Les ours de la grotte Chauvet livrent leurs secrets
Jean-Luc Nothias 28/10/2008 |
. Des Français ont pour la première fois décrypté une partie de l'ADN d'ours vieux de 32 000 ans. Les ours des cavernes de la grotte Chauvet ont commencé à parler. Ils ont confirmé qu'ils vivaient là il y a bien 32 000 ans et occupaient la grotte en alternance avec les hommes en fonction des saisons. Ces hommes préhistoriques y ont peint un fantastique bestiaire de plus de 420 animaux - des chevaux, des lions, des rhinocéros, des panthères… - faisant ainsi de cette caverne, après sa découverte en 1994 par trois spéléologues près de Vallon-Pont-d'Arc, dans la vallée de l'Ardèche, la plus ancienne et la plus précieuse des grottes ornées de la préhistoire. Donnant du même coup des années de travail à une équipe pluridisciplinaire de scientifiques. Parmi eux, une équipe de l'institut de biologie et technologies du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à Saclay (Essonne) et du CNRS, s'est intéressée aux très nombreux ossements d'ours. «Nous sommes des privilégiés. Car pénétrer dans cette grotte aux dimensions imposantes est à chaque fois un moment magique», reconnaît Jean-Marc Elalouf, responsable de l'équipe scientifique. Impression partagée par l'un de ses techniciens d'alors, Nicolas Caudy : «L'émotion est forte. D'autant que les fresques ont l'air toutes fraîches.» «Arbre généalogique précis» Mais eux, ils sont là pour les ossements. «Comme pour les peintures, les très bonnes conditions de conservation régnant dans la grotte ont préservé les ossements, en grande majorité d'ours des cavernes, et nous avons pu en trouver avec des restes organiques importants», explique Jean- Marc Elalouf. L'ours des cavernes, qui pouvait mesurer jusqu'à 3,5 mètres et peser de 400 à 600 kg, est appelé ainsi parce que pratiquement tous les restes que l'on connaît de lui ont été découverts au fond de cavernes. C'est là qu'il passait la saison froide en semi-hibernation. Végétarien, il n'avait pas tous les ans la chance de pouvoir constituer des réserves suffisantes pour survivre aux longues périodes de froid. D'où les nombreux squelettes au fond des grottes. Des échantillons des ossements de la grotte Chauvet ont donc été rapportés en laboratoire et datés au carbone 14 (à 32 000 ans). La totalité de l'ADN dit mitochondrial, - car il réside dans les mitochondries des cellules, ces petites usines miniatures de production d'énergie - a pu être analysée et séquencée. Trois ans de travail qui sont présentés dans un article paru cette semaine dans les Pnas. «C'est la première fois que l'on a accès à la totalité d'un tel ADN, souligne Jean-Marc Elalouf. Ce qui nous a permis d'établir un arbre généalogique des ours très précis. » Conclusion, l'ours moderne le plus proche de l'ours des cavernes, disparu il y a quelque 15 000 ans, est bien l'ours brun. Et leur ancêtre commun vivait il y a 1,6 million d'années. L'une des prochaines étapes de ces travaux pourrait être d'essayer de recueillir un autre type d'ADN, celui du noyau des cellules. Mais il est beaucoup plus long que l'ADN mitochondrial et sera sans doute très abîmé, victime lui aussi de toutes sortes de contaminations. «Mais nous pourrions sans doute réussir quelques analyses très intéressantes, estime Jean-Marc Elalouf. Comme par exemple identifier le sexe des animaux. Y avait-il plus de femelles que de mâles ? En quelles proportions ?» Les ours des cavernes ont encore bien des histoires à nous raconter. Pourquoi des fourmis se «suicident»-elles ? 22/10/2008 |
HISTOIRES DE SAVOIR - La chronique de Jean-Luc Nothias du 22 octobre.
