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SERGE CAILLET

COURS DE MARTINISME

INTRODUCTION

AU MARTINESISME

1.

LE MARTINISME

INSTITUT ELEAZAR

 Serge Caillet / Institut Eléazar, 1990-2007


2

Méthode de travail

Ce cycle d'étude du martinisme comprend dix cahiers, dont voici


le premier. Chacun, consacré à un thème particulier, est divisé en
maints paragraphes numérotés. Nous vous suggérons d'adopter la
méthode de travail suivante: lisez un paragraphe, notez en marge les
questions qu'il vous pose ou les réflexions qu'il vous inspire, puis
passez au paragraphe suivant. Après une première lecture complète,
relisez l'ensemble de vos notes, soulignez les questions que vous
n'avez pas encore résolues, et relisez intégralement le cahier, sans
vous arrêter.

Complétez autant que possible l'étude de chaque cahier par les


lectures qui vous sont recommandées pour chacun des thèmes
abordés.

A l'issue de chaque cahier, si vous l'avez souhaité, un travail


écrit vous sera proposé, dont le sujet sera autant que possible
personnalisé. Lorsque vous avez terminé l'étude d'un cahier, adressez-
nous ce travail écrit. Il vous sera retourné corrigé et annoté.

* *

1. Ce cours dont voici le premier cahier se veut d'éveil plus que


d'enseignement, de suggestion plus que de dogmatique. Il vous engage
à un travail de conscience, avec amour et rigueur ; il vous astreint à
cette rigueur, non moins qu'à cet amour, sur les trois plans du corps,
de l'âme et de l'esprit. D'emblée, retenez au moins que la pensée droite
éloigne de la confusion et favorise le travail de conscience.

2. Notre unique objet sera aussi notre grande affaire : chercher,


avec un certain nombre de frères et de guides, et au premier chef
Martines de Pasqually et Louis-Claude de Saint-Martin, dit le
Philosophe inconnu, son élève. Ainsi, vous cheminerez avec eux vers
l'unique but que nous ne tarderons pas à définir. Tout au long des dix
cahiers de la présente « introduction au martinésisme », Martines de
Pasqually nous tiendra donc compagnie, qui fut le premier maître de
Saint-Martin, dont on ne peut aborder l'enseignement sans avoir
d'abord compris celui de son guide.
3

3. Ces frères passés, vous apprendrez à les connaître et à suivre


leur main secourable. En cheminant à leur côté, en prenant pour
guides Martines de Pasqually, le Philosophe inconnu et leurs
compagnons de route d’alors, vous rejoindrez la famille spirituelle des
théosophes dispersés à travers le monde, vous entrerez vous-même
dans la chaîne mystique des théosophes d'hier et d'aujourd'hui, et de
leurs intimes dont la race, certes, n'est pas éteinte.

4. Cette famille, sachez-le, ne constitue ni secte, ni ordre, ni


chapelle. Car les théosophes, petits ou grands, appartiennent en cette
qualité à la Société des Indépendants décrite par Saint-Martin dans Le
Crocodile, qui est l'unique Eglise intérieure, sans négliger bien
entendu leur appartenance formelle à l'une ou l'autre église constituée,
voire à l'une ou l'autre société initiatique.

5. Cette recherche à laquelle vous êtes conviés associe la


pratique à l'étude, et cette étude n'est point une dogmatique, mais une
théosophie. N'y allez pas chercher une satisfaction intellectuelle, mais
un outil de transformation individuelle : un moyen pour aider à votre
propre engendrement. Car la théosophie est la connaissance de la
Vérité, de la Voie et de la Vie. C'est tout un. La théosophie est la
connaissance, qui est la Sagesse, de Dieu. Et cette connaissance est
expérimentale.

6. Si le martinisme est une théosophie, celle-ci est à bien


différencier de certains systèmes, tel celui que forgea Helena Petrovna
Blavatsky, fondatrice, en 1875, de la Société théosophique, dont la
doctrine particulière, à laquelle il conviendrait de réserver le terme
« théosophisme », n'est pas plus à dédaigner qu'à confondre avec la
théosophie.

7. Le martinisme est un théosophe. Or, ce qu'est un théosophe,


un auteur anonyme nous l'explique ainsi :
« On entend par théosophe un ami de Dieu et de la sagesse.
« Le vrai théosophe ne néglige aucune des inspirations que Dieu
lui envoye pour lui dévoiler les merveilles de ses œuvres et de son
amour, afin qu'il inspire cet amour à ses semblables par son exemple
et par ses instructions. Je dis le vrai théosophe : car tous ceux qui
s'occupent seulement de la théosophie spéculative, ne sont pas pour
cela théosophes, mais ils peuvent espérer de le devenir, s'ils en ont un
véritable désir, et s'ils persistent dans la résolution qu'ils ont prise
d'imiter les vertus du Réparateur, et de mettre en lui toute leur
confiance. Un vrai théosophe est donc un vrai chrétien, ainsi que l'on
peut s'en convaincre par leur doctrine qui est la même. Cette doctrine
est fondée sur les rapports éternels qui existent entre Dieu, l'homme et
l'univers ; et ces bases se trouvent ensuite confirmées par les livres
théogoniques de tous les peuples, et surtout par les Ecritures saintes
expliquées suivant l'esprit et non suivant la lettre.
4

