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PH FOCH - ÉCOLE MILITAIRE
Les Cahiers de la
Revue Défense Nationale
L’équipe du colloque souhaite rendre un hommage particulier
au professeur Hervé Coutau-Bégarie
décédé avant l’achèvement de ce projet,
après en avoir encouragé les premiers pas.
Sommaire
111 Et la confiance ?
ADELINE DEROUBAIX, PIERRE DE THIEULLOY
L’homme d’action cherche à diminuer l’incertitude. Il se rassure par des outils et des tableaux
de bord. Mais n’est-il pas lui-même, par sa méfiance ou son inquiétude, un facteur d’incerti-
tude ? Quelle place faut-il donner à la confiance dans l’action de groupe ?
L’équipe du colloque souhaite rendre un hommage particulier
au professeur Hervé Coutau-Bégarie
décédé avant l’achèvement de ce projet,
après en avoir encouragé les premiers pas.
Ont collaboré à ce volume
M
esurer l’incertitude, c’est la soumettre à la subjectivité de son propre
jugement. Car même si celle-ci est constante, elle change de forme,
d’intensité, de caractéristiques. Prenons quelques exemples historiques :
la Fronde, la bataille de Waterloo ou l’hyperinflation de la République de Weimar
sont des périodes incertaines dans les domaines politiques, militaires, sociaux et
économiques à des périodes différentes. D’où peut donc venir cette impression
d’incertitude qui domine aujourd’hui ? Est-elle cyclique ? Quelles sont ses caracté-
ristiques ?
Certaines périodes sont plus stables, facilitent notre capacité à nous proje-
ter dans l’avenir. Les périodes les plus incertaines sont souvent liées aux crises, à la
rupture d’un équilibre alors que le nouvel équilibre n’est pas encore trouvé. Dans
le Temps des crises, Michel Serres note six événements (1) qu’il appelle nouveautés
millénaires et changent en profondeur notre société dans l’espace et le temps. Nous
sommes bien dans une période transitoire où il faut décider et agir afin de prendre
une nouvelle voie vers un meilleur équilibre susceptible de diminuer l’incertitude.
Cet entre-deux incertain peut être défini comme une période de changement de
référentiel alors même que nous sommes nous-mêmes façonnés par notre forma-
tion et nos expériences passées ainsi que par les référentiels passés et présents.
Diminuer l’incertitude qui nous entoure et se préparer à ce nouveau référentiel
passe donc par la compréhension de cette incertitude. Quelles en sont donc les
caractéristiques ?
(1) Ces six nouveautés millénaires concernent l’agriculture, les transports, la santé, la démographie, les connexions et les
conflits ; Michel Serres : Temps des crises ; Éditions Le Pommier, 2009 ; 78 pages.
Caractéristiques de l’incertitude
Le temps
La première conséquence est la primauté des flux sur les stocks. Cela
demande un effort d’abstraction d’une réalité sans cesse en mouvement. Il faut
comprendre les flux, le sens de leur évolution. Mon stock est-il en diminution ou en
croissance ? Selon quelle vitesse ? Comment agir sur cette vitesse ? Le stock finit par
ne plus exister puisque seule compte l’information. Nous allons vers une dématéria-
lisation trompeuse. La réussite miracle d’Enron, puis sa faillite, en sont symptoma-
tiques. Spéculer sur des marchés virtuels énergétiques, déconnectés de la réalité,
réserve des surprises, celui du réveil brutal et du retour à une réalité bien matérielle.
Dans ce tourbillon incessant de matières et d’informations, le rôle du dirigeant est
bien de ne jamais oublier ce lien entre l’immatériel et le matériel. De savoir
reconnaître la valeur réelle, et celle qui est virtuelle, des objets qu’il manipule.
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Le monde est-il plus incertain aujourd’hui ?
Le flux d’information
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Le monde est-il plus incertain aujourd’hui ?
(3) « Sur le champ de bataille, l’inspiration n’est le plus souvent qu’une réminiscence… Ce n’est pas un génie qui me
révèle tout à coup, en secret, ce que j’ai à dire ou à faire dans une vie inattendue pour les autres, c’est la réflexion, la médi-
tation » ; Commentaires de Napoléon Ier, Paris, Imprimerie impériale, 1867.
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Le monde est-il plus incertain aujourd’hui ?
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Le monde est-il plus incertain aujourd’hui ?
certaine décision : rares sont les cas où le décideur peut savoir exactement le béné-
fice qu’il retirera d’une action donnée.
(4) Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Sommet de Rio), juin 1992 : « En cas de
risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour
remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ».
(5) Charte de l’environnement, Article 5. « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connais-
sances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par
application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évalua-
tion des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
(6) « Avec l’avancée de la connaissance et précisément en vertu de cette croissance, le non-savoir s’accroît d’une façon plus
que proportionnelle » ; Daniel Innerarity : « Le retour de l’incertitude » in El Pais, 7 octobre 2008.
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Le monde est-il plus incertain aujourd’hui ?
l Elle fait davantage ou mieux percevoir les zones d’incertitude qui persis-
tent. Le décideur peut alors chercher à exploiter les nouvelles informations pour
réduire une partie du risque.
l La connaissance étend la perception des risques. Le décideur doit
aujourd’hui prendre en compte le risque nucléaire ou le risque systémique bancaire
dans ses préoccupations de sécurité nationale ou de supply chain, deux exemples de
risques au périmètre et à l’ampleur inédits.
l Elle instaure un « clapet de bien-être », c’est-à-dire un niveau minimum
de bien-être attendu socialement, que ce soit par les citoyens, les employés ou
actionnaires. Cet effet limite la capacité du décideur à choisir délibérément
d’assumer un risque accru.
Ainsi, si l’incertitude est cyclique et certaines périodes sont plus stables que
d’autres, elle demeure une donnée structurelle pour le décideur de demain.
Aussi, on peut bien affirmer que le décideur n’a jamais été autant confronté
à l’incertitude. Mais celle-ci ne doit pas provoquer le repli ou la paralysie : au
contraire, le décideur peut et doit en tirer parti. L’incertitude est la condition
sine qua non de l’obtention d’un avantage stratégique. Elle constitue aussi une
opportunité personnelle pour le décideur, lui offrant l’occasion de mobiliser un
ensemble de compétences et capacités : son discernement, hors de tout tropisme
social ou culturel, sa vision, sa capacité à mobiliser, son aptitude à saisir l’occasion,
son intelligence au-delà de la logique, une logique, enfin, qui, seule, s’avère insuf-
fisante dans un système complexe (7). Toute la valeur du décideur provient de sa
gestion de l’incertitude, une incertitude qui rend l’action plus complexe, mais lui
donne l’opportunité d’enrichir et de justifier sa décision.
(7) « L’usage de la logique est nécessaire à l’intelligibilité, le dépassement de la logique est nécessaire à l’intelligence. La
référence à la logique est nécessaire à la vérification. Le dépassement de la logique est nécessaire à la vérité » ; Edgar Morin
in La Méthode (tome 4) ; Points n° 303, p. 207.
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Prendre en compte l’incertitude
RDN
« La cuirasse et le brouillard »
L
a gestion de l’incertitude est une composante essentielle des activités humaines
de tous ordres. Entreprendre, bâtir et conduire des projets, constituent des
paris sur l’avenir, sur l’état futur du monde. Le succès ou l’échec résultent
souvent de l’évolution de certains éléments que l’organisation mise en place ne
contrôle a priori que peu, voire pas du tout. Le goût du risque, le courage de plonger
dans l’inconnu, sont alors un trait de caractère essentiel du décideur.
Se résigner à ce que la réussite ne soit que la conséquence d’un heureux coup
de dés serait pourtant bien aventureux. L’incertitude qui entoure l’avenir peut être
domptée par une approche rationnelle visant à identifier les différents risques qui
menacent l’entreprise. Certains sont maîtrisables : il faudra s’adapter pour réduire
autant que possible leur probabilité d’apparition ou leur conséquence. D’autres ne le
sont pas : il importe alors d’assez bien les connaître pour évaluer les possibilités de se
protéger au mieux contre eux. Dans un cas comme dans l’autre, la mise en place
d’une gestion efficace des risques est impérative pour permettre au dirigeant de
conserver l’initiative, malgré les incertitudes, dans la gestion de son entreprise.
La menace constitue une source de danger distincte en raison de son carac-
tère intentionnel. La défense contre ce péril faisant appel à des techniques bien
particulières, elle ne sera pas traitée ci-après.
Les trois analyses proposées, issues des domaines de l’entreprise, de l’aéro-
nautique et de l’administration, permettent de brosser un large tableau des
démarches concrètes de maîtrise des risques mises en place dans chacun de ces
secteurs. Malgré la diversité des risques encourus, s’impose la conclusion qu’une
gestion efficace demande une réflexion profonde en matière d’organisation, à tous
Inhérente à toute activité entrepreneuriale, l’incertitude est directement liée
à la notion de risque. Aujourd’hui intégré aux instances dirigeantes de l’entreprise,
le Risk Management, à travers la fonction émergente du Risk Manager, a pour objec-
tif de réduire les risques pouvant toucher l’entreprise, de quelque nature qu’ils
soient, de réduire leur impact s’ils surviennent, et d’assurer les pertes financières et
extra-financières qu’ils pourraient engendrer.
Une entreprise constitue intrinsèquement un pari sur l’évolution future
d’une quantité virtuellement infinie de variables – caractéristiques du marché,
comportement du consommateur, innovation et bouleversements technologiques,
état de la législation ou de l’environnement économique, etc. – qui sont très majo-
ritairement exogènes à l’activité de l’entreprise et dont ses décideurs ne maîtrisent
souvent pas les sous-jacents. La gestion des risques, vue ici comme l’anticipation
des évolutions possibles des facteurs considérés comme les plus critiques, permet
de mieux appréhender l’incertitude. De cette anticipation doit découler une adap-
tation, afin de préserver l’entreprise des effets néfastes des principaux risques iden-
tifiés. En d’autres termes, la gestion des risques a pour objectif de réduire au maxi-
mum l’exposition des structures humaines et matérielles de l’entreprise à l’incerti-
tude liée à son activité.
Puisqu’elle résulte de la probabilité de survenance d’un événement
dommageable pour l’entreprise, la notion de risque est intrinsèquement liée à celle
d’incertitude. Cet événement peut être matériel – par exemple, un accident du tra-
vail – ou immatériel – la perte de notoriété – mais il engendre toujours une maté-
rialisation financière (perte de chiffre d’affaires, coûts supplémentaires) ou juri-
dique (amende, procès). La gestion des risques en entreprise recouvre deux réalités.
La première, au sommet, vise la stratégie de l’entreprise : la gestion des risques
devient alors un instrument d’aide à la décision, directement liée aux plus hautes
instances dirigeantes de l’entreprise. La seconde réalité, qui découle des orienta-
tions stratégiques de la première, irrigue, en les encadrant, l’ensemble des strates de
l’entreprise afin de réduire les risques de ses différentes activités. Elle revêt ici un
aspect davantage opérationnel et managérial.
Le Manager des risques en entreprises (MRE) (1), fonction nouvelle apparue
il y a une dizaine d’années, dirige, du haut vers le bas dans l’entreprise, l’applica-
tion de la politique de gestion des risques définie en Conseil d’administration.
(1) L’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (AMRAE), qui regroupe les Risks
Managers des principales entreprises françaises, travaille justement à la définition de la fonction de MRE.
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La maîtrise des risques, outil du dirigeant pour mieux cerner les incertitudes
(2) Chez Orange par exemple, les trois fonctions sont rattachées au directeur général délégué qui met en place la gou-
vernance nécessaire à l’établissement de synergies entre acteurs, outils et processus. La prise en compte de l’incertitude se
fait au sommet et permet d’intégrer le risque à la stratégie de l’entreprise.
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La maîtrise des risques, outil du dirigeant pour mieux cerner les incertitudes
Les activités aériennes reposent dans un premier temps sur des normes à
caractère obligatoire. Ces dernières ont su évoluer au cours des décennies au regard
du retour d’expérience, organisé à l’échelle mondiale, notamment par
l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Cette réglementation est
de trois natures : technique, organisationnelle et humaine.
