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DE L'EQUERRE AU COMPAS

Dans son ouvrage, intitulé "Le Maître", notre Frère Oswald Wirth écrit que la
maîtrise ne saurait se conférer d'emblée, qu'elle est une suite logique des progrès
précédemment accomplis, et qu'il faut posséder à fond tous les grades inférieurs pour
aspirer aux suivants. Cette remarque de l'auteur est confirmée, lors de l'initiation au
4ème degré, quand le Vénérable Maître néophyte, dépouillé de tous ses insignes, est
introduit dans le Temple de Salomon, les yeux couverts d'un voile transparent sur
lequel est fixée une petite équerre d'argent; il redevient à cet instant presque comme
un apprenti, malgré toutes les connaissances maçonniques acquises lors des degrés
précédents.

Au cours de cette cérémonie, il n'est pas complètement dans les ténèbres; le


voile transparent qui lui couvre les yeux laisse passer une faible lueur lui rappelant
qu'if a déjà reçu, lors d'une cérémonie précédente, une lumière qui l'éclairera tout au
long de son lent cheminement initiatique. La petite équerre d'argent fixée sur le
bandeau signifie qu'il va passer symboliquement de l'Equerre au Compas, c'est-à-dire
d'un environnement matériel à un environnement spirituel. Si l'originalité de la Franc-
maçonnerie consiste à ranger des symboles conventionnels et universels, de manière
à stimuler la réflexion des Francs-Maçons, l'intérêt pour eux, de découvrir des
symboles nouveaux, grâce aux Hauts Grades, réside dans le fait que chaque
découverte éclaire et complète la découverte précédente sans la remettre en cause. En
effet, la maçonnerie des Hauts Grades ne peut être considérée comme une
maçonnerie à part, elle doit rester pour l'impétrant, le complément de son parcours
initiatique commencé le jour de son initiation au premier degré.

Par l'initiation au 3ème degré, le nouveau Maître apprend le sort que les trois
mauvais Compagnons ont réservé à l'architecte Hiram. Il découvre le récit de la mort
de celui-ci, mais pour autant de nombreuses questions se posent à lui : Qu'est devenue
la parole perdue ? Que sont devenus les meurtriers ? Où et comment enterrer sa
dépouille dans la dignité ? Comment remplacer l'Architecte ? Quand et comment
terminer la construction du Temple ? Toutes ces questions restent sans réponses au
3ème degré, comme si le grade de Maître avait été, à dessein vidé d'une partie de sa
substance.

On peut alors penser que le grade de Maître termine un cursus qui va de


l'apprentissage au compagnonnage et que de ce fait, on peut déjà le considérer
comme le premier des Hauts Grades et, ce n'est peut-être pas en toute innocence que
celui-ci apparaît en même temps que ces derniers, aux alentours de 1730.

Après avoir approfondi une maçonnerie organisée autour des symboles


opératifs, le Compagnon, élevé à la maîtrise, aborde un domaine reposant sur un récit
mythique à caractère dramatique. Il franchit ainsi un premier palier pour se trouver au

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cœur d'une dramaturgie à épisodes dont les étapes successives se complètent les unes
par rapport aux autres.

L'initiation au grade de Maître Secret constitue la seconde de ces étapes. Le


premier souci d'un Maître Maçon, lorsqu'il entreprend une action nouvelle est de
prendre très exactement conscience de ce qu'il va faire. Dans ce but, il doit tout
d'abord reconnaître les circonstances de temps et de lieu, et les contingences diverses
dans lesquelles sont action va se produire. Ensuite, il doit proportionner son effort de
réflexion aux besoins que réclament ces circonstances et ces contingences.

Le passage au 4ème degré constitue pour lui cette nouvelle action, bien au-delà
de son dernier voyage initiatique qui lui a conféré le statut de bâtisseur accompli.
Lors de son passage par les trois premiers grades, il a appris à se servir des
outils pour tailler les pierres, tracer les plans et assembler les matériaux, en vue de
construire un Temple au profit de l'Humanité. II possède l'initiation artisanale et
manie l'Equerre avec justesse et précision.

L'Equerre, qui est la base de toute réflexion maçonnique, reste la référence


immuable de tous les bâtisseurs. Son énergie est passive. Dans les archives de la
Loge Dumfries de Kilwining, n° 153, en Ecosse, on trouve dans l['instruction donnée
aux apprentis, cette question : "Qu'est ce qu'est la Franc-Maçonnerie ?" dont la
réponse est : "C'est une oeuvre d'Equerre !". L'Equerre montre ce qui est droit ou ce
qui ne l'est pas. Elle est impartiale. Elle dit le droit à chaque instant. Elle permet de
vérifier si la direction ou la décision prise est juste. Elle est le contraire de la fantaisie
ou de l'approximation. Elle permet de redresser ce qui ne l'est plus ou bien qui ne l'est
pas encore. Elle assoie le monde sur la Terre. Elle trace le carré qui est le fondement
de notre existence ici bas. D'un point de vue de certaines philosophies, comme le
bouddhisme par exemple, elle est aussi le fondement de l'éthique. Elle est l'occupe le
sentier proposé par Bouddha, base de toute démarche vers l'éveil : parole droite,
action droite, vie droite, effort droit, attention droite, pensée droite, médiation droite,
compréhension droite.

