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Signata

Annales des sémiotiques / Annals of Semiotics


4 | 2013
Que peut le métalangage ?

Le paradoxe du métalangage

Cosimo Caputo
Traducteur : Andrea D’Urso

Éditeur
Presses universitaires de Liège (PULg)

Édition électronique Édition imprimée


URL : http://signata.revues.org/1013 Date de publication : 31 décembre 2013
DOI : 10.4000/signata.1013 Pagination : 341-361
ISSN : 2565-7097 ISBN : 978-2-87562-042-2
ISSN : 2032-9806

Référence électronique
Cosimo Caputo, « Le paradoxe du métalangage », Signata [En ligne], 4 | 2013, mis en ligne le 30
septembre 2016, consulté le 02 avril 2017. URL : http://signata.revues.org/1013 ; DOI : 10.4000/
signata.1013

Signata - PULg
OVERVIEW

Le paradoxe du métalangage

Cosimo Caputo
Università del Salento, Lecce

1. Dans ce numéro
La question du métalangage est un fondement de toute pratique théorique pour se
soustraire à l’indétermination et à la pluri-accentuation des mots dans leur usage
quotidien. Et pourtant, même si cela a paru soudain comme un point de force
de la connaissance scientiique, la pratique même de la recherche a fait émerger
l’impossibilité d’indiquer une limite au champ des choses exprimables dans et par
une langue historico-naturelle, caractérisée par une grande capacité de formation et
donc par une capacité à échapper à une sémantique dictionnairique et à lutter ei-
cacement avec l’inexprimable et l’inexprimé, contrairement aux langages formels
qui ne parlent que des choses pour lesquelles ils ont été construits. Cette question
est inévitable pour toute science qui veut dépasser, ou pour le moins limiter, la dys-
crasie entre la puissance cognitive et la faiblesse communicative.
Les auteurs qui ont contribué à ce volume ne se sont pas soustraits à cette tâche.
Dans leurs articles l’idée est constante et commune de désancrer le métalangage d’un
plan exclusivement abstrait et de calcul, indépendamment des autres médiations
sémiotiques. Le métalangage est relativisé, vu dans une perspective intersémiotique
(comme le fait Jean-Pierre Desclés), déconstruit (comme le souhaite Pierluigi
Basso Fossali), si bien que l’impersonnalité du discours métalinguistique se révèle
inévitablement polyphonique et hybride.
« Le même métalangage peut avoir plusieurs langages-objets et le même
langage-objet plusieurs métalangages », écrivent pour leur part Jean-François
Bordron et Audrey Moutat, se demandant en même temps si l’activité méta-
linguistique a une limite inférieure, ou, peut-être vaudrait-il mieux dire, une source
d’alimentation constante qu’ils reconnaissent dans ce qu’Antoine Culioli appelle
activité épilinguistique ou « activité métalinguistique non consciente ».
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Ainsi une véritable reconnaissance commence, qui est une connaissance ulté-
rieure, une reconsidération et même une re-légitimation de la notion de méta-
langage, non plus entendu comme « langue de bois » qui dessèche son objet et en
inhibe la dynamique.

1.1. Trois modèles pour le métalangage


Laurence Bouquiaux, François Dubuisson et Bruno Leclercq envisagent trois
modèles du rapport entre le langage et le métalangage dans la logique et dans la
philosophie du langage du xxe siècle : « le modèle du langage unique qui ne peut
dire ses propres formes (Wittgenstein), le modèle de la hiérarchie des métalangages
(Tarski, Carnap) et enin le modèle des rapports métalinguistiques réversibles
(Quine), lequel déplace la question du métalangage vers celle de la traduction ».
Dans le premier modèle, et notamment dans le Tractatus de Wittgenstein, le
langage est fermé sur lui-même, il n’a pas d’ouvertures. L’isomorphisme entre le
langage, la pensée et la réalité débouche sur l’indicibilité, inhibant la possibilité
« de développer un métalangage apte à parler du langage depuis l’extérieur. Un
usage métalinguistique ne serait en somme qu’un jeu de langage parmi d’autres, ni
supérieur ni plus essentiel. […] Il nous est bien entendu possible de développer de
nouveaux jeux, mais jamais aucun ne sera en position “méta” ». En somme, il n’y a
ni métajeux ni métacalculs.
Dans le deuxième modèle les auteurs mettent en évidence les limites internes
des systèmes formels (Gödel) et « l’impossibilité principielle pour certains langages
d’énoncer leur propre sémantique, et notamment les conditions de satisfaction de
leurs termes conceptuels, les conditions de vérité de leurs propositions ou encore
les rapports de conséquence logique entre deux de ces propositions » (Tarski).
Précisément par rapport à la question de la vérité, Tarski évoque les paradoxes liés
au terme ‘vrai’ dans le langage quotidien, à commencer par celui du menteur.
Pour Tarski — écrivent les auteurs — « on ne peut résoudre les paradoxes
linguistiques qu’en distinguant plusieurs niveaux de langage et en excluant donc,
sous peine de paradoxe, qu’une proposition puisse développer un certain nombre
de considérations concernant son propre sens, sa propre valeur de vérité ou ses
propres conséquences logiques ». Au contraire, il y a besoin « d’un langage d’ordre
logique supérieur, un “métalangage” », qui soit même plus riche que le langage-
objet. Il est donc impossible de construire dans le langage-objet des énoncés auto-
référentiels. L’origine des paradoxes repose précisément sur cette prétention.
L’impossibilité de la fermeture sémantique des langages est réairmée par
Rudolf Carnap, qui dans la Syntaxe logique du langage déplace son attention sur les
propriétés formelles, en particulier sur les règles de formation et de transformation.
Le troisième modèle reconnu par Bouquiaux, Dubuisson et Leclercq, celui de
l’« asymétrie réversible des métalangages », reprend la position de Tarski et Carnap
de l’asymétrie entre le langage-objet et le métalangage, où la forme de l’expression
Le paradoxe du métalangage 343

