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Revue de géographie de Lyon

Géographes lyonnais en Sardaigne


André Allix

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Allix André. Géographes lyonnais en Sardaigne. In: Revue de géographie de Lyon, vol. 26, n°2, 1951. pp. 109-112;

doi : https://doi.org/10.3406/geoca.1951.6045

https://www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1951_num_26_2_6045

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GEOGRAPHES LYONNAIS EN SARDAIGNE

par André Allix

Alors qu'une quarantaine d'étudiants de l'Institut de géographie de Lyon,


accompagnés d'universitaires plus mûrs, se trouvaient, entre Turin et (hnes,
dans le train qui les menait s'embarquer pour la Sardainne, un voyageur
italien ne se rendit qu'avec des cris d'horreur à la certitude que tel était bien
le but du voyage (I). Et il est vrai que celte île, malgré de belles routes, un
réseau ferré à vie normale, des villes d'un modernisme bien suffisant, des
organisations fort convenables de- transport automobile, n'est j/us encore aussi
fréquentée par le tourisme que telle de ses voisines. Mais ces Lyonnais n'allaient
point y faire un voyage de tourisme. Et, fortement nourris par la thèse de
M. Le Lannnu (a trop trompettée >>, disent certains duns leur langue imagée :
mais on n'attend que leurs œuvres ! et l'auteur visé dit qu'on ne a trompettera »
jamais trop la Sardaigue et les Sardes); fortement instruits par ses ermmen-
tuires sur le terrain, par ceux du professeur ILL Marron de la Sorbonně, du
professeur Silvio Vardubasso, le savant géologue de Caglïari, ils x'irent que
la Surdaigne est pour le géographe, le géologue, l'historien, l'archéologue, d'un
intérêt puissant. Ajoutons qu'aujourd'hui elle est pratiquement débarrassée de
V anophèle et par suite des ris(fnes de malaria (£), ce qui n'est pas à dédaigner
pour les géographes, ni pour les touristes futurs.
Le ,~> avril 1950, sur la jetée de Porto Torres (fig. 1), une,, nombreuse délégation
d'étudiants de l'Université de Sassari, avec leur pittoresque chapeau à longue
pointe, attendait les Lyonnais. Après l'élude sur place d'une inscription que
M. Marron commentera ailleurs,' Sassari, la vieille ville proprement sarde,
au milieu de ses olivettes, centre de vie rurale et pastorale, accueille
généreusement la caravane, et notamment à l'Université. L'après-midi, avec un arrêt an
village d'Osilo et nn regard à ses collections de vieux costumes, on visite I'
Anil loua : plateaux assez dénivelés de calcaires miocènes, cultivés avec l'éternelle
alternance blé et fèves, et terminés en cuestas au-dessus de. ruasses de
trachytes ; là commence le pays disputé entre cultivateurs et bergers, fallacieuse-
ment enclos à travers de grandes propriétés ; plus loin s'empilent les blocs du
massif ancien fracturé de la Gallura. Ainsi, d'emblée, s'offrent presque toutes
les composantes qui, diversement combinées, feront l'essentiel des passages de
Sarduigne. Avant le retour à Sassari le long de plages soulevées à des liant ci trs
variables, lui journée s'est terminée par la visile de Castelsardo sur sa
forteresse abrupte.
Le в avril, la traversée du, Ljgndort) montre toujours les plateaux calcaires,
soutenus parfois par des tables très minces; leurs falaises, leurs cuestas, plus

(1) M. Le Lannou, Studenti di Lione in Sardegna. Estr. àx « Ichnusa » (Sassari),


vol. II, fasc. III, 1950, 9 pages pleines de détails pittoresques empruntés en partie aux
récits que les étudiants ont faits de leur voyage. — Du même: La Satdaigne, dans Viaggi in
Italia (Rome, C. I. T.), déc. 1950, pp. 79-82, 7 phot.
(2) Le paludisme en Sardaigne, in Chester I. Barnard, Lt Fondation Rockefeller, revue
de l'œuvre accomplie en 1949; New-York, Fond. Rock., in-8°, 9-4 p., nombr. phot, (aux
pp. 38-43).
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rarement leurs croupe arrondies ; et les effets (l'une structure bouleversée


