VOLUME LXX
Homlllages
à Jean Bayet
édités par
li]"LATOMUS
REVUÈ·~·:o• ÉTUDES LATINES
61, AVENUE LAURE,
BRUXELLES-BERCHEM
1964 ·
Tite-Live 42~ 34 : l' « exempfom » d'un soldat :romain
(1) Miles jactus sum ... HoMo, cité plus bas, traduit: «Je fus fait soldat». Catin, cité
également, traduit: «Je me suis fait soldat». Je pense que miles jio a trait essentielle-
ment au serment (sacramentum) que les soldats prêtaient à leurs chefs au début d'une
campagne. Dans le cas présent, il s'agit d'un engagement volontaire, car nous savons
que le corps expéditionnaire envoyé contre Philippe V ne fut composé que de volontaires.
Cf. A. PIGANIOL, Histoire de Rome dans Coll.« Clio», Paris, PUF, 1962, p. 112.
(2) Cf. CIL, III, 1078, 1172, Il 73 ; XII, 2602 ; IX, 1609.
L' « EXEMPLUM » D'UN SOLDAT ROMAIN 183
(!) Ce chapitre de Tite-Live a retenu l'attention de Léon HoMo dans ses Institutions
politiques romaines. De la Cité à l'État, dans L' Évolution de l'Humanité, tome XVIII, Paris
1927, p. 116. Homo traduit intégralement le discours de Ligustinus, après quoi il note:
«Historique ou non,ce vieux soldat caractérise une classe et prend la valeur d'un symbole.»
Léon CATIN, En lisant Tite-Live, Paris,« Les Belles-Lettres», 1944, p. 20, traduit à son tour
le texte presque en entier et le donne comme une illustration typique du Romain à
l'armée. Enfin on peut constater que les auteurs,· KROMAYER-VEITH, Heerwesen und
Kriegsführung der Griechen und Romer dans Handbuch der Altertumswissenschajt, Munich,
1928, font grand cas de cette page de l' Histoire romaine:« ein unschlitzbares Dokument»
(p. 321).
(2) Sur ce fait qu'un centurion, lors d'une nouvelle mobilisation, pour une nouvelle
campagne, pouvait être ramené au rang de simple soldat (miles gregarius ou gregalis),
voir E. SANDER, Zur Rangordnung des romischen Heeres : die Gradus ex Caliga dans Historia,
III (1954), p. 104. TITE-LIVE, 42, 33 y est cité.
184 E. DUTOIT
(1) KRoMAYER•VEITH, op. cit., p. 322; Léon Ho1110, op. cit., p. 115.
L' cc EXEMPLUM n D'UN SOLDAT ROMAIN 185
Tite-Live nous apprend que son héros, après son discours, fut
introduit au Sénat, qu'il reçut des remerciements officiels et que
les tribuns militaires lui conférèrent - uirtutis causa (35, 2) - le
grade de premier centurion de la première légion. Autrement
dit, Ligustinus obtint pour lui, par son civisme et son sens de la
discipline, l'avantage qu'il réclamait d'abord avec ses camarades
du même grade (1 ). On a des raisons d'ailleurs de penser que cet
épisode, dont Ligustinus fut la vedette, est l'indice d'une évolu-
tion dans l'organisation de l'armée romaine: on tendait désormais
vers une stabilisation légale du corps des sous-officiers (2).
Deux fois déjà, on l'aura remarqué, Tite-Live a employé la
formule uirtutis causa dans son exemplum. Mais on rencontre une
fois encore cette formule. L'orateur l'emploie sitôt après avoir
signalé le grade le plus haut qu'il ait mérité. Ligustinus ajoute :
Quater et tricies uirtutis causa donatus ab imperatoribus sum ; sex ciuicas
coronas accepi (11). Un beau trophée de prix de bravoure et de
décorations, lequel exigea un nombre imposant d' « aristies », à
supposer qu'on veuille s'inspirer du langage épique pour parler
de notre militaire. Chose curieuse, Ligustinus ne dit rien de ses
blessures, de ses cicatrices : les vétérans du type de Servilius (45,
39, 16) aimaient à les montrer, à les compter et ne manquaient
jamais d'ajouter qu'ils n'en avaient aucune dans le dos (3 ). La
couronne civique, reçue six fois par Ligustinus, ne devait pas
être son moindre sujet de gloire : cette couronne, conférée à qui-
conque avait, de sa main, arraché à l'ennemi un citoyen romain,
pouvait être portée toute sa vie par qui l'avait méritée, et si l'on
entrait ainsi décoré au cirque ou au théâtre, tous les spectateurs
devaient se lever (4 ). Ligustinus portait-il sa couronne lorsqu'il
harangua le peuple ?
Donc, un modèle de uirtus Romana, ce vieux centurion. Mais
n'oublions pas qu'il était sabin d'origine: Crustumina ex Sabinis
sum oriundus. Selon A. Alfüldi, la tribu Crustumine, la seconde,
après la tribu Galeria, qui désignât par son nom un territoire, fut
(1) Il était impossible que tous fussent primipiles dans le corps expéditionnaire.
(2) KROMAYER-VEITH, op. cit., p. 322.
(3) L. Siccius Dentatus, appelé par Valère Maxime (3, 2) !'Achille romain, était, au
dire de Pline l'Ancien (7, 29) : quadraginta quinque cicatricibus adverso corpore insignis, nulla
in tergo. Siccius avait gagné vingt-six couronnes, dont quatorze civiques.
(4) Cf. DAREMBERG et SAGLIO, art. corona.
L' « EXEMPLUM » D'UN SOLDAT ROMAIN 187
(1) A. ALFÔLDI, Ager romanus antiquus dans Hermes, 90, 1962, p. 212.
(2) J. Bayet joint à ce texte la note suivante: « Des raisons morales rapprochaient
doctrine pythagoricienne, discipline spartiate et rudesse sabine». Cf. Tite-Live, His-
toire romaine, livre I, Paris,« Les Belles-Lettres», 1940.
(3) Références dans la Realencykloplidie (II• série,!, col. 1582), art. de PHILIPP, Sabini.
Cicéron, dans le Pro Cn. Plancio, 16, 38, met la Crustumina au nombre des tribus composées
de seuerissimi praesertim homines et grauissimi.
188 E. DUTOIT
(1) Livius und seine Vorganger, I. Heft, pp. 49 et 68. Neue Wege zur Antike, Heft 9, Teub-
ner, Berlin, 1940.
(2) XIII, col. 535. Bref article, très précieux, sur Sp. Ligustinus.
(3) Cf. Varron, grammairien latin, Paris,« Les Belles-Lettres», 1954, p. 229, note 6.
(4) Tite-Live était bien conscient de l'influence exercée par les mœurs d'une popu-
lation sur une population voisine : tantum contagio disciplinae morisque accolarum ualet (38,
17, 18).