Vous êtes sur la page 1sur 20

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254 Vigiliae

Christianae
brill.com/vc

La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme


des couleurs 
Les vêtements sacerdotaux d’Exode, 28, 1-43

Aline Canellis
Université Jean Monnet – Saint-Étienne
HiSoMA UMR 5189
aline.canellis@univ-st-etienne.fr

Abstract

In his Letter to Fabiola (Epistula 64) Jerome describes Aaron’s priestly vestments
(Lev 21:10-15; Ex 28:1-43); his exegesis is influenced not only by Philo and Josephus, but
also by Origen. As usual, he elaborates both interpretations of the pericope, the histo-
rical and the allegorical explanations.

Résumé

Dans sa Lettre à Fabiola (Epistula 64) Jérôme décrit les vêtements du Grand Prêtre
Aaron (Lv 21, 10-15 ; Ex 28, 1-43) ; son exégèse est influencée non seulement par Philon
et Flavius Josèphe, mais aussi par Origène. Comme à son habitude, il s’attache aux
deux niveaux d’interprétation de la péricope, historique et allégorique.

Keywords

Saint Jérôme – exégèse biblique “historique” et “allégorique” – symbolique des


couleurs – Les vêtements sacerdotaux d’Exode, 28, 1-43 – Fabiola – Origène – Philon
d’Alexandrie – Flavius Josèphe

© koninklijke brill nv, leiden, 2018 | doi 10.1163/15700720-12341344


236 Canellis

L’Epistula 641 est la première des deux lettres2, parvenues jusqu’à nous, que le
moine de Bethléem a adressées à Fabiola3, « l’honneur des Chrétiens, l’étonne-
ment des Gentils, le deuil des pauvres, la providence des moines4 ». Elle a été
écrite en 3975 à cette aristocrate romaine de la Gens des Fabii qui se consacre
à l’ascétisme chrétien, dont témoignent ses jeûnes, ses aumônes, son humili-
té, sa foi, « et, pour condamner les étoffes de soie, sa toilette plébéienne et sa
recherche des vêtements serviles »6. Les nombreuses qualités de cette matro-
na sont soulignées dans l’oraison funèbre la concernant que Jérôme envoie à
Océanus en 4007 : « c’est ainsi », écrit-il, « que, revêtue des ornements sacer-
dotaux d’un précédent volume à elle adressé, elle peut se réjouir, après avoir
traversé le désert de ce monde, d’être enfin parvenue à la Terre Promise »8.

1  Jérôme, Ep. 64, ed. J. Labourt, CUF 3, Paris, 1953, p. 117-140 = I. Hilberg, CSEL 54, Vienne, 19962,
p. 586-615.
2  La seconde lettre, l’Ep. 78 (CUF 4, Paris, 1954, p. 52-93 = I. Hilberg, CSEL 55, Vienne, 19962,
p. 49-87) s’attache à la traversée du désert dans un commentaire suivi de Nombres 23,
2-49. Voir A. Canellis, « Désert et ville dans la Correspondance de saint Jérôme », Vigiliae
Christianae 66 (2012) (Brill, Leiden), p. 1-27 ; Ead., « L’exégèse de Nombres 33, 1-49 : d’Origène
à saint Jérôme (Epist. 78 à Fabiola) », dans E. Prinzivalli, F. Vinel et M. Cutino, avec la colla-
boration de I. Perée, Transmission et réception des Pères grecs dans l’Occident, de l’Antiquité
tardive à la Renaissance. Entre philologie, herméneutique et théologie. Actes du colloque inter-
national organisé du 26 au 28 novembre 2014 à l’Université de Strasbourg, Institut d’Études
Augustiniennes, Paris, 2016, Série Moyen Âge et Temps Modernes 53, p. 57-79.
3  Sur Fabiola (… entre 386 et 395 – avant 400), voir C. et L. Pietri, J. Desmulliez, PCBE, Italie, 2,
EFR, Rome, 1999, s. u. « Fabiola 1 », p. 734-735 ; C. Krumeich, Hieronymus und die christlichen
Feminae Clarissimae, Bonn, 1993, p. 158-160 (vie) ; 287-297 (ascèse et ouverture d’un hôpital,
xenodochium, au Portus Romanus), et de B. Feichtinger, Apostolae apostolorum, Peter Lang,
1995, p. 194-199 ; P. Laurence, Jérôme et le nouveau modèle féminin. La conversion à la « vie par-
faite », Institut d’Études Augustiniennes, Paris, 1997, Collection des Études Augustiniennes,
Série Antiquité 155, p. 263-265, 368-369.
4  Jérôme, Ep. 77, 2 : « Fabiolam, laudem christianorum, miraculum gentilium, luctum pau-
perum, solacium monachorum » (CUF 4, p. 40, l. 16-18 = I. Hilberg, CSEL 55, p. 37, l. 16-18).
5  Datation de J. Labourt : 395-fin 397 ; P. Lardet (L’Apologie de Jérôme contre Rufin, Un commen-
taire, Brill, Leyde 1993 (Chronologie des œuvres hiéronymiennes, p. 489-499) : 397.
6  Jérôme, Ep. 77, 2 : « … et in condemnationem uestium sericarum plebeium cultum et seruilia
indumenta quaesita » (CUF 4, 1954, p. 40, l. 22-23 = I. Hilberg, CSEL 55, p. 38, l. 2-3).
7  Jérôme, Ep. 77 (CUF 4, 1954, p. 39-52 = I. Hilberg, CSEL 55, p. 37-49).
8  Jérôme, Ep. 77, 7 : « Vt sacerdotalibus prioris ad se uoluminis induta uestibus, per mundi
huius solitudinem gaudeat se ad terram repromissionis aliquando uenisse. » (CUF 4, 1954,
p. 48, l. 8-10 = I. Hilberg, CSEL 55, p. 45, l. 10-12).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 237

Comme nombre de missives écrites pour les nobles dames de Rome, telles
Marcella, Paula (et sa fille Eustochium)9, la Lettre 64 répond aux interrogations
exégétiques de Fabiola concernant les vêtements sacerdotaux de l’Ancien
Testament, bigarrés, chatoyants, raffinés et précieux. A l’époque toutefois où
il rédige cette missive, le Vir trilinguis10 qui, outre le Latin, maîtrise le Grec
et l’Hébreu, n’a pas encore traduit de l’Hébreu le Pentateuque, entreprise qu’il
mènera à terme dans les années 398-40011.
L’Epistula 64 se présente donc comme une lettre exégétique, dans la lignée
de celles qui ont été écrites à Rome pour le pape Damase et les dames du cercle
de l’Aventin : le didactisme et l’érudition y côtoient une certaine familiarité
respectueuse. Maîtrisant désormais sa méthode exégétique, puisqu’il a déjà