du second explique celle du premier ; mais il s’agit précisément d’un processus


réversible, parce qu’il est centré sur la traduction, à la fois possible et nécessaire
dans le passage du métalangage au langage-objet et réciproquement.
Dans ce modèle, que les auteurs centrent sur la position de Quine, il y a le
recours à la langue quotidienne « pour toutes les tâches d’analyse logique et de
contrôle des raisonnements » ; en outre, ils écrivent que pour le logicien états-
unien « la formalisation logique n’est pas un métalangage ; ce n’est rien d’autre
qu’un outil du langage ordinaire pour prolonger son entreprise d’autoclariication
au moyen de la paraphrase. Il n’y a d’ailleurs pas de formalisation idéale », ou —
dirions-nous — une rigueur de la rigueur.
Donc le langage formel n’est pas pour Quine hiérarchiquement sur-ordonné
par rapport au langage ordinaire ; tout au plus, il en est une part et sa capacité
expressive est inférieure à celle de la langue historico-naturelle.
Ces questions concernent tout discours, ou toute discipline, qui veut parler
d’un autre discours ou d’une autre discipline ; elles concernent l’épistémologie et
l’épistémologie (sémiologie) de la sémiotique 1, une épistémologie, cette dernière,
qui, à notre avis, naît dans le langage ou qui voit le langage comme sujet actif et non
passif du discours qui le concerne.
Pour leur part, Bouquiaux, Dubuisson et Leclercq font appel à Michel Serres.
« Au modèle hiérarchique du métadiscours — écrivent-ils —, Serres substitue le
modèle de la traduction », ou du regard réciproque et de la participation, ajoutons-
nous. Il montre que la science et le mythe, par exemple, sont l’une dans l’autre et
réciproquement, ainsi que — reprenant Lévy-Bruhl — Hjelmslev dit qu’« il y a dans
toute grammaire un élément “prélogique” », une pensée naturelle qui échappe aux
lois de la logique abstraite et artiicielle (Hjelmslev 1928, p. 22). L’esprit humain et
les langues humaines ne sont pas identiques sous toutes les latitudes, mais « cela
n’empêche pas qu’il peut y avoir des éléments qui sont identiques partout » (Ibid.,
pp. 260-261) ; ce sont les conditions contingentes qui difèrent et non la nature du
langage humain. « Un état de langue est le produit des possibilités générales du
langage et de certaines conditions particulières » (Ibid., p. 262).
Montrer — d’après Serres et comme le disent les auteurs — « que l’on peut tra-
duire une formation culturelle [scientiique, littéraire, artistique, philosophique, etc.]
dans une autre, c’est montrer que ces formations sont isomorphes, c’est montrer
qu’elles sont les modèles d’une seule et même structure », ou, nous semble-t-il
possible d’ajouter, d’une seule et même capacité de poser des relations ; à la façon
de Hjelmslev : d’un « universal principle of formation » (Hjelmslev 1961, p. 76).
Les interférences — dit Serres dans Éclaircissements (1992) — ne cessent
jamais de produire d’autres mondes ; il ne refuse pas l’idée d’un métalangage ou
d’un métadiscours, mais plutôt l’idée de leur supériorité. Un métalangage est le
résultat d’un travail de traduction et d’un parcours dans le réseau des signes ; le

1. Sur la distinction entre sémiologie et sémiotique, cf. Caputo 2000 et 2010.


344 Overview

préixe « méta » est, à la façon de Bakhtine, l’indice de proximité, d’une relation


dialogique et du dépassement du monologisme des systèmes unitaires ; il indique
une dé-totalisation.

1.2. Logique et linguistique


À la lumière de ces considérations, nous croyons précisément qu’une approche
sémiotique peut dépasser le monadisme métalinguistique et concevoir le méta-
langage non plus comme une boîte à outils expressifs et conceptuels limités et
stéréotypés, mais comme un moment d’élargissement et d’approfondissement de
la connaissance. Non un canon normatif qui juge si les lois qu’il prévoit ont été
appliquées correctement, ou mieux : non un canon de justiication, mais plutôt un
canon de découverte avec une valeur pratique.
C’est ici que s’accomplit cette propriété spéciique du logos humain qu’est
la capacité métalinguistique rélexive, qu’il ne faut pas entendre comme pure
constructivité logique. La question de la rélexivité est la question du sens  : « il
y a rélexivité là où il y a du sens », écrit Gian Maria Tore dans son article. Cette
capacité, qui continûment nous fait produire des mots expliquant, glosant d’autres
mots alors même que nous parlons, et qui est l’indice d’un état d’aphasie perma-
nent, est enracinée dans le « sentiment » linguistique. C’est cette activité qui
garantit la lexibilité et la créativité des langues historico-naturelles (cf. De Mauro
1984, p. 33 ; 2002, pp. 89, 91-93 ; 2008, pp. 132-133 ; 2009, pp. 54-55), leur ina-
chevabilité et leur illimitation qui sont contraintes par les langages formalisés,
constructions répondant au critère exclusif de la cohérence formelle, isolées de
la praxis communicative. Et toutefois, quand on parle de langages formalisés, il
ne faut pas oublier qu’ils ne descendent pas du ciel, comme le montre l’histoire
des sciences (l’histoire de la logique et des mathématiques en particulier)  : leur
élaboration, leur symbolisation impliquent la détermination historique dont font
également partie essentielle les diverses techniques opératives, les instruments
conceptuels disponibles dans une communauté scientiique.
C’est Hjelmslev qui a souligné que dans la théorie de la logistique (du signe) ce
principe interprétatif est négligé du moment que cette théorie se borne à considérer
seulement le plan de l’expression (cf. Hjelmslev 1948, pp. 40-41 ; 1961, p. 110).
La formalité logique ne coïncide pas avec la formalité sémio-linguistique,
même s’il n’y a pas d’exclusion entre elles.
La théorie du langage (ou sémiotique) se diférencie de la théorie logique parce
qu’elle s’articule en forme et substance et se déplace sur le plan de l’expression et
sur le plan du contenu, se proposant comme science empirique. C’est pour cette
raison qu’elle est arbitraire, ou a-réaliste, aspéciique, étant independent of any
experience et n’incluant aucun postulat existentiel ; et en même temps elle est adé-
quate, devant satisfaire son applicabilité par rapport à certaines données empi-
riques (Ibid., p. 14), devenant ainsi “théorie de quelque chose”.
Le paradoxe du métalangage 345

En d’autres termes, la théorisation est une construction qui tient à une forme
(structure) interprétative (cf. Caputo 2012a ; 2013, pp. 40-41). En outre, il s’ensuit
qu’une théorie ne peut pas être réduite à un radical conventionnalisme logique
ou axiomatique : on procède ainsi au-delà de l’idée des “fondements” considérés
comme ingrédients de départ et schèmes de construction qui, n’ayant aucune base
intrinsèque, peuvent être remplacés par d’autres.

1.3. La textualisation métalinguistique


héoriser c’est donc sémiotiser, ou mieux, textualiser, parce que le signe est un
textus de couches de l’expression et du contenu si bien que la textualisation est une
pratique constituante de moyens expressifs et d’interprétations. Le métalangage
ne se soustrait pas à ce processus, ne se pose pas comme “autre” par rapport à la
langue et à sa vie ; il est un signe, il a une composante sémiotique et en tant qu’il est
lié à la pratique textuelle il est dés-ontologisé 2.
Dans ce volume, Jean-Yves Trépos focalise son attention sur cet aspect, en
s’arrêtant sur les études des sciences sociales. Dans ces études la probabilité de
rencontrer des langages formalisés est faible, dit-il, et tout ce qui peut se considérer
comme tel est relégué ou limité dans des lieux spéciiques (graphiques, légendes de
tables).
Trépos analyse les emprunts et les interférences lexicales, l’usage et la position
des notes, des parenthèses, des guillemets (de véritables topoi argumentatifs), en
comparant deux revues francophones (Revue française de sociologie et Sociologie
du travail) et deux anglophones (he Sociological Review et Science as Culture) de
sciences sociales et seize articles de sociologie.
Dans un texte scientiique, donc, des sémiotiques diférentes cohabitent : une
sémiotique verbale, une sémiotique graphique et une sémiotique iconique.
Les argumentations de Trépos introduisent le thème de la communication
scientiique, soit le thème des “langues spéciales” (que dans son article Alessandro
Zinna considère comme une étape intermédiaire entre la paraphrase, se posant sur
le plan de la compréhension, et le métalangage, se posant sur le plan de la systéma-
tisation) et de leur cadre pragmatique et socio-sémiotique. Aujourd’hui ce cadre
montre que des disciplines
[…] dont le sort dépend strictement des commanditaires développent des typo-
logies textuelles fonctionnelles à la satisfaction des attentes de ces derniers : les
études d’économie donnent lieu à des textes avec une structure ‘à prévision’
caractéristique, ceux d’architecture à des textes où la composante verbale est
nettement subordonnée à l’iconique, rainée et captivante. […] La langue des
textes scientiiques arrive sur le marché, aujourd’hui, comme une voiture : dans
autant de versions que de typologies des usagers à atteindre (Sobrero [2007]
2012, pp. 210-211).

