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Andreau Jean. Présentation : Vingt ans après L'Économie antique de Moses I. Finley. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales.
50e année, N. 5, 1995. pp. 947-960.
doi : 10.3406/ahess.1995.279413
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1995_num_50_5_279413
CONOMIE ANTIQUE
PRESENTATION
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Annales HSS septembre-octobre 1995 nc pp 947-960
CONOIVIIE ANTIQUE
Voir Jean ANDREAU et Roland ETIENNE Vingt ans de recherches sur archaïsme et la
modernité des sociétés antiques Revue des tudes anciennes 86 1984 pp 55-83
Henry Willy PLEKET Wirtschaft des Imperium Romanùm dans Wolfram FISCHER et
al sous la direction de) Handbuch der Europäischen Wirtschafts- und Sozialgeschichte Klett-
Cotta vol pp 25-160 DE LIGT Demand Supply Distribution The Roman Peasantry
between Town and Countryside dans Münsterische Beiträge zur antiken Handelsgeschichte
fase 1990 pp 24-56 et 10 fase 1991 pp 33-77
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tudes quantitatives
Ces deux thèmes conduisent raisonner sur les quantités et leur évolution
partir de quel moment les variations des quantités produites et surtout
commercialisées suffisent-elles ou non induire des mutations structurelles
Et pour quelle activité commerciale peut-on commencer parler de marché
Ceux qui ont insisté sur la discontinuité économique de la période antique se
sont appuyés sur des variations quantitatives parfois probables ou même cer
taines autres fois plus discutées Des archéologues tels que Manacorda
Pucci ou J.-P Morel ont souligné juste titre que les quantités artefacts
attestés dans les fouilles ou campagnes de prospection partir du 2e siècle av
J.-C. étaient incomparablement supérieures celles des objets fabriqués pen
dant les époques précédentes De son côté Hopkins montré entre le
milieu du 2e siècle av J.-C et le milieu du 1er la cité romaine avait multiplié
par cent ses frappes de deniers et que désormais la quantité des monnaies
elle émettait avait plus rien voir avec celles avait émises une cité
comme Athènes au 5e ou au 4e
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Sous Empire entre le 1er et le 2e siècle apr J.-C. ce est plus tant la quantité
globale de biens commercialisés par exemple de céramique qui est en cause
que celle des biens produits et vendus par Italie Elle paraît en effet diminuer
fortement au pro fit des productions des provinces9 Les résultats des campagnes
de prospection archéologiques ar ais ent aller eux aussi dans le sens un déclin
plus ou moins lent de Italie en révélant abandon de certains sites et
accroissement de la taille des propriétés eides exploitations Mais aucun de ces
indices ne impose comme une évidence Certains insistent donc sur la gravité
des ruptures et des crises tandis que autres sont davantage sensibles aux signes
de permanence10
Les quantités ne se bornent pas révéler une progression ou un déclin de la
commercialisation Elles aident aussi saisir des différences culturelles ou
sociales Ainsi dans les sites protohistoriques du Midi de la Gaule au cours des
derniers siècles avant notre ère importance relative des céramiques vernis
noir dont la présence est attestée sur presque tous les sites permet de distinguer
les habitats grecs de ceux des indigènes Aux deux premiers siècles de notre ère
dans les mêmes régions les sites ruraux se caractérisent par rapport aux sites
urbains par de moindres quantités de céramique sigillée et de céramique
engobe Avec de telles recherches archéologie par le biais de ses typologies et
de ses dénombrements rejoint la fois les préoccupations de histoire écono
mique et celles de anthropologie culturelle11 Cette évolution importante est
très étrangère la sensibilité de Finley qui nourrissait égard de archéologie
une vive méfiance
Depuis dix quinze ans beaucoup efforts ont donc été faits pour parvenir
une quantification plus élaborée Il assez longtemps que les chiffres de prix
de production de rendement fournis par les textes antiques chiffres ailleurs
fort rares et par ois peu crédibles ont été réunis11 Ces dernières années deux
autres méthodes qualifiées inductive et de deductive par les Britan
niques ont été beaucoup utilisées pour établir autres quantités13 Elles peuvent
servir soit discerner des indications de tendance soit établir des fourchettes
des minima ou des maxima soit même avancer des chiffres absolus
La méthode inductive consiste dénombrer les documents disponibles
et en particulier les matériels archéologiques mais on peut dénombrer aussi des
monnaies des inscriptions etc. Elle suppose une réflexion sur les modes de
comptage sur la confrontation des résultats obtenus et sur leur signification
Voir là-dessus Jean ANDREAU Mercato mercati dans Aldo SCHIAVONE sous la
direction de) Storia di Roma vol Turin Einaudi 1991 pp 367-385
10 Sur ces questions voir la synthèse récente de Philippe LEVEAU Pierre SILLI RES et
Jean-Pierre VALLATCampagnes de la Méditerranée romaine Occident Paris Hachette 1993
11 Dans un livre brillant Bats montré ce que la ceramologie peut apprendre sur évo
lution des habitudes alimentaires voir BATS Vaisselle et alimentation Olbia de Provence
350-v 50 av J.-C.) Modèles culturels et catégories céramiques Paris CNRS 1988)
12 Par exemple par Tenney FRANK dans les cinq volumes de Economie Survey of Ancient
Rome Baltimore The Johns Hopkins Press 1932-1940 Voir aussi Richard DUNCAN JONES
The Economy of the Roman Empire Quantitative Studies Cambridge University Press Iré éd.