9  Voir par exemple Ep. 25-29 ; 34 ; 59 à Marcella ; Ep. 30 à Paula ; Eustochium est le des-
tinataire indirect des lettres que reçoit sa mère, mais, comme elle, elle s’intéresse aux
questions exégétiques. Jérôme leur dédiera à toutes les deux plusieurs préfaces aux
traductions des livres bibliques ainsi que divers commentaires exégétiques (L’In
Hiezechielem sera dédié à la seule Eustochium après la mort de sa mère). Sur les lettres
exégétiques, voir A. Canellis, « Les premières lettres exégétiques de saint Jérôme » dans
Epistulae Antiquae III, actes du IIIème colloque international « L’Epistolaire antique et
ses prolongements européens », Université François Rabelais, Tours, 25-27 septembre 2002,
Peeters, Louvain-Paris, 2004, p. 365-384, en part. p. 367. Sur Paula (5 mai 347-† 26 janvier
404), Marcella (… entre 339 et 346-† 31 janvier 411) et Eustochium (après 364/365-avant
fin 418/419), voir « Paula 1 », PCBE, Italie, t. 2, p. 1617-1626 ; « Marcella 1 », PCBE, Italie, t. 2,
p. 1357-1362 ; « Julia Eustochium », PCBE, Italie, t. 1, p. 713-718 ; sur Marcella, voir S. Letsch-
Brunner, Marcella, Discipula et Magistra, Auf den Spuren einer römischen Christin des
4. Jahrhunderts, Berlin-New York 1998, p. 257 ; A. Chastagnol, Les fastes de la péfecture
de Rome au Bas-Empire, Paris 1962, p. 293 (arbre généalogique) ; sur Marcella, Paula et
Eustochium, voir C. Krumeich, Hieronymus und die christlichen Feminae Clarissimae,
p. 70-91, 94-101 et B. Feichtinger, Apostolae apostolorum, p. 168-188, p. 209-212.
10  Expression de D. Brown, Vir Trilinguis, A Study in the Biblical Exegesis of Saint Jerome,
Pharos, Kampen, The Netherlands 1992 ; pour un bilan récent sur la compétence de
Jérôme en hébreu, voir A. Canellis (dir.), Jérôme, Préfaces aux livres de la Bible, SC 592,
Paris, Cerf, 2017, p. 78-83 ; Y.-M. Duval, Nouvelle histoire de la Littérature Latine, trad. al-
lemande, s. u. « Hieronymus », § 647, Bibelübersetzungen dans P. Lebrecht Schmidt (éd.
allde), J.-D. Berger, Y.-M. Duval, J. Fontaine (éd. fr.), La littérature de l’Antiquité tardive 2 :
L’Âge de Théodose (374-430), HLL 6, à paraître en 2018 (Munich-Turnhout), en part. Lit. 41,
p. 177.
11  Datation selon Y.-M. Duval (HLL 6, § 647, p. 196). Voir récapitulatif dans A. Canellis (dir.),
Jérôme, Préfaces aux livres de la Bible, SC 592, Paris, Cerf, p. 97.

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


238 Canellis

publié plusieurs commentaires suivis12, le « patron des hommes de lettres »13


aborde successivement le double sens de l’Écriture – sens littéral et/ou histo-
rique, et sens spirituel (ou mystique) – en s’attachant notamment à la symbo-
lique des couleurs des vêtements sacerdotaux décrits dans le livre de l’Exode14.

1 Une lettre exégétique

Loin d’être un simple traité exégétique, l’Epistula 64 est une vraie lettre15, de la
veine de celles que Jérôme écrivait à Rome, où le « régal de la conversation » est
relevé du sel de la science16. Selon la tradition classique, l’occasio de la lettre est
rappelée : Fabiola, dans sa missive, perdue pour nous, « sollicitait » son desti-
nataire « avec insistance de [lui] écrire au sujet des vêtements d’Aaron »17, frère
de Moïse et premier grand Pontife des Hébreux, car le Seigneur les décrit lon-
guement à Moïse dans le Livre de l’Exode au chapitre 28. Ce rappel sert de pré-
texte à Jérôme qui, en un jeu littéraire adapté au thème de la lettre, présente sa
réponse comme une « offrande plus large » (ego plus obtuli)18 puisque, avant de

12  A cette date Jérôme a rédigé les Commentaires sur Abdias (vers 374 – perdu), les Épîtres
de Paul (aux Galates, aux Éphésiens, à Tite, à Philémon – 386), l’Ecclésiaste (388/389),
Nahum, Michée, Sophonie, Aggée, Habacuc (393), Jonas, Abdias (396). Voir récapitulatif
dans Y.-M. Duval (HLL 6, § 647, p. 237-343 et 246-250).
13  Paul Claudel, « Saint Jérôme, patron des hommes de lettres », écrit en octobre 1940 et
publié en 1947, Poésies, Poésie/Gallimard, 1970, p. 165-167.
14  Voir C.T.R. Hayward, « St Jerome and the Meaning of the High Priestly Vestments » dans
W. Horbury (ed.), Hebrew Study from Ezra to Ben-Yehuda, Edinburgh, 1999, p. 90-105. Notre
analyse prolonge et complète l’étude précise de R. Hayward (« 1. The Hebrew names of the
vestments ; 2. The form of the high priest’s vestments ; 3. Jewish symbolic interpretation of
the Vestments »), mais surtout elle n’a pas la même perspective : il centre son étude prin-
cipalement sur les sources hébraïques, Philon et Flavius Josèphe, sans déceler ni étudier
l’influence d’Origène sur l’expliation de Jérôme.
15  Jérôme s’adresse de nombreuses fois à sa lectrice, en particulier pour attirer son atten-
tion : § 16, CUF 3, l. 12-13 ; l. 15-16 = CSEL 54, l. 14-15 ; l. 17.
16  Jérôme, Ep. 29, 1 à Marcella (CUF, 2, p. 22, l. 23-25 = CSEL 54, l. 9-10). Voir A. Canellis,
« La lettre selon saint Jérôme. L’épistolarité de la correspondance hiéronymienne », Actes
du IIè colloque international « Le genre épistolaire antique et ses prolongements euro-
péens », Université François Rabelais, Tours, 28-30 septembre 2000, Peeters, Louvain-
Paris, 2002, p. 311-332 », en part. p. 327, n. 193.
17  Jérôme, Ep. 64, 8 : « Conpulisti me, Fabiola, litteris tuis, ut de Aaron tibi scriberem uesti-
mentis. Ego plus obtuli, ut de cibis et praemiis sacerdotum et de obseruatione pontificis
praefatiunculam struerem ». (CUF 3, p. 125, l. 5-8 = CSEL 54, p. 595, l. 12-15).
18  Jérôme, Ep. 64, 8 (CUF 3, p. 125, l. 6 = CSEL 54, p. 595, l. 13).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 239

