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DM Commentaire égyptologie

Toutes les dates (sauf indication contraire) se situent avant J-C.

Les fresques dites de la vie quotidienne, situées dans la tombe de Pahéri à Nekheb,
sont célèbres pour leur riche représentation picturale des coutumes comme des pratiques de la
vie égyptienne. Pahéri est également l’auteur présumé de la biographie funéraire de son
grand-père Iâhmès, fils d’Abana, qui est aujourd’hui l’objet de notre étude. Pahéri descend de
Iâhmès du côté maternel puisqu’il est le fils de Kem, la fille de Ipou et Iâhmès. Pahéri est un
notable exerçant des fonctions importantes : il est gouverneur de Nekheb en Haute Egypte
sous le règne de Thoutmosis III (1479-1425). Notre personnage a connu divers fonctions et
titulatures comme responsable du grain de Ant jusqu’à Nekheb, supérieur des prêtres de
Nekheb, déesse tutélaire toujours de Nekheb, scribe et tuteur du prince héritier Ouadjmès qui
semble être un fils de Thoutmosis Ier. Pahéri nous apparaît alors comme un membre éminent
d’une élite provinciale, conservant cependant des liens avec la cour royale par ses relations
avec un prince héritier. La biographie funéraire de Iâhmès provient de sa propre tombe, située
dans une nécropole rupestre aux environs de Nekheb. Le complexe funéraire de Pahéri
(numéroté EK3) est superposé à celui de Iâhmès (numéroté EK5), leur extrême proximité
ayant probablement pour but de les faire fonctionner ensemble. La tombe de Iâhmès est
divisée en deux chambres : la première est ouverte vers l’extérieur, c’est là que se trouve la
biographie ; la seconde est une annexe comprenant le puits funéraire. L'inscription
biographie est précisément située sur les parois Est et Sud de la première chambre, sa taille
est très importante (répartie sur 40 colonnes) et le principe rétrograde selon lequel elle est
inscrite (les signes animés étant orientés vers la sortie) la rendent visible et lisible au visiteur
dès l’entrée. Avant d’aborder en détail le contenu de la biographie, efforçons nous de définir
le type de source et les enjeux d’un tel document. Il s’agit donc d’une biographie funéraire de
carrière, c'est-à-dire un texte qui fait le récit des hauts faits accomplis par le défunt dans le
cadre de ses fonctions, ici dans le domaine militaire. Le texte prend la forme d’une
autobiographie puisqu’il présente Iâhmès s’adressant à la postérité à première personne.
Pragmatiquement, le texte se destine aux lettrés qui visitent la tombe, il a vocation à affirmer
la légitimité de Pahéri dans ses titulatures et ses fonctions, en faisant le récit de la vie de son
grand-père qui a su élever sa famille aux rangs de l’élite du royaume. Le nature privée de
cette source ne doit pas nous échapper, de même que la sélection des faits qui font l’objet du
récit. Pour contextualiser, Iâhmès est originaire du royaume thébain où il vécut entre la fin de
la Deuxième Période intermédiaire et le début de la XVIIIe dynastie, il a ainsi servi durant sa
carrière les trois premiers pharaons du Nouvel Empire : Ahmôsis Ier (1550-1525),
Amenhotep Ier (1525-1504) et Thoutmosis Ier (1504-1492). C’est une période de
réunification des deux couronnes : nous savons que les rois d’avaris (que les thébains
nommèrent plus tardivement hyksos) gouvernaient la Basse Egypte ; puis d’expansion
territoriale qui place l’armée au cœur des enjeux politiques de son temps. Pahéri, l’auteur de
notre source, exerce la charge de gouverneur sous Thoutmosis III (1479-1425), règne
marquant par son apogée territorial. Nous pouvons diviser le document en 4 parties distinctes
: de la ligne 1 à 10 on trouve une biographie plus personnelle de Iâhmès qui nous informe de
son ascendance, etc ; de la ligne 11 à 34 il nous livre le récit des conquêtes du roi Ahmôsis ;
puis de la ligne 35 à 53 il se concentre sur les campagnes militaires d’Amenhotep Ier vers le
royaume de kouch ; enfin des lignes 54 à la fin ce sont les expéditions militaires sous
Thoutmôsis Ier qui sont mises à l’honneur. On remarque une certaine chronologie dans la
présentation des faits.En faisant la biographie d’un seul personnage nommé Iâhmès, ce
document soulève des questions sur la place de l’élite, l’armée et les conquêtes de son temps.
Nous pouvons ainsi procéder par ordre d’échelle, en nous concentrant sur les éléments
personnels biographiques avant d’aborder plus largement le domaine politico-militaire.
Nous pouvons ainsi nous demander en quoi cette biographie est-elle révélatrice de
l’émergence d’une nouvelle élite gravitant autour du roi, et qui œuvre en faveur de la
politique expansionniste égyptienne qui caractérise le début du Nouvel Empire ? Nous
répondrons en nous intéressant d’abord au récit glorifiant de la vie de soldat de Iâhmès, puis
nous nous pencherons sur l’essor de nouvelles élites qui se représentent autour de la figure
royale, enfin nous tâcherons de dresser un tableau géopolitique des conquêtes royales.

