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Matthews P.H. Les classes de mots en latin. In: Langages, 8ᵉ année, n°34, 1974. La linguistique en Grande-Bretagne
dans les années soixante. pp. 25-46.
doi : 10.3406/lgge.1974.2257
http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1974_num_8_34_2257
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• les « noms » (cf. les formes fundos, homine et consul dans les exemples
ci-dessous)8 :
(1) Fundos decem et très reliquit : PROPRIÉTÉ / Acc(usatif) - pl(uriel),
DIX, ET, TROIS / Ace - pi - Masc(ulin), LAISSER / Par(fait) - Ind(icatif)
- Act(if) - 3e pers(onne) - Sing(ulier). « II a laissé treize propriétés. »
(2) Non intellegunt se de callido homine loqui : PAS, COMPRENDRE /
Prés(ent) - Ind - Act - 3e pers - pi, Réflexif / Ace, DE, INTELLIGENT/
Abl(atif) - sing - Mase, HOMME / АЫ - sing, PARLER / Prés - Inf(initif).
« Ils ne se rendent pas compte que c'est d'un homme intelligent qu'ils
parlent ».
(3) Consul en, inquit, hic est : CONSUL / Nom(inatif) - sing,
REGARDE, DIRE / Prés - Ind -Act -3e pers - sing, CECI / Nom - sing
- Mase, ETRE / Prés - Ind - Act - 3e pers - sing. Regarde, dit-il, cet
homme est le consul.
• les adjectifs numéraux, cf. les formes decem et très dans l'exemple 1 ;
• les adjectifs, cf. callido dans l'exemple 2 ;
• les pronoms, cf. se dans l'exemple 3, et te dans l'exemple suivant :
(4) Cum te morientem uidimus : QUAND, VOUS / Ace - sing,
MOURIR / Part(icipe) pré(sent) - ace - sing - mase, VOI R / Parf - Ind - Act -
lre pers — pi. « Quand nous vous avons vu mourant. »
• les verbes, cf. reliquit dans l'exemple 1, intellegunt et loqui dans
l'exemple 2, inquit et est dans l'exemple 3 ;
• les adverbes, cf. non dans l'exemple 2 ;
• les participes, cf. morientem dans l'exemple 4 ;
• les conjonctions, cf. et dans l'exemple 1 et cum dans l'exemple 4 ;
• les prépositions, cf. de dans l'exemple 2 ;
• les interjections, cf. en dans l'exemple 3.
La plupart des latinistes acceptent une telle classification et il ne semble
pas qu'on puisse la mettre en question sur le plan empirique, bien que son
statut théorique ou philosophique se prête davantage au débat. Ainsi on
peut se demander, si l'on considère les transformations récentes qu'a subies
la théorie descriptive, quelle valeur ou quelle utilité attribuer à cette
classification (voire même à n'importe quelle classification de ce type). Il y a une
dizaine d'années les théories dominantes étaient purement taxinomiques.
A l'intérieur de tels modèles, les parties du discours occupent une place
naturelle en tant que sous-classes les plus générales de mots, de morphèmes
ou de tout autre élément choisi comme univers du discours ou comme
univers de classification. Mais dans l'ensemble les modèles taxinomiques
sont maintenant remplacés par des modèles de nature generative. De plus
en plus on conçoit une grammaire comme un système de règles ou de
relations entre des catégories, plutôt que comme un ensemble de catégories
individuelles. Bien sûr, si on le veut, on peut fabriquer des règles telles
qu'elles reflètent les divisions traditionnelles ; mais il est rare que de bonnes
raisons descriptives motivent un tel choix. Mais même ainsi ces divisions
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n'occuperaient pas la place de choix que les parties du discours avaient dans
les discussions antérieures. Sur quoi pourrait donc reposer, dans l'état actuel
des choses, l'intérêt qu'a suscité ce problème dans le passé ?
Dans cet essai nous nous efforcerons de répondre en partie à cette
question. Il semble tout d'abord possible de suggérer que les parties du
discours ne jouent aucun rôle dans la grammaire : elles sont en quelque
sorte « extraites » de la grammaire de la même manière qu'on peut dire, en
termes vagues, que la grammaire est « extraite » des données linguistiques.
Disons, pour être plus précis, que la métalangue dans laquelle on affirme,
par exemple, que « le latin a une classe de prépositions mais n'a pas une
classe d'articles », a pour langage-objet la langue des grammaires
descriptives et non la langue qu'une grammaire particulière décrit. Une telle
affirmation s'applique à une classe ou un ensemble de classes que la
grammaire en quelque sorte définit. De plus il y a de fortes chances que ces
affirmations soient plus importantes du point de vue typologique que du
point de vue strictement descriptif. Ainsi l'affirmation que les grammaires
latines ne donnent aucune définition de la classe des articles (ou plus
précisément, qu'elles ne définissent aucune classe à laquelle on puisse appliquer
le terme d'« article ») prend toute sa valeur lorsqu'on compare le latin à
l'anglais ou au grec pour ne prendre que ces deux exemples. A cette étape,
nous présupposons, bien sûr, que l'on puisse définir des termes tels que
« préposition » ou « article » indépendamment de grammaires particulières.
On ne peut pas dire qu'une langue « a des articles » ou « a des prépositions »
dans le sens étroit où, pour les besoins d'une description donnée, on a
choisi comme par hasard les symboles « préposition » et « article » pour
représenter des classes particulières. Dans ce cas-là, la description n'est ni
bonne ni mauvaise. Au contraire, il est nécessaire d'avoir une classe, ou
peut-être l'union de plusieurs classes, qui répondent à ce que stipule une
théorie générale des parties du discours pour la notion d'« article » ou de
« préposition ». S'il en est ainsi, ces descriptions sont vraies pour autant que
l'analyse générale ne se trouve pas en défaut.
A vrai dire une telle approche recoupe partiellement les travaux des
grammairiens traditionnels : eux aussi s'intéressaient à des définitions
universelles ou quasi universelles. Mais la nature ou le but de ces définitions
n'étaient jamais tirés au clair. Premièrement, il n'y a aucune raison d'exiger
(si l'on accepte notre thèse principale) que nos définitions épuisent le lexique
d'une langue donnée. Les définitions du mot « adverbe » en particulier ont
été viciées par l'utilisation de cette classe comme d'une poubelle (toxvSsxttjç
chez Charisius 9) où l'on fourre tout ce qui ne rentre pas dans les autres
catégories. Mais pourquoi vouloir être exhaustif ? C'est uniquement dans
le cadre d'une théorie taxinomique des parties du discours qu'une telle
exigence a sa raison d'être.