2. Pour un approfondissement, cf. Rastier 2011.


346 Overview

Le chercheur qui écrit un essai en anglais donne à son texte l’organisation


linguistique propre à cette langue. À savoir, il structure sa pensée en fonction des
styles d’exposition et d’argumentation de la culture anglo-saxonne. Par ces styles
init par être inluencée la macro-textualité (cf. Ibid., p. 214) : la démarche de la cita-
tion (plus sèche et standardisée suivant le modèle auteur-date), l’argumentation, la
métaphorisation 3.
La langue spéciale, donc, ne peut pas éluder son “dehors” : la société, l’histoire,
l’économie, les traditions scientiiques, son « ontologie politique », dirait Trépos,
et la communication scientiique n’est pas tout à fait plus directe que d’autres
formes de communication, parce que, n’excluant pas la connotation, elle n’exclut
ni l’intervention de l’interprétation, ni le fait d’être toujours dans telle ou telle
langue avec ses habitudes mentales.
Les langues spéciales avec leurs termes et notations (tentatives de bloquer
la sémiosis, de la dé-inir) ne sont autres que, pour le dire avec Wittgenstein, les
banlieues nouvelles, avec des routes droites et régulières, et des maisons uniformes,
d’une ville ancienne, faites d’un dédale de places et ruelles ; donc elles sont des
expansions du langage ordinaire et quotidien, chargé de traditions, d’habitudes
mentales et expressives, que nous avons héritées en apprenant à parler.

1.4. Métalangage, métaphore et perception


Un métalangage est produit principalement dans un processus de traduction
endolinguistique (ou endoverbale) et interlinguistique (ou interlinguale), mais
des métalangages se forment aussi par traduction intersémiotique, comme dans le
cas du métalangage ilmique, qui est l’objet de la contribution d’Anne Dymek. Il
s’agit d’une tentative de répondre, en s’appuyant sur Peirce et Metz, à la question
suivante  : « Dans quelle mesure peut-on comprendre le langage iconique des
images ilmiques comme un métalangage des formes de la perception ? »
Pour sa part, Odile Le Guern explore « la possibilité et les modalités d’un
transfert du concept de métalangage du langage verbal à l’image ». Elle se demande
si une peinture peut parler, ou mieux : « si la peinture est un  “langage sans langue”
(Matisse) », si le regard est prioritaire, pour conclure qu’il y a circularité ou inter-
action entre le regard et la langue verbale : les mots peuvent faire comprendre les
images, et réciproquement, dans le développement de la compréhension.
Dans le domaine de la sémiotique des arts, et notamment autour du rapport
entre la métavue et la perception par l’étude de certaines « images-schémas » de
Paul Klee, se situe également l’article de Stefania Caliandro.
Un logos qui surgit des images et dans les images ne saurait être réduit à un
logos abstrait ou dématérialisé. « La logique sémiotique — écrit Caliandro — que
les images-schémas de Klee reconnaissent et, au même moment, construisent dans
les images artistiques ne peut se faire sans [… un] aller-retour substantiel et fonda-

3. Pour d’autres considérations, cf. aussi Sobrero 2004a.


Le paradoxe du métalangage 347

teur, enraciné autant dans le corps des œuvres que dans le regard détaché que l’on y
porte ». Perception et regard se conditionnent mutuellement dans une corrélation
entre des moments distingués. L’image qui en dérive — disons-nous avec Garroni
(2005, pp. 25-26) —
[…] est déterminée d’un côté et indéterminée de l’autre côté […], elle est riche
de caractères incertains de l’objet et de son contexte perçus dans la sensation
[…], et donc aussi de ce non-plus-perçu et non-percevable […]. Il s’agit […] de
l’union du déterminé et de l’indéterminé ou de leur complétude dans le sens de
leur intégration.
Ainsi l’image est, paradoxalement, forme et non-forme, marquée et non-
marquée, « elle est et n’est pas image » (Ibid., p. 26). Cela veut dire que
[…] la perception n’est pas entièrement sensible, bien au contraire, son organi-
sation même du sensible est une opération non-sensible, en quelque façon un
‘penser’, ou si l’on veut, un pré-penser’, dans ce sens qu’elle est déjà disposée à se
corréler avec quelque intelligence et quelque langage. Sans une composante non-
sensible, la perception serait seulement ambiguë, trompeuse en substance, et ne
pourrait hasarder aucune interprétation (Ibid., p. 35).
On est entre le logos et la perception ; même quand nous parlons du discours et
du penser nous sommes liés aux images, aux métaphores. La métaphorisation est
la capacité connective et métalinguistique qui dit la nature igurale du penser lui-
même. La métaphore est la trace linguistique de la continuité entre le sens concret
et le penser imaginatif-abstrait  : les concepts abstraits et les concepts concrets
procèdent du même « sens des choses ». Le langage iguré est cognitivement
puissant parce qu’il naît « de l’expérience sensorielle-afective du monde » (Danesi
2001, p. 57).
Entre le sensible et l’intelligible, l’esprit et le corps, la logique (qui dans
son sens le plus large — dit Peirce (cf. CP 2.227) — est un autre nom pour la
« sémiotique ») et l’esthétique il n’y a pas d’exclusion mais de la participation. La
sémiotique, ou métasémiosis, c’est-à-dire l’éclaircissement de la sémiosis, devient
une sémiotique esthétique, une sémiotique qui applique ses critères descriptifs
dans le champ de l’art : l’esthétique est sémiotisée ou vue par le truchement de la
perspective de la sémiotique. L’analyse esthétique devient alors un cas spécial de
l’analyse signique, comme le fait observer Charles Morris (1939 ; cf. aussi Rossi-
Landi [1967] 1972, pp. 65-66). Il faut cependant ajouter que l’esthétique ne se
superpose pas de l’extérieur, au contraire elle est immanente à la sémiotique, elle
en constitue le moment matériel, « épisémiotique », disons-nous avec Bordron et
Moutat, tendant à devenir une activité sémiotique consciente. “Sémiotique esthé-
tique” signiie donc sémiotique du sens, du sentir, une sémiotique qui thématise
la matière signique en plus de sa propre forme et renvoie à une condition non-
intellectualiste ou non-gnoséologique, ou encore, à l’adhésion originaire du sujet à
son faire de l’expérience : son être déjà plongé dans le sens. En recourant encore à
348 Overview

l’étude de Bordron et Moutat sur la pratique de la dégustation des vins, cela signiie
— écrivent-ils — que « l’émergence d’un métalangage, dans le contexte de la mise
en discours d’une expérience perceptive », conduit
[…] nécessairement à modiier l’idée trop simple d’une hiérarchie pour proposer
celle de phase à l’intérieur d’un procès que l’on peut comparer utilement à un
cycle métabolique. Dans ce métabolisme, les notions de langage-objet et de méta-
langage ne se superposent pas mais s’engendrent mutuellement, donnant par là
raison à l’adage classique qui veut que le plus abstrait soit aussi le plus concret,
mais à des moments diférents d’un cycle.

