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LA SENSIBILITE DANS LES TRAGEDIES DE VOLTAIRE.


, LA SENSIBILITE DANS LES TRAGEDIES DE VOLTAIRE.

RESUME.

La sensibilité dans les tragédies de Voltaire apparaft


comme un amalgame complexe formé d'influences historiques, socio-
logiques et psychologiques. Déjà, au dix-septième siècle, le pu-
blic recherche au théâtre l'attendrissement. Les oeuvres de Cor-
~

neille et Racine comportent de nombreux éléments d'ordre affectif.


Les thèmes de l'amour et de l'amour maternel dans les tragédies de
Voltaire relèvent de cette influence et comportent une part d'ori-
ginalité due à la personnalité de l'auteur.
Voltaire transpose ensuite dans son oeuvre sa haine du fa-
natisme et des pr~tres cruels. D'autre part, il présente l'image
d'un christianisme attendrissant et de nombreux personnages dont
la haute tenue morale provient de leur sensibilité. Le dix-huitième
siècle rattache également au domaine de l'affectivité certains
termes tels l'humanité et la nature. Leur analyse nous fait déc ou-
vrir comment s'accomplit une telle relation. Enfin, toute cette
époque est caractérisÉe par un phénomène bien particulier, les
larmes, moyen par excellence de manifester son émotion.
L'analyse des tragédies de Voltaire rév~le certains as-
pects, peut-~tre moins connus de la personnalité de l'auteur et
nous apporte également le reflet des aspirations de toute une
époque.

Gaétane Hinse-Serre Frencrr Department. ~.

.
LA SENSIBILITE DANS LES TRAGEDIES

DE VOLTAIRE

by

Gaetane Hinse~Serre

A thesis submitted of the Faculty of

Graduate Studies and Research in partial

fu1fi11ment of the requirements for the

degree of Master of Arts

Department of French
MCGi11 University June, 1968
Montreal

Gaetane Hinse-Serre 1969


LA SENSIBILITE DANS LES TRAGEDIES DE VOLTAIRE.
INTRODUCTION
Voltaire domine tout le dix-huiti~me si~cle. Cette épo-
que voulut établir le r~gne de la raison. Cette nouvelle mentalité
entraina une ardeur sans précédent pour les sciences, sorte de pa-
nacée universelle, qui allait enfin débarrasser l'humanité de tou-
te superstition. Malgré la frivolité de la Régence, ~n se mit avec
ardeur à la recherche de la vérité, et tout le si~cle s'engagea
dans une lutte qui devait établir la suprématie des lumi~res.

Voltaire est souvent considéré comme le représentant le


plus illustre de cette littérature de combat. Ne fut-il, en effet,
que ce défenseur acharné des droits de la raison, ce pur cerveau
dont les raisonnements rigoureux voulaient secouer la frivolité
naturelle des Welches? Cet homme d'une mobilité extraordinaire,
engagé corps et âme dans la lutte, n'a pas su ou n'a pas voulu
s'arrêter ê l'analyse de ses états d'âme; croyait-il à l'instar
du "misanthrope sublime" que "le moi est ha!ssable"? Son enfance
demeure toujours secr~te, ses sentiments à l'égard de sa famille
et surtout certains aspects de sa vie amoureuse font partie des
énigmes de l'histoire. Chez cet écrivain qui, par son refus du
lyrisme, a lui-même contribué ê répandre cette réputation de pur
cerveau qu'on lui attribue volontiers, o~ trouverons-nous des
marques de sensibilité?
3

La postérité opare souvent un décalage entre les oeuvres


d'un même auteur. Les écrits les plus célabres de Voltaire se clas-
sent évidemment parmi ses ouvrages philosophiques. Or, dans ces
oeuvres brille avant tout cet esprit fin et malicieux dont les
multiples facéties enchantaient l'Europe entiare. Toutefois, cette
existence si mouvementée fut également jalonnée d'une production
thé8trale abondante et variée. Mais, comme ses tragédies n'attei-
gnent pas, selon la plupart des critiques, la perfection formelle
de ses écrits philosophiques, elles constituent maintenant les
parties mortes de son oeuvre. L'importance énorme qu'elles ont
tenue dans la vie de l'écrivain nous laisse cependant présumer
.. leur intérêt.
Voltaire aimait passionnément le théâtre. Et ce goût
chez lui remonte presque à l'enfance. En effet, ~ l'âge de douze
ans, il compose déjA une tragédie, Amulius et Numitor. A ce pre-
mier essai succédera Oedipe, présenté au public français en 1718.
La prodigieuse carriare de Voltaire débuta et se termina sous les
feux de la rampe. L'apothéose d'Irane représente en 1778, ses adi-
eux à la scane qu'il avait longtemps dominée par sa présence.
Soixante années voient naitre de façon ininterrompue opéras, comé-
dies et tragédies, elles révalent une passion peu commune pour le
théâtre.
Apras avoir écrit ses tragédies, une préoccupation le
hante, les faire jouer. Aussitôt dans un séjour étranger, il cons-
4

trult un théâtrë et les représentations s'organisent. Si le projet


réussit, sa joie ne connatt plus de bornes, et ses "ange~n reçoi-
vent alors des lettres remplies d'un enthousiasme juvénile et dé-
bordant. Et puisqu'on ne peut constamment recourir aux services
de comédiens professionnels, on met les mains ~ la pâte, Madame
Denis joue Zalra et lui-même, n'en déplaise aux bien-pensanta,
celui de Lusignan. Transporté d'enthousiasme, il écrit alors:
Madame Denis est entourée de tailleurs, de coif-
feurs et d'acteurs ••• elle joue Zalre ••• elle nia
pas les beaux yeux de Gaussin, mais elle joue
infiniment mieux qu'elle ••• ! Je fais Lusignan, ce
rôle me convient et l'on pleure. (1)
Comment expliquer une telle prédilection pour le théa-
tre? Voltaire n'était pas le seul ~ vibrer devant les artifices
de l'ert dramatique. A cette 'poque, jouer la comédie constituait
le divertissement par excellence. Tous les châteaux possédaient
leurs petits théâtres. Les hôtes de marque offraient ~ leurs invi-
tés la représentation d'une ou plusieurs tragédies. Le théâtre
de société connut alors une vogue incroyable. Les princes du sang,
la Duchesse du Maine, le Prince de Conti, le Duc d'Orléans et les
riches bourgeois, tel La Poplini~re possédaient leurs sc~nes par-
ticuli~res. A cause de cet engouement, le théâtre devient le

(1) Cité par Perey, Lucien et Maugras, Gaston, La Vie Intime de


Voltaire, Paris, Calmann L'vy, 1892, p. 13.
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moyen par excellence de briller dans la société. L'art dramatique


conduit à la gloire. Le bruit des applaudissements enivre Vol-
taire et rien ne lui procure un plus grand bonheur que le succ~s

d'une représentation thé~trale.

Corneille et Racine brillaient alors de tout leur éclat.


mais rien n'effarouchait ce jeune ambitieux. Le défi s'avérait dif-
ficile à relever; la gloire à conquérir balayait toute hésitation.
Un tel désir de réussite ne suffit pas toutefois pour justifier
la constance avec laquelle Voltaire produisit ses tragédies. Cet
homme était véritablement habité par le démon du théâtre et, si
ses oeuvres dramatiques p~chent par de nombreux défauts, elles
démontrent da la part de l'auteur un don indiscutable. La varlé-
té de ses productions prouve la facilité avec laquelle il imagi-
nait les intrigues les pfus complexes et la réussite de certaines
de ses créations rév~le qu'il savait également animer ses person-
nages, En outre, nous dit Bruneti~re, "nul n'a eu plus que lui
cet ~clat, ce brillant, ce "COloris", qui durent d'ailleurs ce
qu'ils peuvent, mais, vous le savez, qui charment les contempo-
rains." (1)
Ces qualités ont évidemment perdu un peu de leur relie~

-" mais Voltaire n'écrivait pas pour la postérité. Le succ~s

(1) Bruneti~re, Ferdinand, Les époques du théâtre français, Paris,


Calman, Lévy, 1892, Ile conférence, p. 258-259.
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immédiat lui importait davantage. Il ne concevait d'ailleurs le


thé@tre qu'en fonction des représentations. "Il faut avouer, di-
sait-il, que sans les grands acteurs, une pi~ce de théâtre est
sans vie; c'est vous qui lui donnez l'âme. La tragédie est enco-
re plus faite pour être représentée que pour être lue.n(l) Une telle
conception explique la connaturalité existant entre l'écrivain et
son public dont il cherchera sans cesse à percevoir les goûts et
les désirs. Voilà pourquoi ses tragédies reflètent la plupart des
caractéristiques du dix-huiti~me si~cle.

Comment apparatt la sensibilité dans le théâtre de Vol-


taire? Elle provient tout d'abord de l'époque précédente, puisque
la tragédie classique comporte déjà de nombreux éléments d'ordre
~ffectif. D~s lors, nous voyons, grâce à différents facteurs, se
dessiner peu à peu une évolution du public qui recherche avant
tout au théâtre l'attendrissement. L'émotion se manifestera en
premier lieu dans les secteurs traditionnels, l'amour, l'amour mater-
nel et, progressivement, envahira tous les domaines.
On s'interroge souvent sur la valeur et la sincérité
de ces manifestations. En effet, nous dit Blondel,
à distance la caract~re conventionnel des thèmes
affectifs selon lesquels nos prédécesseurs ont

(1) Voltaire, Thé@tre, Paris, Garnier, Moland, 1883, Préface de


Zulime, p. 6, t. 3.
7

conçu leurs émotions et leurs nous saute d'emblée


aux yeux. (1)
Chaque époque élabore son propre code et Voltaira nous transmet
celui du dix-huiti~me si~cle. On peut donc considérer la sensibi-
lité dans son oeuvre en partie comme un phénomène social. Mais,
par un jeu d'inter-influences, le milieu ambiant joue un grand
rôle dans la formation de l'individu, on verra comment les dif-
férentes tendances de cette époque rejoignent tr~s souvent la per-
sonnalité de l'auteur. La sensibilité apparatt donc comme un amal-
game tr~s complexe d'influences historiques, sociales et psycholo-
giques.

(1) Blondel, Charles, Introduction ~ la psychologie collective,


Paris, Colin, 1928.
CHAPITRE PREMIER:

CAUSES DE LA SENSIBILITE.
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Le dix-septième siècle produisit deux grands dramaturges,


Corneille et Racine. Ils présentent un univers dramatique et une
conception de l'homme accusant de multiples différences. Leurs
oeuvres proviennent de moments historiques déterminés. Le contras-
te entre leurs tragédies pourrait-il s'expliquer en partie par une
évolution subie par la société au cours du siècle classique?
Corneille conçoit ses tragédies pendant la Fronde, épo-
que caractérisée par les guerres, les conspirations et les trou-
bles politiques. Tous se passionnent pour les affaires de l'état;
il Y a peu de temps ~ consacrer ~ l'amour lorsqu'il faut combat-
tre pour l'honneur et la gloire. De cette période tourmentée, le
théâtre de Corneille laisse une image sans doute idéalisée mais
non moins fidèle. Evoluant dans un tel contexte, le héros corné-
lien proclame:
Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de mattresses! (1)
Mais ce serait nier la complexité de l'univers cornélien que
de le réduire uniquement ~ l'illustration de l'amour hérolque. Cette
conception, magistralement représentée dans le~, se retrouvera ~

~eu près identique dans Horace, Cinna, Héraclius et Nicomède. Ce-


pendant, l'auteur ne pouvait rester étranger ~ l'évolution de
son milieu ainsi qU'~ l'élaboration de la préciosité. Cette influence

(1) Corneille, Pierre, Théâtre complet, Paris, Gallimard, 1950,


Le Cid, acte 3, sc., 6, P. 801.
10

apparatt de façon tr~s sensible dans plusieurs personnages corné-


liens. Presqua toutes les pi~ces postérieures ~ Cinna contiennent
un couple de héros galants, Thésée et Dircé dans Oedipe, Pompée et
Aristie de Sertorius, les rois Valamir et Ardaric dans Attila, etc.
Le goût de l'amour et des coeurs tendres est tellement répandu
aupr~s du public que l'auteur croit devoir écrire dans la préface
de Sophonisbe:
J'aime mieux qu'on me reproche d'avoir fait mes fem-
mes trop hérofnes, par une ignorante et basse affec-
tation de les faire ressembler aux originaux qui en
sont venus jusqu'~ nous, que de m'entendre louer
d'avoir effiminé mes héros par une docte et sublime
complaisance au goût de nos délicats, qui veulent de
l'amour partout, et ne permettent qu'~ lui de faire
aupr~s d'eux la bonne ou mauvaise fortune de nos ou-
vrages. (1)
Cette influence de la préciosité donnera naissance ~

la tragédie du tendre dans laquelle s'illustrera cet art d'aimer


factice et conventionnel appelé la galanterie. L'hStel de Rambouil-
let a disparu, mais d'autres salons en assurent la survivance.
Madame Deshouliêres, la Comtesse de Noailles, la Duchesse de Mont-
pensier recueillent l'héritage de la préciosité. Ces incursions
sans cesse renouvelées sur la carte du Tendre se transposeront
au théâtre. Vers 1650, la tragédie hérofque n'a plus sa raison
d'~tre et Thomas Corneille écrira avec Timocrate, en 1656, la
premi~re tragédie du tendre. A partir de ce moment, nous dit

(1) Corneille, ~., Préface de Sophonisbe, p. 771, t. 1.


Il

Perrault:
le genre fait fureur, tous les auteurs mettent l'an-
tiquit~ à la"sauce douce": Mlle Desjardins dans Ni-
t~tis; Boyer dans Clotilde, La Mort de D~m~trius,
oropaste ou le faux Tonoxare; l'abbé de Pure dans
ostorius; Thomas Corneille dans Darius, Camma,
Pyrrhus; Quinault dans Astrate, La Mort de Cyrus,
Le Mariage de Cambise, etc. (1)
Corneille publie le ~ en 1636, Andromaque sera pré-
sentée en 1667. Quelle évolution a connue le dix-septi~me si~cle

pour susciter en un laps de temps relativement court des oeuvres


aussi diff~rentes? Au moment où Racine ~crit son premier chef-
d'oeuvre, la France a d~jà rel~gu~ au loin les troubles de la
Fronde. Le nouveau monarque impose à la France enti~re des ca-
dres qui ne s'effondreront qu'à sa mort. Tout devient fortement
hlérsrchis~ et ordonné jusqu'aux moindres manifestations de l'~-

tiquette mondaine.
Versailles constitue le centre vers lequel tous les re-
gards convergent. On voit alors s'~laborer une forme de vie so-
ciale oppos~e à celle de l'époque pr~c~dente. Cette sociét~ for-
me un public aux exigences nouvelles. La g~n~ration de 1660
compose
pour le th~âtre comme pour l'ensemble de la vie
sociale, son code de biens~ances, de convenances,
de goûts: tout un ensemble de normes, ~crites ou
non, auxquelles, plus ou moins consciemment, adhè-

(1) Cité par Nadal, Octave, Le sentiment de l'amour dans l'oeuvre


de Pierre Corneille, Paris, N.R.F. Librairie Gallimard, p. 233.
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rent les adeptes du groupe. La liberté de création


de l'écrivain s'en trouve considérablement restrein-
te. (1)
La tragédie héro!que ne pouvait survivre dans une société o~ toute
la gloire consistait ~ s'assurer les faveurs du jeune roi. Il de-
venait impossible pour Corneille de retrouver cet accord tacite
avec le public sans lequel le succès est incertain. Pour les
courtisans de Versailles, une seule chose compte, l'amour.
VoilA le climat qui règne en France au moment o~ Racine
écrit sa première oeuvre, la Thébafde. Et si nous doutions enco-
re de l'importance prise par l'amour auprès du publiC, l'avertis-
sement de l'auteur suffirait A nous en persuader. Racine éprouve
le besoin de se justifier pour avoir traité le sujet des Frères
ennemis sans la présence de personnages amoureux.
L'amour, dit-il, qui a d'ordinaire tant de part
dans les tragédies n'en a presque point ici. Et
je doute que je lui en donnasse davantage si c'é-
tait A recommencer. Car il faudrait que l'un des
deux frères fut amoureux, ou tous les deux ensem-
ble. Et quelle epperence de leur donner d'autres
intérête que ceux de cette fameuse haine qui les
occupait tout entiers? Ou bien il faut jeter l'a-
mour sur un des seconds personnages, comme j'ei
fait. Et elors cette passion qui devient, comme
étrengère BU sujet, ne peut produire que de mé-
diocres effets. (2)
L'euteur oPPosB-t-il toujours un tel degré de résistence

(1) Descôtes, Maurice, Le public de thé8tre et son histoire, Paris,


Presses Universitaires de Frence, 1964, p. 346.
(2) Racine, Thé8tre complet, Paris, Gallimard, 1950, Préface de la
Théba!de, p. 133-34, t. 1.
13

au milieu ambiant, Andromaque illustre déjà une connaissance du


coeur humain allant bien au-delà des conventions. Hermione, Oreste
inaugurent la série de ces @tres passionnés pour lesquels l'amour
ne saurait se confiner aux normes de la galanterie. Au caract~re

purement superficiel d~une telle conception, le dramaturge substi-


tue la véritable passion, non plus endiguée par les cadres de la
préciosité, mais poursuivie jusque dans ses aspects les plus obs-
curs et les plus instinctifs. L'amour devient cette force sauva-
ge, ce torrent devant lequel l'être humain se retrouve totalement
démuni. Hermione préfigure déjà Phèdre, la plus grande création
du théâtre racinien.
Cependant, tous les personnages ne possèdent pas ce de-
gré de profondeur et d'intensité psychologiques. Chaque tragé-
die présente an effet des raIes offrant une résistance moindre
à l'atmosphère qui imprégnait alors le théâtre français. Cer-
tains couples d'amants affichent un comportement fort sembla-
ble à celui des héros précieux, Britannicus et Junie, Achille et
Iphigénie, Xiphar~s et Monime, Atalide et Bajazet, Hippolyte et
Aricie.
Nous considérons aujourd'hui ces personnages avec moins
d'intérêt. Le dix-septième siècle partageait-il cette opinion?
Certains titres prouvent au contraire que le public d'alors ac-
cordait son attention à des raIes nous paraissant inférieurs.
Pourquoi Britannicus et Bajazet au lieu de Néron et Roxane?
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Madame de Sévigné raconte dans une lettre ~ sa fille, le 24 août


1689, que la Champmeslé devait lutter pour conserver le rôle d'A-
talide.(l) Un tel choix étonne. Ne rév~le-t-il pas les préférences
du public? Racine ne pouvait alors se permettre l'audace de donner
â l'une de ses tragédies le nom d'un homme ~ jamais symbole d'hor-
reur et de cruauté. Sain-Evremond lui reprochait en effet d'avoir
"travaillé sur un sujet qui ne peut souffrir une représentation
agréable: "Agrippine, Néron, Narcisse sont si "noirs", dit-il,
que l'horreur qu'ils inspirent détruit en quelque manl~re la Pi~ce.n(2)
De plus, parmi les tragédies de Racine ayant obtenu le
plus de succês aupr~s des contemporains, Ph~dre et Britannicus
occupent le second rang. Elles nlont point soulevé l'enthousias-
me éprouvé pour Mithridate.
C'était l'oeuvre que le roi préférait; c'était calle
qui inspirait ~ Mme de Coulanges une "continuelle ad-
miration", on jugeait l'oeuvre charmante, tant on a-
vait l'occasion d'y pleurer. (Lettre â Mme de Sévigné,
24 fev. 1693). En vingt ans, de 1680 ~ 1700, elle ne
fut pes représentée moins de 98 fois, chiffre considé-
rable pour l'époque. On la jouait chez Monsieur, ~
Saint-Cloud, ~ l'occasion du mariage du Dauphin, et ~
St-Germain, a Fontainebleau, ~ Chambord. Elle était
la divertissement le plus apprécié des manifestations
officielles. (3)
Et pourtant cette piêce ne comporte aucun personnage atteignant
la densité psychclogique d'Agrippine ou de Ph~dre. Xiphar~s, Mo-

(1) Citée par Maurice Descôtes, Les grands rôles du théâtre de


Racine, Paris, P.U.F. 1957, p. 102.
(2) Lettre ~ M. de Léonne, citée par Descôtes, ~., p. 53.
(3) lQ!9., p. 113.
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nime et Mithridate obéissent ~ l'éthique de l'amour, mais ~ aucun


moment, ils n'en deviennent les victimes. Cet engouement prouve
~ quel point le charmant offrait déj~ plus d'attraits que le pro-
fond.
D~s cette époque, le succ~s d'une tragédie se rattache à
la sensibilité. Le public adopte avec ferveur une oeuvre offrant
de multiples possibilités d'attendrissement_ Déjà, le grand cri-
t~re invoqué devient les larmes. D~s la publication d'Andromaque,
Racine écrit dans la Préface, dédiée à Madame: "On savait enfin que
vous l'aviez honorée de quelques larmes d~s la premi~re lecture
que je vous en fis." (1) Ces quelques larmes constituent pour le
public une promesse d'intérêt.
Andromaque demeure en effet l'expression la plus réussie
de l'amour maternel. Elle représente de plus l'innocente victime
dont le sort suscite ~ la fois l'admiration et la pitié. Cette
tendance des spectateurs è préférer dans une pl~ce le rôle à ses
yeux le plus touchant, celui de la victime, ne cessera de crottre.
Elle atteindre son apogée avec le personnage, selon une certaine
optique, le plus émouvant de tout le théâtre racinien, Bérénice.
Voilà enfin une hérelne sur laquelle les spectateurs peuvent s'a-
pitoyer et déverser le trop plein de leur sensibilité. Racine

(1) Racine, lE!&., p. 25?