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La maîtrise des risques, outil du dirigeant pour mieux cerner les incertitudes
Il s’agit dans les faits d’éviter des incidents ou accidents futurs. La plus-value
du système tient dans les mesures mises en œuvre afin d’éviter qu’un événement
similaire ne se reproduise et donc participe à la réduction de l’incertitude inhérente
à l’exercice de cette activité complexe. Son efficacité vaut également par la validation
de l’analyse et des recommandations par des autorités de surveillance indépendantes
et publiques (3). Celles-ci synthétisent à leur niveau tous les événements portés à leur
connaissance et émettent des recommandations qui s’imposent à tous.
Ces dysfonctionnements peuvent par ailleurs mener à l’évolution de la
réglementation.
Cette chaîne vertueuse repose sur le volume de comptes rendus d’évène-
ments traités. Plusieurs principes ont été adoptés. Sous certaines conditions, l’agent
de première ligne – le contrôleur, le mécanicien ou le pilote – bénéficie du prin-
cipe d’impunité dès lors qu’il a relaté un incident : il a l’assurance que son témoi-
gnage sera systématiquement analysé sans filtre hiérarchique.
Afin de diminuer l’occurrence des incidents, la publicité des conclusions de
toutes les études est assurée, à titre d’exemple au sein d’un centre de contrôle
aérien, auprès de chaque contrôleur. Dans la même logique toutes les recomman-
dations nationales sont prises en compte individuellement.
Cette démarche réactive est complétée par un processus d’anticipation.
Lorsqu’un changement est envisagé dans les procédures de travail, le matériel ou la
réglementation, une étude est menée en amont de sa mise en œuvre. Elle vise à
diminuer les incertitudes sur le niveau de sécurité final, potentiellement dégradé
par les changements d’habitudes et aléas propres à tout système dans lequel des
opérations humaines interviennent périodiquement.
Les études sont réalisées par les agents au niveau où s’applique le change-
ment pour être ensuite suivies et validées par l’autorité de surveillance.
Tout organisme qui envisage de modifier temporairement ou définitive-
ment l’environnement de ses activités aériennes doit étudier les conséquences de ce
changement et proposer des mesures en réduction de risque nécessaires au main-
tien du niveau de sécurité préalable. L’évaluation des risques est réalisée sous l’angle
de l’occurrence et de la gravité. Ainsi les actions visant à rendre ce risque acceptable
et permettre la mise en œuvre du changement en ayant évacué les incertitudes,
peuvent diminuer la fréquence et/ou les conséquences des événements redoutés.
Plus haut au-dessus de nos têtes, cette même logique est appliquée, notam-
ment en France depuis l’adoption, en 2008, de la loi relative aux opérations spa-
tiales. Cette loi renforce le rôle du Centre national d’études spatiales (Cnes) en tant
(3) En France, ces autorités sont la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) sous tutelle de l’Agence européenne
de la sécurité aérienne (AESA) et pour les aéronefs d’État, la Direction de la sécurité aéronautique d’État (DSAE).
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La maîtrise des risques, outil du dirigeant pour mieux cerner les incertitudes
Le rôle premier de l’administration publique est de préparer les normes
régissant la vie en société. La prolifération normative, source d’incertitude
juridique, génère cependant un risque susceptible de contrebalancer l’effet positif
de la règle adoptée. Des mécanismes d’encadrement permettent de garantir la qua-
lité des règles de droit édictées.
Le cœur de métier de l’administration de l’État est l’élaboration de normes
juridiques qui définissent le cadre d’action des acteurs de la société, en vue de faci-
liter leurs interactions. L’administration est donc par essence une productrice de
droit. Les règles que l’administration édicte ont vocation soit à s’appliquer de
manière universelle en précisant définitivement les obligations qui incombent à
chacun, soit à constituer un ensemble de normes par défaut, limitant ainsi le risque
d’oubli par les acteurs et l’obligation de négocier.
Ainsi, en matière commerciale, l’existence d’un ensemble complet de règles
par défaut signifie que des entreprises peuvent se concentrer sur les éléments essen-
tiels de leurs relations (notamment le produit ou le service vendu, son prix) sans
avoir à discuter longuement d’éléments qui nécessiteraient une analyse longue et
fastidieuse, voire sortiraient complètement de leur champ de compétence (comme
le choix du tribunal compétent en cas de litige, la procédure qu’il aurait à appliquer,
etc.). Dans cet exemple, les règles élaborées par la puissance publique permettent
aux acteurs privés de s’engager plus aisément dans des relations contractuelles. Elles
constituent donc un facteur important de réduction d’incertitude.
La création de droit présente cependant paradoxalement le risque de
pouvoir générer, par elle-même, l’incertitude : lorsqu’une norme est imprécise, peu
claire, voire plus brutalement incompatible avec une autre norme, apparaît le
phénomène d’insécurité juridique. Celui-ci a pour effet de brouiller la perception
qu’a le justiciable de ses droits. Il nuit à la possibilité de développer une jurispru-
dence cohérente. Il annule donc l’effet positif de la norme en tant qu’élément de
réduction de l’incertitude.
Cet effet indésirable de la création du droit a été identifié de longue date, le
Conseil d’État ayant appelé dès 1991 dans son rapport public annuel, De la sécurité
juridique, à la mobilisation des pouvoirs publics. Les décisions des juridictions fran-
çaises, européenne (Cour européenne des Droits de l’Homme) et communautaire
(Cour de Justice de l’Union européenne) ont souligné l’importance cruciale de cette
maîtrise du risque juridique dans la production de droit, en consacrant la sécurité
juridique comme une exigence fondamentale de leurs systèmes respectifs.
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La maîtrise des risques, outil du dirigeant pour mieux cerner les incertitudes
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La maîtrise des risques, outil du dirigeant pour mieux cerner les incertitudes
Les trois exemples pris montrent qu’une approche concrète, efficace et réa-
liste est possible afin d’identifier les risques de toute activité et y apporter une
réponse, source de liberté d’action.
Ainsi, la mise en place résolue d’une démarche « maîtrise des risques »
permet de transfigurer l’avenir : la maîtrise du danger étant réalisable, l’incertitude
ainsi gérée peut devenir source de plus de sécurité, d’opportunités, d’améliorations
ou de croissance.
Même dense, le « brouillard » de l’incertitude est moins menaçant car le
dirigeant est protégé par des outils légaux et organisationnels prenant pleinement
en compte le facteur humain. Cette « cuirasse » ainsi mise en place, doit toutefois
voir son poids savamment dosé afin de ne pas générer l’immobilité qu’elle
cherchait à déjouer…
Il revient au décideur de mettre en place des dispositifs de gestion des risques
adaptés à l’ampleur des problèmes potentiels : entre l’imprudence d’une méconnais-
sance totale des dangers et l’obsession paralysante d’une sécurité absolue qui n’est
qu’illusoire, le décideur a pour charge d’animer cette démarche de façon mature.
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Le commandement à l’épreuve
de la « maîtrise » des risques
Cyril de Jaurias (EDG)
M
a droite est enfoncée, ma gauche cède ; tout va bien, j’attaque ! Action
insensée ? Baroud d’honneur ? Instinct du chef de guerre ? Cette phrase
fameuse prononcée par Foch lors de la bataille des marais de Saint-Gond
(6-9 septembre 1914) nous plonge directement au cœur de la grandeur et de l’essen-
ce même du rôle de chef militaire : celui de prendre des décisions. Le commandant
ordonne, dirige, agit… mais pour réaliser tout cela il doit d’abord décider, choisir et
s’engager. Avec toutes les conséquences, positives ou négatives, que son choix peut
entraîner pour lui-même, pour les hommes qu’il commande et le succès de sa
mission. Ainsi prendre une décision, quelle qu’elle soit, c’est toujours prendre un ou
plusieurs risques. Celui d’échouer ou de se tromper bien sûr, mais aussi celui de
perdre des vies, et d’une manière générale toute sorte de risque qui amène à perdre
bien plus que ce que l’on cherche à obtenir. La prise de décision nécessite donc des
qualités individuelles fortes parmi lesquelles la capacité de jugement, la clairvoyance
mais aussi le courage et même l’audace parfois. Dans le cas du chef militaire une force
morale toute particulière est en plus nécessaire lorsqu’il s’agit d’engager sa vie et celles
des autres pour le bien supérieur qu’est la défense de la Nation et de ses intérêts.
Il est assez paradoxal de constater que les sociétés développées qui manifes-
tent une aversion particulièrement marquée pour le risque, allant même en France
jusqu’à élever le principe de précaution au rang de norme constitutionnelle, sont
aussi celles qui ont produit ces fameuses méthodes de gestion des risques,
particulièrement abouties dans le domaine des assurances, de la finance ou de
l’industrie. Que nous dit ce paradoxe sur le rapport que notre société entretient avec
le risque ? Quelle évolution a pu nous conduire jusque-là ?
Le sociologue allemand Ulrich Beck a montré dès le milieu des années 80 que
les sociétés occidentales étaient passées d’un type de développement usuellement
qualifié « d’industriel » à un modèle qu’il désigne par le terme de « société du risque ».
Il a ainsi exposé dans un ouvrage publié en 1986, traduit en France uniquement en
2001, que la technologie et la science, loin de nous avoir apporté la sécurité et la pro-
tection qu’elles semblaient nous promettre, avaient fait émerger un monde d’incerti-
tude et même d’insécurité tout en entretenant le mythe d’un contrôle total de l’hom-
me sur les éléments. La « nouvelle modernité » dans laquelle nous sommes entrés est
devenue celle d’un univers marqué par l’incertitude et le risque. Quand on songe aux
grandes catastrophes industrielles et nucléaires, récentes ou plus anciennes
(Fukushima bien sûr, mais également Tchernobyl, Bhopal en Inde ou AZF en
France), on mesure combien les avancées techniques sont également porteuses de
conséquences dramatiques pour l’environnement et l’homme. Les inquiétudes dans
le domaine sanitaire, qu’ont révélé les affaires du sang contaminé en France, les inter-
rogations sur la consommation des OGM ou la panique planétaire à l’occasion de la
vaccination pour la « pandémie » H1N1, ne font que rajouter au tableau d’une
société effrayée et paralysée par les risques qu’elle produit elle-même.
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Le commandement à l’épreuve de la « maîtrise » des risques
Les assureurs, dont l’activité repose par essence sur l’évaluation du risque,
ont développé en premier des techniques permettant d’optimiser leurs contrats. Le
monde industriel et les secteurs réputés « à risques », comme l’aéronautique ou la
médecine, s’y sont également intéressés de près afin de maîtriser les conséquences
de leur activité sur l’environnement ou sur la vie humaine. Quasiment toutes les
entreprises ont aujourd’hui une stratégie de gestion des risques leur permettant de
27
Le commandement à l’épreuve de la « maîtrise » des risques
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Le commandement à l’épreuve de la « maîtrise » des risques
Toutes les méthodes de gestion des risques procèdent ainsi d’une démarche
en trois étapes : tout d’abord l’identification des dangers de la manière la plus large
possible, ensuite l’évaluation de leur criticité afin de les hiérarchiser du plus au
moins risqué. La dernière étape consiste en la mise en place d’une stratégie de
traitement après analyse du coût de la prise de risque par rapport au bénéfice à en
tirer. Ce processus très itératif peut être réalisé de manière exhaustive pour une
analyse méthodique de grande ampleur : par exemple pour l’évaluation des modes
d’action dans le cas d’une planification opérationnelle. Elle peut aussi s’exercer très
rapidement et sans support, comme pour décider d’un appareillage un jour de
forte tempête par exemple. Ces méthodes sont utilisées depuis longtemps aux
États-Unis et dans l’Otan sous le terme d’« Operationnal Risk Management » et
trouvent une application fréquente dans le cadre de la préparation et la conduite
des opérations aériennes et aéroportées.
