroir », présenté au

Congrès de Marienbad à 1936, (qui n’a jamais été publié), et son Séminaire I, qui

date des années 53 – 54, nous ne trouvons jamais l’expression « l’imaginaire »

comme un substantif indiquant un lieu, un ordre ou un registre, nous trouvons

« imaginaire » comme un adjectif qui indique que quelque chose est méconnu ou

qui indique des traits illusoires, par exemple, « identification imaginaire »,

« objets imaginaires », « formes imaginaires du corps » ou « impasses

imaginaires »1. Cependant nous trouvons dès le début l’expression « imago »,

terme emprunté à Jung, apparu dans Métamorphoses et symboles de la libido,

1991 ; et même « l’image », définie comme des représentations inconscientes :

« l’image de la mère », « l’image du père », « l’image du corps », etc.

C’est alors l’image qui fait fonction inaugurale pour Lacan, et bien que ces

textes aient été écrits avant les années 1953-1954, date de son premier séminaire,

ils sont quand même les premières élaborations théoriques de Lacan, et on y voit

déjà apparaître les premières intuitions qui deviendront après, les notions

fondamentales de sa théorie psychanalytique.

1
Lacan, J., Autres Ecrits, Seuil, pp. 23 –84.

8
1936 : « Au-delà du principe de réalité »

L’image : « c’est un phénomène extraordinaire »

« c’est la cause du transfert »

C’est en 1936, au Congrès de Marienbad, où Lacan inaugure son

enseignement avec son premier texte sur « Le stade du miroir », l’exposé a été

interrompu par Jones dix minutes après le début de l’intervention, Lacan n’a pas

donné l’article au compte rendu du Congrès, et même après le texte n’a jamais été

publié. Mais lui–même dit que nous pouvons trouver l’essentiel dans ces premiers

écrits, surtout dans quelques lignes de son article sur la famille paru en 1938.2

C’est avec l’image que Lacan débute, nous pouvons remarquer dans ce

premier texte de 1936, « Au-delà du principe de réalité » des traces de son

enthousiasme par des phrases comme « L’image c’est un phénomène

extraordinaire, le plus important de la psychologie »3. Dans ce texte Lacan attribue

l’importance de l’image à la « complexité de sa fonction », qu’il appelle

« fonction informatrice », ainsi, l’image a fonction d’information dans l’intuition,

dans la mémoire et dans le développement du sujet. Il refuse et critique la

conception de l’image qu’avait l’associationnisme à l’époque, qui la réduisaient à

sa fonction « d’illusion ».

Même pour l’analyse, l’image c’est le centre et le cœur de toute

l’expérience, car Lacan la propose comme la cause du transfert. Il définit le

transfert comme un transfert imaginaire d’une image archaïque (« image du père


2
Lacan, J., Ecrits, Seuil, p. 185
3
Ibid., p. 77

9
ou de la mère, de l’adulte tout puissant, tendre ou terrible », etc.) sur la personne

de l’analyste. Et, dit-il, « cette image que l’analyste substitue pour le sujet c’est la

cause du transfert »4.

1938 : « Les Complexes familiaux dans la formation de l’individu »

Les images : « sont des représentations inconscientes »

« sont des éléments fondamentaux du complexe familial »

Dans ce texte Lacan utilise presque toujours le terme « imago » à la place

« d ‘image », et la définit pour la première fois comme une « représentation

inconsciente » et comme un élément fondamental du complexe familial.

Il parle pour la première fois de « l’image du moi » quand il dit, en parlant

des six premiers mois de vie de l’être humain, qu’il refuse la possibilité de parler

d’auto-érotisme comme Freud l’a fait, puisque le moi n’est pas constitué à cette

époque là ; ni de narcissisme, car il n’y a pas « d’image du moi »5.

Il propose par contre, « l’imago maternelle » comme la première image, en

conséquence la première représentation inconsciente pour l’enfant, qui est

représenté pour le complexe de sevrage. Cette image ainsi constituée, dit-il,

« domine toute la vie de l’homme »6 et reste toujours comme base dans les procès

mentaux. Le fond du sevrage humain c’est la prématuration de la naissance, dans

4
Lacan, J. Ecrits, Seuil, p. 84
5
Lacan, J. Autres Ecrits, p. 33
6
Ibid., p. 34

10
le sens biologique, et donc, dit Lacan, « le sevrage laisse dans le psychisme

humain la trace permanente de la relation biologique qu’il interrompe »7.

C’est bien donc un complexe vécu comme un malaise, qui est même, dit

Lacan, la source du désir de mort.8 On voit apparaître dans le masochisme

primaire un malaise que l’enfant tend à rétablir, et c’est à partir de là

qu’apparaissent les jeux primitifs de reproduction de ce sevrage, comme le montre

l’exemple bien observé par Freud du « Fort – Da » : c’est la joie de l’enfant de

rejeter un objet hors du champ de son regard et le retrouver après, et le fond du

jeu c’est le renouvellement constant de cette exclusion ; ainsi l’enfant reproduit

inépuisablement le pathétique du sevrage, mais, dit-Lacan, « il triomphe puisque

maintenant il est actif dans sa reproduction »9.

A la suite de ce drame, après ses six premiers mois de vie, apparaît « le

stade du miroir »10 comme réponse au déclin du sevrage. Ce stade, que Lacan

appelle aussi, à ce moment là, « complexe d’intrusion », c’est le moment où le

sujet regarde sa propre image, la confond avec l’image de l’autre et s’identifie à

elle, c’est la première identification du sujet à un autre qui est à la fois lui-même,

c’est un paradoxe, dit Lacan, « que chaque partenaire confond la patrie de l’autre

avec la sienne propre et s’identifie à lui »11.

Ce stade est ainsi, la reconnaissance de l’image de l’autre dans sa propre

image vue dans le miroir, c’est une métaphore, l’image du miroir c’est une image

réflexive où on se reconnaît soi-même dans l’autre..

7
Lacan J., Autres Ecrits, p. 31
8
Ibid., p. 36
9
Ibid., p. 40
10
Ibid., p. 40
11
Ibid., p. 38

11
Même si pour Lacan, ce stade, ce moment de reconnaissance n’arrive

qu’après le sixième mois de vie, comme réponse à la prématuration de la

naissance chez l’homme, ce n’est pas un stade venu après un développement

chronologique, bien au contraire, c’est un moment de franchissement, un moment

logique, qu’on peut diviser en trois temps : 1) une « intuition illuminative », 2)

une « révélation soudaine »12 d’adaptation, et 3) la jubilation et la joie du

triomphe.

Par rapport au corps, avant le stade du miroir, la discordance et

l’incoordination chez l’homme des pulsions et des fonctions, et l’inachèvement du

système senso-perceptif, donne comme résultat un morcellement perceptif du

corps, c’est-à-dire, la perception du corps propre comme morcelé, démembré,

disloqué. C’est par l’image spéculaire, l’image du double, du semblable, que le

sujet restaure l’unité corporelle et mentale, l’unité de soi-même et surtout

l’affirmation de l’unité du corps propre, que le sujet reçoit dit-Lacan, avec un

« gaspillage jubilatoire d’énergie qui signale le triomphe »13

Ainsi l’image de l’autre devient un idéal, l’idéal de l’image du double qui

est le sujet même. C’est une expérience tragique pour l’enfant, au départ, l’enfant

se vit comme étant morcelé, et c’est à partir de l’image spéculaire, de l’image de

l’autre, qu’il anticipe non seulement la forme de son corps, mais aussi ce qu’il est

et ce qu’il sera, c’est l’image de l’autre qui forme le moi, et bien que cette image

de l’autre soit un idéal, il y aura toujours pour l’enfant une certaine illégalité de

son moi au regard de cet idéal qu’il ne pourra jamais atteindre.

12
Lacan J., Autres Ecrits, p. 41
13
Ibid., p. 41

12
Lacan parle ici d’un narcissisme initial qui caractérise le stade du miroir,

plus tard il le nommera parfois narcissisme primaire, en le différenciant du

narcissisme secondaire qui vient après à ce stade spéculaire. Le narcissisme du

stade du miroir, c’est donc un monde complètement narcissique où il n’y a pas

d’autre. « La perception de l’activité d’autrui ne suffit pas en effet à rompre

l’isolement affectif du sujet ».14

Néanmoins, juste dans le paragraphe suivant, Lacan parle d’une

« intrusion », l’image ne fait qu’ajouter l’intrusion d’une tendance « étrangère »,

une tendance qui contribuera pourtant à la formation du moi et au postérieur

affirmation de son identité ; c’est donc une image « qui le forme mais qui l’aliène

primordialmente »15. On peut lire dans ces lignes l’intuition de Lacan d’une

discordance interne, entre ce qui est à la fois propre et étranger. Là, on voit déjà se

profiler l’appel d’une topologie nouvelle, et même si Lacan n’en parle que

beaucoup plus tard, on voit là la notion d’ « extimité » : quelque chose qui est à la

fois le plus intime et le plus étranger pour le sujet.

Le pas suivant c’est le complexe d’œdipe, c’est par l’œdipe, plus

spécifiquement, en raison de l’identification du sujet au parent du même sexe, que

le sujet arrive à dépasser ce narcissisme initial, et on voit là apparaître, Lacan le

nomme pour la première fois, le « narcissisme secondaire »16. Ainsi, l’œdipe, que

bien entendu arrive à un moment où le moi du sujet s’est mieux formé, c’est la

solution à l’isolement du sujet.

14
Ibid., p. 42
15
Lacan J., Autres Ecrits, p. 43
16
Ibid., p. 54

13
Il faut souligner, que le sujet d’identification ici n’est pas seulement l’objet

du désir mais aussi celui qui s’oppose au sujet comme rival dans le triangle

amoureux oedipien. C’est donc à la fois un objet d’amour et de la crainte, une

image d’identification et une image rivale. Et c’est bien par cette ambivalence que

le sujet commence à différencier progressivement le moi de l’autre et de

l’objet.« Cet objet vient normalement remplir le cadre du double où le moi s’est

identifié d’abord et par lequel il peut encore se confondre avec l’autreui ; il

apporte au moins une sécurité en renforçant ce cadre, mais du même coup il le lui

oppose comme un idéal qui, alternativement, l’exalte et le déprime »17.

Ainsi, on a une image que s’impose au sujet, c’est le premier objet

d’identification, et bien qu’il ne soit pas encore complètement introjecté, le sujet

arrive à le différencier de soi-même, c’est la première rencontre avec l’image de

l’autre, avec une image qui montre l’existence de l’autre, et c’est justement une

image qui frustre, qui divise. On a à ce moment-là, pour la première fois et pour

toujours, un sujet divisé.

Nous pourrons dire qu’à cette époque pour Lacan, à la fin de ce texte de

1938, l’image apparaître très étroitement liée à la division subjective, car c’est

l’image de l’autre qui la cause; et par conséquence l’image et sa fonction sont le

centre ou le cœur de la causalité psychique.

17
Ibid., p. 55

14
1946 : « Propos sur la causalité psychique »

L’image : « c’est le cœur de la causalité psychique »

« c’est lié à la structure fondamentale de la folie »

Lacan n’a rien publié entre les années 1938 et 1945. A partir de là, il y a le

texte de 1945, « Le temps logique », où il ne nous avance rien de son élaboration

sur l’image, et un an après, dans ce texte de 1946, réapparaître l’image, et il

expose ce qu’il avait déjà annoncé entre lignes huit ans auparavant, disons, que

l’image c’est le cœur que la causalité psychique 18 ; et il la lie, à partir de ses effets

sur l’être humain, à la structure fondamentale de la folie.

Ainsi, dit-il, « le premier effet qu’apparaisse de l’imago chez l’être humain

est un effet d’aliénation du sujet »19, en tant que c’est par l’identification à l’image

de l’autre que le sujet se reconnaît soi-même.

Ce moi aliéné, lié aux jeux d’occultation, comme le Fort – Da !, qui

apparaissent dans les premiers mois de vie, et qui représentent l’instinct de mort et

le masochisme primordial chez l’enfant, c’est la structure fondamentale de la

folie.20 La folie, dans le sens que « l’homme se croit homme », et vit toujours

avec cette illusion, alors que c’est l’image de l’autre qui lui donne son corps et

qui, on pourrait dire, le fait homme, mais essentiellement aliéné.

D’un autre coté, nous remarquons que dans ce texte le terme

« imaginaire », qui jusqu’au moment désignait quelque chose d’illusoire,

commence à désigner une relation, un espace ou une structure. Nous trouvons des
18
Lacan J., Ecrits, p.177
19
Ibid., p. 181
20
Ibid., p. 186

15
phrases remarquables comme « relations imaginaires fondamentales » ou « lieu

imaginaire »21

1948 : « L’agressivité en Psychanalyse »

L’image commence à apparaître toujours approchée ou accompagnée du

symbolique, et au même temps opposée.

Dans ce texte de 1948, Lacan développe quatre thèses différentes sur

l’agressivité, et dans l’ensemble on trouve qu’apparaît toujours, et pour la

première fois, l’image approchée et au même temps opposée au symbolique.

Ainsi, après avoir mis l’image comme la cause du transfert en 1936, en

conséquence comme le cœur de l’expérience analytique ; il affirme, dans sa

première thèse de 1948, que « l’action psychanalytique se développe dans et par la

communication verbale, c’est à dire, dans une saisie dialectique du sens »22. Ce

qui cause dans l’expérience analytique n’est plus seulement un transfert d’une

image sur la personne de l’analyste, mais aussi un phénomène de sens.

Ensuite, dans sa deuxième thèse, en parlant du corps morcelé, et de la

« béance » avec laquelle se retrouve l’homme au moment de sa naissance, appelé

par Lacan « la prématuration de la naissance », en raison du développement

inachevé du system senso-percepteur ; il lie cette « fonction imaginaire », ces

« fantasmagories du corps morcelé » au symbolique, dit-il, « ce sont là toutes


21
Lacan. J., Ecrits. P. 185
22
Lacan, J., Ecrits. P.102

16
données premières d’une gestalt propre à l’agression chez l’homme et liée au

caractère symbolique »23. On voit déjà les premières avances de Lacan

qu’indiquent que cette « béance » uniquement biologique jusqu’à maintenant, est

aussi logique, c’est la conséquence de la rencontre du corps avec le monde

symbolique.

Postérieurement, dans sa thèse III, il fait référence au transfert négatif qu’il

définit comme le nœud inaugural du drame analytique, dit-il, « ce phénomène

représente chez le patient le transfert imaginaire sur notre personne d’une des

imagos plus au moins archaïques qui, par un effet de subduction symbolique,

dégrade, dérive ou inhibe le cycle de telle conduite »24, ainsi, après avoir mis

l’image en 1936 comme la cause directe du transfert, nous la trouvons ici plutôt

comme une façade ou un masque d’un déplacement symbolique. C’est une image

« voilée » qu’implique la présence du symbolique et qui à la fois l’oppose à lui.

Finalement, dans sa thèse IV, l’image c’est en rapport direct avec l’origine

de l’agressivité chez l’homme ; l’identification au parent du même sexe, ou le

moment de l’éveil de son désir pour l’objet du désir de l’autre, ce « rapport

érotique »25 puisque c’est bien le désir et la lutte contre ce désir au même temps,

ce moment où le sujet se fixe à une image qui l’aliène à lui-même et qui à la fois

c’est la forme d’où s’affirme son moi, c’est le « carrefour structural » d’où

s’origine l’agressivité chez l’homme.

23
Ibid
24
Lacan, J., Ecrits. p. 107
25
Ibid. p. 113

17
1949 : « Le stade du miroir »

La suprématie du symbolique sur l’image

L’image subordonnée au signifiant

En 1949, à l’occasion du XVI° Congrès International de Psychanalyse,

Lacan présente son deuxième texte « Le stade du miroir », treize ans après sa

première communication sur le stade du miroir fait en 1936, à Marienbad, texte

qui n’a jamais été publié. Quand nous lisons ce deuxième texte, et les textes

publiés en 1938 (juste deux ans après le premier), en 1939, 1948, etc., qui font

référence à l’image et au stade du miroir, on s’aperçoit que ce deuxième texte a

été sans doute remanié par rapport au premier, et que les notions du stade du

miroir et de l’image ont été fréquentement, on dirait presque annuellement,

reformulés.

Dans ce deuxième texte de 1949, le stade du miroir c’est toujours le

moment où le sujet se reconnaît pour la première fois dans une image reçue

comme étant différente de lui-même et l’assume, et la fonction de ce stade c’est

d’établir une relation de l’organisme à la réalité, dit-il, de l’Innentwelt à l’Umwelt.

Mais Lacan introduit un nouvel élément : le sujet du sens ; qui sans doute modifie

la position et la suprématie qui avait l’image jusqu’au présent, et que désormais

sera toujours subordonné au signifiant et au symbolique.

Ainsi, en effet, Lacan définie la jubilation du sujet en face de son image

spéculaire comme « la manifestation de la matrice symbolique où le je se

18
précipite », et même il continue « … avant que le langage ne lui restitue dans

l’universel sa fonction du sujet »26. Donc, nous avons un sujet du sens très

clairement formulé, et nous voyons aussi se profiler un sujet du langage, « un

sujet restitué par le langage » ou nous pourrons dire aussi, un sujet fait du langage,

ce qui nous rappelle, pas seulement « l’inconscient structuré comme un langage »

qui élabore Lacan quelques années après, mais aussi la notion de « parlêtre » qui

apparaît plus tard dans l’enseignement de Lacan.

« Pour les imagos, dit-Lacan, dont c’est notre privilège que de voir se

profiler, dans notre expérience quotidienne et la pénombre de l’efficacité

symbolique27, les visages voilés », les images se présentent ainsi comme des

ombres et des reflets du symbolique.

« L’image spéculaire semble être le seuil du monde visible »28, le seuil

c’est une béance sur laquelle repose le stade du miroir, c’est un écart entre

l’expérience vécu du corps et sa forme, la totalité imaginaire du corps est

décomplété par le « vécu » du sujet en face de son image spéculaire, c’est un

rapport qu’il n’y a pas entre le corps et l’image spéculaire, c’est une béance qu’il

définit encore dans ce texte de 1946, comme primordialement biologique, en

raison de la prématuration spécifique de la naissance chez l’homme.

1953 : « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse.

Rapport du Congrès de Rome »

26
Lacan, J. Ecrits. p. 94
27
Lacan fait référence au texte de Lévi-Strauss, publié la même année : « L’efficacité
symbolique », Revue d’histoire des religions. Janvier – mars 1949.
28
Lacan, J. Ecrits. p. 95

19
L’imaginaire comme un substantif

La suprématie du symbolique sur l’imaginaire

Dans ce texte de 1953 apparaît pour la première fois l’expression

« l’imaginaire » comme un substantif, en désignant une fonction et même un

registre. Désormais, « l’imaginaire » dominera tout autre référence : « l’imago »,

« l’image », « imaginaire », etc. Nous remarquons aussi, qu’en parcourant le

texte, nous trouvons « la suprématie du symbolique sur l’imaginaire » comme une

thèse complètement dégagée.

Ainsi, dans l’introduction du texte, Lacan expose les trois problèmes qui

avait la psychanalyse à l’époque, et le premier c’était justement « la fonction de

l’imaginaire et des fantasmes dans la technique de l’expérience et dans la

constitution de l’objet »29, en disant à ce moment là de son enseignement que

l’approche des structures pre-verbales c’était fini, et que le problème consistait

désormais à faire un retour, en ajoutant le symbolique, dit-il, « en posant le

problème de la sanction symbolique à donner aux fantasmes dans leur

interprétation »30

Nous pouvons souligner quatre éléments principaux dans ce texte, qui

marquent un changement important du statut de l’image et de l’imaginaire :

1.- Après avoir mis l’image comme le cœur du transfert, désormais c’est la parole

qui occupe cette place. L’analyste qui jusqu’au présent incarnait une image

archaïque du sujet, c’est maintenant un auditeur d’une parole, qui c’est parole
29
Lacan, J., Ecrits. p. 242
30
Ibid

20
justement parce qu’elle se dirige à lui, d’une parole qu’appelle une réponse, dit

Lacan, « même si elle ne rencontre que le silence »31, et que c’est ça le cœur de sa

fonction dans l’analyse. L’acte de l’analyste ou sa manœuvre à l’écoute de la

parole de l’analysant, doit être, dit Lacan, même s’il y découvre l’intention

imaginaire, de ne jamais détacher la relation symbolique où elle s’exprime.

Il continue : « rien ne doit y être lu concernant le moi du sujet.. », c’est-à-

dire, la présence qui parle, « . qui ne puisse être réassumé par lui sous la forme du

je »32, du je du sujet qui parle, du sujet su sens.

Et finalement, il résume l’operativité de l’analyste dans son rapport directe

avec son « unique moyen », la parole : « Ses moyens sont ceux de la parole en

tant qu’elle confère aux fonctions de l’individu un sens ; son domaine est celui du

discours concret en tant que champ de la réalité transindividuelle du sujet ; ses

opérations sont celles de l’histoire en tant qu’elle constitue l’émergence de la

vérité dans le réel ».33

2.- Lacan parle pour la première fois des « trois registres élémentaires », fait la

distinction entre eux et les met l’un à coté de l’autre, dans l’ordre suivant : le

symbolique, l’imaginaire et le réel »34, donc, S.I.R. Nous pouvons avancer que

Lacan fera un grand tour pour finir dans son séminaire de 1974 – 75, avec un

ordre des registres complètement différent : R.S.I.

31
Ibid,. p. 247
32
Ibid , p. 251
33
Ibid, p. 257
34
Lacan, J. Ecrits. p.309

21
Ainsi, à partir de ce texte nous verrons l’imaginaire, pas seulement

toujours accompagné et subordonné au symbolique, mais aussi toujours avec un

rapport au réel. Il ne parlera plus de l’imaginaire comme un registre isolé qui

fonctionne séparément des autres. Nous y trouvons quelques exemples

remarquables où il met en rapport les trois registres pour expliquer plusieurs

phénomènes :

« La fonction paternelle qui concentre en elle des relations imaginaires et

réelles, toujours plus ou moins inadéquates à la relation symbolique qui la

constitue essentiellement » ;35 et aussi, « l’ambiguïté de la révélation hystérique du

passé se situe tant dans l’imaginaire que dans le réel. Elle nous présente la

naissance de la vérité dans la parole, qui n’est ni vrai, ni faux »36.

Il parle aussi des trois éléments dans l’analyse où réside la jointure ente le

symbolique et le réel37 :

a) Le silence de l’analyste, son refus de répondre, est un élément de la

« réalité » dans l’analyse, et en tant que c’est une négativité détachée de tout motif

particulier, c’est là que réside le point de jointure entre le symbolique et le réel.

b) la durée totale de l’analyse c’est un autre moment où se conjoignent le

symbolique et le réel, en tant que cette durée ne peut pas être indéfinie, et au

même temps il y a un sens à donner au terme de l’analyse et il y a les signes de sa

fin.

35
Ibid. p. 278
36
Ibid. p. 255
37
Ibid, p. 309 - 310

22
c) la durée de la séance, en tant que c’est un élément du réel qui touche

manifestement, et à la fois c’est une ponctuation qui donne sens au discours du

sujet.

3.- Nous voyons à Lacan dessiner les premières notions du postérieur

« inconsciente structurée comme un langage ». Il commence par le symptôme, en

disant qu’il est déjà tout à fait clair que le symptôme est lui-même structuré

comme un langage, et qui pourtant, il se résout totalement dans une analyse du

langage ; et ensuite il conclut que tout ce que l’analyse révèle au sujet comme son

inconscient, c’est du langage, dans la forme des combinassions des chiffres et des

nombres présentes dans l’histoire propre du sujet. « C’est là, dit-il, le ressort

propre de l’inconscient ».38

Ça nous amene au dernier élément de notre schéma, avec lequel Lacan

finit ce texte de 1953, et qui c’est en somme, le « sujet de la parole », et d’une

parole qui le vient par la voie de l’autre.

4.- « L’homme parle donc, mais c’est parce que le symbole l’a fait homme »39, et

en tant que c’est un symbole que lui vient de l’autre, il devient un homme dont

son inconscient c’est le discours de l’autre, et en conséquence, son désir trouve

son sens dans le désir de l’autre.

Lacan aborde ici d’une façon tout à fait différente et nouvelle, les jeux

d’occultation de l’enfant, le connu Fort ! Da ! de Freud ; désormais, ces jeux sont


38
Lacan, J. Ecrits. P. 269
39
Lacan, J. Ecrits. P. 276

23
la première évidence de la naissance du symbole, et il affirme : « Il n’est plus

besoin dès lors de recourir à la notion périmée du masochisme primordial pour

comprendre les jeux répétitifs »40.

L’apparition de ces jeux c’est le moment où le désir s’humanise, c’est-à-

dire, le désir devient désir de l’autre, et aussi le moment où l’enfant naît au

langage. C’est une grande intuition de Lacan de noter ces deux éléments, l’un à

côté de l’autre, le moment où le désir s’humanise, le sujet naît au langage,

puisqu’il finira en disant, que c’est qui caractérise et distingue à l’être humaine de

tous les autres êtres, c’est bien le fait d’être un sujet du langage.

Ainsi, le Fort ! Da ! du petit bébé dans la solitude de son berceau, c’est

bien un appel qui cherche provoquer le retour de cet autre partenaire qui le ramène

à son propre désir.

Ensuite, et juste à la fin du texte, Lacan avance les premières prémices de

sa topologie, en évoquant ce qui sera sa future notion d’extimité, dit-il : « ce qui

est primordial à la naissance des symboles, nous le trouvons dans la mort. Et ce

sens mortel révèle dans la parole un centre extérieur au langage, que plus qu’une

métaphore, manifeste une structure <…>, et cette structure répond à ce groupe

relationnel que la logique symbolique désigne topologiquement comme un

anneau. <…>, c’est à la forme tridimensionnelle d’un tore qu’il faudrait recourir,

pour autant que son extériorité périphérique et son extériorité centrale ne

constituent qu’un seule région » 41.

40
Lacan, J. Ecrits. P. 319
41
Lacan, J. Ecrits. p.320

24
Brève Conclusion

Pour conclure, nous pouvons remarquer, avec ce texte de 1953, un

déplacement de l’accent mis sur l’image jusqu’au moment, c’est qui représente

une coupure importante dans l’enseignement de Lacan. D’ores et déjà, à la place

de l’image nous verrons presque toujours apparaître l’imaginaire comme un

registre, accompagné aussi des autres deux registres, le symbolique et le réel.

C’est un changement qui est très en rapport aussi avec les pensées de

l’époque, si nous nous reportons à la pensée philosophique des années 50, nous

trouvons plusieurs exemples, les textes écrits par Sartre à l’époque,

« L’imaginaire » ou bien « L’être et le néant », ou aussi les textes de Merleau-

Ponty, sont des textes qui portent sur l’imaginaire, qui aura une grande importance

pendant quelque temps et qui sera toujours accompagné par une parole qui sera de

plus en plus valorisée.

Ce période de 1936 – 1953, nous pouvons l’appeler l’époque de l’image et

du miroir, et nous pouvons extraire ce qui a été le fondamental du stade du miroir,

soit bien, la division subjective, le sujet divisé, que si bien Lacan fera après un

virage point par point de ce qui avait été le stade du miroir de 1936 et 1949, le

sujet divisé restera toujours dans son enseignement.

Perspective de l’image, l’imaginaire et le corps dans la clinique lacanienne de

1936 à 1953

25
Toutes les élaborations théoriques de Lacan concernant l’image,

l’imaginaire et le corps, influencent directement sa pratique de la clinique

psychanalytique ; à partir des vignettes cliniques, récits des cas, rêves ou divers

formations de l’inconscient, présentés par Lacan dans ses écrits et séminaires,

nous pouvons suivre les effets que ses réformulations théoriques produisent dans

sa pratique clinique.

Dans ce période de 1936 à 1953, nous ferons trois aperçus en ordre

chronologique. Le premier, de 1948, à partir d’un récit d’un cas de Lacan ; le

deuxième, de 1951, sur le cas Dora de Freud; et le troisième, de 1953,

concernant une critique faite par Lacan à Freud par rapport au cas de l’homme aux

rats.

1948 : Le cas de la jeune fille atteinte d’astasie-abasie.

Lacan présent dans son texte de 1948, L’agressivité en psychanalyse, le

cas d’une jeune fille atteinte d’astasie-abasie, en analyse avec lui et qui, dit-il, se

résistait depuis des mois aux tentatives de suggestion thérapeutiques des styles les

plus divers ; le personnage de l’analyste se trouvait identifié à la constellation des

traits les plus désagréables que réalisait pour elle l’objet d’une passion. L’image

incarnée pour l’analyste, dit Lacan, c’était celle de son père. Il fait donc,

l’interprétation suivant : « il suffit que lui fisse remarquer que l’appui (de son

père) lui avait manqué… pour qu’elle se trouvait guérie de son symptôme »42.

42
Lacan, J. Ecrits. p. 108

26
Suivant sa théorie de 1936, où Lacan propose l’image que l’analyste

substitue comme la cause du transfert, nous trouvons dans ce cas « l’image du

père » incarné pour l’analyste, comme la cause du transfert de tous les traits

désagréables du père sur la personne de l’analyste.

Néanmoins, très vite dans son élaboration apparaît la présence du sens

dans le transfert, comme il dit en 1948, « l’action analytique se développe dans

une saisie dialectique du sens »43 ; ce qui justifie, qu’il fasse dans ce cas là, une

interprétation pas spécialement dirigée à l’image elle-même, mais qui porte plutôt

sur le sens, sur l’appui ou le support du père.

Interprétation que fait disparaître le symptôme de conversion dont elle

soufrait, nous avons donc une petite définition du symptôme psychosomatique à

cette époque, à savoir le corps comme récepteur des effets du sens, le corps

comme superficie d’inscription de ce qui sera plus tard le symbolique. Et même,

nous trouvons un « objet », celui qui fait fonction d’articulation entre le corps et le

symbolique, à savoir, « l’objet de sa passion » qu’était son père. Ce peut être une

première approximation de Lacan à son postérieur notion d’objet, qu’occupera

une place fondamentale de ses élaborations théoriques des années 50 et 60.

A cette époque là, l’image est toujours présente, mais elle sera désormais

une image qui voile, et qu’apparaît toujours accompagné de ce qu’elle déguise, le

symbolique.

1951 : Le cas Dora de Freud

43
Lacan, J. Ecrits. P. 102

27
Dans son texte de 1951, Intervention sur le transfert, Lacan reprend le cas

Dora, et à partir d’une image lointaine de l’enfance de Dora, il élabore ce qu’il

nommera « la matrice imaginaire où sont venues se couler toutes les situations que

Dora a développé dans sa vie ».44

L’image c’est la suivante : « Dora, en train de suçoter son pouce gauche,

cependant que de la main droite elle tiraille l’oreille de son frère, plus âgé qu’elle

d’un an et demi ».

Cette image c’est pour Lacan le modèle d’une expérience spéculaire entre

Dora et son partenaire masculin, dont son écart d’age lui permet de s’identifier et

de se reconnaître comme sujet.