« Les théosophes fermes dans leurs principes, ne varient point,


ne disputent jamais; ils tâchent de convaincre par le raisonnement et
par les faits; s'ils ne peuvent y parvenir, ils gardent le plus profond
silence, et gémissent sur les erreurs qui offusquent l'esprit de leurs
semblables; ils prient Dieu qu'il les éclaire et les dispose à recevoir la
vérité: car la vérité porte par elle-même son évidence, il faut
seulement que les esprits soient préparés à la recevoir.
« Ainsi l'on voit que les théosophes ne font point secte ; ils ne
cherchent point à se faire de prosélytes, et ne se conduisent point
comme des sectaires; seulement ils plaident ouvertement dans leurs
écrits, et quand l'occasion se présente, la cause de la vérité. Et, en
effet, peut-on appeler sectaires les sages qui, dans tous les temps, ont
prouvé jusqu'à l'évidence, par leurs discours et par leurs actions,
qu'ils étaient véritablement les amis de Dieu?
« L'unité et la fixité de leurs principes doivent aussi les faire
distinguer des philosophes, dont la diversité des opinions inspire
naturellement la défiance sur leurs différents systèmes, et l'on peut
même dire, sur le mot philosophie, dont on a tant abusé jusqu'à
présent. Car si la philosophie, prise en général, renferme, dans son
sein, toutes les vérités connues, elle y recèle aussi toutes les erreurs
les plus dangereuses. Plaignons ceux qui s'y livrent inconsidérément,
sans avoir reçu le flambeau que la Sagesse éternelle peut seule
donner, quand nous le lui demandons avec sincérité, soit pour nous
éclairer chacun dans nos ténèbres, soit pour éclairer ensuite nos
semblables, si cette Sagesse nous en juge dignes »1.

8. Le théosophe est celui, ou celle, qui tend à se changer en


miroir, afin de réfléchir la Vérité, la Vie, la Voie, la Sagesse. Ce
changement s'accomplit par purifications successives du corps et de
l'âme, des corps et des âmes ; il s'accomplit dans l'initiation interne
dont l'initiation externe est souvent le symbole, et parfois le moyen.
Or, on se purifie en se séparant du mal qui est en nous et où Dieu n'est
pas. S'en séparant, on se rapproche de la Voie, de la Vérité, de la Vie,
c'est-à-dire de Dieu, qui est notre principe.

9. Le moteur de cette initiation, de cette purification, est le


désir : « Le premier principe de la science que nous cultivons est le
désir. Dans aucun art temporel, nul ouvrier n'a jamais réussi sans une
assiduité, un travail et une continuité d'efforts pour parvenir à
connaître les différentes parties de l'art qu'il se propose d'embrasser.
Il serait donc inutile de penser que l'on peut parvenir à la sagesse
sans désir, puisque la base fondamentale de cette sagesse n'est qu'un
désir de la connaître, qui fait vaincre tous les obstacles qui se
présentent pour en fermer l'issue ; et il ne doit pas paraître surprenant
que ce désir soit nécessaire, puisque c'est positivement la pensée

1
Cité par Robert Amadou, Occident, Orient. Parcours d'une tradition, Paris,
Cariscript, 1987, pp. 38-39.
5

contraire à ce désir qui en a éloigné tous ceux qui cherchent à y


entrer ».2

10. Le désir de Dieu et de sa Sagesse est la base, la clef du


travail martiniste. Le martiniste est, selon le titre du plus fameux
ouvrage de Saint-Martin 3, un « homme de désir ». L'expression, qui
vient du prophète Daniel, était chère à Martines de Pasqually avant de
l'être de son disciple le plus intelligent. Le désir essentiel peut lui-
même s'alimenter de tous les autres désirs, non point à refouler mais à
orienter.

11. Puisque le martinisme est une théosophie, et que le


martiniste est un homme - ou une femme - de désir, le but du
martiniste sera celui du théosophe : l'initiation. Selon Saint-Martin,
celle-ci consiste à se rapprocher de notre principe, qui est Dieu.

12. Le martiniste est un théurge, et le moyen de l'initiation


martiniste est la théurgie. Qu'est-ce que la théurgie ? C'est, selon le
Dictionnaire de Trévoux (1704), la « puissance de faire des choses
merveilleuses et surnaturelles par des moyens miraculeux et licites, en
invoquant le secours de Dieu et de ses anges ». La théurgie engage
donc dans le commence avec les anges, qui sont les esprits
intermédiaires entre l'homme et Dieu, et avec Dieu même et sa
Sagesse.

13. Deux voies, dit-on couramment de nos jours, s'offrent au


théurge : la voie externe de la théurgie cérémonielle, qui n’exclue
certainement pas la prière, et la voie interne de la théurgie cardiaque,
qui repose sur la seule prière. L'étude théorique de l'une et de l'autre
s'impose avant l'éventuelle pratique. Il n'y a pas de voie facile, mais il
y a des voies dangereuses. Que chacun suive donc ici le conseil de
l'Apôtre : examinez tout, retenez ce qui est bon.

14. Exhortation préalable : « le premier pas qu'on doit faire doit


être dans le sentier de l'humilité, de la patience et de la charité. Ces
vertus sont si nécessaires dans notre ordre [sc. l’ordre des élus coëns]
que l'on ne peut y faire aucun progrès qu'autant qu'on s'avance dans
ces vertus » 4. Qu’importent les écoles et la voie choisie, cette
exhortation vaut pour le martiniste d'aujourd'hui comme pour celui
d'hier.