traiter le sujet demandé, il procède à un excursus, « une brève préface » (prae-


fatiuncula), sur les aliments, les honoraires des prêtres, et sur les observances
du Pontife19. Mais sous le couvert de ce cadeau et sous le miel et l’élégance des
propos se cachent les reproches d’un Jérôme peiné que Fabiola, terrorisée par
l’approche de l’invasion des Huns, ait délaissé la sainte campagne de Bethléem
pour regagner Rome, la Babylone occidentale20. La distance séparant les deux
amis est encore évoquée en fin de lettre avec la mention des marins qui crient
en détachant les cordes du rivage, signal pour Jérome de mettre un terme au
courrier qu’il a dicté rapidement en une seule veille21, tout en abrégeant son
discours autant que possible22.
Ainsi rédigée, la lettre hiéronymienne présente une structure bipartite :
dans un premier temps, comme il l’avoue lui-même, Jérôme s’attache aux « ali-
ments et aux honoraires des prêtres » (§§ 1-2), puis « aux grands privilèges
dont jouit le Pontife » (§§ 3-7). A la différence des paragraphes précédents
l’exégète opte pour un commentaire suivi de quelques versets du Lévitique
(Lév. 21, 10 ; 21, 11 ; 21, 12 ; 21, 13-15 ; 21, 14), influencé sans doute par l’Homélie
12 d’Origène sur le Lévitique23 ; la seule couleur évoquée est la blancheur im-
maculée des vêtements du Pontife qui, selon l’interprétation christologique et
ecclésiologique d’Apocalypse 14, 4, ressortissent au cortège de l’Agneau et sont
confectionnés avec la laine d’une brebis tondue24. Cette thématique de la cou-
leur blanche et sans tache qui ne figure pas explicitement dans le Lévitique25,
mais dans l’Apocalypse (15, 6) et dans les homélies origéniennes26, annonce
la description commentée des vêtements sacerdotaux de l’Exode. À cette ex-
plication du Lévitique succède en effet un exposé synthétique s’appuyant sur
plusieurs versets d’Exode 28 (Ex. 28, 39 ; 28, 27-36 ; 28, 31-35 ; 28, 6-14 ; 28, 12 ; 28,

19  Jérôme, Ep. 64, 8 (CUF 3, p. 125, l. 6-8 = CSEL 54, p. 595, l. 13-15).
20  Jérôme, Ep. 64, 8 (CUF 3, p. 125, l. 8-19 = CSEL 54, p. 595, l. 20-21). Voir A. Canellis, « Désert
et ville dans la Correspondance de saint Jérôme », p. 24, n. 133.
21  Jérôme, Ep. 64, 22 (CUF 3, p. 140, l. 8-21 = CSEL 54, p. 615, l. 5-6).
22  Jérôme, Ep. 64, 2 (CUF 3, p. 121, l. 13-17 = CSEL 54, p. 591, l. 2-3) ; 19 (CUF 3, p. 135, l. 7-9 = CSEL
54, p. 609, l. 6-8) ; 21 (CUF 3, p. 138, l. 9-17 = CSEL 54, p. 612, l. 20-21).
23  Origène, HLev 12 (ed. M. Borret, SC 287, Paris, 1981, p. 164-194).
24  Jérôme, Ep. 64, 3 : « … et uestimenta sua non scindet, quia candida sunt, quia inpoluta,
quia agnum sequentia et de adtonsae ouis confecta uelleribus. » (CUF 3, p. 121, l. 21-24 =
CSEL 54, p. 591, l. 9-11).
25  Lév. 21, 10 évoque les vêtements saints, sacrés, du Grand Pontife.
26  Jérôme, Ep. 64, 3 (p. 121, l. 20-21 = CSEL 54, p. 591, l. 9-10) ; cf. Origène, HLev. 12, 2 (p. 170, l. 46-
47) ; 12, 3 (p. 176, l. 41-43). La blancheur éclatante du lin tout simple est déjà mentionnée
à propos des vêtements des prêtres dans l’Ep. 29, 5 (CUF 2, p. 29, l. 3-4 = CSEL 54, p. 240,
l. 3-4).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


240 Canellis

15-29 ; 28, 36-39), émaillé d’un balisage de transitions claires et de justifications


méthodologiques.
De fait la démarche explicative suit un habile crescendo : dès le début
de la lettre, Jérôme invoque, avec le verset 3, 16 de la deuxième Épître aux
Corinthiens, le verset 3, 6, d’ordinaire utilisé dans les commentaires hiérony-
miens pour exprimer et justifier le double sens de l’Écriture, d’abord le sens
littéral et/ou historique selon l’interprétation des « Hébreux », puis l’interpré-
tation à plus haut sens, le sens spirituel, relatif à l’Église du Christ : « Mais »,
note Jérôme, « quand nous aurons été convertis vers le Seigneur, ce voile sera ôté
(cf. 2 Corinthiens 3, 16) : la lettre qui tue meurt, l’esprit qui vivifie est ressuscité
(cf. 2 Corinthiens 3, 6). Oui, le Seigneur est esprit, et sa loi est spirituelle »27. A
cette introduction programmatique succède une mise en pratique, clairement
annoncée par l’exégète : « J’en viendrai aux vêtements sacerdotaux et, avant de
scruter le sens mystique, je vais faire un exposé littéral du texte, à la manière
juive »28. Ainsi les §§ 10 à 17 de la Lettre effleurent-ils « l’explication littérale à la
manière hébraïque »29, et les paragraphes suivants (§§ 18 à 22) permettent-ils
au commentateur d’ouvrir, selon son habitude, ses voiles à la découverte du
sens spirituel30. Toutefois, limité par le temps et ne voulant pas trop dépasser
la longueur requise pour une lettre31, il « réserve à un autre temps d’exploiter la
forêt sans bornes des sens spirituels » et se limite, dans l’Epistula 64, à « poser
les fondations d’une maison qui viendra plus tard »32.

