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LE MONDE/MARDI 29 JUILLET 2003/9

RÉGIONS
les collines de légende - 1

A Paris, la Butte-aux-Cailles, des communards aux « bobos »


Dans cet ancien quartier populaire du sud de la capitale, ruelles et vieilles maisons ont été, en 1871, le théâtre des derniers combats
de la Commune de Paris. Elles sont devenues, depuis une vingtaine d’années, le lieu de prédilection de Parisiens à la recherche d’un habitat original
DANS un cadre rouge, la lettre tenanciers de bars. Ceux-ci affi-
annonce : « Un incendie d’origine chent et distribuent, depuis le
criminelle a totalement détruit début de l’été, une pétition qui
notre rucher. » Les passants s’arrê- A la belle saison, déclare : « La Butte en danger ». Le
tent devant la vitrine du magasin les terrasses tract dénonce « le harcèlement
Les Abeilles. Ils comprennent que fleurissent dans d’une minorité de personnes » et
leurs enfants vont être privés les petites rues de la appelle au soutien des clients
d’une initiation à l’apiculture. Butte-aux-Cailles, « pour que le quartier reste populai-
Beaucoup rentrent dans la bouti- et, toute l’année, re et convivial ! ».
que, où s’entassent les pots de la musique
miel, pour dire quelques mots de et les rires «   »
sympathie à Jean-Jacques Schak- s’échappent des bars Christian Barnathan, propriétai-
mundès : l’apiculteur de la rue de et restaurants jusque re d’un restaurant de la rue des
la Butte-aux-Cailles, un vieux quar- tard dans la nuit. Cinq-Diamants, a bien du mal à
tier du sud de la capitale. Face à la colère contrôler l’association des commer-
Cette triste histoire n’a pas eu de certains riverains, çants qu’il préside : « La plupart
lieu dans un petit village du fond l’association des d’entre nous souhaitent que le quar-
de la France. Elle a pour cadre le commerçants tier reste animé, sans qu’il devienne
cœur de Paris, tout près de la pla- mobilise ses clients pour autant agité, explique M. Bar-
ce de la Commune, au sommet de pour défendre un nathan. Mais aujourd’hui ce sont
la Butte-aux-Cailles. Dans les ruel- « quartier populaire deux cultures qui s’affrontent, et il
les étroites, au pied de maisonnet- et convivial ». faut que chacun fasse un pas vers
tes ou de petits immeubles, les l’autre, sinon nous allons vers un
habitants partagent la détresse de conflit. »
cette personnalité du quartier. A L’idée d’une charte de bonne
quelques centaines de mètres de conduite ne rassure qu’à moitié
l’infernal carrousel automobile de Anne Penneau, la présidente de
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la place d’Italie, dans le 13e arron- l’association des riverains de la But-