Évoquer le «suicide» d'une fourmi est, bien sûr, une façon de parler. Les animaux ne se suicident pas. Pas plus les fameux lemmings, ces petits rongeurs scandinaves, que les scorpions qui se piqueraient avec leur dard. Les lemmings se déplacent en groupe et nagent très bien. Quand ils arrivent devant une rivière ou n'importe quel plan d'eau, ils y plongent pour traverser. Le seul problème du lemming est qu'il ne sait pas faire la différence entre un plan d'eau fermé et l'océan. C'est pourquoi on a pu voir des groupes de lemmings sauter dans la mer et y nager jusqu'à épuisement. Et le scorpion pour sa part se recroqueville s'il est menacé par des flammes, donnant l'impression de se piquer, ce qui n'aurait aucune conséquence néfaste car il est immunisé contre son propre venin. Mais dans les cas qui vont nous intéresser, il y a tout de même très clairement plus que des conduites à risques. Sous certaines influences, des animaux peuvent carrément s'offrir en sacrifice à leurs prédateurs. Et tout cela parce que des parasites ont pris les commandes. C'est le cas d'un ver plat, la petite douve du foie (Dicrocoelium dendriticum). Comme tous les vers de ce groupe des « trématodes », cet invertébré a un cycle de vie complexe qui nécessite qu'il soit hébergé, à différents stades, par trois hôtes-animaux. Le tout dans un ordre bien précis. Et comme si cela ne suffisait à lui corser la tâche, il va lui falloir imaginer les moyens de passer d'un hôte à l'autre, en l'occurrence l'escargot, la fourmi et le mouton. Prenons un mouton infecté. Ses excréments vont contenir des œufs du parasite. Il est relativement facile, une fois au sol, de faire passer par là un escargot qui va donc se faire infecter. Les œufs vont devenir des larves, appelées cercaires. Elles se placent dans les petites bulles de mucus du système respiratoire de l'escargot. Celui-ci va en expectorer. Voici nos larves de nouveau au sol. Pas de grandes difficultés donc à se trouver sur le chemin de fourmis. Celles-ci, en mangeant ce mucus, vont être infectées. La larve va de nouveau se transformer (en métacercaires). Le problème à ce stade est que la larve est moins mobile. Il n'y a donc pas de voie de sortie simple. Et si le parasite tuait la fourmi, il n'aurait que très, très peu de chances d'achever son cycle dans son troisième animal-hôte, le mouton. Et c'est là que ce petit ver va réaliser un exploit renversant. La petite douve va, on ne sait trop comment, prendre le contrôle de l'énorme (à son échelle de minuscule larve) fourmi et l'obliger à effectuer des manœuvres quasi-suicidaires. Le foie du mouton comme dernier refuge La fourmi parasitée va ainsi grimper sur un brin d'herbe, s'installer en haut, et, laissant tomber toutes ses autres tâches de fourmi, attendre des heures qu'un mouton vienne l'avaler par inadvertance en broutant son repas de végétarien. Si cela ne marche pas, la douve permet à la fourmi de reprendre un temps ses occupations avant de la faire remonter sur un autre brin d'herbe. Tous les vers ne réussissent pas, bien sûr, à faire croquer «leur» fourmi. Mais en cas de succès, une fois ingérée par le mouton, la douve va se loger dans son foie, y faire des œufs qui seront rejetés. En attendant un escargot… Ce n'est pas le seul exemple de parasite qui manipule un animal. Ainsi, une espèce de petite crevette du Languedoc-Roussillon, le gammare, adopte un comportement aberrant lorsqu'elle est parasitée par un autre petit ver (Microphallus papillorobustus). Celui-ci oblige le crustacé à non seulement venir près de la surface, plutôt que de rester protégé plus profond, mais également à s'agiter en tout sens pour se faire remarquer. Et se faire avaler par un oiseau. C'est que notre petit ver doit passer d'un hôte aquatique (le gammare) à un hôte aérien (l'oiseau). Il y a vraiment des parasites qui sont bien plus que de simples pique-assiettes.