27  Jérôme, Ep. 64, 1 : « Cum autem conuersi fuerimus ad Dominum, auferetur uelamen ; oc-
cidens littera moritur, uiuificans spiritus suscitatur. Dominus enim spiritus est et lex spi-
ritalis. » (CUF 3, p. 118, l. 2-5 = CSEL 54, p. 587, l. 1-4).
28  Jérôme, Ep. 64, 9 : « … ueniam ad sacerdotalia uestimenta, et antequam mysticam scruter
intellegentiam, more Iudaico quae scripta sunt simpliciter exponam … » (CUF 3, p. 126,
l. 9-12 = CSEL 54, p. 596, l. 20-p. 597, l. 2).
29  Jérôme, Ep. 64, 19 : « Tetigimus expositionem hebraicam » (CUF 3, p. 135, l. 7 = CSEL 54,
p. 609, l. 6).
30  Jérôme, Ep. 64, 18 : « … et iuxta morem nostrum spiritali postea intellegentiae uela
pandamus » (CUF 3, p. 132, l. 7-8 = CSEL 54, p. 605, l. 5-6).
31  Jérôme, Ep. 64, 21 (CUF 3, p. 138, l. 7 et l. 15-16 = CSEL 54, p. 613, l. 4-5).
32  Jérôme, Ep. 64, 19 : « … et infinitam sensuum siluam alteri tempori reseruantes, quaedam
futurae domus strauimus fundamenta » (CUF 3, p. 135, l. 7-9 = CSEL 54, p. 609, l. 6-8).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 241

2 Sens littéral et description des vêtements

Sans citer explicitement les versets de l’Exode (28, 6-43) où sont mentionnés
les habits des prêtres, mais en bouleversant l’ordre du livre biblique33 pour
adopter le déroulement de l’exposé des Antiquités Juives de Flavius Josèphe34,
Jérôme recense avec précision tous les vêtements, d’abord les quatre premiers
qui sont communs aux prêtres et au Grand Pontife (§§ 10-13), puis les quatre
autres qui sont particuliers au Grand Prêtre (§§ 14-17). Avec érudition, et en
suivant d’assez près des sources fiables comme Flavius Josèphe35, de très noble
lignée sacerdotale36, ou en faisant des comparaisons avec des éléments icono-
graphiques ou des realia connus des lecteurs37, voire en renvoyant à une des
lettres qu’il a écrite à une autre de ses amies (Epistula 29 à Marcella de l’été
384)38, il précise d’abord les noms, souvent dans les trois langues – en translit-
térant avec rigueur les mots hébreux39 mais en conservant les termes grecs –,
puis la forme et la matière de chacun des huit vêtements que porte le Pontife.
Il s’inscrit ainsi dans les traditions juive et alexandrine, en subissant la double
influence de Flavius Josèphe et d’Origène, tout en personnalisant et en roma-
nisant son propos à des fins pédagogiques.

33  Dans l’Exode, 28, les versets 1 à 39 traitent des vêtements du Grand Pontife (éphod, pec-
toral, manteau, signe de consécration) et les versets 40 à 43 les vêtements communs aux
prêtres et au Pontife (tunique, ceinture, calottes, caleçons de lin).
34  Flavius Josèphe, Les Antiquités juives, texte, traduction et notes d’É. Nodet, Paris, Cerf,
1990, livres 1 à 3, vol. 1 B, en part. 3, 151-187 (p. 157-164).
35  Jérôme, Ep. 64, 10 (CUF 3, p. 126, l. 27 sq. = CSEL 54, p. 597, l. 16) ; 11 (CUF 3, p. 127, l. 6 = CSEL
54, p. 598, l. 5) ; 13 (CUF 3, p. 128, l. 5 = CSEL 54, p. 599, l. 11) ; 14 (CUF 3, p. 128, l. 15 = CSEL 54,
p. 600, l. 4) ; 15 (CUF 3, p. 129, l. 5 = CSEL 54, p. 600, l. 20) ; 16 (CUF 3, p. 130, l. 11 = CSEL 54,
p. 602, l. 13).
36  Jérôme, Ep. 64, 10 (CUF 3, p. 126, l. 29 = CSEL 54, p. 597, l. 18).
37  Jérôme, Ep. 64, 11 (CUF 3, p. 127, l. 11-16 = CSEL 54, p. 598, l. 9-13) ; 12 (CUF 3, p. 127, l. 23-25 =
CSEL 54, p. 598, l. 19-p. 599, l. 2) ; 13 (CUF 3, p. 128, l. 6 = CSEL 54, p. 599, l. 12) ; 15 (CUF 3,
p. 129, l. 26-27 = CSEL 54, p. 602, l. 1-2).
38  Jérôme, Ep. 29 (CUF 2, p. 22-30, en part. §§ 4-5, p. 26-29). Voir A. Canellis, « Les premières
lettres exégétiques de saint Jérôme » dans Epistulae Antiquae III, actes du IIIème colloque
international « L’Epistolaire antique et ses prolongements européens », Université François
Rabelais, Tours, 25-27 septembre 2002, Peeters, Louvain-Paris, 2004, p. 365-384, en part.
p. 366, 367, 370-371.
39  Cf. Ancien Testament interlinéaire hébreu-français, Alliance biblique universelle, 2007,
p. 266-271.