15. Martines de Pasqually (que nous désignerons souvent ici


comme Martines, sans autre, ainsi que le firent souvent ses disciples)
est un personnage mystérieux. Le nom sous lequel il s'est fait

2
Instructions aux hommes de désir, Paris, Documents martinistes, 1979, n° 1, p. 1.
3
L’Homme de désir, éd. établie et présentée par Robert Amadou, Monaco, Editions
du Rocher, 1994.
4
Instructions aux hommes de désir, 1, op. cit., p. 3.
6

connaître n'est peut-être qu'un hiéronyme, et son identité profane n'a


pas encore été percée. Ses origines sont obscures, mais retenons
l'hypothèse de Robert Amadou, pour qui Martines était
vraisemblablement d'origine juive espagnole, marrane ou demi-
marrane. Sans doute est-il né vers 1710, à Grenoble ou près de
Grenoble, mais le français n'est pas sa langue maternelle. Il vécut un
temps de l’état militaire, avant de se consacrer exclusivement à son
ordre. Il est mort à Saint-Domingue, où il était parti régler une affaire
profane, en 1774.

16. Celui dont Saint-Martin ne craignait pas d'avouer qu'il était


le seul mortel dont il n'ait pu faire le tour, celui auquel Jean-Baptiste
Willermoz, un autre de ses disciples, ne reconnaissait pas de second,
reste donc encore bien énigmatique plus de deux siècles plus tard.
Beaucoup de ses contemporains l'ont un peu hâtivement jugé, mais le
Philosophe inconnu, lui, ne s'y est pas trompé, qui a reconnu Martines
pour un maître, et même son premier maître.

17. Martines de Pasqually se disait catholique romain, il suivait


et même prescrivait les rites de l’Eglise de Rome, et sa sincérité ne fait
aucun doute. Cependant, sa doctrine ne relève pas de la théologie
romaine, mais du judéo-christianisme primitif, antérieur aux
premiers grands conciles de l'Eglise une et indivise.

18. Les émules de Martines, aujourd'hui comme hier, ne peuvent


être, eux aussi, que judéo-chrétiens. Il en fut, il en est, de plus juifs
que chrétiens, et de plus chrétiens que juifs (la plupart des élus coëns
étaient du reste catholiques romains), mais leur livre de référence
constante n'a cessé et ne cesse d'être la Bible judéo-chrétienne :
Ancien et Nouveau Testaments. Le martiniste de toujours est un
homme de la Bible.

19. Avec les voies théurgiques corollaires, le martinisme se


présente donc en Occident comme un rameau de l'ésotérisme judéo-
chrétien, dépositaire de la doctrine de la réintégration. Cette
doctrine doit être étudiée, assimilée, avant de passer ou de ne pas
passer, à une theosophia practica. Car nul ne peut s'engager dans la
théurgie sans une profonde connaissance théorique des rapports qui
existent entre Dieu, l'homme et l'univers.

20. Or la doctrine martiniste, qui est un illuminisme, a été


transmise par Martines de Pasqually au sein de l'Ordre des chevaliers
maçons élus coëns de l'univers, dont il se présentait comme le
« grand souverain », ou l'un des sept grands souverains, et auquel il
voua sa vie tout en se défendant d'en être le fondateur. En 1760 au
plus tard, Martines de Pasqually a commencé de recruter dans les
loges maçonniques du Midi de la France pour son ordre. Mais avant
Martines, nulle trace visible de cet ordre-là, fut-ce sous une forme
7

non-maçonnique. De toute évidence en effet, Martines a bien organisé


matériellement son école, ce qui n’exclue pas qu’il ait eu des
prédécesseurs, des archives, et même des collègues, comme il l’écrit
lui-même.

21. De toute évidence aussi, l’Ordre coën incarne cette société


qui, comme le dit une prière coën, a été formée dès le commencement.
C’est un avatar de l'Ordre des élus de l'Eternel, lui-même tout
spirituel et tout informel, et voilà pourquoi Martines se défendra de
l’avoir fondé. Car si l'Ordre coën a revêtu une forme maçonnique au
XVIIIe siècle, il eut pu, en d'autres temps, en d’autres lieux, revêtir
d'autres formes. Et Martines a volontairement placé son école sous le
patronage de Josué.

22. Extérieurement, voire exotériquement, l'Ordre des élus coëns


apparaît comme une société maçonnique, parce que la franc-
maçonnerie du XVIIIe siècle est l'une des rares associations tolérées
par l'Eglise catholique romaine. Mais aussi parce qu'elle est par
nature, depuis ses origines et jusqu’aujourd’hui, un véhicule privilégié
de l'ésotérisme judéo-chrétien. Ses premiers émules, Martines les
recruta donc tout naturellement dans des loges maçonniques, et son
ordre s’est d’abord présenté comme un système de « hauts grades »
maçonniques.

23. Cependant, pour Martines de Pasqually, la franc-maçonnerie


ordinaire est « apocryphe », et tout maçon qui n'est pas coën n'est
qu'un pseudo-maçon. De profondes différences entre la maçonnerie
classique, même mystique, qu’il tenta en vain de réformer, et la
maçonnerie coën, ainsi que le besoin d'indépendance de l'ordre, l’ont
donc amené rapidement à prendre ses distances avec la franc-
maçonnerie de son temps.

24. Selon ses Statuts généraux de 1767 5, l'Ordre est constitué


des grades suivants, eux-mêmes souvent répartis en sept classes :
apprenti, compagnon, maître (1ère classe) ; maître élu (2e classe) ;
apprenti coën, compagnon coën, maître coën (3e classe) ; grand
architecte (4e classe) ; chevalier d'orient (5e classe) ; commandeur
d'orient (6e classe) ; réau-croix (7e classe) 6.