1.5. Glossématique et métalangage


Les contributions de Sémir Badir, Francesco Galofaro et Alessandro Zinna se
confrontent avec la pensée de Louis Hjelmslev.
Prenant ses mouvements de Barthes et Culioli et de leur résistance au Structu-
ralisme monologique, Badir prend ses distances par rapport au phénomène
de hiérarchisation que le concept d’« opération » met en acte dans la théorie
hjelmslévienne et qui conduit à des métasémiotiques ; il soutient qu’il y a des
situations, comme celles des cas de polysémioticité et d’intersémioticité, où le prin-
cipe hiérarchique ne peut pas agir.
Barthes, Culioli plaident en faveur d’autres formes de connaissance sur les
langues et les langages, lesquelles ont exactement les qualités et les défauts inverses
du métalangage. La paraphrase, la glose, sont certes aussi proches que possible de
l’objet dont elles parlent ; elles permettent d’en saisir toutes les particularités, les
nuances, les détails. Mais elles ne sont pas aptes à montrer les ressorts de l’analyse
qui se porte sur lui, ni, en déinitive, les propriétés linguistiques qui rendent cette
analyse adéquate à son objet.
Il y a la possibilité « d’un instrument intermédiaire entre le métalangage
symbolique et la pure paraphrase. Mais la théorie susceptible d’en rendre compte,
en décrivant les tenants et aboutissants épistémologiques inhérents à cette pratique
d’entre-deux, reste à élaborer ». Il s’agit de saisir la relation, la tension et la négo-
ciation entre le métalangage et la paraphrase, ou, en termes plus proprement
hjelmsléviens, entre l’expression et le contenu, la forme et la substance, l’arbitraire
et la conformité. « Et qu’est-ce donc — conclut Badir — qui se négocie comme
cela ? Rien de plus que le langage lui-même ».
Galofaro publie ici une autre tranche d’une recherche tendant à une révision
du programme hjelmslévien, le mettant à jour par rapport à la linguistique, aux
mathématiques et à la sémiotique de la deuxième moitié du xxe siècle. La première
tranche de ce travail a été publiée dans l’article Structural Reason, Metalanguage
and Ininity, paru dans Caputo 2012b, où Galofaro applique le théorème de Gödel
à la Glossématique, montrant que si cette théorie est réellement conséquente
elle ne peut pas être exhaustive, contrevenant ainsi à son « principe empirique ».
Le paradoxe du métalangage 349

En particulier, dans une perspective gödelienne la Glossématique ne peut pas


être appliquée à elle-même sans donner lieu à une analyse ininie. Cela — selon
Galofaro — est un mérite et non un défaut, mais Hjelmslev ne l’a pas saisi, parce
qu’il fait sien le initisme de Hilbert et Carnap : toute analyse doit se terminer et
tout doit trouver sa propre place dans les tiroirs de la théorie, y compris la théorie
elle-même. Le refus de l’inini est le trait le plus daté de son épistémologie.
La question est maintenant comment on doit entendre l’inini en sémiotique,
avec quels instruments on doit le traiter. Pour Galofaro la Grammaire générative
répond à cette question. En fait, le texte publié dans ce volume montre une esquisse
de grammaire générative pour un fragment de métalangage — celui qu’a développé
Greimas pour décrire les énoncés narratifs —, suggère en outre une technique pour
transformer l’analyse sémiotique en calcul et touche enin au thème du lien entre le
métalangage et l’immanence.
L’inini dans la dimension du sens se présente par des structures récursives
dont il n’y a aucune trace dans le Structuralisme jusqu’à Greimas, airme Galofaro.
Nous nous demandons ici de quelle façon les structures récursives du sens
arrivent à tenir tête à toutes les situations communicatives et cognitives ininies,
imprévisibles et indéterminées. Répondent-elles à l’adaptabilité pratique-cognitive
de l’humain ? Les fondements matériels de l’expérience semblent exclus. Ne doit-
on pas songer à un principe externe, non-formalisé ?
Pour Alessandro Zinna la question terminologique est centrale dans les
théories rélexives et dans les théories applicatives à la fois ; dans les premières,
elle est inalisée à la construction des typologies de signes ; dans les secondes à la
description d’un objet sur la base du critère hjelmslévien de la « appropriateness »,
ce qui — soutient encore Zinna — pose la question du “faire” de la linguistique ou
de la sémiotique, une question introduite par Saussure dans une lettre à Antoine
Meillet du 4 janvier 1894.
Le projet saussurien d’une refondation de la linguistique, qui sera prolongé par
Hjelmslev, passe par la construction d’une méthode appropriée à l’objet à étudier :
la langue. Il faut donc déinir cet objet, contrairement à la linguistique précédente
qui appliquait à la langue des méthodes procédant d’autres domaines. Cela doit
avancer de pair avec un éclaircissement ou une mise au point terminologique 4.

4. Et Saussure d’écrire à Meillet : « il n’y a pas un seul terme employé en linguistique auquel j’accorde
un sens quelconque ». Et deux années plus tard, le 15 mars 1896, dans une lettre à W. Streitberg :
« il n’existe pas un seul terme quelconque dans cette science qui ait jamais reposé sur une idée
claire » (Ms. fr. 3957, 2, Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Brouillons des lettres
de F. de Saussure. Nous reprenons cette citation à Villani [1990] 1991, p. 6).
Hjelmslev pose la « question des mots » de la façon suivante : In linguistic theory — in contrast
to previous linguistic science and in conscious reaction against it — we strive for an unambiguous
terminology. But in few places does the linguistic theoretician ind himself in such terminological
diiculties as here. Et d’écrire, par exemple : « We have tentatively called the both-and function
a conjunction (with reference to the terminology of logic) or a coexistence, and the either-or
function a disjunction (also with reference to logical terminology) or an alternation. But it will
be certainly inexpedient to retain these designations. Linguists are accustomed to understanding
350 Overview

Avec Hjelmslev le lien entre la méthodologie et le métalangage se renforce et


s’approfondit, parce qu’il « ne se limite pas — écrit Zinna — à donner une liste
de déinitions et d’opérations, mais il intègre les opérations au métalangage. La
description devient alors une procédure, car la méthode prescrit les actions que le
linguiste devra suivre lors de l’application de la théorie à son objet d’étude ».
La Glossématique est une machine terminologique et une machine descriptive
dont le propos est de diriger et rendre conscient le “faire du sémioticien” (cf. Caputo
2010, p. 73) ; elle est l’une des quelques théories thématisant le statut épistémo-
logique des sémio-sciences.
D’après Zinna, l’hypothèse hjelmslévienne montre certaines limites, telle la
considération de son objet d’étude comme un langage plutôt que comme un dis-
cours, d’où il s’ensuit « une typologie igée de métalangages » et « l’absence de toute
dimension historique-évolutive de la discipline ». La typologie des métasémiotiques
ne se révèle pas non plus utile du point de vue de la « saisie applicative », parce
qu’elle permet de reconnaître seulement une stratiication de métalangages fondée
sur l’opposition monoplanaire/biplanaire et science/non science, même s’il faut
tenir compte que chaque application dépend du métasystème sémiotique de la
phase historique où elle s’accomplit, et à l’époque de Hjelmslev il n’y avait pas
encore la sémiotique visuelle, audiovisuelle et la sémiotique des objets 5.
Mais ce développement des pertinences sémiotiques — toujours selon Zinna
— n’est autre qu’un processus d’adaptation. En fait, il explique que l’application est
un « procès métasémiotique », « une opération de sélection et d’adaptation à partir
d’un répertoire plus vaste », ou « une opération de réduction/segmentation d’une
manifestation ».
Après avoir analysé certains modèles descriptifs à vocation applicative, y
compris celui de la « sémantique interprétative », et en soulignant que le passage
à une sémiotique du discours et de l’interprétation implique une attention accrue
pour la « variation » plutôt que pour la constance dans l’organisation du sens,
Zinna revient au Hjelmslev de « Langue et parole » (1943a) et observe que :
[…] la signature ultime du sens réside dans l’acte de production qui conduit
du projet immanent à la sémiosis. Dans la modulation d’un geste, de la voix, d’une
posture, tout acte doit passer par les tensions et par les techniques de contrôle qui
animent le corps propre. Les sémiotiques de l’expérience et du sensible, comme
d’ailleurs celle du corps, ont exploré cette couche où l’ancrage immanent du
projet de sens devient de plus en plus aléatoire.
La “sémiotique esthétique” se montre de nouveau.