16

~crit alors: "Je ne puis croire que le public me sache mauvais gré
de lui avoi~ donné une tragédie qui a été honorée de tant de larmes
et dont la trenti~me repr~sentation e été aussi suivie que la pre-
°1)
mi~re".l Voltaire dira, pr~s d'un si~cle plus tard: "Cet ouvrage
dramatique. Qui n'est peut-être pas une tragédie, a toujours excité
les applaudissements les plus vrais: ce sont les larmes." (2) L'ha-
bitude de juger une nouvelle pi~ce par le nombre de larmes versées
a'appliQuera également aux créations ultérieures de Racine. Mithri-
~ et surtout Iphigénie emport~rent tous les suffrages gr~ce ~

leur caract~re touchant.


De ce théâtre, pourtant si riche de profondeur et d'in-
tensit~ psychologiques, les nouveaux auteurs ne retiendront que
l'aspect le plus artificiel. Racine échappait souvent â la médi-
ocrit~ du langage précieux par la Dureté de son style. Mais, après
lui, la sc~ne sera envahie par lesradaurs de la galanterie. Ecou-
tons l'un de ces galants déclarer son amour:
Jamais on ne brûla d'un amour plus parfait;
Acceptez-en le témoignage,
Depuis assez long-temps, mes feux
Subissaient le sort rigoureux
De ne pouvoir ou n'oser se produire;
Mais puisqu'enfin je suis essez heureux
Pour vous rencontrer en ces lieux
Et pour trouver l'instant de vous instruire
Des traits que dans mon coeur ont port~ vos beaux yeux,
Permettez-moi de vous le dire,
tClarice, oui, j'ose vous aimer. (3)

(1) Racine, lE!&., p. 484.


(2) Voltaire, ~., Commentaires sur Corneille, p. 271.
(3) La Grange-Chancel, Théâtre, PariS, N.B. Duchesne, 1758, Le Dé-
guisement, acte l, sc., 9, p. 47-48.
17

In~s de Castro constitue un mod~ie dans ce genre. Elle remporta un


énorme succ~s, grâce aux situations attendtissantes multipliées ~

plaisir par l'auteur. In~s a épousé secr~tement Don P~dre. contrai-


rement à la volonté du roi Alphonse qui lui destinait son propre
fils. L'héro!ne fléchira la col~re du roi, mais pour concéder lé-
g~rement au caract~re tragique, elle mourra, victime de la cruauté
de la reine-m~re de Castille. Tout le dix-hulti~me siècle en pleura
d'émotion, y compris Voltaire.
Aux yeux de ce public de plus en plus attiré par les chas-
sés-croisés de la galanterie, l'Antiquité apparaissait sous des cou-
leurs trop sombres. Une lourde accusation pesait sur elle: elle par-
lait peu dtamour. Antigone, Electre ne connaissaient que le meurtre
et la vengeance, 11 fallait leur apprendre l'art d'aimer. Voil~

le plus grand des bienfaits ~ leur rendre. Crébillon, entr'autres,


se chorges de cette aimable tache!
Loin que cet amour dont on fait un monstre en soit
un, dit-il, je prétends qu'il donne encore plus de
force au caract~re d'Electre, qui a dans Sophocle
plus de férocité que de véritable grandeur: c'est
moins la mort de son p~re qu'elle venge, que ses
propres malheurs. Triste objet des fureurs d'Egis-
the et de Clytemnestre, n'y a-t-il pas bien ~ s'é-
tonner qu'Electre ne soit occupée que de sa ven-
geance? (1)
Vol1~ une étrange attitude! Electre et Oreste ne vivent Que pour

(1) Crébillon, Oeuvres! Paris, Imprimerie A. 8elin, 1812, Préface


d'Electre, p. 1~7-SB, ~. 1.
18

venger la mort de leur p~re. Quels caract~res rébarbatifsl Ils de-


viendront amoureux. En effet, Crébillon dans Electre, a présenté
ce que Voltaire appelait "la partie carrée", c'est ~ dire au lieu
d'un fr~re et d'une soeur assoiffés de vengeance, deux couples
d'amoureux: Oreste-Iphinianasse, Electre-Itys. Ainsi habillé ~

la mode du jour, il devient difficile de reconnattre le héros


grec.
Votre filla, seigneur, dit-il, est d'un prix ~ mes yeux
Au-dessus das mortels, digne même des dieux.
Je vous dirai bien plus: j'adore Iphianasse;
Tout mon respect n'a pu surmonter mon audace;
Je l'aime avec transport; mon trop sensible coeur
Peut à peine suffire ~ cette vive ardeur. (1)
Comment l'auditoire pouvait-il entendre sans sourire de telles
déclarations?
L'envahissement graduel de la sensibilité dans le théatre
relAve de multiples facteurs dont l'importance de la femme. Si
les tragédies ne peuvent passer la rampe sans faire une large place
~ l'amour, ceci dénote l'influence grandissante de le femme dans
la société. Depuis la malicieuse eatire de Montesquieu, nous savons
que rien ne se fait en France sans son secours. Elle r~gne partout,
â la cour, au foyer; c'est d'elle que proviennent les faveurs ou
les disgrâces.
De plus, la femme participe avec enthousiasme au grand

(1) Crébillon, 12!2., Electre, acte 2, sc., 4, p. 190, t. 1.


19

Mouvement de curiosité universelle Qui anima toute cette époque.


Loin de se confiner au foyer, elle se passionne pour la science,
la guerre, la pori tique. Nous savons avec Quelle ferveur elle as-
siste aux démonstrations publiques de ~hysiQue et de chimie. La
femme devient un être social et ne se contente plus de briller
~ la cour comme Madame de Sévigné. Elle veut désormais exercer
son influence dans toutes les sph~res de la société.
Son emprise apparaft encore plus évidente dans le domaine
littéraire. N'est-ce pas elle Qui établit la réputation d'un écri-
vain? Un roman vient d'être publié: s'il lui platt, le succ~s en
est assuré. De sa protection dépend la réussite, et les portes
de son salon conduisent A la gloire. Mais surtout, nous dit
Goncourt,
Voyez la au théâtre: son caprice est le destin des
premi~res représentations. Elle décide de la victoirs
ou de la défaite des vanités d'auteurs. Elle com-
mande, mieux Que la Morli~re, à toute une salle. Son
applaudissement sauve la tragédie Qui chute: un de
ses baillements tue la comédie qui réussit. C'est
elle Qui fait jouer les pi~ces, les fait sortir du
portefeuille de l'homme de lettres, les retouche,
les annote, les impose aux comités, aux minist~res,
au roi m~me; c'est elle Qui fait monter sur la scè-
ne les Philosophes et Figaro. Sans son patronage,
sans la recommandation de son engouement, on n'est
ni joué, ni applaudi, nimm~me lu. (1)
Or la femme demande A être émue, elle adore verser des larmes.
Voil~ avant tout ce Qu'elle recherche au théâtre. Seules les

(1) Goncourt, Edmond et Jules, La Femme au XVIIIe siècle, Paris,


8iblioth~Que Charpentier, 1896, p. 401.
20

piaces faisant appel à son émotivité trouvent grâce ~ ses yeux.


Pour lui plaire, les auteurs broderont d'infinies variations sur
le thame éternel de l'amour.
Quelles perspectives s'offraient alors ~ l'écrivain vou-
lant débuter dans la carriarà dramatique? D'une part, le lourd
héritage du siacle classique auquel s'ajoutent les fadeurs des
contemporains, de l'autre, un public dont le goût se porte de
plus en plus vers la sensibilité. Comment réagira Voltaire, né,
comme Chateaubriand, au confluent de deux si~cles, face à de tels
déterminismes?
Tout d'abord, loin de renier les chefs-d'oeuvre précédents,
le jeune auteur en fit son pain quotidien. Nous avons vu que chez
lui, le goût pour le théâtre stest éveillé tr~s tôt, et ce goût
provient d'un contact fréquent avec les mettres du dix-septième
siècle, Corneille et Racine. Voltaire possédait une connaissance
tras approfondie du théâtre classique et cette connaissance est
génératrice d'admiration. Tout ce qui touchait au "grand slacIe"
le passionnait. Un tel enthousiasme provient en partie de saror-
mation au coll~ge Louis le Grand. Si Voltaire n'a point ménagé
ses attaques contre les Jésuites, d'autre part, Il les a toujours
considérés comme des hommes d'un goût tras sûr. Aussi tout au
long de sa carriare, il s'adressera à eux afin de recueillir ou
non leur epprobation. A l'occaslon de Mérope, il écrit au père
Tournemine:
Mon tras-cher et tras-révérend p~re, est-il vrai
21

que ma Mérope vous ait plu? V avez-vous reconnu


quelques-uns de ies sentiments généreux que vous
m'avez inspirés dans mon enfance? Si placet tuum
est: c'est ce que je dis toujours en parlant de
vous et du P~re Porée ••• " (1)
Voltaire reçoit donc une formation qui faisait une large
part à l'étude des chefs-d'oeuvre classiques. Tr~s tôt, il con-
çolt une vive admiration pour les deux plus grands dramaturges
du dlx-septi~me s1.cle. On l'a tr~s souvent accusé ~ l'égard du
premier d'avoir fait preuve de jalousie. Ses commentaires ont
~
suscité ~ leur~beaucoup de commentaires ••• Il est vrai que Vol-
taire supportait difficilement la concurrence, mais cette jalou-
sie ne s'est jamais exercée ê l'égard de Racine. N'oublions pas
que ses Commentaires sur Corneille sont svant tout d'ordre gram-
matical et Voltaire, influencé par son si~cle, ne pouvait suppor-
ter aucune entrave à le pureté de la langue française. De plus,
le classicisme, il faut l'avouer. un peu étroit de sa pensés
s'accordait msl avec le baroque de certaines tragédies corné1ien-
nes.
Pour lu1, Racine demeure le peintre insurpassable de
l'amour:
Oul, Monsieur, écrit-il â Vauvenargues, je regarde
Racine comme le meilleur de nos po~tes tragiques,
sans contredit; comme celui qui seul a parlé au
coeur et ~ la raison, qui seul a été véritablement
sublime sans aucune enflure, et qui a mis dans la
diction un charme inconnu jusqu'à luir Il est le

(1) Lettre au P~re Tournemine, déc. 1738, citée par Desnoireterres,


Gustave, YEltaire et la Société française au XVIIIe sl~cIet Paris,
Didier et Cie, IB67, p. 25, t. 1.
22

seul encore qui ait traité l'amour tragiquement;


car, avant lui, Corneille n'avait fait bien par-
ler cette passion que dans le Cid, et le Cid n'est
pas de lui. L'amour est ridicule ou insipide dans
presque toutes ses autres pi~ces. (1)
Une telle préférence rév~le en partie les conceptions dramatiques
de Voltaire. Il subordonne le baroque au classicisme et ne dédai-
gne pas la présence de l'amour au théâtre pourvu qu'il soit traité
de façon vraiment tragique.
Cette admiration s'adresse également ~ Quinault. Voltaire,
tout au long de son existence, n'a cessé de prodiguer des éloges
~ cet écrivain qu'il jugeait élégant et gracieux. Il ne le considé-
rait pas l'égal de Racine, mais on avait tort selon lui de le croi-
re fade et superficiel. Il reprochait surtout ~ Boileau de l'avoir
mé~risé en mettant l'accent sur la supériorité de son collaborateur,
le musicien Lulli. La célébrité de Quinault ~ cette époque prove-
nait surtout de ses activités de librettiste. Voil~ pourquoi, se-
lon Voltaire, l'amour devait y occuper la premi~re place. Mais
l'amour ainsi traité ne s'éloigne-t-il pas du caract~re tragique?
Cette préférence pour l'un des auteurs de la tragédie du tendre
laisse déjê entrevoir la complexité des goûts voltairiens.
De ce contact fréquent avec le si~cle classique, que
conservera l'auteur? Tout d'abord. il partagera les conceptions
dramatiques de ses prédécesseurs. A l'instar de Corneille et Racine.
il compose ses tragédies dans le but de plaire et de toucher. Quels
moyens emploiers-t-il pour atteindre ce but?

(1) Voltaire, ~ettres choisies, Paris, Garnier et Fr~res, 1963,


lettre du 26 fev. 1769, p. 439.
2e CHAPITRE:

MANIFESTATIONS SECONDAIRES DE LA SENSIBILITE.


24

Voltaire, au moment d'entreprendre une carri~re dans


l'art dramatique, envisage tout d'abord les difficultés de ce
projet. La perfection atteinte au si~cle précédent lui impose
la nécessité d'apportar ~ la tragédie cartaines innovatione. Un
espect le frappa, le peuvreté de la mise en sc~ne dans le thé8-
tre classique. Voltsira pense que l'un des meilleurs moyens de
toucher le public est de l'impressionner par un spectacle visuel.
Non que cet aspect doive primer sur le texte, mais il en constitue
un suxiliaire important.
Il a d'ailleurs été l'un des premiers ~ insister sur l'im-
portance de la sansibilité phyaique au thé8tra.
Je sais bien, dit-il, que ce n'est pas un grand
m6rite de parler aux yeux; mais j'ose âtra aûr
que le sublime et le touchant portant un coup
beaucoup plus sansible quand ils sont soutanus
d'un appareil convenable, et qu'il faut frapper
l'8me et les yeux ~ la fois. (l)
De l~ l'attention particuli~re accordée ~ la mise en scène. Dans
La Mort de C6sar, il introduit le sénat allant aux urnes et dans
ses oeuvres ultérieures, ses indications se feront de plus en plus
nombreuses et précises.
En ce sens, il déplore également le peu d'action contenu
dans les tragédies françaises. Remarquons la signification parti-
culiAra eccordée ~ ce terme qui, dens son esprit, symbolise l'as-

(l) Voltaire, Théâtre, Ep!tre de TancrAde, p. 496, t. 4.


25

pect visuel. Pourquoi transposer un événement en récit au lieu de


l'illustrer? D~s la présentation de Marianne, il tentera de mettre
en pratique cette opinion, mais les spectateurs, désorientés, ma-
nifest~rent leur désapprobation. l'auteur renouvellera par la suite
sa tentative et accordera une importance sans cesse grandissante
aux éléments spectaculaires.
la connaissance du théâtre anglais viendra renforcer son
point de vue à ce sujet. les drames shakespeariens avaient provo-
qué chez Voltaire une forte émotion. race à une telle puissance
dramatique, les tragédies françaises lui apparaissaient de plus en
plus comme une série de conversations. Ces impressions deviendront
chez lui presque une hantise. De nombreuses pi~ces portent en effet
la marque d'une telle influence. l'auteur revient probablement d'An-
gleterre avec les ébauches de Brutus; suivront La Mort de César,
Za!re, et plus tard, Eriphyle et Sémiramis. Son rêve le plus cher
est d'apporter à la scène française un peu de la terreur qu'il a
ressentie au contact des grandes fresques shakespeariennes.
Voltaire n'a toutefois pas retenu l'essentiel de ce
théâtre. l'aspect extérieur l'intéresse davantage. L'apparation
de la!us dans Hamlet l'av2it complètement bouleversé. Nous con-
naissons la mauvaise fortune de cette ombre. Dans Eriphyle, Amphi-
araUs, assassiné par la reine, revenait demander vengeance à son
fils Alcméon. On raconte que l'ombre étant incapable de se frayer
un passage sur la scène, alors encombrée de spectateurs, l'un des
figurants dut crier: "Place à l'ombre!" Le parterre ne rat~ pas
26

cette occasion de donner libre cours ~ sa verve satirique. L'auteur


ne réussit pas par ce moyen ~ susciter le climat d'horreur créé par
Shakespeare a
Ombre d'Amphiara6s Arrête, malheureuxl
Eriphyle Amphiara6s! ô ciel! où suis-je?
Alcméon Ombre fatale,
Quel dieu te fait sortir de le nuit infernale?
Quel est ce sang qui coule? et quel es-tu?
Ombre d'Amphiara6s Ton roi.
Si tu prétends régner, arrête, et venge-moi.
Alcméon Eh bien! mon bras est prêt; parle, que dois-je faire?
Ombre d'Amphiara6s Me venger sur ma tombe.
Alcméon Et de qui?
Ombre d'Amphiara6s De ta mère. Cl)
Une telle sécheresse de langage pouvait difficilement enfien-
drer l'angoisse et la terreur. Voltaire tente ~ nouveau d'introdui-
re le spectre dlHamlet dans ses tragédies mais sans plus de succès.
On fut choqué de l'apparition de cette ombre en plein jour, meis
l~ ne réside pas la cause de l'échec. Le dramaturge admirait sin-
cèrement le merveilleux shekespearien mais le scepticisme de son
intelligence l'empêchait de croire réellement ~ de tels procédés.
Une autre influence apparaît non moins évidente ~ la lec-
ture des tragédies de Voltaire, celle du romanesque. A cette époque

Cl) Voltaire, ~., Eriphyle, acte 4, sc., 3, p. 490, t. 1.


27

toutes les productions dramatiques dénotent une telle infiltration.


Le plus grand succ~s de Crébillon, ~hadamiste, ne repose-t-il pas
sur la multiplication des coups de théâtre? Non seulement Voltaire
subit cet envahissement, mais, de toute évidence il aa à l'encontre
de ses propres tendances. Cet aspect apparatt peut-être un peu pa-
radoxal chez l'auteur de Candide. Les incroyables péripéties bou-
leversant l'existence de ce héros rel~vent cependant d'une imagi-
nation tr~s fertile. Voltaire met au service de son théâtre la m&-
me puissance d'invention. Composer une intrigue de ce genre ne cons-
titue pas un fardeau pour lui. Emporté par les voiles de l'imagi-
nation, il écrit Ze!re en trois semaines, Olympie en si. jours.
Voltaire reconnaissait d'ailleurs le caractère romanes-
que de see pi~ces. Pour lui, Alzire "n'est qu'un roman mis en ac-
tion et en vers,,~l~ens doute, Voltaire-critique devait-il réprouver
de tels abus, mais le complaisence évidente avec laquelle il commet
de telles entorses révilent leur caractère inéluctabla. Le public
raffolait du romanesque. Voltaire atteint son but, provoquer l'é-
motion des specteteurs par le déroulement de situations plua bou-
leversantes les unes que les autres. Tenu en haleine par une telle
succession d'événements, l'au~itoire se laisse emporter par aa sen-
sibilité sans rechercher les liens logiques devant les réunir.