5
Pré-publication par Robert Amadou, Institut Eléazar, puis CIREM.
6
Cf. sous ma signature, la série « Les sept sceaux des élus coëns », en cours de
publication dans la revue Renaissance traditionnelle, depuis avril 2000, qui analyse
le contenue rituel et doctrinal de chaque grade : Introduction, n°122, avril 2000, pp.
100-113 ; I. La classe du porche, n°125, janvier 2001, pp. 41-63 ; n° 126, avril 2001,
pp. 74-88 ; n° 127/128, juillet-octobre 2001, pp. 193-209 ; II. Maître élu, n° 133,
janvier 2003, pp. 30-53 ; III. Les grades « coëns », n° 141, janvier 2005, pp. 38-57.
8

25. Ces grades étaient conférés par une initiation rituelle plus ou
moins complexe au cours de laquelle le candidat revivait par exemple
un épisode de l'Ecriture sainte, et surtout par une indispensable
ordination qui devait faire de lui le réceptacle d’esprits intermédiaires
entre Dieu et l'homme, des anges de lumière.

26. Les élus coëns ne sont donc pas de simples francs-maçons.


Pour Martines, ce sont de vrais maçons: des prêtres choisis (c'est ce
que signifie élu coën), capables de célébrer le culte primitif dans le
temple qu'ils contribuent à édifier. Mais le sacerdoce coën ne doit pas
être confondu avec celui des kohanim de l'Ancienne alliance, ni avec
la prêtrise instituée par l'Eglise dès les temps apostoliques.

27. Car le but de l'Ordre coën dépasse de beaucoup celui de la


plupart des rites de la franc-maçonnerie mystique. Ce but, l'élu coën
Vialetes d'Aignan l'explique dans son discours de réception du
chevalier Guibert, le 24 mars 1788. C'est, dit-il, « un ordre qui, ayant
pour but de ramener l'homme à sa glorieuse origine, l'y conduit par la
main, en lui apprenant à se connaître, à considérer les rapports qui
existent entre lui et la nature entière dont il devait être le centre s'il ne
fût pas déchu de cette origine, et enfin à reconnaître l'Etre suprême
dont il est émané » 7.

28. Selon Martines, la doctrine de la réintégration dont l'ordre


est dépositaire, avec la pratique théurgique corrélative, se sont
transmises jusqu'à lui, à travers maintes générations, depuis Enoch.
Cette lignée est celle des élus, petits ou grands, de l'Eternel. Mais
qu'est-ce que la doctrine de la réintégration ? Le mot réintégration en
est la clef, qui signifie réhabilitation, restitution d'un certain pouvoir
perdu, et retour en un lieu d'où l'on a été chassé.

29. Cet enseignement, Martines le dispensa dans son école,


oralement et au moyen des instructions des différents grades. Enfin, il
remettra aux réaux-croix le Traité sur la réintégration, son unique
ouvrage inachevé. C’est un long commentaire du récit biblique, un
midrach du XVIIIe siècle, qui, en complément des nombreuses
instructions de l’ordre, contient les bases doctrinales indispensable à
tout véritable coën.

30. Dans l'attente des autres cahiers à venir, résumons donc le


Traité : de toute éternité, Dieu engendre des êtres, Il émane pour sa
propre gloire des esprits libres qui composent sa cour, ou immensité
divine. Certains de ces êtres viennent à pécher en se rebellant contre le
Créateur, et leur faute spirituelle contamine même les esprits
demeurés fidèles à l'Eternel. Dieu doit protéger ces derniers, punir les
esprits infidèles tout en leur permettant de retrouver leur état perdu. A
7
« Discours coën », ap. Louis-Claude de Saint-Martin, Théosophie et théologie,
Paris, Documents martinistes, n° 13, 1980, p. 69.
9

cet effet, l'univers matériel est créé, et ils y sont enfermés après avoir
été chassés de la cour divine. Mais il faut à cette prison un geôlier, qui
soit aussi un éducateur, et aucun esprit fidèle ne peut accomplir cette
mission, car tous ont été souillés par le crime des mauvais esprits.
Dieu émane donc à son image et à sa ressemblance une nouvelle
classe d'esprits, supérieurs aux premiers parce que non souillés : c'est
l'homme.

31. Puis Dieu détache de cette nouvelle classe un esprit


particulier qui aura pour mission de veiller sur les démons, et d'aider à
leur réintégration : c'est Adam, l'homme-Dieu de l'univers. Mais
Adam pêche à son tour, après que le prince des esprits déchus lui ait
suggéré d'engendrer seul une autre créature, qui dépendrait de lui,
comme lui-même dépendait de Dieu. Cette production ratera : Eve,
engendrée par Adam, sera une créature pourvue d'un corps ténébreux.
Du même coup, Adam se verra lui aussi affligé d'un corps semblable.
Ce sera la seconde chute : Adam, enlisé dans la matière, entrera dans
le monde et perdra le contact direct avec l’Eternel.

32. Dès lors, selon Martines, Adam, et ses descendants dont


nous sommes, ne seront plus capables d'opérations purement
spirituelles, mais seulement d'actions « spirituelles temporelles ». D'où
la théurgie cérémonielle, spirituelle et temporelle, avec certes de
grandes, belles et efficaces prières, mais aussi avec des rites qui
impliquent noms, gestes, parfums, cercles et symboles. Ces opérations
de magie divine, selon Martines, devront permettre à l'homme repenti
d'obtenir le pardon de Dieu, et de recouvrer provisoirement les
pouvoirs dont l'Eternel avait investi Adam.