Mais elle représente aussi le modèle, comme le dit Lacan, de ce qui

signifient pour Dora les hommes et les femmes. La femme, « comme l’objet

impossible à détacher d’un primitif désir oral et où il faut pourtant qu’elle

apprenne à reconnaître sa propre nature génitale »45.

Lacan propose que pour accéder à cette « nature génitale » il lui faut

reconnaître sa féminité, il lui faut réaliser l’assomption de son propre corps, de sa

féminité comme forme. Ce qui explique l’attachement fasciné de Dora pour Mme.

K, pour « la blancheur ravissante de son corps », qui représente pour elle, comme

le dit Lacan, « le mystère de sa féminité corporelle »46.

Lacan prescrit qu’il lui faut assumer son propre corps pour accéder à la

reconnaissance de sa féminité, faut de quoi, dit-il, « elle reste ouverte au

morcellement fonctionnel, qui constitue les symptômes de conversion ».47

44
Lacan, J. Ecrits. P. 220
45
ibid, p. 220
46
Ibid. p. 220
47
Ibid, p. 221

28
Ceci correspond à la théorie de la reconnaissance qu’il développera dans

son premier séminaire à 1953, notamment, que la complétion de l’image c’est

possible, et que l’analyse se dirige justement vers l’assomption totale du corps

propre ; le morcellement fonctionnel en étant une étape initiale possible de

franchir, et la réintégration et complétude de l’image du corps propre en étant

l’étape finale, tout à fait possible de retrouver.

Le corps se présent ainsi comme un objet de désir, comme une image

fascinante et désirée. Tant l’image propre comme le désir sont possible d’assumer

à travers le corps de l’autre, c’est par l’image de l’autre (l’image fascinante du

corps de Mme. K), que l’image propre peut être reconnue.

D’ailleurs dans ce même texte, et toujours par rapport au cas Dora, Lacan

remarque pour la première fois la relation directe entre un signifiant (même si ce

n’est pas encore appelé comme ça) et le symptôme psychosomatique.

La relation oedipienne est constituée chez Dora par une identification au

père, lui-même impuissant sexuellement, impuissance éprouvée par Dora comme

équivalent à sa position de fortune. Le signifiant en question c’est le mot fortune

en allemand : Vermögen ; que par un certain équivoque sémantique se rapporte au

même temps à l’impuissance du père et à sa position de fortune. Cette découverte,

dit Lacan, amorce la levée d’un grand nombre de symptômes de conversion

présentés par Dora.

Le corps apparaît donc comme superficie où s’inscrit un signifiant, le

signifiant de l’identification paterne. Et cette fois Lacan ne souligne pas une

interprétation dirigée vers le sens, comme le fait lui-même dans son cas de la

jeune atteinte d’astasie-abasie ; il choisi plutôt faire le commentaire d’une

29
interprétation dirigé vers l’équivoque, déjà en 1951, nous trouvons les premiers

signes de c’est qui sera après son élaboration théorique concernant la thèse de

l’inconscient structuré comme un langage, et l’interprétation proprement

lacanienne dirigée vers l’équivoque.

1953 : La technique freudienne et le cas de l’homme aux rats.

Le texte de 1953, Fonction et champ de la parole et du langage… », que

nous avons choisi comme texte final de ce premier période de Lacan, marque un

tournant important car désormais il y aura une dominance du symbolique et de la

parole, et l’image sera dévalorisée hiérarchiquement.

Tout l’effort de Lacan se dirige à valoriser les fondements de la parole et à

faire remarquer son importance pour la technique analytique. La parole est ainsi

située comme le cœur du transfert, l’analyste c’est l’auditeur d’une parole, et

l’acte de l’analyste doit être, même s’il rencontre la présence de l’imaginaire, de

ne jamais détacher la relation symbolique.

Il fait une critique à la technique freudienne, à partir de sa formulation de

l’operativité de l’analyste dans son rapport avec son « unique moyen », la parole,

formule que nous diviserons en deux parties :

1. « Ses moyens sont ceux de la parole en tant qu’elle confère aux

fonctions de l’individu un sens ; son domaine est celui du discours concret en

tant que champ de la réalité transindividuelle du sujet »48

48
Ibid, p. 257

30
Il critique donc, par la suite, aux analystes qu’utilisent des moyens différents

de la parole directe du patient pour élaborer ses théories, critique qu’inclut à

Freud, dit-Lacan : « Freud lui-même… ayant découvert les stades libidinaux de

l’enfant dans l’analyse des adultes et n’intervenant chez le petit Hans que par le

moyen de ses parents, -déchiffrant un pan entier du langage de l’inconscient dans

le délire paranoïde, mais n’utilisant pour cela que le texte-clef laissé par

Schreber… Assumant par contre pour la dialectique de l’œuvre, comme pour la

tradition de son sens, et dans toute sa hauteur, la position de la maîtrise. »49

Et deuxièmement,

2. « … ses opérations sont celles de l’histoire en tant qu’elle constitue

l’émergence de la vérité dans le réel. »50

Ce propos sera illustré à partir d’une autre critique à Freud, concernant

l’observation de son cas de l’homme aux rats. Critique dirigée au fait que Freud

n’as pas donné assez d’importance au rôle déterminant de ce qu’il appelle « la

parole vraie » dans l’histoire du sujet. C’est toujours une « parole vraie »,

qu’émerge quand il s’agit d’atteindre la vérité du sujet pendant la construction de

son histoire, autrement dit, l’analyse fait surgir les paroles qui ont marqué le sujet

et qui déterminent en conséquence le cours de son histoire.

Ainsi, par rapport au cas de l’homme aux rats, Lacan dit : « A un moment,

Freud aperçoit le rôle déterminant qu’a joué la proposition de mariage apporté au

sujet par sa mère à l’origine de la phase actuelle de sa névrose ; néanmoins, il


49
Ibid, p. 244
50
Idem, p. 257

31
n’hésite pas à en interpréter au sujet l’effet, comme d’une interdiction portée par

son père défunt contre sa liaison avec la dame de ses pensées ». Lacan propose

donc diriger l’interprétation vers les dits maternels, tandis que Freud la dirige vers

une espèce d’obéissance au père mort, de trahison sentimentale, de compromis

social ou de dette prescrite.

Par ailleurs, dans ce texte, Lacan continue à développer la relation entre le

langage et le corps, qu’il résume de la façon suivante : « Le langage n’est pas

immatériel. Il est corps subtil, mais il est corps. Les mots sont prises dans toutes

les images corporelles qui captivent le sujet »51. Ainsi, les mots s’inscrivent dans

le corps comme des symptômes ; l’image corporelle est toujours en rapport direct

avec le langage, c’est à dire, que tout événement corporel est déterminé par le

langage, et c’est donc par le langage qui peuvent se résoudre les symptômes

corporels.

L’IMAGE ET L’IMAGINAIRE CHEZ JACQUES LACAN

De 1953 à 1960

1953 – 1954 : Séminaire I, « Les écrits techniques de Freud »

51
Idem, p. 301

32
Dans son premier séminaire, Lacan commence le chapitre VII, dédié à la

topique de l’imaginaire, en disant : « Certaines questions concernant la place de

l’imaginaire dans la structure symbolique viennent dans le fil de notre

discours ».52, et encore « tout le problème dès lors est celui de la fonction du

symbolique et de l’imaginaire dans la constitution du réel ».53Il continue dans le fil

de son élaboration antérieur, les trois registres seront désormais toujours

ensembles, et il revendique une dogmatique du symbolique, en tant que c’est lui

qui ordonne les deux autres en lui-même en dimension.

Dans ce séminaire où il fait une relecture des écrits technique de Freud, il

y essayera de situer ses trois systèmes, en considérant que c’est impossible de

comprendre la technique et l’expérience freudienne sans recourir à l’imaginaire, le

symbolique et le réel.

Imaginaire, Symbolique et Réel dans l’expérience du bouquet renversé :

Il élabore un model succédané du stade du miroir, avec un appareil optique

appelé le bouquet renversé. Il essayera d’illustrer l’implication étroite qu’il y a

entre le monde imaginaire et le monde réel dans le psychisme, comment l’espace

imaginaire et l’espace réel se confondent, ce qui n’empêche pas qu’ils doivent être

pensés comme différentes, et finalement, combien le symbolique compte dans la

réalisation de cette expérience.

Il empreint ce modèle à l’optique, puisque dans ce champ là les images

virtuelles et les images réels se rejoindrent, et aussi parce que l’optique repose

entièrement sur une théorie mathématique, qui est une hypothèse structurale
52
Lacan, Jacques. Séminaire I : « Les écrits techniques de Freud », page 119
53
Idem, page 121

33
fondamentale sans laquelle toute optique est impossible, et qui consiste à

considérer que pour qu’il y ait une optique, il faut qu’à tout point donnée dans

l’espace réel, un point et un seul corresponde dans un autre espace, qui est

l’espace imaginaire. Il faut que l’œil soit situé dans un point unique et dans une

distance précise pour que ce point, où l’imaginaire et le réel se rejoignent, puisse

être perçu. Il démontrera comment la place de l’œil dans l’expérience de

l’optique, c’est la place qui occupe le sujet dans le monde symbolique.

Le schéma du bouquet renversé s’illustre de la façon suivante :

Il y a un bouquet renversé en face d’un miroir sphérique, et grâce au

croisement des rayons lumineux qu’il produit et la position de l’œil qui le regarde,

on obtient une image réelle. Bien entendu Lacan parle ici de réel en tant que

réalité.

Il faut deux conditions pour que l’expérience se produise :

D’abord la condition qu’à chaque point d’un rayon lumineux émanant d’un

point quelconque d’un objet placé à une certaine distance (bouquet renversé), de

préférence dans le centre de la sphère, correspond dans le même plan par

34
convergence, des rayons réfléchis sur la surface de la sphère, un autre point

lumineux, ce qui donne de l’objet une image réelle (bouquet réel). Le bouquet se

réfléchit sur la surface sphérique, pour revenir au point lumineux symétrique, et

dès lors, se forme une image réelle, c’est à dire, un bouquet avec son vase

correctement placé.

Et deuxièmement, il faut que l’œil qui regarde soit situé dans le champ des

rayons qui sont venus se croiser au point correspondant. Pour que l’illusion se

produise, pour que se constitue devant l’œil qui regarde « un monde où

l’imaginaire peut inclure le réel et, du même coup, le former, et où le réel peut

aussi inclure et situer l’imaginaire »,54 l’œil doit être situé dans une certaine

position, il doit être à l’intérieur du cône.

Le rapport du vase aux fleurs qu’il contient, c’est pour Lacan un

métaphore des conceptions analytiques du stade primitif de la formation du moi,

en tant que du à la prématuration de la naissance, le sujet prend conscience de son

corps comme totalité avant que sa maturation physiologique lui permettre

d’intégrer ses fonctions motrices et d’accéder à une maîtrise réelle de son corps.

Il dit « La seule vue de la forme totale du corps humain donne au sujet une

maîtrise imaginaire de son corps, prématurée par rapport à la maîtrise réelle ».55

Ainsi, cette image du corps que le sujet obtient à partir de l’expérience

spéculaire, c’est une expérience originelle qui constitue la dimension essentielle

de l’humain, en tant que pour la première fois, l’homme, se voit, se réfléchit et se

conçoit autre qu’il ne l’est, et c’est cette dimension d’extimité qui structure toute

sa vie fantasmatique. Eh bien, cette image du corps, Lacan la situe dans le schéma
54
Lacan, Jacques. Séminaire I, « Les Ecrits techniques de Freud » page 129
55
Idem, page 128

35
du bouquet renversé, comme la vase imaginaire reflétée dans le miroir, qui

contient le bouquet des fleurs réel, et il ajoute « voilà comment nous pouvons

nous représenter le sujet d’avant la naissance du moi, et le surgissement de celui-

ci ».

Mais le symbolique est aussi représenté dans ce schéma, et c’est la place

de l’œil qu’il occupe, l’œil c’est dans le schéma le symbole du sujet. Cela veut

dire que dans le rapport de l’imaginaire et du réel, et dans la constitution du

monde tel qu’elle résulte, tout dépend de la situation du sujet (l’œil), et la situation

du sujet est caractérisée par sa place dans le monde symbolique, autrement dit

dans le monde des lois, dans le monde de la parole.

Dans le schéma, ce que le sujet voit dans le miroir est une image, nette ou

bien claire, fragmentée, morcelé, complète ou décomplétée ; cela dépend de sa

position par rapport au miroir et par rapport à l’image réelle. Pour pouvoir avoir

une image nette il faut que le sujet soit situé dans le cône et pas trop sur les bords,

et aussi il faut que le miroir soit incliné d’une façon précise, puisqu’il suffit que le

miroir soit incliné d’une certaine façon pour qu’on soit dans le champ où on voit

très mal ; tout ça, dit Lacan, « représente la difficile accommodation de

l’imaginaire chez l’homme ».56

Et cette difficile accommodation de l’imaginaire dépend de la relation

symbolique, c’est là que Lacan introduit le registre symbolique comme celui qui

ordonne les deux autres en lui-même ; c’est la relation symbolique qui définit la

position du sujet comme voyant, c’est la parole, la fonction symbolique qui définit

le degré d’approximation, perfection, ou complétude de l’imaginaire.

56
idem, page 222

36
Lacan dit : « Nous pouvons supposer que l’inclination du miroir plan est

commandée par la voie de l’autre, c’est-à-dire, par la relation symbolique. La

régularisation de l’imaginaire dépend de la liaison symbolique entre les êtres

humains, c’est-à-dire, que nous nous définissons par l’intermédiaire de la loi. »57

Nous avons là, un schéma qui représente le fonctionnement des trois

registres de la façon suivante :

1.- L’imaginaire, le symbolique et le réel sont trois registres différents.

2.- Les trois registres ne peuvent pas être séparés, autrement dit, ils ne peuvent

fonctionner qu’ensembles.

3.- L’imaginaire et le réel jouent au même niveau

4.- L’imaginaire et le réel sont subordonnés et dépendent du symbolique qui les

dirige.

Corps, désir et image :

« L’utilité du stade du miroir », dit-Lacan, « c’est que le désir est saisi

d’abord dans l’autre »58, il introduit dans ce séminaire ce qui fait pour lui la

différence fondamentale entre les hommes et les animaux, à savoir le thème

hégélien fondamental : le désir de l’homme est le désir de l’autre.

L’être humain repère et reconnaît originellement son désir par

l’intermédiaire, pas seulement de l’image, mais aussi du corps de l’autre


57
idem, page 222
58
Idem, page 232

37
semblable. C’est à ce moment que le sujet a pour la première fois conscience de

soi même, c’est pour autant que son désir est passé de l’autre côté qu’il assimile le

corps de l’autre et il se reconnaît comme corps.

La distinction du corps propre se fait dans le interchangement avec l’autre

dans l’expérience du miroir. « Nous nous reconnaissons comme corps pour autant

que ces autres, indispensables pour reconnaître notre désir, ont aussi un corps, ou

plus exactement, que nous l’avons comme eux ».59

Ce un moment d’assomption jubilatoire, où c’est par la médiation de

l’autre que le sujet a l’impression d’avoir une maîtrise de soi-même qu’il n’avait

pas encore obtenu, mais même s’il est encore physiquement premature, il ’est

capable de l’assumer à l’intérieur, c’est un moment de bascule, c’est une

assomption du corps propre qu’il ne peut faire qu’à l’état de forme vide, l’homme

s’apprend comme forme vide du corps. Cette forme, dit-Lacan, « cette enveloppe

de maîtrise, Freud y est arrivé par les voies de la dynamique de l’investissement

libidinal »60, c’est pour ça, que quand il parle de l’ego, dans le texte « Le moi et le

ça », il souligne que ça doit avoir un grand rapport avec la surface du corps, « il ne

s’agit pas de la surface sensible, sensorielle, impressionnée, mais de cette surface

en tant qu’elle est réfléchie dans une forme. Il n’y a pas de forme qu’il n’y ait pas

de surface, une forme est définie par la surface, c’est à dire, par la différence par

la différence dans l’identique ».61 Donc, ce qui est assumé par le sujet c’est

l’image de la forme de l’autre, et c’est grâce à cette différence surface – forme,

59
Idem, page 234
60
Idem, page 265
61
Idem, page 265

38
que s’introduit dans la psychologie humaine le rapport dehors-dedans, qui permet

à l’être humain de se reconnaître comme corps.

C’est ça la différence fondamentale avec les animaux, rien ne permet

d’affirmer que l’animal ait une conscience séparé de son corps qui lui permet de le

reconnaître ; alors que l’homme se sait comme corps, « même s’il n’y a après tout

aucune raison qu’il se sache, puisqu’il est dedans »,62 l’homme sait qu’il a un

corps, même s’il ne le perçoit jamais de façon complète, puisqu’il est dedans.

Ainsi, même s’il voit, reconnaît et fixe l’autre comme corps parfait, comme idéal

de soi, cette image ne peut être assumée du côté du sujet que comme corps

morcelé, comme image essentiellement démembrée de son propre corps.

Cette appréhension du corps à partir de l’image, structure tout le rapport de

l’homme aux images, c’est à dire que le sujet humain établi toujours un certain

rapport entre ses images et les images du monde, c’est une hominisation du

monde, ou comme le dit Lacan, « c’est la perception du monde en fonction

d’images liées à la structuration du corps ».63

Donc, l’image et le désir sont reconnus par le sujet, à partir du même

mécanisme, « à la projection de l’image, succède constamment celle du désir.

Corrélativement, il y a re introjection de l’image et re introjection du désir ».64

Le désir de l’homme c’est donc le désir de l’autre re introjecté par

captation imaginaire, mais pour qu’il soit vraiment reconnu il faut un autre

élément, il faut qu’il entre dans la médiation du langage. « Le désir n’est jamais

62
Idem, page 266
63
Idem, page 223
64
Idem, page 279

39
réintégré que sous une forme verbale, par nomination symbolique »65, et c’est dans

l’autre et par l’autre que le désir est nommé.

Autrement dit, le sujet prend conscience de son désir par l’intermédiaire de

l’image de l’autre qui lui permet à la fois une maîtrise de soi, mais il reste que

l’être humain est né dans un état d’impuissance et de dépendance totale vis à vis à

l’autre, et que ce sont les mots, le langage, les cris, etc., la seule manière qu’il a

trouvé pour appeler l’autre dont il dépendait, cette relation à l’autre c’est par le

sujet nommé. Un nom donné à l’autre, quoi que ce soit mais qui désigne une

personne déterminée, dit-Lacan, « c’est exactement en cela qui consiste le

passage à l’état humain, c’est le moment où il entre dans la relation

symbolique ».66 Et c’est aussi en conséquence le moment où le sujet accède à la

loi, en tant que les désirs de l’enfant passent d’abord par l’autre spéculaire et c’est

là qu’ils sont approuvés ou reprouvés, acceptés ou refusés, c’est par-là que

l’enfant apprend le fondement de l’ordre symbolique et de la loi.

L’expérience analytique :

Lacan définie dans ce séminaire la fonction de l’imaginaire et la fonction

symbolique dans l’expérience analytique ; la fonction de l’imaginaire à partir de

l’amour de transfert « c’est l’amour de transfert qui nous emportera au cœur de

cette autre notion : la fonction de l’imaginaire »,67 et la fonction du symbolique, la

fonction de la parole comme notion fondamentale pour pouvoir comprendre

l’expérience analytique et l’acte de l’analyste.

65
Idem, page 272
66
Idem, page 237
67
Idem, page 143

40
« Nous ne pouvons pas penser l’expérience analytique comme un jeu, un

leurre, une manigance illusoire, une suggestion. Elle met en cause la parole

pleine »68, et encore, « il faut toujours partir du symbolique pour comprendre ce

que nous faisons quand nous intervenons dans l’analyse, à savoir,

l’interprétation ».69

Désormais la question c’est comment situer par rapport à ce qu’il appelle

la parole pleine, toutes les références imaginaires qui sont évoqués dans le

transfert au cours d’une analyse. La parole pleine, dit-il, c’est la parole qui fait

acte, et quand ça arrive « Un des sujets se trouve, après, autre qu’il n’était

avant »,70 c’est pour ça que cette parole c’est le fondement même de l’efficacité de

l’expérience analytique et ne peut pas être éludée.

Et en conséquence, le transfert, le transfert efficace, c’est l’acte de la

parole. « Chaque fois qu’un homme parle à un autre d’une façon authentique et

pleine, il y a, au sens propre transfert symbolique – il se passe quelque chose qui

change la nature des deux êtres en présence ».71 Dans une analyse, il faut repérer

le transfert dans toutes ces dimensions : la structure qui articule la relation

narcissique, la fonction de l’amour en général (fonction imaginaire), et le

transfert dans son efficacité pratique (fonction symbolique). Ce qui implique que

le transfert est désormais une notion plurivalente, qu’elle ne peut pas être conçue

comme un phénomène qui appartient à un seul registre, puisqu’elle s’exerce au

même temps dans plusieurs registres, l’imaginaire, le symbolique et le réel.

68
Idem, page 174
69
Idem, page 143
70
Idem, page 174
71
Idem, page 174

41
Mais l’élément nouveau qu’il introduit dans ce séminaire, c’est la parole,

la parole comme ce qui permet la reconnaissance du désir et de l’image du sujet.

Rien n’est concevable, dit-il, sans l’introduction de la parole du sujet. « Il s’agit

au cours de l’analyse, de la complétion de l’image du sujet, et, qu’en même temps,

le sujet réintègre son désir »,72 et c’est grâce à la parole que le sujet arrive à cette

reconnaissance de son désir, car c’est lorsqu’il se formule et se nomme devant

l’autre, que le désir est reconnu au sens plein du terme.

Il y a une première phase dans l’analyse, que Lacan appelle à cette époque,

le passage de O en O’, et de O’ en O, dans un jeu d’aller – retour, c’est le

miroitement de l’en-deça à l’au-delà du miroir par où passe l’image du sujet. Il

s’agit à ce moment là, de dénouer tous « les amarres de la parole », et que le sujet

arrive, à travers de cette parole dirigé à l’analyste, à reconnaître les diverses

parties de son image, les étapes de son désir et tous les objets qui sont venues

apporter à cette image sa consistance. Et lorsque cette image qui avait été

décomplété, se complète, lorsque la face imaginaire qui était non-integré, refoulé,

réprimé, surgit, alors l’angoisse apparaît, mais aussi le désir, le désir émerge dans

sa confrontation avec l’image. « C’est le moment où l’imaginaire et le réel de la

situation analytique se confondent, le désir et là à la fois présent et

inexprimable »,73 et c’est à ce moment là qui doit intervenir l’analyste, nommer le

désir, c’est à cela qui doit se limiter l’intervention de l’analyste. C’est le moment

où se finissent les tours entre O en O’, et le système passe au niveau symbolique.

72
Idem, page 292
73
Idem, page 230

42
Bref, à ce moment de son enseignement Lacan prescrit comme fin de

l’expérience analytique, la reconnaissance du désir, c’est à dire, la reconnaissance

du sujet en cause dans le désir.

Le sujet, à cette époque, c’est le sujet de la parole et pas encore le sujet du

langage. Car si se sont les lois de la parole qui constituent la structure de

l’inconscient, alors, la fin de l’analyse c’est l’avènement du sujet à son identité,

par la médiation de l’Autre qui parle qui est l’analyste. Le sujet de la parole c’est

le sujet qui puisse avoir accès à son identité, à la complétude de son image. Mais

on verra après dans l’enseignement de Lacan, que si ce sont les lois du langage

qui structurent l’inconscient, il n’y a pas d’espoir possible d’identité pour le sujet,

le sujet du langage, le sujet de la chaîne signifiant, c’est le sujet séparé à jamais de

son identité et de son image précisément par le signifiant qui lui vient par la voie

de l’Autre.

1954 – 1955, Séminaire II : Le moi dans la théorie de Freud et dans la

technique de la psychanalyse.

Lacan commence son séminaire de 1954 – 1955, où il fait une relecture

des écrits de la technique freudienne, en disant, « Il faut pas faire un usage abusif

du stade du miroir. Il commence à avoir besoin d’un renouvellement… »,74 et


74
Lacan, Jacques. Séminaire II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la
psychanalyse. Page 130.

43
effectivement on verra apparaître, au cours de ce séminaire, un réordonnement de

la fonction imaginaire à partir de l’apparition des premières approches de la

notion d’objet, et de la différence entre le sujet qui parle, qu’il appelle ici « ego »,

et le sujet de l’inconsciente, appelé ici « le sujet au-delà de l’ego ».

L’objet : structuré comme l’image du corps du sujet…

« Il y a toujours dans un rêve, dit Freud, un point absolument insaisissable,

qui est du domaine de l’inconnu, il appelle cela ombilic du rêve »,75 ce point

inconnu Lacan l’appelle dans un premier moment « l’être », et il essai de

l’illustrer, toujours à partir de l’expérience du rêve, avec le rêve exposé par Freud

de l’injection d’Irma. Il distingue dans la phénoménologie de ce rêve, à partir de

la bouche ouverte et du fond de la gorge, deux parties : « la première aboutit au

surgissement de l’image terrifiante, chose d’à proprement parler innommable… et

l’image de la mort où tout vient se terminer »,76 c’est image terrifiante de la

bouche, qui est le point fondamental de ce rêve, c’est selon Lacan, « la révélation

du réel dans ce qu’il a de moins pénétrable, du réel sans aucune médiation

possible, du réel dernier, de l’objet essentiel… l’objet angoisse par excellence »77

C’est objet, dit-Lacan, est toujours structuré comme l’image du corps du

sujet, et cette image spéculaire, même si se trouve toujours quelque part dans le

tableau perceptif du sujet, la plupart des fois c’est masqué, quelquefois même

complètement. C’est pour cette raison que le phénomène du rêve nous révèle plus

75
Idem, page 130
76
Idem, page 196
77
Idem, page 196

44
facilement cette image, dans les rêves, en raison d’un « allégement des relations

imaginaires », elle se révèle à tout moment, le rêve fait atteindre le point

d’angoisse, le point insaisissable, où le sujet éprouve l’expérience de son

déchirement, de son isolement par rapport au monde.

Ce que Lacan essai de faire comprendre avec le stade du miroir, à ce

moment de son enseignement, comme lui-même le dit, c’est que tout ce qu’il y a

en l’homme de dénoué, morcelé, déchiré, c’est à dire, l’image de son corps, c’est

le principe qui établit tout le rapport du sujet avec les objets qu’il perçoit dans le

monde. Il ne perçoit l’unité que dans les objets, c’est à dire, au dehors de lui-

même, et c’est toujours autour de l’image de son corps, de l’image de son moi,

qu’il structure tous les objets de son monde. Ce qui implique que tous les objets

que l’homme perçoit « auront tous un caractère fondamentalement

anthropomorphique, disons même egomorphique. C’est dans cette perception qu’à

tout instant est évoqué pour l’homme son unité idéale, qui n’est jamais atteinte

comme telle et à tout instant lui échappe »,78 c’est à dire, que tout objet que

l’homme perçoit dans le monde, aura toujours la forme du corps idéal, de la bonne

forme, tout objet lui évoquera l’unité corporelle qu’il essai d’atteindre.

L’expérience du stade du miroir reste chez l’homme comme la trace fondamentale

de son rapport aux objets, les objets prennent la place du semblable, du double de

lui-même perçu originellement dans le miroir.

Rapport imaginaire et symbolique aux objets :

78
Idem, page 198

45
Tout rapport imaginaire entre le sujet et les objets, se produit dans une

espèce de toi et moi, dit Lacan, c’est à dire, si c’est toi, je ne suis pas. Si c’est moi,

c’est toi qui n’est pas. C’est le fondement de toute relation imaginaire. Ce qui

implique que tout rapport de l’homme aux objets c’est un rapport évanouissant, et

en tant que c’est dans ces objets que le sujet reconnaît son unité, il se sent par

rapport à ceux-ci dans le désarroi. Si c’est l’objet où il reconnaît son unité, alors

le sujet n’est pas là ; et si c’est le sujet, l’objet qui lui donne son unité n’est pas ;

ce désarroi, ce morcellement, cette discordance fondamental, caractérise toute la

vie de l’homme, et en plus, dit Lacan, « si l’objet n’est jamais saisissable que

comme un mirage, mirage d’une unité qui n’est peut jamais ressaisie sur le plan

imaginaire, toute la relation objectal ne peut qu’en être frappé d’une incertitude

fondamentale ».79

Mais pourtant, il y a aussi une relation symbolique de l’homme aux objets,

en tant qu’il peut les nommer, c’est par le pouvoir qui a l’homme de nommer les

objets, qu’il peut les faire subsister et leur donner une consistance. Si les objets

n’étaient que dans un rapport imaginaire avec le sujet, ils ne seraient jamais

perçus que de façon, dit Lacan, « instantané », le mot qui nomme ne donne pas

seulement une existence spatiale à l’objet, mais aussi une dimension temporelle.

L’objet une fois qui est devenu le semblable du sujet, le double de lui-même, peut

présenter une certaine permanence dans le temps grâce au nom, c’est par

l’intermédiaire du nom que l’objet peut avoir une apparence reconnaissable qui

perdure un certain temps.

79
Idem, page 202

46
« Le nom est le temps de l’objet », « si le sujet humain ne dénomme pas, il

n’y a aucun monde, même perceptif, qui soit soutenable plus d’un instant »,80

c’est là le point où se rejoindrent l’imaginaire et le symbolique, et c’est grâce à

cette dimension symbolique, grâce au langage, que l’homme peut se construire un

monde entouré des objets, faute de quoi il resterait dans un état complètement

narcissique.

Désir et image :

Cet objet qui se présente à l’homme et qui lui montre « la figure même de

sa déhiscence à l’intérieur du monde », a des conséquences par rapport à la

structure du désir et de l’image même de l’homme ; en tant que c’est un objet qui

par essence le détruit, l’angoisse et qu’il ne peut atteindre, et en conséquence il ne

peut vraiment trouver son adhérence au monde, sa complémentarité parfait sur le

plan du désir.

« Le désir humain a un caractère radicalement déchiré », en tant que

l’objet du désir est toujours en essence angoissante, détruisant et impossible de

rejoindre. « L’image même de l’homme y apporte une médiation, toujours

problématique, et qui n’est donc jamais complètement accompli ».81 Concevoir

l’image comme jamais complètement accompli, et le désir comme essentiellement

déchiré, implique des conséquences pas seulement par rapport à la notion de sujet

comme tel, mais aussi par rapport à l’expérience analytique. La fin de l’analyse ne

pourra plus être l’identification du sujet et la reconnaissance de son désir, et la

80
Idem, page 202
81
Idem, page 198

47
suite des élaborations de Lacan dans ce séminaire se dirigent justement sur ce

point là.

Qu’est-ce que le sujet ?

« La petite affaire que nous poursuivons depuis deux séminaires, qu’est-ce

que le sujet ?, en tant qu’il est, le sujet inconscient, et par là, le sujet qui parle. Or,

il nous apparaît de plus en plus clairement que ce sujet qui parle est au-delà de

l’ego ».82 Lacan se pose cette question à partir de certaines expériences où, comme

lui-même le dit, le sujet n’y est pas, par exemple, dans certains rêves, où il y a une

sorte de vécu dernier, de réel ultime qui est appréhendé au-delà de toute

médiation, et ça produit le sentiment d’une certaine a-logique où le sujet n’y est

pas. Il y a un passage à quelque chose que s’effectue au-delà de l’ego, au-delà du

moi.