by a conjunction something quite diferent, and we are forced in agreement with tradition to use
conjunction in a corresponding fashion (for a so-called “part of speech”, even if we do not think it
possible to deine it as such) (Hjelmslev 1961, pp. 37-38).
5. Il faut préciser que tout objet d’étude est inséré à la fois dans une théorie particulière et dans une
histoire spéciique.
Le paradoxe du métalangage 351

La variation est liée à l’impondérable car elle est liée à la matière de la vie et de
l’existence. Et celle de Hjelmslev se révèle être encore une fois une théorie ouverte
aux problèmes du sens, comme nous l’avons fait remarquer à maintes occasions 6.
Dans la logique de l’adaptation œuvrent l’art de l’interprétation, l’herméneu-
tique (Rastier) et l’abduction (Peirce).
Et Zinna de s’acheminer vers ses conclusions : « Il faudra pourtant quitter les
ambitions universalistes des théories génératives et adapter ses modèles aux limites
historiques et géographiques des cultures ». Est-ce une réponse indirecte et avant
la lettre à Galofaro ?
Le projet de Hjelmslev se soustrait à la position néopositiviste d’une science
uniiée, conclut Zinna ; au contraire, son uniication est fondée sur une méthode
anti-séparatiste (cf. Caputo 2006) : une sémiotique générale de laquelle les autres
sciences peuvent recevoir un jour nouveau pour éclairer leur propre objet d’étude
et une impulsion à réexaminer leur propre méthode (cf. Hjelmslev 1961, p. 108).

2. « Le métalangage est une sémiotique »


Le chemin parcouru jusqu’ici à travers les articles de ce volume sollicite d’autres
considérations sur la “question du métalangage”.
Il nous semble que tous ces articles témoignent d’une sortie de la position néo-
positiviste. Il n’y a pas de mots au-dessus d’autres mots, de textes au-dessus d’autres
textes ou de langages au-dessus d’autres langages ; au contraire, il y a des tensions,
des rencontres, des dialogues de mots, de textes, de langages incarnés dans telle
ou telle pratique sémiolinguistique, dans telle ou telle pratique théorique. L’idée
qui prévaut est celle d’un métalangage capable de dire quelque chose de plus sur le
plan de la connaissance, plutôt que tout dire, rendant ainsi incommensurables et
incommunicables les théories.
On a très pertinemment observé que Hjelmslev s’est posé « le problème du
métalangage dans une science du langage. C’est précisément par son truchement
qu’il nous est possible d’entrevoir la façon dont la linguistique structurale — et
aujourd’hui la sémiotique — a pensé la légitimité de son propre faire. La position
de Hjelmslev est claire sur ce point : le métalangage est une sémiotique » (Marsciani
2012, p. 123).
C’est un point qui marque un tournant dans la question du métalangage, un
tournant auquel on arrive précisément par le truchement de Hjelmslev. Si le méta-
langage est une sémiotique, l’étudier sémiotiquement fait de la sémiotique une
discipline aussi applicative qu’autorélexive, que le terme ‘sémiotique’ ne distingue
pas, car il indique tant un langage, ou tout système de communication, que sa
science.

6. Qu’il soit permis de renvoyer à Caputo 1993, 1996, 2000, 2010, 2013.
352 Overview

Dès ses premiers écrits Hjelmslev souligne que


Le système n’est pas construit comme un système logico-mathématique d’opposi-
tion entre termes positifs et négatifs. Le système linguistique est libre par rapport
au système logique qui lui correspond. Il peut être orienté diféremment sur l’axe
du système logique, et les oppositions qu’il contracte sont soumises à la loi de
participation (Hjelmslev 1935, p. 102 ; cf. aussi Hjelmslev 1928).
D’après le linguiste danois, la théorie linguistique ne refuse pas le logique,
mais elle ne le tient pas pour exclusif de la nature du langage qui, au contraire,
montre la coparticipation du logique et du prélogique : une continuité qui n’admet
pas de césures nettes et une “onto-logique” qui n’obéit pas aux lois des principes
d’identité, de non-contradiction et du tiers exclu (cf. Caputo 2010, pp. 95-99).
La logique et la linguistique sont asymétriques : réduire les langues et les langages
aux articulations logiques signiie adopter une approche qui leur est étrangère, non
pertinente. Une science du langage se proile, qui est soustraite à la domination du
logicisme, de tout fondement “onto-logique” et de tout universalisme grammatical
et expressif. La base des systèmes linguistiques n’est pas logique (ce qui ne signiie
pas pour autant qu’ils sont “illogiques”), mais plutôt sublogique  : un substrat
commun au logique et au prélogique (cf. Hjelmslev 1935, p. 127). Les diicultés
terminologiques que nous avons évoquées proviennent de cette asymétrie et de la
nécessité pour la linguistique de parvenir à une terminologie autonome.
Une terminologie — réléchit Hjelmslev dans le chapitre des Prolégomènes
consacré aux sémiotiques connotatives et aux métasémiotiques, en particulier dans
les passages sur les « connotateurs » 7 — est both a jargon and a gendre-style. Une
langue spéciale peut être caractérisée comme un style (créatif) de valeur neutre (ni
supérieure, ni inférieure) avec des signes spéciiques (souvent : des expressions de
signes) 8. Même un code est une combinaison d’un neutral value-style with speciic
expression-manifestations, tandis qu’une sémiotique scientiique peut être caracté-