Pour parvenir à porter Iâhmès sur un pied d’estalle, sa biographie se concentre en


premier lieu sur ses mérites personnels en mentionnant ses actes de bravoure et ses hauts faits
d'armes. L’auteur écrit “je fus emmené à bord du navire le Septentrion étant donné mon
excellence” (L11) ou encore “je me comportai vaillamment” (L13). Iâhmès doit apparaître
comme un soldat exemplaire qui gravi les échelons du commandement militaire par une
remarquable aptitude au combat. D’autres passages du récit nous relatent avec précision un
instant de la bataille durant lequel Iâhmès s’illustre particulièrement : “Je ramenai un
prisonnier vivant après avoir plongé à l’eau [...] c’est en le portant que j’ai traversé l’eau”
(L19-20). Ces passages hauts en couleur sont typiques des biographies funéraires, ils
permettent de restituer le défunt dans des situations concrètes. Iâhmès semble également
s’être illustré en dehors des combats par son habilité à la navigation : “je me comportai
vaillamment en sa [le roi] présence dans la mauvaise eau”. Même si ces passages ne sont
peut-être pas les plus objectifs et les plus à même d’être vérifiés, ils donnent à voir des
qualités revendiquées par les soldats que sont la bravoure, la force physique, etc. Amasser du
butin suite à une victoire semble également être coutumier et valorisant, il est relaté “on fit le
sac d’Avaris et j’en rapportai du butin : un homme et trois femmes au total quatre individus.
Sa majesté me les attribua comme esclaves.” (L23-24). Cependant nous pouvons relever
l’absence de prises matérielles lors du sac puisque Ies soldats semble ici se contenter de
réduire en esclavage la population peut-être trop appauvri par les campagnes précédentes
pour posséder des biens dignes d’être dérobés.

Iâhmès semble avoir un rôle bien particulier dans l’armée égyptienne puisqu’il est
membre des unités navales fluviales. La fonction la plus haute dont il est gratifié est donnée
avant même son nom lorsqu’il s’agit de faire sa présentation : “Le chef des rameurs, Iâhmès”
(L1), il s’agit explicitement d’une position hiérarchique sur un navire qui lui octroie au moins
la direction des rameurs qui constituent la force motrice principale de la navigation fluviale.
Lorsqu’il revient sur les événement de sa carrière, il mentionne d’ailleures les différents
bâteaux sur lesquels il a évolué : “le bâteau Taureau sauvage” (L8), “à bord du navire le
Septentrion” (L11), “je fus affecté au vaisseau apparition à Memphis” (L14). Toute sa
carrière semble ainsi s'être déroulée sur l’eau. S’agissant de missions exactes qui lui étaient
confiées, des doutes demeurent sur le rôle réel de l’utilisation de la flotte dans l’armée au
début du Nouvel Empire, qu’en était-il de l’utilisation de la flotte au-delà du transport de
troupes ? Après la mention du siège d’Avaris, il nous est relaté : “on combattit sur l’eau, sur
le canal d’Avaris” (L14-15). Encore une fois la nature des combats n’est pas précisée, le
simple fait de savoir que Iâhmès a combattu pour la prise de la ville suffit à glorifier sa
figure. Nous pouvons cependant formuler des hypothèses, la position d’Avaris dans le delta
du Nil laisse envisager que le siège de la ville s’est déroulé en coordonnant une offensive
terrestre et une offensive maritime.