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


242 Canellis

Comme les prêtres, le Grand Prêtre porte40, descendant jusqu’aux ge-


noux pour cacher les parties honteuses, des caleçons (1), ou braies, en hébreu
machnasê, en grec περισκελῆ41 ; une tunique (2), l’aube, descendant jusqu’aux
talons, nommée « byssina » par Josèphe42, appelée en hébreu cotonat, i. e.
χιτών43 ; un ceinturon (3), baudrier ou ceinture, en hébreu abaneth, ou, selon
les Babyloniens, hemian44 ; un bonnet rond (4), en grec comme en latin appelé
tiare, ou encore galerus45. Outre ces quatre vêtements qu’il a en commun avec
les prêtres, le Pontife porte une tunique descendant jusqu’aux talons (5), en
hébreu maïl46 ; l’éphod (6), en hébreu, c’est-à-dire, selon les Septante, le su-
perhuméral (ἐπωμίς), ou, d’après Aquila, le vêtement de dessus (ἐπένδυμα)47,
terme provenant vraisemblablement des Hexaples d’Origène que Jérome a
sous les yeux ; le rational (7) – traduction reprise dans la Vulgate (vers 398-
400) et dans la traduction latine faite par Rufin vers 403-404 de l’Homélie 9 sur
l’Exode et de l’Homélie 6 sur le Lévitique d’Origène48 –, en hébreu hosen, en
grec, λόγιον49, comprenons le pectoral ; enfin, le grand prêtre porte la plaque
d’or (8), en hébreu sis zaab, qui s’ajoute au bonnet de toile et sur laquelle figure
le Tétragramme (yod, he, vau, he), c’est-à-dire le nom de Dieu, indicible50. Mais,
contrairement à Flavius Josèphe, Jérôme ne décrit pas la forme de la plante,

40  Sur les noms et la forme des vêtements du Grand Prêtre, voir C.T.R. Hayward, « St Jerome
and the Meaning of the High Priestly Vestments », p. 91-98.
41  Jérôme, Ep. 64, 10 (p. 126, l. 16-26). Cf. Ex. 28, 42 (A. Rahlfs, Septuaginta, id est Vetus
Testamentum Graece juxta LXX interpretes, 2 vol., Stuttgart, 1979, p. 135), et Flavius Josèphe,
A. J. 3, 151-152 (p. 157).
42  Cf. Flavius Josèphe, A. J. 3, 153 (t. 1, p. 131) : βυσσίνης.
43  Jérôme, Ep. 64, 11 (CUF 3, p. 127, l. 5-10 = CSEL 54, p. 598, l. 5-7). Cf. Ex. 28, 4 et 39. Cf. Flavius
Josèphe, A. J. 3, 153 (p. 157-158) ; Origène, HEx 9, 4 (ed. M. Borret, SC 32, Paris, 1985, l. 82).
44  Jérôme, Ep. 64, 12 (CUF 3, p. 127, l. 19-23 = CSEL 54, p. 598, l. 18). Cf. Ex. 28, 4 ; cf. Flavius
Josèphe, A. J. 3, 154-156 (p. 158).
45  Jérôme, Ep. 64, 13 (CUF 3, p. 128, l. 128, l. 5-13 = CSEL 54, p. 599, l. 14) ; cf. Flavius Josèphe,
A. J. 3, 157-158 (p. 159).
46  Jérôme, Ep. 64, 14 (CUF 3, p. 128, l. 18 = CSEL 54, p. 600, l. 8). Cf. Ex. 28, 4 et Flavius Josèphe,
A. J. 3, 159-161 (p. 159).
47  Jérôme, Ep. 64, 15 (CUF 3, p. 129, l. 5-8 = CSEL 54, p. 601, l. 2). Cf. Ex. 28, 4 et Flavius Josèphe,
A. J. 3, 162 (p. 160).
48  Origène, HEx 9, 4 (ed. M. Borret, SC 32, Paris, 1985, l. 87-88) ; HLév. 6, 4 (ed. M. Borret,
SC 286, Paris, Cerf, 1981, p. 284, l. 15).
49  Jérôme, Ep. 64, 16 (CUF 3, p. 130, l. 13-16 = CSEL 54, p. 602, l. 16). Cf. Ex. 28, 4 et Flavius
Josèphe, A. J. 3, 163-171 (p. 160-161).
50  Jérôme, Ep. 64, 17 (CUF 3, p. 131, l. 24-28 = CSEL 54, p. 604, l. 16-18). Cf. Ex. 28, 36 et Flavius
Josèphe, A. J. 3, 172-178 (p. 161-163).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 243

la jusquiame, en l’occurrence l’Hyoscyanus niger, qui a servi de modèle à cette


couronne51.
Les matières d’origine végétale, animale, métallique et minérale utilisées
pour confectionner ces vêtements ont leur importance. Comme dans la Bible,
mais sans toujours respecter la précision du texte source, l’exégète emploie
deux termes pour évoquer le tissu de lin : linum, terme générique rendant
d’ordinaire le mot hébreu bad et désignant des étoffes de lin blanc, avec des
qualités particulières de finesse ou de blancheur, et byssus, traduisant souvent
le terme plus précis shesh52. Pour Jérôme, le « lin tout simple, éclatant d’une
totale blancheur », selon l’Epistula 29 traitant de « l’éphod bad » des prêtres53,
sert à confectionner les caleçons et la tunique54. Mais, précise Flavius Josèphe,
les caleçons et la tunique sont faits de byssus retors55, très robuste, comme la
ceinture56 et la tiare57. L’éphod est également en fin lin retors (Ex. 28, 6 : shesh
mashezar), mais Jérôme ne le précise pas.
Ce textile de couleur naturelle contraste avec les fils et tissus teints des
autres vêtements. La ceinture est « tissée d’une chaîne d’écarlate (coccum),
de pourpre (purpura), d’hyacinthe (hyacinthus) »58, couleurs rouge cramoi-
si, issu d’une cochenille parasitant le chêne kermès59, bleu indigo provenant
de l’importation60, et pourpre violacée, produit de luxe très cher fait à partir de
nombre d’escargots marins, ou mélange de vraie pourpre et de colorants