(1) Voltaire, !e!B., p. 373, t. 2.


28

Comment, nous dit La Harpe, l'auteur a-t-il pu se


permettre tant de failles de cette importance? Le
succ~s constant a répondu pour lui: c'est qu'au
théatre les situations sont si fortes et si atta-
chantes, que l'on ne songe gu~re à examiner com-
ment elles sont amenées. Le~cteurs pensent et
parlent si bien dès qu'ils sont sur la scène, que
l'on oublie tout le reste, et le coeur est si ému,
que la raison n'a pas le tems de faire une objec-
tion. C'est ce qua Gresaet a tr~s bien exprimé dans
ces vers sur la tragédie d'Alzire:
Aux r~gles, m'a-t-on dit, la pi~ce ast peu fidelle,
Si mon esprit contre elle a des objections,
Mon coeur a des larmes pour elle;
Le coeur décide mieux que les réflexions. (1)
Voltaire reprochait tr~s souvent ~ ses contemporains l'al-
lure mélodramatique de leurs productions. Et pourtant, il tombe
à maintes reprises dans le même travers. Les peesonnages subis-
sant des aventures aussi mouvementées rencontrent de multiples
difficultés sur leurs routes. Ils évoluant très souvent sans se
connattre mutuellement, parfois, ils ignorent même leur propre
identité. Le théatre de Voltaire se peuple d'enfants perdus, de
parents disparus, etc. Et l'auteur de multiplier les reconnaissan-
ces si émouvantes, toujours recommencées, mais toujours accueiJ:-
lies avec un torrent de larmes.
Surtout, en prévision de ces retrouvailles, 11 ne faut
pas oublier les signes distinctifs. Sans la petite croix PDrtée
par Zalre, Lusignan n'aurait pu retrouver S8 fille et sans l'ar-

(1) La Harpe, J.F. Le Lycée ou Cours de Littérature, Paris, Déter-


ville et Lefevre, 1828, p. 402, t. 8.
29

mure conservée par Egisthe, Mérope allait tuer son propre fils. Llar-
chitecture de certaines tragédies repose parfois sur des bases bien
fragiles, ai Aménaide avait indiqué le nom de Tancr~de sur sa let-
tre, le drame ne pouvait avoir lieu. Nous nous étonnons de voir un
homme d'une intelligence aussi impitoyable s'attacher â des moyens
d'une telle puérilité. Mais notre stupéfsction redouble quand il
affirme:
Les reconnaissances sont toujours touchantes, â
moins qu'elles ne soient très maladroitement trai-
tées; mais les plus belles sont peut-être celles qui
prOduisent un effet qu'on n'attendait pas, qui ser-
vent ê faire un nouveau noaud, â le resserrer, qui,
replongent le héros dans un nouveau péril. On s'inté-
resse toujours ê deux personnes malheureuses qui se
reconnaissent après une longue absence et de grandes
infortunes; mais si ce bonheur passager les rend
encore plus misérables, clest alors que le coeur est
déchiré, ce qui est le vrai but de la tragédie. (1)
Conformément ê ce but, et sur les conseils de Diderot, l'au-
teur va également recourir â la pantomime. Dans Tancr~de, le jeu de
Mademoiselle Clairon, entrecoupé de soupirs, de regards voilés et
de silences prolongés réjouissait fort Diderot. De plus, certaines
tragédies, telle Olympie, influencées par l'opéra, seront construi-
tes sous 'la forme d'une succession de tableaux.
Toutes ces innovations d'ordre plut8t extérieur poss~dent

toutefois un but identique, satisfaire le goût du public. Il était


sans doute difficile de conserver un classicisme intégral dans une

(1) Voltaire, ~., Discours sur les principales tragédies ancien-


nes et modernes, p. l8?, t. 4.
30

époque assoiffée de romanesque, mais la secr~te complaisance avec


laquelle Voltaire obéit à tous ces courants nous prouve l'affini-
té le rattachant ~ son milieu.
3e CHSPITRE:
L'AMOUR.
32

Maintes fois, au cours de SB carrl~re, Voltaire a exprimé


ses conceptions au sujet de l'amour. Il n'ignorait pas la tendance
prédominante du public recherchant avant tout au théâtre l'illus-
tration de cette passion. Un tel exclusivisme provient selon lui de
la domination féminine:
Il n'y a gu~re, dit-il, que des jeunes gens et de
belles dames bien mises, tr~s françaises, et très peu
romaines qui aillent ~ nos spectacles; il faut leur
perler de ce qu'elles font, et sans amour, point de
salut. (1)
Ses critiques portent aur l'intrusion de l'amour au milieu de su-
jets qui, normalement, n'en comporteraient pas. Voil~ selon lui
la faute la plus impardonnable du théâtre français.
Il n'entend pas priver la tragédie d'un élément aussi pri-
mordial. Il déplore toutefois la facilité avec laquelle la galante-
rie se substitue ~ l'amour. Même le grand Racine n'échappe pas ~

un tel reproche. Mais, par contre, le premier, il a su traiter ce


sentiment comme une passion véritable:
Pour que l'amour soit digne du théâtre tragique
il faut qu'il soit le noeud nécessaire de la pi~ce,
et non qu'il soit amené par force, pour remplir le
vide de nos tragédies, qui sont trop longues; il
faut que, ce soit une passion véritablement tragi-
que, regardée comme une faiblesse, et combattue par
des remords. (2)

(1) Voltaire, Lettres choisies, A M. le duc de Richelieu, Berlin,


31 août 1751, p. 172.

(2) Voltaire, Théâtre, Discours sur la tragédie, p. 324, t. 4.


33

La composition de sa première tragédie, Oedipe, situe déj~

l'auteur au coeur de ce problème. Voilà certes un sujet où nous


nous attendons peu ~ trouver l'amour. Et pourtant, nous surprenons
sur les lèvres de Jocaste ces paroles:
Ne crois pas Que mon coeur
De cet amour funeste ait pu nourrir l'ardeur,
Je l'ai trop combattu. Cependant, ch~re Egine,
Quoique fasse un grand coeur où la vertu domine,
On ne se cache point ces secrets mouvements
De la nature en nous indomptables enfants;
Dans les replis de l'âme ils viennent nous surprendre,
Ces feux Qu'on croit éteints renaissent de leur cendre:
Et la vertu sévère, en de si durs combats,
Résiste aux passions et ne les détruit pas. (1)
Au moment où le jeune Arouet s'arrogeait insolemment le droit de
critiquer Sophocle, il ne lui répugnait pas de modifier ainsi la
tradition historique. Plus tard, cependant, il reconnaîtra ses
torts, et, par une petite ruse dont il était familier, il accuse-
ra les comédiens d'en être la cause.
Ainsi, chaque fois Que Voltaire se propose de présenter une
pièce "sans amour", il invective son public aux goûts très peu ro-
mains. Il voudrait bien modifier les habitudes de ses contemporains,
mais comme une telle entreprise s'avère héro!Quel Il écrira il est
vrai des tragédies sans galanterie, Rome Sauvée, Oreste, Méropa.
Mais, dans Brutus, il introduira un couple d'amoureux. Titus n'a
pu résister aux charmes de la jeune Tullie. Cette fois au moins,
le public fit preuve d'un jugement sûr. On s'est beaucoup moqué de

(1) Voltaire, i2!2., Oedipe, acte 2, sc., 2, p. 72, t. 2.


34

cette Tullie, incarnée Dar une débutante dont la timidité fit res-
sortir davantage la nullité du raIe. Il faut avouer que le dialo-
gue ne brillait pas par exc~s d'originalité:
Titus Madama, est-il bien vrai? daignez-vous voir encore
Cet odieux Romain que votre coeur abhorre,
Si justement ha!, si coupable enV8rs vous,
Cet ennemi?
Tu11ie Seigneur, tout est changé pour nous.
Le destin me permet ••• Titus ••• il faut me dire
8i j'avais sur vous un véritable empire.
Titus Eh! pouvez-vous douter de ce fatal pouvoir,
Da mes feux, de mon crima, et de mon désespoir?
Vous ne l'avez que trop cet empire funeste;
L'amour vous a soumis mes jours, que je déteste;
Commandez, épuisez votre juste courroux;
Mon sort est entre vos mains.
Tullie Le mien dépend de vous. (1)
Un tel langage surprend dans une pi~ce consacrée aux vertus répu-
blicaines!
Un autre personnage subira d'importants remaniements. L'his-
toire nous présente en effet en Gengis Khan un guerrier barbare et
un conquérant redoutable. Il en fut ainsi jU9qU'~ l'apparition d'I-
damé. A partir de ce moment, Gengis éprouve des tourments inconnus.
Perplexa, hésitant, il ouvre enfin les yeux, le voil~ ~oureux!

D'o~ vient que je gémis? d'o~ vient que je balance?


Quel dieu parlait en elle, et prenait sa défense?
Est-il dans ses vertus, est-il dans la baauté
Un pouvoir au-dessus de mon autorité? (2)

(1) Voltaire, ~., Brutus, acte 3, sc., 5, p. 355, t. 1.


(2) Voltaire, ~., Orphelin de Chine, acte 3, sc., 4, p. 331, t.
4.
35

Tout ceci paraIt bien ridicule. Voltaire lui-même qualifiait Gengis


Khan de personnage ê l'eau de rose. Il en sera ainsi, chaque fois
que l'amour surviendra de façon épisodique dans une pi~c8. Voltai-
re succombe alors aux travers tant décriés chez ses rivaux.
Aprês avoir renouvelé la tentative d'Oedipe en présentant
Brutus, l'auteur, lassé des reproches qu'on lui adresse de ne pas
mettre suffisamment d'amour dans ses pi~ces, entrevoit la composi-
tion d'une oeuvre dans laquelle il osera enfin "s'abandonner à
toute la s8nsibilit~ de son coeur". Il s'agit de Za!re, "ZaIre
l'enchanteresse". Ce fut l'un des plus grands succès du dix-hui-
ti~me siêcle. Quelle image de l'amour y retrouve-t-on?
La scêne se déroule ê Jérusalem où Za!re, depuis san en-
fance, est prisonniêre du sultan Orosmane. Celui-ci, toutefois, ado-
re sa jeune captive. Il lui propose de l'élever à la dignité de
reine de l'empire ottoman. Comment accueille-t-elle cette propo-
sition? za!re, avec spontanéité, dévoile sa tendresse et la pièce
débute par la confidence de son amour. Elle se souvient d'avoir con-
nu jadis un autre pays, une autre religion, mais ces souvenirs, de-
venus lointains, n'ont ooint empêché la naissance d'un tel senti-
ment:
Je ne voix qu'Drosmane, dit-elle, et mon âme enivrée
Se remplit du bonheur de s'en voir adorée. (1)
Za!re mesure toute la distance franchie par le sultan qui

(1) Voltaire, 1Q!2., Za!re, acte 1, sc., 1, p. 561, t. 1.


36

n'a point dédaigné une captive et la reconnaissance augmente son


affection. La tendresse d'Orosmane, sa délicatesse et non son dia-
d~me ont su gagner son coeur. Dénuée de toute ambition, Za!re ne vit
que pour l'amour. Elle s'ebandonne sans crainte à toute l'ardeur de
ses sentiments puisqu'elle reçoit sans cesse de nouvelles preuves
d'attachement. Pour elle, les usages seront abolis et Zalre régnera
seule sur l'empire ottoman. Elle envisage l'avenir en toute qUiétude,
sûre de répondre aux conditions d'Drosmane qui n'exige d'elle. qu'une
passion égale ~ la sienne.
Loin d'être irritée par l'état de dépendance dans lequel
elle se trouve, douce et timide, elle éprouve de la joie ~ tout
recevoir de celui qu'elle aime. Ses bontés, dit-el~e, font seules
mon destin. Son amant se double d'un bienfaiteur. Seule au monde,
prisonni~re dans un pays étranqer, Zalre prodigue à Drosmane toute
l'étendue de son affection.
La vie s'écoule heureuse pnur la jeune fille; UD événement
viendra cependant bouleverse. ses espoirs de bonheur. Un chevalier
chrétien, Nérestan, revient, BU moyen d'une rançon, délivrer les
prisonniers. Drosmane accepte mais oose une restriction: de crainte
qu'un nouveau conflit ne sI/rvienne, Lusignan, leur chef, restera
emprisonné. Cette condition désole Nérestan, m2is Zalre, toute-puis-
sante aupr~s de son bien-aimé, en obtiendra la libération.
Toute à sa joie, Za!re n'oublie pas ses compagnons de cap-
tivité. Attentive à leur détresse, elle vient elle-même leur annon-
cer la grâce de Lusignan. Or ici se produit l'inévitable reconnais-
37

sance ~ laquelle Voltaire ne sait pas résister, soit par incapacité


~ dessiner une intrigue moins comolexe ou parce qu'il sait trouver
l~ un moyen infaillible de toucher les spectateurs. Za!re se retrou-
ve donc à la fois fille de Lusi~nan et soeur de Nérestan. Ces der-
niers n'oublient pas de lui rappeler son apoartenance à la reli-
gion chrétienne.
Nous voyons alors se dessiner le drame cornélien par 8xcel-
lence du ponflit entre l'amour et le devoir. Quelles seront les
réactions de l'hérofne, face à un tel dilemne? Elle a promis, il
est vrai, de revenir à la religion de ses pères, mais comme cette
promesse devient source de souffrances! Son désarroi ne s'exprime
pas en de longues délibérations dans lesquelles alternent invariable-
ment les mots amour et devoir. Dépourvue du tempérament altier des
Chim~ne et des Camille, sa douceur la rend étrang~re à une telle
dialectique. Le devoir constitue un impératif impuissant à soute-
nir sa faiblesse. A Nérestan qui lui reproche sa conduite, elle
offre cette excuse:
Le jour que de ta soeur Drosmane charmé •.•
Pardonnez-moi, chrétiens: qui ne l'aurait aimé?
Il faisait tout pour moi; son coeur m'avait choisie;
Je voyais sa fierté, pour moi seule adoucie.
C'est lui qui des chrétiens a ranimé l'espoir;
C'est à lui que je dois le bonheur de te voir. Cl)
Za!re a peine à concevoir que sa tendresse apparaisse
maintenant comme un crime. Elle entend demeurar fidèle à sa pro-

(1) Voltaire, !E!È., Zafre, acte 3, sc., 4, p. 587, t. 1.


38

messe, mais aussitôt, elle se remémore son bonheur. Seule, elle


laisse échapper ses regrets:
Cher amant, ce matin l'aurais-je pu prévoir,
Que je dusse aujourd'hui redouter de te voir.
Moi qui, de tant de feux justement possédée,
N'avais d'autre bonheur, d'autre soin, d'autre idée,
Que de t'entretenir, d'écouter ton amour,
Te voir, te souhaiter, attendre ton retour?
Hélas! et je t'adore, et t'aimer est un crimel (1)
D'autres infortunes attendent la malheureuse Za!re. La dé-
couverte des liens qui les unissaient ont entratné entre elle et
Nérestan de multiples rencontres. Ces rencontres, mystérieuses a~s

yeux d'Orosmane, ont éveillé sa jalousie, aiguisée encore davantage


par les rétiscences de la jeune fille. Avec sa na!veté habituelle,
elle voudrait bien lui faire part de son secret, mais elle a promis
le silence afin de ne pas nuire aux chrétiens.
Le drame atteint alors son apogée et le spectateur anticipe
avec anQoisse la rencontre de ces amants désormais séparés par un
double obstacle. Comment Orosmane, torturé par la jalousie, réagi-
ra-t-il en présence de Za!re qui ne peut, sans trahir ses amis, dé-
truire ses soupçons? Une telle situation nous montre l'habileté
avec laquelle Voltaire exécutait ce qu'on appelle en langage thé§-
tral les sc~nes ê faire. Ainsi, le quatrième acte comporte, selon
Francisque Sarcey, une hardiesse inouie:
Ils se sont quittés; Orosmane reste en scène; on
lui apporte un billet qui accuse Za!re; il la rap-

(1) Voltaire, ~., acte 3, sc., 5, p. 588, t. 1.


39

A , •
pelle; elle revient. C'est la merne scene qUl re-
commence; Za!re ne pourra que protester de nouveau
de sa tendresse, de son innocence, et de l'impos-
sibilité oô elle est de se rendre; orosmane ne pour-
ra que répéter ses interrogations, ses étonnements
et ses transports. Je ne sais si l'on trouvarait
dans un autre ouvrage dramatique l'exemple d'une
reorise aussi extraordinaire. (1)
En effet, la piêce t'lute enti~re repose sur la jalousie
d'orosmane et l'expression constante de la tendresse la plus pure
chez Za!re. L'amour illumine son visage. orosmane pressent d'ail-
leurs quel effort lui impose son attitude réticente.
Elle m'aime sans doute, dit-il à Corasmin, oui, j'ai lu devant toi.
Dans ses yeux attendris, l'amour qu'elle a pour moi;
Et son âme éprouvant cette ardeur qui me touche,
Vingt fois pour me le dire a volé sur sa bouche. (2)
Mais le billet intercepté réveille tous ses soupçons et déclenche le
dénouement final. Zafre périra, victime de la jalousie d'orosmane,
mais surtout de sa tendresse.
Cette piêce fut un triomph~ dû au charme indéniable de cette
tragédie, mais aussi au talent de l'actrice incarnant le rôle de
Za!re, Mademoiselle Gaussin. Celle-ci le joua avec une grâce et
une sensibilité admirables. Voltaire savait d'ailleurs lui attribuer
une part du mérite puisqu'il affirmait devoir une telle réussite
au charme de "ses beaux yeux".
Certains critiques ont cherché à retrouver dans la figure
de Za!re, le reflet de certain8s insf,iratrices. Bruneti~re émet

(1) Sarcey, Francisque, quarante ans de théâtre, Paris, Biblioth~que


des Annales, 1900, p. 298-299.
(2) Voltaire, !Q!E., Za!re, acte 4, sc., 4, p. 600, t. 1.
40

trois hypoth~ses, le sQuvenlr d'Adrienne Lecouvreur, de Mademoiselle


Alssé et de la créatrice du rôle, Mademoiselle Gaussin. (1) Il de-
meure impossible d'établir la certitude de ces affirmations. Ce qui
importe d'ailleurs, c'est la justesse avec laquelle Voltaire a su
exprimer l'amour. Le texte coule d'abondance, animé par la sensi-
bilité de l'auteur.
Voltaire atteint-il dans Za!re ~ l'expression de la passion?
aa composition de ce personnage féminin dénote il est vrai une cer-
taine influence racinienne. Za!re s'inscrirait facilement dans la
lignée des Junie, Atalide et Monime. L'héro!ne ne porte pas en elle
les causes de son drame. Et l'aspect dram~tique du conflit se trouve
diminué du fait qu'elle esp~re secr~tement rallier Orosmane ~ sa
religion. Sa tendresse demeure uniforme du début ~ la fin de la piè-
ce. Elle ignore ces intermèdes si fréquents dans le théâtre de Rs-
cine pendant lesquels les oersonnages se leurrent eux-mêmes et
croient avoir cessé d'aimer. Aucun changement brusque, nul "qui te
l'a dit". Za!re ne connatt pas Vénus et ses fureurs. L'amour appa-
ratt ici conçu, non comme une passion dévorante, mais comme un sen-
timent d'une douceur merveilleuse. Elle rassure ainsi sa confidente
qui craint de perdre snn amitié:
Sois toujours mun égale, dit-elle, et goûte mon bonheur;
Avec toi partagé, je sens mieux sa douceur. (2)

(1) Cf. Brunetière, op. cit., p. 266.