Deuxièmement, il n'y a aucune raison de s'attendre à ce que nos
définitions soient homogènes : c'est-à-dire soit « notionnelles 10 » soit « formelles »
27
et si l'on a choisi des critères formels, soit « morphologiques » (se reporter par
exemple à la classification quadripartite de Varro), soit « syntaxiques »,
pour ne pas citer d'autres catégories possibles u. En fait, il semble probable
que les définitions dussent être hétérogènes. D'une part, si les grammairiens
définissent une classe comme comportant decem, très, etc., ce serait adopter
une attitude obscurantiste que de ne pas admettre qu'il y a de bonnes raisons
notionnelles pour la dénommer « classe des numéraux » ! D'autre part, il
est fort possible qu'il y ait une définition purement « formelle » du terme
« participe ». La formule classique, à savoir qu'un participe est une forme
infléchie pour le Temps et le Cas 12, n'est peut-être pas assez générale, mais
n'en semble pas moins raisonnable. De surcroît, il se peut que certaines
définitions représentent un mélange, par exemple notionnel et formel, ou
encore morphologique et syntaxique. Un exemple fameux se trouve par
exemple chez Priscien 13 qui dit : « Le verbe est la partie du discours
infléchie pour le Temps et le Mode, mais non pour le Cas, et qui désigne une
action que l'on accomplit ou un événement que l'on ressent (uerbum est
pars orationis cum temporibus et modis, sine casu, agendi uel patiendi signi-
fîcatiuum ; consulter Dionysus Thrax ы pour les formulations originales
en grec et aussi pour une description plus compliquée Apollonius Dysco-
lus, qu. Choeroboscus 15).
Troisièmement, il semble raisonnable d'exiger que quelques-unes de nos
définitions «formelles» soient vraiment universelles, c'est-à-dire qu'elles
correspondent à des propriétés de la théorie grammaticale plutôt qu'à des iso-
morphismes partiels entre les grammaires de plusieurs langues individuelles.
Pour tirer ce point au clair nous allons comparer les définitions classiques
les plus caractéristiques des noms et des prépositions ; les interprétations
de Dionysus Thrax 16 nous serviront d'exemple. Les prépositions sont
définies d'une manière purement syntaxique : une préposition est un mot
placé avant toutes les autres parties du discours dans un mot composé ou
une construction syntaxique (upôQzaiç, écm XéÇiç 7rp(m0e(jiv7) toxvtcov -uov
tou Xóyou [izp&v iv те aovôeaet xal auvzá Cet). Chose encore plus remarquable,
les concepts auxquels ces définitions se réfèrent : la notion de mot composé
(ouvôeaiç) contrastée avec celle de construction syntaxique (mSvTaÇiç), et la
relation de séquence entre les mots d'une phrase, sont des concepts dont
toute théorie syntaxique doit en principe tenir compte. Tout ceci ne
s'applique pas à des termes définis uniquement dans la grammaire du grec,
du latin, ou d'une langue quelconque.
Ce qui ne veut pas dire que cette définition soit nécessairement bonne :
on peut par exemple relever l'absence de rapport qu'elle établit entre :
« prépositions » et « postpositions » remplissant une fonction similaire. Ce
n'en est pas moins une définition d'un type intéressant.
28
D'autre part, la définition des noms se réfère à un concept qui n'est
pas « théorique » dans ce sens-là. Ce qui nous intéresse ici, bien sûr, c'est
l'aspect morphologique plutôt que notionnel de la définition : « Un nom est
une partie du discours infléchie pour le cas»(6vo[i.á écm piipoç xóyou tutcotíxóv). 16
L'aspect notionnel qui pour beaucoup de spécialistes modernes n'a besoin
d'aucun critère extérieur à lui-même, pose des problèmes différents. Il est
possible de considérer cette condition morphologique comme ayant une base
« formelle » et « théorique » à la fois, mais seulement si l'on suppose à tort
qu'une théorie descriptive peut incorporer ce que Chomsky 17 appelle des
universaux substantiels, et que le cas en fait partie. L'insuffisance d'une
telle interprétation saute aux yeux. D'abord pourquoi considérer « nom »
comme un élément primitif de nature descriptive plutôt que comme un
terme qui se prête à une définition essentiellement notionnelle et non
descriptive. De plus pourquoi ne pas considérer « nom » comme un des
universaux substantiels et en finir avec toutes ces complications ? En
conséquence, il semble plus charitable d'interpréter des formules de ce type
comme se référant à des correspondances entre le grec, le latin et diverses
autres langues. Ainsi il y a une portion de la grammaire latine qui est peut-
être isomorphe à une portion de la grammaire grecque dans ce sens que si
l'on superpose les catégories du « cas et du nombre » du latin au « cas et au
nombre » en grec, les classes syntaxiques « nom, adjectif et syntagme
nominal » du latin aux mêmes classes en grec, etc., les règles qui indiqueront
que les « noms » latins sont infléchis pour le Cas et le Nombre, ou que
l'adjectif s'accorde avec le nom en ce qui concerne ces deux catégories, seront en
correspondance totale avec les règles adéquates en grec.
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ce tout comme un ensemble de règles : syntaxiques, lexicales, etc., qui
caractérise l'ensemble de toutes les phrases latines qui sont possibles.
(1) On dira que la composante syntaxique génère 19 un ensemble de
phrases-types de nature générale qui se composent de trois sortes d'éléments
au minimum. La première sorte (que nous appellerons classes-types) dénote
des classes d'éléments du vocabulaire catalogués dans le lexique. Dans la
phrase-type qui correspond à l'exemple 1 (fundos decem et très reliquit) il y
aurait probablement trois de ces éléments au minimum : une classe-type
Nom 20 qui serait l'élément principal correspondant à fundos, une classe-
type Verbe qui serait l'élément principal correspondant à reliquit, et une
troisième classe-type Numéral qui serait l'élément principal correspondant
à ires et peut-être le seul élément correspondant à decem.