1974 2e éd. 1982)
13 Certains par exemple JONGMAN The Economy and Society of Pompeii Amsterdam
Gieben 1988) qualifient la méthode inductive de artefact approach et la méthode deductive
de simulation approach
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ECONOMIE ANTIQUE
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ANDREAU PR SENTATION
Finley de développer une Histoire-problème Mais par la suite elles ont pour
suivi des objectifs tout fait différents Surtout la méthode inductive qui
contribué montrer que économie antique était fortement modifiée une
période une autre par exemple parce que les quantités commercialisées
étaient beaucoup accrues ou avaient au contraire diminué Dans beaucoup
de cas elle donc visé remettre en question les conclusions de Finley
Les modèles
il FINLEY Ancient History Evidence and Models Londres Chatio et Windus dont la
plus grande partie été traduite en fran ais dans Sur histoire ancienne la matière la forme et la
méthode/Pans La Découverte 1987 et GARNSEY et SALLER Thé Roman Empire
Economy Society and Culture Londres Duckworth 1987 pp 43-51 ce qui correspond aux
pp 91-102 de la traduction fran aise)
19 Keith HOPKINS Taxes and Trade in the Roman Empire Journal of Roman Studies
70 1980 pp 101-125
20 von FREYBERG Kapitalverkehr und Handel im römischen Kaiserreich 27
Chr -235 Chr.) Freiburg im Breisgau Rudolf Haufe 1989 Sur ces modèles et surtout sur le
livre de von Freyberg voir Jean ANDREAU Italie impériale et les provinces Déséquilibre
des échanges et monétaires dans Italie Auguste Dioctétien ouvrage collectif)
Rome cole fran aise de Rome 1994 pp 175-203
21 Voir là-dessus Jean ANDREAU Mercato mercati dans SCHIAVONE sous la
direction de) Storia di Roma vol Turin Einaudi 1991 pp 367-385
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Deux autres des cinq thèmes annoncés sont très liés un autre et sont