Notre source se montre particulièrement riche lorsqu’il s’agit de nommer les ennemis
que combattent les thébains. Nous retrouvons des noms de peuplades : “Mentiou-Setjet
(bédouins du Sinaï)” (L28), “Iountyou-Setyou (nubiens nomades)” (L30) mais également des
noms d’homme comme “le rebelle Aata” (L35) ou “ce fameux rebelle dénommé Tétîan”
(L40). Tout d’abord les noms de peuplades fournissent des renseignements précieux pour
étudier la progression des conquêtes, nous y reviendrons. Les noms propres sont
suffisamment rares dans d’autres types de sources pour être relevés. En effet l’auteur
mentionne ici clairement les rebelles à l’origine de soulèvements internes au royaume, ce qui
a pour but de montrer l’ensemble des affrontements auxquels Iâhmès a pris part (du moins
lorsqu’il s’est montré victorieux). Cela livre en contrepartie une vision d’un royaume moins
unifié dans lequel il existe bien des oppositions trop souvent occultées par les sources
officielles, c’est à dire royales. Surtout que si Aata est bien un ennemi de l’extérieur, Tétîan
est lui un égyptien opposé à Thèbes. Les qualificatifs de “vil nubien” (L45, 62) employés par
l’auteur semblent être utilisés à bon escient, c’est-à-dire envers des ennemis nubiens tandis
que la campagne d’Avaris n'apparaît ni menée contre des étrangers, ni conduire à une
quelconque réunification nationale. Pourtant la propagande plus tardive fait passer les hyksos
pour des envahisseurs n’ayant rien à voir avec la terre égyptienne, le terme hyksos se
traduisant précisément par “princes étrangers”. Sur cet aspect, le document nous informe
autant par son récit que par ses silences. Qu’il contredise ou qu’il omette certains points du
discours des sources officielles postérieures ou non, les éléments relatés permettent de
reconsidérer le statut et les considérations égyptiennes vis-à-vis des acteurs des
affrontements.

Le récit des hauts faits du défunt est intimement lié à l’omniprésence de la figure du
roi. L’auteur tient en effet particulièrement à représenter Iâhmès au plus près des pharaons
qu’il accompagne, procédé commun à de nombreuses biographies, mais qui nous permet de
concevoir plus précisément les relations qu’entretiennent les élites militaires avec les rois.

En premier lieu, ce récit guerrier place le roi dans une position centrale au combat
autour de laquelle s’articule l’armée. Les actes de bravoure accomplis par Iâhmès n’ont
d’importance seulement lorsqu’ils parviennent au roi : “je rapportai une main, une chose qui
fut répétée au Rapporteur du roi” (L16) ou encore “J’ai combattu en vérité et sa Majesté a
vu ma bravoure” (L47-48). Nous pouvons constater que le roi est une source de prestige très
importante pour les élites, il n’y a pas d’exploit qui ne soit reconnu par le pharaon. Notre
document place Iâhmès dans une grande proximité avec le roi : “Je guidai sa Majesté” (L50),
“Je conduisis feu le roi de Haute et Basse Egypte Âakheperkarê (Thoutmôsis Ier)” (L53-54).
La position qu’il occupe semble suffisamment honorifique pour qu’il la relate avec précision
et à plusieurs reprises. Moins pragmatiquement, les titulatures affichent elles aussi une
revendication de la proximité entre le roi, ses élites et plus largement l’armée. Iâhmès est
ainsi nommé “guerrier du prince” (L53), moyen d’afficher sa subordination aux ordres du
pharaon.