On pourrait dénommer la deuxième sorte d'éléments : constantes
syntaxiques. Ce sont des éléments qui ne font pas typiquement partie du
lexique (encore qu'il faille se reporter à Mots du Contenu et Mots de la Forme
dans ce qui suit) mais qu'on introduit, comme des constantes à l'aide de
diverses règles syntaxiques. On pourrait peut-être citer, comme illustration,
l'élément qui correspondrait à et dans l'exemple 1 (Notons pourtant qu'il
serait peut-être plus pratique de grouper ces éléments dans une classe-type,
disons Connecteur, avec [les éléments qui correspondent à] atque, uel,
que, etc.). Un exemple plus probant nous est fourni par ita et ut dans la
phrase (5) : Ut sementem feceris, ita metes : COMME, SEMANT / Acc-sing,
FAIRE /Futfurj-Parf- Ind -Act -2« pers - sing, AINSI,
RECOLTER / Fut - Ind -Act - 2e pers sing. «Vous récolterez ce que vous avez
semé. » (Pour une discussion de cet exemple, voir la rubrique Classes
syntaxiques plus loin.)
La troisième sorte inclut ce que nous avons nous-mêmes 21 appelé des
propriétés morphosyntaxiques : à savoir des éléments tels qu'Ace, sing,
Mase, 3e pers, etc., dans la phrase-type qui correspond à l'exemple 1. Ceux-ci
non plus ne font pas partie du lexique mais on peut aussi les distinguer des
constantes syntaxiques en ce qu'on ne peut jamais les traiter comme des
éléments indépendants à l'intérieur de la phrase. Disons pour être plus
précis que la théorie grammaticale spécifiera un type d'élément complexe
qu'on identifie d'abord à l'aide d'un seul élément du vocabulaire ou
constante syntaxique, et ensuite à l'aide d'une ou plusieurs de ces propriétés
morphosyntaxiques. On pourrait par exemple citer l'élément du
vocabulaire FUNDUS 22 et les propriétés Ace et sing - c'est-à-dire l'élément
correspondant à fundos dans notre exemple. L'équivalent d'un tel élément
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dans nos phrases-types est manifestement une classe-type ou constante
syntaxique avec une ou plusieurs propriétés morphosyntaxiques qui lui
sont en quelque sorte attachées ou attribuées. Ainsi dans l'exemple 1, Ace
et sing seraient attribués à Nom, Parf, Ind, Act, 3e pers et sing à Verbe,
etc.
Ces trois sortes d'éléments constituent ce qu'on appelle normalement
les éléments terminaux d'une telle composante syntaxique. De surcroît,
bien sûr, les règles assignent à chaque type une interprétation basée sur
plusieurs symboles non terminaux. Ainsi dans l'exemple 1 on assignera une
étiquette de constituant (disons numéral complexe) aux éléments-types
qui correspondent à decent et très (ou encore syntagme nominal) aux
éléments-types qui correspondent à fundos decem et très, et ainsi de suite.
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Une telle grammaire définit manifestement un très grand nombre de
« classes de mots » soit par rapport à la composante syntaxique, soit par
rapport à la composante inflexionnelle (c'est-à-dire les « conjugaisons » dont
nous allons parler plus loin), etc. Ce qui n'est pas aussi évident, néanmoins,
c'est le fait que ces classes seront définies de plusieurs manières différentes.
Certaines appartiendront tout simplement à l'ensemble d'éléments primitifs
défini par la théorie descriptive : l'ensemble de tous les éléments du
vocabulaire, l'ensemble de toutes les constantes syntaxiques, etc.
Un nombre encore plus grand d'éléments recevront en plus des
définitions en extension dans la composante lexicale : ainsi l'extension de la classe
Nom sera tout simplement indiquée par les entrées lexicales de ses membres
individuels. Dans d'autres cas, pourtant, les définitions seront en
compréhension. La composante inflexionnelle, par exemple, contiendra peut-être
deux sections distinctes : l'une traitant des inflexions d'une classe
d'éléments Verbaux (l'Impératif, l'Infinitif et les formes verbales finies) et
l'autre de la classe d'éléments Nominaux (les participes traditionnels ainsi
que les noms et les adjectifs). Ainsi, une règle spécifiera par exemple que
« tous les Verbaux 3e pers sing ont la terminaison t (cf. reliquit dans
l'exemple 1) et une autre que tous les Nominaux Acc pi pourvu qu'ils ne
soient pas des participes ou des adjectifs neutres, ou des formes de noms
neutres, ont la terminaison s (cf. fundos, dans le même exemple). Néanmoins,
il est à la fois difficile et inutile de définir Verbal et Nominal dans le lexique
en tant que tels ; difficile, entre autres, parce que des participes comme
morientem (cf. exemple 4) sont des formes des mêmes éléments du
vocabulaire que des Verbaux comme moritur (mourir / Prés - Ind - Pass - 3e pers -
sing). Au lieu de cela on peut les définir par référence à leurs différentes
propriétés morphosyntaxiques ; par ex. Verbal comme l'ensemble de tous
les mots ayant l'une des propriétés Modales comme l'Indicatif, l'Impératif,
etc. et Nominal comme l'ensemble des mots ayant l'une des propriétés
casuelles comme l'Accusatif, le Nominatif, etc. (Voir Matthews 25 pour plus
de précisions sur ces mécanismes).
Nous avons assez discuté des classes auxquelles la grammaire assigne
un symbole adéquat comme par exemple Nom ou Nominal. Pourtant, il y
en a encore d'autres pour lesquelles elle ne fournira qu'une définition
implicite en ce sens qu'elles sont révélées par des règles d'interprétation qui
dépassent sa simple interprétation en tant que phénomène génératif. Un
exemple très simple devrait suffire à éclaircir ce point. La composante
inflexionnelle doit évidemment donner des règles contrastives dans le cas
d'alternances déterminées lexicalement. On aura, par exemple, une règle
qui spécifiera qu'il y a un suffixe a pour les membres de la première
conjugaison. Considérons par exemple amas (AIMER / Prés - Ind - Act - 2e pers -
sing) auquel fait pendant audis (ENTENDRE / Prés - Ind - Act - 2e pers -
sing). De ces deux verbes c'est AMO (AIMER) qui représente, et de loin,
la classe la plus grande et aussi la plus ouverte ; la règle qui rend compte de
audis est en quelque sorte une « exception » à la règle générale qui stipule
que, pour tous les autres verbes (c'est-à-dire les verbes pour lesquels les
règles valables pour audio, etc. ne s'appliquent pas), on a le suffixe a comme
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dans amas. On peut exprimer ceci dans une grammaire en interprétant les
règles inflexionnelles comme étant ordonnées (voir par exemple
Matthews 26). Les règles pour la quatrième conjugaison et aussi la deuxième et
la troisième conjugaisons, etc., sont énoncées les premières et ces classes sont
définies en extension par les entrées lexicales pour AUDIO, le verbe de
deuxième conjugaison MONEO, et ainsi de suite. Si l'on assigne un verbe à
l'une de ces classes, la règle spécifie alors le suffixe approprié (cf. i ci-dessus).