« C’est à partir de l’ego que tous les objets sont regardés… mais c’est bien

du sujet que tous les objets sont désirés »,83 le rapport imaginaire entre l’ego et les

objets atteint sa limite dans certaines expériences, dans les rêves par exemple, où

au moment où le sujet désire, l’ego à ce moment là se dissipe, se désorganise,

s’évanouit, se dissout, et c’est là qui surgit le sujet « au-delà de l’ego », le sujet,

dit-Lacan, est précipité dans un affrontement avec quelque chose complètement

différent de l’expérience quotidienne de la perception, quelque chose que Lacan

appelle « un quod, un qu’est-ce que c’est ? ».84

82
Idem, page 207
83
Idem, page 210
84
Ibid, page 210

48
C’est quod ultime, ces tendances du sujet qui jouent au-delà du réel, sont

structurés comme des signifiants dans le registre du sens, ces expériences

apparaissent comme des jeux des mots, mots d’esprits, etc., eh bien, c’est quod,

dit-Lacan, « c’est l’expérience du sujet inconscient en tant que tel », et c’est ça

l’essentiel dans l’expérience analytique, « l’essentiel est le quod symbolique ».

C’est quod, qu’il appelle parfois « cet inconnu », cette « zone ignorée », ne

doit jamais être oublié dans l’expérience analytique. Désormais, tout rapport

imaginaire et conscient entre le moi ou l’ego et les objets sera mis en deuxième

plan, et tout l’effort de Lacan se dirigera à dévaloriser cette axe imaginaire,

autrement dit à la neutraliser, à la casser, pour faire valoir c’est qui est

fondamental dans l’expérience : le sujet de l’inconscient comme tel, qui opère

dans un registre du sens, et qui apparaît sous la forme de formations particuliers :

lapsus, rêves, mots d’esprits, jeux des mots, etc.

L’expérience analytique :

« L’homme est engagé par tout son être dans la procession des nombres,

dans un primitif symbolisme qui se distingue des représentations imaginaires »,85

nous ne pouvons ne pas remarquer dans les élaborations de Lacan à cet époque là,

la présence de la pensée structuraliste, et des références pris de quelques autres

théoriciens très importants à l’époque, Claude Lévi-Strauss par exemple, et

surtout de son livre « Les structures élémentaires de la parenté », c’est à partir de

là que Lacan fait la description du registre symbolique en termes de combinaison,

de chiffres, de présence et absence, et des notions de l’être et le non-être.

85
Ibid, page 354

49
L’homme donc, doit s’intégrer dans un primitif symbolisme, fait des

combinaison, des nombres, des chiffres, qui règnent dans le milieu où il existe.

C’est à l’ensemble de ce symbolisme qui lui pre-existe que l’homme a à ce faire

reconnaître. Ce symbolisme, dit-Lacan, est refoulé, et en tant que refoulé, d’une

certaine façon n’existe pas, ce n’est pas présent, pourtant, le refoulé est toujours

là, et insiste, demande à être, à se faire reconnaître. C’est ça qui fonde l’ordre

symbolique, et par conséquence c’est le rapport fondamental de l’homme à l’ordre

symbolique, c’est à dire, « le rapport du non-être à l’être ».

« Ce qui insiste pour être satisfait ne peut être satisfait que dans la

reconnaissance. La fin du procès symbolique, c’est que le non-être vienne à l’être,

qu’il soit parce qu’il a parlé »,86 nous avons là à nouveau la notion de

reconnaissance de l’être comme la fin du procès symbolique, la réalisation du

sujet dans l’ordre symbolique comme la fin idéale de l’expérience analytique,

nous pouvons dire idéal, parce qu’il va tout de suite introduire un élément

structural chez l’homme qui fait obstacle à cette possibilité de reconnaissance, et

c’est l’expérience imaginaire en tant que tel.

« Le langage incarné dans une langue humaine est fait avec des images

choisies qui ont toutes un certain rapport avec l’image du semblable »,87 Cette

expérience imaginaire structure et limite pour son fondement même, toute langue

concrète, et du même coup toute possibilité d’échange verbal entre les être

humains. Cette image morcelée limite la possibilité de parler chez les humains,

disons la possibilité d’une parole pleine, et s’oppose à la restitution d’un texte

intégral de l’échange symbolique. C’est en cela que l’image est un obstacle à la


86
Ibid, page 354
87
Ibid, page 367

50
reconnaissance du sujet dans l’ordre symbolique. « Nous sommes des êtres

incarnés, et nous pensons toujours par quelque truchement imaginaire, qui arrête,

stoppe, embrouille la médiation symbolique. Celle-ci est perpétuellement hachée,

interrompue »,88 nous trouvons à cette époque là, en 1955, une image dévalorisée

à tel point, que c’est elle qui fait obstacle et qui empêche la réalisation du sujet

même, et dont le morcellement caractérise même la façon de penser de l’être

humain. Même si Lacan commence à parler du sujet de l’inconscient, et des

premiers approches au signifiant et au signifié, c’est encore l’image qui sépare au

sujet pour toujours de sa propre reconnaissance.

Et dans l’expérience analytique proprement dit, dit-Lacan, du côté de ce

qui est refoulé, du côté de l’inconscient, il n’y a jamais aucune résistance, ce qui y

fait obstacle c’est le moi, en tant que le moi y est strictement situé comme étant de

l’ordre de l’imaginaire, et toute résistance vient de cet ordre.

Pour illustrer l’expérience analytique tel qu’il la conçoit à ce moment là, il

élabore quatre pôles, désignés avec des lettres :

A : c’est l’Autre radical

m : le moi

a : l’autre, essentiellement couplé au moi dans une relation réflexive,

interchangeables, imaginaire.

S : qui est le sujet « au-delà de l’ego », c’est à dire le sujet de l’expérience

inconscient.

88
Ibid, page 367

51
La relation symbolique du sujet c’est la relation qui va de A à S. Elle est

sous-jacente, voire inconsciente. Et la relation imaginaire c’est la relation entre a

et m, c’est à dire, la relation entre le moi et sa propre image, qui est toujours une

relation de béance, de tension aliénante, en tant que la manque y est introduite.

« Pour tous les sujets humains qui existent, le rapport entre le A et le S

passera toujours par l’intermédiaire de ces substrats imaginaires que sont le moi et

l’autre et qui constituent les fondations imaginaires de l’objet – A, m, a, S. »89, et

par conséquence, tout ce qui se passe entre A et S a un caractère conflictuel, le

circuit se contraire, se stoppe, se coupe, se hache soi-même. Tout ce qui est

résistance dans une analyse c’est du côté du moi, en tant que différencié du sujet,

c’est la relation m – a qui fait résistance et interruption au discours, à la parole du

sujet.

Ainsi, une analyse est possible dans la mesure où l’analyste ne soit placé à

la place de a, « une analyse n’est pas concevable que dans la mesure où le a est

effacé. L’analyste participe de la nature radical de l’Autre, en tant qu’il est ce qu’il

y a de plus difficilement accessible ».90 Tout ce qui part du moi du sujet doit se

rencontrer non pas avec l’autre de la relation a – a’, mais avec l’Autre radical, et

c’est la que le transfert peut surgir, le transfert se passe entre A et m, en tant que le

a de l’analyste fait défaut. C’est à partir du moment où n’existe plus cette

résistance de la fonction imaginaire a – m, que peut surgir la parole fondamentale

qui va de A à S. C’est par l’effet du transfert qu’un progrès se fait, et le moi

89
Idem, page 371
90
Idem, page 373

52
s’évanouit et devient sujet, « le moi devient ce qu’il n’était pas, il vient au point

où est le sujet »91.

C’est par le fait que l’axe imaginaire a – m, soit annulé, cassé ou neutralisé

dans une analyse, que peut surgir le sujet de l’inconscient, le sujet du sens. Et

c’est à partir de là que Lacan dit : « Toute expérience analytique est une

expérience de signification »,92 tout ce que le sujet découvre dans l’analyse c’est la

signification qui prennent pour lui tous les donnés qui lui sont propres, Cette

signification est fonction d’une parole qui est et qui n’est pas du sujet, en tant que

lui vient par la voie de l’Autre, c’est une parole qu’il reçoit déjà fait, qui lui pre-

existe.

Finalement, tout ce qui l’analyse révèle au sujet, ce n’est plus son

identification ni la reconnaissance de son désir, désormais, « ce que l’analyse

révèle au sujet, c’est sa signification ».93

1955 : « La Chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse ».

Dans cette conférence, faite par Lacan en 1955, à la Clinique Neuro-

Psychiatrique de Vienne, ville de la découverte freudienne, il essai de montrer où

est la psychanalyse à l’époque, il introduit pour la première fois les lois du

91
Idem, page 374
92
Idem, page 374
93
Idem, page 374

53
langage, les mécanismes du signifiant et du signifié, en disant que tout analyste

doit aisément s’y introduire, car désormais ces lois seront le fondement même de

son exercice.

Toujours très en rapport avec la pensée structuraliste de l’époque, et en

conseillant vivement d’aller lire Ferdinand de Saussure, il annonce la phrase : « il

n’est parole que du langage » ;94 phrase qui propose le langage comme différencié

complètement de l’expression naturelle, du code et de l’information, le langage est

ici un ordre constitué par des lois.

Ces lois sont celles du signifiant et du signifié. Le signifiant, est la

structure synchronique du discours, en tant que chaque élément a un emploi

exacte et se différencie des autres ; et le signifié, est l’ensemble diachronique du

discours, en tant que ce qui domine c’est l’unité de significations qui renvoie

toujours a une autre signification, la signification ne se réalise qu’à partir d’une

prise de choses qui est d’ensemble. Le signifié réagit sur le signifiant et de même

celui-ci commande le signifié.

« Tel sont les bases, dit-il, qui distinguent le langage du signe. A partir

d’elles la dialectique prend un nouveau tranchant ».95 Lacan rappelle ce qui avait

été son explication du désordre essentiel de l’être humain, à savoir la pseudo-

totalité de son organisme, jusqu’au présent c’était la béance congénital que

présente l’être humain dans ses relations naturelles, et la reprise des éléments

imaginaires qui apparaissent morcelés dans cette béance, mais maintenant, dit-il,

« Nul besoin de cette genèse pour que la structure signifiante du symptôme soit

démontré », à partir du déchiffrage de cette structure par les lois du langage, on


94
Ecrits. La Chose freudienne… page 411
95
Idem, page 415

54
perçoit de façon absolue, « l’omniprésence pour l’être humain de la fonction

symbolique ».96

Tout modelage imaginaire du sujet est insuffisant et partiel à en donner la

clé, les lois symboliques sont différentes dans son essence et manifestation des

lois de la réminiscence imaginaire. Désormais, ce qu’il appelle le nouveau

tranchant que prendra la psychanalyse, sera caractérisé pour la domination

absolue du symbolique.

Le sujet où y règnent les lois du langage, c’est le je, sujet de l’inconscient,

et c’est bien au-delà du moi. L’analyste doit prendre la position de l’Autre en tant

que c’est le lieu où se constitue le je qui parle ; c’est à partir de là que Lacan

propose comme condition pour que le je puisse surgir, que l’analyste « intervient

concrètement dans la dialectique de l’analyse en se faisant le mort, en

cadaverisant sa position… l’analyste presentifie le mort ».97 C’est ainsi que

l’analyste pourra être celui à qui ce discours s’adresse.

Toutes ces élaborations seront reprises largement par Lacan dans la suite

de ces séminaires, où il en donnera les conséquences.

1955 – 1956, Séminaire III : Les psychoses.

Introduction du père :

Dans son séminaire sur les psychoses, Lacan propose que la seul chose à

quoi sert le stade du miroir, c’est à mettre en évidence la nature de la relation


96
Idem, page 415
97
Idem, page 430

55
agressive constituant du moi, toute relation imaginaire est fondé sur la tension

agressive ; en tant que le moi est en lui-même un autre instauré dans la réalité

interne du sujet, c’est une relation d’exclusion permanent, c’est lui ou moi. Ce moi

qui est en parti étranger au sujet même fonde la tension agressive de tout

fonctionnement imaginaire chez l’homme.

Mais les rapports humains ne s’arrêtent pas là, le comportement humain

n’est jamais pure et simplement réduit à la relation imaginaire, ce qui conduirait à

la destruction et au chaos absolue, cette béance imaginaire exige l’intervention

d’un tiers qui maintienne relation, fonction, distance et harmonie ; c’est là que

Lacan introduit ce qu’il appelle le sens même du complexe d’œdipe, « il faut une

loi, une chaîne, un ordre symbolique, l’intervention de l’ordre de la parole, c’est à

dire du père » ;98 non pas du père naturel, mais d’un ordre qu’il appelle le nom-du-

père, qui introduit justement l’ordre symbolique pour le sujet, et qui lui permet à

partir de là la possibilité de la parole constituant.

La parole :

Lacan propose ici trois dimensions de la parole, qu’il appelle « trois

sphères » de la parole qu’on peut intégrer dans le même phénomène : l’ordre

symbolique, représenté par les signifiants ; l’ordre imaginaire, représenté par les

significations ; et finalement l’ordre réel, qui est le discours même tenu dans sa

dimension diachronique.

98
Lacan, Jacques. Séminaire III, Les Psychoses. Page 111

56
Le mouvement de la parole consiste à faire passe tout un matériel

signifiant dont dispose le sujet, au réel des significations, c’est-à-dire, faire passer

l’ordre symbolique au discours fait des significations imaginaires.

Que se passe t-il dans la psychose ?

Lacan se demande « que se passe t-il si un certain manque s’est produit

dans la fonction formatrice du père ? »99

Eh bien, il propose la psychose comme justement un manque au niveau du

signifiant, la psychose consiste en un trou, dit-il. La psychose c’est l’impossibilité

pour le sujet d’assumer le signifiant père au niveau symbolique. Ce qui lui reste

c’est uniquement l’image de la fonction paternelle, image qui ne s’inscrit dans

aucune dialectique triangulaire, mais qui comporte une dualité totale, et en

conséquence l’aliénation du sujet à cette image spéculaire. Il dit : « L’aliénation

c’est ici radicale, elle n’est pas lié à un signifié néantisant, mais à un

anéantissement du signifiant ».100

Dans la psychose, le signifiant n’a pas été transmit, il n’y a pas de

préhistoire, quelque chose du monde extérieur n’a pas été symbolisé, et ça produit

ce que Lacan appelle « une véritable réaction en chaîne au niveau de

l’imaginaire » ;101 le sujet, faute de pouvoir faire une médiation symbolique entre

l’autre et lui-même, entre dans une espèce de prolifération imaginaire, qui est

d’une certaine façon un mode de médiation, le rapport du sujet au monde est une

relation de miroir, et c’est ça qui caractérise les phénomènes psychotique.

99
Idem, page 230
100
Idem, page 231
101
Idem, page 100

57
Lacan prend dans ce séminaire l’exemple de Schreber, car, dit-il, « l’étude

du délire de Schreber à l’intérêt de nous permettre de saisir d’une façon

développée la dialectique imaginaire »,102 en tant que les deux personnages

auxquels se réduit le monde de Schreber, sont fait d’une façon tel que l’un offre à

l’autre son image inversé. A partir de là, tous les fantasmes, les hallucinations et

les constructions de Schreber sont faites d’éléments où se reconnaissent tous

sortes d’équivalences corporelles. Il y a chez lui, d’une façon claire, un

envahissement imaginaire de la subjectivité, une dominante du rapport en miroir ;

qui implique l’image de l’autre et de lui-même profondément en relation avec la

possibilité de fragmentation, de morcellement. C’est autre dedoublable, multiplié

est manifesté dans son délire.

« Le pivot de ces phénomènes, dit-Lacan, c’est la loi, qui est ici toute

entière dans la dimension imaginaire… Elle est opposé à la relation de sujet à

sujet, axe de la parole dans son efficacité. ».103

Conséquences pour la cure analytique :

Lacan rappelle la proposition de Freud : « il s’agit toujours de retrouver un

objet » ; il réaffirme que tout appréhension humaine de la réalité est soumise à

cette condition, le sujet est constamment à la recherche de l’objet de son désir,

mais Lacan ajoute ici : « rien ne l’y conduit ».104

102
Idem, page 101
103
Idem, page 83
104
Idem, page 97

58
A partir de cette conception de l’impossibilité d’appréhender l’objet, et

considérant que dans la technique analytique c’est qui est fondamental c’est la

notion qu’au-delà du petit autre de l’imaginaire, il faut admettre l’existence du

grand Autre, qui est le corrélat nécessaire de la parole ; il considère comme

« dévié », tout conception de la cure analytique comme étant une relation à deux,

ou comme une relation d’objet qu’il s’agit de restituer. Désormais, tout ce qui se

joue dans l’analyse sur l’axe a – a’, c’est à dire, tout ce qui est de l’ordre de

l’imaginaire c’est conçu comme un obstacle à la cure.

Bascule de la béance primitive :

L’introduction du signifiant comme élément clé, fait basculer la conception

antérieure de Lacan, de la béance biologique primitive chez le sujet humain. Dans

ce séminaire il propose une thèse nouvelle : « La réalité est marqué d’emblée de

la néantisation symbolique »105. C’est à dire, que les signifiants apparaissent dans

le monde du sujet à une étape primitive, avant même qu’il parle, dès qu’il sujet

naît, il se retrouve face à face d’un ordre symbolique. « Avant que l’enfant

apprenne à articuler le langage, il nous faut supposer que des signifiants

apparaissent, qui sont déjà de l’ordre symbolique. Il y a une apparition primitive

du signifiant »106

Ainsi, le ressort de la découverte analytique n’est plus l’imaginaire, ni

même les significations, en tant que considéré comme du registre de l’imaginaire,

la signification n’est plus le point où doit aboutir une analyse ; désormais, et


105
Idem, page 168
106
Idem, page 169

59
comme lui-même le dit : « le pas que je vous demande de faire dans ce séminaire,

c’est de me suivre quand je vous dit que le sens de la découverte analytique, n’est

pas simplement d’avoir trouvé des significations, mais d’avoir été beaucoup plus

loin, à savoir jusqu’au signifiant ».107

1956 – 1957, Séminaire IV : La relation d’objet

Dans ce séminaire Lacan introduit un quatrième élément, la relation

imaginaire n’est plus seulement une relation duelle mère – enfant, a – a’ ; il

propose ici une triade imaginaire mère-enfant-phallus, qui est le prélude de la mis

en jeu de la relation symbolique à la fin de la phase pre-oedipienne, laquelle se

produit avec la quatrième fonction qui est celle du père.

Ce nouveau élément, le phallus, est prise dans la phase pre-oedipienne

comme un élément imaginaire, constitué comme une image, comme l’objet

imaginaire du désir de la mère ; mais ça c’est une première étape, une fois que

l’enfant l’a situé, l’a approché, dans l’imaginaire où il se trouve, dans l’au-delà de

la mère, à travers de la découverte progressive qu’il fait de la insatisfaction de la

mère dans la relation mère-enfant, et grâce à l’intervention du nom-du-père, il

s’agit de faire glisser ce phallus imaginaire à la place du signifiant et de l’assumer

comme tel.

« Il s’agit que l’enfant assume le phallus en tant que signifiant, et d’une

façon qui le fasse instrument de l’ordre symbolique des échanges, en tant qu’il

107
Idem, page 223

60
préside à la constitution des lignées »108. Ce quatrième élément, ce donc un

signifiant, ce n’est pas un organe, une image ni un objet, le phallus doit être

assumé comme un signifiant, il joue sa fonction en tant qu’élément signifiant, pris

dans une chaîne signifiante, et c’est la fonction du père qui est la clé et le pivot de

la rencontre de l’enfant avec le monde symbolique. Le phallus sera désormais le

pivot central de toute dialectique du développement subjective

1957 – 1958, Séminaire V : Les Formations de l’inconscient

Qu’en est t-il du stade du miroir à la fin des années 50 ?

Le stade du miroir à cette époque de l’enseignement de Lacan, c’est la

rencontre du sujet avec une réalité, qui a la particularité de l’être et au même

temps ne pas l’être, c’est à dire, une image virtuelle qui joue un rôle décisif dans

la formation de l’Urbild du sujet. L’image du corps s’assume comme quelque

chose qui à la fois existe et n’existe pas. Le fondement de cette expérience est que

le sujet conquiert une réalité virtuelle, irréalisé, et à partir de là, toute possibilité

de construction d’une réalité humaine passe par là, et aura toujours cette

caractéristique d’être en quelque sorte, virtuelle.

Lacan dit : « les images se pressentent dans l’économie humaine dans un

état de déconnexion… qui permettent toutes sortes des coalescences, des

échanges, des condensations, des déplacements. »109

108
Lacan, Jacques. Séminaire IV, La relation d’objet. Page 200
109
Lacan, Jaques. Séminaire V, Les formations de l’inconscient, page 115

61
Cette liberté des images avait été expliqué par la psychanalyse comme la

conséquence d’une lésion première dans l’interrelation de l’homme et du monde,

qui avait été désigné par Lacan comme la prématuration de la naissance, comme

une béance biologique qui fait qui soit à partir de l’image de l’autre que l’homme

trouve une certaine coordination et unification de ses mouvements et finalement

une maîtrise de son corps ; mais à cette époque de l’élaboration théorique de

Lacan, il met en question cette explication, en disant, « que ce soit de là ou que ce

soit d’ailleurs que cela parte… ce qu’il y a de certain, c’est que ces images, dans

leur état d’anarchie caractéristique de l’espèce humaine, sont agies, prises, utilisés

par le maniement signifiant ».110

Ce qui compte, ce qui est en jeu dans cette expérience, c’est que ces

images sont devenues, dès qu’elles apparaissent, des élément signifiants, et sont

assumés comme tels pour le sujet.

A partir de là, Lacan refusera toute conception de l’introduction du sujet à

une réalité en termes d’expérience, « ce n’est absolument pas pensable à partir de

la pure et simple expérience de quoi que ce soit… frustration, discordance, heurt,

brûlure, et tout ce que vous voudrez.. », c’est de cette façon qu’il affirme que le

fait qu’y est absolument essentiel, c’est qu’il y a du signifiant.

Il n’y a pas d’assomption de la réalité pas à pas, il n’y a pas d’étapes ni de

temps ; la réalité, l’Umweld et là à partir du signifiant qui est d’emblée. Avant

même que l’apprentissage du langage soit élaboré pour l’enfant sur le plan

moteur, auditif et même de compréhension, la symbolisation est déjà là.

110
Idem, page 115

62
Ainsi, l’entrée du sujet dans la réalité humaine a un double mouvement.

D’un côté, la réalité est conquise par l’être humain pour autant qu’elle arrive dans

la forme de l’image du corps, image virtuelle mais pourtant existant. Et d’un autre

côté, c’est pour autant que le sujet introduit dans cette réalité les éléments

également irréel appelés signifiants, qu’il arrive à élargir cette réalité au champ

humain comme tel, c’est à dire, qu’il devient un être humain dans un monde

humain, autrement dit, dans un ordre symbolique.

1958 – 1959, Séminaire VI : Le Désir et son Interprétation

Du a – a’ à $ ◊ a :

Lacan élabore dans ce séminaire la question du désir, en considérant que

c’est une dialectique très complexe, que le désir ne peut pas se saisir et se

comprendre qu’un nœud plus étroit, dit-il, « où se nouent ensemble, pour

l’homme, réel, imaginaire et symbolique »111.

Il reprend le schéma du bouquet renversé, qui avait été utilisé pour

représenter l’inter-jeu des différents éléments imaginaires et symboliques chez le

sujet humain. Mais ici il introduit deux nouveaux éléments :

1. Le fantasme : le sujet qui avait été mis à la place de l’œil, n’occupe plus cette

place, en fait ce n’est qu’une métaphore ; en tant que ce qui est vraiment

représenté dans cette expérience du bouquet renversé, c’est « quelque chose qui

111
Lacan, Jacques. Séminaire VI, Le désir et son interprétation. 7 janvier 1959, pg 130.

63
dans le fantasme, essaye de rejoindre sa place dans le symbolique ».112 Ce schéma

désigne un sujet qui cherche à trouver sa place dans le symbolique par rapport à

l’Autre, ce n’est pas le miroir devant lequel l’enfant s’agite face au petit autre, ici

c’est le grand A qui es en jeu, c’est un miroir tout à fait symbolique.

2 . Le phallus : Il y a dans ce schéma la représentation d’une transformation de ce

rapport premier a – a’, de ce rapport spéculaire qui règle les rapports du sujet avec

son semblable. « Il y a transformation de cela, en tant qu’au partenaire ici lui

manque quelque chose : le phallus »113, le phallus le partenaire ne l’as pas, il est

ailleurs, à la fonction signifiant. Le sujet en tant qu’il s’identifie au phallus en

face de l’autre, se morcelle lui-même, face à cette présence – absence du phallus

chez l’autre. A partir de là le sujet humain, malle ou femelle, est considéré comme

essentiellement châtré.

Ce qu’implique, qu’il n’y a aucune possibilité chez l’être humain

d’accéder à une expérience de totalité, « l’être humain est divisé, déchiré, et

aucune analyse ne lui restitue cette totalité. ».114

Ce phallus est assumé par un sujet parlant, par un sujet qui assume son

identité en tant qu’à la fois il l’est et il ne l’est pas. Ce phallus qui manque à

l’autre, car il est un élément signifiant, c’est la cause de la discordance interne

chez le sujet humain.

112
Idem, page 145
113
Idem, page 145
114
Idem, page 241

64
1960 – Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : « Psychanalyse et

structure de la personnalité ».

La structure n’est pas la forme :

Dans ce texte de 1960 Lacan différencie de façon radicale, la structure, mis

du côté du symbolique ; et la forme, qui appartient au registre de l’imaginaire. Il

suggère que la conception de la forme doive être reformulé à partir de

l’introduction du signifiant par la linguistique ; non seulement en psychanalyse

mais dans tous les savoir, en allant jusqu’à dire que « l’esthétique est à refaire

pour le temps où la linguistique a introduit dans la science son statut

incontestable : avec la structure définie par l’articulation signifiante comme

telle ».115

Ce qui montre sa position théorique de l’époque, très en rapport avec les

savoir du temps qui court, où le signifiant est considéré comme l’élément guide,

celui qui domine tous les autres registres. Et l’imaginaire, par conséquence, est

considéré comme une fonction à refaire en y ajoutant le signifiant, et même est

traité comme un obstacle à vaincre dans l’analyse.

L’objet du désir comme fonction guide :

Lacan critique son modèle initial du stade du miroir car il ne laisse pas

éclairé la position de l’objet a, il ne décrit pas la fonction que cet objet reçoit du

115
Lacan, Jacques. Ecrits. page 649

65
symbolique. C’est pour cette raison qu’il fait appel au modèle du bouquet

renversé, en tant que la relation d’objet, fonction guide, y est représenté par les

fleurs, c’est à dire, précisément par l’objet où s’appui l’accommodation qui

permet au sujet d’apercevoir l’image.

C’est vers l’objet a du désir que Lacan conseille de ramener l’attention

dorénavant. Dit-il, « C’est comme objet a du désir, comme ce qu’il a été pour

l’Autre dans son érection de vivant… que le sujet est appelé à renaître pour savoir

s’il veut ce qu’il désire.. »116 Nous avons là d’ailleurs la conception de la fin

d’analyse à l’époque, autrement dit, le point où doit aboutir, disons, à resserrer le

plus possible cet objet a du désir.

1960, Subversion du sujet et dialectique de son désir dans l’inconscient

freudien.

Finalement, et après toutes les élaborations théoriques de Lacan dans cette

décade 1950 – 1960, le procès imaginaire va de l’image spéculaire à la

constitution du moi sur le chemin de la subjectivation par le signifiant, et dans ce

parcours, l’objet, ces objets appelés partielles, jouent un rôle décisif ; Lacan dans

ce texte de 1960 proposera la thèse qui justifie cette fonction guide de l’objet, à

savoir, que « Les objets partiels n’ont pas d’image spéculaire »117, et c’est en tant
116
Idem, page 682
117
Idem, page 818

66
qu’objets insaisissables dans le miroir, que l’image spéculaire leur donne son

existence ; c’est à partir de cette absence que l’image spéculaire permet la

transfusion de la libido du corps à l’objet.

Le phallus, en tant qu’image du pénis, est prise aussi dans ce mouvement,

Lacan dit, « le phallus, soit l’image du pénis est negativé à sa place dans l’image

spéculaire. C’est ce qui prédestine le phallus à donner corps à la jouissance, dans

la dialectique du désir ».118

L’image du pénis, en tant qu’il peut être en érection ou pas dans le miroir,

vient à symboliser la place de la jouissance, non pas en tant qu’organe, ni en tant

qu’image, mais en tant que partie manquante à l’image désiré.

« C’est pour autant qu’une partie reste préservé… » c’est à dire la position

érectile du pénis, « que la fonction imaginaire le voile du même coup qu’elle lui

donne son instrument ».119

118
Idem, page 828
119
Idem, page 822

67
Brève Conclusion.

Dans ce période de 1953 – 1960, que nous pouvons appeler le période de

mis en valeur du signifiant, Lacan reprend le Stade du miroir dans une forme

beaucoup plus ample, à partir de la notion de l’inconscient structuré comme un

langage. Tout son effort à été dirigé à resituer et à refaire tout ce qui se passe dans

l’axe a – a’, dans le sens de subordonner le registre de l’imaginaire à la causalité

signifiant ; et à partir de là toute la pratique analytique se dirige à neutraliser cet

axe imaginaire, et à ne pas s’orienter par cette voie, et à opérer à partir de ce qui

est vraiment causal, c’est à dire, le signifiant.

Nous pouvons dire que ce qui survit de sa première élaboration du stade du

miroir, c’est l’image du corps et la discordance interne du sujet. Même après les

réformulations, l’image du corps vu dans le miroir, reste le modèle de toutes les

formes que le sujet percevra dans le monde des objets.

68
Nous remarquons qu’à la fin de cette période, l’imaginaire commence à

être toujours lié avec la forme et le corps, et dans le texte de 1960, Remarque sur

le rapport de Daniel Lagache…, il annonce le corps conçu comme un espace et

même comme passible d’une torsion topologique, ce qui prendra une importance

fondamentale dans ces élaborations postérieures ; il dit : « le peu d’accès qu’a le

sujet à la réalité de son corps, qu’il perd dans son intérieur, à la limite où repli de

feuillets coalescents à son enveloppe, et venant s’y coudre autour des anneaux

orificiels, il l’imagine comme un gant qu’on puisse retourner… ».120

Pour finir, nous voudrions citer deux paragraphes des écrits de Lacan de

1960, où il expose sa position par rapport à ce qui avait été sa théorie du stade du

miroir antérieure :

« Le stade du miroir, point stratégique premier dressé par nous en

objection à la faveur accordé dans la théorie au prétendu moi autonome, dont la

restauration académique justifiait le contresens proposé de son renforcement dans

une cure désormais déviée vers un succès adaptatif… réduction d’une pratique

éminente à un label propre à l’exploitation de l’American way of life. »121

Et finalement, « Notre modèle du stade du miroir ressortit à un temps

préliminaire de notre enseignement où il nous fallait déblayer l’imaginaire comme

trop prisé dans la technique… Nous n’en sommes plus là ! ».122

120
Ibid, page 676
121
Ibid, page 808
122
Ibid, page 682

69
Perspective de l’image, l’imaginaire et le corps dans la clinique lacanienne de

1953 à 1960

Séminaire I : 1953 – 1954

Le corps et le symbolique dans la clinique :

A partir du premier séminaire de Lacan, le symbolique prendra une place

privilégiée par rapport aux autres deux registres. Nous allons montrer la place

qu’occupent les trois registres dans les phénomènes cliniques à cette époque de

l’enseignement de Lacan, à partir d’un récit du cas d’un sujet atteint d’un

symptôme psychosomatique.