(2) Voltaire, !2!B., Za!re, acte l, sc., l, p. 559, t. 1.
41

Chacune de sas ar-~aritions crée une ambiance de joie sinc~re

et na!ve. L'amcur se traduit dans un mode aux sonorités douces et


veloutées. Nul éclat, nulle surprise, mais une tendresse ininterrom-
pue, toujours égale à elle-même. La jalousie d'Orosmane ne parvient
Das ~ ébranler cette constance.
qu'ai-je à lui reprocher, dit-elle,
C'est moi qui l'offensais, moi qu'en cette journée
Il a vu souhaiter ce fatal hyménée;
Le tr8ne était t;ut prêt, l'autel était paré,
Mon amant m'adorait, et j'ai tout différé. (1)
Une telle conception poss~de une intensité dramatique inférieure,
mais Voltaire, se confinant dans ces limites, l'a exprimée avec
justesse et sincérité.
Za!re offre une autre source d'intérêt, elle nous rév~le le
langage de cette époque. Dans cette société où régnait la politesse
la plus raffinée, telle devait être l'expression de l'amour. Oui,
nous dit 8runeti~re,

c'est ainsi que l'on parlait, que l'on devait parler


alors, et dans ces vers galants, faibles et harmoni-
eux, Voltaire a fait passer le sourire heureux et ai-
mable, les inflexions de voix caressantes, et jusqu'aux
attitudes élégamment passionnées de ce moment du siècle.
Par un reste de galanterie, on mettait alors de l'es-
prit dans l'amour, et on ne s'autorisait pas pour plaire
du droit de sa passion, mais du désir que l'on avait de
plaire, ce qui en donnait quelquefois les moyens. Tous
élégans, tous charmans, tous sourians parmi leurs
larmes, c'est un moment unique du XVIIIe siècle, celui
qui fut la perfectian même de la politesse des moeurs,
du plaisir et de la joie de vivre que Voltaire, dans
Za!re, a fixé Dour toujours. (2)

(1) Voltaire, ~., Za!re, acte 5, sc., 3, p. 610, t. 1.


(2) 8runeti~re, Ferdinand, Revue des Deux-Mondes, 1er dec. 1888, p. 703.
42

L1auteur possédait à ce moment une grande expérience de la socié-


~é. N1avait-ll pas fait déjà, l'apprentissage de la vie de ch8-
teaux? Au milieu de la cour la plus policÉe d'Europe, il devenait
obligatoire de conserver dans les circonstances les plus graves
de la vie le calme et mdignité. On aimait et cessait d1aimer avec
la même grâce. Cette politesse galante se retrouve dans Zafre où
jamais les personnages ne se départissent de leur courtoisie.
Le thé~tre de Voltaire, nous dit Lanson, "apporte la créa-
tian d'un type féminin, dérivé de Shakespeare et qui répond à l'idé-
al des ~mes sensibles: la femme douce, faible, séduisante, toute à
l'amour, incapable d'effort hérofque, Za!re, Aménaide, Idamé~l)zafre
constitue la première esquisse de ce type d'hérolne. Il faut sou-
ligner toutefois qu'Idamé incarne plutôt l'amour maternel et que
le personnage d'Aménaide comporte, nous le verrons, certaines ca-
ractéristiques particulières. La plupart des figures féminines
correspondent cependant à cette définition.
Un aspect lBs distingue tout d'abord des hérofnes corné-
liennes, leur caractère a politique. Impossible de déceler en elles
la m~indre trace d'ambition. Jamais leur amour ne s'est éveillé en
fonction du rang social occupé par l'homme de leur choix. Aménaide
n'abandonne pas Tancrède, condamné au bannissement et à l'exil.
Lorsque Zamare, vaincu par Gusman, revient vers Alzire et lui

(1) Lanson, Gustave, ESquisse d'une histoire de la tragédie fran-


çaise, Paris, Librairie ancienne Honor~ Champion, 1954, p.147.
43

exprime son regret de ne pnuvoir désormais lui offrir un diadème,


elle manifeste un désintéressement total:
Ah! dit-elle, qu'était-il sans toi? Qu'ai-je aimé que toi-même?
Et qu'est-ce 8upr~s de toi que ce vil univers? (1)
L'amour constitue leur seule raison de vivre. Etrang~res

à tout autre motif, elles ne s'él~vent jamais jusqu'au sto!cisme.


Peu importent les devoirs religieux, la puissance politique, tout
c~de à leur tendresse. Cette tendresse survit même â la trahison

de l'être aimé. Zulime, réalisant trop tard son erreur, mourra


dans un cri d'amour:
Je baise cette main dont il faut que j'expire,
Mais pour prix de mon sang, pardonnez à Ramire; (2)
Leur amour les conduit à la forme d'abnégation la plus totale, celle
de pardonner jusqu'à l'indifférence.
Voltaira enveloppe généralement ses héro!nes d'un halo de
douceur. Aucun murmure, aucun reproche ne s'échappe de leurs bou-
ches. Ainsi Za!re, au lieu de blâmer l'attitude soupçonneuse d'O-
rosmane, s'attribue tous les torts. Soumises à l'autorité pater-
nelle, voilà le seul impératif capable de les faire renoncer â
leur amour. Alzire, pour sauver les siens et sur les instances de
son p~re, épouse contre son gré le cruel Gusman. Par contre, les
conventions sociales trouvent en elles des opposants farouches.
Zulime a tout quitté GOUr suivre Ramire. Aménaide n'écrit-elle

(1) Voltaire, !E!B., Alzire, acte 4, sc., 4, p. 423, t. 2.


(2) Voltaire, !E!Ë., Zullme, acte 5, sc., 2, p. 59, t. 3.
44

~ un homme condamné au bannissement? De plus, afin de défendre son


honneur, elle ira, contrairement aux usages, combattre aupr~s de
son p~re. Une grande dierté émerge en effet de ce personnage fé-
minin. La conduite de son amant provoque sa col~re:

Rien ne peut l'excuser, dit-elle,


Quand l'univers entier m'accuserait d'un crime.
Sur son jugement seul un grand homme appuyé
A l'univers séduit oppose son estime
Il aura donc pour moi combattu par pitié!
Cet opprobe est affreux, et j'en suis accablée.
H~'as! mourant pour lui, je mourais consolée;
Et c'est lui qui m'outrage et m'ose soupçonnert (1)
Cruellement blessée par l'attitude de Tancr~de, elle ne lui par-
donnera qu'après avoir reçu un hommage éclatant ~ sa fidélité.
Les amoureuses du théâtre voltairien poss~dent toutes un
m@me trait: elles sont des victimes. Douces, nalves, elles subissent
leur destin. Déj~, au dix-septième siècle, nous voyons apparattre
ce type féminin. Il va sans dire qu'une telle conception de la
femme se rév~le particulièrement apte à toucher les coeurs tendres.
Comment ne pas s'apitoyer sur le sort de ces touchantes hérolnes
dont le seul tort consiste ~ aimer? Leurs malheurs provoquent la pitié
des spectateurs et bien des larmes ont coulé aux représentations
des tragédies conçues dans une telle optique. La création des per-
sonnages féminins constitue donc lIune des manifestations les
plus importantes de la sensibilité dans le théâtre de Voltaire.
Comment, d'autre part, l'auteur a-t-il exprimé l'amour
par l'intermédiaire des personnages masculins? Très souvent, il

(1) Voltaire, ~., Tancrède, acte 4, sc., 5, p. 347, t. 9.


45

a voulu décupler leur force dramatique en les mettant aux prises


avec les affres de la jalousie. Dans Adélafde jW Guesclin, Zamore,
repoussé par Adélafde, soupçonne la présence d'un rival inconnu, nul
autre que son frère. Cette première tentative s'avéra peu fructueuse.
Voltaire la reprit dans le personnage d'Orosmane. Za!re procède en
effet d'Othello. Cependant, il faut avouer qu'elle a peu retenu du
modèle initial. L'auteur transforme complètement le rôle intensément
tragique d'rago. Au lieu de provoquer le drame, Corasmin contribue
plutôt à l'amoindrir. De plus~ à la force brutale d'Othello, Vol-
taire oppose la délicatesse et les scrupules d'Orosmane. Nous re-
connaissons mal la violence du More de Venise dans ces paroles:
Madame, il fut un temps où mon âme charmée,
Ecoutant sans rougir des sentiments trop chers,
Se fit une vertu de languir dans vos fers. (1)
La peinture de la jalousie apparaît constamment artifici-
elle, étouffée par le gracieux langage de la galanterie. Lekain
insufflait cependant au personnage l'allure passionnée dont il
. était dépourvu. Mais, pouvait-on espérer davantage dans un siècle
où l'on considérait un mari jaloux comme un malotru? Voltaire qui
fut, au cours de sa vie, un amant trompé, joua-t-il ce rôle dif-
féremment? A cette époque, on s'inclinait avec courtoisie devant
l'inévitable.
Les personnages masculins portent tous en effet le sceau
de la galanterie. Un seul attire davantage l'attention, Tancrède.

(1) Voltaire, ~., Zaire, acte 4, sc., 2, p. 59?, t. 1.


46

Deschanel voit en lui un précurseur du héros romantique. Cette pi~-


ce fit d'ailleurs les délices d'un autre enfant du si~cle, Musset.
Il raconte dans ses Propos sur la Tragédie, comment la grande Ra-
chel, jouant le rôle d'Aménaide, découvrait, sous la versification
lâche et faible du style, la richesse des sentiments exprimés.
Malheureux, persécuté, Tancrède doit fuir celle qu'il ai-
me. Défait au combat, il revient vers Aménaide mais pour apprendre
qu'elle doit mourir déshonorée. Au comble de la douleur, il se
croit trahi, mais il combattra pour défendre l'honneur de sa bien-
aimée. Cette action des plus chevaleresques portait le pathétique
à son comble. La Harpe raconte d'ailleurs quelle émotion délirante
elle suscitait de la part du public:
J'étais à la ~lremière représentation de Tancr~de, il y
a bien des années, et j'étais bien jeune; je n'ai jamais
oublié le prodigieux effet que produisait dans toute
l'assemblée, le moment où l'acteur unique qui ne jouait
pas Tancrède, mais qui l'était, sortant de son accable-
ment ~ ces derniers mots, aucun ne se présente, comme
saisi d'un transport involontaire, serrant dans ses
mains les mains tremblantes d'Argire, d'une voix animée
par l'amour et alt8rée par la rage, fit entendre ce vers,
ce cri sublime, l'un des plus beaux que jamais on ait
entendu sur la scène:
Il sien présentera: gardez-vous d'en douter.
Rien ne peut se comparer au transport que ce vers ex-
cita. (1)
Qui oserait nier les couleurs romantiques de cette tragé-
die? Tancrède n'est pas encore "une force qui va" mais banni, exilé,
déj~ une certaine fatalité pèse sur lui puisqu'il ne retrouvera

(1) La Harpe, op. cit., p. 371-372, t. 10.


47

Aménaide qu'au moment de la mort. Et tel Ruy 8las, il place l'hon-


neur de la femme qu'il aime au-dessus de son propre bonheur. Ajoutez
~ cela, la lettre écrite de son sang, sa mort en guerrier valeureux,
Aménaide conduite au supplice; nous pourrions nous croire transpor-
tés au sl~cle du romantisme. L'amour y brille aussi de tous ses feux.
La tendresse la plus vive soul~ve le coeur de Tancr~de. On pourrait
facilement lui pr~ter ces paroles de Ruy 8las en réponse ~ la reine
qui lui demande pourquoi il était si terrible et si grand.
Parce que je vous aime! dit-il,
Parce que je sens bien, moi qu'ils ha!ssent tous,
Que ce qu'ils font crouler s'écroulera sur vous!
Parce que rien n'effraie une ardeur si profonde,
Et que pour vous sauver je sauverais le monde!
Je suis un malheureux qui vous aime d'amour. (1)
Il est d'ailleurs intéressant de découvrir sous l'allure
un peu trop empanachée de ce personnage certains indices nous ré-
vélant la présence de l'auteur. Cette pièce, écrite en 1759, rap-
pelle le vieillard de Ferney. Ne reconnatt-on pas la voix de l'exilé?
Ecoute: je connais l'envie et l'imposture;
Eh! quel coeur généreux échappe ~ leur injure!
Proscrit dès mon berceau, nourri dans le malheur,
Mais toujours éprouvé, moi qui suis mon ouvrage,
Qui d'Etats en Etats ai porté mon courage,
Qui partout de l'envie, ai senti la fureur,
Depuis que je suis né, j'ai vu la calomnie
Exhaler les venins de sa bouche impunie,
Chez les républicains, comme ~ la cour des rois. (2)
N'est-il pas significatif que Voltaire choisisse comme porte-parole
l'un des héros les plus romanesques de tout son thé~tre?

(1) Hugo, Victor, Ruy 8las, Paris, Bordas, 1963, acte 3, sc., 3, p. 121.
(2) Voltaire, !2!E., Tancr~de, acte 3, sc., 3, p. 531. t. 4.
48

Parmi les productions voltairiennes comportant de nombreu-


ses manifestations de la sensibilité, on trouve Za!re, a&~.!aldle du
Guesclin et Tancr~de. Or, dans ces trois pièces, l'action se déroule
au temps de la chevalerie. Nobles et généreux, les personnages ne
connaissent que l'honneur, l'amour et la patrie. Les chrétiens,
dans Za!re, incarneront un tel idéal. Nérestan revenant se consti-
tuer prisonnier, après avoir payé la rançon de ses amis, fait preu-
ve d'une grandeur d'~me exemplaire. L'auteur a également transposé
dans ses pi~ces certains traits des moeurs de l'époque médiévale.
Ainsi, Tancr~de jette le gant ê Orbassan en gage du combat et sa
victoire lavera de tout soupçon celle qu'il aime.
De pllJs, par l'introduction de la chevalerie dans son thé~-

tre, Voltaire ressuscitait certains oestiges de l'amour courtois.


La femme, douce, délicata et sensible ~ laquelle le héros présen-
te ses hommages, s'élOigne peu da la dame des temps anciens. Les
po~tes d'autrefois auraient pu célébrer leur amour en ces termes:
Vendôme J'oublie ê vos genoux, charmante Adélalde,
Le trouble et les horreurs o~ mon destin me guide;
Vous seule adoucissez les maux que nous souffrons
Vous nous rendez plus pur l'air que nous respirons. (1)
Malgré la haina légendaire de tout le dix-huitième siècle pour le
moyen-~ga, Voltaire, en ranimant pour nous l'atmosphère cheva1eres-
qu~ a trouvé lê une source très heureuse d'inspiration, gr~ce ~

laquelle la poésie traverse parfoiS son thé~tre.

(1) Voltaire, !E!2., AdélSfde du Guesclin, acte l, sc., 3, p. 88, t. 1.


49

Tous ses héros respirent un idéal de vertu et de noblesse


qui éveille notre sympathie. Il est d'ailleurs intéressant, nous
dit André Bellessort, de remarquer que:
Le tour romanesque et généreux de son imagination
théâtrale qui ccntraste si fort avec sa vision pes-
simiste d'historien et l'âpre ironie de ses romans.
Et ne croyons pas qu'il n'y ait là que des artifices de
dramaturge ou" n entre r i en de son Aame. Ce meme
A
contras-
te existe au plus profond de lui-même. Et c'est pour
cela que, malgré son défaut de psychologie et de véri-
té morale, malgré les invraisemblances de ses intri-
gues et la médiocrité de sa forme, il a créé des per-
sonnages dont nous n'avons pas perdu le souvenir. (1)
Voltaire entreprit au cours de sa vie de multiples croisades
pour ~ liberté et la justice. Il insuffle à ces personnages le
meilleur de lui-même. Il porte en lui ce rêve d'une humanité idé-
ale, dominée par la noblesse et la vertu. Voltaire, tel Zadig,
croyait ~ la bonté des hommes et s'il a transposé dans ses ro-
mans la réalité amère et décevante, il conservait la nostalgie du
"meilleur des mondesM.
48 CHAPITRE:

AMOUR MATERNEL ET PATERNEL.


51

Si la peinture de l'amour 8 donné au théâtre de Voltaire


ses pages les plus valables, elle le maintient dans le sillage de
la tradition. Or l'auteur prétend s'éloigner des voies communes.
Il rêve d'agrandir l'univers de la tragédie française. La poli-
tique offre aucun intérêt aux yeux des petits maîtres, il hésite
donc ~ renouveler l'expérience de Brutus, lorsque la lecture d'un
ouvrage italien lui inspire l'idée de transposer l'amour maternel
au théâtre.
Voltaire n'utilisait pas ce ressort dram"atique pour la
première fois. Eriphyle constitue un premier essai dont la plupart
des éléments se retrouvent dans Sémiramis. Présentée en 1743, ~­

rope souleva un enthousiasme sans précédent. Elle est aujourd'hui


considérée par les critiques comme la tragédie la plus régulière
de l'auteur.
Les premi~res répliques de Mérope établissent immédiatement
la tonalité de toute la pi~ce:

L'empire est ~ mon fils. Périsse la marâtre,


Périsse le coeur dur, de soi-même idolâtre,
Qui peut goûter en paix, dans le suprême rang,
Le barbare plaisir d'hériter de mon sang!
Si je n'ai plus de fils, que m'importe un empire?
Je dus y renoncer alors que dans ces lieux
Mon époux fut trahi des mortels et des dieux
o perfidie! a crime! a jour fatal au monde!
o mort toujours présente ~ ma douleur profonde! (1)

(1) Voltaire, ibid., Mérope, acte l, sc., l, p. 201, t. 3.


52

Voltaire adorait le path~tique. "Le grand, le path~tique, le sen-


(1)
timent, voilà mes premiers mattres", dit-il. Mais encore faut-il
savoir l'atteindre ••• Un tel style nous paratt d~clamatoire.Vol-

taire, inconsciemment sans doute, force un peu la note. La dou-


leur ne s'exprime pas n~cessairement par une telle multitude d'ex-
clamations.
La discr~tion d'Andromaque nous semble plus naturelle,
mais certains ont lou~ l'auteur pour la conception vigoureuse de
son personnag&~)L'amour maternel y perd peut-être en simplicit~
mais il gagne en violence. Constamment sur un pied de guerre,
M~rope ne respire que la vengeance. Toute son ~nergie se d~ploie

au sarvice de son fils. Elle oppose aux projets de Polyphonte un


refus constant et nous sentons qu'elle soutiendra jusqu'à la limi-
te de ses forces les droits d'Egisthe.
Voltaire a toutefois bien traduit l'inquiétude de cette
femme ~ la recherche de son enfant. Il exprime avec finesse sa
nervosit~ à fleur de peau. Exasp~rée par l'attente, elle oscille
entre l'espoir et le découragement. Tous les soupçons traversent
son esprit agit~, elle anticipe toutes les catastrophes. L'arriv~e

d'un jeune inconnu à la cour met en branle son imagination. Elle


voit en lui l'image d'Egisthe. Il aurait environ le même âge, la
même stature. Elle s'émeut à la pensée que
Peut-être comme lui, de rivage en rivage,

(1) Voltaire, Lettres choisies, A Vauvenargues, 4 avril 1743, p. 121.