33. L'homme entre alors en rapport avec les êtres spirituels, les
anges demeurés fidèles à Dieu, dont il lui faut requérir l'assistance en
vue d'exorciser les démons et de les réintégrer, ainsi qu'Adam en avait
reçu la primitive mission. Papus, un siècle après Vialetes, dit que le
martinisme consiste « en l'acquisition, par la pureté corporelle,
animique et spirituelle des pouvoirs qui permettent à l'homme d'entrer
en relations avec les êtres invisibles, ceux que les églises appellent les
anges, et de parvenir ainsi, non seulement à la réintégration
personnelle de l'opérateur, mais encore à celle de tous ses disciples de
bonne volonté » 8.

34. Dès le grade de maître élu, l’initié coën, jusqu’au réau-croix,


a ce droit et ce devoir de célébrer le culte primitif. Mais cette pratique
théurgique, ne nous le cachons pas, exige une véritable consécration à
la fonction sacerdotale, puisque les coëns sont bien, selon Martines,
de véritables prêtres de l'Eternel.

8
Papus, Martinesisme, willermosisme, martinisme et franc-maçonnerie, Paris,
Chamuel, 1899 ; nouv. éd., Paris, Déméter, 1986, p. 7.
10

35. Après la mort de Martines de Pasqually, la dizaine de


temples coëns qu'il avait constituée s'éteignit peu à peu. Le dernier, ou
l’un des derniers à entrer en sommeil fut celui de Toulouse, en 1792.
Des deux successeurs de Martines à la tête de l'Ordre, Armand-Robert
Caignet de Lestère mourut en 1779, et Sébastien de Las Casas
encouragea la dissolution des cercles restants, tandis que Jean-Jacques
Du Roy D’Hauterive prenait officieusement et non moins
efficacement le relais. Pourtant, l'Ordre des chevaliers maçons élus
coëns de l'univers s'est éteint à la fin du XVIIIe siècle ou au début du
XIXe siècle. Les derniers réaux-croix, au nombres desquels il faut
compter Jean-Baptiste Willermoz, ont rejoint l'autre monde au cours
du premier tiers du XIXe siècle, et la filiation rituelle de Martines
s'est perdue.

36. Le lyonnais Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) 9,


disciple de Martines, à consacré sa vie à la franc-maçonnerie où il
entra avant même ses vingt ans. Il appartint à plusieurs rites
maçonniques, reçut quantité de grades de toutes sortes, avant de
rencontrer l'Ordre des élus coëns, où il reçut le grade de réau-croix et
la doctrine de la réintégration, et où il pratiqua la théurgie
cérémonielle.

37. Après la mort du grand souverain et la dissolution partielle


de l'Ordre des élus coëns, Willermoz décida de réformer l'un des
régimes maçonniques auxquels il appartenait, en y insérant la doctrine
de la réintégration. Cet ordre, dit de la Stricte Observance templière,
fut alors métamorphosé en Ordre des chevaliers bienfaisants de la
Cité sainte (CBCS), ou Rite écossais rectifié (RER), d'abord pour la
France (convent de Lyon, 1778), puis pour le monde entier (convent
de Wilhemsbad, 1782).

38. Précisons : Willermoz a confié au Rite écossais rectifié la


doctrine des élus coëns, il n'y a pas transmis la pratique théurgique.
Et s'il est vrai que beaucoup de coëns se sont retrouvés dans l'Ordre
des chevaliers bienfaisants de la Cité sainte, aucun n'y a rien révélé de
la théurgie cérémonielle, ni même de l'existence de cette théurgie elle-
même.

39. La doctrine de la réintégration a donc été exposée dans le


RER, sous une forme symbolique dans les premiers grades, puis de
plus en plus clairement dans l'Ordre intérieur, et enfin d'une manière
complète, quoique résumée, dans la double classe secrète qui coiffe le
régime. Ainsi, à la question « Que demeure-t-il du mouvement lancé

9
Cf. la biographie critique d’Alice Joly, Un mystique lyonnais et les secrets de la
franc-maçonnerie, Jean-Baptiste Willermoz, nouv. éd., Paris, Demeter, 1986 ; et
Robert Amadou, « Honnête homme, parfait maçon, excellent martiniste, Jean-
Baptiste Willermoz (1730-1824) », L’Initiation, juillet-septembre 1985, pp. 100-
110.
11

par Martines de Pasqually, et où peut-on retrouver une filiation


rituelle indiscutable, ininterrompue? », Robert Ambelain répondait
déjà en 1948: « au sein du Régime Ecossais Rectifié ». Et de s'en
expliquer: « En effet, nous avons soigneusement étudié les divers
Rituels et Instructions tant de ses Loges de Saint-Jean que des Loges
de Saint-André ou de son Ordre Intérieur. Tout y est indiscutablement
marqué du sceau martiniste. On peut comparer les instructions des
divers degrés des Elus-Cohen [...] avec celles figurant dans le "Rituel
des Loges Ecossaises Rectifiées". La volonté très nette d'une
perpétuation théorique des enseignement du Maître s'y avère,
indiscutable »10.
A son tour, Robert Amadou confirme : « Le rituel du premier
grade, celui d'apprenti, contient quelques allusions à la réintégration,
à peine intelligibles pour le récipiendaire. A l'autre extrémité,
l'instruction secrète de la grande profession résume (sans le dire) le
Traité de la réintégration. Entre le début et la fin, les références sont, à
chaque degré, plus nombreuses et plus claires, et chaque rituel
annonce que l'on en saura davantage à la prochaine étape » 11. Le
rite écossais rectifié a hérité de la doctrine martinésiste.