jusqu'à des temps très récents : fossés entaillés dans des tufs oligocènes, coulées
basaltiques récentes, parfois perchées en Inversion de relief, remaniements du
réseau hydrographique et percées épigéniques ; plus loin, tables de basaltes
pliocenes à des hauteurs différentes, et surmontées parfois de cônes volcaniques
quaternaires, plus ou moins nus ou habillés de chênes-liège. La caravane
visite la. belle basilique de Saccargia, seul reste d'un village du XIII" siècle au
milieu de4 cultures en opcnfiebl ; e.t surtout, grande- attraction, le splendid e
nuta^he de Saut' Auline de Tnrralba : l'un des mieux conservés parmi ces
quelque H.00O vieux blockhaus d'habitat préhistorique mais qui furent habités
si longtemps, et qu'on retrouve partout, à divers états de dégradation, dans
cette Ile oh ne se comptent au jourd'liui gu-'-re plus de li()() villages. Un déjeuner
littéralement « .sur le pouce ,. a lieu, dans les rues et sur la place publique du
village de Pozzomaggiore, à la stupeur un peu scandalisée des habitants. Puis,
à travers de blancs plateaux aritlésitiques terminés en gradins sur la mer, ou
descend vers le golfe d'Alghero, terminaison submergée d'un déinnl miocène.
La forteresse, entourée de pécheurs, avec le souvenir tle sa fondation catalane,
s'assied sur un bloc de calcaire crétacé du. milieu des alluvions récentes. Le
retour à Sassari se fait à travers un marais « racheté >,, la plaine monotone de
Fertilia ; elle montre ses bâtisses nouvelles, ses nui chin es agricoles, ses cultures
de blé, de fèves, de fourrage.
Le 7 avril est une. journée de chemin de fer ; et la gare de* bifurcation de
Chilivani, dans sa solitude, n'est pas sans faire penser (du point de vue
ferroviaire et démngrupfiiqiie, sinon pour l'aspect physique.) à .son pendant corse
de Ponte Leccia. Au cours du trajet, croisant souvent comme ailleurs maint
petit troupeau de moutons à longue laine, les étudiants ont été frappés par le
vaste et haut plateau de la ('ampeda, en deux étages dénivelés de '.100 mètres,
avec son accès gardé par la vieille cité carthaginoise de Muamer qui rappelle
un personnage de Balzac. Desséché en été, marécageux en hiver, ce double
.

plateau présente quelque ressemblance avec nos Causses, bien qu'étendu sur
des basaltes. Le. trajet permet ensuite d'évoquer au loin les deux grands
barrages du -Tir so, et, bien plus bas, grâce à une station de transformateurs, celui
bien plus distant du Flumendosa. Quand à la fin du jour on descend, parmi
l'asphodèle et l'acanthe, vers la plaine du Campidauo, on voit à l'Ouest se
profiler assez lourdement sur les feux du couchant la masse volcanique du Ferru,
tandis qu'à l'Est s'aperçoivent de temps en temps les neiges du. Gennargmlu.
Le H avril, au départ delCagliari a en lien, une excursion en Uarbagia, à travers
les massifs cristallins de la Sar daigne- orientale. Le. professeur -Vardabasso,
qui a bien voulu s'y joindre, compare très justement la plaine du Campidano

au fossé d'Alsace, avec son remplissage miocène entre deux paquets de blocs
cristallins soulevés, et l'intervention de formes volcaniques sur les lisières. Le
xňllagedp • Suelli permet de visiter en passant une intéressantemaison paij-
saune; dès la montagne commence le domaine des troupeaux, du maquis, des
forêts parfois. Entre le fossé de la plaine et- les blocs anciens des hauts reliefs
apparaissent de. grands plateaux de calcaires secondaires qui fournissent l'eau
des torrents et, par suite, la force électrique. De belles falaises ou des chicots de
dolomites accidentent parfois le proche horizon. La structure faillée se reconnaît
à travers les plateaux, progressivement effilochés en buttes-témoins à des
altitudes et sous des inclinaisons variables. En plein cristallin à châtaigneraies,
près des menus dépôts de charbon, ramenés par la tectonique, et sons le Gen-
nargentu, un arrêt prolongé dans le haut village d'Aritzo permet d'admirer
de beaux costumes paysans sardes, qui sont encore d'usage courant. La
redescente fait traverser un ancien territoire de contestation entre les cultivateurs
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Terrains anciens. ter*

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quaternaires

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с tectoniques.
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1 Voies ferrées .
4Л?.

ffou tes avec


directions
empruntées.