Il s’agit du cas d’un patient de Lacan, un sujet qui présentait des

symptômes dans les domaines des activités de la main. Aucune cause biologique

n’avait été trouvée, et le sujet avait fait déjà une premier analyse, où l’analyste en

70
question avait dirigé son interprétation vers la masturbation infantile, sans aucun

succès.

Le sujet était de religion islamique, et à travers les associations libres il

raconte à Lacan que pendant son enfance, il avait entendu dire que son père était

un voleur et qu’il devait donc avoir la main coupée. En effet, la loi coranique

porte ceci, à la personne coupable d’un vol : On lui coupera la main.

Même s’il y a longtemps que la prescription n’est plus mise en exécution,

elle reste inscrite dans l’ordre symbolique qui dirige les relations humaines, et qui

s’appelle la loi. Cet énoncé à été donc, isolé par le sujet du reste de la loi, et a été

reçu comme un point énigmatique, un point aveugle difficile à supporter, un point

de réel, que s’est inscrit dans son corps dans la forme d’un symptôme. Après avoir

parlé du dit énoncé en analyse, les symptômes en question concernant la main

sont disparus.

Lacan dit : « Les images qui n’ont jamais été intégrées produisent des

trous, des pointes de fracture ; et c’est à partir de ces trous que le sujet peut se

retrouver dans les différents déterminants symboliques qui font de lui un sujet

ayant une histoire ».123

L’analyse consiste à retrouver ce système de symboles propres à chaque

sujet, les références symboliques à travers lesquelles le sujet a pu se construire

une histoire propre, différent pour chaque sujet.

La place du symbolique et du corps est située par Lacan dans la phrase

suivante : « La parole doit être toujours incarnée dans l’histoire même du

sujet »124… condition indispensable pour tout être humain.


123
Lacan, J. Séminaire I : « Les ecrits techniques de Freud ». Edition de poche. P. 307
124
Ibid, p. 306

71
La théorie de la reconnaissance : le cas Dora

Suivant la proposition de Lacan de la parole comme fonction de

reconnaissance, ou comme lui-même le dit : « La parole est cette dimension par

où le désir du sujet est authentiquement intégré sur le plan symbolique. C’est

seulement lorsqu’il se formule, se nomme devant l’autre, que le désir, quel qu’il

soit, est reconnu au sens plein du terme » ;125 il critique dans l’observation du cas

Dora, la négligence de Freud au moment de l’interprétation.

La cause de cette négligence dit-Lacan, c’est l’intervention de l’axe

imaginaire dans l’analyse ; désormais, l’imaginaire doit être neutralisé, tout axe O

– O’ (comme il l’écrit à l’époque) doit être éliminé de l’expérience analytique, le

Moi de l’analyste doit être effacé de l’expérience, faut de quoi il y aura une

« orthopédie de l’ego » mais pas une analyse.

Nous en trouvons un exemple argumenté dans le commentaire que Lacan

fait dans ce séminaire du cas Dora :

Il impute à Freud de ne pas s’avoir aperçu de la position de Dora, de celui

qui était l’objet de Dora, c’est à dire, le partenaire qu’elle situait à la place de O’

dans l’axe imaginaire.

Cette erreur de Freud est due au fait qu’il aborde Dora à partir de son

propre Moi, fait intervenir son ego, autrement dit, la conception qu’il a, lui, Freud,

de ce que doivent faire les femmes, c’est à dire, les femmes doivent aimer les

hommes.

125
Ibid, p. 286

72
Ainsi, il considère que ce qui ne va pas chez Dora est du au fait qu’elle

aime M. K…, et il lui annonce l’interprétation suivant : Vous aimez M. K…, ce qui

produit l’interruption de l’analyse par Dora.

Alors, qu’est-ce que propose Lacan ? Selon lui, si l’analyse avait été

correctement menée, Freud, au lieu de faire intervenir sa parole à la place de O’ de

l’axe imaginaire, et d’introduire donc son propre Moi, il se serait rendu compte et

l’aurait montré, que c’était Mme. K… que Dora aimait, que l’objet de son désir

n’était pas du tout l’homme en question, mais sa femme, Mme. K…

Ainsi, dans l’analyse « C’est au moment où le désir est en O’ que

l’analyste doit le nommer, car, à ce moment là il peut se réaliser ».126 Nommer le

désir pour aboutir à sa reconnaissance c’est donc le but premier d’une analyse à

cette époque là, la parole en étant le seul élément qui permet la reconnaissance, et

l’imaginaire, situé à la place d’un obstacle à éliminer de l’expérience analytique.

Séminaire II : 1954 – 1955

A partir d’un commentaire d’un rêve de Freud, appelé par lui le rêve de

l’injection d’Irma, Lacan introduira les éléments clés de sa théorie et sa pratique

clinique, à ce moment de son enseignement. Le rêve c’est le suivant :

Un grand hall – beaucoup d’invités, nous recevons. Parmi ces invités,

Irma, que je prends tout de suite à part, pour lui reprocher, en réponse à sa lette,

de ne pas avoir encore accepté ma « solution ». Je lui dit : « Si tu as encore des

126
Ibid, p. 286

73
douleurs, c’est réellement de ta faute. » Elle répond : « Si tu savais comme j’ai

mal à la gorge, à l’estomac et au ventre, cela m’étrangle. » Je prend peur et je la

regarde. Elle a un air pâle et bouffi ; je me dis : n’ai-je pas laissé échapper

quelque symptôme organique ? Je l’amene près de la fenêtre et j’examine sa

gorge. Elle manifeste une certaine résistance comme les femmes qui portent un

dentier. Je me dis : pourtant elle n’en a pas besoin. Alors, elle ouvre bien la

bouche, et je constate, à droite, une grande tache blanche, et d’autre part

j’aperçois d’extraordinaires formations contournées qui ont l’apparence des

cornets du nez, et sur elles de larges escarres blanc grisâtre. J’appelle aussitôt le

docteur M., qui, à son tour, examine le malade et confirme. Le docteur M. n’est

pas comme d’habitude, il est très pâle, il boite, il n’a pas de barbe… Mon ami

Otto est également là, à côté d’elle, et mon ami Léopold la percute par-dessus le

corset ; il dit : « Elle a une matité à la base gauche », et il indique aussi une

région infiltrée de la peau au niveau de l’épaule gauche (fait que je constat

comme lui malgré les vêtements). M. dit : « Il n’y a pas de doute, c’est une

infection, mais ça ne fait rien ; il va s’y ajouter de la dysenterie et le poison va

s’éliminer. » Nous savons également, d’une manière directe, d’où vient l’infection.

Mon ami Otto lui a fait récemment, un jour où elle s’était sentie souffrante, une

injection avec une préparation de propyle, propylène… acide proprionique…

triméthylamine (dont je vois la formule devant mes yeux, imprimée en caractère

gras)… Ces injections ne sont pas faciles à faire… il est probable aussi que la

seringue n’était pas propre.127

127
Lacan, Jacques. Séminaire II. P. 180

74
Apparition du symbolique et du sujet de l’inconscient :

Dans la première partie de ce rêve, il y a une espèce de rencontre en miroir

du rêveur avec la bouche ouverte, avec le trou corporel, dit – Lacan, « vision

d’angoisse, identification d’angoisse, dernière révélation du Tu es ceci, qui est le

plus loin de toi, ceci qui est le plus informe ».128 Cette vision angoissante de la

bouche ouverte, cette découverte de la chair corporelle dans ce qu’elle a

d’informe, de morcelé, de déchirée, amene au rêveur, Freud dans ce cas là, vers un

chaos imaginaire ; mais à la fois il y a une espèce de recherche de la parole, grâce

à laquelle, et malgré les résistances du moi et de l’image, comme dit Lacan, grâce

à la signification comme tel, le rêve ne finit pas dans un débordement imaginaire,

« L’entrée du symbolique, -dit Lacan-, vient à éliminer le rapport tragique du sujet

au monde ».129

Mais il y a aussi un autre élément qu’apparaît dans ce rêve : le sujet de

l’inconscient, concept que Lacan commence à élaborer à l’époque et qu’il

appelle encore parfois : sujet au-delà de l’ego, ou le quod, l’inconnu, la zone

ignorée. Il dit : « Dans le rêve, c’est au moment où le monde du rêveur est plongé

dans le chaos imaginaire le plus grand que le discours entre en jeu. Et du coup le

sujet comme Moi disparaît. C’est à ce moment qu’apparaît le je du sujet, le sujet

de l’inconscient ».130

Dans le rêve d’Irma, c’est dans la deuxième partie qu’apparaît le

symbolique, le discours comme tel, et du même coup le sujet de l’inconscient, ce

128
Ibid, p. 186
129
Idem, p. 199
130
Idem, p. 202

75
point est désignée par le AZ, formule de la trimethylamine, que Freud voit devant

ces yeux dans le rêve, et qui désigne la reconnaissance du caractère

fondamentalement acéphale du sujet, dit Lacan : « un sujet acéphale c’est tout à

fait la notion freudienne de l’inconscient, un sujet qui n’a plus d’ego, qui est

extrême à l’ego, décentré par rapport à l’ego, qui n’est pas l’ego.. et que

cependant continue à parler »131

Ce rêve c’est un exemple du processus qui va du rapport initial en miroir

du sujet au monde, jusqu’à l’apparition du symbolique que cherche à surgir,

malgré la résistance du moi et de l’image.

Comme Lacan le dit : « L’important, et ce rêve nous le montre, c’est que

les symptômes analytiques se produisent dans le courant d’une parole qui cherche

à passer. Elle rencontre la double résistance de l’ego et son image. », et aussi, « Ce

qui fait la véritable valeur inconsciente de ce rêve, c’est la recherche du mot, la

recherche de la signification comme tel »132

Le processus de ce rêve c’est le même des symptômes analytiques, et en

conséquence ce qui est visée dans une analyse, à cette époque, c’est le

surgissement du sujet de l’inconscient et du même coup la recherche de la

signification comme tel ; c’est à partir de là que Lacan dira dans ce séminaire:

tout ce que l’analyse révèle au sujet c’est sa signification.

L’image et le désir en entant essentiellement déchirées, et l’image en étant

un obstacle qui sépare au sujet pour toujours de sa propre reconnaissance ; la

complétion de l’image et la reconnaissance du désir ne seront plus prescrits

comme la fin d’une analyse, désormais c’est la signification qui est visée.
131
Idem, p. 200
132
Idem, p. 191

76
Apparition de l’objet structuré comme l’image du corps :

Dans la phénoménologie de ce rêve il y a un autre élément à distinguer, le

surgissement de l’image terrifiante et angoissante de la bouche ouverte, révèle la

découverte de la chair qu’on ne voit jamais, de l’intérieur du corps, de ce quelque

chose d’impensable et innommable, ce que Lacan appelle L’objet primitif par

excellence.133

Cette image de la bouche ouverte présente dans le rêve, où les résistances

s’arrêtent, permet l’apparition de l’objet, de l’objet d’angoisse, l’objet essentiel

comme dit Lacan, « ce quelque chose devant quoi tous les mots s’arrêtent et toutes

les catégories échouent, l’objet d’angoisse par excellence »134

Cet objet est perçu dans l’image du corps, mais aussi selon le principe de

l’image du corps, c’est à dire, il est structuré toujours de la même façon que

l’image de son corps, à savoir, l’objet lui montre la figure même de sa

discordance, de son morcellement, de sa déhiscence à l’intérieur de son monde.

Dans le rêve d’Irma, cet objet angoissante est trouvé dans l’image en

miroir, Lacan dit : « Au moment où est atteint quelque chose du réel dans ce qu’il

a de plus abyssal, la seconde partie du rêve de l’injection d’Irma met en évidence

133
Idem, p. 196
134
Idem, p. 196

77
ces composés fondamentaux du monde perceptif que constitue le rapport

narcissique ».135

A partir de tous ces élaborations de Lacan, nous trouvons, pas à pas, ce qui

sera la portée d’une analyse, à savoir, d’abord, le surgissement du reflet du sujet,

son image spéculaire qu’apparaît toujours dans son tableau perceptif ; image

caractérisée essentiellement d’une discordance, d’un morcellement qu’amene à

l’apparition de l’objet ; puis la possibilité de nommer cet objet à travers le

discours même, le symbolique, le sujet de l’inconscient capable de parler et de

révéler la parole pleine.

Séminaire III : 1955 – 1956

La psychose : exemple de la dialectique imaginaire

Dans ce Séminaire Lacan propose la psychose comme un exemple

développé de la dialectique imaginaire. La psychose se caractérise pour un

manque au niveau symbolique, la loi en y étant tout entière dans la dimension

imaginaire, le rapport du sujet au monde se développe dans l’axe imaginaire a –

a’, qui est opposé à l’axe de la parole dans son efficacité, c’est à dire, l’axe S – A.

Ainsi, presque toutes les hallucinations, délires et phénomènes

psychotiques, sont faits d’éléments où se reconnaissent toutes sortes

d’équivalences corporelles, le rapport du sujet au monde est toujours une relation

en miroir.

135
Idem, p. 199

78
Le monde imaginaire de l’homme a quelque chose de décomposé,

désintégré, et c’est toujours comme ça au début, jusqu’à l’apparition du

symbolique. Dans la psychose, l’ordre symbolique n’a pas été intégré, et ça

produit, comme le dit Lacan : « une soustraction de la trame dans la tapisserie, qui

s’appelle délire »136, un envahissement imaginaire de la subjectivité du sujet, et

donc une dominance du rapport au miroir, une dissolution de l’autre et du sujet

même en tant qu’identité séparé.

Dans les cas Schreber, par exemple, les deux personnages auxquels se

réduit le monde de Schreber, sont faits l’un équivalent à l’autre, chacun offre à

l’autre son image inversée. Ces deux personnages sont lui et Dieu, Dieu est pour

lui l’autre, et au même temps Dieu c’est l’univers, la sphère céleste. Le monde de

Schreber se compose essentiellement de cette relation avec ce Dieu qui est pour

lui l’autre et à la fois lui-même. Nous trouvons des phrases exemplaires comme :

« Je ne l’aime pas, lui, c’est Dieu que j’aime… c’est Dieu qui m’aime ».

Lacan dit : « il y a dans toute relation quelque écho de cette dualité interne

du sujet ; sur le plan imaginaire, le sujet est ainsi constitué que l’autre est toujours

près de reprendre sa place de maîtrise par rapport à lui, qu’en lui il y a un moi qui

lui est toujours en partie étranger ».137

Le sujet même est un exemplaire de sa propre identité, chez Schreber, par

exemple, il y a à un certain moment la révélation que l’année précédente, sa

propre mort a eu lieu, et qu’elle a été annoncé dans les journaux ; mais de cette

personne morte, Schreber se souvient comme de quelqu’un qui était plus doué que

lui. Il est un autre, mais au même temps est le même qui se souvient de l’autre.
136
Lacan, Jacques. Séminaire III, Les Psychoses. P. 101
137
Idem, p. 101

79
La dualité c’est aussi caractéristique du monde de Schreber, tous les

personnages dont il parle se repartissent en deux catégories : Ceux qui vivent, ses

gardes, infirmiers, etc. ; et ceux qui sont morts, les âmes qu’envahissent le corps

de Schreber.

D’ailleurs, cette relation à l’autre en miroir comporte des risques, il y a

toujours la possibilité d’une fragmentation, d’un morcellement, chez Schreber, on

trouve les récits angoissants où il parle des petits hommes, diversement nocives à

l’intérieur de lui-même, que l’habitent, le détruisent, et le divisent.

D’un autre côté dans ce séminaire Lacan propose pour la première fois la

distinction signifiant- signifié, en disant que la psychose consiste en un trou, un

manque au niveau du signifiant, le signifiant du nom-du-père. Faute de ce

signifiant, au sujet lui reste l’image à quoi se réduit la fonction paternelle, que

produit une aliénation spéculaire à ce modèle, et que, dit Lacan : « donne tout de

même au sujet un point d’accrochage, et lui permet de s’appréhender sur le plan

imaginaire »138

Ainsi, Lacan prescrit cette relation au monde en miroir, cette prolifération

imaginaire que substitue à la médiation symbolique, comme un mode différent de

médiation qui permet au sujet psychotique un point d’accrochage au monde.

Séminaire IV et V : 1956 – 1958 :

Dans ce séminaire Lacan introduit un nouvel objet qu’accompagnera ce

qu’était auparavant le couple imaginaire mère-enfant, cet objet c’est le phallus.

138
Idem, p. 227

80
Désormais le prélude de la mise en jeu de la relation symbolique, c’est la triade

mère-enfant-phallus.

Le processus commence pour l’enfant par cette triade imaginaire, et il y

aura par la suite une double déception imaginaire : d’abord le repérage pour

l’enfant du phallus qui lui manque, et puis, perception qu’à la mère manque aussi

le phallus. Suite d’un appel de l’enfant à un ordre qui soutienne, qui fasse

vivable, pensable ou supportable, cette double déception, c’est le moment de

l’introduction du symbolique et donc de l’assomption du phallus comme

signifiant.

Lacan montrera ce processus à partir d’un cas de phobie chez une petite

fille logé dans une institution, le cas a été observé et publié par une des élèves de

Mélanie Klein. Il s’agit d’une petite fille anglaise qui a deux ans et cinq mois,

s’étant aperçu que les garçons ont un « fait-pipi » (comme l’écrit Lacan, en

utilisant l’expression du petit Hans), elle se met à fonctionner en position de

rivalité et elle fait tout pour ressembler un petit garçon qui a un fait-pipi, elle les

imite et les manipule.

Cette petite fille a été séparée de sa mère et logée dans une institution, car

sa mère a perdu son mari au début de la guerre, (l’observation du cas se déroule

pendant la deuxième guerre mondiale), mais cette mère vient voir sa fille très

souvent, la présence-absence est régulière, et, comme dit Lacan, elle joue son rôle

de mère symbolique.

Tout va bien, jusqu’un jour où un drame se produit. Une nuit la petite se

réveille complètement paniquée, un chien est là qui veut la mordre, il faut la sortir

81
de son lit et la mettre dans un autre ; par la suite la phobie évolue et se maintien

pendant un certain temps.

Et bien, juste avant le surgissement de la phobie, un événement se produit

avec la mère, d’abord elle a cessé de venir parce qu’elle est tombée malade et il a

fallu l’opérer. La mère manque ainsi pour la première fois. Après elle revient

appuyée sur une canne, et même si elle joue avec la petite fille, elle est faible, elle

n’a plus la même énergie. C’est à ce moment là que surgit la phobie.

Il y a donc un premier moment de découverte du manque du phallus

propre, et un deuxième moment où elle s’aperçoit que la mère manque aussi du

phallus, elle est une mère faible et malade. C’est là que la catastrophe surgit et il

faut un élément qui vienne introduire un ordre dans la situation, c’est alors

l’éclosion de la phobie, et du chien, celui que châtre, qui mord, mais grâce à qui la

situation est traitable, pensable.

Lacan dit : « La phobie devient nécessaire à partir du moment où la mère

manque de phallus », le chien, l’objet de la phobie, celui qui mord, « …est là

comme agent qui retire ce qui a d’abord été plus ou moins admis comme

absent »139.

C’est donc l’introduction d’un signifiant qui vient ordonner le désordre

imaginaire où le sujet se trouve dans un premier moment, désormais, Lacan

poursuivra son élaboration vers la mise en valeur de l’importance du signifiant et

de sa dominance chez le sujet humain.

L’ordre symbolique devient un ordre nécessaire, et l’imaginaire un axe à

franchir, dans l’analyse mais aussi dans la conquête de l’être humain d’un monde

139
Lacan, Jacques. Séminaire IV. La Relation d’objet. P. 72

82
propice aux échanges. Comme le dit Lacan : « Les images dans leur état

d’anarchie caractéristique dans l’ordre humain, doivent être agies, prises, utilisées

par le maniement signifiant »140

140
Lacan, Jacques. Séminaire V : Les Formations de l’inconscient. P. 115

83
L’IMAGE ET L’IMAGINAIRE CHEZ JACQUES LACAN
De 1960 à 1969

1961 – 1962, Séminaire IX : L’identification.

Différence radicale des trois registres :

Dans ce séminaire de 1961, dédié à l’identification, Lacan commence par

dire que l’identification en question, l’identification qui intéresse à la

psychanalyse, ce que la psychanalyse entend par identification, c’est une

identification de signifiant; et que c’est distinct et même opposé à l’identification

imaginaire.

Il sépare les trois registres qui doivent être conçu comme complètement

différentes l’un de l’autre. La forme (élément qu’il utilise pour se référer à

l’imaginaire), « c’est quelque chose qui prend, enveloppe, commande les

éléments, leur donne un certain type de finalité : l’ascension de l’élémentaire vers

le complexe, de l’inanimé vers l’anime » ;141 il ne met pas en question que la

forme ait sa valeur, son énigme et « son ordre de réalité », mais ce qu’il essai de

montrer c’est qu’elle « distinct » de ce qu’il essai de mettre en valeur et d’articuler

avec toute sa force, à savoir la dimension symbolique, définie comme ce qui est

apporté par l’expérience du langage et du signifiant, cette dimension doit être

« radicalement » différencié du réel et de l’imaginaire.

141
Lacan, Jacques. Séminaire IX : L’identification. Leçon du 22/11/1961

84
Fonction de l’image spéculaire :

Si bien l’image spéculaire joue une fonction essentielle pour le sujet

humain, elle ne le joue pas en tant qu’élément isolé, cette fonction prend son poids

en tant qu’elle se situe dans le rapport du sujet à l’Autre. « Elle intervient au

niveau du désir, est une relation privilégié avec a, objet du désir ».142

La relation à l’image du corps comme telle, prend son importance du fait

qu’elle lié structurellement à cette relation à l’objet, à savoir le fantasme.

Dans ce processus, le sujet prend un certain appui dans cette image

spéculaire, appui qui est de l’ordre du leurre, de l’erreur, et du coup, il entre en

relation indirecte avec ce qui se cache derrière l’image, à savoir la relation d’objet,

la relation au fantasme fondamental.

Cette relation, Lacan l’avait par ailleurs situé dans son modèle du bouquet

renversé, en situant l’Autre dans le miroir plan ; i(a), dans l’image réelle du vase,

et l’objet a dans les fleurs.

Devant cette image spéculaire, ce que le sujet reçoit comme élément

essentiel, c’est le fait qu’il se situe face à la déficience fondamentale de l’Autre

comme lieu de la parole, et l’objet a se trouve justement dans ce point de

défaillance. C’est en tant qu’objet manquant à l’image désiré qu’il devient l’objet

du fantasme fondamental du sujet.

Et finalement, à la fin de ce séminaire, il situe les trois structures

psychiques par rapport à ces trois éléments : l’Autre, le phallus et le corps propre.

Pour le névrotique, dit-il, c’est l’Autre qui a toute l’importance ; pour le pervers,

142
Idem, leçon du 13/06/1962

85
c’est le phallus qui a toute l’importance et pour le psychotique, c’est le corps

propre l’élément plus important.

1962 – 1963, Séminaire X : L’angoisse

Surgissement de l’objet a :

Dans ce séminaire de 1962, Lacan situe l’angoisse comme conséquence

directe du sentiment d’étrangeté produit par l’expérience de l’image spéculaire.

Selon Lacan, le corps, tel que nous le recevons et le portons, ne peut pas

être conçu dans les pures et simples catégories de l’esthétique transcendantale. Le

corps dont il s’agit n’est pas reçu de façon pure, simple et directe du miroir, car

cette image du miroir que croyons tenir, à un moment donné se modifie, et ce que

nous avons en face de nous, et que nous croyons que c’est notre visage, nos yeux,

etc., se modifie aussi, nous ne nous reconnaissons plus dans notre propre image,

cette expérience, dit Lacan, « c’est l’aurore d’un sentiment d’étrangeté qui est la

porte ouverte sur l’angoisse »143.

Mais c’est aussi le moment de surgissement, de l’entrée de l’objet a dans le

monde réel, comme lui-même le dit : « Le passage de l’image spéculaire à ce

double qui m’échappe, voilà le point où quelque chose se passe dont nous

pouvons montrer la généralité, la fonction et la présence de a ».144

Lacan donne un exemple de cette expérience avec ce qui se passe à la fin

de la vie de Maupassant, quand il commence à ne plus se voir dans le miroir, ou


143
Lacan, Jacques. Séminaire X, L’angoisse. Cours du 9 janvier 1963
144
Idem

86
qu’il aperçoit dans une pièce quelque chose qui lui tourne le dos et dont il saisit

immédiatement qu’il n’est pas sans avoir un certain rapport avec ce fantôme,

quand le fantôme se retourne, il voit que c’est lui.

« Tel est –dit Lacan- , ce dont il s’agit quand l’image spéculaire devient

l’image étrange et envahissante du double… c’est l’entrée de a dans le monde

réel, où il ne fait que revenir ».145

Premier définition topologique du corps :

Lacan se demande : « Qu’est-ce qui fait qu’une image spéculaire est

distincte de ce que représente ? », et il répond avec sa premier définition

topologique du corps, à savoir, que la droite devient la gauche et inversement,

c’est à dire, que l’image spéculaire a la même structure que la bande de moebius,

et comme tel elle peut passer d’une face à l’autre, et revenir au même endroit à

tout moment ; « l’image spéculaire par rapport à ce qu’elle redouble, est

exactement le passage du gant droit au gant gauche, ce que l’on peut obtenir sur

une simple surface à retourner le gant ».146

1963 – 1964, Séminaire XI : Les quatre concepts fondamentaux de la

psychanalyse.

145
Idem
146
Idem

87
Fort – Da : Première opposition à la suprématie du signifiant

Lacan reprend dans ce séminaire de 1963, les jeux d’occultation du Fort-

Da, qui n’avait pas été reprise par lui depuis 1953, où il l’avait définie comme le

moment de la naissance du symbole, autrement dit, le moment où le désir

s’humanise chez le sujet. Il le reprend ici d’une façon tout à fait différente.

Dans le Fort-Da, selon Lacan et Freud même jusqu’au présent, l’enfant

tamponne l’effet de la disparition de la mère en se faisant l’agent, mais ce

phénomène est désormais secondaire.

Si bien la béance introduit par la disparition de la mère reste toujours

ouverte, ce qui compte, dit-Lacan, « ce n’est pas l’autre en tant que figure où se

projette le sujet, mais cette bobine lié à lui-même par un fil qu’il retient – où

s’exprime ce qui, de lui, se détache dans cette épreuve d’automutilation… ».147

Ce jeu de la bobine est une réponse du sujet à ce qui l’absence de la mère

est venue à créer, à savoir une fossé, une béance, qui est situé hors du sujet, sur la

frontière de son domaine, et l’enfant n’a plus qu’à faire avec cette bobine le jeu du

saut.

L’élément fondamental que Lacan introduit ici, c’est que cette bobine n’est

pas la mère réduite à une boule, ce n’est pas un jouet qui symbolise la mère, cette

bobine « c’est une petite quelque chose du sujet qui se détache tout en étant

147
Lacan, Jacques. Séminaire XI : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, page 60
(le souligné est notre).

88
encore bien à lui, encore retenu … c’est son objet ».148 Cette bobine c’est le sujet

même.

Le signifiant, conçu jusqu’à maintenant comme la première marque du

sujet, trouve ici sa première opposition, Lacan le dit : « ce jeu s’accompagne

d’une des premières oppositions à paraître… comment ne pas reconnaître ici, que

l’objet, la bobine, c’est là que nous devons désigner le sujet ».149 Cet objet sera

appelé après l’objet petit a.

Lacan propose en conséquence un dernier changement dans la conception

de ces jeux, si bien l’ensemble de l’activité symbolise la répétition, ce n’est plus la

répétition d’un besoin qui appelle le retour de la mère; ici, dit –Lacan, « c’est la

répétition du départ de la mère comme cause d’une Spaltung dans le sujet –

surmonté par le jeu alternatif fort-da, qui est un ici ou là ».150 A partir de là, même

si la mère revient, elle ne viendra qu’à manquer.

D’ailleurs, la bobine en étant l’objet a, la fonction de l’exercice avec cet

objet se réfère à une aliénation fondamentale, et non pas à une quelconque et

supposé maîtrise, comme Lacan l’avait proposé dans sa première et deuxième

élaboration des jeux de Fort-Da.

L’image comme espace géométral :

148
Idem, page 60
149
Idem, page 60
150
Idem, page 61

89
Lacan considère à ce moment de son enseignement, que tout ce que peut

s’appeler image est réductible à une fonction précise : « la fonction des images se

définit par une correspondance point par point de deux unités dans l’espace » ;151

et d’ailleurs, tout ce qui est de l’ordre de la vision s’ordonne selon ce principe.

C’est à dire, que ce qui compte dans le champs des images, ce n’est pas la vision

comme tel, la vue, mais l’espace géométral. Tout image, dit-Lacan, « est liée à une

surface, avec un certain point que nous appellerons point géométral »152.

Ce dont il s’agit c’est le repérage de l’espace et non pas la vue, ce qui

implique que cet espace géométral, même l’espace géométral virtuelle du miroir,

est parfaitement constructible, imaginable, par un aveugle.

1964 – 1965, Séminaire XII : Problèmes cruciaux pour la psychanalyse.

Dans ce séminaire Lacan reprend l’ensemble de son élaboration actuel

pour répondre à la question de ce dont il s’agit dans l’identification et du coup

dans la fin de l’analyse.

A partir des deux éléments essentielles qu’il avait introduit dans ces

derniers séminaires, à savoir :

1.- le support de l’Autre, comme élément fondamental dans l’expérience du

miroir, le premier geste de l’enfant après l’assomption jubilatoire de son image

dans le miroir, c’est le retour de la tête vers l’Autre qui le soutient, ce qui à été

aussi un réel aperçu dans le miroir. Cette référence à l’Autre restera inscrit.
151
Idem, page 81
152
Idem, page 81

90
2.- l’objet a. Que la seule façon de le comprendre c’est à condition de faire entrer

le registre de la topologie. Ce qui est fondamental ce que si bien l’image du corps

a son origine dans le sujet, dans l’expérience spéculaire, l’objet a n’a pas d’image

spéculaire, il n’est pas spécularisable.

Ainsi, l’identification autant que la fin de l’analyse sont suspendus à ces

deux possibilités, à ces deux termes qui commandent : d’abord, l’idéal du moi,

lieu d’accrochage du sujet à l’autre ; et a, le point de réglage invisible, invisible en

tant qu’il n’est pas vu dans le miroir, il est absent dans l’image spéculaire.

