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Mais affirmer cela, c'est déjà prendre parti sur la nature de la franc-
maçonnerie. Dès lors, autant aller jusqu'au bout de cette tentation ini-
tiale, ce qui permettra de situer dans un contexte défini la réflexion sur
le symbole.
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La légende de l'invention du chapiteau corinthien par Calliinaque
Illustration de la traduction de Vitruve par Claude Perrault, 1773.
Réimpression Balland, 1965.
selon une forme inaltérée. De ce fait, certains d'entre nous peuvent pen-
ser qu'elle se rattache ainsi à une tradition universelle et immémoriale
qui, sous des formes diverses toujours adaptées au temps et au lieu de
son expression, prétend transmettre un mode d'accès non cérébral à la
connaissance spirituelle qu'on pourrait définir elle-même comme l'éveil
de l'esprit par l'intelligence du coeur.
Bien entendu, nous ne confondrons pas cette tradition avec les traditions
qui relèvent de la coutume ou du simple conservatisme, même s'il
advient, inévitablement, que les traditions, coutumes et folklores,
contiennent des éléments traditionnels au sens qui vient d'être rappelé.
En effet, dès lors que les Ordres se fondent sur une règle et sa transmis-
sion appelée tradition, le risque apparaît de voir se transformer la règle
où s'interrompre la tradition. Le tout est de savoir à partir de quel
moment ou de quel élément absent ou modifié, l'altération de la règle
rend caduque la transmission, et par conséquent, rompt la tradition. La
régularité n'étant pas le sujet de cette planche, je me garderais d'aborder
le fond du débat, me bornant à fournir quelques éléments de réflexion.
J'en retiendrai deux.
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est telle qu'elle dépasse les faiblesses de ses utilisateurs. La régularité
concerne la règle, non les officiants. Ainsi l'Eglise catholique romaine
admet pour valides les sacrements conférés par un prêtre en état de
péché mortel, ou l'ordination conférée par un évêque indigne. Elle
admet même les croyants savent cela qu'un sacrement aussi fonda-
mental que le baptême, peut être administré, en cas de force majeure et
d'impossibilité de recourir à un prêtre, par des laïcs. Alors concevons
qu'en franc-maçonnerie, les engagements profanes ou les comporte-
ments internes des francs-maçons, aussi éloignés qu'ils puissent être de
l'esprit de la règle, même s'ils reflètent les tendances de toute une obé-
dience, n'entachent en rien la régularité dès lors que les éléments fonda-
mentaux et constitutifs de la règle sont respectés.
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de ce qui est conservé du restant de la règle il ressort implicitement
qu'il n'est pas exclu. I
L'Ordre maçonnique n'est pas un pouvoir mais une puissance. J'ai tou-
jours eu un faible pour cette distinction, qu'on l'applique à l'individu ou
bien au groupe. Longtemps, j'ai tenté de la définir sans recourir à de
longs développements. Enfin, j'ai découvert tout récemment mon bon-
heur dans un texte du philosophe Elias Canetti. Pour l'anecdote, je pré-
cise qu'Elias Canetti est une Société des Nations à lui tout seul né en
Bulgarie de parents juifs espagnols, il étudie en Suisse, en Allemagne et
en Autriche avant de se réfugier en Angleterre. Dans son ouvrage de
référence, «Masse et Puissance», Canetti écrit ceci : «Quand le pouvoir
prend son temps, il devient puissance». J'adhère
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Il est tellement plus rassurant de se dire qu'on est arrivé une fois
pour toutes ! Mais nous n'aurions ainsi à léguer à nos enfants que des
mausolées.
La famille «Bal» est intéressante car elle nous révèle des cousinages
surprenants. Ainsi en est-il de ballade (XIIPme siècle), Baliverne (XVème
siècle) arbalette, emblème, problème, et même bolide (désignant au
XVIem siècle une météorite).
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Ainsi est campé le décor de la tragédie. Car c'est bien de cela qu'il
s'agit. Tout signifiant qui fige, notamment le mot, déclenche un proces-
sus mortifère à l'instant même où il nomme le signifié. Mieux encore, si
l'on peut dire, le mot engendrant le mot, c'est une action de différencia-
tion croissante qui est alimentée par la parole et son écriture, de sorte
que le sens se démultiplie jusqu'à l'infini morcellement du chaos. Or, le
symbole suscite la démarche inverse en invitant à remonter au sens et
non à le développer. C'est pourquoi, à mon sens, la pire chose qu'on
puisse faire c'est de commenter un symbole car c'est lui oter sa faculté
de rassemblement.
La réflexion sur le symbole, dès lors qu'elle s'exprime pour être com-
muniquée et emprunte le vecteur du langage scriptural, est exposée à
un risque considérable. C'est ce qui fait toute la difficulté réelle du tra-
vail sur le symbole. Un tel travail devrait plutôt consister dans l'invita-
tion à partager une émotion créatrice je dis bien créatrice et non à
ramener le symbole à ses significations non symboliques. Dire, par
exemple, du nombre 2 qu'on le retrouve dans le corps avec les membres,
les yeux et les oreilles, et dans le cosmos avec les pôles de la terre, les
faces de la lune, la nuit et le jour, c'est faire l'inverse du symbolisme car
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c'est disserter sur l'aspect justement non symbolique du nombre, le
signifiant direct n'apportant bien entendu rien du tout à la valeur sym-
bolique du signe. S'il y a commentaire, il accentue la tendance catho-
lique untel évoquera le cas des unijambistes ou celui du crépuscule et
de l'aube qui ne sont ni la nuit, ni le jour. On peut aussi se demander ce
qu'un tel usage du symbole peut apporter à notre faculté de contribuer
à transformer le monde puisqu'il se borne à un constat du contenu exis-
tentiel de ce monde.