L’essentiel en gestion des risques c’est néanmoins de bien comprendre que
l’utilisation d’une méthode n’est pas une fin en soi : la démarche n’a de valeur que
parce qu’à la fin du processus le chef décide si le risque est acceptable ou pas. Gérer
les risques c’est savoir prendre et savoir faire prendre des décisions au bon niveau
en se préparant et en assumant toutes les conséquences potentielles. Tout en
gardant à l’esprit qu’il reste une part d’incertitude sur des risques non identifiés ou
dont la criticité a été mal évaluée. Ce point est essentiel et ne pas l’admettre c’est
entretenir l’illusion du risque zéro : l’incertitude peut être réduite au minimum,
elle ne doit jamais être niée. En ce sens le terme de « maîtrise » des risques en accep-
tion française est impropre à rendre compte de la réalité du Risk Management dans
la mesure où il laisse entendre une capacité de l’homme à dominer tous les risques.
L’accident de Fukushima nous rappelle bien que le pire est toujours possible.
29
Le commandement à l’épreuve de la « maîtrise » des risques
d’abord parce qu’elle est la plupart du temps associée à la notion de « tête brûlée »,
c’est-à-dire qu’elle correspond trop souvent à une compréhension du risque
comme la mise en danger individuelle. Mais aussi parce que l’environnement d’une
société pétrie du principe de précaution a induit, y compris chez les militaires, une
forme de paralysie de la décision en raison notamment de la judiciarisation impor-
tante qu’elle a apportée. Enfin les méthodes du Risk Management décrites
précédemment, même si elles ont commencé à faire leur apparition, ne sont pas
encore bien appréhendées. On les connaît surtout dans les secteurs à risques
comme l’aéronautique ou le nucléaire ainsi que dans les états-majors en charge des
affaires environnementales. Mais elles restent encore d’une approche très technique
et se confondent encore trop souvent avec l’idée de « maîtrise » des risques.
Tout cela ne signifie pas pour autant que le militaire ne sait pas prendre des
risques, les opérations récentes l’ont d’ailleurs bien montré. En revanche l’approche
du risque y reste plutôt individualisée et souvent de nature instinctive car liée au
caractère du chef.
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Le commandement à l’épreuve de la « maîtrise » des risques
Éléments de bibliographie
Ulrich Beck : La société du risque, sur la voie d’une autre modernité ; (publié en allemand en 1986), Édition
Flammarion, 2003 ; 522 pages.
François Ewald, Christian Gollier, Nicolas de Sadeleer : Le principe de précaution ; Puf, 2009 ; 127 pages.
René Amalberti : La conduite des systèmes à risque ; 2e édition, PUF, 2001 ; 239 pages.
Général Vincent Desportes : Décider dans l’incertitude ; 2e édition, Économica, 2007 ; 219 pages.
US Army Risk Management : Field manual FM 100-14 ; 1998.
US Army Risk Management : MTTP ; 2001.
Paul-Marie Vilbé : « La société du risque et la guerre » in Revue Défense Nationale n° 729, avril 2010.
Group captain S.J. Blake : « Operationnal Risk Management and Deployed Operation » in Defense Aviation Safety centre ;
2008.
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Bonnes pratiques
de gestion de l’incertitude
dans les entreprises privées
Alain Beauvillard (ENA)
Juliette Simonin (HEC)
D
ans un contexte économique, technologique et géopolitique de plus en
plus complexe et imprévisible, les méthodes de gestion de l’incertitude
ainsi que les capacités de résilience et d’adaptation développées au sein des
entreprises privées sont devenues des sources essentielles de création d’avantages
compétitifs et des facteurs déterminants pour assurer leur performance et leur
survie dans la durée. En s’appuyant sur une récente étude (1) menée par le cabinet
de conseil en stratégie et en management Bain & Company auprès d’un large éven-
tail de dirigeants d’entreprise, il est possible de distinguer certains des principaux
facteurs d’incertitude qui pèsent sur les entreprises privées et de mettre en lumière
plusieurs bonnes pratiques identifiées parmi les plus performantes en termes de
croissance et de profitabilité.
(1) L’étude « The Great Repeatable Model Study », menée au cours de l’année 2011 auprès de 377 dirigeants et membres
de conseils d’administration d’entreprises, s’attache notamment à identifier les meilleures pratiques dans la gestion de
l’incertitude et de la complexité. L’échantillon des entreprises interrogées couvre une vaste zone géographique (États-Unis,
Europe, Asie), un large éventail de secteurs et d’industries (manufacturier, télécommunications/technologie/médias,
services financiers, santé…) avec des volumes d’activité allant de 100 millions à plus de 10 milliards d’euros de chiffres
d’affaires. Deux critères principaux ont été retenus pour évaluer le niveau de performance : la croissance du chiffre
d’affaires et la rentabilité, analysées sur une période longue (>10 ans). Les entreprises les plus performantes correspondent
aux deux premiers déciles et les entreprises les moins performantes aux 3 derniers déciles.
www.bain.com/about/press/press-releases/the-great-repeatable-model-survey.aspx.
Comment les éléments suivants vont-ils changer dans les 5 prochaines années versus les 10 dernières années ?
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Bonnes pratiques de gestion de l’incertitude dans les entreprises privées
Des incertitudes qui affectent les entreprises tant au niveau stratégique (réflexion et
décision) qu’au niveau organisationnel et opérationnel (réalisation et mise en œuvre)
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Bonnes pratiques de gestion de l’incertitude dans les entreprises privées
(2) Parmi les techniques de créativité les plus utilisées, le Scenario Planning, le Systematic Inventive Thinking et le Creative
Problem Solving sont le plus souvent évoqués.
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Bonnes pratiques de gestion de l’incertitude dans les entreprises privées
(3) La théorie du cygne noir (« The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable » ; Penguin, 2008) développée par
le philosophe, mathématicien et financier Nassim Nicholas Taleb s’attache à l’étude des événements imprévisibles ayant
une très faible probabilité d’occurrence, mais qui, s’ils se réalisent, ont des conséquences d’une portée considérable et
exceptionnelle. Cette théorie a été, dans un premier temps, appliquée au monde de la finance pour démontrer que les
événements rares sont souvent sous-valorisés.
(4) P. Cornelius, A. Van de Putte and M. Romani : « Three Decades of Scenario Planning in Shell » in California
Management Review ; 2005.
37
Bonnes pratiques de gestion de l’incertitude dans les entreprises privées
(5) Voir les études menées par Clayton M. Christensen : The Innovator’s Dilemma (Harvard Business School Press, 1997 ;
320 pages) et The Innovator’s Solution (Harvard Business School Press, 2003 ; 288 pages).
(6) Kim W. Chan, Renee Mauborgne : Blue Ocean Strategy: How To Create Uncontested Market Space And Make The
Competition Irrelevant ; Harvard Business School Press, 2005 ; 272 pages.
38
Bonnes pratiques de gestion de l’incertitude dans les entreprises privées
39
Bonnes pratiques de gestion de l’incertitude dans les entreprises privées
La gestion de l’incertitude affecte non seulement la réflexion stratégique mais
aussi l’ensemble de la structure, de l’organisation et des processus opérationnels de
40
Bonnes pratiques de gestion de l’incertitude dans les entreprises privées
l’entreprise. Les meilleures pratiques observées indiquent que, pour garder l’initia-
tive dans ces périodes d’incertitude, le décideur doit disposer d’outils pour navi-
guer dans le « champ des possibles » et construire les scénarios les plus favorables.
Il doit par ailleurs veiller à conserver en permanence de la flexibilité et de la
réactivité dans son organisation. Il s’agit donc de développer et de combiner les
compétences-clés suivantes :
l Perception et détection afin de capter, d’interpréter et de comprendre dès
les premiers signaux les tendances de changement et d’anticiper les comportements
des autres acteurs.
l Intelligence et orientation afin de tirer profit de l’incertitude pour réin-
venter son modèle économique, réorienter son positionnement stratégique et défi-
nir les nouvelles règles du jeu dans les différents scénarios à venir.
l Résilience et versatilité afin de s’adapter aux niveaux stratégiques, orga-
nisationnels et opérationnels sur les différents horizons de temps pour anticiper les
chocs du changement et apprivoiser l’incertitude.
Au-delà des nombreux outils et méthodes utilisés pour améliorer la gestion
de l’incertitude dans les entreprises, la personnalité du décideur, sa capacité à faire
preuve d’audace, de vision et de volontarisme pour motiver, entraîner et guider ses
équipes, constitue également l’un des facteurs de succès les plus déterminants.
41
La culture du risque
dans l’action de l’État :
approches croisées
Jean-Robert Jouanny (ENA)
Rémi Songeur (EDG)
C
omment les décideurs institutionnels, civils et militaires, appréhendent-ils
le risque ? Comment s’exprime la culture du risque dans l’action de l’État ?
Existe-t-elle seulement encore ? Avec des moyens de plus en plus comptés,
ont-ils les capacités d’y faire face ? Avant de réfléchir à ces questions, quelques
précisions sémantiques s’imposent.
Que faut-il entendre par risque ? Les définitions sont nombreuses et se
confondent parfois avec des notions proches comme l’aléa, l’incertitude, la
menace, le danger, la surprise, le pari... La Cour de cassation a rendu public en
2011 un rapport sur le risque et ses implications en matière juridique, étude diri-
gée par le professeur Jacques Moury. On y apprend qu’étymologiquement, le terme
nous vient du latin médiéval resicum qui alors se définit comme « une entreprise au
résultat incertain », notion essentiellement juridique, puisque se rapportant à un
droit maritime naissant. C’est plus tard que le terme prendra un champ plus
étendu, mais également moins précis. Pour le Littré, le risque est un péril dans
lequel entre l’idée de hasard, alors que pour le Petit Robert, c’est un danger éven-
tuel plus ou moins prévisible. Sur un plan conceptuel, on peut définir deux formes
de risque. Le risque exogène, c’est celui qui s’impose de l’extérieur et qu’on ne maî-
trise pas, et le risque endogène, c’est celui qui est lié à un choix, à une décision qui
privilégie une solution par rapport à une autre, alors que chacune présente des
avantages et des inconvénients.
Que serait alors une « culture du risque » ? Le sociologue britannique
Anthony Giddens, connu pour ses travaux sur les conséquences de la modernité (1),
l’a définie comme « un aspect culturel fondamental de la modernité, par lequel la
conscience des risques encourus devient un moyen de coloniser le futur ». La
culture du risque serait alors non seulement connaissance du risque, mais aussi
capacité à l’anticiper et aptitude à agir pour y faire face. Elle revêt alors deux
dimensions : une dimension individuelle, correspondant aux aptitudes du décideur
(1) Anthony Giddens : Les Conséquences de la modernité ; traduit de l’anglais par Olivier Meyer, L’Harmattan, 2000 ;
192 pages.
Tout décideur rationnel est hanté par le risque qu’il prend lorsqu’il est
amené à faire un choix. Choisir, c’est renoncer, a-t-on coutume d’entendre. La
solution que va choisir le décideur – les militaires parleraient de mode
d’action (MA) face à un ennemi – s’impose rarement d’elle-même. Elle comporte
une prise de risques qui doit être assumée. Le décideur institutionnel engage la
responsabilité de l’État, voire la sécurité et la défense de ses propres concitoyens ;
on mesure alors l’importance de ses décisions. Dès lors, on comprend que la
culture du risque qui entoure, plutôt « dans laquelle baigne » le décideur, devient
essentielle, car c’est elle qui le conduira à prendre les décisions qui garantiront
l’intérêt public.
(2) Callon Michel, Lascoumes Pierre, Barthe Yannick : Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique ;
Éditions du Seuil, 2001 ; p. 37.
(3) Responsabilité et socialisation du risque ; Rapport public du Conseil d’État, 2005 ; p. 338.
44
La culture du risque dans l’action de l’État : approches croisées
45
La culture du risque dans l’action de l’État : approches croisées
46
La culture du risque dans l’action de l’État : approches croisées
Le risque, « c’est un danger dont on considère qu’il est aléatoire, sans cause.