(2) Cf. Saint-Merc Girardin, Cours de Litt~rature dramatigue, Paris,
G. Charpentier, 1870, p. 302, 313-314, t. 1.
53

Inconnu, fugitif, et partout rebuté,


Egisthe souffre le mépris qui suit la pauvreté. (1)
Et sa pitié s'éveille devant cet inconnu qui lui rappelle son fils.
Les contemporains ont surtout admiré dans cette oeuvre, la
sc~ne dans laquelle, selon eux, Voltaire atteint le comble du pa-
thétique. Polyphonte, intrigué par l'attitude tourmentée de Mérope,
exige l'exécution immédiate d'Egiste. Celle-ci ne peut alors mépri-
mer un mouvement involontaire. L'intérêt de son fils et le sien
lui commandaient le silence, mais elle ne peut supporter 1. menace
d'un tel danger. Et voici qu'éclate ce secret trop longtemps com-
primé. La spontanéité d'un tel mouvement, la crainte l'emportant
sur la prudence, révélaient la profondeur de l'instinct maternel.
Au mépris de le plus élémentaire prudence, Mérope dévoile la vé-
ritable identité du jeune prisonnier.
Encore une fois, Voltaire dut une partie de son succ~s ~

la créatrice du rôle, Mademoiselle Dumesnil. Elle prêta ~ Méropa


toute l'étendue de son talent essentiellement dramatique. Son
jeu instinctif et passionné la rendait particuli~rement apte ~

traduire la violence de cette femme nerveuse et inqui~te. Elle


contribue pour beaucoup au triomphe de la pi~ce et l'auteur, en-
chanté, écrivait au lendemain de la premi~re représentatioh: "Ce
n'est pas moi qui fait la pi~ce, c'est Mlle Dumesnil. Que dites-
vous d'une actrice qui fait pleurer le parterre pendant trois
(2)
actes de suite?"

(1) Voltaire, ibid., Mérope, acte 3, sc., 2, p. 245, t. 3.


(2) A d'Aigueberre, 4 av. 1743, cité par Bengesco, Georges, Les
comédiennes de Voltaire, Paris, Perrin, 1913, p. 88.
54

Le raIe de Clytemnestre dans Oreste rév~le la préférence de


Voltaire pour le th~me de l'amour maternel.
C'est pour aller au coeur, dit-il, la route la
plus sûre. La route de la nature est cent fois
plus sûre, comme plus noble: les morceaux les plus
frappants d'Iphigénie sont ceux où Clytemnestre
défend sa fille, et non ceux où Achille défend son
amante. (1)
Crébillon contrariait son incorrigible vanité et il entendait éta-
blir sa supériorité en reprenant systématiquement les tragédies
de son rival. Pour supplanter Electre, Voltaire donnera Oreste.
Conneissant l'allergie éprouvée par les auteurs du dix-
huiti~me si~cle ~ l'égard de l'antiquité, nous savons que de tels
sujets subissent entre leurs mains de nombreuses transformations.
Crébillon y avait introduit la galanterie et ces paroles d'Electre
prouvent que l'emphese était loin de lui déplaire:
Témoin du crime affreux que poursuit ma vengeance,
o nuit, dont tant de fois j'ai troublé le silence,
Insensible témoin de mes vives douleurs,
Electre ne vient plus te confier des pleurs: (2)
Voltaire toutefois, modifiera sensiblement la tragédie de son ri-
val en concentrant l'intérêt sur l'amour maternel.
Les Grecs lui fournissaient des conceptions différentes.
Alors que dans Soohocle, Clytemnestre, cruelle et ambitieuse, dé-
daigne totalement ses enfants, Euripide humanise cette figure de
femme. Elle ne poss~de plus l'audace qui lui faisait non seule-
ment avouer publiquement le meurtre d'Agamemnon, mais le proclamer

(1) Voltaire, Théâtre, Dissertation sur la tragédie, p. 498.


(2) Crébillon, OP. cit., Electre, acte 1, sc., 1, p. 161, t. 1.
55

avec fierté. Voltaire infléchit encore davantage ce personnage.


Clytemnestre devient dans sa tragédie une m~re sensible à la dou-
leur de ses enfants.
Toutes les imitations de Voltaire se traduisent également
par un échec parce Qu'il lui répugne de peindre des personnages
"hors nature". Il leur pr~te des scrupules, des remords totalement
absents des créations originales. Ces procédés diminuent leur force
dramatique. La reine d'Argos, dans son oeuvre, ressemble davantage
à un personnage du drame bourgeois Qu'à l'hérolne grecque.
Mes filles devant moi ne sont point étrang~res;
Même en dépit d'Egisthe, elles m'ont été ch~res:
Je n'ai point étouffé mes premiers sentiments,
Et malgré la fureur de ses emportements,
Electre, dont l'enfance a consolé sa m~re
Du sort d'Iphigénie et des rigueurs d'un p~re,
Electre, Qui m'outrage, et Qui brave mes lois,
Dans le fond de mon coeur n'a point perdu ses droits. (1)
Sémiramis incarne par contre le seul personnage féminin pré-
férant son rôle de chef d'état à la maternité. Jusqu'ici, le désin-
téressement complet à l'égard de la politique apparaissait comme
une constante chez toutes les héro!nes voltairiennes. Sémiramis
représente au contraire la femme ambitieuse pour qui les choses
du coeur occupent le second rang. Chef d'état, elle a gagné des
batailles, mâté des révoltes, tout a cédé sous la fermeté de sa
direction. Elle désire épouser Ninias, en réalité son fils, non
pour lui céder le pouvoir mais pour le consolider. Jamais, chez
alle, l'ambition n'abdique ses droits.

(1) Voltaire, ibid., Oreste, acte l, sc., 3, p. 99, t. 4.


56

L'étude du th~me de la mère dans le théâtre de Voltaire


nous permet d'observer deux conceptions fort différentes de la fem-
me. Si l'amoureuse aboutit ~ la création d'un type de femme douce
et sensible, la m~re ne répond pas ~ ces caractéristiques. Portée
~ la défense de son enfant, elle affiche une allure plutôt combattive.
Loin de symboliser la victime, elle en constitue le protecteur. La
mère représente la femme forte. Voilà pourquoi la tonalité des
rôles diffère complètement. Alors que la première laissait plain-
tivement échapper ses regrets, l'autre éclate en imprécations de
toutes sortes. Ces divergences apparaissent très clairement dans
la comparaison entre Zalre et Mérope. Si l'appellation de jeune
femme douce et sensible convient ~ Zalre, elle ne correspond pas
au caractère altier de Mérope.
Quelle valeur accorder à cette peinture de l'amour maternel
dans les tragédies de Voltaire? Il espère par ce moyen, nous l'avons
vu, atteindre le pathétique. Toutes les fois qu'il écrit un tel ra-
Ie, il prétend non seulement toucher, mais déchirer les coeurs. La
poursuite de cette ambition le conduit souvent à la catastrophe.
Il semble impossible pour lui de garder la juste mesure. Le texte
tombe alors dans la sensiblerie ou s'élève dans les hautes sphères
de la déclamation.
De plus, l'utilisation de ce ressort engendre certains
inconvénients. Les enfants perdus parcourant le théâtre voltai-
rien ne peuvent se présenter autrement qu'incognito. Selon le
processus habituel, la mère pressentira la véritable identité de
57

son enfant, elle en deviendra parfois amoureuse, jusqu'à la recon-


naissance exclusivement. Nous touchons ici à l'un des aspects les
plus superficiels de la sensibilité au dix-huitième siècle. A ce
moment, tous s'attendrissent, versent des larmes, et nous entendons
infailliblement surgir le "vous, ma mère; DU "moi, votre fils":
Eriphyle Ah! parlez •.•
Alcmson Il se nommait Phaon
Eriphyle Ah! je n'en doute plus •.•
Alcméon D'o~ vient que vous pleurez?
Eriphyle Ah! prince!
Alcméon De quel nom, reine, vous m'honorez!
Eriphyle Eh bien! ne tarde plus, remplis ta destinée;
Porte ce fer sanglant sur cette infortunée;
Etouffe, dens mon sang cet amour malheureux
Que dictait la nature en nous trompant tous deux;
Punis-moi, venge-toi, venge la mort d'un père;
Reconnais-moi, mon fils: frappe et punis ta m~re!
Alcméon Moi, votre fils, ••.. ~l)
Ces procédés sont insupportables.
Si le thème de la mère offre peu d'originalité, la concep-
tion du p~re relève entièrement de la sensibilité de l'auteur.
Dans la tragédie classique, le père se consacre surtout à la po-
litique et à la guerre. Très souvent, il représente l'autorité
DU l'obstacle principal à l'amour de ses enfants. Don Diègue trai-
te à la légère l'inclination de Rodrigue à l'égard de ChimèDe et

(1) Voltaire, !Q!2., Eriphy1e, acte 4, sc., 5, p. 494-495, t. 1.


58

Félix place la réussite sociale au-dessus du bonheur de Pauline.


Chez Racine, Achille incarne l'amb ition politique et Mithrid~

symbolise avant tout le grand guerrier, vainqueur des romains.


Nous voyons qu'en général la paternité constitue rarement leur
trait dominant. Elle appara!t toujours subordonnée ~ des inté-
rêts jugés supérieurs. De plus, si le p~re aime ses enfants, il
ne repousse pas l'idée de les sacrifier. Contre l'affection et la
tendresse, il soutient la primauté du devoir. Voltaire perçoit
différemment le rale du p~re.

Il faut signaler tout d'abord deux exceptions, dans les


pi~ces imitées ~ la fois de Shakespeare et de Corneille. Voltaire,
qui n'était pas tout-~-fait dépourvu de sens historique, a su re-
trouver parfois les accents virils des anciens guerriers romains.
Dans La Mort de César, ~ certains moments, la vigueur des répli-
ques n'entache pas la réputation du cél~bre conquérant:
Né fier, ambitieux, mais né pour les vertus,
Si je n'étais Céser, j'aurais été Brutusl (1)

Voltaire a retrouvé cette justesse de l'expression au dénouement


de Brutus. Titus, condamné ~ mort par son p~re lui fait ses adieux.
Cette sc~ne est d'une grande sobriété.
Brutus Viens embrasser ton p~re; il t'a dO condamner;
Mais s'il n'était Brutus, il t'allait pardonner.
Mes pleurs( en te parlant, inondent ton visage;
Va, porte a ton supplice un plus mâle courage;
Va, ne t'attendris point, sois plus Romain que moi,
Et que Rome t'admire en se vengeant de toi.
Titus Adieu: je vais périr digne encore de mon p~re. (2)

(1) VOltaire, ibid., La Mort de César, acte l, sc., l, p. 324, t. 2.


(2) Voltaire, ibid., Brutus, acte 5, sc., 9, p. 380, t. 1.
59

Les personnages les plus sensibles de tout le théâtre de


Voltaire se recrutent parmi les p~res. Il ne s'agit pas là d'ex-
ceptions; Lusignan, Alvarez, Sénassar, Zopire, Argire, Hermodan et
50zame en sont des exemples. Le père se transforme ici en un vieil-
lard à l'aspect attendrissant. Est-il rien de plus touchant que
Lusignan? Prisonnier depuis de longues années, il connatt avant de
mourir la joie de retrouver ses enfants. De toute évidence, ce per-
sonnage n'apparatt que pour provoquer la sympathie et la pitié.
5ymbolise-t-il la force conquérante? Au contraire, presqu'aveugle,
étranglé par l'émotion, Lusignan verse das larmes de joie en étrei-
gnant ses enfants.
Dessiné en opposition au cruel Gusman, son fils, Alvarez
représente un autre vieillard noble et attendrissant. Nous sommes
ici loin du tyran brandissant l'étendard du devoir. Sien sOr, Al-
varez a pressé le mariage entre Alzire et son fils, mais quelle est
sa délicatesse à l'égard de cette jeune femme qu'il a dO sacrifier.
Avec bonté, il tente de lui prodiguer ses consolations.
Je conserve pour toi ma bonté paternelle.
Je plains Zamore et toi; je serai ton appui;
Mais songe au noeud sacré qui t'attache aujourd'hui.
Ne porte point l'horreur au sein de ma famille.
Non, tu n'es plus à toi; sois mon sang, sois ma fille;
Gusman fut inhumain, je le sais, j'en frémis;
Mais il est ton époux, il t'aime, il est mon fils:
Son âme à la pitié se peut ouvrir encore. (1)
Certes, il désapprouve l'amour malheureux d'Alzire, mais avec

(1) Voltaire, !E!Ë., Alzire, acte 3, sc., 7, p. 417, t. 2.


60

quelle compréhension il lui rappelle son devoir d'épouse. Il res-


sent toute S8 détresse et lui laisse entrevoir la possibilité d'un
avenir moins sombre.
Cette même indulgence se retrouve chez Sénassar. Sa fille
l'a quitté pour suivre l'homme qu'elle aime, le chef de ses enne-
mis. Et pourtant, lorsque Ramire lui parle d'un espoir de retour,
il oublie tout et ne songe qu'à la joie de la revoir. Loin de pro-
férer des renroches, il anticipe déj~ le bonheur de l'accueillir.
Sa douleur s'efface vite devant ce retour prochain. Revoir son
enfant lui fait oublier toutes ses peines et ses inquiétudes.
De plus, ce rôle semble revêtir ~ leurs yeux une grande
importance. Chefs d'état, cette fonction c~de le pas devant leur
paternité. Combien de fois les entendons-nous prononcer: "Je
suis p~re", avec les accents de la plus grande fierté. Et non
seulement leurs actes manifestent une douceur et une générosité
exceptionnelles, mais tr~s souvent, ils se qualifient eux~,~mes

d'êtres sensibles. Ainsi, dans Mahomet, Zopire affirme:


.•• je suis p~re, et je porte un coeur tendre
Apr~s quinze ans d'ennuis, retrouver mes enfants,
Les revoir, et mourir dans leurs embrassements
C'est le premier des biens pour mon âme attendrie. (1)
Sénassar réplique ~ Ramire:
Conçois-tu bien la joie du plus sensible des pères?
Alexis réf~re également ~ Léonce comme au "tendre père d'Irène"

(1) Voltaire, !E!&., Mahomet, acte 2, sc., 5, p. 128, t. 3.


(2) Voltaire, ~., Zulime, acte 3, sc., 5, p. 42, t. 3.
61

et lorsqu'il le supplie de libérer sa fille, celui-ci répond:


Vous disputez, Léonce, et moi je suis sensible. (1)
La sensibilité semble donc conçue comme un attribut indispensable
de la paternité.
Cet aspect du théâtre voltairien intéresse ~ plus d'un ti-
tre. Il provient directement de l'affectivité de l'auteur. Ces
personnages ne se retrouvent pas les oeuvres de ses prédécesseurs.
Comme ~ ses héros chevaleresques, il leur a prêté toutes les qua-
lités et surtout la sensibilité. Voltaire adorait jouer ces rô-
les de vieillards attendrissants. Que de larmes versait-il alors!.'
"Je fais Lusignan, dit-il, ce rôle me convient et l'on pleure ••• 11 (2)
L'âme du patriarche compcrte plusieurs replis dont l'un rec~le un
goût fort prononcé pour l'attendrissement.
Il est permis de se demander pourquoi l'auteur a accordé
une tendresse aussi 8xpansive et inconditionnée au p~re et non ~ la
mère. Quoiqu'il en soit une telle image de la paternité partioipe
peu de la réalité. Elle apparatt plutôt comme un idéal, une sorte
d'image d'Epinal. Alvarez affirme dans Alzire:
Le vrai Dieu, mon fils, est un Dieu qui pardonne, (3)
et le p~re offre la même attitude d'indulgence illimitée. Voltaire
a-t-il projeté ici l'un de ses désirs inconscients?

(1) Voltaire, ibid., Irène, acte 4, sc., 3, p. 254, t. 2. Oeuvres,


Paris, Firmin-DIdOt, 1875.

(2) Cité Dar Perey et Maugras, La vie intime de Voltaire, p. 133.


(3) Voltaire, !Q!&., Alzire, acte l, sc., l, p. 389, t. 2.
62

Ce th~me a le mérite de l'originalité. Mais ces personnages,


par leur perfection même, présentent moins d'intérêt au point de vue
dramatique. De plus, si Voltaire a conservé dans ces rôles le juste
milieu dans l'expression de la sensibilité, la glorification des
sentiments familiaux et l'indulgence caractérisant ces personnages
feront plus tard les délices du drame bourgeois a
Se CHAP !TRE:

LA SENSIBILITE RELIGIEUSE.
64

Apr~s l'analyse de l'amour et de l'amour maternel, nous ar-


rivons maintenant ~ l'un des éléments les plus chers au coeur de
Voltaire, la religion. En effet, la religion fut pour lui non seu-
lement une nr~occupati(Jn mais peut-~tre la plus grande passion de
son existence. Cette origine émotionnelle se manifeste d'ailleurs
par certains symptômes. Une tête froide aurait-elle eu la fi~vre

à tous les anniversaires de la Saint-Barthélémy?


Dans son oeuvre, Voltaire préconise l'abolition des dogmes,
des pr~tres fourbes et cruels, du fanatisme et l'avènement d'un
Dieu de bonté, p~re de tous les hommes qui, dorénavant, s'aime-
raient comme des fr~res. Nous insistons généralement sur la haine
de Voltaire ~ l'égard du christianisme, mais ses critiques por-
tent avant tout sur la cruauté exercée en son nom. Par contre, il
a toujours admir~ le grand principe d'amour universel qu'elle con-
tient, la charité. Nous retrouverons constamment dans son théâtre
les deux volets de ce dyptique.
On sait comment, dans sa premi~re tragédie, Oedipe, l'au-
teur a transformé le mythe grec. Recevoir des dieux un châtiment
non mérité excite sa révolte. Une telle injustice provient des
dieux cruels et sanguinaires. Or Voltaire s'est toujours élevé
contre cette forme d'anthropomorphisme. Alors que les personnages
grecs croyaient ~ leur culpabilité, l'Oedipe voltairien proteste
de son innocence. La tragédie se termine par ce cri de révolte
de Jocaste:
65

Prêtres, et vous Thébains, qui fûtes mes sujets,


Honorez mon bûcher, et songez à jamais
Qu'au milieu des horreurs du destin qui m'opprime
J'ai fait rougir ~s dieux qui m'ont forcée au crime. (1)
Voltaire englobe dans cette accusation les prêtres, leurs
interprètes. Il a mis en sc~ne des personnages dont la lucidité
conteste le bien fondé de leurs oracles, mais il conn ait leur empri-
se sur les âmes moins fortement trempées. Il leur reproche d'abuser
de ce pouvoir auprès des êtres dont la na!veté discerne mal la vé-
rité. "La crédulité fait toute leur science". De plus, 11 leur
attribue une sorte de complaisance dans l'exercice d'un minist~re

aussi cruel. L'inquisition ne fut pas inventée par Dieu mais par
un clergé fanatique et sanguinaire.
Une filiation très étroite s'établit entre la première
tragédie de Voltaire et ses derni~res productions. Nous retrouvons
cette même image du clergé dans les Lois de Minos et surtout les
Guèbres. Dans cette tragédie, le grand-prêtre comble la mesure en
ordonnant un sacrifice humain. Arzame, héro!ne typiquement voltai-
rienne, surprise p~ ~s
.,
pontifes de Rome, adorant en toute qU1e-
tude le dieu des Perses, se voit condamnée au supplice.
Voltaire avait une horreur presque maladive pour la souf-
france physique. Nous savons quels accents d'indignation lui ont
inspiré les tortures infligées aux Calas. Nous croyons entendre ici
les échos de la prière sur la tolérRnce.

(1) Voltaire, !E!a., Oedipe, acte 5, sc., 6, p. 111, t. 1.