A partir de là, Lacan avance l’idée suivante :

- Dans l’analyse, les identifications du sujet se joueront autour du a caché,

invisible, dans la référence à l’Autre ; mais tout autant et plus que la

référence à l’idéal du moi par rapport à l’autre.

- Par contre, la fin de l’analyse ne peut pas se contenter de la référence à

l’autre, la fin de l’analyse ne peut pas aboutir à la rectification de l’idéal du

moi. Tout au contraire c’est autour de a que se jouent tous les impasses et

la possibilité de leur solution. Il dit : « toutes les apories, les difficultés, les

impasses auxquelles, l’expérience de l’analyse, les dires des analystes nous

apportent le témoignage, si ce n’est pas autour de quelque chose

d’insuffisamment vu, visé, compris, et non repéré au niveau de a ».153

Ainsi, la fin de l’analyse et son parcours même, se jouera vers cet objet.

1968 – 1969, Séminaire XVI : D’un Autre à l’autre.

153
Lacan, Jacques. Séminaire XII. Problèmes cruciaux pour la psychanalyse. Leçon du 3/2/65

91
L’image du corps n’est pas trouée :

Dans ce séminaire de la fin des années 60, Lacan soutient la thèse que

l’image spéculaire du corps n’est pas troué, cette image anthropomorphe est en

défaut, dit-il, en tant qu’elle « masque simplement la fonction des orifices ».154

Cette image est perçue comme la « bonne forme », la forme parfaite, et en tant

que tel, tout orifice ou trou lui est étranger. C’est pour cette raison aussi que Lacan

dit que le recours à l’image pour expliquer la métaphore est toujours faux, « toute

domination de la métaphore par l’image, doit être suspecte ».155

Cependant dans la suite de ce séminaire, l’image du corps commencera à

prendre un nouveau statut, en se penchant surtout vers une reprise du poids, face

à un registre symbolique reconnu comme limité.

L’image du corps privilégié, le symbolique limité :

« Le moindre exercice de tout ce que j’ai promu comme distinguant

l’imaginaire du réel nous fait bien repérer ce qu’a de cadrant, de formateur : Une

référence qui toute entière va à son terme au registre de l’image du corps ».156

Ainsi, toutes les élaborations faites par Lacan sur l’imaginaire et l’objet a,

élément régnant dans ce période de Lacan, lui font arriver à valoriser l’image du

corps comme ce qui donne le poids, le fondement.

154
Lacan, Jacques, Séminaire XVI : D’un Autre à l’autre. Leçon du 08/01/69
155
Idem, Leçon du 08/01/69
156
Idem, Leçon du 23/04/69

92
Il ajoute : « l’idée même de macrocosmes a toujours été accompagnée

d’une référence à un microcosme qui lui donne son poids, sons sens, son haut, son

bas, sa droite, sa gauche… »157

Le registre du symbolique trouve dans ce séminaire, et pour la première

fois depuis le début des années 50 de l’œuvre de Lacan, une fonction limité. Il

explique cette dernière référence au macrocosme en disant : « c’est à dire que les

registres du symbolique, ne sont pas sans rapport, sans trouver de support dans la

fonction imaginaire »158, autrement dit, que l’imaginaire après être conçu comme

un obstacle, maintenant c’est elle qui donne « son poids, son sens, son haut, son

bas, sa droite, sa gauche… » au symbolique.

Et même par ailleurs, il ajoute que le registre du symbolique, dans ce qu’il

a de légitime et de rationnellement assimilable, doit rester limité. Et à partir de là

il critique la doctrine freudienne en la nommant une « doctrine rationaliste »,

puisque, dit-il, «c’est uniquement en fonction de ce qui peut s’articuler dans des

propositions défendables, au nom d’une certaine règle du jeu logique, que quoi

que ce soit peut être admis ou au contraire exclu ».159

Cette critique se dirige aussi à la science, en se demandant : « où en est, au

point où nous sommes de la science, cette fonction imaginaire prise comme

fondement de l’investigation scientifique ? », et lui-même répond : « il est clair

qu’elle lui est tout à fait étranger ». Ainsi, il critique la science pour oublier

complètement le registre de l’imaginaire et surtout la fonction du corps. Il utilise

l’exemple de la santé, du champ de la médicine, spécifiquement dans l’acte de

157
Idem, Leçon du 23/04/69
158
Idem, leçon du 23/04/69
159
Idem, leçon du 23/04/69

93
remplacement des organes qui est en vogue à l’époque, acte où rien n’y existe de

l’interrogation des fonctions du corps, comme lui-même le dit.

Il prend la précaution de s’excuser, à la fin de cette leçon du 23 avril 1969,

en sachant qu’un moment de bascule important était en train de se faire dans son

enseignement, en disant : « Je m’excuse de ceci, de cette introduction destinée à

marquer les termes d’une opposition aussi profonde que nécessaire qui est celle où

se définit quoi ? La révolution ou la subversion, du mouvement d’un savoir ».

A partir de là, dans la suite de ce séminaire il essayera de saisir

l’importance de cette « image du corps qui joue un rôle privilégié »,160d’abord

pour l’organisme et ensuite pour le comportement humain en général.

L’imaginaire est défini comme ce qui d’une certaine façon permet la

subsistance de l’organisme, « un élément de l’extérieur, du milieu, de l’Umwelt,

est absorbable ou plus généralement propice à sa conservation »161 L’umwelt est

ici un halo, un double de l’organisme dont les effets permettent sa conservation.

C’est ça justement la fonction de l’imaginaire à cette époque. « Chez l’être

humain, une image, y joue un rôle privilégié, c’est l’image spéculaire, elle exerce

une fonction décisive sur ce qu’il est de l’organisme ».162

Toutes ces élaborations qui redonnent importance à l’imaginaire, vont

surtout vers l’importance du corps comme tel pour l’être humain, ce qu’il avait

nommé auparavant « la passion du corps » chez le sujet humain, et ici il le

développe comme la « maîtrise motrice du corps », c’est cette maîtrise qui permet

et qui témoigne, dit-il, d’un comportement humain dit « de bien », « l’homme se

160
Idem, leçon du 07/05/69
161
Idem, leçon du 07/05/69
162
Idem, leçon du 07/05/69

94
déplace sans jamais sortir d’une aire bien définie.. » grâce à cette maîtrise motrice,

«en ceci qu’elle interdit une région proprement centrale qui est celle de la

jouissance »,163 et bien, c’est par là que l’image du corps prend toute son

importance.

Mais l’image du corps et cette maîtrise motrice prennent une valeur tout à

fait surprenant pour Lacan à cette époque, elles atteignent pas seulement le

champs de l’organisme, elles vont beaucoup plus au-delà, tant qu’il dit : « Tout ce

qui peut s’inscrire en fonction d’ordre, de hiérarchie et aussi bien de partage, tout

ce qui est de l’ordre de ce fait de l’échange, du transitivisme, de l’identification

elle-même, tout ce qui participe de la relation que nous posons comme spéculaire,

tout ceci se rapporte au statut de l’image du corps, comme liée à ce quelque chose

d’essentiel dans l’économie libidinal considérée comme étant la maîtrise motrice

du corps ».164

Rapport i(a)/a : intérêt premier de la psychanalyse

Pour Lacan à cette époque, le point vif, d’intérêt premier pour la

psychanalyse, c’est tout ce qui est observé, articulé comme rapport entre i(a) et

objet petit a. Ce rapport prend un valeur de « modèle de tout ce que nous livre, au

niveau des symptômes, la psychanalyse ».165

L’objet petit a, qui avait été définie d’abord par Lacan, comme

essentiellement fondé des effets de ce qui ce passe au champ du symbolique, au

163
Idem, leçon du 07/05/69
164
Idem, leçon du 07/05/69
165
Idem, leçon du 07/05/69

95
champ de l’Autre ; prend ici un nouveau versant, en tant que la structure même de

l’Autre devient ici effet dans le champ de l’imaginaire. Ces effets dans le champ

de l’imaginaire, Lacan les situent comme le fait que « ce champ de l’Autre est en

forme de petit a ».166

Cette structure de l’Autre s’inscrit, en conséquence, dans une topologie qui

se présent comme le trouant. Si l’Autre a « l’en-forme » d’objet petit a, c’est alors

structurellement troué.

C’est un effet imaginaire, en tant que ce jeu du petit a, cette « en-forme »

de a de l’Autre, est masqué, et par ailleurs, celui qui peut se trouver dans le rôle

de grand Autre n’en sait rien, c’est cet effet de masquage, d’aveuglement, qui est

précisément la caractéristique principal en quoi se comble toute relation

imaginaire.

Brève Conclusion.

Ce période de l’enseignement de Lacan, de 1960 – 1970, marque un

tournant tout à fait fondamental de son élaboration, le développement de la notion

166
Idem, leçon du 07/05/69

96
d’objet petit a, c’est la clé qui ouvre toute une nouvelle conception théorique qui

se poursuivra comme fondamentalement dirigé vers cette topologie nouvelle.

L’imaginaire et le réel ne sont plus completement subordonnés au registre

symbolique, est ce dernier par contre commence à occuper une deuxième place

hiérarchique, en tant qu’il commence à trouver certains limites. Tout la valeur et

l’intérêt de la psychanalyse sont mis désormais sur le registre du réel ; et à la fin

des années 60, l’imaginaire, liée à l’espace et à la topologie, et surtout l’image du

corps, reprennent une importance tout à fait considérable.

Nous pouvons finir ce période de Lacan, avec une phrase de son séminaire

XII, « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse », où il dit : « Je voudrais que

nous continuons de nous avancer dans ce qui est le problème crucial, que nous

cherchions à proposer une forme, une topologie essentielle à la praxis

psychanalytique. »167

Perspective de l’image, l’imaginaire et le corps dans la clinique lacanienne de

1960 à 1970

Durant ce période de 1960 à 1970, tout l’intérêt de Lacan se dirige d’abord

vers la valorisation du signifiant comme élément clé dans la théorie et dans la

clinique ; et aussi, suivant les deux axes élaborés auparavant par lui, l’axe

167
Lacan, Jacques. Séminaire XII. Problèmes cruciaux pour la psychanalyse. Leçon du 03/02/65

97
imaginaire a – a’, doit être annulé, effacé; c’est dans l’axe S – A, axe de la parole

dans son efficacité, que doit se développer toute analyse.

A la fin de ce période, dans le séminaire XVI, D’un Autre à l’autre, nous

trouvons un retour à la référence du corps, à l’image du corps, et au narcissisme,

qui jouent à nouveau un rôle fondamental dans les symptômes analytiques.

1960 – 1961 : Séminaire VIII, Le Transfert

L’Autre chez Dora :

Suivant le fil de l’élaboration de Lacan en 1960, à savoir, annuler toute axe

a – a’ et renvoyer tout à l’axe de la parole dans son efficacité : S – A ; il renouvelle

son commentaire du cas Dora de Freud, en situant Mme. K… comme le grand A,

l’Autre absolu pour Dora.

En 1953 Lacan avait mis Mme. K… à la place de a’, c’est à dire, dans une

relation spéculaire avec Dora ; et en plus, il avait situé le mystère à dévoiler pour

Dora, dans le corps de Mme. K., c’est à dire, la réponse à sa féminité se trouvait

dans son corps, dans la « blancheur ravissante de son corps », la réponse à qui

suis-je ? comme sujet, se trouvait dans le corps de l’autre.

Or, en 1960, il y a un moment de bascule total, comme il le dit : « Dora

comme hystérique vise autre chose, elle vise grand A. Elle vise l’Autre absolu.

Mme. K est pour elle l’incarnation de la question qu’est-ce qu’une femme?. C’est

un grand A comme tel, auquel elle croit »168

168
Lacan, Jacques. Séminaire 8, Le Transfert. P. 293

98
Ainsi, si en 1953, Lacan considère qu’on se reconnaît comme sujet et

comme corps dans le semblable, dans l’autre du rapport spéculaire ; en 1960, pour

Lacan, être sujet, c’est avoir sa place dans grand A, au lieu de la parole.

Séminaire IX : L’Identification. 1961 – 1962

L’identification au signifiant : Le cas du petit Hans

A partir du cas du petit Hans, de Freud, Lacan essai de montrer comment

l’identification qu’intéresse à la psychanalyse c’est l’identification au signifiant et

non pas l’identification imaginaire.

Dans l’histoire du petit Hans il y a un rêve que Lacan appelle l’histoire de

la girafe chiffonnée, le mot original en allemand qu’utilise le petit Hans c’est

zerwutzelte giraffe, et curieusement ce verbe, zerwutzelte, traduit en français par

chiffonner, n’est pas un verbe couramment utilisé dans la langue allemande,

zerwutzelte veut dire faire une boule, c’est à dire qu’une girafe zerwutzelte c’est

une girafe réduite, seconde, écrasée. Et bien, Lacan propose ce signifiant

zerwutzelte, comme le signifiante autour duquel se déroule toute l’histoire.

Il y a donc deux girafes dans l’histoire, une grande girafe vivante, et une

autre girafe à côté en papier, petite, et que comme telle on peut mettre en boule.

La grande girafe symbolise la mère, dit Lacan, la mère comme un animal,

mais aussi avec son grand cou, la mère en tant qu’elle est cet immense phallus du

désir, terminé encore par le bec broutant de cet animal vorace. Et puis il y a l’autre

petite girafe, qui sera chiffonnée, qui représente la fille, la petite sœur du petit

99
Hans. Le rapport de Hans aux girafes représente le rapport de rivalités familiales,

il y a les deux extrêmes, la mère énorme dévoratrice, et la petite sœur à écraser.

L’enjeu de ce dont il s’agit, c’est que la grande girafe voit le petit Hans

jouer avec la petite girafe, celle là crie très fort jusqu’à ce qu’enfin elle se lasse,

elle épuise ses cries. Et le petit Hans, pour sanctionner cette prise de possession de

la mère, cette Besitzung, s’assoie dessus, draufgesetzt.

Ce dont il s’agit pour le petit Hans, dit Lacan, « c’est de son identification

fondamentale, de la défense de lui-même contre cette capture originelle dans le

monde de la mère »,169 la fonction fondamentale du signifiant en question, c’est

que celui détermine la suspension radicale au désir de la mère, « le signifiant c’est

le point d’amarre de quelque chose d’où le sujet se continue. »170 Ce signifiant,

avec sa fonction d’artifice, introduit un ressort clef permettant au sujet de

préserver quelque chose de lui, de son être, qui lui permet de ne pas se sentir un

être complètement à la dérive du caprice maternelle.

Séminaire XII, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, 1964 – 1965

S  – S 2 – S 3… chez Dora et L’homme aux rats :

A partir d’un petit commentaire des cas Dora et L’homme aux rats, Lacan

montrera qu’un signifiant n’est jamais un signifiant isolé, au contraire, un

signifiant représente toujours le sujet par rapport à un autre signifiant. Et les

169
Lacan, Jacques. Séminaire IX : L’identification. Cours du 20 décembre 1961.
170
Idem

100
symptômes analytiques, même ceux qui touchent directement le corps sont à être

considérés comme des purs signifiants.

Dans le cas Dora, par exemple, Lacan prend le symptôme de l’aphonie,

qu’avait été considéré auparavant comme un symptôme psychosomatique, dont la

référence était à chercher dans le corps ; maintenant cette aphonie devient un

signifiant ; mais non pas un signifiant que fonctionne tout seul, en effet, l’aphonie

se présent quand Dora est seule avec Mme. K., elle ne peut plus parler seulement

quand elle seule avec Mme. K., l’aphonie représente à Dora, non pas du tout avec

Mme. K. simplement, avec qui elle parle même beaucoup, mais quand elle est

seule avec elle, quand M. K. est en voyage.

Dit Lacan, « L’aphonie de Dora n’est pas reconnaissable pour représenter

le sujet Dora que par rapport à ce signifiant qui n’a point d’autre statut que de

signifiant, c’est à dire Mme. K. ».171

Ainsi, Mme. K, qu’avait été considéré comme l’autre de l’image

spéculaire en 1953, et comme l’Autre absolu en 1960, devient en 1965 un

signifiant, « qui n’a point d’autre statut que de signifiant »172.

Dans le cas de L’homme aux rats, Lacan isole une autre situation

exemplaire du dit fonctionnement signifiant, à savoir, les tentatives pour maigrir

de l’homme aux rats, ce n’est pas un signifiant isolé, Lacan se demande, en

fonction de quoi il veut maigrir ? et bien, il y a autour de sa bien aimée un certain

Dick, mot allemand que signifie gros, gras ; et c’est justement pour ne point être

Dick qu’il essai de maigrir, et en fait, il s’efforce jusqu’au point limite, Lacan dit :
171
Lacan, Jacques. Séminaire XII, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse. Cours du 5 mai 1965.
172
Idem

101
« c’est pour se signifier auprès de ce signifiant Dick qu’il maigri »173 Nous

retrouvons encore un signifiant qui représente le sujet toujours pour un autre

signifiant, et celui-ci élevé hiérarchiquement comme l’élément clef à isoler quand

il s’agit des symptômes.

Séminaire XVI : D’un Autre à l’autre. 1968 - 1969

La phobie des poules :

Dans ce séminaire Lacan commente un cas présenté par Hélène Deutsch,

où l’image du corps reprend une importance fondamentale pour l’explication du

symptôme dont il s’agit, le retour de la référence au corps se fait nécessaire pour

rendre compte de la clinique, en effet, Lacan propose que parfois la conjonction

du a et de l’image du corps se présente dans un autre miroir, et c’est très

précisément ce qui se passe au niveau de la phobie.

Dans le cas en question, il s’agit d’une phobie des poules chez un petit

garçon. Avant le déclenchement de la phobie, les poules n’étaient rien pour lui,

c’était les bêtes qu’il allait soigner en compagnie de sa mère, et aussi faire la

cueillette des œufs, que consiste en faire une palpitation du cloaque pour

s’apercevoir si l’œuf est prêt à venir ou pas.

Comme suite à ces activités, le petit garçon, quand il se faisait baigner par

sa mère, il lui disait de faire autant sur son périnée. Il se désignait ainsi comme

une poule plus, comme le candidat à donner à la mère l’objet dont elle

173
Idem

102
s’intéressait. Jusqu’à là, tout allait bien, mais une scène avec le frère apparaît, et

fait déclencher la phobie en question.

Son frère aîné et particulièrement plus fort que lui, un jour le saisit par

derrière, le tient très fort, et lui dit : Moi je suis le coq et toi la poule. Le petit se

défend et répond : « je ne veux pas », I won’t be the hen.

Lacan se demande, « Pourquoi est-ce qu’il dit non, alors que le temps

d’avant il se trouvait si bien avec sa mère, de pouvoir être pour elle une poule ? »,

et il ne répond pas tout de suite avec une explication dirigé à la fonction

signifiante, tout au contraire, il dit : « Parce que là est intéressé le narcissisme, à

savoir la rivalité avec le frère, le passage à une relation de pouvoir, l’autre le tient

à la force ».174

C’est qui est en question c’est donc le corps, prise dans une relation de

rivalité, qui se trouve soumis à l’autre qui le tient et le prend à sa volonté. C’est ce

qui se perd du narcissisme dans le passage à une relation de pouvoir où il est la

poule, le virement d’un registre à l’autre, c’est dans ce point où se déclenche la

phobie en question, les poules prennent donc une fonction signifiante, à savoir,

elle lui font peur.

Il y a ainsi, quelque chose au niveau du corps à ne pas oublier, et à prendre

en compte en tant que corps et rien d’autre, car « c’est le corps –dit Lacan par

rapport à l’hystérie-, qui vient à servir de support dans un symptôme »175.

174
Lacan, Jacques. Séminaire XVI, D’un Autre à l’autre. Cours du 7 mai 1969
175
Idem, cours du 18 juin 1969

103
L’IMAGE ET L’IMAGINAIRE CHEZ JACQUES LACAN

De 1970 à 1980

1973-1974, Séminaire XXI : Les Non-Dupes Errent

L’imaginaire c’est le sens :

Dans la première leçon de ce séminaire de 1973, Lacan avance ce qui sera

sont point de butée de l’année, à savoir, dit-il, « la remarque qui sera celle que

104
j’avance cette année, c’est que l’imaginaire c’est une dit-mansion aussi importante

que les autres ».176

Il justifie cette importance à partir de la mathématique, où ça se voit très

claire, la mathématique susceptible d’être enseignée, c’est à dire, celle que

concerne le réel qui véhicule le symbolique, et bien, ce symbolique ne peut pas

être véhiculé que de ce qui le constitue, à savoir qu’il est chiffré. L’imaginaire,

c’est justement ce qui arrête le déchiffrage, c’est ce qui empêche le déchiffrage à

l’infini, et dans ce sens là, dit-Lacan, l’imaginaire c’est le sens. L’importance

c’est que, comme lui-même le conseille, « il faut bien s’arrêter quelque part, et

même le plus tôt qu’on peut ».177 L’imaginaire c’est toujours l’intuition de ce qui

est à symboliser, « à mâcher, à penser », c’est à partir de là qu’il permet un sens.

C’est le côté utile et nécessaire de l’Imaginaire, mais il y a aussi le fait que de

l’imaginaire on ne peut pas s’en passer, en tant que, « ça envahit ».

Lacan dit, « Quand nous distinguons un ordre, nous en faisons un être. Le

mot « mode » dans l’occasion. Et même « mode d’être ». Et… ça envahit. C’est

bien en ça que c’est instructif : ça envahit l’autre ordre ».178 C’est aussi une

justification de ce qui avait été auparavant, une apparente sous-estime pour

l’imaginaire, comme lui-même le dit, ce qu’il va nier dans ce séminaire, en

ajoutant qu’on lui avait mal compris.

Et bien, on est tellement envahit par le mode imaginaire, que c’est

impossible de manipuler les autres ordres, sans le prendre en compte. Dès qu’on

essai de manipuler le symbolique, par exemple, on s’aperçoit qu’on n’y arrive

176
Lacan, Jacques. Séminaire XXI, Les non-dupes errent. Leçon du 13/11/1973
177
Idem
178
Idem

105
qu’avec les images, dit-il, « souvenez-vous de la façon dont s’abordent les

ensembles, on nous parle de bijection, de surjection, d’injection… tout ça ne va

pas sans images, c’est avec les images que vous le supportez, ces modes pourtant

faites pour vous libérer de l’imaginaire ».179 Les références à la mathématique et à

la topologie seront de plus en plus nombreuses à partir de ce séminaire, et ça

montre justement, la paradoxe que si bien c’est une science qui essai en théorie de

réduire au maximum l’imaginaire, elle ne peut rendre compte de ses fondements

qu’à partir des images.

Un nouveau rapport au corps :

Lacan revient ici au stade du miroir, mais cette fois il va élaborer un

rapport au corps, qui sera l’envers de ce qui avait été dit auparavant, dans les

modèles du stade du miroir et du bouquet renversé.

« Vous avez toujours compris mais à tort – que le progrès, le pas en avant

c’était d’avoir marqué l’importance écrasante du symbolique au regard de ce

malheureux imaginaire par lequel j’ai commencé, j’ai commencé en tirant dessus

à balles, enfin sous le prétexte du narcissisme ; seulement figurez-vous que,

l’image du miroir, c’est tout à fait réel qu’elle soit inversée », ça fait référence au

modèle du bouquet renversé, à ce qui avait été l’image virtuel vue dans le miroir,

179
Idem

106
comme la bonne image. Ça implique que l’image du corps ne dépend pas de la

position de l’œil du sujet, elle perçu tel qu’elle est ; ça fait évanouir l’idée de

l’image du corps idéal.

Il continue : « Même avec un nœud, surtout avec un nœud, et malgré

l’apparence, car vous imaginez peut-être qu’il y a des nœuds dont l’image dans le

miroir peut-être superposé au nœud lui-même ? Il n’en est rien. Il n’y a rien de

plus spéculaire qu’un nœud ».180 L’image du corps spéculaire c’est saisi donc de la

même façon que le nœud, c’est à dire :

- Comme une image qui tient ensemble mais qui peut se défaire, se dévider.

Le corps n’est plus saisi par sa référence au solide, à l’enveloppe.

- Et le nœud comme structure de l’image du corps implique le trou. L’image

du stade du miroir c’était la forme pas troué, la bonne forme. Mais ici,

c’est le passage de la forme à « l’enforme de a » qu’élabore Lacan dans

son séminaire D’un Autre à l’autre, à l’image du corps troué.

En conséquence, dans l’image du corps propre, et du corps de l’autre au

même temps, il y a, dit Lacan, « le profil, la projection, la silhouette, enfin tout ce

qu’on adore, dans un être aimé. On n’adore jamais rien de plus »181 ; on n’adore

jamais rien de plus, puisqu’en ce qui concerne le corps, on n’a pas accès à rien de

plus. On ne peut penser le corps qu’à partir de sa surface, de sa peau en

l’occurrence.

180
Idem
181
Idem, leçon du 11/12/1973

107
C’est dans ce sens là aussi, que Lacan dit dans ce séminaire que « le nœud

borroméen est la structure du corps que nous préférons oublier », c’est la fin de la

référence à la bonne forme, c’est un au-delà du narcissisme qui avait été élaboré

dans le stade du miroir.

Cette référence à l’image, Lacan insiste à rappeler qu’il ne l’avait jamais

déprécié. Ce qu’il pousse en avant ici, comme lui même le dit, c’est l’image à

deux dimensions, et ce qui nous attache à elle, mais, dit-il, « Je suis loin de l’avoir

déprécie, non seulement je suis loin de l’avoir déprécie, mais ce serait tout à fait

absurde de le dire, parce que les signifiants eux-mêmes, nous sommes forcés d’en

passer par la même image, flat land, l’image à deux dimensions, pour démontrer

qu’ils s’articulent ».182 Le signifiant, le symbolique apparaît donc, comme un

ordre qui a besoin de l’imaginaire, et ce qu’il essayera de montrer dans la suite de

ces séminaires, c’est que les trois ordres, à savoir, le Symbolique, le Réel et

l’Imaginaire, ne fonctionnent que comme un ensemble, et dans ce sens sont

équivalents, ils sont tous la même fonction par rapport aux autres.

R.S.I., trois dimensions de l’espace strictement équivalents :

L’espace habité par l’être parlant, c’est un espace à trois dimensions, c’est

une autre façon de considérer l’espace, différente de l’espace conçu par

l’esthétique transcendantale, mais c’est la seule façon d’opérer avec l’espace que

les êtres humains habitent réellement; ces trois dimensions, ou dit-mansions,

comme Lacan l’écrit parfois, s’appellent le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel.

182
Idem

108
Cette nouvelle façon de considérer l’espace, implique que ces trois dimensions qui

avaient été auparavant différenciés l’un de l’autre, sont désormais équivalents.

Lacan dit, « ce que je mets à l’ordre du jour, à savoir de bien marquer que,

comme dimensions de notre espace –notre espace habité en tant qu’êtres parlants-

ces 3 catégories sont strictement équivalents ».183

C’est aussi par là que ces trois ronds de ficelle prennent son importance,

l’importance de ces trois ronds du nœud borroméen, c’est justement qu’ils sont

strictement équivalents, l’important c’est qu’aussi bien le réel, que l’imaginaire ou

que le symbolique, peuvent jouer la même fonction par rapport aux deux autres.

La vérité et l’amour du côté de l’imaginaire :

« L’imaginaire pris comme moyen, c’est là le fondement de la vraie place

de l’amour ».184

Le savoir inconscient pour Lacan, dans ce séminaire, c’est un savoir

topologique, c’est à dire, qui tient de la proximité du voisinage, de la continuité,

tel que le nœud, et pas de l’ordre. Il s’écrit comme un nœud, en tant que nœud,

mais si on casse un rond, les deux autres se séparent, et le savoir inconscient ne

s’écrit plus. C’est un savoir nodal, il tient à un ensemble que peut se dénouer.

La vérité de son côté c’est du mi-dire, « la vérité de la vérité c’est qu’on ne

peut pas la dire, puisqu’elle ne peut que se mi-dire ». C’est en tant que la vérité se

183
Idem, leçon du 13/11/1973
184
Idem, leçon du 18/12/1973

109
fonde de la contradiction, de la supposition du faux, qu’elle ne dit rien que le mi-.

« Elle est mi-métique, elle est de l’imaginaire ».185

Ainsi, cette vérité trouve une limite dans ce mi-dire, mais d’une autre côte,

elle est ouverte et sans limites, et en tant que tel le savoir inconscient l’habite,

puisque le savoir inconscient est un ensemble ouvert.

L’amour, n’est pas sans rapport avec toutes ces élaborations, l’amour c’est

la vérité, dit-Lacan, puisque c’est à partir d’une coupure, d’une incomplétude qui

commence un autre savoir. C’est à partir du mi-dire que commence le savoir

inconscient sur le partenaire. C’est pour ça que Lacan conclue que « l’amour

c’est deux mi-dire qui ne se recouvrent pas, c’est ça qui fait la division

irrémédiable »186.

1974 – 1975 : Séminaire XXII : R.S.I.

Qu’est-ce que c’est que l’Imaginaire ?

L’imaginaire, dans ce séminaire de 1974, c’est à nouveau lié au sens. Le

sens définie à son tour comme ce par quoi répond quelque chose qui est autre que

le symbolique. Le symbolique est lié ici à l’équivoque, qui est différent du sens.

L’équivoque, avec tous ce qui comporte comme formations de l’inconscient, à

savoir, lapsus, actes manques, oublies, etc., est de l’ordre du symbolique ; mais le

sens est différencié de tout ça, et il est ici supporté par l’imaginaire.

185
Idem, leçon du 15/01/73
186
Idem

110
Mais il y a aussi une autre définition de l’imaginaire dans ce séminaire, il

apparaît ici très étroitement lié à ce que Lacan appelle la débilité mentale de l’être

humain. « Rien que de prononcer ce terme d’Imaginaire, il y a quelque chose qui

fait que l’être parlant se démontre voué à la débilité mentale ».187

Cette débilité mentale résulte du fait, que la seule notion d’imaginaire

possible, c’est la référence au corps, et la seule représentation possible de ce

corps, tout ce qui pour le sujet se représente, n’est que le reflet de son organisme.

Tout représentation du monde pour le sujet c’est une représentation

anthropomorphique. C’est ici que se situe la mis à plat, en tant que le corps ne

peut pas être perçu que mis à plat. Dans ce sens l’imaginaire c’est trouve réduit, et

c’est à partir de là que Lacan élabore cette notion de la débilité mentale. C’est

même là-dessus que se fonde toute figuration et topologie quelconque, en tant

qu’elles sont enracinées du corps lui-même.

Même la pensée est liée à cette débilité mentale, « nous ne pensons qu’à

plat. La cogitation reste engluée d’un imaginaire qui est, l’imaginaire du

corps ».188 L’être humain est dans ce sens engluée par l’imaginaire, tous ce qu’il

cogite, reste retenu par l’imaginaire comme enraciné dans le corps.