C’est un danger dont il s’agit moins d’imputer les occurrences passées à des fautifs
que de prévoir les occurrences futures » (9). Depuis plusieurs années, cette acception
du risque orientée vers le futur guide l’administration dans tous les domaines de la
vie publique. Suite à la catastrophe d’AZF, la loi du 30 juillet 2003 a notamment
motivé l’élaboration dans toutes les préfectures de France de plans de prévention
des risques technologiques pour les installations « à risque », rejoignant une biblio-
thèque de plans de prévention particulièrement riche : mouvements de terrains,
inondations, feux de forêt, etc. Il est toutefois légitime de s’interroger sur cet exer-
cice systématique de prévention des risques, à la suite d’Ulrich Beck, pour qui, « les
risques ont (…) quelque chose d’irréel. Ils sont fondamentalement réels et irréels à
la fois » (10). La prévention du risque revêt, dès lors, une acception plus morale
qu’opérationnelle : à défaut de pouvoir effectivement prévenir la survenance d’un
risque dont les conséquences sont nécessairement ignorées ex ante, l’administration
déploie une volonté de prévention.
(8) Rapport du député René Dosière, 29 juin 2000, cité dans le rapport public du Conseil d’État, op.cit., p. 225.
(9) Peretti-Watel Patrick : La Société du risque, op.cit., p. 19.
(10) Beck Ulrich : La Société du risque ; Champs Flammarion, 2001 ; p. 61.
(11) Ibid., p. 132.
47
La culture du risque dans l’action de l’État : approches croisées
« Dans ces temps de précaution (...), le goût du risque peut apparaître comme
une anomalie ; le revendiquer ou s’en prévaloir, comme une provocation ». Le général
48
La culture du risque dans l’action de l’État : approches croisées
49
La culture du risque dans l’action de l’État : approches croisées
(21) L’Auftragstaktik est le principe du commandement par objectif qui a été développé dans l’armée prussienne puis alle-
mande. Il repose sur une grande liberté d’action laissée aux subordonnés et s’oppose en cela à un système centralisateur.
50
La culture du risque dans l’action de l’État : approches croisées
51
S’organiser
pourfairefaceàl’imprévu
RDN
L
orsqu’il s’agit de décider, l’homme est seul pour prononcer son choix. Le
chef militaire aussi bien que le dirigeant d’une entreprise se trouve à plu-
sieurs reprises au cours de sa carrière face à des choix qui seront déterminants
pour l’avenir. Ils pourront dans le premier cas avoir des conséquences sur le cours
d’une bataille et remettre en cause la puissance d’un État ; et dans le second, déve-
lopper ou mettre en péril la société en acquérant ou se privant d’une technologie
indispensable pour les années futures.
Si la décision est l’apanage du chef, cela ne signifie pas pour autant qu’il
doit être seul pour analyser le problème et élaborer les différentes options parmi
lesquelles il trouvera la plus adéquate. De plus, le temps parfois contraint pour
trouver une solution ou la complexité générale d’une situation le conduit à recher-
cher de l’aide par ailleurs. C’est pour cette raison qu’il s’est rapidement entouré
d’outils d’aide à la décision aux formes très variées et qui ont été perfectionnés au
fil du temps. Par ailleurs, avec les progrès technologiques et l’avènement de l’infor-
matique, la quantité de données analysées est toujours plus importante et l’on peut
se demander si la machine ne va pas devenir plus efficace que l’homme pour ana-
lyser une situation et prendre la meilleure décision en conséquence.
Pourtant, la décision reste et restera entre les mains de l’homme malgré les
évolutions technologiques à venir. L’homme est au cœur de la décision et les
systèmes d’aide ne restent que des outils. En effet, l’acte décisionnel est lié à la fois,
à l’analyse de la situation réalisée par le décideur mais aussi à sa conception de
l’avenir. Et ces deux éléments sont indissociables pour la prise de décision.
Par la suite, nous verrons comment au fil du temps, nous avons tenté de
donner un rôle prédominant aux outils d’aide à la décision grâce aux évolutions
technologiques. Mais aussi, nous constaterons les limites de ces aides à la fois par
leur nature et par leur fonction. En outre, cet article orientera sensiblement son
étude au domaine militaire mais nous verrons qu’il peut être appliqué sans réserve
dans tous les milieux et à tous les niveaux, que ce soit dans les grandes entreprises
ou dans les administrations.
56
L’aide à la décision : des conseillers aux algorithmes
D’abord, l’objectivité tant recherchée dans les systèmes d’aide à décision est
relative. Si on reprend le dernier exemple du logiciel Simulia ADS, avant de fournir
une première aide, il doit être « alimenté » en données de base, qui sont renseignées
par des humains. Ces données sont objectives mais l’interprétation de leurs rela-
tions réciproques est beaucoup plus complexe et par conséquent plus subjective.
Ainsi, l’attribution des coefficients de pondération donne une part de subjectivité
à la simulation. En outre, ces données doivent être mises à jour continuellement
pour être en mesure de fournir une aide pertinente le moment voulu. Par ailleurs,
l’élaboration du logiciel nécessite des choix de la part de son concepteur, ce qui lui
donne naturellement un certain degré de subjectivité. De plus, grâce à ce type de
logiciel, on se rend compte du puits sans fond dans lequel on peut s’engouffrer en
tentant de décrire un pays de manière analytique. Chaque domaine d’étude
comporte des sous-domaines, qui comprennent chacun des rubriques puis des
sous-rubriques, qui auront toutes une influence sur le résultat final de l’étude.
Cette méthode d’analyse peut être comparée à une fractale dans laquelle il est
possible de descendre et zoomer continuellement à l’infini. Au final, on constate
qu’il reste toujours une part d’incertitude car il n’est pas possible d’étudier tous les
domaines de manière exhaustive sur une situation complexe.
L’incertitude : elle constitue un premier obstacle de taille pour les outils
d’aide à la décision informatisés qui procèdent par méthode analytique. Certes, il
peut sembler plus rassurant pour le chef d’essayer de l’ignorer et de prendre une
décision en s’appuyant sur des éléments concrets plutôt que sur des impressions.
Malheureusement cela ne suffit pas pour la faire disparaître, et même, au contraire,
cela la rend encore plus présente.
57
L’aide à la décision : des conseillers aux algorithmes
58
L’aide à la décision : des conseillers aux algorithmes
sans objectif final. C’est sans doute la raison pour laquelle, 15 ans plus tard, cette
expérience qui paraissait si prometteuse est restée orpheline. Il est clairement
apparu qu’une vision sur le long terme était un élément indispensable et intrinsè-
quement lié au décideur ; et donc elle ne pourrait pas être réalisée à partir de
systèmes d’aide à la décision aussi perfectionnés qu’ils puissent être.
59
L’aide à la décision : des conseillers aux algorithmes
remplace en aucun cas le chef qui seul prend la décision selon ses critères propres
et que les outils d’aide à la décision peuvent conforter.
La décision reste au final et dans la plupart des cas prise par une seule
personne. Si, de temps en temps, elle est le fruit d’une décision collégiale, elle n’en
demeure pas moins une action qui donnera une orientation unique et dont les
conséquences, bonnes ou mauvaises, seront la responsabilité du décideur.
Comme disait avec un verbe incisif le publicitaire américain David Ogilvy :
« Trop de gens se servent des études comme un ivrogne d’un réverbère : davantage
pour s’appuyer que pour éclairer ». À ce titre, les outils d’aide à la décision, aussi
perfectionnés soient-ils, ne sont là que pour assister le chef. S’ils peuvent, grâce à
la technologie et aux algorithmes, parfois remplacer les conseillers d’antan, ils n’ont
ni la vision du décideur, ni ses responsabilités. C’est pourquoi, les outils d’aide à la
décision, même s’ils sont devenus indispensables dans de nombreuses situations,
garderont toujours un rôle limité et serviront dans la plupart des cas à appuyer la
décision du chef.
60
Le renseignement
et la prospective
réduisent-ils l’incertitude ?
Benjamin de Maillard (ENA)
Olivier Saunier (EDG)
D
ans le domaine stratégique, le renseignement et la prospective constituent
deux outils indispensables d’aide à la décision, souvent considérés comme
des moyens de réduire l’incertitude dans le processus décisionnel. Leur
importance en France a été récemment renforcée avec la création de la fonction
d’anticipation dans le Livre blanc de la Défense et de la Sécurité nationale de 2008.
La piste de réflexion que souhaite esquisser cet article est la suivante : la cri-
tique des échecs en matière stratégique repose généralement sur une conception
erronée du rôle du renseignement et de la prospective dans le processus décision-
nel, conception qui est en fait partagée par certains décideurs et qui conduit à orga-
niser de manière inefficiente la préparation de la décision. Dans cette conception
de leur rôle, ces deux fonctions devraient permettre de réduire la part d’inconnu
de la situation et donc l’incertitude des décideurs. Le raisonnement critique peut
être ainsi schématisé : si les décideurs ont à leur disposition des renseignements
pertinents et/ou une étude prospective sérieuse, ils peuvent prendre la bonne
décision. S’ils ont ces éléments à disposition et qu’ils n’ont pas pris les bonnes
décisions, ils sont incompétents. Les décideurs attendent ainsi généralement du
renseignement et de la prospective qu’ils réduisent l’incertitude. Ce bref article
suggère que leur rôle est en fait de contribuer à maîtriser l’incertitude. De cette
nuance découle une conception différente du processus décisionnel.
(1) Sénat : La fonction « anticipation stratégique » : quel renforcement depuis le Livre blanc ? ; Rapport n° 585, 8 juin 2011.
(2) Henri Bergson : La Pensée et le mouvant ; Puf, 1946 ; Introduction (Première partie), section : « Mouvement rétro-
grade du vrai : mirage du présent dans le passé ».
(3) Olivier Roy : : « La démocratisation du Moyen-Orient est incontournable, malgré la montée des islamistes » ; Note
pour le Cap, 24 février 2005.
62
Le renseignement et la prospective réduisent-ils l’incertitude ?
63
Le renseignement et la prospective réduisent-ils l’incertitude ?
2008, ni la chute de Ben Ali et de Moubarak. Les révolutions ont ceci de particulier
qu’elles paraissent toujours inéluctables a posteriori et impossibles a priori. Il est donc
ridicule de s’en prendre aux diplomates pour n’avoir pas prédit ce qu’aucun service de
renseignement d’aucun pays occidental n’avait anticipé. Le problème n’est pas là ». Il
critiquait ainsi cette idée selon laquelle les études prospectives devraient être destinées
à réduire l’incertitude du processus décisionnel « Personne ne prévoit jamais rien » ne
signifie pas que personne n’a jamais émis l’hypothèse d’un effondrement de l’URSS
ou du régime de Ben Ali, mais qu’au moment où cette hypothèse a été formulée, elle
n’était qu’une hypothèse plus ou moins bien étayée qu’aucun organisme ne pouvait
considérer comme un fait sur lequel fonder sa politique extérieure.
Mais quel rôle alors donner au renseignement et à la prospective dans le
processus décisionnel ? Faut-il considérer qu’ils n’apportent en fait aucune aide à la
décision ? La solution provient sans doute d’une mise en perspective différente de
leur rôle.
64
Le renseignement et la prospective réduisent-ils l’incertitude ?
65
L’utopie
de l’organisation idéale
David Krieff (ENA)
Louis Tillier (EDG)
Aymon Westphal (HEC)
L
a décision et l’action dans l’incertitude font appel à toutes les qualités du
manager : sa vision, son courage, sa force de conviction, un esprit ouvert au
changement qui sache ne pas être victime des modes. Le dirigeant n’agit
cependant ni seul ni face à une foule indistincte, mais au sein d’une organisation
dont il n’est qu’un acteur parmi d’autres. C’est elle qui conditionnera largement son
succès, car non seulement il ne peut agir que par elle, mais encore lui détermine-t-elle
bien souvent des modes d’actions. Le champ des possibles qu’elle circonscrit agit
parfois comme une limite, parfois comme une richesse insoupçonnée.
Dès lors, existe-t-il une organisation idéale, à la fois efficace en toutes
circonstances et susceptible d’évolution ? Une organisation dans laquelle la manière
dont le rôle respectif des acteurs, les flux d’informations et les mécanismes de prises
de décisions sont organisés de manière à permettre une prise de décision optimale
face à un environnement et à des situations marquées par l’incertitude ? La réponse
est évidemment négative. Des principes généraux relatifs à l’adéquation entre orga-
nisation et incertitude peuvent néanmoins être mis en évidence.