7. Hjelmslev dit qu’on a établi précédemment une situation modèle où le texte donné (le langage)
révèle une homogénéité structurale et où il est admis d’encatalyser un seul système sémiotique
au texte. Mais cette prémisse n’est pas valide en pratique ; au contraire, n’importe quel texte
contient habituellement des dérivés qui se fondent sur des systèmes diférents. Les parties
diverses ou les parties des parties d’un texte peuvent être composées : 1) “de diférentes formes
stylistiques” (en vers, en prose) ; 2) “des styles diférents” (créatif, imitatif) ; 3) “des styles de
valeurs diférentes” (valeur supérieure, inférieure ou “vulgaire, comme l’on dit”, “un style de
valeur neutre, qui n’est considérée ni comme inférieure ni comme supérieure”) ; 4) “des moyens
diférents” (mot, écriture, geste, signalisations, etc.) ; 5) “des tons diférents” (irrité, joyeux, etc.) ;
6) “des idiomes diférents”, parmi lesquels il faut distinguer : a) “de diférentes langues verna-
culaires” (langue d’une communauté, langues spéciales de groupes ou professions) ; b) “de difé-
rentes langues nationales” ; c) “de diférentes langues régionales” (langues standard, parler local,
etc.) ; d) “des physionomies diférentes” (par rapport à l’expression, “voix” et “registres” difé-
rents) (cf. Hjelmslev 1961, p. 115).
8. Il s’agit d’une technicisation du langage ordinaire, c’est-à-dire d’un usage inalisé de certains
termes (comme nous l’avons vu dans la note 4), qui de toute façon se tient hors de la logique
formelle.
Le paradoxe du métalangage 353

risée as being both a code and a genre-style (Hjelmslev 1961, p. 116). Les membres
individuels de chacune de ces combinaisons qui constituent des hybrids, comme
dit Hjelmslev, sont appelés connotators (Ibid.), précisément, ce qui ouvre les codes,
les langues spéciales et les sémiotiques scientiiques à la variation des situations, à
leur transformation ou traduction opérée par la pratique sociale et théorique.
Une “langue spéciale”, ou peut-être vaut-il mieux dire les “langues spéciales” de
la sémiotique, en “signe” de la provenance diférente des paradigmes respectifs, se
proilent avec l’institutionnalisation de la sémiotique elle-même comme un champ
autonome de recherche attesté par la publication, au xxe siècle, des “Dictionnaires”,
tels que Sémiotique de J. Rey Debove (1979), les deux volumes de Sémiotique.
Dictionnaire raisonné de la théorie du langage d’A.J. Greimas et J. Courtés (1979,
1986), l’Encyclopedic Dictionnary of Semiotics (1986), édité par T.A. Sebeok, jusqu’au
plus récent Vocabulaire des études sémiotiques et sémiologiques (2009), édité par
D. Ablali et D. Ducard. Il s’agit d’instruments linguistiques, dit Sylvain Auroux
(1994), ou plus précisément d’instruments sémiologiques, comme nous le verrons,
qui construisent des métalangages par lesquels les langues verbales accomplissent
leur capacité métalinguistique. Un métalangage de ce type, c’est-à-dire fondé sur
les langues historico-naturelles, devient un lieu de rélexion sur le rôle formatif et
expressif de la langue elle-même. C’est dans cette direction — faire du métalangage
une sémiotique — que l’efort théorique de Hjelmslev se dirige, se concrétisant
ainsi dans son Résumé, un texte qui élude l’architecture arborescente du traité
pour assumer celle réticulaire des interdéinitions. Cet ouvrage posthume est une
“syntactique de symboles” et un “dictionnaire diagrammatique” qui soustraient
la théorie du langage à la forme expressive de la langue verbale (cf. Caputo 2009).
La vocation scientiique de son travail métalinguistique mène Hjelmslev à
considérer le problème des sémiotiques et des métasémiotiques.
Comme le souligne l’article de Zinna (cf. § 1.5), le critère de la scientiicité/non
scientiicité est l’un des critères de la classiication hjelmslévienne des sémiotiques,
tandis que l’autre, rappelons-le, est celui du nombre des plans où opère le trait
spéciique de la sémioticité : le caractère biplanaire non-conforme de l’expression
et du contenu. Et Hjelmslev d’écrire :
[…] a scientiic semiotic we mean a semiotic that is an operation [description
that is in agreement with the empirical principle]; by a non-scientiic semiotic
we understand a semiotic that is not an operation. We accordingly deine a
connotative semiotic as a non-scientiic semiotic one or more of whose planes is
(are) (a) semiotic(s) (Hjelmslev 1961, p. 120).
“Sémiotique connotative” est l’anglais utilisé aujourd’hui comme langue de
la science (cf. § 1.3) dont il connote non seulement l’expression, mais aussi le
contenu, produisant le métalangage et la terminologie scientiique d’aujourd’hui,
c’est-à-dire une métasémiotique ou une métalangue, ou encore a semiotic whose
content plane is a semiotic, telle la linguistique dans le champ des sciences du
langage, comme dit Hjelmslev (Ibid., p.119).
354 Overview

Since, now, as the logicians have pointed out, we can further imagine a
scientiic semiotic that treats of a metasemiotic, we can, in conformity with their
terminology, deine a meta-(scientiic semiotic) as a metasemiotic with a scientiic
semiotic as an object semiotic […]. In conformity with Saussure’s terminology
we can deine semiology as a metasemiotic with a non-scientiic semiotic as an
object semiotic. And inally, we can use the designation metasemiology of a meta-
(scientiic semiotic) whose object semiotics are semiologies (Ibid., p. 120).
Les grammaires, les dictionnaires monolingues, bilingues, sectoriels
(cf.  Prampolini 2007, p. 43), les dictionnaires de sémiotique ou les instruments
sémiologiques sont des sémiologies 9.
L’objet de la métasémiologie doit être constitué par les ajouts et les modiica-
tions apportés par la sémiologie pour produire sa propre langue spéciale. Dans la
special terminology of semiology — dit Hjelmslev (1961, p. 121) — on trouve
1. Terms that enter as deinienda in the deinition system of semiology […] 10.
2. Terms that are taken over from a language and enter as indeinables into the deinitions
system of semiology. […]
3. Terms that are not taken over from a language (but which still must be required to have
an expression-structure agreeing with the system of the language) and which enter as
indeinables into the propositions of semiology (Ibid., p. 122).
Les implémentations de ces métalangages scientiiques peuvent être : a) « les
langages de la logique formelle, la théorie des syllogismes d’Aristote, l’algèbre de
la logique de Boole, le calcul propositionnel, le calcul des prédicats, le calcul de
la déduction naturelle de Gentzen ou les systèmes axiomatiques utilisés dans la
recherche sur les fondements des mathématiques par Russell et Gödel » ; b) les
« métalangages employés dans la construction des programmes informatiques »
(Prampolini 2007, p. 43).
Comme l’explique encore Hjelmslev (1961, p. 123), la métasémiologie doit pro-
céder à l’analyse des minimal signs of semiology, whose content is identical with the
ultimate content- and expression-variants of the object semiotic (language). Il s’agit
d’enregistrer autant que possible the realized entities, i.e., the entities accessibile to
particular division (Ibid. ; cf. aussi Ibid., pp. 32-33, 40), ou de décrire les dépen-
dances non-homogènes d’un texte (objet), ses réalisations dans la substance, dans
l’efectualité, ses liens avec les normes sociosémiotiques, les situations, les tradi-
tions de recherche et culturelles en général.
La matérialité du langage ne peut donc être supprimée de la démarche glossé-
matique. Pour comprendre la tâche de la métasémiologie — dit Hjelmslev (cf. Ibid.,
p. 124) — il faut abandonner l’idée suivant laquelle l’objet que le linguiste analyse,
en encatalysant (en le transposant dans) une forme linguistique, ne saurait être de
nature physique comme l’objet que le investigator of the substance doit analyser en
encatalysant quelque forme (non linguistique) de la matière.

