Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
François Chausson
Dans Monde(s) 2012/2 (N° 2), pages 27 à 37
Éditions Armand Colin
ISSN 2261-6268
ISBN 9782200927912
DOI 10.3917/mond.122.0027
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)
Résumé Abstract
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)
Mots-clés : Empire romain – Empereur – Rome – Keywords: Roman Empire – Emperor – Rome –
Institutions – Géographie. Institutions – Geography.
L
e terme d’Empire remonte au latin impe- dans le temps et l’espace. L’Empire romain
rium, et irrigue diverses langues latines fut un modèle – souvent nostalgique – en
ou anglo-saxonnes (Empire, Impero, Occident, perpétué autour de Constantinople
Empero), tandis que d’autres langues ont jusqu’en 1453, repris par la culture germa-
recours à des mots participant de registres nique puis russe, réadapté par Napoléon, enfin
variés. Cette notion d’empire, si aisément requis par les grandes puissances coloniales.
requise pour des modes de fonctionnements Dans la conscience européenne et méditerra-
politiques et militaires parfois différents, a néenne il reste le principal empire auquel de
comme dénominateur commun un espace et le nombreuses nations ont appartenu.
pouvoir centralisé qui s’exerce sur cet espace.
La notion d’Empire pour le monde romain
Il est une constante de l’usage du terme d’em-
est amphibologique, en ceci qu’elle fait, dans
pire de désigner, de manière très générale, à la
la langue moderne, appel à deux (voire trois)
fois un territoire multiple et un pouvoir exercé
registres qu’il faut pourtant distinguer. Il y a
sur ce territoire. Les bases de cet usage ont été
une première réalité, qui correspond à divers
fixées par la pratique romaine.
sens du mot imperium, qui est une réalité
Dans la culture occidentale, l’Empire romain, latine, une réalité d’époque, et qui désigne, si
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)
28
la période impériale est distinguée (voire être littérale et ne rend pas compte du sens
opposée parfois trop hâtivement) à la premier : la citation n’est pas la reproduction.
période républicaine. C’est là une distinction
Le propos va donc s’attacher à définir
de Modernes, une commodité de langage,
cette notion d’imperium dans sa réalité
qui désigne une césure politique (alors que
juridique, politique, idéologique, religieuse,
l’histoire de l’emprise territoriale est une
en s’attachant à des définitions si possible
et évolutive, du début du iie siècle av. J.-C.
claires, mais, pour cerner la notion d’Empire
jusqu’au ve siècle apr. J.-C., du moins en ce qui
chez les Romains, il y a une troisième
concerne l’Occident sans ses prolongements
piste d’investigation possible : le discours
byzantins). Les Romains, à partir d’Auguste,
idéologique développé autour de la conquête
parlent de principat (principatus, « régime
et de l’extension, le discours sur l’impérialisme
du princeps », ce qui est un titre sénatorial :
même. Étrangement, les hasards des sources
le princeps senatus est le Premier du Sénat).
ont conservé sur la question le point de vue
Les Romains parlent parfois aussi de « règne »
des Grecs conquis bien plus que celui des
(regnum) ou encore de « temps » ou « époque »
Romains conquérants (au iie siècle av. J.-C.,
(tempora). Ils disent parfois également « sous
Polybe est un auteur emblématique)1. En fait
l’imperium de tel empereur ». Comme le terme
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)
29
2 Sur ces débats et la mise en parallèle avec l’empire 3 Pour une approche transpériodique succincte des
colonial français, voir Jérôme Carcopino, Les étapes de Empires que les époques antique et médiévale ont
l’impérialisme romain, Paris, Hachette, 1961 (réédition de pu connaître, voir Frédéric Hurlet (dir.), Les Empires.
Points de vue sur l’impérialisme romain, Paris, Le Divan, Antiquité et Moyen Âge. Analyse comparée, Rennes,
1934). Presses Universitaires de Rennes, 2008.
30
contrées (un inventaire, une liste de pays le Delta, a composé des Ægyptiaca perdus,
soumis ou agrégés, pratique qui va être une avec un découpage de l’histoire ancienne de
constante). Les dénominations étaient à peu l’Égypte en trente et une dynasties, depuis
près analogues dans ce que nous appelons l’unification du pays par le roi mythique
« l’Empire perse » : « les inscriptions des Ménès jusqu’à la conquête macédonienne.