L’incertitude quotidienne
Environnement mouvant
Environnement stable
(2) Les 3 types restant sont les organisations fondées sur une idéologie forte, celles essentiellement dominées par les diver-
gences politiques, et les organisations d’organisation qui regroupent des structures relevant d’un des 4 types décrits ci-après.
68
L’utopie de l’organisation idéale
L’organisation entrepreneuriale
L’organisation mécaniste
Aujourd’hui, elle se déploie dans les secteurs dont les activités se prêtent à
décomposition, dont les tâches sont simples. Son obsession de l’amélioration de
l’efficacité de ses procédés fait en revanche obstacle à un véritable revirement de
stratégie, et donc à l’adaptation aux évolutions radicales de son environnement.
L’organisation professionnelle
69
L’utopie de l’organisation idéale
L’organisation innovante
(3) L’acquisition de ce savoir-faire (détenu aujourd’hui par deux nations, les États-Unis et la France) exige de la durée et
nécessite des efforts importants : ainsi le premier porte-avions chinois ne sera probablement pas opérationnel avant la fin
de la décennie.
70
L’utopie de l’organisation idéale
71
L’utopie de l’organisation idéale
du marché trop tôt pour en tirer profit. D’autre part, ces cabinets, souvent posi-
tionnés auprès des directions générales (8), ne sont généralement pas en position de
vérifier rapidement la pertinence des solutions qu’ils proposent, ni de repérer les
initiatives lancées par les opérateurs de la structure, qui sont souvent à l’origine des
stratégies les plus originales.
Nous sommes donc face à deux façons de procéder que nous retrouvons
dans les groupes d’intervention comme le GIGN lors des prises d’otages, et en cas
d’échec des négociations. Le premier mode, préférentiel, est celui de l’intervention
provoquée. Le moment de l’assaut est choisi par le groupe à un moment où l’envi-
ronnement semble maîtrisé et la situation favorable à l’attaque et la reprise d’initia-
tive. Le deuxième mode est l’intervention urgente, dès que la situation sort de tout
contrôle et nécessite une réaction immédiate des acteurs opérationnels. Ces deux
modes d’action doivent pouvoir être prévus par toute organisation. En premier lieu
agir, après étude attentive de l’environnement tout en le modelant vers un
optimum, au moment opportun. Mais également la capacité de réagir rapidement
pour saisir une opportunité suite à un changement d’environnement subi ou
provoqué dans l’incertitude. Cette incertitude est marquée par l’affrontement de
deux volontés : elle est dynamique, évolutive et radicale. À partir d’une phase de
négociations, elle peut rapidement basculer dans un état d’extrême violence. Elle
oppose un acteur, son refus d’une rationalité et d’un cadre légal acceptés par la
société, à un groupe d’intervention qui agit dans un cadre circonscrit et avec des
règles. Cette intensité, ce dynamisme et l’émotion véhiculés par une telle situation
doivent donc être parfaitement maîtrisés. L’organisation met en avant l’initiative
des acteurs (professionnalisme élevé), leur préparation (mécanisation des modes
d’action qui est autant l’apprentissage de gestes que la connaissance mutuelle entre
acteurs qui agiront simultanément au moment de l’assaut) et leur capacité d’écoute
de l’environnement.
(8) Certains cabinets de conseil agissent autant auprès des directions générales qu’au niveau opérationnel, managérial.
72
L’utopie de l’organisation idéale
Management :
Phase 1 : l réalisation d’études stratégiques à des fins d’anticipation
compréhension l proximité avec le terrain
l Formalisation de la stratégie
par le management
l Déclinaison de la stratégie
dans des plans de formations
à fréquence accrue
l Formalisation de la stratégie
Phase 3 : par le management l Accroissement des échanges
parangonnage entre opérateurs en mettant
l Déclinaison de la stratégie
des «bonnes pratiques » au centre les opérateurs
dans les procédures de la structure
à l’origine des pratiques sélectionnées
l Mise en place de contrôles
et d’incitations temporaires
pour s’assurer de l’adoption
des nouvelles pratiques
73
L’utopie de l’organisation idéale
74
Réduire l’incertitude
par les alliances stratégiques
et les ententes
Adeline Deroubaix (ENA)
Éric Facomprez (EDG)
D
ans le domaine stratégique comme en matière d’économie, une des princi-
pales sources d’incertitude réside pour le décideur dans le comportement des
autres acteurs. Ainsi, une action stratégique sur un marché comme une
baisse des prix ou le lancement d’un nouveau produit peut-elle être anticipée et
contrée par les concurrents et perdre par là même tout intérêt. Dès lors, les entreprises
et leurs décideurs peuvent souhaiter afin de minimiser cette incertitude se coordon-
ner avec leurs concurrents, selon un panel de stratégies qui vont de l’alliance
ponctuelle en vue de développer une technologie particulière à l’entente anticoncur-
rentielle sur les prix ou pour se partager un marché.
Cependant, outre leur effet parfois négatif pour les consommateurs, ces
stratégies collectives, très prisées en périodes de difficultés, peuvent avoir des
inconvénients réels et des coûts parfois importants et le choix de s’engager dans ces
coopérations doit donc être mûrement réfléchi. Dès lors, l’étude de ces stratégies
collectives et de leurs résultats est riche d’enseignements pour les décideurs, quel
que soit leur domaine d’action. Après avoir exposé ces différents aspects des
alliances et ententes économiques, cet article propose donc un essai de transposi-
tion de ces leçons au domaine de la stratégie internationale.
Mais les stratégies d’alliance sont aussi souvent le signe d’un contexte écono-
mique difficile : ainsi, la Commission européenne a récemment indiqué que la crise
économique ne saurait justifier les ententes, bien au contraire (1). On constate aussi
que de nombreux cartels, dont certains ont connu une longévité importante concer-
nent des secteurs ou des marchés où la demande était stable ou en déclin, notam-
ment dans le domaine de la chimie. Dans ces secteurs en effet, une lutte concurren-
tielle sur des marges déjà faibles conduirait à la disparition de certains acteurs voire
à un affaiblissement général. Confrontés à l’incertitude sur l’évolution de la
demande, les entreprises sont donc incitées à s’entendre pour s’assurer un profit
minimal mais cette stratégie ne réduit pas totalement l’incertitude.
Selon différentes études économiques (2), la durée de vie d’un cartel serait en
moyenne de 3,7 à 7,3 ans : cette durée relativement limitée montre que les ententes
ne permettent pas d’instaurer une stabilité et une prédictibilité à long terme. Au
contraire, on peut même penser que ces stratégies renforcent elles-mêmes certaines
sources d’incertitude : ainsi, les premières causes de rupture des cartels sont la
tricherie et les désaccords entre acteurs ou des chocs externes (arrivée de nouveaux
acteurs, choc technologique…). L’entente tend en effet à terme à fragiliser les
acteurs car elle les rend moins attentifs aux évolutions du marché et des technolo-
gies, leur donnant une impression factice de sécurité, et réduisant leur flexibilité et
leur capacité d’adaptation.
(1) Cf. communiqué de presse de la Commission européenne du 7 décembre 2011 (disponible sur Europa.eu).
(2) Cf. Eckbo, Griffin et Marquez et Suslow.
(3) Décision 05-D-64 du 25 novembre 2005.
76
Réduire l’incertitude par les alliances stratégiques et les ententes
77
Réduire l’incertitude par les alliances stratégiques et les ententes
réflexion sur l’utilité des alliances stratégiques dans le champ économique peuvent
être transposées aux relations entre États.
Tout d’abord, le domaine stratégique a pu lui aussi connaître des ententes au
succès réel bien qu’assez éphémère : ainsi, le concert européen a-t-il assuré entre 1815
et 1823 une certaine stabilité du continent dans une logique de neutralisation
mutuelle et volontaire des grandes puissances. Cependant, cette expérience n’a eu
qu’une durée limitée. L’échec en 1914 des stratégies d’alliances européennes, triple
entente et triple alliance a ainsi démontré au contraire l’aspect délétère d’alliances
stratégiques purement défensives, figeant les positions et basées sur une opposition
binaire entre camps. Ces alliances n’ont en effet fait qu’accentuer l’autisme des puis-
sances européennes face à l’arrivée de temps nouveaux caractérisés par l’émergence de
puissances non européennes , telles que le Japon, et le déclin de certaines autres, au
premier rang desquelles la Russie. Dès lors, la victoire du Japon sur la Russie en 1905,
préfiguratrice d’un nouvel équilibre mondial, retentit-elle comme un coup de
tonnerre dans le ciel européen dont les nations furent incapables de s’adapter rapi-
dement à cette nouvelle donne.
Par ailleurs, comme les ententes économiques, ces alliances engendrent des
coûts liés à la mise en place de normes et de codes de conduites mais aussi de
processus de vérification permettant de repérer et de sanctionner les comportements
déviants. L’expérience des accords de désarmement, et notamment les difficultés
rencontrées lors des négociations des traités START (STrategic Arms Reduction Treaty)
et SORT (Strategic Offensive Reductions), avec l’échec des discussions sur START III,
constitue un exemple flagrant de la difficulté de négocier de telles clauses de vérifi-
cation et de transparence qui sont pourtant essentielles à une mise en œuvre effective
des accords et à l’établissement d’une confiance réciproque nécessaire à la réduction
de l’incertitude touchant au comportement du partenaire.
Dès lors, eu égard tant à leurs coûts de négociation qu’à leurs effets poten-
tiellement délétères, c’est donc bien vers des alliances allant au-delà de la simple
préservation d’un équilibre factice qu’il faut tendre, en plaçant au cœur de ces
coopérations des valeurs et une vision commune et en favorisant l’émergence de
projets concrets. Ces alliances fondées sur des affinités idéologiques et culturelles
et sur des valeurs partagées donnent en effet aux membres le sentiment d’apparte-
nance à une même « communauté de sens » et favorisent le développement d’inté-
grations plus poussées, porteuses de synergies. À cet égard, l’Otan a développé le
concept d’une communauté de valeurs atlantiques, valeurs de liberté et de démo-
cratie, sur laquelle a été fondé le système de sécurité collective. Cette notion a été
particulièrement mise en avant dans la période post-guerre froide et elle a donné
lieu à une réflexion approfondie, notamment dans le cadre de l’élaboration du
nouveau concept stratégique. Si le fondement idéologique de l’Alliance apparaît
ainsi assuré, la question de l’ouverture aux « nouveaux entrants » qui partageraient
ces valeurs, dont nous avons vu combien elle est essentielle pour garantir la solidité
des alliances grâce à une remise en cause permanente de leurs membres, reste
78
Réduire l’incertitude par les alliances stratégiques et les ententes
79
La prise en compte du droit
dans un cycle de décision :
entre incertitude, dédain et crainte
Renaud Grunenwald (HEC)
Thomas Rosier (HEC)
À
une époque où la loi est toujours plus présente, mais moins cardinale et
excessivement technique, l’aphorisme de Lacordaire n’est plus une réalité.
Aujourd’hui pour le citoyen, c’est bien souvent la loi, ou plutôt l’excès de
lois, qui est devenue l’oppresseur. Dans sa déclaration au Parlement du
19 mai 1995, le président Jacques Chirac reconnaissait que « Trop de lois tuent la
loi (…) l’inflation normative est devenue paralysante. Il faut mettre un terme à
cette situation qui pénalise les plus faibles et entrave l’esprit d’entreprise au seul
bénéfice des spécialistes qui font écran entre le citoyen et le droit » (1). Sans même
juger du résultat au fond, l’observateur constate que les trois dernières mandatures
ont conduit à toujours plus de lois.
Les règles juridiques ont envahi progressivement tous les domaines de la vie
des affaires. De la même manière, l’administration s’est aussi vue contrainte dans
ses rapports avec les administrés. L’État, dans ses fonctions les plus régaliennes, s’est
enfin vu touché. L’adage « nul n’est censé ignorer la loi » (2) est plus que jamais une
pure fiction juridique. La règle a d’ailleurs vite disparu du Code civil (3), Napoléon
aurait bien du mal à reconnaître sa seule « vraie gloire » en 2012.