Dans le cas contraire le verbe tombe sous l'effet d'une règle finale qui
spécifie un suffixe a mais ne fait référence à aucun symbole de conjugaison.
Une des conséquences, bien sûr, est que le terme première conjugaison n'est
pas défini dans le lexique. Puisque la règle pour amo, etc., ne s'y réfère pas,
il est inutile que l'entrée lexicale, elle, s'y réfère.
Néanmoins on pourrait dire qu'il y a dans le cas de la première
conjugaison une définition implicite. Plus précisément, la théorie de la grammaire
(ou plutôt une « théorie » secondaire nous permettant de parler à propos des
grammaires) pourrait définir le terme de « régulier » comme indiquant tous
les éléments qui tombent sous le coup d'une règle finale dans l'une des séries
de règles inflexionnelles contrastives. Ainsi on pourrait dire que la grammaire
définit un ensemble de « verbes réguliers » (en ce qui concerne les règles
dont nous venons de parler) avec ото, etc., comme membres. Et si l'on
désire faire un pas de plus en avant, on peut aussi avancer l'idée qu'un
élément a une « régularité maximum » s'il est régulier du point de vue de
chaque série, c'est-à-dire si le lexique ne l'assigne à aucune des multiples
« classes inflexionnelles ». Dans ce sens, ото serait sans doute un verbe à la
régularité maximum en latin.
Cet exemple, nous l'avons déjà dit, est très simple. Un cas plus
intéressant, néanmoins, est celui des participes. (Dans cette classe nous inclurons
les « gérondifs », soit « substantifs » soit « adjectifs verbaux », et les « supins »,
ainsi que les participes proprement dits.) Il est peu probable que cette
classe serait définie explicitement dans une grammaire generative. Du point
de vue inflexionnel, nous l'avons vu, on la rattacherait à la définition en
compréhension de Nominal : nous n'avons nul besoin d'une autre classe
(à part les conjugaisons) à laquelle les règles doivent se référer. Lorsqu'on
se place du point de vue syntaxique les choses deviennent malgré tout plus
complexes. Pourtant, il semble évident que la classe-type qui correspond à
morientem dans l'exemple 4 (cum te morientem uidimus) devrait appartenir
à la même classe-type que moritur (voir plus haut) : c'est-à-dire à la classe
des Verbes à laquelle on a rattaché reliquit, etc. Pourquoi distinguer deux
classes quand il s'agit des mêmes (ou pratiquement des mêmes) éléments du
vocabulaire ? L'introduction de Participe comme élément non terminal
ne paraît pas non plus justifiée. L'analyse de 4 montrerait sans doute qu'une
simple phrase-type, avec morientem comme prédicat et l'élément
correspondant à te comme sujet, est imbriquée dans une autre phrase-type dont te
est objet de l'élément correspondant à uidimus 27. Une des conséquences
de cette imbrication est entre autres la substitution de la propriété Participe
Présent au Temps et Mode choisis pour le verbe, l'effacement de l'élément
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LANGAGES № 34 3
de Personne et l'adjonction du Cas et du Genre appropriés. Mais il n'est pas
nécessaire de donner en plus une classification en constituants pour
l'ensemble qui résulte de ces opérations. En fait, si l'on tenait malgré tout à une
telle classification on découvrirait que la classe correspondant aux adjectifs
(par ex. callido dans 2) conviendrait mieux qu'un nouveau terme Participe
puisque la règle pour l'accord des adjectifs s'appliquerait alors
automatiquement.
Pour les raisons précédentes on peut donc conclure que la classe des
participes ne recevrait aucune définition explicite. La seule définition
possible ne peut être (^implicite et nous donnerons ci-après une méthode
possible d'interprétation de ce principe.
Passons maintenant en revue les principales Classes de mots qui
existent dans le cadre que nous venons d'esquisser.
28. Voir J. Lyons, « Towards a notional theory of the parts of speech », JL (1966).
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toutes les conjonctions. Ainsi il semble raisonnable d'établir une classe-
type pour quando dans l'exemple 6 :
(6) non intellegitur, quando obrepat senectus : PAS, COMPRENDRE/
Prés - Ind - Pass - 3e pers - sing, QUAND, S'APPROCHER / Prés
Subj [onctif] - Act - 3e pers - sing, AGE / Nom - sing. « On ne se rend
pas compte du moment où l'on devient la victime du vieil âge. »
laquelle classe-type incluerait sûrement les éléments correspondant à cur
(POURQUOI), quomodo (COMMENT), etc. Il est également peu probable
que toutes les constantes syntaxiques seraient des conjonctions ou même
que toutes les conjonctions qui ne sont pas des constantes appartiendraient
à la même classe-type. Ainsi pour igitur dans l'ex. 7 :
(7) in quo igitur loco est? DANS, QUEL / Abl[atif], sing - Mase,
DONC, ENDROIT /АЫ- sing, ETRE / Prés - Ind - Act - 3e pers -
sing. « Dans quel endroit est-ce donc ? »
on établirait sans doute une autre classe, comprenant enim (CAR) entre
autres, qui serait distincte de la classe établie pour quando et aussi de la
classe des Connecteurs discutée plus haut. Notre composante syntaxique
ne réussirait donc pas à faire de la classe des conjonctions une classe explicite.
Dans ce cas, il faut se demander si la notion de « conjonction » a
vraiment une valeur quelconque. Si nous acceptons une réponse positive, la
caractérisation de la classe des conjonctions comme faisant partie des
universaux, doit être telle qu'elle se rattache à une définition implicite de
l'ensemble de ses éléments dans des grammaires particulières. Si de plus
nous présupposons que cette caractérisation est formelle (c'est-à-dire non
notionnelle), le terme de conjonction devient alors analogue à des termes
comme régulier ou ayant une régularité maximum dans nos exemples
précédents. Une telle approche ne paraît pas insurmontable. Comme
première approximation, reportons-nous à Yobiter dictum d'AmsTOTE,
Rhétorique 1413b 32 : 6... ouvSsafzoç ïv tcoisî та тгоЛХа (traduction libre, « les
conjonctions unissent des expressions séparées en une expression unique » 29)
ou aux formulations de quelques grammairiens classiques, par ex. Cominia-
nus, ou Charisius : coniunctio est pars orationis nectens ordinansque senten-
tiam, « la conjonction est la partie du discours qui organise et lie ensemble
le sens d'un énoncé »30. On peut saisir l'essence de cette approche en suggérant
que la conjonction est un élément non infléchi, qui est introduit comme une
conséquence directe de la coordination de deux ou plus de deux phrases-
types, ou de portions de phrases-types, ou encore de l'imbrication d'une
ou de plus d'une structure dans une autre structure. Ainsi la présence de ut
dans l'exemple 5 (ut sementem feceris ita metes) pourrait résulter de
l'imbrication d'une structure ayant feceris et sementem comme Prédicat et Objet,
dans le complément adverbial de l'autre structure ; ut n'apparaîtrait pas
dans une structure non enchâssée comparable. Sans doute cette formulation
ne parvient pas à définir la classe traditionnelle (par ex. que devient quando
si nous appliquons nos critères ?) mais il semble que le principe soit bien
fondé. Il suffit de faire quelques modifications partielles ou quelques réserves,
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à moins bien sûr qu'on accepte de se séparer de la tradition à certains égards.
