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Michael Chase
3 De telles occurrences sont cependant moins rares chez Porphyre que chez Plotin. Voir
par exemple, outre le passage bien connu de la Vie de Plotin 15 : Vie de Pythagore, 41 ; De
abstinentia, 3, 16 ; De antro nympharum, 4, 4 ; 4, 21 ; Quaestiones Homericae ad Odysseam, 3,
332 ; Contra Christianos, fr. 69 Harnack. Il est vrai que toutes ces occurrences
porphyriennes des mots dérivés de la racine mustik- se rapportent à l’exégèse allégorique
au sens large du terme. Un siècle et demi plus tard, cependant, Proclus pourra faire un
usage abondant de l’adjectif mustikos dans un sens très proche du nôtre ; voir, par
exemple, Commentaire sur la République, I, 80, 30 sq. Kroll, où le philosophe de Lycie parle
de ce qu’il faut bien traduire par « l’union mystique au divin » (tên pros to theion mustikên
henôsin). Des textes semblables procliens à la Théologie mystique d’un Pseudo-Denys, il n’y a
qu’un pas.
4 Ou plutôt des statues, comme l’a souligné Pierre Hadot : « L’union de l’âme avec
l’intellect divin dans l’expérience mystique plotinienne », in Proclus et son influence (Actes du
Colloque de Neuchâtel, juin 1985), G. Boss, G. Seel (ed.), Zürich, Éd. du Grand Midi,
1987, p. 3-27 (notamment p. 3-4).
3
5 Ibid.
4
6 Louis de JAUCOURT, article « MYSTIQUE, Sens, (Critiq. sacrée) », in Encyclopédie, ou
Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc., t. 10, Paris, 1765, p. 923.
7 Encyclopédie…, t. XIII, Paris, 1765, p. 709.
8 4e éd., 1762 ; 5e éd., 1798 ; 6e éd. 1832-1835.
6
union of the human soul with Ultimate Reality ». Dans une telle
expérience, précise l’auteur, « The individual soul feels invaded,
vitalized with new energy, merged with an enfolding presence,
liberated and exalted with a sense of having found what it has
always sought, and flooded with joy ». On peut difficilement nier,
je crois, qu’une telle description s’applique à peu près parfaitement
aux passages des Ennéades, où Plotin décrit l’expérience de l’union
de l’âme à l’Intellect (Cf. V, 8, 10-1 ; IV, 8, 1, 1-11). Enfin, dans
l’article « Mysticisme » du Vocabulaire technique et critique de la
Philosophie, paru pour la première fois en 1926, André Lalande
propose une définition qui rassemble plusieurs éléments que nous
avons déjà rencontrés : « A. Proprement, croyance à la possibilité
d’une union intime et directe de l’esprit humain au principe
fondamentale de l’être, union constituant à la fois un mode
d’existence et un mode de connaissance étrangers et supérieurs à
l’existence et à la connaissance normales. B. Ensemble des
dispositions affectives, intellectuelles et morales qui se rattachent à
cette croyance. » Ici non plus, rien n’indique une référence
particulière à aucune religion, et donc pas au christianisme.
Cette définition par André Lalande me semble la moins
inadéquate parmi celles que nous avons passées en revue jusqu’ici.
Néanmoins, on n’est pas sans observer un certain progrès dans le
domaine des études sur le mysticisme depuis 1926.
3. VERS UNE NOUVELLE DÉFINITION : MICHEL HULIN
En 1993, Hulin publie chez les Presses universitaires de France
la première édition de son livre La mystique sauvage : aux antipodes de
l’esprit. Il s’agit d’une étude du phénomène mystique qui, rompant
en cela avec la tradition des études de grandes figures historiques
reconnues comme mystiques, se limite principalement à ce que
l’auteur appelle les « petits mystiques – les anonymes ou les
mystiques qui s’ignorent – qu’ils se recrutent dans les marges des
milieux confessionnels ou franchement à leur périphérie, parmi les
9
10 Michel Hulin, La Mystique sauvage : aux antipodes de l’esprit, 2e éd. (1re éd. 1993), Paris,
Presses Universitaires de France (Quadrige. Essais, débats), 2008, Préface, p. 6.
11 Ibid., p. 9.
10
20Pierre Hadot, La philosophie comme manière de vivre…, p. 26.
21Plotin, Traité 38, VI, 7, introduction, traduction, commentaire et notes par P. Hadot,
Paris, Cerf (Les écrits de Plotin), 1988.
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le genre, mais elles n’en sont pas moins séparées par des
différences spécifiques.
Faisons donc le bilan du chemin parcouru jusqu’ici. Brisson a
soutenu que l’utilisation des qualificatifs de « mystique » et de
« mysticisme » est inappropriée dans le cas de la pensée de Plotin.
Primo, Plotin lui-même ne se servait pas de ces termes dans le sens
que nous leur attribuons aujourd’hui. Secundo, les termes mêmes de
mystique et de mysticisme impliquent le christianisme, et ne
sauraient donc s’appliquer à Plotin.
Ma propre réponse à ces positions revient aux constatations
suivantes. Le premier point soulevé par Brisson, et déjà concédé
par Hadot, est d’importance, mais en dernière analyse, nous avons
vu qu’il manque de pertinence dans le cas qui nous concerne. Rien
ne nous empêche d’avoir recours, pour décrire des écrits et des
personnages très éloignés de nous dans le temps et l’espace, à une
terminologie qui nous est propre et n’aurait été ni compris ni agréé
par les sujets de nos descriptions. Il est même complètement
impossible de ne pas le faire, si nous voulons nous faire
comprendre par nos contemporains.
La deuxième position est tout simplement erronée, me semble-
t-il. Il n’y a aucune raison pour laquelle les termes de « mystique »
et de « mysticisme » impliqueraient nécessairement le
christianisme. Ce fait est déjà indiqué par les ouvrages de référence
que nous avons passés en revue, dont les définitions ne font plus
aucune référence, depuis un siècle déjà, ni au christianisme ni à
aucune autre religion déterminée ; il est indiqué aussi par les études
plus récentes telles que l’ouvrage de Hulin, qui ont dégagé
l’existence et les traits généraux d’un phénomène mystique
universel ; et par les analyses de Hadot, qui a clairement mis en
avant les différences séparant le mysticisme rationnel du Plotin de
celui de la religion chrétienne. Toute l’argumentation de Brisson
me semble être basée sur une prémisse tacite, qui affirmerait que
« Toute mystique est chrétienne ». Je considère une telle
affirmation comme totalement sans fondement, et c’est pour cela
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