66

Numa qui leur donna des préceptes si saints


Les avaient-lIs créés pour fraprer les humains? (1)
S'lI accable de reproches le grand-prêtre, insensible ~ l'inno-
cence et à la candeur de la jeune fille, ses défenseurs, Césène et
Iradan, font l'objet de toutes ses complaisances. Humains, compré-
hensifs, Ils s'apitoient sur le sort de la victime, versent des
pleurs et s'engagent à la sauver. Alors s'élève la voix du patri-
arche:
D superstition, que tu me fais trembler!
Ministres de Pluton, qui voulez l'immoler!
Puissances des enfers et comme eux inflexibles,
Non, ce n'est pas pour moi que vous serez terribles:
Un sentiment plus fort que votre affreux pouvoir
Entreprend sa défense, et m'en fait un devoir;
Il étonne mon âme, il l'excite, il la presse;
Mon indignation redouble ma tendresse;
Vous adorez les dieux de l'inhumanité,
Et je sers contre vous le Dieu de la bonté. (2)
Mais le fanatisme ne provient-lI pas en premier lieu des
fondateurs de religion? Tous les philosophes ont désiré l'établis-
sement d'une religion unique et universelle. Il va de soi que les
fondateurs de sectes posent de sérieuses entraves à la r~alisation

de cet idéal. Leur prolifération n'entraine-t-elle pas les dissen-


sions et par conséquent le fanatisme? Voltaire déclenche contre
eux toutes ses foudres.
Depuis longtemps, 11 répandait ici et là ses invectives
~ leur égard. Il allait enfin trouver l'occasion de concrétiser

(1) Voltaire, ibid., Les Guèbres, acte 2, sc., 1, p. 518, t. 5.


(2) Voltaire, !Q!&., acte 1, sc., 6, p. 517, t. 5.
67

~
.~, ~oute sa rancoeur. Il conçoit le prototype de ces imposteurs, Maho-
~

met. Voltaire ne rate pas cette chance unique. Enfin, sous le cou-
vert de la fiction, il peut dévoiler le fond de sa pensée. L'univers
entier apprend ~ quel point ces hommes sont des fourbes.
Le pauvre Mahomet étouffe sous la plume revendicatrice de
l'auteur. Rien ne parait trop vil ~ ses yeux. Froid, calculateur,
ce faux proph~te connatt toutes les formes de la bassesse. Son
unique but consiste ~ tromper l'univers. Par ses machinations,
il transformera son ami Séide en criminel, plus exactement en par-
ricide. Voltaire ne néglige rien! Comme le dit René Pomeau:
Il déteste tant son Mahomet qu'~ force de le mal-
traiter, il l'emp~che de vivre. Au défi de toute
vraisemblance, il refuse ~ son fanatique la sincé-
rité. Fant8me de l'imagination voltairienne, cet im-
posteur a la perfidie continue et sans nuance du traître
de mélodrame, que d'ailleurs il annonce; et il en
a la candeur.
Néanmoins, ajoute-t-ll, ce chef-d'oeuvre manqué
reste un document important sur la sensibilité de
son auteur. (1)
En effet, les défauts même des tragédies de Voltaire sont révéla-
teurs. La poussée de son inconscient contrewbalance souvent la
lucidité de son jugement. Ceci est évident dans le cas de Mahomet.
Le chef de l'islamisme rejette toutes les données de l'histoire et
se transforme en l'incarnation de la haine voltairienne. Une dé-
marche aussi contraire aux r~gles du classicisme ne s'explique que
par l'émotivité de l'auteur.

(1) Pomeau, René, La relioion de Voltaire, Paris, Nizet, 1956, p. 150.


68

Sa haine du fanatisme ne l'entratne pas toutefois â dési-


rer l'abolition de toute forme de religion. Au contraire, il sou-
haite l'établissement d'une religion d'amour. Les prêtres trouve-
raient même grâce â ses yeux s'ils bannissaient la cruauté de leur
ministère. Voici, â l'exemple de Mitrane, quelle devrait être leur
ligne de conduite:
obscur et solitaire,
Renfermé dans les soins de son saint ministère,
Sans vaine ambition, sans crainte, sans détour,
On le voit dans son temple, et jamais â la cour,
Il n'a point affecté l'orgueil du rang suprême,
Ni placé sa tiare auprès du diadème,
Moins il veut être grand, plus il est révéré. (1)
Voltaire ajoute un élément des plus intéressants â la psy-
chologie religieuse de son théâtre. Nou~ sourions peut-être des
références de Chateaubriand à Zalre et 61zire dans le Génie du
Christianisme, mais ces références se justifient entièrement si
l'on considère l'optique ~articulière avec laquelle le dramaturge
a voulu transposer la religion dans ses tragédies. "C'est, dit-il,
un des plus grands ressorts pour remuer le coeur des hommes." Cette
optique donne naissance à l'image d'un christianisme attendrissant
et sensible. Il devient une religion qui
des humains attendris fnnt un peuple de frères. (2)
Epuré de tout ascétisme, seul en subsiste l'aspect sentimental et
consolant. Peu d'êtres restent indifférents devant la bonté et la

(1) Voltaire, !Qi2., Sémiramis, acte l, sc., 1, p. 510, t. 3.


(2) Voltaire, 1e!2., Zalre, acte 1, sc., 1, p. 560, t. 1.
69

miséricorde. Nous comprenons alors pourquoi une telle conception


se rattache au demaine de l'affectivité.
Envisager la religion sous cet aspect lui ajoute une di-
mension esthétique. Non seulement dans Za!re et Alzire, mais aus-
si dans Olympie, Voltaire recourt à l'utilisation de cet élément.
Il essaiera de traduire dans cette pièce une certaine atmosphère
religieuse par la présence de Statira retirée dans un temple. "Il
y a quelquefois dans le c1ottre, dit-il, je ne sais quoi d'at-

tendrissant et d'auguste ll • N'est-ce pas là rejoindre le premier


des romantiques?
Le dix-huitième siècle fut passionné de morale. Voltaire,
qui en a si bien reflété toutes les tendances, situera le pro-
blème éthique au coeur de son oeuvre. Nous trouvons trace de
cette,préoccupation, non seulement dans ses écrits philosophi-
ques, mais aussi dans son théâtre. La lecture de ses préfaces
en particulier ne laiss8 aucun doute sur la portée morale qu'il
entend donner à l'ensemble de ses productions dramatiques.
Les eventures les plus intéressantes ne sont rien,
dit-il, quand elles ne peignent pas les moeurs;
et cette peinture, qui est un des plus grands
secrets de l'art, n'est encore qu'un amusement
frivole quand elle n'inspire pas la vertu. (1)
Une telle ambition provient de l'influence exercée par
ses premiers mattres. Nous connaissons l'admiration intellectuelle

(1) Voltaire, !2!2., Préface de l'Orphelin de Chine, p. 299, t. 4.


70

professée ~ leur égard par Voltaire. Leur formation laissa des


marques indélébiles sur l'intelligence de leur brillant élève.
Le PèEe porée, avec qui l'auteur conserva toujours des relations
amicales, n'avait-il pas écrit un Discours sur les Spectacles
afin de montrer la possibilité pour le théâtre d'illustrer la
vertu.
Voilâ précisément l'un des objectifs majeurs de ses
tragédies. Il entend présenter des spectacles d'une très haute
moralité. Le théâtre constitue le medium par excellence pour un
philosophe aux ambitions réformatrices illimitées. Il insiste
avec une fréquence ininterrompue sur l'importance primordiale
de cet élément. "La véritable tragédie, écrit-il, est l'école
de la vertu". (1)
Comment relier ra moralité à la sensibilité? Quelle si-
gnification particulière rev~tait le terme "vertu" ~ cette épo-
que? Le dix-huitième siècle a progressivement aboli l'ancien
dualisme entre la nature et la vertu. Celle-ci devient peu à
peu une sorte de comrlaisance â soi-même. Son exercice procure ~

l'âme les joies les plus délicieuses. Lanson fait d'ailleurs


remonter â Fénelon l'association de la morale à la sensibilité.
"Télémaque, dit-il, devenait parfait, parce qu'il éprouvait à
(2)
~tre bon des sensations de plus en plus délicieuses".

(1) Voltaire, !E!Ë., Discours sur la tragédie, p. 505, t. 4.

(2) Lanson, Gustave, Nivelle de La Chaussée et la Comédie larmoyan-


~, Paris, Hachette, 1903, p. 102.
71

Cette façon d'envisager le problème éthique surprend de


la part d'un ennemi de Rousseau. Il faut se rendre à l'évidence,
Voltaire établit clairement une relation de cause à effet entre
la sensibilité et la vertu. Dans la préface de Rome Sauvée, il
écrit:
On a reproché à Cicéron, trop d'affliction dans
ses malheurs. Il confie ses justes plaintes à
sa femme et à son ami, et on impute à lâcheté sa
franchise. Le blâme qui voudra d'avoir répandu
dans le sein de l'amitié les douleurs qu'il ca-
chait à ses persécuteurs; je l'en aime davantage.
Il n'y a guère que les âmes vertueuses de sen-
sibles. (1)
Et différents personnages reprendront tour à tour le credo da
l'auteur.
Nous savons déjà que Voltaire affectionne la présentation
de figures nobles et sympathiques. La peinture da la vertu ne lui
coûte aucun effort. Il adora attribuer à ses héros des actions
dont la générosité étonne, attendrit et tira les larmes. Ainsi
Orosmane, pourtant chef des musulmans, donne l'ordre en mourant de
libérer les chrétiens. Alvarez demanda à son fils le pardon de
Zamore et Zamti sacrifia son enfant pour sauver le darnier des-
cendant royal. Comment résister à une telle grandeur d'âme!
L'fiéro!sme atteint en effet son apogée dans l'Orphelin
de Chine. Cette pièce contient une double intrigue, puisqu'ella
repose à la fois sur le danger menaçant le survivant de la dynas-

(1) Voltaire, ~., préface de Rome Sauvée, p. 208, t. 4.


72

tie royele et sur l'emour de Gengis-Khan. Par contre, elle illus-


tre tr~s bien les ambitions moralisantes de l'auteur. Zamti e juré
au roi de sauver le dernier de ses fils, échappé au massacre de
Gengis-Khan. L'ordre de remettre l'enfant au vainqueur ne tarde
pas â venir. Zamti conçoit alors de substituer son propre fils
au descendant royal. Pour l'instant, Idamé ne "conna!t point
Cl)
cette horrible vertu", mais elle s'él~vera graduellement aux
confins de l'héro!sme. L'attitude de son époux excite partout l'ad-
miration. Menacé par Gengis-Khan, Zamti,
D'un oeil d'indifférence a vu le supplice;
Il rép~te les noms de devoir, de justice;
Il brave la victoire; (2)
Idamé, toujours adorée par le vainqueur, repousse toutes ses pro-
positions. Libre, elle esp~re pouvoir remettre l'enfant au chef des
coréens. La démarche échoue. Désespérés, Idamé et Zamti n'entre-
voient le salut que dans le suicide. La tragédie prendrait fin sur
cet acte d'abnégation sans la surprise ménagée par l'auteur •••
Cette noblesse se retrouve chez la plupart des personnagea.
Les réfractaires demeurent l'exception. Il faut remarquer alors co~-

ment Voltaire dresse, en opposition ~ ces créatures viles, les ~tres

les plus magnanimes de tout son théâtre. Ces personnages refl~tent

la personnalité de l'auteur. Dans Mahomet, Argire, combattant le


faux proph~te au nom de la tolérance, représente Voltaire. Cicéron,

(1) Voltaire, ~., Orphelin de Chine, acte 2, sc., 3, p. 347, t. 4.


(2) Voltaire, ~., acte 4, sc., 3, p. 336, t. 4.
73

ennemi de Catilina, fut l'un de ses rôles préférés. Il le jouait


avec un pathétique inégalable. La confusion entre le comédien
et l'auteur était telle que les spectateurs se demandaient s'il
s'agissait encore de Cicéron ou du patriarche luttant pour les
(1)
lois et la justice.
Non seulement les âmes viles sont peu nombreuses dans
le théâtre de Voltaire, mais s'il lui arrive d'en présenter, il
n'a de cesse qu'il n'ait opéré, "deus ex machina", leur conver-
sion. Le dénouement nous réserve souvent le retour au bercail de
la brebis repentante. Apr~s avoir semé la terreur et le carnage,
nous assistons au cinqui~me acte ~ l'apothéose finale, le triom-
phe de la vertu. Ebloui par le "soyons ami, Cinna" de Corneille,
Voltaire s'est empressé de le reproduire ~ l'in~fini. De telles
conversions lui procurent un contentement non dissimulé. Tous
les coeurs s'attendrissent et le rideau tombe sur la réconcilia-
tion finale. Vendôme, par exc~s de jalousie, allait faire mourir
son fr~re, mais Coucy, prévoyant ses remords, a transgressé l'or-
dre. La derni~re sc~ne apporte la réunion des amants, Adélalde
et Nemours, la réconciliation des deux frères, Nemours et Vendôme,
et le ralliement du rebelle ~ sa patrie. Tant d'heureux événements
découlent de la vertu.
Ah! c'est trop me montrer mes malheurs et ma perte!

(1) Lekain, Mémoires, cité dans l'Avertissement de Rome Sauvée, p.


201, t. 4.
74

Mais vous m'apprenez tous ~ suivre la vertu,


Ce n'est point ~ demi que mon coeur est rendu.
Trop fortunés époux, oui, mon âme attendrie
Imite votre exemple et chérit sa patrie. (1)
A la rigueur, ces remords peuvent peut-être s'expliquer
dans l'âme d'un chevalier français, formé au culte de l'honneur,
mais ils étonnent davantage chez le roi des Tartares. Gengis, en
effet, n'assiste pas en vain au sacrifice hérolque de Zamti et
d'Idamé. Leurs vertus ont transformé ce cruel conquérant en un
roi philosophe. Ne promet-il pas d'enseigner dorénavant "la rai-
(2)
son, la justice et les moeurs"! Ainsi, au moment où Zamore et Al-
zire vont connattre la mort la plus affreuse, Gusman, ce triste
sire, fils indigne du noble Alvarez, se souvient que le Dieu des
chrétiens est un Dieu qui pardonne. De tels dénouements n'offrent
qu'un défaut: non préparés par une progression morale ou psycholo-
gique, ils sont dénués de toute vraisemblance.
Ces procédés nous choquent par leur nelveté. Mais les
contemporains accueillaient avec satisfaction ces minutes de
haute émotion, provoquées par le triomphe de la vertu. Voltaire
recherchait le succ~s populaire. Le spectateur éprouve une joie
secr~te ~ voir la défaite du "vilain", le souci de moralité des
foules est
un des aspects les plus curieux de cette psycho-

(1) Voltaire, ~., Adelaide du Guesclin, acte 5, sc., 6, p. 135, t. 2.


(2) Voltaire, ~., Orphelin de Chine, Bcte 5, sc., 6, p. 356, t. 4.
75

10gie particulière, et il est indispensable d'en


tenir largement compte si l'on veut comprendre cer-
taines réactions du public de théâtre. (1)
Cette tendance connut une ampleur démesurée ~ cette épo-
que. Le di.-huitième assiste en effet à la création de deux gen-
res drsmstiques basés sur cet élément, la comédie larmoyante et
le drame bourgeois. Nivelle de la Chaussée reprend dans ses oeu-
vres l'attendrissement final des coupables et le pardon généreux
des offensés. Le succès fulgurant remporté par ses pièces nous ré-
vèle les goûts particuliers du public de ce temps.
Le spectateur d'alors jugeait les personnages sur des cri-
tères moraux plutôt que littéraires. Il suffit pour s'en convain-
cre de consulter la préface de Zulime, écrite par Condorcet.
Zulime, dit-il, est le même sujet que Bajazet et
qu'Arisne, tout est sacrifié ~ ce raIe: Thésée,
Phèdre, Oenarus, Pirithous, ne sont pas suppor-
tables; l'ingratitude de Thésée, la trahison de
Phèdre, n'ont aucun motif; ils sont odieux et
avilis; mais le raIe d'Ariane fait tout pardonner. (2)
Ariane préférée ~ Phèdre, un tel jugement laisse perplexe •.•
En ne présentant que des personnages d'une vertu exemplai-
re, Voltaire s'attirait l'apprObation de ses contemporains. En ef-
fet, ceux-ci et les générations suivantes lui ont rendu témoignage
de la tenue morale de ses productions. Ils ont véritablement recon-
nu dans ses tragédies, "une école de vertu". Un article consacré ê

(1) Dexcates, Le public de théâtre et son Histoire, p. 17.


(2) Voltaire, !E!a., préface de Zulime, p. 3-4, t. 3.
76

voltaire dans le Dictionnaire général des théâtres en apporte la


confirmation.
Corneille, Racine, Crébillon n'ont gu~re songé en
composant leurs pièces, ni ~ corriger les moeurs ni
~ éclairer les spectateurs. Ils se sont bornés ~
rendre le crime odieux, sans faire aimer la vertu;
et suivant tout bonnement l'instinct de leur génie
ou la voie de leur intérêt, ils ont fait des tragé-
dies uniquement pour faire des tragédies. Quelques-
unes m~mes de leurs pièces sont une école de mau-
vaises moeurs. Voltaire s'est presque toujours pro-
posé un but moral, et n'a cherché ~ faire pleurer
que pour attendrir les humains sur les malheurs de
la vertu et exciter l'indignation contre le crime. (1)

(1) Dictionnaire général des théâtres en neuf volumes (1812) cité


par louis Moland dans le Thé~tre de Voltaire, p. IX, t. 1.
68 CHAPITRE:

MANIFESTATIONS DE LA SENSIBILITE DANS CERTAINES ABSTRACTIONS.


78

L'émotivité débordante du dix-huiti~me si~cle recherche


toujours de nouveaux exutoires. Il lui faut sans cesse découvrir
des sujets sur lesquels elle puisse se déverser. Un amour mal-
heureux, les tourments d'une m~re ne lui suffisent plus, il lui
faut un champ plus vaste. Certes de tels spectacles attendris-
sent les spectateurs, mais plus encore,
cette sympathie ne nattra pas seulement à l'occa-
sion d'objets concrets et de la réalité présente:
les hommes sont en proie à l'esprit scientifique,
possédés du démon de l'analyse. L'habitude d'opé-
rer sur des formules abstraites, venant en aide
à un besoin d'adresser l'amour plus haut Qu'aux
grossi~res réalités, fera que des termes généraux,
tels que vertu, humanité, bienfaisance, nature,
seront conçus comme les objets les plus capables
d'exciter la sympathie et d'enflammer l'enthousi-
asme. (1)
Parmi ces différentes abstractions, l'humanité occupe une
place de choix. Voltaire affirme:
On trouvera dans presque tous mes écrits cette
humanité qui doit être le premier caract~re d'un
être pensant; on y verra (si j'ose m'exprimer ainsi)
le désir du bonheur des hommes, l'horreur de l'in-
justice et de l'oppression; (2)
Etre humain signifie aider ses semblables, les secourir et leur
manifester sa sympathie. Tous ces impératifs peuvent s'appliquer
également à la vertu de charité, mais le dix-huitième si~cle, dans

(1) Lanson, Gustave, Nivelle de la Chaussée et la Comédie larmoyante,


p. 3?3.
(2) Voltaire, ~., Discours préli~1naire d'Alzire, p. 379, t. 2.
79

sa tentative de la!cisation de l'univers moral, a voulu opérer une


distinction tr~s nette entre les deux termes. L'humanité représente
les devoirs accomplis envers le prochain, indépendamment de toute
inspiration religieuse.
Mercier définit tr~s exactement la mentalité du dix-huitiè-
me si~cle, lorsqu'il écrit: "Aujourd'hui, le grand crime, c'est
la dureté du coeur. Ce mot d'humanité est le plus beau de la lan-
gue française". (1) Voilà comment nous découvrons le fil d'Ariane
reliant ce terme à la sensibilité. La pensée sociale de Voltaire
a toujours suscité de nombreuses discussions, il fut cependant
l'un des premiers ~ proclamer l'urgence de certaines réformes,
l'abolition de la torture et de l'esclavage, etc. Ces préoccupa-
tions existaient dans Candide, elles se retrouvent dans son thé-
âtre, exprimées différemment.
Cette sensibilité, nous dit Lion, qui anime les tragé-
dies de Voltaire
se retrouve partout et plus spécialement chez
certains personnages dont il nous a tracé les
traits non sans quelque complaisance. Il y a
chez lui (et comment en eût-il été autrement au
XVllle si~cle) des héros qui ont pour manière
d'être, comme pour mission d'être sensibles. (2)
Ces personnages sont justement élus par le dramaturge pour trans-
mettre les lois de l'humanité. Alvarez, Zopire, Hermodan, l'Empe-

(1) Cité par Ducros, Louis, La société française au XVllle si~cle,


Paris, A. Hatier, 2e e8ition, 1922, p. 377.
(2) Hion, Henri, Les tragédies et les théories dramatiques de Vol-
taire, Paris, Hachette, 1895, p. 455.
80

reur de la trag~die des Gu~bres, ils repr~sentent tous le type fa-


vori de l'auteur. Vieillards attendrissants et sans reproches, ils
combattent pour les droits de l'humanit~.