Chez les bouddhistes le ciel du Stûpa est construit sur le carré de la Terre. Au
dessus viennent les degrés de la réalisation spirituelle. Pour les Francs-Maçons,
comme pour les bouddhistes, les moyens de réalisation et de sagesse s'enchevêtrent et
s'unissent sur la même voie.

Le Maître maçon se situe entre Terre et Ciel, entre l'Equerre et le Compas.


Au 4ème degré, le Maître Secret passe de l'Equerre au Compas. C'est sur le
fondement de la Terre et de l'Equerre que, en parfait géomètre et grâce au Compas, il
trace la voûte céleste. La géométrie est le point de rencontre entre le concret et
l'abstrait; elle était dans le coeur d'Adam, nous disent les Constitutions d'Anderson.

Le Compas est vif. II a fallu s'entraîner à le manier. Si la Sagesse n'est pas


présente, il peut être dangereux, car son énergie est active. Il mesure toute chose. II
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permet les comparaisons, les évaluations, les calculs. Il trace les cercles, les arcs, les
enchevêtrements, les labyrinthes. Plus les branches s'écartent, plus l'espace s'ouvre,
plus l'esprit grandit. Les degrés de l['ouverture du Compas symbolisent, dans la
tradition maçonnique, les possibilités et les degrés de la connaissance : 45 degrés
d'ouverture se rapportent au 6ème degré de la connaissance, 60 au 8ème et 90 au
quart.

Toutefois, le métier de bâtisseur ne permet pas l'usage du Compas ouvert à


18ème degrés et la maçonnerie, limitant, pour sa part, l'ouverture des branches à 90
degrés maximum, indique, par là, les bornes que l'Homme ne saurait dépasser.
Le Compas ouvert à 45 degrés signifie que la matière n'est pas complètement
dominée, tandis que l'ouverture à 90 degrés réalise intégralement ['équilibre entre les
deux forces; le Compas devient alors Equerre juste. Les positions relatives du
Compas et de l'Equerre symbolisent aussi les divers états dans lesquels la réflexion du
Maçon se trouve, par rapport aux forces spirituelles et matérielles. Si l'Equerre est
posée sur le Compas, la matière domine l'esprit; si les deux instruments
s'entrecroisent, les deux forces s'équilibrent; si le Compas est posé sur l'Equerre, c'est
l'indice d'une parfaite maîtrise spirituelle. Dans un langage imagé et conventionnel, le
Compas a toujours été considéré comme l'emblème des sciences exactes et de la
rigueur mathématique, en regard de la fantaisie imaginatrice de ta poésie. La notion
de règle ou de rectitude est à la base de nombreuses philosophies.

Tant dans l'ésotérisme occidental que dans celui de la Chine antique, le


Compas, généralement associé à l'Equerre, est un important symbole cosmique, en
tant qu'il sert à mesurer et à tracer le cercle, tandis que l'Equerre sert à tracer le carré.
C'est, disent les Légistes, dans l'Equerre et le Compas qu'est la perfection du
carré et du rond. Un beau dessin de William Blake, intitulé "l'Ancien des jours
mesure le temps", représente celui-ci dans le disque du soleil et tendant, vers le
monde, un gigantesque Compas. Ananda Coomaraswamy et René Guénon ont
rapproché ce symbole de la mesure ou de la détermination des bornes du Ciel et de la
Terre dont parlent les Veda, et ont évoqué le rôle de l'architecte céleste ainsi que celui
du Grand Architecte de l'Univers maçonnique. Dante a chanté le dieu architecte, celui
qui de son Compas géant, marqua les limites du monde et régla au-dedans tout ce qui
ce voit et tout ce qui est caché. Le Compas a souvent été interprété comme l'image de
la pensée dessinant et parcourant les cercles du monde. Traçant les images du
mouvement et mobile sur lui-même, il est devenu le symbole du dynamisme
constructeur, l'attribut des activités créatrices. On fait aussi du Compas, dans
l'iconographie traditionnelle, un symbole des vertus fondées sur l'esprit de mesure,
telles que la Prudence, la Tempérance la Véracité ou bien encore l'amour de la Justice
qui sont les vertus qui doivent guider tout Franc-maçon.

Le Compas tournant sur sa pointe, pour revenir à son point de départ, a aussi
symbolisé le cycle de l'existence et la raison d'exister. On peut noter, par ailleurs, que
conformément à au symbolisme du cercle et du carré, il est plus spécialement en
rapport avec la détermination du temps, tandis que l'Equerre avec celle de l'espace.
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Dans le symbolisme occidental, comme d'ailleurs dans le symbolisme chinois, le
Compas et l'Equerre évoquent respectivement l'esprit et la matière, le ciel et la terre,
le soleil et la lune, l'énergie active et passive. En passant de l'Equerre au Compas, et
grâce à celui-ci, le Maître Secret a pu tracer la voûte céleste et s'élever au dessus du
monde matériel dans lequel son statut de bâtisseur l'avait confiné.