40. Le RER se présente comme un ordre maçonnique et


chevaleresque, comprenant les huit grades suivants : apprenti,
compagnon, maître, maître écossais de saint-André (grades
symboliques); écuyer novice, chevalier bienfaisant de la cité sainte
(Ordre intérieur); profès, grand profès (classe secrète).

41. Parce que nul ne peut y être reçu au grade d'apprenti sans
être chrétien, dans sa forme traditionnelle, le rite écossais rectifié est
ainsi l'un des rares rites maçonniques qui, exigeant la foi en Jésus-
Christ, Fils de Dieu, permet à des chrétiens de vivre maçonniquement
leur foi, ce qui, tout en résolvant certains problèmes relatifs aux
rapports de la franc-maçonnerie avec l'Eglise, ne laisse pas d'en poser
d'autres peut-être plus graves.

42. Pour sa part, l'ordre intérieur du RER se réclame d'une


spiritualité templière, et le chevalier bienfaisant de la Cité sainte y a
été substitué au chevalier templier de la Stricte Observance, après la
réforme de Wilhemsbad. Celle-ci avait consisté aussi à renoncer à se
réclamer d'une abusive filiation historique, pour ne plus revendiquer
qu'une filiation spirituelle, avec l'ancien Ordre du temple dissout au
XIVe siècle 12.

10
Robert Ambelain, Le Martinisme contemporain et ses véritables origines, Paris,
Les Cahiers de Destins, 1948, p. 31.
11
Robert Amadou, entretien avec Roger Raziel sur le martinisme, Le Monde
inconnu, n° 3, février 1980, p. 32.
12
Sur la question de l’ésotérisme templier et des « filiations » templières,
notamment en maçonnerie, cf. Robert Amadou, « L’ésotérisme de l’Ordre du
Temple », l’Autre monde, n° 111, premier trimestre 1987, pp. 62-107 ; « Entretien
12

43. Quant à la double classe secrète de la profession et de la


grande profession, à laquelle Willermoz confia la garde du dépôt
martinésiste, le silence est sa règle depuis toujours. Cependant, se sont
constitués depuis quelques décennies de pseudo-collèges de pseudo-
grands profès, qu'il faut dénoncer comme tels.

44. Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) découvrit les


mystères maçonniques et théurgiques de l'Ordre des élus coëns chez
ses camarades du régiment de Foix-Infanterie, alors stationné à
Bordeaux, en 1765. Son carnet de notes, en 1768, le montre déjà très
avancé et très persuadé. En 1769, Martines l'accueille auprès de lui, et
en 1771 il quitte l'état militaire pour se consacrer pleinement à la quête
initiatique, et à l’œuvre de Martines dont il devient secrétaire. Ainsi
l'aide-t-il à la mise en forme du fameux Traité, et est-il ordonné réau-
croix, le 17 avril 1772, quelques jours avant que son maître ne quitte
la France. En 1774 et 1775, Saint-Martin enseigne ses frères de Lyon
13
, et en 1776 il se rend auprès de ceux de Toulouse, où une famille lui
est chère, pour continuer d'instruire. Chez les élus coëns, Louis-
Claude de Saint-Martin a longtemps suivi à la lettre la voie de la
théurgie cérémonielle. Il en a, comme ses frères, goûté les effets.

45. Puis l'attrait de l'interne conduisit peu à peu Saint-Martin à


se séparer d'un ordre socialement en décomposition. On a dit, on a
écrit que Saint-Martin avait cherché, et était parvenu à détruire l'Ordre
des élus coëns, au profit de son propre enseignement. On a souvent
cherché aussi à opposer Saint-Martin et Martines. Or, jusqu'à son
dernier jour, le Philosophe inconnu conserva, et consulta n'en doutons
pas, l'ensemble des documents coëns copiés de sa main, y compris
l'inestimable Traité. Il continua de tenir Martines pour son premier
maître et à se dire coën et initié.

46. Saint-Martin a intériorisée la théurgie cérémonielle en optant


pour la voie interne - que Papus qualifie de cardiaque - tout aussi
méthodique, mais selon lui moins dangereuse. Mais son rejet de la
voie externe n'oppose pas Saint-Martin à Martines, car cette voie-là,
Martines lui-même ne la méconnaissait pas, mais il la jugeait trop
étroite, et pour ainsi dire fermée, alors que Saint-Martin jugea, lui,
qu'il pouvait s'y engager avec succès. Estimant qu'il devait bien se
contenter de ce qu'il avait, Martines enseignait la théurgie externe,
cérémonielle. Saint-Martin sublima cette théurgie en une pratique
intra-cardiaque. Mais le Philosophe inconnu n'est pas un mystique au

avec Serge Caillet sur l’Ordre du Temple », Fragments, n° 1, octobre 2002, pp. 68-
76.
13
Cf. Robert Amadou (avec la collaboration de Catherine Amadou), Les Leçons de
Lyon aux élus coëns. Un cours de martinisme au XVIIIe siècle, par Louis-Claude de
Saint-Martin, Jean-Jacques Du Roy D’Hauterive, Jean-Baptiste Willermoz, 1ère éd.
complète publiée d’après les manuscrits originaux, Paris, Dervy, 1999.
13

sens strict. Saint-Martin est un illuministe et un gnostique. Sa


théosophie joint la connaissance à l'amour.