Mais on ne peut débattre de ces problèmes d'une manière profitable que dans
un cadre qui dépasse le latin.
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Fem, ÊTRE / Pres - Inf - Act, RAISON / Асе - sing. « Ses amis le
persuadaient qu'il n'y avait aucune raison. »
(11) id ut facias, uehementer te rogo : QUE / Ace - sing - Neut, QUE,
FAIRE / Pres - Subj - Act - 2* pers - sing, IMPÉRATIVEMENT /
Adv[erbial], TE / Ace - sing, DEMANDER / Pres - Ind - Act -
lre pers - sing. « Je te demande impérativement de le faire. »
(12) Caesar te sine cura esse iussit : CÉSAR / Nom - sing, TU / Ace -
sing, SANS, SOUCI / АЫ - sing, ÊTRE / Pres - Inf - Act,
ORDONNER / Parf - Ind - Act - 3e pers - sing. « César a ordonné que tu sois
sans inquiétude. »
Dans l'exemple (8) la forme verbale statuissem a un complément à l'infinitif
simple scribere ad te aliquid, dans lequel statuissem et scribere ont tous deux
le même Sujet grammatical. Dans l'exemple (9), edicere a une proposition
en ut comme complément (cette construction est différente de celle en ut
dans l'exemple (5)) ; on peut la distinguer de rogo dans l'exemple (11) en ce
qu'elle n'a pas d'Objet grammatical. Dans l'exemple (10), le complément de
suadebant nous permet de voir ce qu'est une construction Infinitivo-Accu-
sative : on peut distinguer cet exemple de (12) en ce que le nom à l'Accusatif
(rationem) ne fonctionne pas comme l'Objet du verbe suadebant.
L'exemple (11) présente la structure Objet -f- construction en ut : le pronom te est
à la fois l'Objet du verbe principal rogo et le Sujet du verbe dans la
proposition en ut (facias). Finalement, l'exemple (12) présente la structure
correspondante Objet + construction Infinitive. Si nous examinons maintenant
les classes de verbes dont les formes fonctionnent de la même manière que
STATUO, EDICO, SUADEO, ROGO et IUBEO dans ces exemples, il se
trouve que les distributions se recoupent énormément. STATUO (décider)
répond à [la construction de l'exemple] (8) et également à [celles de] (9)
et (10), mais il ne répond pas à (11) ou (12) ; EDICO (proclamer) répond
à (9) et (10) seulement ; ROGO (demander) à 9 et 11 seulement, et IUBEO
(commander) à 9 et 12 seulement ; SUADEO (exhorter) répond à (9), (10),
(11) et (12), mais avec un objet au Datif au lieu de l'Accusatif dans le cas
de (11) et (12). Si nous jetons un coup d'oeil à quelques verbes
supplémentaires, on voit que QUAERO (chercher) répond 8 et à 9, et CONOR (essayer)
à (10) seulement. NEGO (nier) ne répond qu'à (10). PRECOR (prier) semble
ne répondre qu'à (11), tandis que HORTOR (exhorter) répond à (11), (9)
et (semble-t-il) (12). DOCEO quant à lui répond à (10) et (12) à la fois.
Ceci, bien sûr, n'est qu'une ébauche trop brève. Il est possible qu'une
analyse plus poussée d'autres verbes et constructions révèle une structure
que l'esquisse ci-dessus ne parvient pas à dégager. Néanmoins, il semble
certain que cette structure ne serait pas strictement hiérarchique. Pas une
seule de ces cinq propriétés lexicales (que nous pourrions appeler propriétés
8, 9, 10, 11 et 12) ne définit une classe elle-même incluse dans la classe
définie par l'une des autres propriétés. Au lieu de cela, [la classe que définit]
8 recoupe [celles que définissent] 9 et 10 ; 9 recoupe [l'ensemble de classes
que définissent] 8, 10, 11 et 12 ; 10 de la même manière recoupe [l'ensemble
que constituent] 8, 9, 11 et 12 ; 11 toutes les autres classes sauf 8 ; de même
pour 12. Si cette situation n'est pas exceptionnelle, comment arrive-t-on,
du point de vue des parties du discours, à découvrir quelques propriétés qui
soient plus fondamentales que les autres ?
37
Mots de la forme et mots du contenu.
38
maire et lexis]. Il paraît évident qu'aucune de ces identifications n'est
totalement satisfaisante. Les classes-types ouvertes, nous l'avons déjà vu,
sont Nom, Verbe et Adjectif ; mais il n'est pas vrai qu'on puisse attribuer
à ces classes un sens qui ne convienne pas non plus aux autres éléments.
Y a-t-il un des sens du mot « sens » qu'on puisse dénier à in (exemple 14)
tout en l'attribuant à FACIO (faire) ou GAEDES (meurtre) ? CAEDES est
peut-être un cas spécial à cause de la relation de ce mot au verbe CAEDO
(tuer), mais les deux autres éléments semblent avoir un statut identique
du point de vue du « sens ». Bien que ni l'un ni l'autre n'appartienne à la
classe des éléments ayant des denotata objectifs (du moins à première
vue), chacun d'eux peut rentrer dans des oppositions sémantiques : ainsi
in s'oppose de diverses manières à ad par exemple (comparez ad Appiam
uiam : près de la Voie Appienne).