S’illustrer aux yeux du roi, c’est aussi pouvoir se voir attribuer des récompenses
honorifiques et matérielles. C’est là un des enjeux essentiels du récit qui sont ainsi exposés
dès les premières lignes : “Je veux vous faire prendre connaissance des distinctions qui me
sont échues : j’ai été gratifié d’or à sept reprises [...] j’ai été doté de champs en très grand
nombre” (L2-4). Nous pouvons tenter de catégoriser les accomplissements gratifiés de
Iâhmès ainsi que les récompenses qui lui sont attribuées. Les prises de guerres peuvent être
de différents types : “je rapportai une main” (L15), “je ramenai un prisonnier vivant après
avoir plongé à l’eau” (L19), “j’en ramenai du butin : un homme deux oreilles et trois mains”
(L31), “Je rapportai un char et son cocher” (L68-69). Iâhmès rapporte des membres
certainement issus de cadavres dont il est peut-être à l’origine de la mort, ceux-ci
apparaissent comme des trophées, ils sont probablement une preuve de bravoure au combat
qui se concrétiserait par un nombre élevé de victimes. Les prisonniers ont tout autant l’allure
de véritables trophées, ils sont très certainement réduits en esclavage pour le compte du roi ou
pour celui de Iâhmès. Le dernier cas apparaissant comme une récompense octroyée par le roi
: “Sa majesté me les attribua comme esclaves” (L24). Enfin les actions éclatantes comme le
cas du char capturé sont elles aussi récompensées. Ces récompenses peuvent être l’attribution
d’esclaves, nous l’avons vu. La gratification de l’or de la vaillance, dont Iâhmès est sept fois
récompensé, est une distinction destinée exclusivement aux militaires et très récente puisque
son usage se développe seulement sous la XVIIIème dynastie. Enfin des distributions de
terres sont aussi mentionnées à titre de gratification même si cet usage semble moins répandu
que celui de l’or : “on m’accorda [...] cinq aroures de champs dans ma ville”. Ce système de
récompense attribuées exclusivement par le roi démontre les enjeux qui lient les élites
émergent au sein de l’armée au souverain. Le roi s’impose comme l’atome rassemblant les
élites autour de sa personne, tandis que servir le roi par les armes devient un moyen
d'ascension des ces élites.

La biographie de Iâhmès témoigne d’une élévation dans la hiérarchie militaire, la


fonction occupée à ses débuts par Iâmhès semble d’ailleurs avoir été hérité de son père :
“mon père était soldat du feu roi de Haute et de Basse Egypte Seqenenrê” (L7) , “je fus soldat
à sa place dans le bâteau Taureau sauvage”. Servir dans l’armée était ainsi une affaire de
famille, le père de Iâmhès probablement nubien était sûrement membre des contingents venus
servir les thébains. Si le document nous renseigne peu sur le rang social de son père, son rôle
de simple soldat ne constitue pas une distinction qui permettrait de l’assimiler à une classe
dirigeante ou influente. Au contraire, les postes occupés par son fils se placent de plus en plus
haut dans la hiérarchie : “on me promut au rang de guerrier du prince” (L52-53), puis “on
me promut au rang de chef des rameurs” (L57). Au-delà de la fierté apparente liée à
l’exercice de ces fonctions, au-delà de leur titulature explicitant plus ou moins les
responsabilités qu’elles assignaient à Iâhmès, l’existence même d’une biographie funéraire le
concernant témoigne du statut aristocratique qui était le sien. La fin du texte nous permet de
développer ce postulat : “je reposai dans le tombeau que je m’étais fait moi-même” (L72). En
effet l’élaboration d’une tombe rupestre richement décorée et conçue sur les ordres de Iâhmès
confirme son appartenance à une élite au moins provinciale, c’est à dire équivalente aux
notables de Nekheb. Par cette démonstration, nous pouvons mettre en lien le récit de carrière
de Iâhmès, c’est-à-dire son évolution au sein de l’appareil militaire, et la construction de son
statut social de grand ou de puissant. Par là il est possible d’affirmer que notre personnage
reflète complètement l'institutionnalisation de l’armée, qui permet désormais d’y faire
carrière une vie entière ; mais également la formation d’une “noblesse d’épée” ou plutôt
d’une élite (pour éviter tout anachronisme) qui affirme sa position par le service, les armes à
la main, de la politique expansionniste voire impérialiste du roi.