51  Cf. Flavius Josèphe, A. J. 3, 153 (p. 162 : croquis).


52  Sur le lin, voir S. et J. Maillat, Les plantes dans la Bible. Guide de la flore en Terre Sainte,
Méolans-Revel, Éditions DésIris, 1999, p. 179-181.
53  Jérôme, Ep. 29, 5 : « Ceteri habebant ephod, non illa uero uarietate distinctum et duode-
cim lapidibus ornatum qui in humero utroque residebant, sed lineum et simplex et toto
candore purissimum. » (CUF 1, p. 29, l. 1-4 = CSEL 54, p. 240, l. 1-14).
54  Jérôme, Ep. 64, 10 (CUF 3, p. 126, l. 16 = CSEL 54, p. 597, l. 7) ; 11 (CUF 3, p. 127, l. 8 = CSEL 54,
p. 598, l. 6). Cf. Ex. 28, 39 : la tunique est en lin fin, shesh ; Ex. 28, 38 et 42 : les caleçons sont
en lin, bad. Sur Ex. 28, 38, voir Ep. 29, 5 (CUF 1, p. 28, l. 17-20).
55  Jérôme, Ep. 64, 10 (CUF 3, p. 127, l. 1-2 = CSEL 54, p. 598, l. 1-2) ; 11 (CUF 3, p. 127, l. 7 = CSEL
54, p. 598, l. 15).
56  Jérôme, Ep. 64, 12 (CUF 3, p. 127, l. 26 = CSEL 54, p. 598, l. 16-17). Cf. Ex. 28, 8 : elle est en lin
fin retors, shesh mashezar.
57  Jérôme, Ep. 64, 13 (CUF 3, p. 128, l. 13 = CSEL 54, p. 600, l. 2).
58  Jérôme, Ep. 64, 12 : « Textum est autem subtemine cocci, purpurae, hyacinthi et stamine
byssino … » (CUF 3, p. 127, l. 25-26 = CSEL 54, p. 599, l. 2-3).
59  Sur l’écarlate, voir S. et J. Maillat, Les plantes dans la Bible. Guide de la flore en Terre Sainte,
Méolans-Revel, Éditions DésIris, 1999, p. 189.
60  Sur l’indigo, voir S. et J. Maillat, Les plantes dans la Bible. Guide de la flore en Terre Sainte,
Méolans-Revel, Éditions DésIris, 1999, p. 184.

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


244 Canellis

végétaux de substitution comme l’oseille et l’orcanette61. A la ceinture, où sont


tissées des fleurs et des gemmes62, sont assortis le maïl, couleur hyacinthe, et
ourlé, en alternance, « de 72 clochettes et d’autant de grenades, en tissu des
mêmes couleurs que celles qui sont sur la ceinture »63, l’éphod64 et le ratio-
nal65, agrémentés des mêmes couleurs, ainsi que les rubans couleur hyacinthe
qui fixent le rational sur l’éphod66 et le bandeau du même bleu qui attache la
plaque d’or sur le front du Pontife67.
Sur ces quatre couleurs, byssus, écarlate, pourpre et hyacinthe, sur lesquelles
insiste Jérôme68, ressortent non seulement la plaque d’or sur le bonnet69, mais
encore les divers ornements en or du superhuméral (« feuilles d’or »70, sertis-
sage en or des deux gemmes sur les épaules71), et du rational (« pièce d’étoffe »
« tissée d’or et des quatre couleurs »72, anneaux d’or aux quatre coins73, « join-
tures d’or » reliant les gemmes74, chaînes d’or recouvertes de tuyaux d’or, deux
anneaux d’or permettant d’accrocher le rational au superhuméral75).

61  Sur la pourpre, voir S. et J. Maillat, Les plantes dans la Bible. Guide de la flore en Terre Sainte,
Méolans-Revel, Éditions DésIris, 1999, p. 184-189.
62  Jérôme, Ep. 64, 12 : « … ut diuersos flores et gemmas artifici manu non textas sed additas
arbitreris » (CUF 3, p. 127, l. 28-29 = CSEL 54, p. 599, l. 5-6).
63  Jérôme, Ep. 64, 14 : « … quorum primum est mail, id est tunica talaris, tota hyacinthina,
ex lateribus eiusdem coloris adsutas habens manicas … » ; « In extrema uero parte, id est
ad pedes, septuaginta duo sunt tintinabula, et totidem mala punica isdem contexta colo-
ribus quibus supra cingulum. Inter duo tintinabula unum malum est, et inter duo mala
unum tintinabulum … » (CUF 3, p. 128, l. 20 ; l. 24-28 = CSEL 54, p. 600, l. 7-9 : l. 12-15).
64  Jérôme, Ep. 64, 15 : « … ex quibus secta fila torquentur cum subtemine trium colorum,
hyacinthi, cocci, purpurae … » (CUF 3, p. 129, l. 23-24 = CSEL 54, p. 601, l. 15-16).
65  Jérôme, Ep. 64, 16 : « … auro et quattuor textus coloribus … » (CUF 3, p. 130, l. 17 = CSEL 54,
p. 603, l. 1).
66  Jérôme, Ep. 64, 16 : « … et mutuo sibi uittis copulentur hyacinthinis » (CUF 3, p. 131, l. 10-11 =
CSEL 54, p. 604, l. 4-5).
67  Jérôme, Ep. 64, 17 : « … ut in fronte uitta hyacinthina constringatur » (CUF 3, p. 131, l. 28-29 =
CSEL 54, p. 604, l. 20).
68  Jérôme, Ep. 64, 12 (CUF 3, p. 127, l. 25-27 = CSEL 54, p. 599, l. 2-4) ; 14 (CUF 3, p. 128, l. 16-17 ;
l. 26-27 = CSEL 54, p. 600, l. 4-6) ; 15 (CUF 3, p. 129, l. 18-20 = CSEL 54, p. 601, l. 11-12) ; 16 (CUF
3, p. 130, l. 17 = CSEL 54, p. 603, l. 1).
69  Jérôme, Ep. 64, 17 (CUF 3, p. 131, l. 24 = CSEL 54, p. 604, l. 16).
70  Jérôme, Ep. 64, 15 (CUF 3, p. 129, l. 22 = CSEL 54, p. 601, l. 14).
71  Jérôme, Ep. 64, 15 (CUF 3, p. 129, l. 29 = CSEL 54, p. 602, l. 4).
72  Jérôme, Ep. 64, 16 (CUF 3, p. 130, l. 16 = CSEL 54, p. 595, l. 12-15).
73  Jérôme, Ep. 64, 16 (CUF 3, p. 131, l. 6-7 = CSEL 54, p. 604, l. 1-2).
74  Jérôme, Ep. 64, 16 (CUF 3, p. 131, l. 12 = CSEL 54, p. 604, l. 5-6).
75  Jérôme, Ep. 64, 16 (CUF 3, p. 131, l. 15-23 = CSEL 54, p. 604, l. 17-15).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 245