L'échec de la seconde identification possible peut être prouvé sans
difficulté. Le terme de collocabilité se réfère à des relations comme celle de
Sujet-Prédicat qu'on trouve entre le nom AMIGUS (ami) et le verbe SUA-
DEO (exhorte) dans l'exemple (10). On pourrait définir ce fait à partir
d'une ou plusieurs règles de sélection qui spécifient, inter alia, qu'un verbe
comme SUADEO peut avoir pour Sujet un nom comme AMICUS, et non
par exemple un nom comme FUNDUS (domaine, cf. exemple (1). [Pour
des formulations possibles de ce problème voir à nouveau Chomsky 36 et
Matthews 37.] Les suggestions qui y sont faites rendraient compte de in
dans l'exemple (14) : les règles de sélection définiraient une relation (disons
la relation Objet-Locatif) telle que VIA (voie) puisse être en collocation avec
IN et non avec INTRA (à l'intérieur de), etc. Néanmoins l'argument
s'effondre dans le cas de certaines conjonctions. Ainsi il semble probable
que CUM (quand, cf. exemples (4) et (8)) ne contracterait absolument
aucune relation de collocation, et pourtant CUM a un sens qui lui est propre
et qu'on peut opposer à celui de DUM (pendant) ou de ANTEQUAM
(avant), etc.
Arrivés à ce point la tentation peut nous prendre d'opérer une simple
identification entre mots du contenu et éléments du vocabulaire et entre
mots de la forme et constantes syntaxiques. La notion de « sens », pourrait-on
dire, implique un « choix » et l'absence de « sens » reflète une absence de
« choix ». Le choix s'exprime, dans une grammaire, par la liste de valeurs
possibles pour certaines classes-types ; en conséquence un élément pour
« avoir du sens » doit appartenir au vocabulaire, sinon il n'a pas de « sens »
et fait partie des constantes syntaxiques. Ainsi pourrait-on défendre l'idée
que ET dans l'exemple (1) est un « mot de la forme » (ce qu'il est
intuitivement) et doit pour cette raison être considéré comme une constante et non
comme nous l'avons pratiquement suggéré comme un des Connecteurs.
Il est impossible de réfuter correctement une formulation aussi séduisante
dans le cadre qu'on a adopté ici. On peut néanmoins remarquer que la
différence entre éléments du vocabulaire et constantes syntaxiques n'est
pas aussi précise que nous avons pu le faire accroire. Certains éléments^
39
d'une manière caractéristique certaines prépositions en latin et dans les
langues qui lui ressemblent, seront parfois introduits comme des constantes
et parfois comme des éléments de classes-types plus ou moins grandes. Il
semble clair que la préposition actualisée par a dans l'exemple (15) :
(15) ita generati a nátura sumus : AINSI, ENGENDRER / Pass -
Nom - plur - Mase, PAR, NATURE / Abl - sing, ÊTRE / Pres -
Ind - Act - lre pers - plur. « C'est ainsi que la nature nous a faits. »
serait une constante syntaxique. L'introduction de a (et l'ablatif qui en
résulte pour le Sujet « nature ») découlerait automatiquement de la forme
Passive de la phrase (cf. plusieurs traitements du Passif en anglais, à
commencer par Chomsky 38). Et pourtant ce même élément dans
l'exemple (16) :
(16) Caesar maturat ab urbe proficisci : CÉSAR / Nom - sing, SE
DÉPÊCHER / Prés - Ind - Act - 3e pers - sing, DE, VILLE / Abl -
sing, PARTIR / Prés - Inf - Pass. « César se hâte de quitter la ville. »
appartiendrait à la classe-type comprenant ex (hors de) et probablement
aussi in (dans, sur) etc. Il n'y a aucune raison de supposer qu'on a affaire à
des éléments différents dans chaque cas. La variation morphologique (a
devant des consonnes mais ab devant des voyelles) reste constante, et il
en est de même du Cas qui est régi (l'Ablatif face à l'Accusatif ou au génitif).
On a là un exemple de plus d'un élément qui est une constante tout en ayant
une entrée dans le lexique.
Les problèmes que nous avons soulevés n'infirment pas la distinction
entre « mots de la forme » et « mots du contenu », pourvu qu'on accepte en
premier lieu la coexistence de critères qui se recoupent (par ex. ouvert/fermé,
collocabilité, etc.) et qu'on reconnaisse aussi l'aspect polysystémique 39 de
toute étude du « sens ». Néanmoins tout ceci complique notre tâche, et une
définition du terme « préposition » entre autres, s'avère très difficile à
découvrir. Il semble évident qu'il faut considérer ces éléments ensemble dans
toute analyse du latin. La constante dans l'exemple (15) et les classes-types
dans les exemples (13), (14) et (16), contractent la même relation
séquentielle avec les autres constituants du Syntagme nominal (comparer ceci
à la définition classique citée plus haut). De plus les différentes classes-types
se recoupent d'une manière significative : OB, par exemple, semble
appartenir à une première classe dans l'exemple (13) et à une autre (celle d'INTRA,
etc.) dans l'exemple (17) :
(17) mors ob oculos saepe uersata est : MORT / Nom - sing, AVANT,
ŒIL / Ace - plur, SOUVENT, SE PRÉSENTER / Pass - Nom - sing
- Fém, ÊTRE / Prés - Ind - Act - 3e pers - sing. « La mort s'est souvent
présentée à ses yeux. »
De cette façon, on peut distinguer une classe de «prépositions» en latin,
et la mettre en correspondance avec des classes approximativement
semblables établies pour l'italien, l'anglais, etc. Mais il est très difficile de
découvrir une définition plus générale qui transcenderait les particularités
syntaxiques de ce groupe de langues. Qu'y a-t-il en commun, par exemple, entre
les fonctions de a dans l'exemple (15) et celle qu'il a dans l'exemple (16) ?
40
Les classes morphologiques.
Les classes de mots dont nous avons débattu dans les trois sections
précédentes sont principalement des classes de lexemes, de « mots » en tant
qu'entités non structurées extraits, en quelque sorte, des formes de mots
qui constituent les paradigmes individuels 40. Ainsi SUM et FUNDUS sont
des lexemes extraits des formes individuelles est (exemple 3, etc.), sumus
(exemple 15), fundos (exemple 1) et ainsi de suite. Dans ce sens, il y a un
contraste entre des classes comme Nom ou « conjonction » et la majorité
de celles qui suivent dans nos deux dernières sections. Ainsi c'est le
lexeme FUNDUS qui appartient à la classe Nom et à la classe sélectionnelle
comptable, etc., mais ce sont les formes de mots actualisées par fundos,
fundus, fundi, etc. qui appartiennent à Nominal (se reporter plus haut et
plus bas à la rubrique « Classes inflexionnelles »). Les raisons que nous
avons d'insister sur ce point devraient maintenant être claires. Des formes
comme morientem et moritur (pour citer un exemple que nous avons déjà
utilisé) sont assignées au même lexeme MORIOR ; mais morientem
appartient à la classe Nominal, ce qui n'est pas le cas de moritur.