9. Pour un approfondissement, cf. De Angelis 2012 et 2013.


10. Termes tels que description, object, dependance, uniformity (Hjelmslev 1961, p. 29).
Le paradoxe du métalangage 355

La métasémiologie, par conséquent,


[…] by the displacement in point of view which the transition from an object
semiotic to its metasemiotic involves, puts new means in hand for taking up again,
with the help of the usual semiological methods, and for carrying further the
analysis which from the point of view of semiology was exhausted. his can only
mean that the ultimate variants of a language are subjected to a further, particular
analysis on a completely physical basis. In other words, metasemiology is in
practice identical with the so-called description of substance (Ibid.).
Plus spéciiquement, c’est une description des niveaux (physique, socio-
biologique et évaluatif/interprétatif) de la substance (cf. Hjelmslev 1954, p.  63),
c’est-à-dire une description des things, qui pour la sémiologie sont d’irreducible
individuals du contenu, et des sounds, qui pour la sémiologie sont d’irreducible
individuals de l’expression (Hjelmslev 1961, p. 124).
Par la métasémiologie on arrive à la in de l’analyse des objets sémiotiques
parce qu’il n’y a pas de métadescriptions ultérieures. Le lieu de contrôle devient ici
l’évaluation socioculturelle dont la métalangue est le langage quotidien, la langue
objet (cf. Hjelmslev 1954 : 63 ; Prampolini 2007, pp. 44-45). Il s’agit d’une consé-
quence de l’immanentisme de la théorie, si bien que la science se constitue comme
langue relétée sur elle-même, ou comme une application spéciique de la langue.
Ce “retour aux choses” ou au point de départ de l’analyse, ce placement aux
marges de la science du langage — comme l’écrit encore Massimo Prampolini —
d’un côté est « le signe d’une cohérence forte » car les objets linguistiques sont
« contrôlés et vériiés par des objets de même nature », tandis que, de l’autre côté,
« c’est le signe d’un résultat contradictoire » qui est « le prix que la théorie doit
payer à sa propre cohérence : un prix qui, à bien y regarder, semble rendre une
partie de ce qu’elle enlève ». En fait, ramener le contrôle des objets sémiotiques
dans le cadre du langage ordinaire signiie revenir aux sémiotiques connotatives
qui sont des sémiotiques non scientiiques.
Cela équivaut à conclure le discours sur les “fondements de la théorie du
langage” […] en renonçant au régime d’exclusivité du Principe empirique.
Suivant le lexique des Métasémiologies, en tant que lexique du langage quoti-
dien, c’est le Principe de participation qui est en vigueur, c’est la condition d’im-
précision qui a cours ; c’est dire qu’est en vigueur le jeu complexe d’appartenance
et non appartenance en même temps, d’union et de séparation caractérisant les
unités des langues, dans l’usage ordinaire et dans leur capacité omniformative
(Prampolini 2007, p. 45).
Il n’est plus question d’une analyse qui doit se terminer, donc : tout ne doit
pas trouver place dans les tiroirs de la théorie, y compris la théorie elle-même (voir
dans le § 1.5 la critique de Galofaro).
De quelle façon peut-on décrire un objet comme le langage, constitué de parti-
cipations contraires, ambivalences, imprécisions, et enchevêtré dans l’ininité et
l’inachevabilité de la vie, avec la initude des instruments scientiiques ?
356 Overview

Il est symptomatique que Hjelmslev ait écrit un Résumé (1943b) de la théorie


du langage et non un Dictionnaire qui, poursuivant la cohérence, aurait négligé
l’exhaustivité.
Ce sont les métadescriptions elles-mêmes qui, se poursuivant, recourent
inévitablement à la langue ordinaire. Et Hjelmslev d’écrire dans A Causerie on
Linguistic heory (1941, pp. 106-107) :
As soon as we have said that linguistic theory is a language, we have in
addition opened the door to an interesting perspective: linguistic theory must be
capable of being analyzed and described by means of its own method; linguistic
theory must be susceptible of being made its own object. Among other things this
means that even if linguistic theory presupposes certain general indeinables, it
must, at a later stage, also analyze these. hese general indeinables will, of course,
always be formulated in some “natural language”; the theory’s semantic analysis of
the natural language in question produces their description. Upon relection there
is nothing at all surprising in this […], modern logic has recognized not only that
science is language, but also that this language, in spite of its being an abstract sign
system, is ultimately dependent upon a natural language; since Heinrich Maier we
know too that decisive importance the speciic characteristics of the Greek language
have had for the development of Aristotelian logic 11.
La recherche de Hjelmslev se déroule dans la tension entre le principe empirique
et la loi de participation. Cette dernière est le “signe” de l’“autre Hjelmslev”, celui
qui reste inconnu ou méconnu à la plupart des gens, et qui corrige son image
standardisée.

3. Le sens du métalangage
L’ambiguïté du rapport entre le langage-objet et le métalangage est constitutive du
discours sémiotique ; c’est une ambiguïté qui naît de la détermination réciproque
entre la théorie et l’objet : il ne faut pas oublier la réponse de Hjelmslev à la question
de savoir si c’est l’objet qui détermine et inluence la théorie, ou l’inverse : “both…
and” (Hjelmslev 1961 : 15). Il n’y a pas un “dedans” et un “dehors” dans le langage,
mais plutôt un “dedans/dehors”, une réciprocité et non des lieux préétablis ou déi-
nissables à jamais. Le langage contient sa théorie dans un lien de similarité ou ico-
nicité (cf. Almeida 1997) 12 ; nous oserions dire que le langage accomplit une méta-
performativité, même.

11. hèse réairmée dans Hjelmslev 1963, où il dit que la logique d’Aristote n’aurait pas eu la forme
qu’elle a si elle n’avait pas été pensée en grec.
12. C’est C. Paolucci qui a parlé d’« autosimilarité » (2007a, p. 67), en observant que la théorie
glossématique est constituée par un « système de rapports qu’il est possible de retrouver à l’inté-
rieur de son objet […]. Pour cette raison, le système de déinitions de la glossématique n’est pas
Le paradoxe du métalangage 357

Le “retour aux choses” dont nous avons parlé fait émerger une ouverture
herméneutique qui — comme nous l’avons observé ailleurs (cf. Caputo 2010) —
est intrinsèque au statut épistémologique de la théorie hjelmslévienne du langage.
La sémiotique glossématique en explore la pratique et le caractère paradoxal.
Comment peut-on parler du langage et le décrire, vu que nous ne pouvons uti-
liser rien d’autre que le langage même ? Comment peut-on parler de l’interprétation,
la considérer du dehors alors que depuis toujours nous nous trouvons dedans ? Si
le langage était purement dénotatif, nous ne pourrions pas nous poser le problème
de son sens. On ne peut pas sortir du sens pour décrire son sens.
La sémiotique hérite du Néopositivisme logique la question du métalangage,
mais elle la pose sur un terrain diférent, celui de l’interrogation sur le sens et non
sur la vérité. Et toute interrogation n’est-elle pas déjà métalinguistique, comme
l’écrit Greimas (1970, pp. 12-13) ?
L’homme vit dans un monde signiiant. Pour lui, le problème du sens ne se
pose pas, le sens est posé, il s’impose comme une évidence, comme un “sentiment
de comprendre” tout naturel. Dans un univers “blanc” où le langage serait pure
dénotation des choses et des gestes, il ne serait pas possible de s’interroger sur le
sens : toute interrogation est métalinguistique.
Greimas se demande que signiie ce terme, ou ce qu’on entend par là :
[…] surgissent des métaphores anthropomorphes, par lesquelles l’homme
cherche à questionner naïvement le sens, comme si les mots voulaient vraiment
dire quelque chose, comme si le sens pouvait être entendu en dressant l’oreille.
Les réponses données ne sont pourtant que des réponses par procuration, entre-
tenant l’équivoque : ce ne sont jamais que des paraphrases, des traductions plus
ou moins inexactes de mots et d’énoncés en d’autres mots et d’autres énoncés.
La signiication n’est donc que cette transposition d’un niveau de langage
dans un autre, d’un langage diférent, et le sens n’est ce que cette possibilité de
transcodage (Ibid.).
Le “principe de traduction”, donc, indique le développement translatif du sens,
la relation d’ampliication réciproque entre un sens où le sujet est depuis toujours
et sa prise de conscience du déplacement continu d’un sens à l’autre, à travers des
systèmes sémiotiques diférents et suivant un mouvement trans-signique, trans-
disciplinaire, transculturel.
Mais réduire l’interrogation métalinguistique à « des techniques de transposi-
tion qui permettent d’efectuer les transcodages artiiciellement, mais bien », en
construisant « un langage artiiciel adéquat », signiie — ajoute Greimas — « ériger
l’arbitraire en principe », donnant ainsi lieu à « une bonne conscience sémiotique »
(Ibid., p. 14).