dissement, le vacarme de la ville te-aux-Cailles. « On est venu ici
laisse la place à un calme presque s’installer dans un quartier convivial
surprenant. Rien n’interdit au flot qui a une âme. Mais son charme,
de voitures de passer, mais le relief c’est sa tranquillité, affirme Mme Pen-
de la Butte-aux-Cailles décourage neau, dont les fenêtres donnent
le « transit ». Avec à peine 65 sur des trottoirs où la clientèle de
mètres d’altitude, la colline n’est n’est pas chargée d’assurer l’en- apportés du centre de Paris pen- 1871, la résistance héroïque des un lieu d’animation de la capitale. plusieurs établissements aime à
pas très élevée, mais sa face nord tretien de cette voie privée où dant les travaux du baron Hauss- communards face aux Versaillais… Le quartier est devenu l’un des s’égailler . Depuis peu, certains com-
reste un obstacle pour les automo- quelques dizaines de propriétai- mann. Au début des années 1980, des nouveaux rendez-vous de la jeu- merçants veulent commercialiser ici
bilistes pressés. res défendent leur petit coin de Les « cailles » de la Butte n’ont artistes d’abord, puis des écrivains, nesse parisienne. Aux beaux jours, une festivité tapageuse, sans respec-
paradis. également rien à voir avec les vola- et maintenant des cadres aisés se les terrasses occupent les trottoirs. ter la loi. »
   Tout autour, rue Jonas, rue tiles qu’on aurait pu trouver dans sont mis à racheter les maisons Toute l’année, la musique échap- Serge Blisko, le maire (PS) de l’ar-
D’autant que l’entrelacs de ruel- Alphand, passage Sigaud, villa les champs voisins de Gentilly, qui abandonnées par les artisans. Puis, pée des bars et les rires bruyants rondissement, qui habite le quar-
les débouche parfois sur une véri- Daviel, rue Michal, rue Buot…, des n’ont été annexés à Paris qu’en tier, observe cette situation avec
table sente grossièrement pavée, petites maisons abritent d’adora- 1860. Alors que beaucoup de rues embarras : « Je dois rassurer les rive-
comme le passage Barrault. Des bles jardinets. Elles alternent avec du quartier portent le patronyme
Petite Russie, Petite Alsace : les cités insolites rains, mais aussi répondre aux nom-
herbes folles poussent là, devant des immeubles sans charme, mais de leurs anciens propriétaires ter- A partir de la place d’Italie, prendre la rue du Père-Guérin, puis à droite la breuses sollicitations des commer-
des terrasses débordant de fleurs dont les balcons s’ouvrent sur les riens, c’est la famille Caille qui a rue du Moulin-des-Prés. Arrivé sur le boulevard Auguste-Blanqui, que sur- çants. Le quartier doit vivre en trou-
et de verdure. La Ville de Paris toits de la capitale. laissé son souvenir à cette minus- plombe l’architecture métallique du métro aérien, il faut remonter la rue vant un équilibre entre les différen-
Car la grande ville n’est pas loin. cule enclave, épargnée, dans les des Cinq-Diamants, vers la gauche, jusqu’au passage Barrault, avec ses tes activités économiques. Il serait
Le trafic est intense au pied même- années 1970, par les tours du pavés disjoints. Ruelles et passages pittoresques, avec leurs villas et leurs absurde de tenter d’y recréer une
de la Butte. Boulevard Auguste- 13e arrondissement, en raison de maisonnettes, donnent jusqu’à la rue de la Providence, sur la rue Barrault. atmosphère qui n’existe plus. »
Place Blanqui bien sûr, mais aussi dans la fragilité de son sous-sol, miné Au numéro 22 de cette artère, au fond d’un immeuble moderne, un petit Place Paul-Verlaine, la Cogedim
13e d'Italie PLACE les rues de Tolbiac et Bobillot. par les carrières. escalier permet de découvrir de minuscules pavillons construits au-dessus a commencé à construire un
M
D'ITALIE Même les usagers de la rue Ver- Les quelques milliers d’habitants de garages qui existent toujours. C’est la Petite Russie, réalisée après la pre- immeuble de « vingt et un apparte-
Bd gniaud passent trop vite pour voir ne ressemblent guère à la popula- mière guerre mondiale pour loger les chauffeurs d’origine russe d’une ments de grande qualité », en
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A. B " Le temps
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lan les façades aux couleurs acidulées tion pauvre qui a longtemps habi- compagnie de taxis. Au numéro 10, une autre cité insolite, la Petite Alsace, conservant un pan de mur où figu-
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des cerises "


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d’un alignement de maisons à té ce secteur délaissé. « Après la dont les maisons à colombage restaurées et protégées hébergent, depuis le re encore l’enseigne d’une « Fabri-
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Place colombages, rue Daviel : un « villa- guerre, et alors que l’électricité arri- début du XXe siècle, des logements sociaux, qui se transmettent de père en que de chaussures et galoches ».
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e la Butte ge alsacien » d’HLM individuels.