L’immixtion progressive du droit dans tous les domaines de l’activité
humaine et, subséquemment, les interventions coercitives de plus en plus fréquentes
du juge, ont modifié le rapport du décideur au droit. Une impression – souvent fon-
dée – d’incertitude, voire d’absence totale de contrôle semble ainsi accompagner
chaque action ou décision des sphères publiques aussi bien que privées.
(4) Conseil d’État : De la sécurité juridique et Sécurité juridique et complexité du Droit (Rapports publics annuels 1991 et
2006) ; La Documentation Française.
(5) Idem, Rapport public 2006 du Conseil d’État : Sécurité juridique et complexité du Droit.
(6) Idem, Rapport Public annuel 2006 du Conseil d’État : Sécurité juridique et complexité du Droit.
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La prise en compte du droit dans un cycle de décision : entre incertitude, dédain et crainte
(7) Contrairement à la sphère publique civile, dont les champs d’action sont étroitement bordés, quand ils ne se résu-
ment pas à la production réglementaire ou infra-réglementaire.
(8) Les domaines du droit des contrats ou de la sécurité, de l’hygiène et des conditions de travail en sont un très bon
exemple.
(9) Art. L. 2328-1 du Code du Travail.
(10) Art. L. 465-2 al. 2 du Code monétaire et financier.
(11) Articles L. 241-3 4° et L. 242-6 3° du Code de Commerce.
83
La prise en compte du droit dans un cycle de décision : entre incertitude, dédain et crainte
Dans l’entreprise, les conséquences de cet état de fait sont directes. Les
capitaux et les compétences sont en partie détournés de l’investissement productif
vers la gestion du risque juridique.
Pour le décideur militaire, le droit a été négligé pendant des décennies :
l’industrialisation de la guerre et l’exacerbation des haines lors des conflits mondiaux
ont éloigné les principes moraux codifiés (12). Toutefois, il semble bien que cela soit
révolu dans les armées occidentales : la pression internationale, la typologie des
conflits et l’émergence d’une opinion publique mondiale influent sur l’encadrement
de plus en plus sévère des opérations militaires. Le cadre légal est indispensable et les
implications juridiques sont ainsi étudiées dès les phases préliminaires des opérations.
La judiciarisation de la société française concerne aussi les armées et tout militaire (13)
a besoin d’être rassuré sur les conséquences juridiques de ses actes.
L’enjeu est d’autant plus important que le risque existe d’être confronté à
un juge qui n’est pas un expert du domaine dans lequel il aura à trancher (14) ; si
une connaissance plus lointaine peut être le gage d’une indépendance d’esprit et de
l’absence de conflits d’intérêts, il subsiste a contrario le risque d’une justice
théorique. L’éloignement entre la magistrature et le monde des affaires est ainsi
régulièrement déploré. Il en résulte une certaine méfiance vis-à-vis des juridictions
étatiques, si bien que les litiges aux conséquences économiques importantes sont
fréquemment soumis à l’arbitrage. La mondialisation des échanges, et donc des
litiges, favorise également le recours à la procédure arbitrale.
(12) Tel que les codes de chevalerie et autres principes de la guerre courtoise.
(13) Notons que les conventions de Genève imposent la diffusion du droit international humanitaire dans les forces
armées dès le temps de paix.
(14) Cette crainte doit être relativisée, du fait de la spécialisation de certaines juridictions et de certains parquets. À l’in-
verse, il est possible de craindre que la « dé-spécialisation » de la justice militaire entraîne une méconnaissance des fortes
contraintes statutaires et de la réalité des conditions d’engagement, que le commun des mortels français n’a pas connu.
(15) In Olivier Pastré : La méthode Colbert ou le patriotisme économique efficace ; Perrin, 2006 ; 223 pages.
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La prise en compte du droit dans un cycle de décision : entre incertitude, dédain et crainte
France à la 29e place sur 183 économies étudiées pour la « facilité à faire des
affaires », ce critère prenant largement en compte les aspects juridiques.
Par ailleurs, dans une société fondée sur la communication, il existe une
confusion des sphères de la légalité et de l’éthique (16), que les opérateurs privés
cherchent à promouvoir. La voie de la légalité est alors mise au service de ces opéra-
teurs, voire estompée dans un syncrétisme de valeurs diverses où la volonté d’assu-
rer et de garantir un socle de valeurs universelles est mise sur un même pied que la
protection des droits des actionnaires ou des consommateurs.
Le droit et la force
85
La prise en compte du droit dans un cycle de décision : entre incertitude, dédain et crainte
86
Quels décideurs
dans ce monde incertain ?
RDN
L
e 5 octobre 2011, le décès de Steve Jobs, co-fondateur d’Apple s’étalait à la
une des médias du monde entier. Un mois plus tard, le ministre de la
Défense français annonçait le projet de transfert des cendres du général
Bigeard aux Invalides. Quel est le point commun entre l’entrepreneur et le mili-
taire ? Tous deux ont en partage le charisme et le leadership qui transforment cha-
cune de leur parole et chacun de leurs actes en un événement attendu. Quelle que
soit leur personnalité réelle, qui recèle une part d’ombre, ils parviennent à mobili-
ser avec conviction autour de valeurs et d’une vision. En cela, ce sont des dirigeants
emblématiques.
Si les leaders charismatiques ont de tout temps existé, ils dépassent
aujourd’hui le champ du religieux, du politique ou encore du militaire. La recherche
et le développement du charisme deviennent même un objectif et, de fait, une véri-
table méthode de management.
L’homme providentiel est celui qui, par ses qualités et ses compétences, est
capable de remédier à une situation à laquelle un autre dirigeant ne saurait pas faire
face. C’est le chef qui dirige dans la tourmente. Paradoxalement, on ne fait pas
appel à lui dans les situations normales.
Outre sa forte personnalité, il est porteur d’une vision. Il n’est pas seu-
lement agréable à écouter mais il est par nature l’homme des décisions qui font
progresser un groupe dans une direction.
Quelles sont les raisons de cette adhésion ? Qu’est-ce qui caractérise le diri-
geant emblématique ? Et surtout, peut-on en faire une véritable méthode de
management ?
(1) Et obtenu des succès tactiques même si la mission globale s’est traduite par une défaite.
90
Le dirigeant emblématique : une méthode de management ?
(2) Doctrine militaire qui vise à obtenir le soutien de la population dans le cadre d’un conflit opposant un mouvement
insurgé à une force gouvernementale de contre-insurrection. Elle se base sur des actions civilo-militaires, des activités de
renseignement, de guerre psychologique et sur le quadrillage par des patrouilles mobiles afin de mailler le territoire.
91
Le dirigeant emblématique : une méthode de management ?
sans forcément cultiver l’« ego-médiatisation », c’est souvent lui qui assure la commu-
nication du groupe. Cette communication est à la fois destinée aux collaborateurs
mais également au grand public. Une personnalité comme Louis Schweitzer est assez
atypique car il a clairement l’image d’un grand patron français sans avoir dans son
attitude les critères du charisme. Il a d’ailleurs fallu une autre forte personnalité,
Carlos Ghosn pour l’éclipser. L’absence d’une telle action de communication
mass-media dans l’administration explique pour partie que peu de dirigeants emblé-
matiques émergent. Qui connaît le préfet Brot ayant assuré la gestion des moyens de
l’État lors de la tempête Xynthia ?
Visionnaire, il doit aussi faire preuve d’une capacité d’analyse et de déci-
sion hors norme. En effet, il agit par essence dans l’incertitude, c’est-à-dire qu’il
doit identifier avec des signaux faibles l’évolution probable de son domaine d’acti-
vité. Anticiper implique une prise de risque. Il doit donc rechercher les informa-
tions qui conforteront son intuition en permettant d’esquisser un avenir possible,
voire probable. C’est dans ce moment que l’entourage est primordial. Seul dans la
décision, il s’appuie toutefois sur de fortes compétences techniques. En déléguant
les aspects logistiques, il peut se concentrer sur la dimension créative et intuitive
que lui seul maîtrise.
Mais, au final, la décision de prendre un risque lui appartient ; elle n’est ni
déléguée ni collégiale. La société actuelle tend à limiter les prises de risque voire à
les refuser. Curieusement, elle encense les personnes qui acceptent d’en prendre
pour peu que leur démarche soit couronnée de succès. Il faut donc de la détermi-
nation et être sûr de la justesse de ses choix pour s’affranchir de cette pression à la
précaution.
S’il sait généralement s’entourer d’une équipe dévouée et compétente, le
dirigeant emblématique fait également preuve de véritables compétences profes-
sionnelles. Même un autodidacte comme Roland Moreno, l’inventeur de la carte
à puce, ou Steve Jobs dont Bill Gates moquait l’incapacité à réaliser des lignes de
code informatique, maîtrisaient les concepts voire les technologies utilisées à l’ori-
gine de leur réussite. La plupart des militaires emblématiques le sont devenus après
une carrière assez longue.
92
Le dirigeant emblématique : une méthode de management ?
Le manager, le chef est celui qui dirige, qui gère, qui organise aussi bien
dans la crise, dans l’incertitude que dans les périodes normales. Les qualités
requises pour être à la fois à l’aise dans le quotidien et dans la tourmente sont diffi-
ciles à réunir : dans un cas, le sens de l’organisation, la planification et le souci du
détail primeront ; dans l’autre, ce sont la réactivité, le sang-froid et l’adaptabilité
qui deviendront essentiels.
Le dirigeant emblématique réunit généralement l’ensemble de ces critères.
En effet, amené à prendre régulièrement des risques pour réaliser son projet
visionnaire, il doit en limiter la portée pour que sa réussite devienne tangible. Pour
ce faire, il doit savoir anticiper les incertitudes en se préparant et, s’il en a le
temps, en envisageant méthodiquement tous les paramètres. Ce qui détermine son
succès est sa capacité à changer de focale, à passer du détail à une vision globale, à
passer de la crise à la gestion du quotidien. Lors de la campagne de Monte Cassino
en 1944, le maréchal Juin avait su identifier le centre de gravité (3) ennemi et
comment parvenir à le détruire. Si son état-major avait planifié méthodiquement
l’opération, il a dû réagir et s’adapter à une crise pour réussir puis modifier ses plans
en conséquence. De même, lors du retard de commercialisation de l’A400M, le
dirigeant emblématique d’EADS qu’est Louis Gallois, connu pour ses capacités de
gestionnaire, a également démontré ses capacités de décideur dans la crise.
À la différence du génie intuitif qui éprouve des difficultés à exploiter le
fruit de sa fulgurance, le dirigeant emblématique sait que l’idée géniale n’est pas
suffisante. Il se donne donc les moyens de triompher.
Pour autant s’il est un modèle pour ses pairs ou pour le grand public, c’est
par définition parce qu’il est hors norme. Des informaticiens plus ingénieux que
Steve Jobs, des militaires plus géniaux que le général Bigeard existent ou ont existé.
Mais, la combinaison des facteurs et qualités évoquées est, elle, rare. Visionnaire,
c’est voir plus loin et plus tôt que les autres, ce n’est sans doute pas une qualité
commune.
Le leadership peut-il devenir une méthode de management et être enseigné
comme tel dans les grandes écoles, alors même qu’il se nourrit des forces mêmes
des individus, c’est-à-dire des caractéristiques personnelles ? La réponse est
complexe.
Effectivement, il s’agit d’une méthode de management qui existe dans la
plupart des domaines d’activité. Elle ne se limite pas à un milieu spécifique mais
est conceptualisable. Elle possède des critères qui ont été développés supra. Fondée
sur la réussite, elle présente de ce fait un intérêt certain. C’est, selon la définition
du dictionnaire Larousse, une démarche raisonnée (pour le dirigeant), composée de
principes, de règles et d’étapes.
(3) Centre de gravité : force de l’ennemi qui peut se transformer en vulnérabilité si elle est atteinte ou détruite.
93
Le dirigeant emblématique : une méthode de management ?