C’est ça d’ailleurs la difficulté de penser l’imaginaire sans le réduire à son

imaginarité, en tant que l’être humain est prise par son corps. « On est dans

l’imaginaire, si élaboré qu’on le fasse, c’est à quoi l’analyse nous ramène, c’est

que dans l’imaginaire, on y est. Il n’y a pas de moyen de le réduire dans son

imaginarité ».189

187
Lacan, Jacques. Séminaire XXIII : R.S.I. leçon du 10/12/74
188
Idem, leçon du 17/12/74
189
Idem

111
C’est à partir de là que Lacan propose une nouvelle topologie qui permet

de penser le corps, en tant que ce n’est pas une esthétique transcendantale qui vaut

pour le corps, ce n’est pas une espace à deux dimension qui rend compte du corps,

il faut une nouvelle topologie pour cette nouvelle façon de considérer l’espace.

Le corps n’est pas tout seul dans cette topologie, il lui faut le symbolique,

et l’ex-sistence du réel, (c’est l’existence hors de qui lui fait exister), sans

lesquels le corps n’aurait pas d’esthétique du tout, parce que, dit-Lacan, « il n’y

aurait pas de tore-boyau », c’est la figure topologie qu’il utilise pour représenter

précisément ce rapport entre l’imaginaire, le symbolique et le réel. « Le tore c’est

une construction faite de ce rapport inek-sistant (en tant qu’ek-sistant) qu’il y a

entre le symbolique et l’imaginaire ».190

A quel registre appartient le nœud borroméen, au symbolique, à l’imaginaire

ou au réel ?

« Le nœud borroméen, en tant qu’il se supporte du nombre trois, est du

registre de l’imaginaire ».191 Lacan propose le nœud comme appartenant au

registre de l’imaginaire, en tant que l’imaginaire s’enracine des trois dimensions

de l’espace, et à la fois, les supporte. C’est l’imaginaire qui supporte la triade du

symbolique, imaginaire et réel. Le nœud c’est donc reflété dans l’imaginaire, y

domine l’imaginaire, sur le fait que ça en fonde la consistance qui le tient

ensemble.

190
Idem
191
Idem, leçon du 10/12/74

112
« C’est pour tenir au Symbolique et au Réel que l’Imaginaire se réduit à ce

qui n’est pas un maximum imposé par le sac du corps, mais au contraire, se définit

d’un minimum, celui qui fait qu’il n’y a de nœud borroméen que de ce qu’il y en

ait au moins trois »192

Cette notion de l’imaginaire implique qu’il gagne du poids du fait de ses

trois dimensions, que c’est lui qui les soutient, et que sans cette triade il n’y a pas

de nœud possible, mais il perd aussi du fait du passage du corps comme sac,

comme enveloppe, à la mis à plat du même. Nous pouvons dire, qu’à ce moment

de l’enseignement de Lacan, il y a une réélaboration complète de la notion

d’imaginaire et du corps, et une réévaluation de son poids qui amène à une

valorisation à partir de cette nouvelle notion de l’espace.

La consistance donc, est de l’ordre de l’Imaginaire, mais Lacan la définie

aussi de la façon suivante : « la consistance pour le parlêtre c’est ce qui se

fabrique et qui s’invente. Et dès qu’elle existe, elle est dans le réel, à savoir un

nœud ».193 Ce qui implique, que dès qu’on commence à « tresser » l’imaginaire, à

le construire, à l’inventer, et bien, dès qu’il existe, il devient de l’ordre du réel.

C’est ça le sens de l’ex-sistence du réel. La possible ex-sistence de l’imaginaire

c’est ce qui répond du réel.

Cela veut dire, que tous ce qui se tresse dans une analyse comme

imaginaire, ne veut pas dire imagination, parce que si on peut faire que

l’imaginaire ex-siste, c’est à la seule condition qu’il devienne un autre réel.

192
Idem
193
Idem, leçon du 17/12/74

113
Ainsi, le nœud, quoique seulement reflété dans l’imaginaire, il est réel.

C’est dans ce sens que Lacan dit, « le Réel, en fin de compte, ce n’est que ça,

histoire de nœuds ».194

A partir de là, il annonce que ce qu’il essayera de montrer dans la suite de

ses séminaire, c’est la correspondance de la consistance à l’Imaginaire, de l’ex-

sistence au Réel, et du trou au Symbolique.

1975 – 1976, Séminaire XXIII : Le Sinthome

Dans ce séminaire Lacan affirme que le caractère fondamental du nœud est

de permettre d’illustrer la triade, sa triple fonction, qui résulte des éléments

suivants :

1. D’abord une consistance qui n’est affecté que de l’imaginaire. « La

consistance, ça veut dire ce qui tient ensemble. Et c’est bien pour ça que c’est

symbolisé, dans l’occasion, par la surface. Le corps, c’est comme peau, retenant

dans son sac un tas d’organes, que nous le sentons ».195 Ce corps, comme surface

c’est la seule consistance qui possède le parlêtre, il croit avoir un corps mais en

réalité il ne l’a pas. C’est pour ça aussi que Lacan propose que l’inquiétant

étrangeté relève de l’imaginaire. La seule relation qui a le parlêtre à son corps,

c’est « adorer un corps qui fout le camp à tout instant »196, c’est la racine de

l’imaginaire, adorer un corps qu’il croit qu’il l’a, et que même si en réalité il ne l’a

pas, c’est pourtant sa seule consistance.

194
Lacan, Jacques. Séminaire XXII, Le non-dupes errent. Leçon du 12/03/74
195
Lacan, Jacques. Séminaire XXIII : Le sinthome. Leçon du 9/12/75
196
idem

114
2. Deuxièmement, d’un trou comme fondamental qui ressortit au symbolique.

Le trou c’est lié à la mort en tant que la mort on ne sait pas qu’est-ce que c’est. Et,

dit-il, « c’est du coté de la mort que se trouve le symbolique ».197

3. Et d’autre part, d’une ex-sistence qui appartient au réel qui en est le

caractère fondamental. Cette ex-sistence, tel qu’il l’écrit, ex tiret sistence, dans

le sens que le réel existe hors de l’imaginaire et du symbolique, et au même

temps, il n’a d’existence qu’à rencontrer le symbolique et l’imaginaire qui lui

résistent.

Ces trois ordres se rejoignent, ainsi, l’un à l’autre, dans le nœud

borroméen, par une continuité, par une relation de voisinage, et pas par une

relation d’ordre ou de hiérarchie.

Conférences et entretiens dans les Universités américaines

Massachusetts Institute of Technology


2 décembre 1975

L’imaginaire, assis première de la psychanalyse:

Dans cette conférence que Lacan fait aux Etats Unis en 1975, il

commence par une question, dit-il, « y a t-il de l’analyse une théorie ? oui,

certainement…. Après avoir beaucoup réfléchi, j’ai distingué deux assises. La

197
Lacan, Jacques. Séminaire XXII : R.S.I. Leçon du 17/12/74

115
référence au corps, d’abord. On peut s’apercevoir, pour l’analyse, que du corps

elle n’appréhende que ce qu’il y a de plus imaginaire ».198

Ainsi, à cette époque de son élaboration, Lacan considère que un de socles

de la psychanalyse, et d’ailleurs le premier, c’est le corps. Et la psychanalyse

n’apprendre de lui que ce qu’il a d’imaginaire, c’est à dire, que le corps pour

l’analyse c’est l’imaginaire, et donc, c’est l’imaginaire aussi qui occupe cette

place d’assis fondamentale et première pour la théorie psychanalytique. Lacan

fait bien remarquer, comme l’a rappelé Marie-Hélène Brousse 199, que cette

conception du corps comme imaginaire vaut pour le discours analytique, mais elle

ne vaut pas forcement pour le discours du maître, ni pour le discours universitaire

ni pour le discours de la science.

La forme et l’espace : conditions de l’imaginaire

Tout de suite, il continue : « Un corps ça se re reproduit par une forme »,200

c’est-à-dire que pour reproduire un corps, il faut une forme, c’est d’ailleurs la

seule façon qu’a le parlêtre d’appréhender le corps. Ce qui M.-H. Brousse a mis

en relation avec l’expérience de la cire chez Descartes, où il arrive à mettre en

évidence la matière par la perte de la forme, la matière au-delà de la forme, dit-

elle : « C’est la matière qui occupe un lieu, l’image n’occupe pas de lieu, le lieu de

l’image est complètement virtuel ».201 Donc, c’est encore une fois la forme et

198
Scilicet 6/7. Editions du Seuil, page 54
199
Brousse, Marie-Hélène. Séminaire de Recherche 2001-2002, « Retour sur l’imaginaire ».
Université de Paris 8. Inédit.
200
Scilicet 6/7. page 54
201
Brousse, Marie-Hélène. Séminaire de Recherche 2001-2002, « Retour sur l’imaginaire », inédit.

116
l’espace que comptent, qui sont fondamentales pour cette nouvelle re-élaboration

de l’imaginaire chez Lacan.

Autonomie de l’imaginaire :

Lacan continue : « Forme qui se manifeste en ceci que ce corps se

reproduit, subsiste et fonctionne tout seul »202, ça implique une autonomie du

corps, un isolement de l’imaginaire, autrement dit, une caractéristique de

l’imaginaire c’est le fait d’exister tout seul. C’est le contraire du signifiant qui a

toujours besoin d’un autre signifiant pour exister. Là-dessus, M.-H. Brousse se

pose la question : Est-ce que tout seul ça veut dire sans le symbolique ?, et elle

répond : « Ça veut dire, il y a de la forme que se manifeste dans le fait que le

corps n’a pas besoin du symbolique pour fonctionner en tant qu’image. Ça

consacre l’autonomie de l’image et du corps par rapport au symbolique »203. Ça

implique une bascule complète de ce qui était l’ordre hiérarchique des trois ordres

dans les années 60 chez Lacan, où le symbolique était déterminant par rapport à

l’imaginaire, et c’était lui qui dirigeait les deux autres ordres ; ici, il n’y a plus une

hiérarchie entre les trois ordres, il y a une autonomie de l’image.

Actualité du stade du miroir :

Tout de suite, Lacan fait référence à ce qui avait été sa définition initiale du

stade du miroir et ce qu’il en est dans l’actualité, il dit : « J’ai commencé par
202
Scilicet 6/7, page 54
203
Brousse, Marie-Hélène. Idem

117
mettre l’accent sur ce que Freud narcissisme, id est le nœud fondamental qui fait

que, pour se donner une image de ce qu’il appelle le monde, l’homme le conçoit

comme cette unité de pure forme que représente pour lui le corps ».204 Ainsi, sa

redéfinition du stade du miroir en 1975, implique que l’homme conçoit le monde

comme l’image de son corps, le monde a une forme anthropomorphique, il y a une

équivalence entre le monde et le corps pour le parlêtre.

De l’image du miroir à la sphère :

Puis, il continue : « ce corps, l’homme l’a vu, il l’a abstrait, il en a fait une

sphère : la bonne forme. Cela reflète la bulle, le sac de peau. Au-delà de cette idée

du sac enveloppé et enveloppant (l’homme a commencé par-là), l’idée de

concentricité des sphères a été son premier rapport à la science comme telle. »205

On a là le passage de l’image du miroir à la sphère, autrement dit, l’homme fait de

l’image spéculaire une sphère, ça a été sa première conception du corps, la sphère

implique la bulle, le sac de peau pas troué, l’enveloppe. Mais cette première

notion de la forme va changer, avec la réintroduction du trou, et la notion de que

l’image du corps doit être trouée pour pouvoir fonctionner.

De la sphère à l’image trouée :


204
Scilicet 6/7, page 54
205
Idem, page 54

118
La sphère comme telle n’est pas trouée, elle est une bulle, et comme tel

elle ne rend pas compte de la complexité de l’espace qu’inclut le trou, c’est à dire,

une espace où on puisse voir le dedans et le dehors. La réintroduction du trou, la

recherche du trou, amene à Lacan à une re-élaboration de l’image, en tant qu’elle

a besoin du trou pour fonctionner. Ce là qu’il commence son élaboration

topologique, en disant, q’il faut quelque chose d’un autre ordre que l’espace

sphérique, il lui faut un espace nouveau, une topologie différente pour rendre

compte de l’image, et il introduit les cercles.

Le cercle c’est la section de l’image de la sphère, la sphère coupée en

deux, et ça produit deux cercles mis à plat, cette mis à plat c’est un des traits

fondamentaux de l’image, et ce ça qu’il essayera de montrer avec le nœud

borroméen constitué précisément des cercles. Le cercle, d’ailleurs, dit-il, se

caractérise de faire trou, donc, on passe de la sphère pas trouée au cercle que lui

est un trou.

Ce qu’il essai de résoudre c’est que si l’image du corps en tant que sphère,

retrouve le statut de l’image pour pouvoir fonctionner, il faut qu’elle soit trouée,

ce n’est plus une sphère, ce n’est plus la bonne forme, ce n’est plus un corps pas

troué. Là-dessus, M.-H. Brousse avance la question : « Comment trouer l’image

du corps ? Qu’est-ce qui trou l’image du corps ? »206, question qui reste à

répondre.

206
Brousse, M.-H. Idem

119
1976 –1977, Séminaire XXIV : L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à

mourre.

Quelque chose qui va plus loin que l’inconscient : l’imaginaire.

Dans ce séminaire de 1976, intitulé « l’insu que sait de l’une-bevue s’aile à

mourre », ce qui par homophonie veut dire aussi : « l’insuccès de l’une-bevue

c’est l’amour », l’inconscient est définie comme l’une-bevue, est donc, l’insuccès

de l’inconscient, comme Lacan le dit, rend compte d’un Lacan insatisfait de la

psychanalyse, d’un désenchantement de la psychanalyse, comme l’a dit Jacques-

Alain Miller, d’une malaise du à un désenchantement de l’inconscient, au moment

où la théorie du signifiant cesse d’avoir un pouvoir principal, le réel prend poids,

et s’effectue une redéfinition complète de l’imaginaire.

Dans la leçon du 16 Novembre 1976, il dit : « Cette année, avec l’insu que

sait de l’une-bevue… j’essaye d’introduire quelque chose qui va plus loin que

l’inconscient », et tout de suite après, il se demande : « Quel rapport y a-t-il entre

cet intérieur, et ce que nous appelons couramment l’identification ? ».207 Il fait

référence à ce qu’il appelle « cet intérieur », qu’est le moi, et il revient à la

conception freudien de l’appareil psychique. Il cherche donc, le rapport entre le

moi, qui est une production imaginaire, et l’identification. On voit que dans ce

qu’il essai de saisir comme quelque chose qui va plus loin que l’inconscient, la

référence à l’imaginaire surgie immédiatement. Comme l’a indiqué M.-H.

207
Lacan, Jacques. Séminaire XXIV, « L’insu que sait… » inédit

120
Brousse, « dans ce quelque chose qui va plus loin que l’inconscient, l’imaginaire

trouve une nouvelle place ».208

Puis, Lacan rappelle les trois modes d’identification pour Freud, à savoir,

celle d’amour, l’identification au père ; l’identification hystérique ; et

l’identification au trait unaire. Et il se demande quel est le statut de l’identification

à la fin de l’analyse, à quoi s’identifie t-on à la fin de l’analyse ? Il refuse la

possibilité de que la fin de l’analyse soit une identification à l’analyste, et même

une identification à l’inconscient ; et il propose par contre la fin de l’analyse

comme une identification au symptôme.

De ce symptôme il dit : « le symptôme c’est ce qu’on connaît, et même ce

qu’on connaît le mieux. Que veut dire connaître ? Connaître son symptôme veut

dire savoir-faire avec, savoir le débrouiller, le manipuler. Ce que l’homme sait

faire avec son image, correspond à cela, et permet d’imaginer la façon dont on se

débrouille avec le symptôme. Savoir y faire avec son symptôme c’est la fin de

l’analyse »209

Cette nouvelle définition du symptôme, comme ce qu’on connaît, tient à la

nouvelle définition de l’image de cette époque de Lacan, au maniement que

l’homme fait de son image et avec le fait de se débrouiller dans un monde fait à

son image, autrement dit, un monde perçu avec la forme de son image même ; le

symptôme et l’image sont ici, d’une certaine façon, analogues. « La référence au

verbe connaître, comprendre, c’est déjà une référence à l’imaginaire ».210 Il

208
Brousse, M.-H. Brousse. Séminaire de recherche 2001-2001. Cours du 28/02/2002. inédit
209
Lacan, Jacques. Idem, leçon du 16-11-76
210
Brousse, M.-H. idem

121
propose donc, la fin de l’analyse, comme le savoir-faire avec son symptôme dans

le monde, de la même façon qu’avec son image.

Le tore :

Lacan prend appui de la figure topologique du tore, représenté par une

chambre à air qu’on peut retourner si on fait une entaille, en tant que le tore dit-il,

« se présent comme ayant deux trous autour de quoi quelque chose consiste »211, le

tore a deux trous qui se communiquent, un trou qui représente l’intérieur, et un

trou qui s’ouvre à l’extérieur, c’est à dire, quand on le retourne ça donne une

espèce de bande de moebius où l’intérieur et l’extérieur se rejoignent. C’est à

partir de là, que Lacan le prend comme modèle du corps, que substitue la sphère,

car elle n’est pas trouée. Ainsi, dit-il, « Ce tore n’a pas l’air d’être un corps, mais

vous allez voir qu’il suffit de le retourner »,212 le corps trouve ici un espace

totalement différent de celui du stade du miroir, c’est désormais une forme trouée

où l’extérieur et l’intérieur sont en continuité et se rejoignent. Le monde donc,

suivre le même modèle de bande de moebius que le corps, et il dit donc, à la fin

du cours du 14/12/76 : « Je vous annonce que le monde est torique ».

Le tore et l’analyse :

Ce figure du tore permet aussi à Lacan de proposer une thèse nouvelle

concernant la fin de l’analyse.


211
Lacan, Jacques. Idem, leçon du 14/12/76
212
Lacan, Jacques. Idem, leçon du 16/11/76

122
Il dit : « Il y a trois tores : Imaginaire, Symbolique et Réel. Qu’est-ce que

nous allons voir à retourner le Symbolique ?… le symbolique enveloppera

totalement l’imaginaire et le réel ».213

Et bien, le symbolique enveloppant l’imaginaire et le réel, c’est le premier

temps de l’analyse, c’est la préférence donnée à l’inconscient, ce recouvrement

du symbolique des deux autres ordres, produit pour un sujet, une dévalorisation de

l’imaginaire. Ce qui a été le sujet de son élaboration théorique pendant vingt ans.

Mais ici il propose une continuation, un deuxième temps nécessaire, à partir

justement du désenchantement de l’inconscient.

L’inconscient, qui avait été la visée principal dans une analyse, devient ici

une difficulté, et il l’appelle même une « débilité ». « La difficulté avec la

psychanalyse ce qu’on devient fasciné par l’inconscient ».214 Et donc, il propose

un deuxième temps, c’est d’ailleurs la raison qu’il donne à ce que Freud proposait

comme une deuxième tranche nécessaire pour les analyses ; un deuxième passage,

dit M.-H. Brousse, pour oublier l’inconscient, pour ne plus en être embarrassé de

cette conséquence du symbolique sur le corps.

Lacan propose donc, une deuxième coupure au tore, « il faudra pratiquer

une autre coupure, celle qui serait équivalent à une contre-analyse »,215 cette

deuxième coupure consisterait à restaurer le nœud borroméen dans sa forme

originelle, retrouver un nouage borroméen où l’imaginaire et le réel ne soient pas

recouverts par le symbolique, et que par contre, consisterait à redonner à

l’imaginaire et au réel leur place.

213
Lacan, Jacques. Idem, leçon du 14/12/76
214
Lacan, Jacques. Idem. Leçon du 11/01/77
215
Idem, leçon du 14/12/76

123
Brousse dit : « le symbolique perd ici ce pouvoir hiérarchique qu’il a dans

une analyse, et ça serait le moment où on deviendrait moins débile, c’est à dire,

plus articulé au réel et avec un autre rapport à l’image ». C’est un renversement

de la psychanalyse vers un au-delà de l’inconscient. La fin de l’analyse c’est à

cette époque de Lacan, une revalorisation de l’image et l’orientation vers le réel.

Ce qui d’ailleurs n’est sans rapport avec l’introduction de la notion du trou, très

étroitement lié au réel, et aussi à l’image, et distant par contre du symbolique, qui

lui ne rend pas compte de la complexité de la notion d’espace. Finalement, la fin

de l’analyse serait dirigée à la mis en évidence clinique du trou, à la mis en relief

du trou, plutôt qu’à la mis en relief du signifiant.

Structure ≠ Forme :

« L’intérieur et l’extérieur, dans l’occasion, à savoir concernant le tore,

sont-elles des notions de structure ou de forme ? Tout dépend de la conception

qu’on a de l’espace. Il y a certainement une vérité de l’espace qui est celle du

corps. Le corps est quelque chose qui ne se fonde que sur la vérité de l’espace ».216

Lacan, dans la leçon du 21 décembre 1976, fait une opposition entre

structure et forme que tient à la notion d’espace. La structure découle du

symbolique, et lui-même est un ordre aplatit, mis à plat, qu’en tant que tel, n’est

pas capable de montrer à la fois l’intérieur et l’extérieur, l’en dessus et l’en

dessous. C’est pour ça que Lacan prend appui du nœud borroméen, l’intérêt du

216
Idem. leçon du 21/12/76

124
nœud c’est justement d’introduire une notion d’espace qui montre, comme lui-

même le dit, la vérité de l’espace du corps.

« Chez Lacan -dit M.-H. Brousse- l’introduction du nœud borroméen,

c’est la notion d’espace à plusieurs dimensions, et donc, la réintroduction de

l’image ».217 La réintroduction, et à la fois modification, de la notion d’imaginaire

à la fin de l’enseignement de Lacan, tient donc à la nécessité d’un espace différent

à celui du symbolique, à celui du langage, un nouveau espace qu’exige plus de

deux dimensions. M.-H. Brousse dit : « Le nœud borroméen exige qu’on fasse

tenir ensemble la structure tel qu’elle découle du langage, tel qu’elle est le

langage, avec l’espace tel qu’il découle des formes. Autrement dit, c’est un retour

de la forme, sans la « bonne », et avec le trou ».218

Il y a donc, un retour à la forme, mais pas à la forme pas trouée du stade du

miroir, c’est ici une forme qu’inclut le trou, et comme telle exige un espace

différent de celui de la chaîne parlée. La réintroduction de la notion du trou est

couplée donc, avec un retour de la notion de forme par opposition à la structure.

Lacan continue : « Ceci nous porte à quelque chose de fondamental pour

ce qui est de la structure du corps, ou plus exactement, du corps considéré comme

structure. Que le corps puisse présenter toutes sortes d’aspects qui sont de pures

formes, c’est ce qui m’importe. La différence de la forme, de la forme en tant

qu’elle est toujours plus ou moins suggérée avec la structure, voilà ce que je

voudrais cette année mettre en évidence ».219 Ce qu’il essai avec la différenciation

de la forme et de la structure, ce non pas valoriser l’une en dépit de l’autre, c’est

217
Brousse, Marie-Hélène. Séminaire de recherche 2001-2002. Cours du 04/04/2002. inédit
218
Brousse. Idem.
219
Lacan, Jacques. Idem. Leçon du 21/12/76

125
plutôt, comme l’a remarqué M.-H. Brousse, articuler une nouvelle définition de la

forme à partir de la notion de structure et non pas définir la forme négativement à

partir de la notion de structure.

Brève Conclusion.

Cette dernière décade de Lacan, se caractérise par un retour, une re-

élaboration et une revalorisation des notions de forme, d’image, d’image du corps

et d’imaginaire. Et ce qu’amene à Lacan à revaloriser l’imaginaire à partir des

années 70, c’est la recherche du trou et d’un espace qu’en puisse rendre compte, à

savoir un espace topologique, différent à l’esthétique transcendantale que propose

un espace à deux dimensions. Le point de butée d’une analyse c’est désormais

l’orientation vers le réel en donnant sa place à l’imaginaire et au corps.

Nous voudrions finir avec une citation d’un paragraphe du séminaire Les

non-dupes errent, du 12 mars 1974, où Lacan nous confie une passion de jeunesse

dans sa période d’étudiant de médecine : « L’anatomie m’a pendant deux ans

passionné… ce que je cherchait dans la dissection, c’était de trouver un nœud…

dans un coin, une artère, ou un nerf, qui… qui huipp ! qui ferait ça ! Oui…je

m’en suis aperçu après, c’est pour ça que ça me passionnait… on ne sait jamais

qu’après… ! ». Nous pourrions dire, à partir de son dernier enseignement, que ça

126
témoigne d’un saut, suite à une recherche continue, rigoureuse et infatigable, il

cherchait un nœud imaginaire dans le réel du corps, et finalement il a trouvé un

corps imaginaire dans le réel du nœud borroméen.

Nous pourrions dire aussi, pour conclure, que ce mouvement de

l’enseignement de Lacan, trouve des correspondants dans des autres savoirs et

disciplines, le retour à la référence du corps et de l’image se trouve également et

notamment dans les arts, où depuis une vingtaine d’années le corps à regagné sa

place, après avoir été confiné à des motives purement ornementales, décoratives

et esthétiques.

Nous sommes dans un monde actuel où l’image joue un rôle de plus en

plus privilégié, l’image comme moyen de communication a pris la place de la

parole, avec une puissance encore plus remarquable qu’à l’époque où Lacan

enseignait. L’image en tant que mode d’expression du réel apparaît dans le monde

actuel d’une façon généralisé et d’une manière beaucoup plus puissante en

comparaison avec quoi que ce soit antérieurement.

C’est dans ce sens qui se dirigera la suite de notre recherche, en prenant

appui d’un peintre contemporain, nous essayerons de montrer qu’est-ce qu’il

résulte quand un peintre rend compte d’une époque et même s’avance à elle, en

revenant sur l’image du corps d’une façon assez particulier, pour montrer ce qu’il

appelle « le réel des êtres ».

127
Perspective de l’image, l’imaginaire et le corps dans la clinique lacanienne de

1970 à 1980

L’image spéculaire : porte d’entre des symptômes

Dès le début des années 70, Lacan revient à la référence au corps comme

fondement de l’expérience analytique, ainsi, en 1972, dans une Conférence faite

en Belgique, il dit: « Il est incontestable qu’il n’est pas éliminable que le corps

soit intéressé. Alors la référence à la jouissance, c’est à proprement parler ce que

met en question toute l’expérience analytique. S’il n’y avait pas de corps, il n’y

aurait aucun sens… Ce qui est vraiment la référence de l’expérience analytique

c’est le corps comme tel. ».220

Toute la clinique de Lacan dès lors dirigé au symptôme, prendra comme

support le corps ; le stade du miroir sera reformulé, mais la discordance interne

qu’en résulte restera, le corps conçu comme un extime, c’est à dire, comme le plus

220
Quarto, 1981, n°5, pp. 4-22 (Conférence du 14 décembre 1972)

128
intime et à la fois le plus étranger pour le sujet, sera rejeté, et l’expression de ce

rejet se traduira en symptômes.

Dans sa Conférence à Genève sur le symptôme en 1975, Lacan en donne

un exemple à partir du cas du petit Hans, il critique la proposition de Freud du

terme d’autoerotisme, à savoir, que Freud avait accentué l’autoerotisme, en ceci

que cette réalité sexuelle, l’enfant la découvre d’abord sur son propre corps.

Lacan n’en est pas d’accord et il propose une autre voie, concernant le cas

du petit Hans : ce qu’y s’y manifeste, dit-il, c’est que ce qu’il appelle son

wiwimacher, entre dans son monde, dans son circuit, autrement dit, il a ses

premiers érections, mais… « La rencontre avec leur propre érection n’est pas du

tout autoérotique. Il l’éprouve comme quelque chose étranger, le petit Hans ne

pense qu’à l’incarner dans des objets externes, à savoir, dans ce cheval qui piaffe,

qui rue, qui se renverse, qui tombe par terre, qui va et vient… Son symptôme c’est

l’expression de ce rejet ».221

Ce rejet donc, n’est pas du tout autoérotique pour Lacan, la jouissance

qu’en résulte, est à tel point senti comme étrangère, que c’est à partir de là que

surgit son symptôme, sa phobie dans le cas en question. La porte des symptômes

c’est donc la discordance interne initial résultant des premières expériences

spéculaires.

Le retour du corps :

221
Lacan, Jacques. Conference à Geneve sur le symptôme. 4/10/1975. Le Bloc-Notes de la
Psychanalyse, 1985, n° 5, pp. 5 – 23.

129
Il n’y a pas beaucoup d’exemples cliniques à la fin de l’enseignement de

Lacan, mais ses commentaires, très précises, nous font penser qu’il y a

effectivement un retour à la référence au corps dans sa pratique ; il conseille

encore un effort pour ne pas oublier sa fonction dans les symptômes, dans

l’expérience analytique, mais aussi dans la conception du monde.

En effet, s’il y a quelque chose qui persiste du stade du miroir aux années

70 – 80, c’est l’hominisation du monde, à savoir, que l’homme conçoit le monde

de la même façon que l’image de son corps, le corporeise dit Lacan, jusqu’à

arriver à nous proposer en 1975 la phrase suivante : « Peut être l’analyse nous

introduit à considérer le monde tel qu’il est : imaginaire ».222

Avec ce retour du corps, le signifiant prend aussi un nouveau statut,

comme Lacan le dit, par rapport aux symptômes psychosomatiques : « Avec le

signifiant, je n’ai pas du tout vidé la question. Le signifiant est quelque chose qui

est incarné dans le langage… La psychosomatique est quelque chose qui est tout

de même, dans son fondement, profondément enraciné dans l’imaginaire ».223

Mais les symptômes psychosomatiques ne sont pas les seuls affectés, sa

conception sur l’inconscient trouve aussi « une réserve » qui concerne d’une

certaine façon le corps : « L’inconscient est structuré comme un langage. Avec une

réserve : ce qui crée la structure est la manière dont le langage émerge au départ

chez un être humain » ;224 nous pouvons nous demander si cette réserve est en

rapport avec le corps, et suivant sa théorie du signifiant incarné dans le langage,

nous pourrons dire que le langage ne m’émerge pas chez un sujet sans que son

222
Lacan, Jacques. La Troisième. Lettres de l’Ecole freudienne. N°16, 1975. pp. 177 - 203
223
Lacan, Jacques. Conférence à Genève sur le symptôme. 4/10/1975. Publié dans Le Bloc-notes
de la psychanalyse, 1985, n°5, pp. 5 – 23. (L’italique est notre)
224
Scilicet 6/7. Conférence dans les Universités américaines. 24/11/75. P. 13

130
corps soit concerné, autrement dit, il faut un corps pour qu’un sujet devienne

sujet du langage.

Le sinthome et ses implications cliniques :

Dans son Séminaire de 1975 – 1976, Lacan étudie le cas Joyce, et propose

le concept de sinthomme, à savoir, ce qui fait tenir ensemble le symbolique,

l’imaginaire et le réel. Chez Joyce, où le signifiant du Nom-de-père manque,

Lacan propose que cette carence paternelle est compensé par son art. Son art

comme symptôme (ou sinthomme) lui permet de faire subsister le père, sa famille,

et même ce que Joyce appelle my country.