Enfin, outre le métal jaune, nombre de joyaux multicolores rehaussent


les habits du Grand Prêtre, sur l’éphod, mais surtout sur le rational. Pas plus
que les traducteurs modernes de la Bible, les anciens ne sont unanimes sur la
nature de ces pierres précieuses. Avec prudence, Jérôme rend compte des di-
verses traductions concernant les gemmes sur les épaulettes de l’éphod : après
en avoir donné le nom hébreu, soom76, il mentionne les traductions d’Aquila,
Symmaque et Théodotion (onyx), des Septante (émeraude), le terme employé
par Flavius Josèphe (sardonyx, sardoine) en accord avec l’hébreu et Aquila77.
Et Jérôme de préciser : « ce mot indique soit la couleur, soit le pays d’origine
de ces gemmes », mais il se garde bien d’en indiquer et la provenance et la
couleur78. Selon qu’il s’agit de sardonyx ou sardoine (cornaline ?), d’onyx ou
d’émeraude, la couleur peut tirer sur diverses nuances telles le rouge, le brun,
le noir, le vert ou l’azur79 ! Quant au rational, dont les pierreries soulèvent au-
tant de questions, il est orné de douze gemmes réparties sur quatre rangées :
« au premier rang, dit Jérôme : sardoine, topaze, émeraude ; (…) au deuxième
rang : escarboucle, saphir, jaspe ; au troisième : gemme de Ligurie, agate, amé-
thyste ; au quatrième, chrysolithe, onyx, béryl »80. Le moine de Bethléem, qui

76  Ex. 28, 9 (CUF 3, p. 267 : « onyx »).


77  Jérôme, Ep. 64, 15 : « (lapides … qui) hebraice uocantur soom, ab Aquila et Symmacho et
Theodotione onychini, a Septuaginta zmaragdi ; Iosephus sardonychas uocat cum Hebreo
Aquilaque consentiens, ut uel colorem lapidum uel patriam demonstraret. » (CUF 3,
p. 130, l. 1-5 = CSEL 54, p. 602, l. 4-8) ; cf. Flavius Josèphe, A. J. 3, 165 (en grec σαρδώνυχες,
traduit par « sardoines », p. 160) ; dans la Vulgate (R. Weber, Biblia sacra iuxta vulgatam
editionem, Deutsche Bibelgesellschaft, Stuttgart, 1983, p. 115), il dira « onychinos ».
78  Jérôme, Ep. 64, 15 (p. 130, l. 4-5 = CSEL 54, p. 602, l. 7-8).
79  Voir par exemple l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien. Sur la sardoine, sardonyches, vrai-
semblablement la cornaline : d’après Pline l’Ancien (H. N. 37, 23, 87, p. 71), les pierres « qui
ont aujourd’hui usurpé ce nom, sans comporter aucune trace des sardes indiennes, sont
d’Arabie ; et l’on s’est mis à reconnaître ces pierres d’après plusieurs couleurs : d’après le
fond noir ou imitant l’azur, et d’après l’ongle imitant le vermillon et encerclé de blanc
gras, non sans un certain soupçon purpurin, là où le blanc passe au vermillon » (p. 71) ; sur
l’onyx : selon Pline (H. N. 37, 24, 90-91, p. 72-73), « la gemme a une blancheur semblable à
un ongle humain, ainsi que la couleur de la chrysolite, de la sarde et du jaspe » ; « l’onyx
indien présente des couleurs variées : rouge-feu, noir, couleur de la corne, il est encerclé
de veines blanches comme le globe de l’œil ; certains sont aussi entrecoupés de veines
transversales ». En Arabie, se trouvent des « onyx noirs ceinturés de blanc ». Quant à la
sarde antique (H. N. 37, 31, p. 79-80), sa couleur oscille entre le rouge et le brun. Les éme-
raudes (H. N. 37, 16-19, 62-75, p. 60-66) sont vertes, mais offrent diverses nuances selon leur
provenance. Il s’agirait peut-être ici d’une émeraude à reflets rouges, l’alexandrite.
80  Jérôme, Ep. 64, 16 : « Intexti ei duodecim lapides mirae magnitudinis et pretii per quat-
tuor ordines, ita ut in singulis uersiculis terni lapides conlocentur : in primo ordine

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


246 Canellis

d’ordinaire, dans cette description des vêtements sacerdotaux, suit d’assez près
le texte de Flavius Josèphe, s’en écarte dans l’énumération des douze pierres :
il inverse l’ordre du saphir et du jaspe, mais aussi de l’agate et de l’améthyste81.
Passant sous silence les divergences par rapport au Texte Hébreu82 et à la
Septante83, mais en donnant déjà la liste qu’il proposera dans la Vulgate84,
il mentionne seulement le désaccord de Symmaque qui traduit « pierre de
foudre »85 au lieu d’ « émeraude »86, et son étonnement à ne pas voir figurer
dans la liste l’hyacinthe87. Peut-être est-ce, selon son hypothèse non fondée, la
pierre nommée « pierre de Ligurie »88, pierre sur laquelle il n’a rien trouvé dans
les ouvrages scientifiques accessibles en son temps, probablement le traité
d’Épiphane sur les douze gemmes, cité plus loin dans la Lettre89. Ces variantes