40. Sur le terme « lexeme » voir Lyons, op. cit., p. 11 i. : également dans un sens
que nous trouvons maintenant par trop restreint, Matthews, JL (1965), p. 140 et
FL (1965), pp. 270-271.
41. Matthews, JL (1965), 35-47, 139-171.
41
minales (comme te dans l'exemple 4, etc.), si l'on dit que ces formes sont
infléchies pour la personne ainsi que le nombre et le cas ; et formes
adjectivales pronominales (comme hic dans l'exemple 3), si l'on dit que les formes
adjectivales proprement dites sont infléchies pour le degré, cf. le
Comparatif dans notre analyse de meliores et beatiores (exemple 13). On pourrait
aussi avoir une classe morphologique de formes adverbiales, infléchies pour
le degré, à moins que celles-ci ne soient que des formes adjectivales,
possédant la propriété adverbiale : voir notre analyse de vehementer dans
l'exemple (11). Ces questions sont ouvertes et restent à résoudre.
L'importance de cette classification saute aux yeux car c'est ici que
nous sommes le plus près d'une division sur des bases traditionnelles. Mais
en même temps cette classification ne serait pas rendue explicite dans la
grammaire. Il ne semble pas y avoir de règles pour lesquelles ce type de classe
(à l'opposé des classes syntaxiques et sélectionnelles d'un côté, et inflexion-
nelles de l'autre) aurait une pertinence quelconque. Au lieu de cela le terme
classe morphologique serait sans doute défini, si on exige une définition,
dans notre théorie pour pouvoir parler à propos des grammaires (theory for
talking about grammars). Chaque classe morphologique est associée à une
certaine structure de catégories morphosyntaxiques qui se recoupent.
Ainsi les participes sont associés à une structure formée par l'intersection
du Nombre, Cas, Genre et Type, les formes nominales à une structure
formée par l'intersection du Nombre et du Cas seuls ; et ainsi de suite. Ce qui
est donc nécessaire c'est de limiter les propriétés de telles structures de
façon à inclure celles qui sont associées aux formes nominales, aux formes
verbales, etc. mais à exclure, par exemple, celles qui sont associées aux
formes verbales et aux participes à la fois ou aux formes nominales au
singulier seules, et ainsi de suite. (La nature de ces restrictions est plus
amplement discutée par Matthews 42.)
Dans le même genre de domaine il est également possible de préciser
ce que l'on entend par sous-classe de classe morphologique, par ex. les
Impératifs en tant que sous-classe des formes verbales. Ce qui est impossible
c'est de définir les étiquettes (forme verbale, forme adjectivale, etc.) qui
soient appliquées aux classes morphologiques individuelles autres que le
type des particules. C'est un problème qui dépasse des considérations
purement morphologiques.
Deux sortes de classes ont déjà été définies par rapport à la composante
inflexionnelle. La première est celle qui est représentée en latin par les classes
Nominal et Verbal : le statut et le but de cette classification ont déjà été
discutés dans un de nos chapitres précédents. C'est peut-être pour ce type
de classe, ainsi que pour l'ensemble des mots invariables et des particules,
que le terme de classe de la forme (form-class) est le plus approprié. Ce sont
des classes (comme nous l'avons vu) de « formes », opposées au lexemes, et les
42
règles pour lesquelles elles sont définies sont celles qui en quelque sorte
assignent des formes aux ensembles complexes les plus abstraits de lexemes
et de propriétés morphosyntaxique. Les trois classes déjà mentionnées, les
Nominaux, les Verbaux et les particules, sont bien sûr les trois seules
classes de la forme en latin : des deux classes de la forme infléchies, les
Verbaux correspondent à la classe morphologique des formes verbales
(voir plus haut) et les Nominaux à tout le reste.
La deuxième sorte de classe est celle qui est représentée par les
différentes conjugaisons, déclinaisons, etc. Les conjugaisons, comme nous
l'avons remarqué précédemment, sont des classes de lexemes qui seraient
dans la plupart des cas définis en extension dans le lexique : on s'y référerait
à la fois à l'aide des règles pour les Verbaux (et à cause de participes comme
morientem versus amantem ou auditus versus amatus) ainsi que pour les
Nominaux. On classerait pareillement les mêmes lexemes par rapport à la
formation du morphème du Parfait et aussi par rapport à celle du morphème
du Participe Passé ou Supin. Comparez, par exemple, les morphèmes du
Parfait fee- (cf. feceris, exemple 5) d'une racine fac- et iuss- (iussit dans
l'exemple 12) issu de iub ; on a pour les Participes Passés, aus- d'une racine aud-
(cf. ausus, exemple 9) et fact- de fac- (facta dans l'exemple]14). De plus les
membres de la troisième conjugaison seraient sous-classifiés par rapport à
la formation du morphème du Présent.
Les déclinaisons, d'autre part, sont en partie définies par le lexique et
en partie par les définitions en compréhension comme celles mises en avant
pour Nominal et Verbal.
Des cinq définitions traditionnelles, la quatrième et la cinquième sont
de simples classes de noms qu'il faut définir en extension. La troisième est
la classe des noms et des adjectifs (également définis en extension) à laquelle
s'ajoutent toutes les formes de mots ayant la propriété Participe Présent :
comparez la terminaison em- de morientem (exemple 4) à la même
terminaison dans le cas de la forme nominale rationem (exemple 10). Finalement, la
première et la deuxième classes sont en partie définies en extension, mais la
première comprend aussi le Féminin et la deuxième les formes Masculines
et Neutres des adjectifs et participes restants.
Ceci vient clore notre examen des principales classes de mots qu'une
grammaire generative du latin définirait probablement. Deux points de
notre discussion sont particulièrement essentiels : le premier concerne le
nombre et l'importance des classes (les conjonctions, les principaux mots-
types, etc.) qui ne correspondraient sans doute à aucune définition explicite.
Il est possible que nous nous soyons fourvoyés dans quelques-unes de nos
analyses, bien que chaque cas ait été traité à partir des principes qui ont
guidé les études génératives de l'anglais, de l'allemand et d'autres langues.
Mais nos erreurs possibles ne sauraient invalider le tout de notre étude. Il
semble y avoir plusieurs classes souvent conçues comme des catégories
strictement descriptives mais qui n'ont aucune justification descriptive.
La place réelle de telles catégories se trouve dans une investigation taxino-
mique - — plus précisément (à notre avis) dans une réinterprétation de la
grammaire fondant des comparaisons typologiques.