Mais elle comporte des incertitudes, des prises de risque et repose donc sur
ce que l’on peut qualifier de préscience ou de chance. On prête d’ailleurs à
Napoléon de choisir ses généraux sur leur part de chance.
La gestion du risque et le développement des qualités précitées peuvent
faire l’objet d’un enseignement, ce qui n’est pas le cas de la capacité à voir plus loin
et plus tôt que les autres. Cette méthode est donc imparfaite d’autant plus qu’elle
repose sur la personnalité du dirigeant ainsi que sur le succès. L’échec fait perdre la
confiance de l’équipe ou du public et fragilise la légitimité du dirigeant davantage
qu’une autre méthode de management.
Le dirigeant emblématique n’est pas un solitaire, il est l’homme d’un
groupe qu’il sait valoriser et galvaniser en proposant une vision. Il est actif plus que
réactif, il imagine plus qu’il n’invente. Mais surtout, il incarne la réussite et le
progrès. Parfois proche du gourou à qui l’on fait une confiance absolue, il séduit
parce qu’il parle à l’imaginaire collectif et parce qu’il sait raconter une histoire dans
laquelle chacun a envie de se projeter. Toutefois, le risque de personnalisation à
outrance peut aussi altérer la capacité dudit décideur à analyser.
Présent davantage dans des sociétés où la réussite individuelle est mise en
exergue, ce modèle est moins valorisé par la société française qui privilégie le
gestionnaire solide. Pour autant, il est essentiel à la société parce qu’il impulse,
parce qu’il décide. Mais aussi et surtout, parce qu’il démontre que la prise de risque
peut être payante.
94
Les ressorts de l’action humaine
face à l’irrésolution
Nicolas Meunier (HEC)
Pierre de Thieulloy (EDG)
N
otre société numérisée fait la part belle au calcul et à l’imaginaire, le
virtuel gagne du terrain dans les loisirs et dans les relations sociales. Les
grandes écoles sélectionnent des aptitudes mentales, des capacités
d’abstraction et de raisonnement. En parallèle, la prévision de l’avenir est devenue
une préoccupation majeure. Les experts en climatologie ou en géopolitique se
multiplient. Scientifiques ou hommes de lettres annoncent le pire, l’inquiétude et
la paralysie gagnent la société. Les délibérations deviennent interminables, l’admi-
nistration se noie dans la technocratie, la justice croule sous les procédures, les
managers passent leur temps en réunion. On débat, on calcule les risques, on
doute, on remet en cause. Tel l’œil dans la tombe de Caïn, la déesse Raison nous
surveille, nous culpabilise et nous déstabilise. « Sois raisonnable ! » dit-elle pour
décourager celui qui veut agir… Le courage est ainsi disqualifié et la prudence
outrepasse son domaine. La précaution a été érigée en principe. Elle engendre
pessimisme et paralysie, elle sclérose notre société.
Or, la vie est mouvement et action. Un corps inerte, inanimé – c’est-à-dire
sans âme – est un corps sans vie. De tous temps, philosophes, médecins ou soldats
se sont penchés sur la nature humaine. Ils ont multiplié les traités sur l’âme humaine,
à la recherche d’un développement harmonieux. Tous s’accordent à rechercher un
équilibre entre pensée et action, entre activité intérieure et activité extérieure.
Chacun de nous expérimente d’ailleurs l’influence de la pensée sur l’action et de
l’action sur la pensée. Pourtant certains, qu’ils soient politiques, entrepreneurs ou
soldats, semblent plus doués que d’autres pour agir lorsque les circonstances sont
défavorables. Quelles vertus les animent ?
C’est parmi la richesse des découvertes, approches et théories de tous bords
que cet article se propose de naviguer, à la recherche des qualités fondamentales
pour l’équilibre de l’homme d’action : comment fédérer, comment donner l’im-
pulsion et maintenir le cap quand tout nous pousse à nous inquiéter, à changer
d’avis ou à repousser sans cesse l’indispensable décision.
96
Les ressorts de l’action humaine face à l’irrésolution
(1) Aujourd’hui passés dans le langage courant, les traits de caractères liés à ces tempéraments gardent leur pertinence même
si l’on en oublie l’étymologie médicale : le flegme vient de φλεγμα qui signifie la lymphe, la colère de χολη c’est-à-dire la bile
et la mélancolie de μελανη χολη, la bile noire.
(2) Le Huangdi Nei Jing (黄帝内经) ou classique interne de l’empereur Jaune est un des plus anciens traités de méde-
cine chinoise écrit il y a plus de deux millénaires av. J.-C.
(3) Voir encadré page 5.
(4) Untel est de mauvaise humeur, il se fait un sang d’encre, il garde son sang-froid, il est pris de colère ou il sombre dans la
mélancolie, il est flemmard…
97
Les ressorts de l’action humaine face à l’irrésolution
L’influence de l’état corporel sur la façon de réagir est ainsi établie par les
observations des plus célèbres médecins. Dès lors, il est clair que notre comporte-
ment peut être plus ou moins mesuré et équilibré. C’est cette recherche de la
mesure et de l’équilibre qui a conduit les philosophes à se pencher sur l’étude des
vertus nécessaires à l’action.
Ainsi, au Ier siècle avant Jésus-Christ, on retrouve dans les mondes juif et
romain les quatre mêmes vertus. Au Livre de la Sagesse on peut lire : « Les labeurs
de la sagesse produisent les vertus ; elle enseigne la tempérance et la prudence, la
justice et la force, ce qu’il y a de plus utile aux hommes pendant la vie. » De son
côté, Cicéron évoque les principales vertus à cultiver « telles que la prudence, la
tempérance, la force et la justice, et les autres de même nature » (5).
98
Les ressorts de l’action humaine face à l’irrésolution
Les signes de l’homme sanguin. Or puisque du sang s’engendre la chair, et il est manifeste que l’homme bien charnu
et musculeux, et qui a une habitude de corps ferme, avec une exhalation de tout le corps vaporeuse et bénigne, est
sanguin. La personne sanguine a pareillement la couleur belle, vermeille, et mêlée de blanc et de rouge : de blanc à
cause du cuir, partie spermatique et blanche ; de rouge, à raison du sang qui est au dessous ; car pour le dire en un
mot, telle couleur reluit en la face, qui est l’humeur caché dessous le cuir. Ses mœurs sont paisibles, joyeuses et facé-
tieuses ; étant tel homme libéral, doux, bénin, gracieux, courtois, et de bonne nature, riant, amoureux des dames. Il
se courrouce difficilement : car quels sont les humeurs, telles sont les inclinations des mœurs. Or est-il que de tous
les humeurs, il n’y en a point de plus doux et de plus paisible que le sang. L’homme sanguin, en outre, boit et mange
beaucoup, à cause qu’il a grande chaleur naturelle : il sue volontiers, il songe choses joyeuses et plaisantes […].
Les signes de l’homme cholérique. Ils ont la couleur citrine ou jaunâtre, et le corps maigre et grêle, et fort velu, les
veines et les artères fort grosses et amples ; le pouls fort et fréquent : on trouve au toucher leur corps chaud, et sec,
et dur, et âpre, avec une vapeur acre qui exhale de tout leur corps […] davantage, ils sont adextres d’entendement,
et merveilleusement prompts et vigilants : ils sont aussi félons, audacieux, convoiteux de gloire, âpres, vengeurs des
injures à eux faites ; de sorte que leur sang leur bout d’ardeur : leur face, leur voix, leur geste, leurs mouvements sont
changés et mués ; aussi sont libéraux, voire souvent prodigues. Leur dormir est léger, leurs songes sont de choses
brûlantes, furieuses, et luisantes […]
Les signes de l’homme phlegmatique. Ils ont la face blanche, et quelquefois plombine, et livide, et ensemble bouffie :
la masse du corps est grosse et mollasse, et froide au toucher : ils sont sujets aux maladies faites de phlegme, comme
œdèmes, tumeurs molles et insensibles […] rhumes sur la trachée artère et poumons ; ils ont l’esprit lourd, grossier
et stupide : ils sont fort paresseux, et dorment profondément : ils songent souvent qu’il pleut et neige, et pensent
nager et noyer ; ils vomissent beaucoup de phlegme et aquosités, et souvent crachent grande quantité de salive, et
jettent excréments semblables par les narines ; ils ont la langue fort blanche et humide : ils sont insatiables, et ont
un appétit canin […]
Les signes de l’homme mélancholique. Le premier signe est pris de la couleur : c’est que la face est brune ou noirâtre,
avec un regard inconstant, farouche et hagard, triste, morne et renfrogné. Le second est pris des maladies […] Leur
corps est froid et dur au toucher, ils ont songes et idées en dormant fort épouvantables […] Ils sont graves et malins,
frauduleux, trompeurs, chiches, et extrêmement avares, tardifs à payer leurs dettes, craintifs, tristes, chagrins,
grognards, de peu de parole, pleureux, pensifs, ingénieux, désirant de grandes et excellentes choses, et sont fort
soupçonneux, solitaires, haïssant la compagnie des hommes, fermes et stables en leur opinion, tardifs à ire, mais
quand ils se courroucent ils s’apaisent difficilement […] Ils sont cruels, opiniâtres, inexorables, et leur esprit n’a point
ou peu de repos […] Les gens de cœur et magnanimes ont été pour la plupart mélancholiques, aussi fort ingénieux,
sages et prudents.
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Les ressorts de l’action humaine face à l’irrésolution
revient à l’imagination qui puise dans le passé via la mémoire et dans le présent via
la perception afin de concevoir et estimer toute solution possible. La vertu de
prudence y est primordiale. Elle pousse à consacrer du temps pour décortiquer
dans le détail ce qui pourrait arriver afin de se décider en pleine connaissance de
cause. Capable d’un travail méthodique et doué d’une grande imagination, le tem-
pérament mélancolique est particulièrement apte à concevoir et analyser.
Ces quatre actes sont comme autant de ressorts – sensitif, cérébral, volon-
taire et musculaire – pour l’action. Ils sont ancrés dans le psychisme humain en
sollicitant différents organes : les sens, le cerveau, le cœur et les muscles. Mais dans
l’homme tout est question d’équilibre et d’harmonie : tout participe à tout. Ainsi,
l’analyse développe la prudence et la mise en œuvre le courage, mais toutes deux
ont aussi besoin de tempérance et de justice pour être équilibrée.
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Les ressorts de l’action humaine face à l’irrésolution
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Les ressorts de l’action humaine face à l’irrésolution
Il apparaît urgent de réacclimater nos décideurs, chefs d’entreprise et
hommes d’action à la notion de « juste risque ». Il ne s’agit pas de retomber dans les
errements des prises de risque inconsidérées de la sphère financière qui ont discré-
dité la notion de risque lors de la crise des subprimes. Puisqu’il n’y avait pas de sanc-
tion en cas de pertes, la notion d’aléa moral (10) est apparue en raison de l’écart entre
le preneur de risque et son « assureur ». Le courage de la prise de risque s’est incarné
dans l’émergence de la fonction de Risk Manager, dans l’entreprise par exemple, qui
emploie désormais des spécialistes capables d’évaluer, de hiérarchiser et prendre en
compte les risques liés à l’exploitation, les finances, l’environnement… Ces experts
102
Les ressorts de l’action humaine face à l’irrésolution
du risque sont placés au plus près des instances de décisions. Il n’y a alors pas de
négation ou de refus du risque mais une appréhension fine de ce que doit être le
« juste risque » : celui qui permet à l’action d’exister. On renoue avec la vraie
prudence : celle qui s’appuie sur la tempérance, la justice et le courage.
Esquissons pour finir une réflexion d’ordre médical : la place grandissante
du virtuel dans nos vies et la survalorisation du principe de précaution ne
favorisent-elles pas l’humeur mélancolique de nos contemporains dans son aspect
le plus néfaste et le plus connu : la peur de l’avenir et la dépression ?
Éléments de bibliographie
Jean de Kervasdoué : La peur est au-dessus de nos moyens. Pour en finir avec le principe de précaution ; Plon, 2011 ;
235 pages.
Jacques de La Rosière : « L’aléa moral » in Commentaire n° 134 ; 2011.
