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12 | 2015 :
Platon et la physis
Dossier : Platon et la physis
Editorial
A M
Texte intégral
1 Voici le troisième numéro des Études Platoniciennes consacré à l’exploration du
rapport de Platon à ses prédécesseurs, à la recherche de nouvelles ressources pour
éclairer ceux-ci à partir du corpus platonicien, aussi bien que de perspectives sur
Platon ouvertes par la relecture des penseurs qui l’ont précédé. On notera qu’ici
encore nous avons entendu le terme de « prédécesseur » comme n’impliquant
aucune spécificité relative au type de discours : Homère, Pindare ou Hippocrate sont
autant des « prédécesseurs » de Platon que Parménide ou Anaximène. Opter pour
une approche par notions, telles que tekhnê ou psukhê, permettait de laisser ouverte
la liste des devanciers avec lesquels le texte de Platon pouvait entrer en résonance.
Nous n’avons pas non plus astreint les auteurs des présents articles à traiter eux-
mêmes du rapport de leur auteur à Platon : nous revendiquons le choix de proposer
aux lecteurs des Études Platoniciennes des articles qui ne parlent que de Pindare ou
de Parménide, en considérant qu’ils présentent un intérêt pour qui juge utile de
situer Platon dans une histoire plus large de la pensée grecque.
2 Pourquoi un numéro suivant le fil de la phusis ? Il y a quelques années, nous
affirmions que l’un des champs les plus prometteurs des études platoniciennes
contemporaines était celui de la philosophie de la nature : un Platon phusiologos
émerge d’un nombre grandissant d’études récentes, et cela ne se produit pas sans
nous amener à questionner à nouveau les frontières exactes du domaine que nous
appelons « physique », si par exemple l’âme, est, pour Platon, ce qu’il y a de plus
« physique »1. Or une telle évolution remet en cause l’un des récits traditionnels par
lesquels on présente la rupture de la philosophie platonicienne, héritière de Socrate,
avec le naturalisme présocratique, et exige de reprendre, de manière plus fine, la
question des rapports de Platon à ses prédécesseurs sur ce terrain. Il faut commencer
par reconnaître que nous ne savons pas à l’avance ce que veut dire le terme φύσις
lorque nous le rencontrons dans le texte de Platon. Bien souvent le sens global ou
collectif de la « Nature », comme domaine ou règne opposé à celui des produits de
l’art humain, sens qui nous est si familier, se présente à nous comme le plus évident,
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alors qu’il faudrait peut-être considérer qu’un tel sens est le moins probable, ou qu’il
s’agit en tout cas de celui dont l’apparition même devrait être expliquée et saluée
comme un événement, plutôt que supposée.
3 C’est un tel avis de prudence que nous devons retenir du coup de sonde que nous
offre Nadine Le Meur-Weissman au sein du corpus pindarique, qui est l’un de nos
relais les plus importants dans l’histoire de l’usage des termes φύσις, φυή/φυά. Or
Nadine Le Meur-Weissman établit précisément que ce sens global est absent du texte
de Pindare : ces termes renvoient toujours à quelque chose de particulier à un être.
Ils peuvent certes s’opposer, car le terme φύσις semble y avoir le sens restreint
d’apparence physique, de stature, comme la φυή homérique, tandis que ce dernier
terme est susceptible, chez Pindare, d’osciller entre cette signification physique et
celle des capacités d’un corps (la force du jeune Héraclès), d’un certain état de son
développement (le moment où fleurit le duvet sur le visage de Pélops), ou encore, au
datif instrumental, du fonds de qualités que l’on tient de sa naissance, le plus souvent
par hérédité. Nadine Le Meur-Weissman remarque que Pindare, qui ne se soucie pas
beaucoup du paysage ou des éléments naturels, en fait pourtant une référence
constante pour parler de l’épanouissement des qualités des hommes et du poème lui-
même : c’est le dynamisme de la croissance, sur le modèle de la croissance végétale,
qui semble unir chez Pindare l’ensemble des usages de φύσις et de φυά, de la nature
dont chacun tire les qualités susceptibles de croître grâce à l’effort, à cet état de
développement qui peut être considéré à tout moment comme résultat de cette
croissance, et à l’apparence physique qui en résulte. L’enquête sur les sens du terme
φύσις au Ve siècle et au début du IVe devra repartir de ces résultats.
4 Daniel W. Graham nous offre l’occasion de questionner l’image courante d’un
Platon hostile à la philosophie naturelle des Ioniens. Tout d’abord, il faut reconnaître
que Platon ne s’oppose pas à la démarche cosmogonique de la pensée ionienne par
principe, mais bien plutôt parce qu’il entend fonder une telle démarche sur de
nouveaux principes, la causalité psychique et téléologique du démiurge. Or, Daniel
Graham nous propose de reconnaître que dans ce contexte même, Platon peut
trouver profit à un dialogue serré avec Anaximène. En décrivant le cycle de
transformations entre les éléments en Timée 49, avant de les soumettre à l’ordre que
vient placer en eux la participation à l’intelligible, Platon aurait repris et élaboré les
doctrines d’Anaximène avec une précision qui tranche avec la doxographie d’un
Hippias ou d’autres dialogues platoniciens. Ce faisant, il nous offre un autre visage
du penseur ionien que celui que nous en livre Aristote : Anaximène, dont Platon veut
tirer l’idée d’un processus de transformation auquel aucun élément n’est soustrait,
s’arrache alors au paradigme du matérialisme moniste, déjà mis à mal à propos des
autres penseurs ioniens. Les passages doxographiques platoniciens s’avèrent donc
plus riches qu’ils ne semblent : s’ils témoignent parfois d’une distance ou d’une
désinvolture qui cadre avec le type d’exercice proto-doxographique d’un Hippias, ils
révèlent aussi des stratégies de discussion complexe, manifestant une pratique
d’appropriation plus précise des textes des présocratiques. Comme le suggère Daniel
W. Graham, Platon apparaîtrait à la croisée de deux grandes influences : d’un côté, la
physique processuelle des Ioniens, lue à travers Héraclite, et d’un autre côté
l’éléatisme, source d’inspiration pour penser une réalité intelligible dont la stabilité
doit assurer la cohérence d’une nature qui serait sans cela impossible à appréhender.
5 C’est exactement à cet endroit que Patricia Curd retrouve Platon – comme héritier
d’un Parménide plus proche d’Héraclite qu’il n’y paraît souvent. Patricia Curd
propose un rapprochement entre les conceptions que se font respectivement
Héraclite et Parménide des capacités cognitives de l’homme. Si dans les deux cas une
connaissance trop humaine, « mortelle », qui fait fond sur l’expérience perceptive,
est récusée comme errance, les deux penseurs supposent pourtant qu’il peut y avoir
un chemin de connaissance, accessible à un esprit bien orienté, qui mène à la saisie
de ce qui est véritablement – l’unité véritable. Décrivant les diverses modalités que
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Notes
1 A. Macé, « The new frontier : philosophy of nature in platonic studies at the beginning of the
XXIth Century », Plato 9 (2009), URL : http://gramata.univ-paris1.fr/Plato/article89.html.
Auteur
Arnaud Macé
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G.R. Carone, Plato’s Cosmology and its Ethical Dimensions [Texte intégral]
Paru dans Études platoniciennes, 3 | 2006
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