- Nota __
On a figuré seulement*
les trajets suivis Echelle —
par /'excursion. 0 10' 20 30' 40 50 km.
1(SAS9ARI1' d'excursion.
Centres. Aritzo : d
^ arrêt
-. .
Y\q. i. — L'excursion géographique lyonnaise en Sardaigne, 5-10 avril 1950.
D'après le croquis remis aux participants par l'Institut de Géographie de Lynn..
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locaux et les pâtres de lu montagne, qui doivent traverser leurs terres pour
aller hiverner les troupeaux dans le Campidano. C'est au cours de ce retour
qu'une assez longue marche vers le nnrarjhe de, is Cangialis, près de Nurri,
avec son incomparable point de vue, permet, en regardant a l'immensité
sarde », de résumer toutes les observations de la journée.
Le 9 avril, jour de Pâques, c'est d'abord la visite libre de Cagliari : sa
magnifique acropole perchée sur un dos de calcaire miocène, son beau port entouré
de lagunes, le développement de ses quartiers nouveaux, ses industries, sa
reconstruction en cours. On voit là, dans l'atmosphère joyeuse d'un jour de fête,
la plus belle ville de Sur daigne- (forniosa Kara lis), la plus cosmopolite aussi,
avec son râle de port commercial et de capitale administrative. L'après-midi,
la caravane.- parcourt le Campidano dans Unite- sa- longueur et dans les deux
sens, à travers la steppe de moins en moins cultivée à mesure qu'on la remonte.
Après un arrêt en passant à la vieille et célèbre église de Santa Giusta, un autre
à Oristano, le retour se fait dans la bonification naguère appelée Mussolinia,
et qui a repris le vieux nom d'Arborea, aux résonances historiques. .
Le 10 avril est une journée de wagon et de repos. Elle permet, en traversant
de nouveau tout le pays, de revoir les paysages visités ; de récapituler ce qu'on
a appris sur cette ile si essentiellement pastorale, où tout, même la vie agricole,
est subordonné aux troupeaux; où l'histoire, et avant elle lw préhistoire^ ont
laissé tant de traces qui ne sont pas toujours déchiffrables ; où le système des
cultures ouvertes (la vidazzone) a- permis,, avec la discipline des alternances
agraires, la subsistance du pauvre comme du riche ; où l'un des étudiants a
même cru retrouver l'économie archaïque de notre Languedoc an début du
XIXe siècle, fondée sur le blé, la fève et. le тли ton', cette ile. près de trois fois
grande -спите- la Corse, mais dont la population au kilomètre carré est
inférieure des deux tiers à celle de l'Italie, continentale; cette ile un
peu-sentimentalement déshéritée, comme le montre h réflexe piérnontais rappelé au
début de ces pages ; mais si fière, si jalouse de sa personnalité (même
politique), et promise encore à' tant de progrès. A la tombée du jour la caravane
s'embarque à Olbia pour- Civitavecchia ; le lendemain elle apercevra cette
triste ville, assez abîmée, qui a joué son rôle dans notre histoire et dans nos
annales littéraires ; et l'excursion se termine, avec de bons guides tels que
le professeur Marron, par une trop courte visite de Rome.
Ce bref récit serait incomplet si je ne remerciais, an nom de tous, ceux qui
ont tant contribué à faciliter ce voyage et à le rendre agréable: à Lyon, le
Consul général d'Italie, Comm. Guglielmo Arnô ;: à Sassari, le vice-recteur de
l'Université, Prof. Sergio Costa, représentant M. le Recteur actuellement
ministre; la municipalité ; MM.' les Présidents de la Chambre de commerce et de
l'Ente Turismo; à Cagliari, le Recteur Avv. Antonína ď Angelo ;. le maire de la
ville, Avv. Pietro Leo, administrateur de l'Université ; le Président de l'Ente
Turismo ; le Professeur Alberto Mori, qui a bien voulu mettre à la disposition de
l'excursion deux assistants, dont la fille de notre collègue, Mlle Silvana Varda-
basso ; le Doit. Alberto Roscolo, secrétaire général du Centre de relations
extérieure de l'Université ; et surtout le Président de la Région autonome de Sar-
daigne, Г Avv. Luigi Crespellani, gui nous fit une réception et iin discours
admirables. Mais -le- meilleur de notre reconnaissance- doit aller aux trois
personnes qui furent les véritables bienfaiteurs de- ce magnifique•voyage :
le Professeur Silvio Vardabasso de l'Université de Cagliari, le Dolt. . Nicola
ptinzeveroni de Sassari, et tout particulièrement Г Avv. Gavino Alivia de
Sassari. Nous ne- dirons jamais assez tout ce que nous leur devons. Enfin
je remercie J. L. Fontvieille, sans les notes de qui j'aurais eu plus de peine-
à retrouver ces souvenirs.

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