47. En 1788, le Philosophe inconnu découvrit l’œuvre de Jacob


Boehme (1575-1624), dont il traduisit plusieurs ouvrages, et
approfondit la sophiologie, doctrine de la Sagesse divine, déjà
présente chez Saint-Martin, et que Martines, estime-t-il, n'avait pas
lui-même ignorée. Dès lors, le Philosophe inconnu s'efforcera de
célébrer le mariage de Boehme, son second maître, avec Martines, qui
resta le premier.

48. Martines et Saint-Martin sont des théurges judéo-chrétiens,


mais Saint-Martin est plus chrétien que Martines, et Martines plus juif
que Saint-Martin. Dans la théurgie martinésienne, les anges ont une
importance sans seconde, qui sont eux-mêmes les serviteurs d’Hély, la
Sagesse divine. Dans la théurgie saint-martinienne, l'Ange du grand
conseil, le Christ, devient le seul médiateur indispensable. Le désir du
Verbe-Sagesse, dont nous sommes tous veufs, aimante Sophia, qui
vient lorsque la pureté, ou la virginité requise est retrouvée. Après
l'annonciation du saint ange gardien, et les épousailles avec la
Sagesse, naîtra le nouvel homme : un autre Christ en nous. L'Ecriture,
et le saint Evangile en particulier, symbolisent et tracent les étapes de
cette régénération spirituelle de l'homme.

49. L’œuvre écrite de Saint-Martin encourage l'homme de désir


à engendrer en lui le nouvel homme. Le Philosophe inconnu nous
offre cette œuvre en toute charité, mais nous engage aussi dans la
méfiance des livres, qui ne sont et ne seront jamais qu’accessoires. Le
livre véritable, c'est l'homme. Il faut, dit Saint-Martin, expliquer les
choses par l'homme, et non l'homme par les choses. Méfiance donc à
l'égard des livres. Mais gare à vouloir brûler les étapes! et avec les
étapes les livres... Ce serait partir à l'aventure dans un monde où
l'homme n'est que trop enclin à s'égarer. Avant de pouvoir se passer
des livres, encore faut-il les comprendre.

50. Quoi qu’on dise, Louis-Claude de Saint-Martin n'a pas


transmis d'initiation rituelle qui lui soit propre, il n'a fondé aucune
société, ni aucun ordre d'aucune sorte. Pour le Philosophe inconnu,
l'initiation rituelle, quelle qu'elle soit, est toujours auxiliaire, jamais
indispensable, parce que l'initiation véritable s'accomplit dans le cœur
du nouvel homme, organe de l'amour et de la connaissance
supérieures.

51. En 1882, un jeune étudiant en médecine, le futur Dr Gérard


Encausse (1865-1916), qui n'allait pas tarder à être plus connu sous le
hiéronyme Papus, recueillit, dit-il, le dépôt martiniste qu'il transmit à
son tour, à partir de 1884, sous la forme d'une initiation rituelle très
simple, en trois étapes (associé, initié, supérieur inconnu). Sous cette
14

forme, cette filiation rituelle, dite « martiniste », ou « de Saint-


Martin », remonte seulement à Papus.

52. Saint-Martin n'a pas non plus fondé l'Ordre martiniste,


véritablement constitué par Papus, en 1887-1891, sous la forme d'une
société initiatique. Mais la filiation rituelle qui remonte à Papus n'est
pas pour autant à négliger, pas plus que l'Ordre martiniste que Papus a
placé sous le patronage du Philosophe inconnu.

53. Peu après la mort de Papus, l'Ordre martiniste a éclaté en


plusieurs rameaux, qui se sont à leur tour divisés. D'autre part, l'Ordre
martiniste proprement dit, qui a repris force et vigueur en 1952, sous
la direction du Dr Philippe Encausse (1909-1984), fils de Papus, a
donné lui-même naissance, depuis, à plusieurs nouvelles branches. Cet
ensemble de sociétés constitue l'Ordre martiniste, au sens le plus
général, aux multiples rameaux d'inégale qualité.

54. Jusqu’à preuve du contraire, les filiations « russes » (prince


Galitzine, revendiquée par Robert Ambelain, ou Novikov,
revendiquée par Serge Marcotoune), dont se réclament aujourd'hui
certains ordre martinistes, ne remontent pas plus à Saint-Martin que
celle de Papus. Mais elles ne sauraient, elles non plus, être négligées.

55. Par ailleurs, Papus et son successeur Charles Détré (Téder),


de manière confuse, puis Jean Bricaud à partir de 1919, avaient tenté
de réveiller l'Ordre des élus coëns au sein de l'Ordre martiniste. Mais,
ils ne disposaient ni de la filiation rituelle, ni des matériaux
indispensables à un véritable réveil. Il ne s'agissait en quelque sorte
que d'une pré-résurgence coën.

56. Sur cette base, en 1942-1943, Robert Ambelain, sous le


patronage de Georges Lagrèze, initié par Bricaud, procéda à la
résurgence de l'Ordre des élus coëns, en vertu d'une filiation
spirituelle 14. Ivan Mosca, à qui Robert Ambelain a transmis sa charge
en 1967, mit l’ordre en sommeil en 1968, puis le réveilla en 1995.
Après sa mort, en 2005, il a eu pour successeur J. A., qui lui a rendu
force et vigueur sur ses bases du XVIIIe siècle.