Dès lors, toute la clinique de Lacan sera centrée sur ce symptôme, il

proposera ainsi que dans l’analyse, il ne s’agit plus d’identification à l’analyste, ni

d’identification à l’inconscient, désormais il s’agit d’identification au symptôme ;

comme lui-même le dit : « Connaître son symptôme, savoir faire avec, savoir le

débrouiller, le manipuler, ça correspond à ce que l’homme sait faire avec son

image. Savoir y faire avec son symptôme c’est la fin de l’analyse ».225

Cette clinique orienté vers le symptôme implique aussi une interprétation

précise, comme il le dit : « Contre le symptôme nous n’avons qu’une arme :

225
Lacan, Jacques. Séminaire « L’insu que sait de l’une-bevue s’aile à mourre », 1976 – 1977,
cours su 16/11/76

131
l’équivoque »226, en conséquence, en aucun cas une intervention analytique ne doit

être théorique, suggestive ou impérative, elle doit être toujours équivoque.

Francis Bacon

Peintre britannique (Dublin, 1909 – Madrid, 1992)

Vie et oeuvre

Vie :

Francis Bacon naît à Dublin le 28 novembre 1909, de parents anglais, il a

quatre frères et sœurs. Son père, le commandant Edward Anthony Mortimer

Bacon, de vingt ans l’aîné de son épouse, a quitté l’armée britannique pour se

consacrer à l’élevage et à l’entraînement des chevaux, métier qu’il a exerce

jusqu’à la fin de sa vie. Sa mère, Christine Winifred Firth, était, selon le jeune

Bacon, dotée d’une intelligence vive mais peu formée, et d’une nature facile et

sociable.

A la déclaration de la guerre, en 1914, le père de Bacon a pris un emploi au

ministère de la Guerre, et la famille s’est installé à Londres, le jeune Bacon avait

cinq ans. Ensuite, ils bougent entre l’Angleterre et l’Irlande, changeant de

domicile tous les ans, sans jamais créer un véritable foyer. A cause de ces

226
Lacan, Jacques. Séminaire « Le Sinthomme », 1975 – 1976. Cours du 18/11/75

132
déménagements, et de l’asthme dont Bacon a souffert toute sa vie, il suit une

scolarité très irrégulière, et plutôt autodidacte qu’officiel.

L’enfance de Bacon a été marquée surtout par l’atmosphère de tension et

de violence, dans le milieu quasi militaire où il a vécu ; les relations difficiles à

son père, son « salaud de père » comme il le désigne toujours cinquante ans plus

tard, et le peu de contact avec sa mère ; ainsi que l’agitation en Irlande et celle de

la Première Guerre Mondiale, lorsqu’il habitait Londres. Il dira souvent que la

proximité d’une menace guerrière a été pour lui une expérience fondatrice.

Dans les entretiens avec David Sylvester, Bacon parle de son père comme

d’un personnage irascible, intolérant, dictateur, censeur, prompt à faire la morale

et à transformer les discussions en disputes. Il le juge comme un « entraîneur

raté » qui ne lui avait rien appris, comme un père ombrageux et autoritaire, avec le

monde et avec ses proches. Il dira aussi : « Je ne me suis jamais entendu ni avec

ma mère ni avec mon père. Ils ne voulaient pas que je sois peintre ; ils pensaient

que j’étais simplement quelqu’un qui va à la dérive, - surtout ma mère ».

Ce père-là qui n’a rien voulu savoir d’un projet de carrière de peintre pour

son fils, et qu’en plus ce dernier était devenu un personnage non-conventionnel et

sans interdit, hors des lois morales de la famille ; lui met dehors de la maison à

partir d’un épisode légendaire que lui-même raconte : « Un jour, mon père m’a

surpris en train d’essayer la lingerie de ma mère. Je devais avoir quinze ou seize

ans. Il m’a chassé de la maison ».227 Plus tard, il dira de son père : « Je ne l’aimais

pas, mais j’étais sexuellement attiré vers lui quand j’étais jeune. La première fois

que je l’ai senti, je savais à peine que c’était sexuel. Ce n’est que plus tard, quand

227
Sylvester, David. Entretiens avec Francis Bacon.

133
j’ai eu des aventures avec les palefreniers et les gens des écuries, que j’ai réalisé

que c’était quelque chose de sexuel que j’éprouvais envers mon père »

Voilà Bacon en 1925, qui sort à se frotter au monde, pour ne jamais revenir

au foyer familial. Dédié à une vie de liberté et de plaisir, comme lui-même dit, à

une vie de « rien faire », il trouve des petits boulots à Londres, puis il voyage à

Berlin pour y séjourner quelques mois, et ensuite à Paris, où pas seulement il fait

des connaissances qui l’amènent à accepter définitivement son homosexualité,

mais aussi il trouvera ce qui sera sa passion dès 1929 à 1992 : le monde de la

peinture, activité à laquelle il se dédiera avec rigueur et discipline pendant 63 ans

de sa vie.

C’est surtout le passage par Paris entre 1927 et 1929, où il vit des

expériences de peinture déterminants que le marquent à vie : la fréquentation du

musée Condé à Chantilly, où le fascine « Le massacre des Innocents » de Poussin,

et surtout une exposition de Picasso à la galerie Paul Rosenberg, premier contact

avec l’art moderne, où il se reconnaît et décide de son intérêt pour les arts

plastiques.

Il commence à vivre du travail de décoration d’intérieur et de création de

meubles. Mais très peut de temps après l’aquarelle le tente, et ses premières

peintures à l’huile, il semble les avoir entreprises dans l’atelier qu’il occupe à son

retour à Londres en 1929, quand il avait à peine vingt ans. A partir de là sa carrière

dans les arts plastiques ne s’arrêtera jamais. Même s’il a dédié plus de 60 ans à la

peinture, il déclare, dans ces entretiens avec Sylvester, dans les dernières années

de sa vie : « Je regrette maintenant d’avoir été un débutant si tardif. Il semble que

134
j’aie été un débutant tardif en tout. J’étais en quelque sorte retardé. J’ai toujours le

sentiment d’avoir gâché tant d’années de ma vie ».

Œuvre :

En 1930, âgé de 21 ans, Bacon expose dans son atelier ses premiers

œuvres, surtout des paysages, tandis qu’il continue son métier de décorateur, et la

revue The Studio reproduit à l’époque ses dessins des tapis et des meubles.

Pendant une quinzaine d’années, il peint et expose sporadiquement à Londres.

En 1933, il fait sa première Crucifixion, (voire image 4), tableau

qu’inaugure un thème qu’il poursuivra pendant tout son œuvre. Pendant la

deuxième Guerre Mondiale, dont il est reformé à cause de son asthme, il détruit

un grand nombre des ses toiles, des années 1929 et 1942, il ne subsistent qu’une

dizaine des tableaux, la plupart dans des collections privés, (voire images 1, 2, et

3).

En 1944, installé définitivement à Londres, il choisit et se consacre à la

peinture comme activité principale. Cette année même, il expose son premier

triptyque Trois Etudes de figures au pied d’une Crucifixion, (voire image 5),

format qu’il utilisera très souvent pendant tout son œuvre. Dans cette exposition

avec Henry Moore et Graham Sutherland, la critique le consacre pour son talent,

son audace artistique, et surtout le reconnaît comme un peintre hors commun,

avec un style différent de toute représentation traditionnelle.

135
136
137
Dès lors, les expositions collectives et personnelles, se succèdent et se

multiplient. En 1949, une exposition important se tient à la Hannover Gallery, à

Londres, l’ensemble des œuvres présentés rendent compte d’un artiste en pleine

maturité, elles présentent les thèmes qui ne cesseront d’êtres reprises dans les

toiles suivantes pendant toute sa vie : têtes et corps déformes, portraits des papes,

déformation du tableau d’Innocent X de Vélasquez (voire image 6), ou de

photographies de Pie XII, têtes grimaçantes et hurlantes, bouches ouvertes

représentant le cri, carcasses animales, avatars des bœufs, etc.

Dans les années 1950, Bacon s’intéresse à l’œuvre et au personnage de

Van Gogh, plusieurs tableaux lui sont dédiés (voire images 7, 8, 9 et 10).

Dans cette époque Bacon voyage beaucoup, surtout à l’étranger, change de

domicile fréquemment, et alterne de longues périodes de stérilité, occupés par le

jeu et l’alcool, et des phases d’activité créatrice intense.

En 1954, il est choisi, avec le peintre abstrait Ben Nicholson et du figuratif

Lucian Freud, pour représenter l’Angleterre à la biennale de Venise.

Pendant les années 1950, ses œuvres sont exposés en France, aux Pays-

Bas, en Italie et aux Etats-Unis. Entre 1962 et 1964, une exposition itinérante

triomphe de la Tate Gallery à Londres, à l’Art Institute of Chicago, en passant par

138
Mannheim, Turin, Amsterdam et New York. En 1971, une rétrospective de Francis

Bacon est présenté au Grand Palais à Paris. Depuis cette date, les manifestations

se multiplient à travers le monde, comme en 1973 à Caracas et à Sao Paulo, en

1985, à nouveau à la Tate Gallery, et, en 1991, au Museum of Modern Art de New

York.

Le 28 avril 1992, au cours d’un voyage à Madrid, la mort le surprend, il

avait 83 ans.

139
140
141
142
Références visuelles et littéraires de son œuvre

Bacon refusait son appartenance aux grands mouvements artistiques dont

on lui liait souvent, ce pendant il reconnaît son admiration pour certains peintres

qu’il prend comme référence dans son œuvre, comme lui-même le dira : « dans la

peinture il n’y a pas d’héritage, mais des échos »228.

Il dira par exemple, que Picasso est pour lui le plus grand peintre du siècle,

dont ces œuvre de 1926 – 1930, joueront pour Bacon un rôle de déclenchement et

lui ouvreront la porte du monde de la peinture.

Mais Michel-Ange aussi joue un rôle fondamental, il le nommera comme

« son peintre préféré »229, qui lui a appris beaucoup des choses sur l’ampleur et la

grandeur de la forme. Il dira : « Comme la plupart de mes figures sont tirées du nu

masculin, je suis certain d’avoir été influencé par le fait que Michel-Ange a crée

les nus masculins les plus voluptueux qu’il y ait dans les arts plastiques ».230

Dans un entretien en Liberation, Henri-François Debailleux lui demande

quels artistes lui avaient marqué à part Picasso, et il répond que dans un premier

moment à part Picasso, l’art égyptien c’était son style préféré, surtout la sculpture

Rêhetep et sa femme, qui se trouve au musée du Caire, dont il dira que c’est

l’œuvre « la plus merveilleuse qu’existe ».

Il dira aussi dans cet entretien : « D’abord, j’ai aimé l’art égyptien.

Ensuite, plus tard, j’ai aimé énormément Vélasquez et certains Goya. Je sais qu’il
228
Sylvester, David. Entretiens avec Francis Bacon
229
Entretiens avec Jacques Michel. Le Monde, 26 janvier 1984
230
Sylvester, David. Idem

143
y a des très grands italiens, mais les plus intéressants à mes yeux sont les

espagnols. Et puis, plus tard encore, il y a ce moment extraordinaire en France

avec Seurat, Cézanne et toute cette époque-là. Les dessins de Seurat sont tout à

fait exceptionnels, comme ceux de Giacometti d’ailleurs, que je préfère de loin à

ses sculptures ».231

De Giacometti il admire aussi sa clarté d’esprit, il dira : « c’était l’être

humain pour moi le plus merveilleux, l’un des hommes les plus remarquables que

j’ai vu. C’était un artiste étonnant pour moi, et le plus grand dessinateur du siècle

XX ».232

Son admiration pour Van Gogh se fait évident aux années 50, il lui dédie

plus d’une dizaine des tableaux, et il le nommera comme « l’un de mes grands

héros ».233 Il admire chez Van Gogh sa capacité d’être presque littéral et

cependant, par la manière dont il a travaillé la peinture, il est arrivé à montrer ce

que Bacon appelle « la réalité des choses », le sentiment de la vie.

D’ailleurs il cite fréquemment une phrase classique que Van Gogh écrit

dans une de ses lettres, où il parle de la nécessité de faire subir à la réalité des

changements qui seront des mensonges plus vrais que la vérité littérale. Et bien,

Bacon essai de faire exactement la même chose avec ses œuvres, comme lui-

même le dit : « Ce que je veux faire, c’est déformer la chose et l’écarter de

l’apparence, mais dans cette déformation la ramener à un enregistrement de

l’apparence ».234

231
Entretien avec Henri-François Debailleux. Liberation, 27 septembre 1987
232
Bacon, Francis. Entretiens avec Jean Clair. 1996. Edition Carré.
233
Idem
234
Sylvester, David. Idem

144
Il dira aussi que le meilleur cri en peinture a été fait par Poussin.

Chez Ingres il adore la forme et les couleurs, et il lui dédiera un de ses

tableaux à 1978, (voire Image 11) .

Et bien sur, chez Vélasquez, il prend comme référence principale son

tableau d’Innocent X, qui se trouve dans la Galerie Doria Pamphili à Rome, dont

il trouve les couleurs les plus formidables, et dont il fera plusieurs reproduction

tout au long de sa vie ; la plus remarquable, reconnu comme un chef d’œuvre,

c’est l’Etude d’après le portrait du pape Innocent X par Vélasquez, de 1953.

(Voire Image 6).

A la fin de sa vie, dans un entretien fait par Jacques Michel, publié dans Le

Monde, le 26 janvier 1984, on lui demande d’abord quels tableaux il aimerait

avoir chez lui, et il répond que la seule œuvre qu’il aimerait avoir dans sa maison

c’est Les Menines, mais qu’il imagine son musée personnel qu’il décrit de la façon

suivante :

« Mon musée est peuplé d’œuvres de certains peintres de substance. Je

devrais commencer par les autoportraits de Rembrandt, ces tableaux

immenses de la fin de sa vie. J’aime Vélasquez. J’aime Ingres et Seurat

aussi. Cézanne vers la fin de sa vie, avait oublié son système et trouvé

une manière extraordinaire. Comme Goya, peu avant sa mort, avec son

énorme Junta. Les peintres, je les préfère vers la fin. Peut être qu’après

tout la peinture est un affaire de vieux… Pensez à Rembrandt, à Titien, à

Goya, à Cézanne, tous meilleurs sur le tard… Sauf Picasso, dont je

n’aime pas les œuvres dernières. Il a raté sa sortie ».

145
L’appétit de références de Bacon est multiple, pas seulement il prend de

références visuelles mais aussi de références littéraires. Tout son œuvre est

imprégné du théâtre antique, pas seulement de sa puissance, mais aussi des ses

personnages, ses figures et sa scénographie.

L’Orestie d’Eschyle par exemple, dont il dira que « c’est une chose

absolument incroyable » inspirera plusieurs tableaux, un des plus connus c’est le

Triptych inspired by the Oresteia of Aeschylus, de 1981, (voire image 12).

Il trouvera aussi des références dans les grandes figures de la poésie de

langue anglaise de ce siècle. Chez William Yeats par exemple, poète, dramaturge,

mais aussi homme politique irlandais, dont l’écriture joue pour Bacon

l’inspiration « d’un horreur qui a une véritable vibration ».

Et T.S. Eliot, figure de la modernité dans le monde anglo-saxon de l’entre-

deux guerres, dont Bacon admire « l’atmosphère totale de désespoir ». L’une de

ses dernières toiles, Peinture 1978 (voire image 13) où il y a un homme qui tourne

une clé dans une porte avec son pied, vient du poème de T.S. Eliot, qui se trouve

dans la dernière page de La Terre gaste (Seuil, 1947) :

« J’ai entendu la clé


Tourner une fois, une seule fois, dans la serrure
Nous pensons à la clé, chacun dans sa prison
Penser à la clé, et par là confirmant sa prison »

D’ailleurs, le tableau Un coin de terre gaste, de 1982, (voire image 14),

c’est un autre témoignage des échos d’Eliot chez Bacon.

146
Dans le cinéma aussi, Bacon trouve plusieurs références, dans les films

d’Eisenstein par exemple, surtout il prend souvent appui de l’image de l’épisode

célèbre des marches d’Odessa avec la nurse hurlant, dans le film Le cuirassé

Potemkine.

Et de Luis Buñuel, surtout de ses films les plus anciens, dont il trouve

« qu’il y avait chez lui comme chez Eisenstein, une remarquable précision de

l’image ».235

235
Bacon, Francis. Entretiens avec Jean Clair. 1996. Edition Carré.

147
148
Le style particulier de Bacon

149
L’originalité du style de Bacon lui donne son pouvoir et son succès pas

seulement dans le monde de l’art, mais le situe aussi comme un précurseur d’une

époque et d’un mouvement de la pensée contemporaine pas seulement artistique,

mais aussi philosophique, médiatique, et même psychanalytique.

Ce style là se caractérise par trois éléments fondamentaux :

1. Intemporalité :

Tandis que l’art abstrait semble dominer le XXº siècle, le corps humain

n’offrant plus aux artistes qu’un prétexte à motifs ornementaux, Bacon rejette

l’abstraction, à laquelle il reproche de n’être que purement décorative.

Il fait du corps humain le centre de son œuvre, avec une particularité encore

plus loin de la tradition, ces corps il les déforme. Il dit adieu à la belle forme

adoré, et il choisit précisément, ce que Lacan a appelé « la forme du corps que

nous préférons oublier »236.

L’art de Bacon rend compte, c’est un reportage d’une culture, et même

s’avance à elle. Marie-Hélène Brousse, dans son séminaire « Retour sur

l’imaginaire »,237 disait que l’œuvre de Bacon était résolument hors jeu du marché

de son époque, sa théorie sur l’art, totalement en contre sens de la tradition, lui

laissait dans une espèce d’isolement, en tant que dans un siècle no figuratif, il

revient à l’image du corps humain, le corps pour metaphoriser quoi que ce soit,

avec une autre et nouvelle façon de peindre, en disant adieu à la bonne forme, à la

forme adorée.
236
Lacan, Jacques. Séminaire Les non-dupes errent. Inédit
237
Brousse, Marie-Hélène. Séminaire de Recherche 2001 – 2002. Inédit.

150
C’est la fin de la figuration comme illustration. Bacon, un peintre né avec

le début d’un siècle, s’avance, agit dans le même sens et aboutit au même endroit

qu’un siècle qui finisse avec la disparition de la belle forme, et avec une

autonomie de l’image comme moyen principal de communication humaine.

2. La photographie et les déchets dans l’art pictural :

Outre cette interprétation inédite du corps et du visage humain, l’une des

grandes originalités de ce peintre réside dans l’utilisation de la photographie et les

déchets, qu’il fait intervenir dans sa peinture.

Il s’inspire des photographies insolites, soit par les attitudes étranges des

figures, soit par les déformations dues à l’angle de la prise de vue ou aux effets de

lumière, des photographies de lutteurs, des livres de médicine, des animaux

sauvages, des morceaux de viande, images des radiographies, et aussi des cartes

postales, morceaux des journaux, et même de la poudre.

C’est une espèce de mélange des déchets qui produisent une nouvelle

esthétique, un ordre nouveau et complètement différent, et en conséquence un

nouvel imaginaire.

Ça subverti sans doute les idéaux d’ordre et de beauté. Ce un ordre parallèle à

tout idéal. Marie-Hélène Brousse disait que « dans la modernité, les déchets

envahissent, prennent le pas sur le corps, sur la bonne forme ».238

238
Brousse, Marie-Hélène. Séminaire de recherche 2001-2002. Séance du 22/11/2001.

151
D’ailleurs, les personnages des tableaux sont représentés toujours dans des

postures quotidiennes ou bien intimes : en train de faire l’amour, dans le lavabo,

déféquant, couchés, recroquevillés, etc.

3. Le Mouvement

L’influence de la photographie se retrouve aussi dans les traits de pinceau qui

distordent les personnages, saisis en plein mouvement, à la façon d’un instantané

raté. Bacon essayait toujours de peindre des figures en mouvement. Les œuvres

sont souvent de diptyques ou de triptyques, les panneaux présentent, comme des

diapositives, différents angles de vue : Différentes expressions des visages ou

positions des corps successifs.

Bacon dit : « Je vois chaque image tout le temps de façon mouvante et presque

par séquences mouvantes. Je vois les images par séries, et je suppose que je

pourrais aller au-delà du triptyque et en faire cinq ou six à la file, mais je trouve

que le triptyque est un ensemble plus équilibré ».239

Le principe consiste à assembler des attitudes et des mouvements différents

dans la même figure, où chacun reçoit un traitement spécifique et indépendant.

Les lois des triptyques ne suivrent pas un ordre de successions ni de hiérarchie

de droite à gauche, elles n’assignent non plus au centre un rôle unique. Il y a

plutôt un voisinage, une continuité pour montrer un mouvement, des mouvements

propres du corps humain.

239
Sylvester, David. Œuvre cité

152
L’image du corps chez Francis Bacon

La théorie de Bacon sur ce qui devrait être l’art, c’était une tentative

d’atteindre ce qu’il appelait le réel à travers des images.

153
Il disait : « Le grand art est toujours une manière de concentrer, de réinventer

ce qu’on appelle réel, en déchirant les voiles que le réel acquiert avec le temps ».

« L’art c’est vouloir qu’une chose se rapproche les plus possible du fait réel ». « Je

fais des images et à travers ces images je tente de piéger la réalité ».240 Dans une

entretien avec Jacques Michel à la fin de sa vie, il dit : « ce que je cherche,

maintenant je le sais, c’est le réel ».241

Le réel entendu par lui, comme l’essence de l’être, la vérité des êtres humains,

autrement dit, sa position de jouissance dévoilée dans l’image du corps.

L’attachement à l’image est au fondement de la pratique de Bacon. Image

du corps, comme il en produit presque de manière exclusive ; image comme

condition de la vision et du rapport au réel ; image comme matière première à

partir de quoi l’on peint.

Ce qu’il entend par image, tient à l’évidence instantanée qui s’impose aux

sujets sans délai ni parole. Elle est le moyen de Bacon de s’adresser « directement

au système nerveux ».

Il a essayé très longtemps de faire l’image « unique », l’image parfaite,

comme il disait : « ce qu’on espère toujours, c’est peindre le tableau unique

qu’annulera tous les autres, condenser tout dans un seul tableau », mais à la fin de

sa vie il changera d’avis : « Je ne suis pas obsédé par l’idée de faire l’image

unique, peut être parce que j’espère continuer à peindre jusqu’à ma mort et que, si

l’on faisait l’unique image absolument parfaite, on ne ferait plus jamais

rien…. »242

240
Sylvester, David. Entretiens avec Francis Bacon. 1984
241
Entretien avec Jacques Michel. Le Monde, 26 janvier 1984
242
Sylvester, David. Oeuvre cité.

154
Le traitement du corps chez lui, se caractérise par certains éléments qui se

répètent tout au long de son œuvre :

1) La Déformation :

Cette façon de piéger l’image, la forme, a donné comme résultat une

peinture caractérisée par des corps humains déformés, morcelés, démembrés, des

personnages qui coulent, qui se débondent, qui se décomposent. (voire ses Etudes

du corps humain, images 15 à 20).

C’est une espèce de fabrication des images du rien avec de la matière qui

coule. Des images de la sexualité et la violence charnelle, de l’instantanéité d’une

réalité crue. La présence extrême du corps.

Bacon disait : « Je ne sais vraiment pas comment ces formes particulières

se produisent », « Je ne déforme pas le corps pour le plaisir de les déformer, mais

pour transmettre la réalise de l’image dans sa phase la plus poignante. C’est la

seule façon que je connaisse pour arriver à quelque chose qui se rapproche le plus

possible de la vie ».243

Ce qui dans ces tableaux peut représenter le réel, au sens lacanien du

terme, c’est la vie. Si bien c’est par l’imaginaire des corps, par cette pluie de corps

humains, qu’on arrive à avoir l’impression d’être en face du réel ; le corps et les

images ne sont pas le réel, c’est plutôt la vie. Comme il le dit ailleurs : « Ce qui

m’intéresse davantage c’est saisir dans l’apparence des êtres la mort qui travaille

en eux, à chaque seconde, pendant leur vie »244


243
« Est-il méchant ?, entretien fait par L’Express, 15/11/71)
244
Entretien avec Jacques Michel. Le Monde, 3/11/71

155
Il s’agit d’ailleurs chez Bacon des corps où l’enveloppe corporelle n’est

plus imperméable, la chair dénuée est menacée de blessures et de déchirures, la

peau se transforme en une membrane trouée, l’épiderme se confond avec les

viscères.

Ce qui nous amene au deuxième principe de l’image du corps de Bacon, à

savoir, l’image du trou corporel, par où l’intérieur et l’extérieur se confondent, et

le corps devient une espèce de bande de möebius.

156
157
2) Le cri et la bouche ouverte :

Le principe des images du corps de Bacon ce n’était pas seulement la

déformation, mais aussi une représentation où l’intériorité du corps est projetée à

l’extérieur, de corps qui montrent son dedans et son dehors. C’est pour ça qu’il a

fait un effort énorme pour peindre le cri, la bouche ouverte, l’image du trou

158
corporel, (voire images 5, 6 et 21). Ce qui pourrait être sa réponse à la question de

comment trouer l’image du corps, en utilisant comme moyen d’accès au corps, la

forme ; et comme moyen d’accès a la jouissance, un au-delà de la forme, à

« l’enforme de a » comme disait Lacan.

Le cri, la bouche ouverte, implique trois éléments :

- D’abord, la limite entre l’extérieur et l’intérieur du corps,

- Deuxièmement, c’est le trou ouvert du rien, du vide, c’est qu’amene aussi

à l’horreur,

- Et troisième élément, c’est le cri comme un appel impossible, en tant que

s’est fait de ce qui ne s’articule pas, c’est un cri silencieux devant lequel

toute parole s’arrête, un au-delà de l’articulation, et tout l’effort de Bacon

a été dirigé à faire une peinture sans mots, sans histoires ; cette forme

centrale de la bouche ouverte, qu’occupe presque tous les tableaux et

portrait de Bacon, cette une présence extrême qui ne dit rien, c’est une

affirmation muette, sans message.

Nous avons en psychanalyse la bouche ouverte d’Irma, que Lacan commente

dans son Séminaire II,245 il distingue deux éléments de la phénoménologie du rêve

d’Irma par rapport à la bouche ouverte : « Le premier aboutit au surgissement de

l’image terrifiante, chose d’à proprement parler innommable, le fond de cette

gorge, est à l’excellence, l’abîme de l’organe féminin d’où sort toute vie ; et

245
Lacan, Jacques. Séminaire II. Page 196

159
deuxièmement, le gouffre de la bouche, où tout est englouti, et aussi bien l’image

de la mort où tout bien se terminer ».

Lacan dit aussi : « Il y a donc apparition angoissante d’une image qui résume

ce que nous pouvons appeler la révélation du réel dans ce qu’il a de moins

pénétrable, du réel sans aucune médiation possible, du réel dernier, de l’objet

essentiel qui n’est plus un objet, mais ce quelque chose devant quoi tous les mots

s’arrêtent et tous les catégories échouent, l’objet d’angoisse par excellence ».

Il s’agit de la même façon pour Bacon de chercher une sorte de vécu dernier

chez l’être humain, un objet ultime appréhendé au-delà de toute médiation

symbolique, une expérience au-delà de toute intersubjectivité. Et c’est par les

images que cet au-delà de l’intersubjectivité est atteint, et ce qui résulte c’est

forcement l’image de la dislocation et du morcellement même, du déchirement

essentiel du sujet. C’est une tentative d’annulation de toute interposition entre le

sujet et le monde, entre l’unwelt et l’inunwelt.

160
3) Les figures anthropomorphes :

Une des théories plus fortes de Bacon, se dirige vers un domaine que selon

lui a été ouvert par Picasso, mais qu’en un certain sens n’a pas été explorée, il le

définit de la façon suivante : « Toute forme se rapporte toujours à l’image

161
humaine mais en est une complète distorsion ».246 C’est sa définition de la forme,

qui correspond point par point à la définition du stade du miroir de Lacan à la fin

de son enseignement, à savoir, que toute forme perçue dans le monde par les êtres

humains, c’est une forme anthropomorphique.

Il disait par exemple, dans les entretiens avec Sylvester : « Je regarde des

livres sur les animaux sauvages, parce qu’il se peut très bien que l’une de ces

images m’éveille et me suggère une manière de traiter le corps humain », et aussi :

«Il y a un livre que j’ai acheté, il y a des années, d’images des filtres, des filtres de

différentes espèces de liquides, mais la manière dont ils étaient faits suggérait

toutes sortes de façons de traiter le corps humain. Après tout, le corps est en un

certain sens un filtre ».

Pas seulement toute l’œuvre de Bacon rend compte de ce fait, mais aussi

sa façon de peindre, qu’il définissait comme « par accident », c’est à dire, que

même s’il prenait comme modèle une figure non humaine, le résulté c’était

toujours une forme ressemblant le corps humain.

Par exemple, dans son œuvre, Peinture 1946, (voire image 22) l’image se

transforme par accident, Bacon a commencé par peindre ce qu’il croyait d’être un

chimpanzé dans l’herbe haute, après il a continué en essayant avec un oiseau

atterrissant dans un champ, et presque involontairement il a terminé avec une toile

monumentale où sont rassemblées plusieurs de ses préoccupations : la viande, le

dictateur, la bouche ouverte et le corps humain montrant son extérieur et son

intérieur.

246
Sylverster, David. Œuvre cité

162
Et même quand il peint de choses ou des éléments de la nature, la

référence au corps humain est toujours présente. Par exemple, dans le tableau

Sang sur le plancher, 1986, (voire image 23), où il y a sur un plancher du sang qui

coule en gouttes ; même sur des objets apparentement sans rapport avec l’humain,

il projette la vie du corporel, et la référence au dedans et au dehors du corps

humain.

Les tableaux des animaux sont un autre exemple, où il y a des chiens

courbés avec des positions humaines, (voire image 24), où même un chimpanzé

qui cri avec la même expression du visage de tous les autre portraits et

autoportraits de Bacon, tableau que pour cette même raison, s’appelle

« chipmanzee » (voire image 25).

D’autres exemples des éléments de la nature avec des formes humaines, se

trouvent dans les tableaux Jet d’eau, 1979, ou bien, Water from a running top,

1982. (voire images 26 et 27). Et aussi dans Les Dunes de Sable, de 1981 et 1983,

(voire images 28 et 29), où plus nous regardons les dunes, plus ces dunes prennent

des allures d’anatomie humaine. Ces surfaces qui roulent, glissent et se soulèvent

ressemblent plus la chair que le sable, une chair qui est d’ailleurs, animé par une

toute-puissante sexualité. Et c’est ça finalement qui caractérise l’œuvre de Bacon,

la puissance sexuel de ses toiles.

163
164
165
166
167
DEUX AU-DELA DANS L’ŒUVRE DE BACON ET DANS L’ART

CONTEMPORAIN

Au-delà du sens :

168
Jacques Alain Miller disait dans son cours « Le lieu et le lien », que quand

on arrive à traverser l’imaginaire vers le réel, le symbolique devient ridicule. On

pourrait dire non nécessaire, il n’y a pas de lieu pour le symbolique.

Bacon disait que le bon art évitait la narration, que une bonne peinture

c’était celle qui touchait directement le système nerveux, et pas une peinture qui

racontait une histoire dans un long discours : « Je ne veux rien dire avec la

peinture, la narration est une manière de tuer la peinture, un aveu d’impuissance ».