Celle-ci se manifeste par une sympathie jamais d~mentie

~ l'~gard des malheureux. Les d~favoris~s poss~dent des droits sa-


cr~s ~ la compassion. Seuls les coeurs endurcis refusent leurs
secours aux pers~cut~s. Les accueillir devient alors la première
des obligations. On a dit que Voltaire aurait tout pardonn~ ~

Rousseau s'il avait accept~ son invitation de s~journer ~ Ferney.


Le ch@telain offrait ~ tous une hospitalit~ chaleureuse, Linant,
Mlle Corneille, le fils des Calas y trouv~rent refuge. Il n'est
pas ~tonnant alors que Pamm~ne accueille ainsi Oreste et Pylade,
rescap~s d'un naufrage:
Je sers ici les dieux, j'implore leur justice,
J'exerce en leur pr~sence, en ma simplicit~,
Les respectables droits de l'hospitalit~.
Daignez, sous l'humble toit qu'habite ma vieillesse,
Mépriser des grands rois la superbe richesse;
Venez: les malheureux me sont toujours sacr~s. (1)
Voltaire proclame non seulement la n~cessit~ de secourir
les infortun~s mais surtout d'assurer leur d~fense. Nous reconnais-
sons ici le brillant avocat dont la fougueuse éloquence remuait
toute l'Europe. Une de ses dernières trag~dies, les Guèbres, il-
lustre l'activité judiciaire de l'auteur. Deux soldats romains se
chargeront de sauver une jeune fille, condamn~e par l'intolérance

(1) Voltaire, !E!&., Oreste, acte 2, sc., 2, p. 108, t. 4.


81

des prêtres. Et Voltaire précise dans la préface que cette action


ne provient pas d'un z~le religieux, mais uniquement de l'humanité.
Le ton alors adopté par les personnages révèle comment celle-ci
peut se rattacher à la sensibilité.
Iradan Je pense comme vous, et vous me connaissez;
Mes remords par le temps ne sont point effacés
Mon métier de soldat pèse à mon coeur trop tendre;
Je pleurerai toujours sur ma famille en cendre;
J'abhorrerai ces mains qui n'ont pu les sauver;
Je chérirai ces pleurs qui viennent m'abreuver:
....
Césène Tempérez de vos lois les décrets rigoureux,
Et si vous le pouvez; sauvez les malheureux. (1)
Ce dialogue prouve que la voix de l'humanité ne trouvait écho que
dans les coeurs tendres. Sans aucune exception, tous les person-
nages interprètes d'une telle conception jouissent d'une extrême
sensibilité.
Il est bon d'adoucir les maux de ses semblables. Mais les
hommes ne se font-ils pas eux-mêmes les inventeurs des pires flé-
aux? La guerre, l'esclavage proviennent avant tout de leur cru au-
té. Il faut abolir ces deux sources de souffrances. Alvarez, Zo-
pire reprendront tour ~ tour ce leit-motiv. Remarquons ici le con-
traste entre l'emphase du ton et la sobriété de Candide.
Zopire Exterminez, grands dieux, de la terre où nous sommes
Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes! (2)
Alzire met aux prises les Espagnols et les Indig~nes. Mais de part

(1) Voltaire, !e!&., les Guèbres, acte 1, sc., 3, p. 509, t. 5.


(2) Voltaire, !e!&., Mahomet, acte 3, sc., 8, p. 139, t. 2.
82

et d'autre, s'exercent des actes de clémence. Zamore refuse de


constituer Alvarez prisonnier et lorsque le sort accordera la vic-
toire au camp espagnol, celui-ci réclamera auprès de son fils une
attitude indulgente.(l)Il demandera, au nom de l'humanité, la libé-
ration des esclaves arrêtés par Gusman. (2)La justice autorise par-
fois certains abus, mais toute âme sensible doit savoir y remédier
par la pitié et la générosité.
Voltaire a toujours prané au cours de sa carrière l'impor-
tance des lois. Voici la forme de protection idéale ~ offrir aux
ciroyens. C'est le raIe de l'état d~assurer le bonheur des hom-
mes. Seule une législation basée sur la justice et la vertu peut
leur permettre de connattre la paix et la joie de vivre. Il faut
donc combattre avec toute l'énergie possible celles qui provien-
nent des préjugés. Comment tolérer les sacrifices humains? Vol-
taire écrit une tragédie entière, Les Lois de Minos, pour démon-
trer cette nécessité. Le roi Teucer, incarne le patriarche et
il est curieux d'y retrouver ces accents presque romantiques:
Pilote environné d'un éternel orage,
Ne pourrai-je obtenir qu'un illustre naufrage? (3)
Nous voyons apparattre sous l'ét8ndard de l'humanité tou-
tes les tendances réformatrices de Voltaire. En général ces pré-
occupations sont exprimées avec sobriété et rarement le ton dégé-

(1) Voltaire, !E!&., Alzire, acte 4, sc., 1, p. 419, t. 2.


(2) Voltaire, !E!&., Alzire, acte 1, sc., 1, p. 386, t. 2.
(3) Voltaire, !Ei2., Les Lois de Minos, acte Il, sc., Il, P. 202.
83

n~re en sensiblerie. La vie de l'auteur nous prouve sa sincérité.


Nous sentons que Voltaire affectionne particulièrement les person-
nages interpr~tes de sa pensée. Ils font tous preuve d'une noblesse
peu commune. Alvare~ Zopire, Cicéron comptent parmi ses raIes pré-
férés.
De tels sujets conviennent peut-~tre davantage ~ un essai,
mais disséminés dans une tragédie, ils n'entravent pas trop son
déroulement. Voltaire a toutefois fait fausse route en consacrant
des oeuvres entières ~ l'expression de tels sentiments. Ce procédé
annihile la création dramatique puisque les personnages ne poss~­

dent aucune vie autonome. Les Gu~bres et Les Lois de Minos n'ont,
avec raison, récolté aucun succ~s.

Par l'utilisation de ce thème, Voltaire cristallise les


préoccupations de son si~cle. Il fut lui-m~me le défenseur des
droits de l'humanité. Mais en cela, il rejoignait les aspirations
de ses contemporains. Sans leur appui, leur intér~t, ses entre-
prises judiciaires seraient peut-~tre demeurées lettres mortes.
En effet, l'une des étapes les plus importantes dans la révoca-
tion de l'affaire Calas fut la présentation de Madame Calas au
roi et à toute la cour. Les nobles, habitués d'entendre pr~cher

au théâtre la défense des persécutés, s'émurent sur le sort de


cette malheureuse.
Cet élément nous rév~le un des aspects de la sensibilité
de l'auteur. Voltaire s'enflammait littéralement devant toute
forme de cruauté, et, comme il n'était pas homme ~ reculer de-
vant ~es dffficultés, il se mettait à la tâche, armé de son cré-
84

dit, sa fortune et son génie. Cette oeuvre réformatrice ne cessera


de le hanter et S8 correspondance nous transmet les réactions de
sa sensibilité ulcérée:
Quoi! dit-il, des Busiris en robes font périr dans
les plus horribles supplices des enfants de seize
ans! Et 18 nation le souffre! A peine en parle-t-on
un moment, on court ~ l'opéra comique. Je suis hon-
teux d'être aussi sensible et si vif à mon âge. Je
pleure les gens dont on arrache la langue, tandis que
vous vous servez de la vetre pour dire des choses
tr~s agréables et tr~s plaisantes. Vous digérez
donc bien, mon cher philosophe, et moi je ne di-
g~re pas. Vous êtes encore jeune et moi je suis
un vieux malade; pardonnez ~ ma tristesse. (1)
De tels accents proviennent d'une émotion réelle et ses tragédies
nous en apportent les échos.
Parmi les abstractions ch~res aux spectateurs du dix-hui-
tième siècle, on rencontre la nature. Cette époque érigea en prin-
cipe la bonté de la nature humaine. Un tel optimisme cadre mal
avec la vision habituellement plus réaliste de Voltaire. Candide
constitue en effet un violent réquisitoire contre l'humanité. La
lecture de son théâtre prouve cependant qu'il a cru en cette ima-
ge séduisante de l'homme. Ses tragédies exposent les multiples
avantages découlant d'une obéissance attentive aux suggestions de
l'instinct.
Si la nature est bonne, elle donne naissance aux senti-
ments les plus doux. D'elle, provient l'amour des parents envers
leurs enfants et vice-versa. Grâce ~ elle, la mère pressent la

(1) Lettre ~ d'Alembert, citée par Strauss, o.F. Voltaire, Six


conférences, traduit de l'allemand par L. Narval, Paris, Rein-
wald, 1876, p. 186.
Feuille 85 omise dans la pagination
86

véritable identité de son enfant perdu, le père pardonne au fils


rebelle, etc. Entendue en ce sens, la nature devient synonyme
d'affection.
Dans l'Orphelin de Chine, lorsqu'Idamé refuse de livrer son
fils au bourreau, l'instinct maternel sert d'excuse à sa faiblesse.
Par cette attitude élOignée du stofcisme, Voltaire apportait une
forme nouvelle de pathétique fondée sur le respect de la vie hu-
maine. L'éditeur signale en effet que le comportement de la jeune
femme surprit les spectateurs. On accomplissait en général beeu-
coup ~lus froidement le sacrifice d'un enfant obscur au profit de
la survivance royale. Las personnages cornéliens ne connaissaient
pas ce genre d'hésitation. En effet, nous dit Brunetière,
Bn ne craignait pas la mort dans la tragédie de
Racine ou de Corneille. On la prenait pour ce
qu'elle est: un eccident ou un événement de la
vie •
....
Mais, avec VOltaire, pour toute sorte de raisons,
le prix da la vie humaine croissant, la grande
affaire de la vie devient d'éviter la mort, et
par conséquent, l'effroi de la mort, devient la
grande source da pathétique. (li)
La nature caractérise également l'amour fraternel. Source
de toutes les reconnaissances, elle produit de plus les dénoue-
ments les plus touchants. Ainsi, dans Adélafde du Œuesclin, Vend8me
regrette amèrement la condamnation de son frère. Ses remords ne
proviennent pas d'une considération morale mais d'une impulsion

(l) Brunetière, op. cit., p. 279 •


B7

naturelle. "Nature, je me rends," dit-il. Celle-ci devient donc


le symbole par excellence de la tendresse et de l'affection.
Afin de souligner la brutalité de Polyphonte, Mérope affir-
mait:
Ce n'est pas aux tyrans à sentir la nature; (1)
En effet, ceux qui refusent d'obéir à sa voix deviennent mons-
trueux. Voilà comment s'établit cette relation causale. La nature,
essentiellement bonne, engendre la perfection et vice-versa. Dr,
qu'est-ce que la bonté sinon la sensibilité? Les personnages, gui-
dés par leurs impulsions naturelles, feront preuve de tendresse,
d'indulgence et de générosité. Dans Agathocle, Elpénor promet ainsi
d'afficher une meilleure conduite:
Ne vous préparez point un horrible avenir, dit-il à son p~re,
La nature a parlé; sa voix est tioujours tendre. (2)
Voici la clé de l'énigme. Si la nature inspire la bonté et l'amour,
elle apparatt donc comme le substrat indispensable à l'éclosion de
la sensibilité.
Ceci s'applique non seulement à l'individu mais aussi aux
collectivités. Nous rencontrons souvent dans l'oeuvre de Voltaire
de minuscules peuplades vivant selon la nature, i.e. dans la paix
et la joie. Il donne d'ailleurs comme preuve d'une nature non-cor-
rompue l'existence de ces différents groupes sociaux:

(1) Voltaire, ~., Mérope, acte 4, sc., 2, p. 237, t. 3.


(2) Voltaire, ~., Agathocle, acte 4, sc., 3, p. 270.
88

Il Y a, dit-il, des nations enti~res qui ne sont


point méchantes; les Philadelphiens, les Banians
n'ont jamais tué personne; les Chinois, les peu-
ples du Tonquin, de Lao, de Siam, du Japon même,
depuis plus de cent ans, ne connaissent point la
guerre. (1)
En effet, l'essentiel de son opposition ~ Rousseau repose sur la
condamnation de la civilisation. Idée inacceptable pour un mondain
raffolant des repas fins et des conversations brillantes. Au thé-
âtre, il présentera, pour illustrer les bienfaits de la vie cham-
pêtre, les Scythes. Cette tragédie, "nouveaux travaux et des jours",
nous apporte certains relents de la vie du vieux jardinier suisse.
La pi~ce comporte d'ailleurs deux vieillards attendrissants, dont
Sozama, exilé de la cour des rois, nous rappelle les mésaventures
d'un certain courtisan cél~bre. Dans ce décor rustique, un jeune
homme brave et généreux, UMe jeune fille aimable et douce nous
offrent le spectacle des sentiments les plus touchants.
Ces différents th~mes marquent une constante du théâtre
de Voltaire, généralement orienté vers l'optimisme. L'homme du+
dix-huiti~me si~cle aime à se concevoir dépourvu de toute malice;
s'éprouver bon lui procure une tr~s douce émotion. La méchanceté
se fait rare ~ cette époque puisque pour la pratiquer il faut
lutter contre la nature et l'humanité. La bonté, tellement plus
facile récolte un nombre grandissant d'adeptes. Une telle vision
faisait les délices des âmes sensibles.


(1) Voltaire, Dictionnaire Philosophique, Paris, Garnier-Flammarion,
1964, article m~chant, p. 279 •
89

Voltaire partageait cette opinion, tout au moins voulait-il y croi-


re. Le public aimait sans doute à retrouver dans ses tragédies cet-
te image d'une humanité idéale. Voilà pourquoi ces termes qui nous
apparaissent de pures abstractions, provoquait, dans un autre con-
texte, une sorte d'euphorie collective. Les spectateurs, convaincus
de leur propre excellence, accueillaient avec plaisir cette projec-
tion d'eux-m~mes. Cette ressemblance achevant de les rassénérer,
les consolait, leur plaisait et les pâmait d'émotion.
?e CHAP IT.RE :

LES LARMES.
91

La sensibilité au dix-huitième siècle offre la particularité


suivante: elle tend ~ se concrétiser dans une forme d'expression
bien précise, les larmes. Voltaire connatt les désirs de son public.
Voil~ pourquoi tous les différents thèmes illustrés dans ses tra-
gédies possèdent une même orientation, émouvoir au point de faire
pleurer. Voltaire veut transformer son milieu. A cSté de l'amour,
son théâtre fait place ~ la religion, la vertu et l'humanité. Ce-
pendant, il sait qu'il prêche dans le désert s'il ne parvient ~

toucher les spectateurs. Le succès qu'il désire tant ne s'obtient-


il pas ~ ce pria? Les larmes lui prouvent qu'il atteint ou non son
but. A cette époque, elles deviennent le moyen par excellence de
manifester son intérêt et son émotion.
Leur importance ne cesse d'étonner. Qu'il s'agisse du ro-
man ou du théâtre, nous retrouvons partout la trace de ce phéno-
mène. Marivaux, Prévost, La Chausséa nous présentent des person-
nages ~ l'allure larmoyante. L'origine de ce phénomène remonte
au dix-septième siècle. Déj~, Racine se glorifiait des larmes
versées par Madame sur les tristes amours de Bérénice. Mais, au
siècle suivant, cette habitude prend des proportions exhorbitantes.
En effet, nous dit Desc8tes:
Vers 1730, le goût des larmes est devenu général,
et même chez les hommes. En écoutant Mérope, Vauvenar-
gues pleure comme Mlle lissé en lisant les Mémoires
et aventures d'un homme de qualité, Mme de La Riuau-
daie au spectacle de Zaire comme l'abbé La Bussé de
la lecture d'Artémire, Marmontel "arrose de ses larmes"
Manon Lescaut, tout en déplorant l'immoralité de l'ou-
vrage. (1)

(1) De_eates, Maurice, Le public de théâtre et son histoire, p. 187.


92

Il ne s'agit plus d'une manifestation involontaire de la


sensibilité, provenant d'une émotion quelconque. On veut pleurer,
on aime à pleurer. Voilà pourquoi, on cherche avant tout dans la
littérature les sujets émouvants. On rejette les oeuvres ne fai-
sant pas appel à cet exutoire. Le public réclame sans cesse des
ouvrages où ils pourront trouver un prétexte à verser das pleurs.
Nivelle de La Chaussée exploite au maximum une telle ten-
dance. Le genre qu'il a fondé, la comédie larmoyante ne laisse
aucun doute sur la nature du but poursuivi. Cependant il. ne fut
pas seul à exploiter cette veine. Tout le théâtre contemporain
témoigne de cette particularité. Houdar de La Motte, Campistron
et même Crébillon illustrent cette caractéristique du si~cle des
lumi~res.

Peu à peu les larmes deviennent le principal crit~re em-


ployé par Voltaire pour juger ses tragédies. Il semble exiger de
la part de l'auditoire l'abandon total de tout exercice ration-
nel au profit de l'émotivité. Lor~qu'il compose Olympie, en 1764,
il expédie, selon son habitude, à "ses anges" sa nouvelle pi~ce.

Au lieu de les inciter à la critique, il les invite à pleurer.


(1)
"Lisez, lisez, dit-il, mais pleurez". Quelle valeur peut-on ac-
corder à une telle forme de jugement?
Cette attitude explique les nombreuses déficiences de
son théâtre. Nous ne constatons que trop souvent héles, l'abandon

(l) Cité par Lion, op. cit., p. 273.


93

chez lui de tout esprit critique. Emporté par son émotivité, il


laisse ê d'autres le soin de juger. La composition d'Olympie ne
lui a coûté que six jours de travail.
La rage s'empara de moi un dimanche, raconte-t-il,
et ne me quitta que le samedi suivant. J'allai
toujours remuant, toujours barbouillant; le sujet
me portait ê pleines voiles. Je volais comme le
bateau des deux conduits par la vieille. (1)
D'Alembert refroidit un peu son enthousiasme en lui répondant que
le sertième jour il n'aurait pas dû se reposer.
Cette période de fièvre n'engendra pas un chef-d'oeuvre,
mais Voltaire se comptait pour satisfait si les spectateurs s'at-
tendrissaient sur les malheurs de son hérofne. Peu importe la
valeur intrinsèque de la tragédie, ses défauts de construction, si
elle arrache des larmes. A propos de Tancrède, il reconnaissait
la faiblesse de l'intrigue, mais, par contre, écrit-il à d'Argen-
tal, "Mademoiselle Clairon pleure et fait pleurer. Que demandez-
vous de plus?,2~t Voltaire réfute è l'avance toutes les objections
éventuelles, fort de cette certitude. Cette politique donnait sou-
vent d'excellents résultats puisque Marmontel, après la représen-
tation de Tancrède, lui disait "le visage baigné de larmes", qu'il
n'avait jamais rien fait de plus intéressant et qu'on serait trop
ému pour s'occuper, au thé~tre, des critiques ~ faire sur la mar-
che detI'action. n (3)

(1) Cité par Perey et Maugrae, op. cit., p. 189.