Sébastien Vaas : L’enfer du virtuel. La communication naturelle pour sortir de l’isolement technologique ; Éditions l’Âge
d’Homme, 2009 ; 187 pages.
Rév. John Brucciani : Conférences sur les quatre tempéraments (5-Cdroms) ; 2006.
Serge Nicolas : Psychologie de W. Wundt (1832-1920) ; L’Harmattan, 2003 ; 152 pages.
Jacques Jouanna : La postérité du traité hippocratique de la nature de l’homme : la théorie des quatre humeurs ;
Flammarion, 1992.
John Boyd : Organic Design for command and control ; 1987.
Dr Albert Chamfrault : Traité de médecine chinoise (6 tomes) ; Éditions Coquemard, 1954.
Ambroise Paré : Œuvres complètes, présentées par J.F. Malgaigne ; Éditions J.B. Baillières, 1840.
Aristote : Éthique à Nicomaque.
Aristote : Traité de l’âme.
Hippocrate : De la nature de l’homme.
103
Le sens de l’engagement :
quelle est la place du décideur ?
Hélène Blassel (HEC)
Nicolas Meunier (HEC)
M
ettre, donner en gage, dit le Robert, interrogé sur le sens du verbe
« engager ». Dans le cas de l’engagement personnel, lorsque l’on
« s’engage » dans quelque chose, que met-on alors en gage ? Soi-même,
certes, car telle est la fonction du pronom personnel réfléchi mais la question posée
va bien au-delà : ne s’agit-il pas en réalité de se donner tout entier, de mettre de
côté ce besoin tant porté aux nues de réalisation personnelle afin de s’investir (1)
dans la recherche d’un but qui dépasse l’individu ? La définition la plus récente
(1945, et cette date est loin d’être innocente) du terme « engagement » donnée par
le Robert éclairera sans doute mieux le propos de cet article : « Acte ou attitude de
l’intellectuel, de l’artiste qui, prenant conscience de son appartenance à la société
et au monde de son temps, renonce à une position de simple spectateur et met sa
pensée ou son art au service d’une cause » (2).
Il ne s’agit pas ici de céder à la mode des controverses sur le rôle des intel-
lectuels dans la vie publique mais bien de s’interroger sur la nécessité pour le déci-
deur (et non plus pour « l’intellectuel », dont l’emprise sur le monde qui l’entoure
peut être sujet à débat) de s’engager dans « la société et le monde de son temps »
ainsi que sur les conditions de réalisation de ce « renonce[ment] à sa position de
simple spectateur ».
Car en effet, force est de constater la crise du lien social dans nos sociétés
occidentales, à tel point que des solutions politiques extrêmes sont de plus en plus
plébiscitées par les citoyens, et ce à travers l’Europe entière. Face à cet état de fait,
il paraît plus que jamais essentiel d’envisager le rôle du décideur par le prisme de
son engagement dans la société et au service d’un projet commun.
(1) Avec la « mise en gage » et « l’investissement », on voit ici toute la richesse de la métaphore économique lorsque l’on
touche à ces sujets.
(2) Le Petit Robert, mise à jour mars 1995, article : « engagement ».
Le décideur, défini comme l’homme de la décision, est celui que nous iden-
tifions comme responsable du sens qu’il lui appartient de donner. Cela est vérifié
au sein de la vie politique ; les hommes qui ont décidé de vouer leur vie à la chose
publique ont pour ambition de poursuivre l’écriture du récit national ou interna-
tional. Les entrepreneurs, quant à eux, ont pour devoir de s’inscrire avec la même
ambition pour préserver leur résultat d’exploitation.
Parmi les crises d’identité qui ont touché le monde de l’entreprise, le cas de
France Télécom – Orange est éloquent. La vague de suicides au travail a donné une
dimension émotionnelle et symbolique très forte à cette crise. Le travail est un élé-
ment d’identité fort, symbole de vie, ancré dans notre culture judéo-chrétienne
depuis la Genèse dans laquelle l’homme fut appelé à travailler la terre et la faire
fructifier. Mort et travail apparaissent comme incompatibles et leur soudaine et
insupportable association a imposé aux dirigeants de France Télécom une remise
en cause capitale.
France Télécom a subi dans ces dernières années un malaise profond dont
le reflet fut triple à travers une crise de pilotage, une crise de ressources humaines
mais aussi une crise de sens. Les deux premières ne sont pas l’objet de ces lignes, et
c’est la dernière qui nous intéresse.
(3) L’âge moyen des salariés de France Télécom en 2010 était de 47 ans.
106
Le sens de l’engagement : quelle est la place du décideur ?
(4) Le cours de bourse passe de 219 à 5 euros en 15 mois. Avec 70 milliards d’euros de dette, France Télécom a en 2010
le triste record de la première dette privée au monde.
(5) « L’acédie » définit le mal-être éprouvé historiquement par les moines qui, au IVe siècle, partaient en ermitage dans le
désert et éprouvaient une tristesse de l’âme qui empêchait l’épanouissement de la vie contemplative.
(6) À partir du 1er mars 2010, Stéphane Richard a assuré les fonctions de PDG de France Télécom.
(7) Un cabinet extérieur fut choisi pour mettre en place un questionnaire qui obtint de manière assez exceptionnelle
80 000 réponses (l’entreprise compte 200 000 salariés dont 100 000 Français) soit 80 % de participation.
(8) Le blog de Stéphane Richard, Orange Plazza, reçoit plus de 5 000 visites hebdomadaires.
107
Le sens de l’engagement : quelle est la place du décideur ?
d’une attention spécifique avec la mise en place d’une « conférence sanitaire » per-
mettant le suivi des employés identifiés comme vulnérables ou fragiles.
(9) Le terme exact serait « travailleur », mais la rhétorique marxiste se l’étant approprié, l’on se cantonnera dans la mesure
du possible à l’appellation « employé ».
108
Le sens de l’engagement : quelle est la place du décideur ?
L’exemple de France Télécom met en lumière la responsabilité du décideur
dans le don du sens. Au-delà des mesures prises dont l’avenir dira ou non la perti-
nence, l’action de la direction a pour ambition de répondre à la question « Pour
quoi » ? C’est la responsabilité du décideur d’inscrire dans le temps long l’histoire
de son entreprise. C’est l’écriture de ce récit, le cap donné qui dissipent, atténuent
les brouillards de l’avenir. Cette incertitude réduite, ce risque pris en compte à sa
juste mesure permettent de distinguer la finalité de l’action des salariés en dépassant
la question du « comment », i.e. l’approche par les moyens, qui semble notoirement
insuffisante pour donner du sens. On peut retenir quelques principes fondateurs qui
peuvent permettre au manager de devenir « porteur de sens » (10) : l’écoute, le
dialogue et la nécessité d’une formation adaptée, l’engagement individuel.
Notons pour conclure que Christophe Colomb durant son voyage en 1492
n’eut de cesse, durant les mois de traversée, de gérer son équipage avec le souci
permanent des hommes. C’est ainsi que les officiers donnaient des cours aux mate-
lots, que des réunions quotidiennes étaient organisées avec les quartiers maîtres
pour prendre la température des ponts inférieurs… C’était, en effet, le prix à payer
pour donner du sens à l’aventure de ces équipages qui naviguaient au sens propre
vers l’inconnu. Le découvreur de l’Amérique fut un grand navigateur mais aussi un
grand manager.
(10) Collège des Bernardins : Un management porteur de sens : la règle de Saint Benoît, un concept moderne de
management, colloque du 21 octobre 2009.
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Et la confiance ?
Adeline Deroubaix (ENA)
Pierre de Thieulloy (EDG)
« Lorsque le doute s’installe, c’est toute la machine qui ralentit : on en vient à questionner chaque décision,
chaque stratégie, à ressasser en boucle ses appréhensions. Le doute s’auto-alimente et s’amplifie tout seul :
on ne sait plus comment s’y prendre, on se met à procrastiner donc à douter davantage (…) ».
Sylvaine Pascual, psychologue du travail
L
es articles et études de ce cahier ont fait émerger plusieurs idées fortes.
L’incertitude est une réalité inévitable. Par les outils scientifiques d’analyse,
aussi puissants soient-ils, l’incertitude n’est aucunement supprimée.
Certains pensent qu’elle est réduite, d’autre qu’elle est amplifiée. Tous s’accordent
sur le rôle irremplaçable de l’homme dans le processus décisionnel.
(1) Voir Pierre Cahuc et Yann Algan : La Société de défiance : Comment le modèle social français s’autodétruit ?
Parmi les pays développés, les Français seraient parmi les plus méfiants, envers leurs institutions comme envers leurs
compatriotes.
(2) Jean-Yves Prax : « Le rôle de la confiance dans la performance collective », conférence du 25 septembre 2001.
(3) Idem.
112
Et la confiance ?
« Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du télé-
spectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre dispo-
nible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux
messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain
disponible ». Tels sont les mots du président de TF1 en 2004.
Si tromper est une solution légitime pour gagner de l’argent, pour vendre
mon produit ou mon programme électoral, pourquoi serais-je le seul à me tenir à
la vérité ? Qui n’a jamais abusé de la crédulité de ses proches ? « Comment vais-je
expliquer mon retard ? – tu n’as qu’à dire que tu avais un rendez-vous… » et le tour
est joué.
113
Et la confiance ?
Si le premier environnement de l’homme est son entourage humain, et si
cet entourage est fiable, alors il évolue dans un monde stable. Par sa confiance ou
par sa méfiance, l’homme diffuse sérénité ou inquiétude. Seul le soleil de la
confiance peut dissiper le brouillard de l’incertitude et les nuages de l’inquiétude.
Bien heureusement, nombreux sont les décideurs qui se fient davantage à
leurs hommes qu’à leurs machines, qui savent quitter leurs indicateurs et leurs
e-mails pour discuter et passer du temps avec leurs collaborateurs. Établir de vraies
relations humaines, basées sur la confiance mutuelle, c’est diminuer l’incertitude.
Éléments de bibliographie
Pierre Cahuc et Yann Algan : La Société de défiance - Comment le modèle social français s’autodétruit ? ; Éditions Rue
d’Ulm, 2007 ; 100 pages.
Jean-Yves Prax : « Le rôle de la confiance dans la performance collective » in Le Manuel du Knowledge Management
– Une approche de 2e génération ; Dunod, mars 2003 ; 447 pages.
Philippe Breton : La Parole manipulée ; La Découverte, 1997 ; 220 pages.
Oliveira Salazar : Principes d’action ; Arthème Fayard, 1956 ; 254 pages.
Sylvaine Pascual : « 8 étapes pour gérer les périodes de doute » in www.ithaquecoaching.com (blog professionnel, coach
spécialiste des relations humaines et de la reconversion professionnelle).
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La Revue Défense Nationale est éditée par le Comité d’études de défense nationale
(association loi de 1901)
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Pour sa troisième édition, le colloque réunissant les élèves de l’École nationale d’administration, de
l’École de guerre et de l’École des Hautes études commerciales porte sur les défis de l’action collective
face à l’incertitude de l’environnement. Les notions de prise de risque et la nécessité d’avoir une vision
au-delà des contingences de court terme entrent en jeu. Les difficultés de l’action face aux aléas et
menaces qui pourraient l’entraver, la nécessaire personnalité du décideur, son charisme, son intuition,
la place du calcul du risque, de la confiance et de l’engagement sont évoqués ici à travers les différentes
approches et cultures inhérentes aux mondes administratif, militaire et commercial.
Synthèse de huit mois d’échanges, de réflexions et de travaux entre ces trois écoles, fort de leurs expé-
riences, parfois intenses, au sein d’environnements en crise économique ou diplomatique, voire en
guerre, le résultat est riche en diversité et teinté d’optimisme. Conscients de l’importance de l’action,
l’équipe du colloque a essayé d’en étudier les rouages, et particulièrement le processus de décision,
indispensable pour rendre possible l’action collective malgré les difficultés.
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Lancée en 1939 par le Comité d’études de défense nationale, la Revue Défense Nationale
assure depuis lors la diffusion d’idées nouvelles sur les grandes questions nationales
et internationales qu’elle aborde sous l’angle de la sécurité et de la défense. Son
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