Si le royaume a tant besoin de la contribution des élites à la guerre, c’est que la


politique expansionniste égyptienne bat son plein au début du Nouvel Empire. La rareté
extrême de sources officielles concernant les campagnes militaires découlant de cette
politique nous pousse à considérer avec le plus grand sérieux le récit biographique de
Iâhmès, qui permet de réaliser l’esquisse du paysage géopolitique au début du Nouvel
Empire.

Ahmôsis Ier est le premier roi pour lequel a combattu Iâhmès. La politique extérieure
de son règne est d’abord marquée par les campagnes contre les souverains “hyksos” qui
contrôlent encore la basse Egypte. Plusieurs éléments du texte témoignent de l'objectif et de
l'accomplissement de la réunification de l’Egypte dans les mains des seuls souverains
thébains. Tout d’abord le nom d'Ahmôsis est mentionné avec la titulature “le seigneur des
deux terres” (L9), celle-ci caractérise l’action de réunification menée par le roi qui est déjà
considérée par les contemporains comme un trait essentiel de son règne. Le vaisseau sur
lequel est placé Iâhmès, “Apparition à Memphis” (L14) est sans doute nommé ainsi pour
célébrer la prise de Memphis aux hyksos en l’an 15 de son règne, l’apparition signifiant
l’arrivée du roi (légitime) dans l’ancienne capitale. Les informations suivantes données par la
biographie concernent la fin de la campagne, et des pièces manquent pour reconstituer
clairement son déroulement avant la prise d’Avaris. Concentrons-nous donc sur cette prise.
La biographie relate : “on mit le siège devant la cité d’Avaris” (L13), “puis on combattit dans
la partie de l’Egypte qui est au sud de cette ville” (L18-19), “on fit le sac d’Avaris” (L23). La
cité a bien tenté de se défendre derrière ses fortifications, le départ de troupes incluant
Iâhmès vers le sud indique qu’une force armée s’est opposée aux thébains sur des
territoires pourtant déjà conquis. Leur défaite face aux Thébains semble avoir scellé le sort
d’Avaris puisqu’on ne retrouve pas de mention de combats avant le sac de la cité. Les
combats continuent cependant contre les hyksos et les maigres possessions qu’il leur
restent : “On investit Charouhen en l’an 3 et Sa Majesté la mit à sac” (L25). La date qui nous
est livrée ici est la seule que l’on retrouve dans le texte, cependant il est difficile de
l’interpréter : la chronologie des règnes ne concorde pas. Une hypothèse avance que ce
n’est qu’à l’issue d’un siège de trois ans que la ville tomba et fut mise à sac. Mais la capacité
d’Ahmôsis à imposer un siège de trois ans avec les moyens qu’on lui connaît est plus que
douteuse. Ainsi, en l’absence de consensus autour de la signification de cette date, la
chronologie de la reconquête demeure imprécise et sujette à débats. Géographiquement, la
ville de Charouhen est située au Sinaï, il s’agit d’une des dernières places fortes aux mains
des Hyksos après la chute d’Avaris. Le roi persiste à les poursuivre ainsi que les peuples qui
leurs sont soumis : “Sa Majesté massacra les Mentiou-Setjet (bédouins du Sinaî)” (L28).
Sans doute l’anéantissement des Hyksos laisse les mains libres à Ahmôsis pour retourner
s’occuper du reste de son royaume réunifié : il se tourne désormais vers le Sud et la Nubie.