(2) Cité par Lion, op. cit., p. 265.
(3) Ibid., p. 265.
94

Les relations entretenues par Voltaire ~ l'égard de ses


comédiens nous livrent également beaucoup de témoignages sur l'im-
portance de cet élément. Nous savons qu'il lui plaisèit de diriger
lui-même la préparation de ses pièces. Aussi longtemps qu'il lui
fut possible de séjourner ~ Paris, il régla lui-même le jeu de
ses comédiens, et plus tard, sa correspondance nous livre l'es-
sentiel de ses recommandations. Ses directives se rattachent étroi-
tement ~ l'expression de la sensibilité. A Mademoiselle Clairon,
qui atteignit dans le raIe d'Electre, le sommet de sa carrière,
il prodigue ses conseils sur la façon de traduire les différents
sentiments agitant l'âme de l'héro!ne grecque. Surtout, dit-il,
je vous demande de ne le jamais ralentir en vous
appesantissant trop sur une prononciation qui en
est plus majestueuse, mais qui cesse alors d'~tre
touchante, et qui est un secret sûr pour sécher
les larmes.
On ne pleure tant ~ Mérope que par la raison
contraire. (1)
Voltaire n'est satisfait que lorsque les comédiens répondent ~ ce
désir. Il rendit mille gr8ces à Mlle Gauss!n, Mlle Dumesnil et la
Clairon parce qu'elles savaient toucher. Par contre, il affirme au
sujet de Mlle Durancy, interprète du raIe d'obé!de ~ Paris:
Vous me faites bien du plaisir, mon cher ange, de
me dire que Mlle Durancy a enfin saisi l'esprit de
son raIe et qu'elle a très bien joué; mais je doute
qu'elle ait pleuré, et c'est là l'essentiel. (2)
C'est là aussi la condamnation suprême!

(1) Voltaire, Lettres choisies, ~ Clairon, Janv. 1750, p. 160.


(2) Voltaire, Théâtre, Avertissement des Scythes, p. 261, t. 5.
95

Plusieurs tragédies de Voltaire furent des succ~s de larmes,


Za!re, A1zire, MéroDe. Tancrêde. Le comportement des personnages
nous rév~le de façon non équivoque la poursuite de cet objectif. Ainsi,
dans Zulime, à part l'héro!ne, Ramire, Atide et Sénassar s'attendris-
sant tour à tour mutuellement et dans Mahomet, pourtant consacré au
fanatisme, on y pleure presque à toutes les pages. (1)
Plus encore, certains ra1es ne consistent qu'à verser des
larmes. A chacune de ses apparitions, Ramire déplore ainsi la tris-
tesse de son sort. Nous nous attendons parfois à une certaine ré-
sistance de la part des "méchants", mais tous, à l'exception de
eati1ina et Mahomet, succombent à cette contagion. Les coeurs les
plus durs dissimulent une Sme vulnérable! Les personnages, réputés
violents, connaissent leurs moments de faiblesse, Orosmane, Vendame,
Gusman et même ces fiers romains versent quelques larmes furtives.
La tragédie peut se comparer à une sorte d'ascension gra-
duel le jusqu'aux sommets de la sensibilité. Les spectateurs y vien-
nent, comprimant leur émotivité, jusqu'au moment où l'auteur leur
permettra d'en rompre les digues. On attend, on anticipe ces minu-
tes où la tension atteint son comble. Ces moments sont demeurés
cé1~bres dans le théStre de Voltaire. "Zafre, vous pleurez" ache-
vait infailliblement de rompre toutes les résistances. Cet hémis-
tiche ~roduisait toujours le même réflexe. Un spectateur demeuré
impassible y aurait perdu sa réputation. Tout aussi émouvant le

(1) Cf. Voltaire, ibid., Mahomet, p. 110, 111, 11B, 121, 132, 142,
145, 146, etc.
96

fameux "Eh bien, mon p~re? •. " d'Aménaide. Mme d'Epinay en fut
sUbjuguée. Elle écrit ~ l'une de ses amies:
J'ai pourtant trouvé le secret, au milieu de tous
nos maux, de voir Tancr~de et d'y fondre en larmes •••
C'est une nouveauté touchante, Qui vous entratne
de douleur et d'applaudissements. Il y a un certain
Eh bien mon p~re? •• Ah! ma Jeanne, ne me dites ja-
mais Eh bien de ce ton-l~, si vous ne voulez pas
Que je meure!
.•• -Rien n'est comparable à Le Kain,- pas même lui! •••
On pleurait, on sanglotait ••• !
De telle sorte que toutes les critiques, si
bien fondées qu'elles fussent, disparurent noyées
dans les larmes. (1)
Nous voyons que les spectateurs correspondent d'emblée aux inten-
tions de l'auteur et qu'ils ne prennent pas ~ la lég~re ces mani-
festations purement extérieures de la sensibilité. Ils aiment ~

pleurer, et toute leur reconnaissance vole vers celui Qui leur


procure de telles délices.
Les larmes joueront de plus un raIe important dans les
rapports entre les différents personnages. C'est ~ ce signe que
l'on reconnatt la grandeur d'âme. Elles ne peuvent provenir que
des coeurs tendres et sensibles, donc de la partie privilégiée
de l'fflumanité. On n'attribue jamais aucune intention mauvaise ~

celui qui sait pleurer. La méchanceté et les larmes deviennent


des antagonismes irréconciliables.
Elles sont de plus le critère de la sincérité. La trahi-

(1) Cité par Deschanel, Emile, Le théâtre de Voltaire, Le romantis-


me des classiques, Se série, Paris, Calmann-L~vy, 1886, p. 353.
97

son et les pleurs ne marchent jamais de pair. Si l'on conçoit


des soupçons ~ l'~gard d'un personnage, elles servent arors de ca-
talyseur. Ainsi Nemours, lorsqu'il aperçoit Ad~la!de auprès de Ven-
dame, doute de sa fid~lité. Mais les paroles de Dangeste ont t8t
fait de le rass~nérer:

Elle versait des pleurs et voulait les cacher.


Nemours Elle pleure et m'outrage! elle pleure et m'opprime!
Son coeur, je le vois bien, n'est pas n~ pour le crime. (L)
De même Zulime, sa basant sur ce crit~re, croit trop facilement
aux paroles r~confortantes d'Atide:
L'imposture, apr~s tout, ne verse point de pleurs. (2)
Hélas! elle en verse quelquefois et la pauvre Zulime l'apprendra
trop tard. Il s'agit l~ toutefois d'une exception; en général, les
larmes constituent des lettres de cr~ance irr~futables.

Par cette manifestation, on prouve ~galement à quel point


les malheurs d'autrui nous trouvent sensibles. Celui qui ne peut
compatir ~ la souffrance humaine n'a point recours ~ cet usage. Il
ignore la douceur d'un tel épanchement et l'humanité n'a point de
prise en lui. Car, comme le dit si bien Voltaire:
Les pleurs sont de l'humanité la marque la plus tendre. (3)
Voilà donc op~r~e, grâce à ce critère plut6t inusit~, la séparation
du bon grain et de l'ivraie. Il est sOr que dans cette optique, les

(1) Voltaire, ~., Adélafde du Guesclin, acte 3, sc., 1, p. 107-108, t. 2.


(2) 1E!â., Zulime, acte 4, sc.2, p. 47, t. 3.
(3) 1E!â., Altire, acte 2, sc., 2, p. 399, t. 2.
98

fanatiques vont se recruter parmi ceux qui ont le coeur et surtout


les yeux secs. A ceux-l~, Voltaire prodigue ses malédictions:
Malheur aux coeurs ingrats, et nés pour les forfaits
Que les douleurs d'autrui n'ont ettendris jamais! (1)
A ces figuiers stériles de l'évangile voltairien sont dévolus tous
les crimes dont le moindre n'est pas la sécheresse de coeur. Rien
ne leur sera pardonné parce qu'ils n'ont pas su pleurer.
La morale nous paratt fort éloignée d'un tel phénomène, et
pourtant nous allons y découvrir de nombreuses attaches. Selon
la conception de cette époque, la vertu ne peut se dissocier de la
sensibilité. Or, puisque les larmes manifestent l'affectivité d'un
~tre, ne prouvent-elles pas également sa valeur morale? Dn recon-
natt donc non seulement l'humanité mais aussi la vertu au nombre
de pleurs versés. De l~, la complaisence éprouvée pour ce débor-
dement de la sensibilité, jusqu'alors considéré comme importun.
De l~ provient aussi, ce goût des larmes qui paratt de prime
abord contre nature. Habituellement, les larmes ennoncent la tris-
tesse, mais au dix-huitième siècle, "on se sait bon gré de pleurer,
comme d'une marque de vertu, comme d'une preuve que l'on est une
(2)
belle âme". Voil~ pourquoi, cet acte procure une véritable délec-
tation. On en recherche les occasions comme autant de minutes pré-
cieuses mises ~ sa disposition.

(1) Voltaire, ~., Alzire, acte 2, sc., 2, p. 398, t. 2.


(2) Brunetière, Ferdinand, op. cit., p. 287.
99

Quelle valeur attribuer ~ cette manifestation de la sen-


sibilité dans le théâtre de Voltaire? Une telle abondance de lar-
mes affaiblit plutôt la tragédie et l'achemine vers le mélodrame.
Par contre, en tant que reflet d'une époque, elle offre beaucoup
d'intérêt. On ne peut attribuer ~ Voltaire seul une telle incli-
nation. Ce phénom~ne se manifeste tout au long du siècle. Le
roman, le théâtre, les différentes correspondances nous en livrent
le témoignage.
Les critiques se sont interrogés sur la sincérité de l'émo-
tion alors éprouvée. Le spectateur du dix-huitième siècle a établi
la nécessité des larmes pour prouver son attendrissement •. Il de-
vient indispenseble de pleurer au moindre choc de la sensibilité.
La question devait sQrement se poser pour eux en sens inverse. On
ne mettait pas en doute la sincérité de celui qui pleurait mais
de celui qui ne pleurait pas.
Expriment-elles une émotion tr~s profonde? Non, sans doute.
La mode de ce temps exige que l'on verse des larmes dans telle ou
telle circonstance. Et le mode comporte toujours une certaine part
d'artificiel. Elles ne proviennent pas non plus d'un degré très
aigu de souffrance. N'oublions pes que pleur~ constitue une ac-
tion des plus agréables. Toute la sensibilité du dix-huitième siè-
cle s'oriente d'ailleurs vers la douceur plut8t que la violence.
Il ne faut sans pas accorder une importance démesurée à cette me-
nifestation. Elle demeure cependant l'une des grendes caractéristi-
ques de cette époque.
CONCLUSION.
101

Malgré ses déficiences, le théâtre de Voltaire comporte


de nombreuses sources d'intér~t. Il nous offre la projection fi-
d~le des principaux aspects du 9i~cle des lumi~res. Les concep-
tions de l'humanité, de la nature et de la vertu proviennent du
milieu ambiant. Le langage même de l'amour porte la trace de la
politesse exquise et raffinée d'une vie sociale à son plus haut
point de déveloprement. Pour connattre le dix-huiti~me si~cle, les
tragédies de Voltaire constituent un document fort révélateur. El-
les font revivre le souvenir d'une civilisation élégante et fri-
vole en qu~te d'émotion.
Mais, s'il refl~te les aspirations de ses contemporains, ce
théâtre rév~le surtout la personnalité de l'auteur. Voltaire ne
pouvait se résoudre à l'anonymatl Constamment, on perçoit, sous le
couvert de la fiction, ses sentiments et ses convictions. Certains
personnages s'identifient tellement à l'auteur que l'on parvient
difficilement à les dissocier. Voltaire demeure en définitive la
figure la plus intéressante de son thé~tre.

Il éprouvait d'ailleurs un plaisir infini à interpréter


ces rôles. Le célèbre
Mon Dieu, j'ai combattu soixante ans pour ta gloire" (1)
s'applique comme un gant à sa lutte infatigable contre le fanatisme.

(1) Voltaire, !E!2., Zafre, acte 2, sc., 3, p. 578, t. 1.


102

Argire, le défenseur de la tolérance, Alvarez, prêchant le pardon


des injures, Hermodan, le protecteur des malheureux, Cicéron, le
libérateur de la patrie, constituent l'imposante galerie des por-
traits de Voltaire disséminés dans ses tragédies.
La sensibilité dans ces oeuvres apparaît parfois froide
et conventionnelle, mais quelle chaleur et quelle fougue lorsque
l'auteur laisse parler son propre coeur! Trop souvent Voltaire se
défie de son émotivité. Lorsqu'il consent à s'y abandonner, le
texte s'anime et vibre de sincérité. Il trouve alors les mots
justes et simples pour traduire la tendresse et l'amour. Le ryth-
me et la tonalité de ses pi~ces romanesque, Za!re, Alzire, !!n-
crède, nous apportent un souffle de fraîcheur juvénile.
Voltaire avait l'âme chegaleresque. Comme il se meut à
l'aise dans cet univers dominé par le courage et la vertu. Quelle
noblesse émane de tous ces personnages! Ces valeureux chevaliers,
souvent persécutés, ne connaissent qu'un seul devoir, combattre
pour leur patrie et leur bien-aimée. Il ne faut pas oublier que
le patriarche, à l'âge de soixante cinq ans, a choisi l'un d'eux
pour en faire son interpr~te.

Voici un lourd démenti à la réputation de sécheresse qu'on


lui attribue trop souvent. Nous trouvons maintes traces au con-
traire d'une sensibilité tr~s vive dans ses tragédies. De plus, ses
réactions en tant que spectateur et comédien sont fort révélatrices.
Lorsqu'il assistait à une représentation, son excitation était
telle qu'il lui arrivait de s'avancer sur la scène au risque d'in-
103

terrompre la pi~ce, il paraissait, dit-on, aussi touché qu'une jeune


(1)
fille qui regarde pour la première fois une tragédie.
Voltaire fut plus d'une fois victime de son émotivité. Peu
d'hommes furent moins libres que lui, sans cesse ébranlé par des
réactions contradictoires. Une telle impulsivité explique son gé-
nie de polémiste. Lorsque la réaction est là dans toute sa violence,
Voltaire, vibrant d'indignation, décoche des traits ne supportant
pas la réplique. Cette impitoyable ironie fit croire ~ la froideur
de son tempérament.
Les idées chez Voltaire ne sont jamais pures, elles par-
tent au contraire tr~s souvent de son affectivité. Il suffit de
songer ici au Poème sur le Désastre de Lisbonne. On utilise ~

tort son oeuvre philosophique comme preuve d'insensibilité. Comme


le dit André Delattre: "la contribution de Voltaire à la philoso-
phie du IVIlle si~cle, ce n'est pas une construction philosophique
mais une activité de combst. Distinguons tout de même entre un Des-
cartes, un Spinoza, un Kant et lui." (1) Voltaire, malgré sa dis-
crétion à ce sujet, n'en fut pas moins un être émotif et vulnérable.
A cause même de cette sensibilité, la tragédie subit entre
ses mains de nombreuses transformations. Ses intrusions constantes
nous éloignent du classicisme. Si les oeuvres de Racine gardent un
secret presque absolu sur leur Buteur, Voltaire considère ses

(1) Cf. Perey et Maugras, op. cit., p. 130-461.


(2) Delattre, André, Voltaire, l'impétueux, Paris, Mercure de France,
1957, p. 23.
104

personnages comme les interpr~tes par excellence de ses différents


états d'âme.
L'expression de la sensibilité demeure cependant toujours
classique. Le moi n'a pas encore conquis tous ses titres de noblesse.
Les regards complaisemment tournés à l'intérieur d'eux-mêmes sont
ignorés par les personnages. Le lyrisme se rencontre rarement, sauf
dans les pi~ces consacrées aux sentiments chevaleresques. C'est
d'ailleurs avant tout par la survivance de l'époque médiévale que
Voltaire établit un lien entre l'école romantique et ses produc-
tions. Tancrède, nous l'avons vu, symbolise un précurseur du
héros romantique. De plus, certains accents, parsemés ici et là,
possèdent une totalité particulière. René Pomeau en signale la
présence dès Za!re. Le rôle de Lusignan débute par ce vers aux so-
norités mystérieuses:
Du séjour du trépas quelle voix me rappelle? (1)
Au niveau de l'intrigue, Voltaire prépare les réformes
de iictor Hugo. Les deux écrivains ont en commun le goût des pé-
ripéties émouvantes et d'une action tr~s fertile en événements.
l'importance donnée à l'aspect visuel le rapproche aussi du drame
romantique. Les coups de canon, les bûchers allumés n'auraient
certes pas déplu à ses successeurs. En somme, les tragédies vol-
tairiennes contiennent souvent en germe toutes les audaces révo-
lutionnaires de la Jeune France.

(1) Cité par Pomeau, René, Voltaire par lui-même, Paris, Ecrivains
de toujours, Editions du Seuil, 1963, p. 18.
105

L'omniprésence de l'auteur, la complexité des intrigues,


l'importance de certains th~mes éloignent donc la tragédie des
productions du si~cle précédent. Voltaire en apporte le déclin,
mais par coMtre, il ouvre certains horizons. Ses pi~ces, nous dit
Bruneti~re,

contemporaines du roman de Prévost ou de la comédie


de Marivaux, ne sont déjà plus des tragédies, mais
des drames. Et de fait, pour achever de la dégager,
cette forme nouvelle, il n'y a plus qu'à dépouiller
la tragédie de Voltaire de ce qu'elle conserve encore
d'une tradition qui n'est plus la sienne: les trois uni-
tés, la contrainte du vers, l'imitation de l'histoire,
la représentation des personnes souveraines ••• Ce sera
l'oeuvre des Diderot et des Sedaine, des Beaumarchais
et des Mercier. (1)
Seule une telle classification rend acceptable les multiples
déviations accomplies par l'auteur aux r~gles du classicisme.
Les productions dramatiques de Voltaire nous livrent donc
la plupart des grands th~mes du siècle des lumi~res. L'analyse de
ces oeuvres permet d'assister à la convergence d'une personnalité
et d'une époque. Le théâtre de Voltaire demeure peut-être un échec
au point de vue esthétique, mais il constitue une source d'inté-
rêt constant au point de vue historique et psychologique. Il est
donné ~ certains hommes d'incarner l'histoire, Voltaire fut de
ceux-là. Ses tragédies nous permettent de retracer les différentes
facettes de sa personnalité dans lesquelles se concrétisent les as-
pirations de son siècle. Cette concordance sans cesse renouvelée or-
fre le double intérftt de nous révéler à travers l'âme voltairienne,
l'âme et la sensibilité de toute une époque.

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TABLE DES MATIËRES
INTRODUCTION .......................................... 2-7.
1er CHAPITRE ....................................... 8-22.
2e CHAPITRE .......................................... 23-30 •

3e CHAiITRE ·...................................... . • 31-49.


4e CHAPITRE ·..................................... .•50-62.
Se CHAFITRE. ·..................................... . . 63-76.
6e CHAI- ITRE ·...................................... .•77-89.
7e CHAFITRE. ·................................. . 90-89.
CONCLUSION ................................... . . ... .. .. 100-105.
BIBLIOGRAPHIE ••........................•......•• 106-111.

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