un métalangage par rapport au langage-objet qu’elle prétend décrire (la forme de la langue),
mais il est exactement cette forme linguistique même, considérée en tant que décrivante et non en
tant que décrite ».
358 Overview

Interroger le sens pour parvenir à une conscience réléchie, à un savoir qui


naît en relation avec un savoir-déjà est un exercice de problématisation qui expose
à un “sens autre”. Le sens joue un « mauvais tour » à celui qui s’approche de lui :
« la praxis […] éclate sous la plume du praticien en deux niveaux métalinguistiques
distincts  : un langage sémiotique, donné avec insistance comme sous-entendu,
autorise un métalangage rélexif d’interrogations et d’assertions multiples » (Ibid.,
p. 15).
L’écriture sémiotique n’est pas seulement la manifestation du changement des
formes, parce qu’elle manipule, transforme aussi les substances, les contenus axio-
logiques ou idéologiques, qui sont également des formes de la “matière”, ou des
matières formées (signatae), si bien que — conclut Greimas — « Le sens, en tant
que forme du sens, peut se déinir alors comme la possibilité de transformations
du sens » (Ibid.).
L’horizon est celui d’une sémiotique formelle (mais non formaliste)  : pour
le dire en termes hjelmsléviens, d’une sémiotique de la forme et de la substance-
matière qui voit grandir sur la forme d’autres formes/signes (formes de l’expression
et formes du contenu) avec des métasémiotiques qui se poursuivent. Dans cet
horizon Greimas, toujours dans Du Sens (1970, p. 17), airme : « Seule une telle
sémiotique des formes pourra apparaître, dans un avenir prévisible, comme le
langage permettant de parler du sens. Car, justement, la forme sémiotique n’est
autre chose que le sens du sens ».
La sémiotique envisagée comme métasémiosis est la reconstruction théorique
des formes du sens et de toute interrogation métalinguistique, mais contrairement
à l’illusion néopositiviste d’un métalangage formalisé, cohérent et surtout fermé et
séparé des variations du langage-objet, elle est le lieu où la question du sens reste
ouverte et inachevable.
Si la sémiosis, qui est la vie, est illimitée, le métalangage sémiotique est la
forme de l’interrogation toujours renouvelée sur le sens. Interrogation qui a une
démarche double : 1) elle est une question scientiique, sur la forme, précisément,
de la sémiosis (“Quand et à quelles conditions a-t-on une sémiotique ?”) ; 2) elle
est une “question sur la sémiotique”, sur son savoir, une prise des distances de ce
savoir et donc une question philosophique ou une question sur le “sens” de la sémio-
tique : question sur la question (de la science), autrement dit, c’est une réponse à la
question scientiique, une prise de position nouvelle, une re-connaissance nouvelle,
mais aussi une re-connaissance non spéciique. Ces deux questions sont enchâssées
l’une dans l’autre, ainsi que le langage-objet et le métalangage, les sémiotiques et les
métasémiotiques, en tant que participants du caractère circulaire et paradoxal du
faire sémiotique et du se faire de la sémiosis.
Comme nous l’avons vu, par la métasémiologie on arrive au lieu où naissent
la question philosophique et la question scientiique ; en elle ces questions en
viennent quasiment à se résumer.
Le paradoxe du métalangage 359

Dans la perspective hjelmslévienne, le langage ne contient que lui-même, il


faut l’étudier iuxta propria principia  : être dans le langage et dans le sens pour
parler du langage et du sens, tout en sachant que, vu l’illimitation de la sémiosis, il
s’agit d’une poursuite continue de quelque chose qui quand même nous échappe,
nous précède, nous devance. Nous en sommes au paradoxe du langage, c’est-à-dire
à l’« être-dedans le langage et à comprendre et sentir notre y être-dedans », une
condition indépassable car elle est constitutive et fondante (Garroni 1986, p. 177 ;
cf. aussi Garroni 1982 et Caputo 2013).
Nous avons vu que le langage est à la fois le point de départ et le point d’arrivée,
il est un en tant qu’il est pensable et multiple (langues historico-naturelles, langues
spéciales, etc.) en tant qu’il est concret ; il est quelque chose et quelque chose d’autre,
ce même autre : quelque chose qui parle de soi et d’autre que soi, et sa condition,
son identité dynamique, le fait qu’il échappe constamment à lui-même n’est pas un
défaut, mais une donnée structurale, son fondement et même le fondement de sa
théorie, arbitraire et adéquate en même temps. Le langage est un phénomène qui
est là comme notre vie : il dit en (se) dédisant et en (se) redisant.
La sémiotique, par conséquent, vit dans l’ambivalence et dans l’ambiguïté ; elle
semble faire du paradoxe sa propre demeure ou sa propre raison, ce qui signiie
aussi qu’on ne peut pas sortir de l’horizon sémiotique ou sémiosique, et que toutes
les sciences, les activités de la vie humaine et non humaine sont exposées à être
traversées par la sémiotique. Il ne s’agit pas d’un “impérialisme de la sémiotique”
ainsi qu’on l’a pourtant soutenu, mais plutôt du fait qu’aucune pratique de vie,
aucune métapratique ne peuvent destituer leur propre caractère signiiant ou leur
être déjà, malgré elles, dans le sens.
À ce niveau, la métalinguisticité ne correspond pas seulement à la fonction
jakobsonienne du simple fait de parler de la langue au moyen de la langue, mais à
quelque chose de plus fondamental. Il s’agit du fait que le sens est toujours le pro-
duit d’une opération sur un sens donné qui repose — comme le souligne Emilio
Garroni (1977) — sur la capacité métaopérative, en bref : sur le logos spéciique de
l’espèce humaine. C’est là la matérialité du métalangage, une matérialité d’espèce
qui trouve son expression dans le renouvellement, l’inventivité, la déconstruction-
reconstruction, qui résiste ou se soustrait à la pétriication des signiiés et des signi-
iants, empêchant ainsi les langages et les métalangages d’être complètement géo-
métrisés.
Il s’agit de re-connaître le paradoxe, de le reprendre en considération, de le re-
thématiser, ce qui constitue l’espace critique de la sémiotique et de la philosophie
du langage.
(traduit de l’italien par Andrea D’Urso)
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