Ahmôsis descend effectivement le nil pour asseoir sa domination sur la Nubie : “Elle
remonta le Nil jusque Khenthennefer (au sud de la 2e cataracte) afin d’anéantir les
Iountyou-Setyou (Nubiens nomades). Sa majesté accomplit un grand massacre parmi eux.”
(L28-30). Les nubiens itinérants qui dominent alors la Nubie sont pour une part massacrés
ou soumis à la domination pharaonique. La domination de cette peuplade est considérée
comme le rétablissement de la domination égyptienne sur les territoires du Sud : “Sa
Majesté redescendit le Nil [...] elle s’était emparée du Sud et du Nord” (L33-34). Certaines
inscriptions témoignent qu’Amhôsis avait atteint avec son armée la deuxième cataracte. Puis
Iâhmès est de nouveau sollicité : “le rebelle Aata fut découvert à Tentâa” (L35-36), “ce
fameux rebelle nommé Tétîan” (L40). Ces missions s’apparentent seulement davantage à
des opérations d’unification territoriale et politique menées donc sur le sol égyptien. Un
doute subsiste quant à savoir si ces rébellions eurent lieu durant le règne d’Ahmôsis ou si
elles profitèrent d’une phase de fragilisation du pouvoir à sa mort. Quoi qu’il en soit, c’est
sous Amenhotep Ier que les conquêtes prennent de l’ampleur. Iâhmès se montre en effet ici
explicite : “Je conduisis [...] (Amenhotep Ier) comme il remontait le courant vers Kouch, afin
d’élargir les frontières de l'Égypte” (L42-44). Cela apparaît dans le texte un changement de
paradigme, l’affirmation de la puissance égyptienne passe par la domination royale sur des
populations et des territoires véritablement étrangères, c’est une transition vers
l’impérialisme des thoutmosides qui apparaissent à la fin du texte. Si Amenhotep pousse
jusqu’à la troisième cataracte, Thoutmosis Ier persiste jusqu'au-delà de la quatrième. Le
texte relate : “Je conduisis [...] (Thoutmôsis Ier) comme il remontait le courant vers
Khenthennefer afin de châtier la rébellion à travers les territoires, afin d’écraser l’arrogance
du territoire” (L54-55). Les opérations menées en Nubie semblent répondre à une tentative
d’émancipation des territoires nouvellement conquis, profitant probablement là aussi des
circonstances de passation de pouvoir entre deux pharaons. La campagne apparaît comme
une grande réussite : “Sa majesté redescendit le courant, tous les territoires (serrés) entre
son poing” (L61-62). Les territoires conquis durablement et l’influence égyptienne
consolidée, le roi se retrouve les mains libres pour orienter ses conquêtes vers une nouvelle
direction. Il est relaté “on partit pour le retenou [...] Sa Majesté parvint jusqu’à Naharina”
(L63-65). L’armée se tourne donc vers le Levant et lance de véritables incursions et
remporte des victoires, peut-être atteint-elle l'Euphrate mais ne parvient pas à imposer une
domination sur ces territoires. Il s’agit d’expéditions, pas de conquêtes. Pour résumer ce
long paragraphe, les conquêtes en Nubie que mentionne Iâhmès s’articulent autour des
règnes d’Ahmôsis, d'Amenhotep puis de Thoutmôsis, chacun élargissant et affirmant la
domination égyptienne vers le Sud. Puis Thoutmosis se lance vers le Levant, l’ampleur de
son territoire est immense comparée à celle de ses prédécesseurs.
Le développement de l’expansion territoriale se fait autour de la figure du roi qui est
un symbole de la puissance guerrière. Il se développe d’abord autour de sa personne un
ensemble de symboles qui le représentent dans son prestige militaire. Le document nous en
livre plusieurs : “lorsqu’il se déplaçait sur son char” (L12), “le bâteau taureau sauvage” (L8),
“Sa majesté accomplit un grand massacre” (L30). Si le char apparaît dans l’usage militaire
au début du Nouvel Empire, il est peu probable qu’il ait été utilisé en tant qu’arme de guerre
face aux Hyksos au vu de la configuration du delta dans lequel se sont déroulées les
principaux affrontements. Si le souverain défile sur un char, c’est avant tout un élément de
prestige qui tend à honorer la figure royale. Les noms attribués aux navires tels qu’ils sont
relatés dans la biographie font référence eux aussi à la figure royale. Si le taureau est avant
tout un animal sacré pour les égyptiens, il est très tôt associé aux pharaons. Ses
caractéristiques notamment la force physique en justifient aisément l’utilisation comme nom
de navire de guerre, mais c’est aussi un moyen de rendre l’aura du pharaon omniprésente
auprès de son armée. La figure du roi massacreur revient de nombreuses fois au cours du
texte. Elle témoigne du rôle du pharaon de garant du Maât, ce qui signifie préserver
l’harmonie du monde nécessaire à la vie. Plusieurs devoirs incombent ainsi au roi comme
chasser les pillards, repousser les envahisseurs et mâter les rebelles. La représentation du
souverain massacrant ses ennemis transforme les conquêtes et la politique impérialiste
comme une nécessité pour sauvegarder cet équilibre. Enfin Thoutmosis est représenté au
combat par un récit enflammé : “Sa Majesté entra en fureur [...] comme un guépard. [...]
lança sa première flèche qui se trouva fichée dans la poitrine de ce vil ennemi”. Ainsi par
delà les représentations métaphoriques du roi et de son pouvoir militaire, celui-ci est montré
s’illustrant pragmatiquement au combat auprès de ses hommes. Le roi tel qu’il nous est
présenté remplit parfaitement son rôle de roi guerrier.