Son âge est maintenant de trois fois 17 ans accomplis.


Ce nombre indique qu'il quitte le monde à deux dimensions pour entrer dans le
monde cubique de la connaissance spirituelle. Ainsi, l'espace cosmique, qui s'ouvre à
lui, constitue une nouvelle étape sur son chemin initiatique, qui doit servir à éveiller
sa conscience d'homme. Lors de la cérémonie de passage au 4ème degré, les quatre
voyages, qu'il a accomplis, signifient qu'il doit chercher la Vérité et la Parole perdue;
les quatre sentences moralisantes qui les ont sanctionnés lui rappellent l'engagement
et les devoirs qui sont désormais les siens et qu'if doit les respecter à tout prix.

L'assassinat de l'architecte Hiram le remplit de tristesse, mais son deuil ne doit


pas le faire sombrer dans le pessimisme. Bien au contraire, le sacrifice du Maître
défunt doit l'encourager à poursuivre l'oeuvre que celui-ci avait commencée. La Clef
d'ivoire, fixée à son sautoir, lui rappelle est le gardien du Saint des Saints et qu'il
peut, à tout moment, pénétrer dans le Temple pour y puiser la Raison, la Sagesse et la
Force de persévérer, donnant ainsi tout son sens à cette phrase du rituel :"Il n'est pas
besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer". Il possède déjà
l'initiation artisanale, acquise lors de son passage par les trois premiers grades; il a
étudié les outils, il sait les utiliser pour tracer les plans et bâtir. Il sait faire.

L'initiation au 4ème degré le fait passer du Faire au Dire, de la maîtrise de


l'outil à la maîtrise du Verbe. L'objet de sa quête est maintenant la Parole perdue,
symbolisée par le signe du silence, dont la signification profonde sera désormais le
centre de sa réflexion. Le nouveau Mot de Maître n'étant qu'un mot de substitution, il
lui faut maintenant reconstituer ce qui a été perdu, c'est-à-dire oublié, et surtout,
donner un sens à cette Parole retrouvée. Ce qui a été oublié demeure dans les
profondeurs de la conscience de tout homme, là où sont enfouies les impressions
reçues depuis le fond des âges.

La recherche du mot est, pour le Maître Secret, une invitation à violer les
profondeurs de sa conscience. C'est en faisant cette introspection intime que le Maître
Secret doit trouver le sens de son initiation au 4ème degré. Puisqu'il sait construire le
Chef d'oeuvre il a maintenant le devoir de dire comment faire à ceux qui sont en
quête de savoir. Il doit être sûr de ne pas se tromper lui-même car le mental d'un
individu est suffisamment habile pour lui faire passer un mal pour un bien. N'a-ton
pas trop souvent intérêt à rester dans l'illusion ?

Aussi il lui faudra beaucoup de courage pour mettre en cause son sentiment
intérieur; mais le faire, c'est porter une accusation grave à son autonomie de
conscience morale et, dans ce cas, que lui reste-t-il pour juger du Bien et du Mal ?
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Rien d'autre que la capacité de jugement de sa propre Raison. Il doit être sa
propre lumière et, ce n'est qu'éclairé par elle, qu'if peut poser [es problèmes moraux
en termes de Devoir. L'acte moral doit se situer sur le plan de la recherche d'un bien
universel et non d'une satisfaction personnelle.

Agir par Devoir, c'est agir non pas en prenant en compte ses intérêts
personnels, mais en voyant chaque fois ses actes sur un plan universel. Le Devoir
devient alors pour le Maître Secret, comme pour tout individu, le respect pur et
simple de la loi morale. Il ne s'agit plus de se demander où est le Bien et où est le
Mal, mais de faire ce que le Devoir exige. Le Devoir s'impose à lui comme un
impératif catégorique sans autre justification que lui-même et sans aucun bénéfice en
retour. Il s'agit d'obéir à une injonction intime, et non de vouloir comprendre ou
d'essayer de calculer. La Droiture de l'Homme repose sur le respect de ses principes,
sur sa bonne volonté et sur la pureté de ses intentions. Et, c'est en s'imprégnant de la
Sagesse puisée dans le Saint des Saints que le Maître Secret doit savoir si sa
conscience est suffisamment pure et son action désintéressée. L'intérêt personnel du
Maître architecte assassiné eût été, pour sauver sa vie, de trahir le Secret, en dévoilant
le Mot Sacré aux mauvais Compagnons. C'est parce qu'if fit preuve d'abnégation,
avant tout, qu'if fut assassiné.

La lecture allégorique du Mythe d'Hiram montre que celui-ci perd sa vie


physique, sa vie sentimentale et sa vie spirituelle à cause de l'ignorance, de
l'Hypocrisie et de l'Envie que figurent ses assassins. Grâce à ses qualités antithétiques
que sont : le Savoir, la Tolérance, le Détachement, le Maître Maçon l'a fait renaître. Il
appartient désormais au Maître Secret, en s'élevant au dessus du monde matériel, au
travers duquel son chemin initiatique l'avait guidé, de faire en sorte, en passant de
l'Équerre au Compas, que ce Sacrifice ne soit pas inutile.

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