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vait seulement dans les dernières fils. La rue de l’Espérance compte quelques immeubles art déco et débouche M. Schakmundès, l’apiculteur, s’en
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C’est au milieu du jardin de l’une masures, la Butte-aux-Cailles entre- sur la rue de la Butte-aux-Cailles. amuse : « La Butte-aux-Cailles, c’est
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ia c M d’entre elles que coulait la Bièvre. tenait encore le souvenir d’un Paris un morceau de ville, pas un village.
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TOLBIAC La petite rivière parisienne dispa- populaire et frondeur », raconte Il n’y a ni mairie, ni cimetière, ni can-
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Place de la rue a laissé sa marque à la Butte, Gérard Conte, l’historien du 13e. la pression immobilière s’est faite envahissent les rues autour de la tonnier. Pour le calme d’un quartier
commune qu’un de ses méandres contour- Aucun monument ne témoigne plus forte. Dans les années 1980, place de la Commune, jusque tard résidentiel, il faut aller chercher
65 m
nait. Pour la combler, des tonnes cependant des événements qui ont l’ouverture d’un immense centre dans la nuit. ailleurs. »
de remblais ont adouci une partie marqué l’histoire de ce quartier, commercial, place d’Italie, a sonné Cette vie nocturne est devenue
de ses pentes. La rue des Cinq-Dia- comme, en 1783, l’atterrissage, au le glas du petit commerce. Des res- le cauchemar de certains habi- Christophe de Chenay
mants doit ainsi son nom, non pas milieu des moulins, de Pilâtre du taurants, quelques bars sont venus tants. Les procédures qu’ils ont
à un joaillier, mais à une plaque Rozier au terme du premier vol s’ajouter aux caboulots, qui ont engagées viennent de déclencher PROCHAIN ARTICLE
250 m
récupérée au milieu des gravats humain en montgolfière, ou, en toujours fait du cœur de la butte une vive polémique avec plusieurs La colline de Vauquois