tous deux concernés par le problème suivant économie dans Antiquité
était-elle insérée encastrée dans autre chose qui était pas économique ce
que Finley appelait économie embedded Mais un concerne la cité
tat et autre les rapports entre économie et société
La cité antique entretient-elle avec économie les mêmes rapports que la
cité médiévale ou que tat moderne et contemporain Finley emprunté
Max Weber la réponse il donne cette question la cité antique est une
cité de consommation et non pas une cité de production Mais inter
prétation de cet idealtype de la cité de consommation ne va pas de soi Finley
et sa suite Goudineau ont beaucoup insisté sur les rapports entre ville et
campagne dans la cité de consommation la ville ne produit guère pour
la campagne elle vit aux dépens de la campagne Il faut donc parler de ville de
consommation ou même de ville parasite23 Bruhns estime que telle était
pas la signification de la cité de consommation chez Max Weber mais il
agissait une cité considérant ses ressortissants comme des consommateurs
et non pas comme des producteurs et occupant donc en priorité de leur
22 Michael CRAWFORD La moneta in Grecia Roma Rome-Bari Laterza 1982 id.
Coinage and Money under the Roman Republic Italy and the Mediterranean Economy Londres
Methuen 1985 Sur les rapports entre fiscalité et économie voir aussi Claude NICOLET Rendre
César Paris Gallimard 1988
23 Christian GOUDINEAU Les villes de la paix romaine dans Georges DUBY sous la
direction de) Histoire de la France urbaine Paris Seuil vol La ville antique pp 233-391 et
surtout pp 365-381)
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dans des transactions qui par exemple portaient sur des céréales Si comme
affirmait Meillassoux les sociétés préindustrielles ont une forme écono
mie et pas seulement de vie économique concrète) mais qui obéit des lois
spécifiques celles de la société marchande non capitaliste 30 la difficulté prin
cipale est de définir ces lois spécifiques Sur cette voie analyse que mène
Desca quant aux stratégies économiques des Grecs classiques et de leurs
cités est très utile
Dernier de ces cinq grands thèmes le rang social des agents économiques
dans les secteurs non agricoles Quel rôle les membres des élites jouaient-ils
dans le commerce dans la fabrication artisanat et manufacture) dans le prêt
argent et la banque Dans quelle mesure leurs affranchis et esclaves leur
servaient-ils intermédiaires pour toucher une partie plus ou moins impor
tante des profits des activités non agricoles
Le propos de Los est ici beaucoup plus social économique place
des affranchis dans la hiérarchie sociale romaine caractères de cette hiérar
chie remarques sur les possibilités de promotion sociale Mais les questions
sociales il soulève sont sans cesse abordées de près ou de loin dans le
cadre du thème histoire économique que je viens esquisser
Ce dernier thème pourrait lui-même paraître plus social économique
Le rang social des sujets importe-t-il ou non histoire économique la
suite de Max Weber et de Hasebroek Finley donna toujours cette question
une réponse positive et effor de montrer que ces composantes sociales
contribuaient distinguer économie antique de économie moderne Cette
fa on de poser le problème est incontestablement imposée Même ceux qui
ont contesté ses conclusions ont comme lui prêté la plus grande attention au
rang social des entrepreneurs Comme Finley ils sont convaincus que le statut
des agents économiques ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur la vie
économique elle-même taille égale une entreprise menée par un proprié
taire terrien détenteur un patrimoine aristocratique est pas exploitée de la
même manière que celle un affranchi parti de rien
Il cependant une exception ce consensus celle de Picket qui
considère que le rôle des élites est un problème purement social et non point
économique Car pense-t-il activité économique ne change en rien quel que
soit le statut de ceux qui livrent et en tirent avantage Que entreprise soit le
fait un bourgeois ou un noble elle est pour cette raison ni plus
archaïque ni plus moderne Ce thème intéresse certes Pleket31 mais
titre social pour mieux définir les hiérarchies et équilibres de la société
romaine Sur ce point il est cependant assez isolé
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ECONOMIE ANTIQUE
En matière économie antique les vingt dernières années ont donc été
fécondes infiniment plus que les vingt précédentes Ce dossier aidera le lec
teur mieux saisir quelques-unes des voies empruntées et des résultats atteints
En guise de conclusion aimerais suggérer quelques pistes de recherches sus
ceptibles de faire encore progresser le débat
33 Sur ces problèmes voir les deux ouvrages collectifs suivants HARRIS sous la
direction de The Inscribed Economy Ann Arbor éd Journal of Roman Archaeology Supple
mentary Series no 61993 et Epigrafia della produzione della distribuzione ouvrage collectif)
Rome cole fran aise de Rome 1994
34 Il dix ou quinze ans dans le débat entre Finley et Arms je me suis sur ces ques
tions davantage rangé aux côtés de Finley avec des réserves et des nuances voir Jean
ANDREAU Modernité économique et statut des manieurs argent Mélanges de cole
fran aise de Rome Antiquité 97 1985 pp 373-410 Mais Arms opportunément rappelé
une certaine fluidité de la société romaine que existence des statuts et la place que leur
accorde la documentation risquaient de nous faire oublier
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35 Claude DOMERGUE Les mines de la péninsule Ibérique dans Antiquité romaine Rome
cole fran aise de Rome 1990 ainsi que les participations de Claude Domergue aux ouvrages
collectifs cités note 36 ainsi Jean ANDREAU Pierre VERNANT et Raymond DESCAT sous
la direction de) Les échanges dans Antiquité le rôle de tat Entretiens Archéologie et
Histoire Saint-Bertrand-de-Comminges Musée archéologique départemental 1994
EAHSBC 1)
36 Bernard Liou et Jean-Marie GASSEND épave Saint-Gervais III Fos-sur-Mer
milieu du IIe siècle apr J.-C.) Inscriptions peintes sur amphores de Bétique Vestiges de la
coque Archaeonautica 10 1990 pp 157-259 Bernard Liou et André TCHERNIA inter
prétation des inscriptions sur les amphores Dressel 20 dans Epigrafia della produzione della
distribuzione ouvrage collectif) Rome cole fran aise de Rome 1994 pp 133-156
37 En plus du nom André TCHERNIA Le vin de Italie romaine Rome cole fran aise de
Rome 1986) il faut citer ceux de Piero GIANFROTTA Antoinette HESNARD de Daniele
MANACORDA et de Clementina PANELLA
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38 Jean ANDREAU et Fran ois RTOG sous la direction de) La Cité antique partir de
oeuvre de Moses Finley vol 6-8 de la revue Opus 1987-1989
39 Fernand Braudel Antiquité et histoire ancienne Interview menée par Jean
ANDREAU et Roland ETIENNE Quaderni di Storia fase 24 juillet-décembre 1986 pp 5-21
voir 21)
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