En somme, ce document nous présente le récit de carrière d’un militaire ayant


participé aux grandes conquêtes des débuts du Nouvel Empire. En relatant leur
déroulement, il permet de mieux comprendre leurs enjeux politiques, territoriaux, les acteurs
qui y participent et les relations qui se nouent dans le haut commandement de l’armée. Nous
devons considérer cette source comme un témoignage précieux, autant pour son éclairage
sur les grands événements de son temps, que pour les informations qu’elle laisse entrevoir
sur les enjeux confrontant les élites provinciales du Nouvel Empire.
Cependant, ce document n’a pas vocation à écrire l’histoire de son temps : la vision qu’il
apporte est partiale, centrée sur Iâhmès et ses rapports avec le roi. En l’absence d’autres
sources, la reconstitution des événements est lacunaire (surtout à cause de l’absence de
datations), et insuffisante à une bonne compréhension des enjeux des conquêtes lors des
premiers temps du Nouvel Empire. Si le lancement d’un engrenage impérialiste est
perceptible dans ce document, il faut attendre pour son aboutissement le règne du roi
guerrier Thoutmosis III (1459-1425), qui mène à l’apogée territorial non seulement de la
XVIIIe dynastie mais de toute l’histoire de l’Egypte pharaonique.

Bibliographie :
Dictionnaire et Atlas :
BUNSON.M, A dictionary of Ancient Egypt, Oxford, Oxford University Press, 1995
Posener George

Ouvrages généraux :
AGUT Damien, MORENO-GARCIA Juan Carlos, L’Egypte des pharaons, De Narmer à
Dioclétien, Paris, Belin, 2016
TRIGGER.B.G, KEMP B. J, O'CONNOR.D, Ancient Egypt: a social history, Cambridge ,
Cambridge university press, 1985
VANDERSLEYEN.C, L'Égypte et la vallée du Nil . Tome II . De la fin de l'Ancien empire à
la fin du Nouvel empire, Paris, Presses universitaires de France, 1995 , p.214

Ouvrages spécialisés :
BARBOTIN.C , Âhmosis et le début de la XVIIIe dynastie, Paris, Pygmalion , 2015
SPALINGER.A , War in ancient Egypt : the New Kingdom, Malden, Blackwell, 2005

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