Lectures
et promenades
Restaurant « militant », Le Temps des cerises résiste à toutes les modes
LA VOGUE actuelle de la Butte- te M. Londo. Les autres commerces do. D’autant qu’on ferme le samedi tion à faire le moins de bruit possi- Une sorte de mise à jour de la
b A lire. Le Guide du promeneur aux-Cailles est partie d’un restau- traditionnels, comme les bouchers, midi et le dimanche. » ble, à isoler la salle du restaurant et chanson de Jean-Baptiste Clément,
du 13e arrondissement, par rant. Beaucoup ont découvert le les bougnats et le marchand de cou- L’entreprise connaît des hauts et les cuisines, assure M. Alpha. S’affir- qui se termine ainsi : « J’aimerai
Gilles-Antoine Langlois. Editions charme de ce quartier, au point par- leurs, commençaient aussi à dispa- des bas. « Les difficultés sont tou- mer et réussir dans la vie, ça com- toujours le temps des cerises Et le sou-
Parigramme (14,48 euros). fois de souhaiter y habiter, en raître. En revanche, les bars du coin jours mises à profit pour nous remet- mence par le respect de soi et des venir que je garde au cœur. »
Dix balades historiques sur les venant y manger entre amis. ne désemplissaient pas. Mais le sec- tre en cause. Nous nous réunissons autres. Venir ici, c’est souvent com-
traces du Paris insolite et rebelle, Cet endroit s’appelle Le Temps teur était plutôt mal fréquenté, et les une fois pas mois pour revoir nos me une thérapie sociale. » C. de C.
par Marc Tovar et Monique des cerises, comme le chant révolu- taxis rechignaient à amener les menus, nos vins, notre façon de ser-
Houssin. Editions Le Temps tionnaire de Jean-Baptiste Clé- clients jusqu’ici. » vir », explique Gérard Alpha, l’ac-
des cerises (17 euros). ment. Ce nom n’a pas été choisi au Installé derrière sa façade rouge tuel gérant du restaurant, élu par
C’était hier… le 13e hasard par les associés de cette toute en longueur, à l’angle des ses pairs. « Aujourd’hui, sur dix- DETAILLANT - GROSSISTE
arrondissement, par Gérard rues Samson et de la Butte-aux- huit salariés, douze sont associés
Conte. Arcadia éditions
société coopérative ouvrière de
production (SCOP), car c’est aussi dans la coopérative et participent
VEND AUX PARTICULIERS
(29 euros). l’hymne de la Commune de Paris. aux décisions. Ils se répartissent Toutes les grandes marques aux meilleurs prix
Eléments pour une histoire Et on célèbre les héros de 1871 12 des 18 salariés 70 % des bénéfices, mais tout le per- Rembourse la différence si vous trouvez moins cher le mois suivant l’achat
de la Commune dans dans tout le quartier, avec une pla- sonnel a trois jours de congé par U
FIXES O S
5 500 2
D’EXPOS M
le 13e arrondissement ce, le siège de l’association des sont associés dans semaine. » RELEVAB
LE ITION
par Gérard Conte, éditions Amis de la Commune, les bars Le Autre différence, Le Temps des
de la Butte-aux-Cailles. Merle moqueur et La Folie en la coopérative cerises n’a pas de terrasse. L’opéra-
b A voir. La piscine, tête… tion de rénovation, menée à la fin
place Paul-Verlaine, avec sa Venus d’un établissement du ouvrière qui gère des années 1990 par Jacques Tou-
façade en brique des Sud parisien où les clients payaient bon, le prédécesseur (RPR) du mai-
Etablissements balnéaires suivant leurs moyens, les sept fon- l’établissement, re actuel du 13e arrondissement, a
de la Butte-aux-Cailles, sa voûte dateurs du Temps des cerises ont pourtant permis d’élargir le trot-
romaine et un bassin d’été bordé voulu aussi prouver qu’« il pouvait lancé en 1976 toir et de planter des arbres
MATELAS G SOMMIERS
d’un solarium. Cette piscine est y avoir quelque chose entre “une devant la porte du restaurant.
alimentée depuis 1903 par un cantine de gauche” et un “resto com- « C’est maintenant une rue d’opéret- vente par téléphone possible
puits artésien à 620 m de mercial” ». Cailles, Le Temps des cerises trou- te, ironise M. Alphand. Le cirque SWISSFLEX - TRÉCA - EPÉDA - PIRELLI - SIMMONS - DUNLOPILLO - BULTEX - TEMPUR
profondeur. C’est Hedris Londo, chef cuisi- ve pourtant vite ses habitués, atti- ne doit pas sortir du chapiteau. On Toutes dimensions - Garantie 5 et 10 ans
Le Théâtre des Cinq-Diamants, au nier et chanteur à ses heures, der- rés par une cuisine roborative et est très bien à l’intérieur avec nos
10 de cette rue, présente jusqu’au rière le bar, qui décrit ainsi l’origi- bon marché, et une ambiance cha- clients. Nous ne voulons pas faire CANAPÉS - SALONS - CLIC-CLAC
12 août L’Aide-mémoire, de ne de cette aventure lancée en leureuse et bon enfant. Ce sont une usine. Nous servons 200 repas en cuirs - tissus ou alcantara...
Jean-Claude Carrière. 1976. « Les quartiers Montmartre, d’abord des militants de gauche par jour pour 75 places. Cela suffit à
STEINER - DUVIVIER - COULON - DIVA - BOURNAS - HUKLA - etc.
Espaces verts : les squares Brassaï Bastille ou Mouffetard étaient hors bien sûr, mais aussi des provin- notre rentabilité. »
ou Le Gall, de l’autre côté du de nos moyens, environ ciaux, et beaucoup d’agriculteurs, Le tract des commerçants hosti- 247, rue de Belleville 148, av. Malakoff 50, avenue d’Italie
boulevard Auguste-Blanqui, un 70 000 francs de l’époque. On cher- attirés sans doute par son statut de les à certains riverains procédu- Paris 19e Paris 16e Paris 13e
M° Télégraphe M° Porte Maillot M° Place d’Italie
des socialistes révolutionnaires chait un endroit pas cher dans un « coopérative », qui y viennent au riers n’a pas été affiché en vitrine,
du XIXe siècle, qui résida dans le
quartier.
endroit populaire. On a trouvé à
louer les locaux de cette épicerie fer-
moment des Salons de l’agricultu-
re. « Les vieux habitués du quartier
comme dans les restaurants qui
ont fleuri tout autour. « De notre
MOBECO m 01 42 08 71 00 7/7
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mée depuis quelques années, racon- viennent très peu, regrette M. Lon- côté, nous avons toujours fait atten-
Le Monde, mardi 29 juillet 2003, p.09
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