Le deuxième point concerne la variété des niveaux auxquels on peut
définir les classes pertinentes. Nous avons fait remarquer, au début de cet
43
exposé qu'il n'était pas nécessaire d'avoir des définitions homogènes : de
telles définitions paraissent, de toute façon, quasiment impossibles. En
premier lieu, il n'y a pas un seul niveau de la description auquel on puisse
commodément envisager les classes traditionnelles. Ainsi, la classe des
Numéraux ne serait définie que dans le lexique ou, d'une manière plus
vague, dans ce que Chomsky 43 appelle la syntaxe « profonde ». Par contre,
la distinction entre verbes et participes n'est qu'une question de syntaxe
de surface ou de morphologie. Deuxièmement, plusieurs classes différentes
sont reconnues à divers niveaux d'abstraction, en ce sens que certaines
sont définies implicitement alors que d'autres le sont explicitement.
Troisièmement, il y a plusieurs cas où une distinction à un niveau peut être
(avec plus ou moins de précision) mise en parallèle à une distinction à un
autre niveau. Par exemple, la distinction explicite entre Noms et Adjectifs
(voir les classes syntaxiques) se superpose à la distinction implicite (voir les
classes morphologiques) entre formes nominales et formes adjectivales ;
néanmoins ces dernières auront certains membres, par ex. les Numéraux
déclinables comme TRES (trois) ou UNUS (un) qui appartiennent aussi
à une autre classe-type. Pareillement, la distinction entre formes verbales
et participes est renforcée par celle entre Verbaux et Nominaux, bien que
l'ensemble Nominal soit, sans aucun doute possible, plus grand. De
surcroît, la classe des lexemes dont les formes sont soit des formes verbales soit
des participes (voir le terme « lexème-type » chez Matthews 44) a pour
parallèle presque exact, mais pas tout à fait, la classe-type Verbe. On ne
peut négliger ces correspondances, même si elles ne sont parfois
qu'approximatives. Gomme Bazell 45 l'a précisé dans une perspective plus vaste, il
serait également peu raisonnable, vu l'hétérogénéité de nos critères, de
s'attendre à découvrir des correspondances précises, si bien qu'on finit
(lorsqu'on découvre que les correspondances sont en fait imprécises) par vouloir
adopter un critère unique à l'exclusion de tous les autres. Aucun critère
unique ne peut nous permettre de décider si en plus des classes des « noms »
et des « adjectifs », il faudrait aussi reconnaître une classe supplémentaire
correspondant au nomen classique. Au contraire, il faut comparer
soigneusement les distinctions entre classes inflexionnelles d'une part, et celles entre
mots-types et classes-types de l'autre : nomina comprend une paire de mots-
types, tous deux des sous-ensembles de la classe Nominal en correspondance
relativement étroite avec les classes-types appropriées, et tous deux définis
par des structures incluant le Cas et le Nombre, dont les membres à l'inverse
des membres participes de Nominal, ne sont pas assignés à des lexemes
dont les autres formes sont des membres de Verbal. Il faut s'attendre à ce
qu'une telle mise en équilibre des critères soit normale.
C'est avec ces commentaires à l'esprit que nous devons conclure les
principaux arguments de cet essai. Nous n'avons fait que débattre du
statut que certaines classes (traditionnellement appelées « noms », « verbes »,
etc.) auraient dans un type d'approche plus moderne. A cause de cela, nous
44
avons commodément négligé un certain nombre de problèmes. Mais il ne
faut pas oublier qu'il n'y a pas encore de grammaire generative du latin
(même pas une esquisse visant à illustrer quelques aspects de la théorie) et
que nous avons dû réinterpréter toute une tradition d'une manière quelque
peu ad hoc. Deuxièmement, nous avons évité de donner des définitions
générales plus précises, par ex. une caractérisation plus sérieuse des «
conjonctions » (voir nos Classes syntaxiques) ou encore une quelconque
définition des termes « adjectif » et « adverbe ». On a mis en avant un certain
nombre de thèses dans des études récentes, thèses qui seraient sans doute
viables dans le cadre de nos recherches. Mais là encore nous déborderions
facilement les limites de cette étude. De plus, il n'est pas certain qu'on
puisse vraiment évaluer ces suggestions dans l'état présent des recherches
en cours. Nous devons donc nous contenter de constater que les définitions
générales ne restent qu'un desideratum, et se posent peut-être à plusieurs
niveaux.
45
qu'une grammaire generative du latin assignerait des propriétés de Temps
(par ex. Présent, Futur ; ainsi que pour suivre la tradition des propriétés de
Voix active ou passive) par opposition aux propriétés de Type (par ex.
participe présent, participe futur, etc.). Il faut donc admettre que les
propriétés en question sont de plusieurs espèces : les participes ressemblent aux
verbes en tant que formes de lexemes verbaux et aux noms en tant
qu'infléchis pour le cas. Mais après tout pourquoi considérer le cas comme d'une
importance capitale ? Les formes verbales imperatives et les formes
verbales finies sont comme les noms infléchies pour le nombre : pourquoi ne pas
les appeler participes et les placer même avant les infinitifs de ce point de
vue-là.
La solution serait probablement de définir participe ; non seulement à
partir de caractéristiques communes à plusieurs sortes d'éléments, mais à
partir de certaines règles de « participialisation ». La règle se chargeant de
morientem dans l'exemple (4) est d'un certain point de vue une règle de
nominalisation et se distingue donc de la règle d'accord qui attribue un
pluriel à (mettons) SUADEO dans l'exemple (10), mais on peut aussi la
distinguer (bien que ce soit une question beaucoup plus délicate) de la règle
de morphologie dérivationnelle qui traiterait caedes dans l'exemple (4). Il
est difficile de savoir si ce type d'approche nous mènera au succès ; dans le
cas d'une réponse positive on peut se demander si c'est la classe « participe »
ou bien la règle de participialisation qui est la plus utile. Pour revenir à nos
descriptions typologiques, pourquoi ne pas se contenter de dire que le latin
a des règles de participialisation et que le latin a davantage de types de
participialisation que l'espagnol ?
Cette question soulevée en post-scriptum ne saurait trouver une réponse
ici. D'abord nous ne savons pas quels traits linguistiques ont une véritable
valeur typologique, tant ce secteur a été négligé au cours des dernières
décades ! Nous ne pouvons qu'espérer, maintenant qu'on a donné une
clarification préliminaire des objets à étudier, c'est-à-dire les grammaires
ou les ensembles de grammaires possibles, que ce vide sera comblé.
46