Grands Rois se réfèrent à la fois à la terre Il est significatif que ce soit précisément
(bumi) et aux peuples (dahyu/dahyava), et au moment de l’hellénisation accrue de
les auteurs grecs parlaient des “territoires l’Égypte, dans les premières décennies de la
royaux” (chrôra basileôs), de l’archê [pouvoir] domination grecque, que la classe sacerdotale
du Grand Roi et de ses satrapes, ou encore des mette la mémoire égyptienne à la portée des
“rois, dynastes, cités et peuples” »4. Grecs (tandis que les rois grecs s’assimilent
aux pharaons et reprennent leur héritage
L’Empire d’Alexandre et les royaumes
idéologique). Dans le comput de Manéthon
hellénistiques qui en furent les héritiers ne se
où les noms royaux sont accompagnés
sont pas, à proprement parler, définis comme
d’indications sur la durée des règnes et parfois
des empires mais se sont également pensés sur
de quelques brèves remarques, l’emporte une
le mode de la royauté. On illustrera le propos
distinction géographique : chaque dynastie est
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)
31
Mais les vraies définitions gravitent autour voire simplement ta pragmata, chez les
de la notion de « pays ». Territorialement, la Lagides et les Séleucides). On trouve aussi,
langue égyptienne, à cause de la crue du Nil, en quelques occasions, l’expression « le pays
appelle le pays Kemet, « La Noire », tandis que le (chôra) et Alexandrie » dans les sources
désert, non atteint par l’inondation, est appelé lagides, et une fois « les affaires en Égypte »
« La Rouge » (desheret). Le pharaon est Roi de (ta pragmata kat’Aigupton, mais dans le cas
la Haute et de la Basse-Égypte (littéralement particulier d’une lettre royale adressée aux
« Celui qui appartient au Jonc et à l’Abeille », forces armées de Chypre). Les possessions
le jonc symbolisant la Haute-Égypte, l’abeille extérieures lagides, quant à elles, sont définies
la Basse) et Maître du Double Pays. La double géographiquement, toujours selon la pratique
couronne symbolise la dualité du pays, de l’énumération : Syrie, Phénicie, Chypre,
pourtant structuré par le Nil (mais le fleuve Cyrène.
lui-même est conçu comme étant double, avec
deux origines de la crue liées à des lieux de L’Empire romain : aux origines de l’usage
cultes, une en Haute-Égypte et une en Basse- d’un mot
Égypte). Quant aux étrangers héréditaires
Imperium est un terme essentiel de la
qui entrent sous la domination égyptienne, le
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)
32
Mommsen8. Imperium est un terme désignant que les magistrats pouvaient revêtir lors de la
un pouvoir qui caractérise les magistrats carrière des honneurs.
supérieurs de l’État romain. Ce pouvoir
La définition de l’imperium est donnée de
était originellement détenu par les rois puis,
manière synthétique par Mommsen :
lors de l’établissement d’un régime civique
« républicain », il fut transféré aux magistrats « Imperium (…) désigne, dans son sens technique
supérieurs (consuls, préteurs), qui étaient les le plus général, la puissance publique la plus
élevée, y compris la juridiction et le commande-
magistrats à imperium, élus par les assemblées
ment militaire, par opposition au pouvoir exclu-
que l’on appelle comices centuriates9. Ces sif de défendre tel que l’ont les tribuns du peuple
élections avaient lieu sur le Champ de Mars, en et, d’autre part, au pouvoir subalterne d’ordon-
dehors de la limite sacrée du centre de Rome, ner qui appartient aux magistrats inférieurs et
le pomerium (dont le franchissement était aux délégués des magistrats supérieurs »10.
aussi interdit aux magistrats à imperium). On ajoutera que les magistrats dotés de
Les magistrats inférieurs (questeurs, édiles, l’imperium disposaient également des auspicia
tribuns de la plèbe) ne disposaient pas d’un maxima. C’est en bonne partie là que résident
imperium mais d’une potestas (une autorité, les implications religieuses de l’imperium :
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)
33
34
terme désignant le pouvoir s’est transféré aux sur lequel Claude Nicolet14 a dit tout ce qu’il
territoires soumis à l’autorité romaine et on a y avait d’essentiel non seulement sur la
pu ainsi parler d’imperium populi Romani. vision symbolique de l’Empire mais aussi sur
l’enregistrement des terres, des hommes et
Le cas de l’empereur, à partir d’Auguste, reste
des ressources qu’il contient, le recours aux
particulier : il conserve son imperium en tout
archives et aux recensements, ainsi qu’à tous
point de l’Empire, y compris dans la ville dans
les ressorts d’une administration centralisée.
laquelle il peut entrer sans avoir à le déposer,
On peut y ajouter d’autres descriptions
et dans les provinces publiques gérées par
(Expositio totius mundi au ive siècle ; cartes
le Sénat son imperium l’emporte sur celui du
et itinéraires d’époque impériale), voire
magistrat appointé dans la province par le
un monument symbolique, celui du temple
Sénat13.
d’Hadrien divinisé construit sur le Champ
Une extension géographique : gestion de Mars où sont représentées toutes les
et symboles provinces sous forme d’allégories. Des
représentations du monde habité assimilées
L’espace est constitutif de l’Empire :
au monde romain sont produites, faisant de
l’imperium populi Romani, ce sont donc les
la construction impériale un projet global ou
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)
35
36
impériales décernées par l’armée à la suite de activité militaire certaine) et revêtirent peu
victoires militaires (Imperator iterum, tertium, de consulats pendant leurs longs règnes ;
quater, etc.). C’est bien l’idéologie militaire qui ils eurent le souci d’alléger leur titulature et
est prégnante derrière les termes dont on revêt de ne pas exploiter les thèmes militaires ou
l’Empereur. Mais les pratiques étaient variées : l’accaparement des honneurs. Marc Aurèle, lui,
après le règne du belliqueux Trajan qui porta confronté à des nombreuses guerres, reprit
de nombreux titres de victoires, Hadrien et fréquemment des titres de victoires, symboles
Antonin le Pieux n’en revêtirent pas, reçurent du redressement qu’il parvenait à opérer face
peu de salutations impériales (malgré une aux menaces qui frappaient l’Empire.
© Armand Colin | Téléchargé le 25/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 201.17.118.154)