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s
Mais revenons à l'étymologie Dia-ballein c'est «jeter en travers, désu-
nir, disperser». Bien entendu c'est de ce terme qu'a dérivé le diabolus
latin devenu diable en français. Mais essayons d'en pénétrer le sens par
le message de l'étymologie.
celui qui ne vient pas de l'extérieur de cette dualité mais procède d'elle-
même, tiers «engendré non pas créé» (génitum non factum, comme dit
le credo). Cette triangulation s'appelle trinité et c'est bien entendu cette
fécondité équilibrante que nous reconnaissons dans le 3 de l'apprenti
naissant comme dans le Delta de l'Orient, les grandes lumières de
l'autel et les étoiles des petites lumières.
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Pour en terminer avec le diable si ce n'est pour en finir avec le Diable -,
nous pourrions réfléchir à la portée de ce concept si le diable c'est
l'action séparatrice, si l'enfer c'est la désunion, la dispersion (en fait
l'opposé de l'amour), le symbole ne peut-il devenir diabole ? sur le plan
sémantique c'est un non sens, si toutefois nous appelons symbole tout
signe qui n'est pas un signifiant direct et univoque. En revanche c'est
une idée tout à fait acceptable si nous admettons qu'il est des signes qui
ne sont pas des signifiants directs, sont multivoques et peuvent susciter
la discorde. Ces signes pourraient exister dans une symbolique de la
contre-initiation, car il y a aussi une Tradition contre-initiatique qui
oppose au centre de l'Union la spirale de la désunion. Un de ces signes
les plus connus est le pentagramme renversé, pointe en bas, dans lequel
on a coutume d'inscrire la tête d'un bouc qui n'est autre qu'une repré-
sentation du diable, les pointes supérieures inscrivant ses cornes.
Mais la parabole, comme le symbole, est fragile. Elle l'est d'autant plus
que recourant à un récit au premier degré, donc réaliste et rationnel, elle
expose le signifié du deuxième degré aux faiblesses du signifiant pri-
maire. Ainsi dans les trois paraboles de la miséricorde où le Christ
s'efforce d'expliquer que Dieu a plus de joie pour un pêcheur qui se
repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui lui ont toujours été
fidèles, on pourrait discuter férocement sur la brebis perdue. Que dire,
en effet, de ce berger qui abandonne un troupeau pour rechercher une
brebis sinon qu'il aurait pu perdre tout le troupeau pendant sa
recherche ? Que dire de ce Dieu qui préfère les pêcheurs repentis aux
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justes, sinon qu'il mériterait que davantage de pêcheurs soient à conver-
tir comme cela il se réjouirait cent fois au lieu d'une
En fait, on peut constater à ce jeu un peu cruel que la parabole n'est pas
faite pour convaincre l'incrédule mais pour guider le croyant.
Nous avons, nous aussi nos paraboles, c'est-à-dire, en fait, nos récits
symboliques. Mais les situations symboliques dans lesquelles sont pla-
cés les néophytes qu'on initie, puis les apprentis qu'on instruit, sont
des paraboles vivantes. Le rituel lui-même, à l'ouverture et à la ferme-
ture des travaux, relève de la parabole considérée comme ensemble de
paroles symboliques ou jeu de rôles symboliques. D'où procède donc
l'efficience de la parabole ? Considérée dans le contexte du rituel elle
apparaît complémentaire du symbole en ce qu'elle habitue peu à peu
le franc-maçon à dépasser le degré primaire des significations et à
remonter, en quelque sorte, vers des interprétations plus subtiles et
diversifiées.
*
**
Au terme de cette réflexion sur l'Ordre traditionnel initiatique, et sur les
éléments de son langage, je voudrais conclure en rappelant la significa-
tion des deux triades constituées par les grandes et les petites lumières
car elles révèlent le sens profond de notre démarche.
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Dans l'espace sacré délimité par la loge en tenue et dans l'intervalle du
temps symbolique compris entre midi et minuit (descente du soleil du
zénith au nadir), nous nous situons dans un processus involutif en appe-
lant la descente de la lumière, ce que le croyant appellera le mystère de
l'Incarnation. En effet le volume de la Loi sacrée ouvert au prologue de
l'Evangile de Saint Jean renvoie au verbe créateur qui est cette lumière,
le compas renvoie au ciel et l'équerre à la Terre. Pour les petites
lumières on part de la Terre (pour qui on souhaite la paix), on passe par
l'humanité (où l'on souhaite le processus unifiant de l'amour) et on par-
vient à l'homme individu (en souhaitant que la joie le fasse rayonner).
Telle est l'involution, la descente de la lumière.
Jean-René Pessionne
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