57. Dans maintes lignées issues plus ou moins directement de


cette « résurgence », nombreuses ont été les dérives, et souvent sont
apparu sous l’étiquette coën des pratiques étrangères à la tradition de
Martines.

58. Quoi qu’il en soit, la filiation rituelle des néo-coëns


modernes ne remonte pas plus à Saint-Martin qu'à Martines de
Pasqually. Cependant, si l'intention des néo-coëns est droite, si leur foi
14
Les étapes en ont été consignées par Robert Amadou, dans les carnets d’un élu
coën, 3, «La résurgence. Notice historique », CIREM, 2001.
15

est conforme à celle que l'Ordre exige de ses frères, et si les rites
pratiqués sont fidèles aux rites coëns originels, pourquoi ces mêmes
rites ne retrouveraient-ils pas leur efficacité ? Et, avec la grâce de
Dieu, pourquoi orants et opérants ne se rattacheraient-ils pas ainsi à la
filiation spirituelle de l'Ordre ? D’autant que la découverte de très
nombreux documents coëns (fonds Willermoz, fonds Prunelle de
Lière, manuscrit d'Alger, fonds Hermete, fonds Z, fonds L.A., etc.)
permet aujourd’hui de revenir enfin à une forme très proche, sinon
identique à celle de Martines de Pasqually.

59. L'Ordre martiniste au sens le plus général, à présent


constitué par l'ensemble des branches qui sont issues plus ou moins
directement de l'ordre fondé par Papus, transmet la filiation dite « de
Saint-Martin », ou l'une ou l'autre des filiations « russes », voire l'une
ou l'autre des filiations néo-coëns. Il engage, selon les branches, dans
la voie de la théurgie selon l'externe, ou dans la voie cardiaque, l'une
ou l'autre bien ou mal comprises. Enfin, ces filiations rituelles se
transmettent également, en dehors de tout cadre social, d'initiateur à
initié, tout aussi validement.

* *

Et maintenant, au seuil de ce premier cycle d'étude, qu’il me soit


permis de reprendre à mon compte, au bénéfice de tous, ces propos
d’un instructeur coën, tenus il y a plus de deux siècles : « Je vous
souhaite à tous une union éternelle et indissoluble, que rien ne puisse
altérer. Votre constance à vous unir sera le sceau de votre bonheur.
Unissez-vous à moi pour prier l'Eternel qu'il nous fasse à tous la
grâce de marcher de plus en plus dans la lumière. L'ordre que vous
avez embrassé est le dépositaire du flambeau qui doit vous y conduire.
Votre exactitude, votre zèle et votre persévérance à le suivre, seront
amplement récompensés, et, pendant que tout conspire à écarter
l'homme de son principe, vous serez les dépositaires de la route qui
doit y conduire l'homme pour ne plus s'en écarter. Que la charité soit
éternellement avec nous tous. Amen. » 15

LECTURES CONSEILLEES

15
Instructions aux hommes de désir, II, Documents martinistes, n° 3, 1979, pp. 14-
15. L'ordre auquel réfère l'auteur anonyme de cette exhortation est bien sûr celui des
élus coëns.
16

- Parce que le martiniste est un homme de la Bible, que Martines


et Saint-Martin ont prise pour référence constante, vous ne pouvez
ignorer l'Ecriture judéo-chrétienne, Ancien et Nouveau Testaments :
parole de Dieu même. Faites de la Bible votre livre de chevet, en vous
souvenant que la langue sacrée de l'Ancien Testament est l'hébreu, que
le Nouveau Testament a été écrit en grec (de ce fait, point de
traduction qui ne soit pleinement fidèle), et que l'esprit vivifie la lettre.

- Robert Amadou, "Martinisme", 2e éd., Institut Eléazar (puis


CIREM), 1993 (sur Martines de Pasqually et l'Ordre des élus coëns,
Saint-Martin, le Rite écossais rectifié, l'Ordre martiniste...).
Disponible auprès du CIREM, BP 8, 58130 Guérigny, France.

- Robert Amadou, « introduction » à Martines de Pasqually,


Traité sur la réintégration des êtres dans leur première propriété,
vertu et puissance spirituelle divine. Première édition authentique
d'après le manuscrit de Louis-Claude de Saint-Martin, Le Tremblay,
Diffusion rosicrucienne, 1995.

- Robert Amadou « Préface » et « Introduction » aux Leçons de


Lyon aux élus coëns. Un cours de martinisme au XVIIIe siècle, par
Louis-Claude de Saint-Martin, Jean-Jacques Du Roy D’Hauterive,
Jean-Baptiste Willermoz, 1ère éd. complète publiée d’après les
manuscrits originaux, Paris, Dervy, 1999.

- « Les élus coëns », Emission de Michel Cazenave, avec Robert


Amadou, transcription in Bulletin de la Société Martines de
Pasqually, (librairie « au vieux grimoire », 46, rue des Bahutiers,
33000 Bordeaux) n° 10, 2000, pp. 4-11.

- Jean-Marc Vivenza, Saint-Martin, coll. Qui suis-je ?, Paris,


Pardès, 2003.

- Jean-Marc Vivenza, Le martinisme. L’Enseignement secret des


Maîtres. Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin et
Jean-Baptiste Willermoz, fondateur du Régime Ecossais rectifié,
Grenoble, Le Mercure dauphinois, 2006.

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