C’est ça la différence avec une forme illustrative, disait-il, « une forme

illustrative vous dit immédiatement en passant par l’intelligence ce que la forme

signifie, une forme non illustrative agit d’abord sur la sensibilité, et ensuite vous

ramène goutte à goutte, au fait ». Il voulait faire une peinture qui ne dise rien,

arriver avec les images à ce que font les sténographes avec les mots, le signe en

raccourci à la place de la phrase. D’ailleurs ses tableaux n’avaient jamais de titres,

pour Bacon l’idéal c’était un tableau sans nom, puisque ça empêchait au

spectateur de construire une histoire autour du tableau. Ils étaient les galeries

qu’inventaient des titres pour pouvoir classifier les œuvres.

C’est la fin de la figuration comme illustration, c’est une nouvelle forme

de l’art qui permet une autonomie de l’image. C’est à la fois un retour au premier

imaginaire de Lacan, au corps morcelé, c’est une représentation sans le stade du

miroir, et au même temps, c’est aussi le privilège de l’image de la fin de Lacan, en

tant que l’image gagne en dignité puisque désormais l’image, la forme et le corps

n’ont plus besoin du symbolique pour fonctionner.

Au-delà du narcissisme :

169
Cette tentative pour que la figuration atteigne le réel de la manière plus

poignante, pour qu’elle dévoile « le mystère de la chose humaine », comme Bacon

disait, implique déformer la chose et l’écarter de l’apparence, écarter les voiles et

les écrans, ce qui élimine le registre du beau, de la bonne forme.

C’est un autre au-delà, un au-delà du beau, du narcissisme. Eric Laurent

dans une intervention fait l’année dernière dans le séminaire de J.-A. Miller,

parlait d’un au-delà de l’image qu’implique un rapport du corps à « l’enforme »,

c’est le mot que Lacan utilise pour mettre l’accent sur l’au-delà du narcissisme, en

tant que c’est le nœud, la consistance, qui supporte le corps, et pas le sens. Ça

rompre avec ce qui structure la névrose, disons, le signifiant, la passion du sens,

ça inclut que le corps n’est plus assigné à sa référence au solide, à la terre, à

l’enveloppe, mais qui est désormais lâché dans son élément liquide, et que c’est la

consistance qui fait tenir ce corps qui peut se défaire, se dévider. Lacan donne une

définition du corps dans son séminaire « Le non-dupes errent », où il dit que « le

nœud borroméen est la structure du corps que nous préférons oublier », en tant

que cela fait que l’image comme voile se sépare de la vie, et ce corps on ne sait

pas trop ce que c’est, si ce n’est « qu’il se jouit ».

Bacon disait « Personne est capable d’enregistrer quoique ce soit, et que

cela vous touche comme un réel, sans qu’une atteinte profonde soit portée à

l’image », c'est pour cette blessure au narcissisme qu’il provoquait, qu’il n’aimait

pas peindre les portrait en face des ses models, et il utilisait plutôt des

photographies, « Je ne veux pas opérer devant eux l’atteinte que je leur inflige

dans mon œuvre ». Il ne faisait que des autoportraits, ou des portraits de ses

170
amants, de ses amis ou des gens qu’il aimait beaucoup, (voire images 30 à 36), et

même s’il n’aimait pas les blesser avec ses tableaux, il considérait que ce n’était

pas du tout une offense, mais que c’était la seule forme de montrer ce qui est

derrière les apparences.

L’idée de produire des corps dévoilés et en conséquence déformés, c’est un

au-delà du narcissisme qu’implique la transgression en tant qu’atteint l’image de

l’autre, et dépasse la limite de l’espace propre du semblable.

Cette transgression implique des conséquences par rapport à la structure

psychique de Bacon, que nous essayerons de développer par la suite.

171
172
173
QUELQUES REPERES CLINIQUES SUR FRANCIS

BACON

« Ma vie entière passe dans mon œuvre. »


Francis Bacon

174
Une hypothèse diagnostique :

Bacon disait : « ma peinture répond à mon genre de psyché, elle répond à

mon espèce de désespoir joyeux »,

« Je peins parce que ça m’excite, ça m’excite de faire quelque chose qui va

me frapper moi-même. Je fais de la peinture pour moi-même, je fais de la peinture

pour espérer m’exciter »,247

« J’essai de me donner de l’excitation et aussi de faire une œuvre aussi

résistante et puissante que possible. Faire rentrer le réel profond des êtres dans

l’image est une chose très excitant pour moi »248

Nous trouvons là une espèce de jouissance généralisée et massive; ce

qu’on trouve dans cette jouissance et dans l’atteint à l’image de l’autre, ce n’est

pas ce que Lacan appelle « le rebroussement du chemin de la transgression chez le

sujet névrotique, par l’identification à l’autre »,249 le sujet névrotique recule à

attenter l’image de l’autre, parce que c’est l’image sur laquelle il s’est formé

comme moi. « Nous sommes en effet solidaires de tout ce qui repose sur l’image

de l’autre en tant que notre semblable, sur la similitude que nous avons à notre

moi et à tout ce qui nous situe dans le registre imaginaire »250.

247
Entretien avec Henri-François Debailleux. Libération, 27 septembre 1987
248
Entretien avec Jacques Michel. Le Monde, 03 novembre 1971
249
Lacan, Jacques. Idem, p. 230
250
Lacan, Jacques. Idem, p. 230

175
Tout au contraire, nous avons l’impression d’être en face d’un imaginaire

où les limites de l’image spéculaire n’opèrent pas, et nous trouvons plutôt un

fonctionnement qui trouve des échos dans ce que Lacan dit à propos de la

perversion et de Sade, à savoir : « Ce que Sade nous enseigne, c’est une tentative

de franchir la limite, et de découvrir les lois de l’espace du prochain comme

tel ».251 Ainsi, ce n’est pas l’espace dont nous avons affaire face à ce semblable de

nous même dont nous faisons notre reflet. Ce que nous montre Bacon c’est une

technique que permet l’accès à l’espace de l’autre, orientée vers la jouissance.

Mais plus que la possibilité d’un diagnostique structural, dont les éléments

que nous avons pour le justifier restent faibles, et faute d’un discours direct

proprement de la part de Bacon, ce que nous pouvons saisir du fonctionnement du

sujet Francis Bacon, c’est la fonction de cette jouissance pour lui. Sa peinture et

ce qu’il en dit nous fait supposer que cela l’a fait jouir, et que c’est l’insistance de

cette jouissance massive et délocalisée qui l’as soutenu pendant tout son

existence.

La jouissance et le non-rapport :

251
Lacan, Jacques. Idem, p. 232

176
Nous essayerons d’aborder la jouissance dont il s’agit à partir du sixième

paradigme de la jouissance chez Lacan, exposé par Jacques-Alain Miller, dans son

texte Les six paradigmes de la jouissance.252

Ce paradigme, appelé « le non-rapport », issu du Séminaire Encore de

Lacan, est fondé justement sur le non-rapport, sur les disjonctions. Il met en

question tous les termes qui assuraient la conjonction, le rapport, l’articulation

chez Lacan, à savoir, l’Autre, le Nom-du-Père, le phallus et le langage même.

Miller nous dit : « Ce paradigme est fondé essentiellement sur le non-

rapport, sur la disjonction – du signifiant et du signifié, la disjonction de la

jouissance et de l’Autre, la disjonction de l’homme et de la femme sous la forme

Il n’y a pas de rapport sexuel »253

Dans le même sens, la peinture de Francis Bacon nous semble suivre la

même perspective que ce paradigme. Bacon ouvre comme perspective une autre

espèce de relation différente de celle de la structure, la conjonction ou

l’articulation, c’est autre espèce de relation c’est le non-rapport, orienté

principalement sur la sexualité dans le cas de Bacon.

En effet, s’il y a quelque chose qui caractérise l’œuvre de Bacon en

général, c’est la présence extrême de la sexualité dans ces tableaux, sous la forme

« Il n’y a pas de rapport sexuel ». Toutes ses toiles témoignent d’une recherche de

252
Miller, Jacques-Alain. « Les six paradigmes de la jouissance ». Publié dans La Cause
freudienne, n° 43, Paris.
253
Idem. P. 25

177
ce qui ne va pas dans la vie sexuelle des êtres humains : ses figures déformées

dans des positions intimes ; des couples homosexuels en train de faire l’amour,

peints à partir d’une photographie de lutteurs ; des corps féminins et masculins

indistinctement peints, etc.

Tout ça n’est pas sans rapport avec le sujet Francis Bacon même ; Bacon

était homosexuel depuis qu’il était très jeune, et d’ailleurs était connu entre ses

proches par les tremblements et les discordes passionnelles que produisait

souvent, son œuvre n’est pas sans rapport avec.

C’est même cette sexualité qui le pousse souvent à créer et c’est sa source

d’inspiration, les portraits de ses amants occupent une grande partie de son œuvre,

et lui-même a dit une fois, dans ses entretiens avec David Sylvester, que dans les

moments clés de sa carrière il y a eu toujours un homme de vitale importance à

côté de lui.

Ainsi donc, s’il y a un réel auquel on est confronté quand on est en face de

ses tableaux, c’est le réel du rapport sexuel qui n’existe pas. Ce réel envahit toute

son œuvre, c’est une espèce de rhétorique sexuelle qui prend le pas sur le sens et

sur les mots ; il s’agit pour lui de sexualiser las vie humaine à travers l’imaginaire

des corps, en défaut de toute articulation ou conjonction possible de la sexualité

chez les êtres humains.

178
Mais en plus du non-rapport, il y a un autre versant dans l’œuvre de

Bacon, car plus la sexualité est problématique pour lui, plus son activité créatrice

se centre sur cet impossible à régler, et plus il insiste à essayer de dévoiler ce

« mystère de la chose humaine » comme il le nomme, c’est la solution qu’il

trouve, dévoiler la jouissance, car celle-ci existe, nous pourrons dire après avec

Lacan, la jouissance n’existe que du corps, et Bacon a su saisir cela.

Autrement dit, il n’y a pas de rapport sexuel ni pour lui ni pour le reste des

humains, mais il y a une position de jouissance à dévoiler et à faire rentrer dans

l’image.

C’est pour ce privilège de la jouissance que l’œuvre de Bacon nous semble

aller dans le même sens que la clinique proposée pour Lacan dans son dernier

enseignement, dont nous pouvons prendre quelques points qui nous concernent :

- La jouissance prend la place du désir

- Le corps prend la place de l’Autre

- Le concept du non-rapport met en question celui de la structure, et

- Le concept de la parole est mis également en question, conçue alors non

pas comme communication mais comme jouissance.

Comme nous dit Miller : « Dans Encore, Lacan commence par le fait de la

jouissance, alors que son point de départ était le fait du langage et le fait de la

parole comme communication adressée à l’Autre »254. Et aussi dans le même

254
Idem, p. 24

179
sens : « Alors que la jouissance était dans son enseignement, toujours secondaire

par rapport au signifiant, il faut ce sixième paradigme pour que le langage et sa

structure, qui étaient alors traités comme une donnée primaire apparaissent

comme secondaires et dérivés »255

Ce qui distingue donc ce paradigme c’est de prendre son départ du fait de

la jouissance et non pas du fait du langage. Et comme Miller dit : « Le point de

départ n’est pas le Il n’y a pas de rapport sexuel, mais au contraire un Il y a. Il y a

jouissance. », et il précise : « Il y a jouissance en tant que propriété d’un corps

vivant, c’est à dire d’une définition qui rapporte la jouissance uniquement au

corps vivant »256

De la même façon dans les tableaux de Bacon, nous pouvons appliquer la

même formule, à savoir, Il n’y a pas de rapport sexuel mais il y a une jouissance.

Il n’y a pas de peinture que du corps, et de ce corps la seule chose qu’on peut

savoir et sa seule définition c’est qu’il se jouit.

S’il n’y a pas de rapport sexuel, si l’Autre n’existe pas dans l’ère

contemporaine, la seule jouissance possible c’est la jouissance de l’Un, la

jouissance de l’être parlant solitaire .

Miller dit, toujours par rapport au sixième paradigme, « Ce point de départ

– la jouissance – implique une disjonction entre la jouissance et l’Autre. Ce point


255
Idem, p. 25
256
Idem, p. 26

180
de départ qui privilégie la jouissance instaure le non-rapport entre jouissance et

Autre »257

En effet, dans le séminaire Encore, comme nous dit Miller, Lacan fait la

démonstration que la jouissance est foncièrement Une, c’est à dire, qu’elle se

passe de l’Autre. La jouissance Une, c’est une jouissance sans l’Autre, c’est le

corps propre qui est là en question, le corps prend la place qu’avait l’Autre pour

Lacan auparavant, désormais la jouissance de l’Autre n’existe pas, et c’est la

jouissance Une, jouissance du corps propre la seule possible.

« Cette jouissance Une –nous dit Miller- se présente comme jouissance du

corps propre, jouissance phallique, jouissance de la parole, et jouissance

sublimatoire. Dans tous les cas, elle ne se rapporte pas à l’Autre ».

Il nous semble que l’œuvre de Bacon, et lui-même nous donne un exemple de

cette jouissance Une. Le traitement donné par lui au corps, celui-ci outil exclusive

que lui permettait de dévoiler sa propre position de jouissance, correspond à la

démonstration de Lacan, que toute jouissance effective, toute jouissance

matérielle est jouissance Une, c’est à dire jouissance du corps propre. Comme dit

Miller, « C’est toujours le corps propre qui jouit par quelque moyen que ce

soit ».258

257
Idem, p. 27
258
Idem, p. 27

181
Et d’ailleurs, il y a un point qui nous semble concerner en particulier

l’œuvre de Bacon, à savoir, la version que Lacan donne de la sublimation dans ce

paradigme, une version de la sublimation qui n’implique pas l’Autre.

« C’est un comble, dit Miller, parce que ce qui était essentiel dans ce que

Freud a élaboré sur la sublimation, c’est précisément la reconnaissance par

l’Autre. »259 C’était la proposition de Freud mais aussi la de Lacan, lui aussi a

exploité cette même conception dans son Séminaire VII, il a développé la

connexion de la sublimation et de la reconnaissance par l’Autre. En effet, à cette

époque là, la sublimation pour Lacan trouvait son achèvement dans la satisfaction

de l’Autre.

Néanmoins, cette conception de la sublimation impliquant l’Autre, nous

semble ne pas être applicable au cas de Bacon. La sublimation, tel que Freud la

conçoit, à savoir, la transformation de la pulsion sexuelle en une œuvre où chacun

reconnaisse ses propres rêves et impulsions, et en conséquence y trouve une

satisfaction, nous semble ne pas être le cas chez Bacon.

D’abord parce que Bacon amenait une vie sexuelle très active jusqu’à la

fin de sa vie, et lui-même considérait que sa vie sexuelle et émotionnelle avait

tendance à le détourner de la peinture, et pas la peinture à le détourner de la vie

sexuelle.

259
Idem, p. 28

182
Et deuxièmement, parce que le spectateur, tout au contraire d’y trouver une

satisfaction, trouve plutôt l’absolu de l’insupportable de ce qui peut être montré à

travers des images du corps, concernant la transgression des limites humaines.

D’ailleurs la sublimation tel qu’elle est conçu par Lacan dans le Séminaire

VII, à savoir, la sublimation comme supposé produire un objet socialement

valorisé, offert à la jouissance de l’Autre, nous semble aussi raté.

Bacon n’avait pas la moindre intention de produire des objets appréciés et

valorisés socialement, il faisait ce qu’il voulait en sachant que c’était une peinture

complètement intemporelle, en dehors de la tradition de l’époque, et de ce

qu’attendait le marché artistique. Il peignait pour lui même et pas pour un Autre,

dans une des entretiens avec David Sylvester, il déclare :

D.S. : « Eprouvez-vous un besoin positif de montrer vos tableaux aux

gens ? Cela vous ferait-il quelque chose qu’on ne les voie jamais ?

Bacon : « Cela ne me ferait rien, ça m’est assez égal. Que mes choses

soient vues ou soient ce qu’on appelle appréciés, cela ne me préoccupe pas. Cela

ne veut rien dire pour moi ».

Nous pouvons nous demander, pourquoi a-t-il crée alors ? pourquoi a-t-il

dédié plus de 60 ans de sa vie à la peinture ?, il y a évidement une force qui le

pousse, mais on a l’impression que ce n’est pas tout à fait un désir dont il s’agit,

183
son œuvre nous fait supposer que cela l’a fait jouir. Il s’agissait d’une pure

jouissance, sans idée de postériorité, pouvoir ou fortune pour lui.

Dans ce même sens, Jacques-Alain Miller dit par rapport à Joyce, que

« Chez Joyce, la jouissance est à tel point patente dans l’écriture même, que

personne ne songerait qu’il le fait pour l’honneur, pour l’argent, les femmes ou

simplement les autres ».260 De la même façon la présence si puissante de la

jouissance dans les toiles de Bacon, nous fait supposer que le concept de

sublimation, tel qu’il a été développé par Freud, et par Lacan dans un premier

moment, c’est à dire, en rapport avec la satisfaction et le désir, ne convient pas

tout à fait à l’œuvre dont il s’agit.

Or, dit Miller, « Dans Encore, Lacan nous donne une version de la

sublimation comme n’impliquant pas l’Autre, mais comme étant l’issue propre de

la parole de jouissance, de la parole solitaire », la phrase de Lacan en question, à

la page 109 du Séminaire Encore, c’est : Quand on le laisse tout seul, le corps

parlant sublime tout le temps à tour de bras. 261

Nous trouvons là, que le fondement même de la sublimation c’est la

jouissance Une, que la sublimation n’est plus en rapport avec l’Autre et avec le

désir, que non seulement elle cohabite avec la jouissance solitaire, mais qu’elle y

trouve son véritable fondement.

260
Miller, Jacques-Alain. Le séminaire de la Section clinique de Barcelone. 2/12/1996. Revue Uno
por Uno. Revista Mundial de Psicoanalisis, n. 45, 1997.
261
Miller, Jacques-Alain. Les six paradigmes de la jouissance. La Cause Freudienne, n° 43, Paris.
P. 28

184
Ainsi, il nous semble possible considérer la pertinence du concept de

sublimation chez Bacon, sous cette perspective dernière de Lacan. Perspective que

sera notre point de partie et que nous essayerons d’approfondir dans des futures

recherches.

Finalement, nous voudrions conclure avec deux commentaires qui nous

aiderons à proposer une perspective clinique à partir de ce que l’œuvre de Bacon

peut enseigner à la psychanalyse concernant la jouissance, le corps et l’image dans

l’ère actuelle.

Jacques-Alain Miller dans son séminaire du 13/05/2002, parlait du

changement du régime de la jouissance dans le dernier enseignement de Lacan,

dont il disait : « La jouissance n’a plus de contrainte. Le signifiant devient un

opérateur de jouissance. L’opposition désir-jouissance tient à se dissoudre. Le

plaisir devient un régime de la jouissance. La jouissance est éprouvée comme

sinthome par le sujet qui parle »262.

Marie-Hélène Brousse dans le même sens, disait dans son cours du 14 mai

2002, que « Tandis qu’avant ce qui faisait point de capiton c’était le signifiant, le

nom-du-père, dans l’ère actuelle ce qu’unifie le sujet c’est la jouissance, c’est une

262
Miller, Jacques-Alain. Séminaire 2001 – 2002 : « Le désenchantement de la psychanalyse »,
cours du 13/05/2002. inédit.

185
position de jouissance. Ce qui fait sinthome, c’est l’anomalie de la jouissance

phallique qui s’oppose au rapport sexuel ».263

C’est cette possibilité de considérer la jouissance comme ce qui fait

sinthome pour un être parlant dans l’ère contemporaine, qui nous semble plus

adéquat pour nous approcher à une perspective clinique possible dans l’actualité,

et ceci nous amene à proposer l’insistance de cette jouissance comme l’élément

unificateur chez Bacon.

Faute d’un signifiant unificateur, la jouissance Une devient ce qui fait

sinthome, ainsi, il n’y a pas de rapport sexuel mais il y a un lien possible, et une

jouissance possible, c’est ce que Bacon nous démontre avec son art.

Dans Bacon il s’agit d’une jouissance autre, différente de la jouissance

phallique, c’est une jouissance autre délocalisé, massive, généralisé, dont son

insistance unifie l’être parlante, et lui permet la possibilité d’une satisfaction

différente.

263
Brousse, Marie-Hélène. Séminaire « Retour sur l’imaginaire », 2001-2002. Cours du
14/05/2002 inédit.

186
Conclusion

Suivant la déclaration de Lacan à propos de Marguerite Duras, à savoir:

« La seule avantage qu’un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position, lui

fût-elle donc reconnu comme tel, c’est de se rappeler avec Freud qu’en sa matière,

l’artiste toujours le précède et qu’il n’a donc pas à faire le psychologue là où

l’artiste lui fraie la voie » ; nous pouvons considérer qu’à la place d’appliquer la

187
psychanalyse à l’artiste et à l’art, on devrait plutôt appliquer l’art à la

psychanalyse, en sachant que, puisque l’artiste précède l’analyste, son art doit

faire avancer la théorie analytique.

Dans ce sens là, nous avons choisi la théorie sur le corps et sur l’image,

d’un des peintres plus importants de l’art contemporain, et nous nous avons

demandé : Qu’est-ce que Francis Bacon pouvait nous apprendre sur la condition

du corps dans l’actualité ? ; Quel était l’enseignement sur le corps que la peinture

pouvait proposer à la psychanalyse ? ; ce que nous a permis de faire une

comparaison entre d’un coté, l’élaboration de Lacan sur le sinthome à la fin de son

enseignement, et le statut du corps et de l’image dans la clinique analytique actuel,

et d’un autre coté, ce dont il s’agit pour Bacon concernant l’image et le corps.

Nous sommes arrivés à la conclusion qu’en effet l’art de Bacon nous

semble aller dans le même sens que ce que Lacan propose comme clinique dans

son dernier enseignement. Autrement dit, il nous semble que l’art de Bacon est un

exemple de la manière dont l’être parlant se réfère au corps dans l’actualité.

Ces point de convergence entre l’art et la psychanalyse, nous semblent être

les suivants :

Equivalence des trois dimensions :

188
L’art de Bacon se présente comme une réformulations de l’imaginaire qui ne

répond pas à la suprématie du symbolique, mais à l’équivalence des trois

dimensions.

De la même façon que pour Lacan à la fin de son enseignement, il ne s’agit

plus de la suprématie de l’ordre symbolique qu’ordonne et commande le réel et

l’imaginaire. Ce n’est plus une relation hiérarchique entre les trois registres,

maintenant il s’agit d’un voisinage où les trois registres sont strictement

équivalents.

L’Autre qui n’existe pas :

L’équivalence des trois registres a une certaine relation avec l’Autre qui

n’existe pas. Le travail de Bacon laisse voir cet inexistence de l’Autre d’une façon

très claire, surtout dans ses portraits.

Les idéaux, le signifiant maître et l’Autre tombent, et avec eux toute

possibilité de sens et de représentation, c’est une espèce de processus de

destruction du sens, et c’est l’accident, le hasard, le jeu, qui prend la place.

Comme Bacon disait : « Tout l’art est maintenant devenu tout à fait un jeu

avec lequel l’homme se distrait, ce qu’il est maintenant c’est absolument un jeu.

Et ce qui maintenant est fascinant, c’est que cela va devenir beaucoup plus

difficile pour l’artiste, puisqu’il lui faut vraiment approfondir le jeu pour aboutir à

quoique ce soit de bon… ». Et aussi : « Je pense que l’homme réalise maintenant

qu’il est un accident, qu’il est un être dénué de sens, et qu’il lui faut sans raison

jouer le jeu jusqu’au bout ».

189
Dans la clinique analytique on trouve aussi un corrélat de cette destruction

du sens, en effet, le sens c’est la limite de l’interprétation analytique, que doit être

précisément sans sens, hors sens. L’interprétation analytique se dirige précisément

vers l’accident, comme disait Bacon, vers les accidents de l’inconscient et non pas

vers une recherche du sens.

La jouissance :

La transformation du signifiant maître, la chute de l’Autre, sa

transformation dans quelque chose de réel, donne comme résultat un travail

artistique, dans ce cas là, comme effet de jouissance.

Les tableaux de Francis Bacon sont des tableaux de la jouissance et pas du

désir. La jouissance de l’Un, du corps propre, prend la place qu’avait le désir

auparavant dans l’enseignement de Lacan, d’un désir comme désir de l’Autre.

Désormais, et en tant que l’Autre n’existe pas, autant le travail de Bacon

que la clinique analytique, visent la jouissance, y trouvent son fondement. La

clinique analytique actuelle c’est une clinique de la jouissance.

Le symptôme :

Nous considérons que la modification des trois registres et cet Autre qui

tombe dans l’actualité, a des conséquences dans l’art et dans la psychanalyse,

mais aussi beaucoup plus au-delà.

190
Probablement c’est aussi une modification fondamentale dans la

civilisation ; ce corps dénoué de sens n’est pas sans rapport avec le traitement

donné au corps pour le discours de la science. Pour cette raison on pourrait faire

l’hypothèse que le travail de Bacon soit considéré comme un symptôme, non pas

un symptôme du sujet Francis Bacon, mais un symptôme d’une époque ; et dans

ce sens là son travail peut nous apprendre la façon comme les êtres parlant se

réfèrent au corps dans l’actualité, ce qui n’est pas sans conséquences pour la

théorie et la clinique analytique.

L’œuvre de Francis Bacon répond à la question qui peut se poser tout

artiste, Comment vais-je faire, les derniers images d’un si long film, celui de notre

culture ?.

Ainsi, nous considérons que plus qu’une œuvre résultante d’une structure

psychique particulier, l’art de Bacon rend compte d’une position et d’une solution

que trouve un être parlant, particulièrement sensible à sa culture.

Lacan d’ailleurs en 1960, dans son séminaire « L’éthique… », en parlant

de l’homme moderne, déclare que c’est très juste que celui-ci « cherche l’amorce,

la trace, le départ, un sentier vers la connaissance de soi-même, vers le mystère du

désir, dans la recherche propre du désir pervers », car le désir naturel est

impuissante à aller plus loin dans cette direction, dit-il, « sur ce chemin, le désir

cède vite ».264

Toujours en parlant du désir pervers et dans le même sens, Lacan

pronostique ce qui sera l’ère moderne, il dit : « cette formidable élucubration

d’horreurs, devant laquelle fléchissent non seulement le sens et les possibilités

264
Lacan, Jacques. Séminaire VII., page 273

191
humaines, mais l’imagination, n’est strictement rien auprès de ce qui se verra

effectivement à l’échelle collective si éclate le grand, le réel déchaînement qui

nous menace. La seule différence qu’il y a entre les exorbitantes descriptions de

Sade et une telle catastrophe, c’est que dans la motivation de celle-ci ne sera entré

aucun motif de plaisir. Ce ne sont pas des pervers qui la déclencheront mais de

bureaucrates. Ce sera déclenché sur ordre, et cela se perpétrera selon les règles, les

roues, les échelons, les volontés ployées, abolies, courbées, pour une tache qui

perd ici son sens. Cette tâche sera la résorption d’un insondable déchet rendu ici à

sa dimension constante et dernière pour l’homme ».265

Cette mis en valeur du déchet comme caractéristique de la dimension

humaine moderne, c’est un autre point en commun avec l’art, dans ce sens Lacan

dira aussi : « Le tas d’ordures – voilà une des faces qu’il conviendrait de ne pas

méconnaître de la dimension humaine ».266 C’est d’ailleurs les déchets qui Lacan

prendra, dans ce même texte, comme l’évidence plus claire de ce qu’il appelle

l’hominisation du monde. Là où il y a des déchets, il y a de l’homme, et vice-

versa. La civilisation, comme il l’appelle en 1975, c’est le déchet, la cloaca

maxima.267

265
Lacan, Jacques. Idem p. 273
266
Idem, p. 274
267
Lacan, Jacques. Conférence à Massachusetts Institute of Technology. 2/12/75. Scilicet 6/7 ,
Paris.

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LACAN, Jacques. Séminaire XII : Problèmes cruciaux pour la psychanalyse.


Texte inédit. (Editions hors commerce établit par les membres de l’E.F.P., Paris)

LACAN, Jacques. Séminaire XVI : D’un Autre à l’autre. Texte inédit. (Edition
hors commerce établit par les membres de l’E.F.P., Paris)

LACAN, Jacques. Séminaire XXI : Les Non-Dupes errent. Texte inédit. (Edition
hors commerce établit par les membre de l’E.F.P., Paris)

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Table des illustrations

1. Self Portrait, 1930. Collection privée.

2. Portrait, 1932. Collection privée.

3. Composition, 1933. Collection privée.

4. Crucifixion, 1933. Marlborough International Fine Art, Londres.

5. Three Studies for Figures at the base of a Crucifixion, 1944. Tate Gallery,
Londres.

198
6. Etude d’après le portrait du pape Innocent X par Vélasquez, 1953. Des
Moines Art Center, Iowa.

7. Study for a Portrait of Van Gogh III, 1957. Hirshhorn Museum and
Sculpture Garden, Smithsonian Institute, Washington.

8. Head of Van Gogh, 1959. Collection privée.

9. Van Gogh in a Landscape, 1957. Centre Georges Pompidou, Paris.

10. Study for a Portrait of Van Gogh VI, 1957. Collection privée.

11. Oedipus and the Sphinx after Ingres, 1978. Collection privée, Californie.

12. Triptych inspired by the Oresteia of Aeschylus, 1981. Astrup Fearnley


Collection, Oslo.

13. Peinture, 1978. Collection privée.

14. Un coin de terre gaste, 1982. Collection privée.

15. Three studies from the human body, 1967. Collection privée.

16. Studies from de human body, 1975. Collection privée.

17. Study of the human body, 1982. Centre Georges Pompidou, Paris.

18. Study of the human body, 1983. Collection privée.

19. Study from the human body, 1986. Collection privée.

20. Study for the human body, 1991. The Estate of the Artist.

199
21. Head IV, 1949. Collection privée.

22. Peinture, 1946. Museum of Modern Art, New York.

23. Sang sur le plancher, 1986. Collection privée.

24. Dog I, 1952. Collection privée.

25. Chipmanzee, 1955. Staatsgalerie, Stuttgart.

26. Jet d’eau, 1979. Collection privée, Suisse.

27. Water from a running tap, 1982. Collection privée.

28. Dune de sable, 1981. Collection privée.

29. Dune de sable, 1983. Collection Beyeler, Bâle. Exposé à Paris seulement.

30. Study of Georges Dyer, 1971. Collection privée.

31. Three studies for portrait of Georges Dyer on light ground, 1964.
Collection privée.

32. Double portrait of Lucien Freud and Frank Auerbach, 1964. Collection
privée.

33. Study for a portrait of Isabel Rawsthorne, 1964. Collection privée.

34. Portrait of Henriette Moraes, 1963. Collection privée, exposé à Munich


seulement.

200
35. Portrait de Michel Leiris, 1976. Centre Georges Pompidou, Paris.

36. Self Portrait, 1985. Collection privée.

201

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