sardius, topazius, zmaragdus ponitur – Symmachus dissentit in zmaragdo ceraunium


pro eo transferens –, in secundo carbunculus, sapphirus, iaspis, in tertio ligurius, achates,
amethystus, in quarto chrysolithus, onychinus, berillus. » (CUF 3, p. 130, l. 19-27 = CSEL 54,
p. 603, l. 3-9).
81  Pour les listes récapitulatives, voir Flavius Josèphe, A. J. 3, 166 (p. 160, n. 9).
82  Voir Ex. 28, 17-20 dans Ancien Testament interlinéaire hébreu-français, Alliance Biblique
Universelle, 2007, p. 268.
83  Voir Ex. 28, 17-20 dans A. Rahlfs, Septuaginta, p. 134 et A. Le Boulluec et P. Sandevoir,
La Bible d’Alexandrie, 2, L’Exode, Cerf, Paris, 1989, p. 286-287.
84  Vulgate (ed. R. Weber, p. 115-116).
85  Sur la « pierre de foudre », ceraunium, pierre blanche, voir Pline, H. N. 37, 51 (p. 92-93).
86  Jérôme, Ep. 64, 16 (CUF 3, p. 130, l. 23-24 = CSEL 54, p. 603, l. 6-7).
87  Jérôme, Ep. 64, 16 : « Satisque miror, cur hyacinthus, pretiosissimus lapis, in horum nume-
ro non ponatur ; nisi forte ipse est alio nomine ligurius. » (CUF 3, p. 130, l. 27-29 = CSEL 54,
p. 603, l. 9-11). Sur l’hyacinthe, pierre violette, voir Pline, H. N. 41-42, 125-126 (p. 88-89).
88  La « pierre de Ligurie », chez Strabon, est vraisemblablement l’ambre, qui en est origi-
naire. Selon une étymologie populaire cette pierre est assimilable au lyncurium, « produit
de l’urine du lynx ». Chez Théophraste et Pline, il s’agirait plutôt de la tourmaline. Voir
Pline, H. N. 37, 13, 52-53 (p. 56) et § 34, n. 2, p. 141.
89  Jérôme, Ep. 64, 16 : « Scrutans eos qui de lapidum atque gemmarum scripsere naturis, li-
gurium inuenire non potui. » (CUF 3, p. 130, l. 29-31 = CSEL 54, p. 603, l. 11-13). Épiphane,
cité dans l’Ep. 64, 21 (CUF 3, p. 138, l. 12-14 = CSEL 54, p. 613, l. 2-3), est cité également,
comme Pline l’Ancien, dans Jérôme, In Esaiam XV, 54, 11-14 (ed. M. Adriaen, CCSL 73A,
Brepols, Turnhout, 1963, p. 611, l. 107-116) et In Hiezechielem, 9, 28, 11-19 (ed. F. Glorie, CCSL
75, Brepols, Turnhout, 1964, p. 394, l. 306-309). Dans le Traité des douze gemmes tel qu’il
nous est parvenu (voir CPL 1621, ed. E. Dekkers, 1995, p. 521), Épiphane évoque bien le
« ligurium » sur lequel il n’a rien trouvé de précis (PG 43, texte grec : col. 297-300 ; texte
latin : col. 335-340) : « Λίθος λιγύριον. Τούτου δὲ τὴν εὕρεσιν οὐδαμῶς ἔγνωμεν, οὔτε παρὰ
φυσιολόγοις, οὔτε παρά τισιν ἀρχαῖοις τοῖς περὶ τούτων μεμεριμνηκόσιν. ». C’est pourquoi
il mentionne ensuite la pierre nommée langkourion, appelée vulgairement lagurion, à
identifier peut-être avec le ligurion. Il finit par se demander, comme Jérôme après lui,

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 247

dans la nomenclature et l’identification des gemmes antiques n’empêchent


pas de se représenter une vaste palette chromatique avec non seulement un
camaïeu de jaunes, rouges, bleus, verts, violets…, parsemés ou non de taches
ou de rayures tirant sur le blanc ou le noir, mais aussi des jeux de luminosité
selon la transparence ou l’opacité des joyaux90…
De tels atours sont du plus bel effet : aisance et élégance de la tunique de
lin91, raffinement et robustesse de la ceinture ornée « selon la méthode de la
tapisserie » sur laquelle les gemmes et les fleurs paraissent non pas « tissées
de la main d’un artiste, mais faites en application »92, éclat « qui tire l’œil » de
l’éphod, « petit manteau de superbe mosaïque »93 avec ses feuilles d’or
de « métal battu merveilleusement fin »94, sans parler de la richesse du ratio-
nal ou de la plaque d’or. Or cette parure si ouvragée et si recherchée a, aux
yeux des Juifs, une utilité et une signification que Jérôme expose à la suite de
Flavius Josèphe, en ajoutant parfois quelques précisions : les caleçons cachent

pourquoi la pιerre d’hyacinthe n’est pas évoquée et si l’hyacinthe n’est pas le ligurion :
« Εὕρομεν δὲ λαγκούριον οὕτω καλούμενον λίθον, ὅν τινες τῇ τρανῇ διαλέκτῳ λαγούριον καλοῦ-
σι. Καὶ τάχα τοῦτο οἴμαι τὸ λιγύριον, ἐπειδὴ αἱ θεῖαι Γραφαὶ τὰ ὀνόματα ἑτέρως μετεποιήσαντο·
ὡς τὸν σμάραγδον πράσινον. Καὶ ὅτι πως ἐν τῇ τῶν λίθων τούτων ὀνομασίᾳ, οὐκ ἐμνήσθησαν καὶ
ὑακίνθου, καίτοι γε προόπτου καὶ ἐντίμου ὄντος λίθου· ὥστε εἰς νοῦν ἡμᾶς λαβεῖν, μήποτε τὸ
λιγύριον τοῦτο καλεῖ ἡ θεία Γραφή. ».
90  Essai de classement des pierres par couleurs : pour les jaunes : pierre de Ligurie, chryso-
lithe (jaune verdâtre – voir Pline, H. N. 37, 42, 126, p. 89-90 et § 126 n. 1, p. 164-165) ; les
rouges : agate, sardoine (cornaline), escarboucles (voir Pline, H. N. 37, 54, 139-142, p. 94-97 ;
25-26, 92-97, p. 73-77) ; les bleus : saphir (hyacinthe, lapis-lazzuli ?) (voir Pline, H. N. 37, 38-
39, 119-120, p. 86) ; les verts : émeraude, topaze ?, jaspe ? béryls ? (voir Pline, H. N. 37, 32-34,
107-113, p. 80-83 ; 37, 115-118, p. 83-85 ; 20, 76-79, p. 66-68) ; les violets : améthyste (voir Pline,
H. N. 37, 40, 121-124, p. 86-88). L’onyx, le jaspe, la topaze, le béryl peuvent avoir des couleurs
différentes, pas nécessairement dans un dégradé de la même teinte … On lira également
avec intérêt plusieurs articles sur Internet, prouvant la difficulté, voire l’impossibilité, de
déterminer avec assurance la nature et l’aspect de ces pierreries, par exemple : http://456-
bible.123-bible.com/westphal/4124.htm ou encore http://home.nordnet.fr/~christian.
hurtrel/THEMES/TH10079.html. Voir aussi M. Carrez, art. s. u. « Pierre précieuse » dans
Dictionnaire Encyclopédique de la Bible, Brepols, 1987, p. 1026-1027.
91  Jérôme, Ep. 64, 11 (CUF 3, p. 127, l. 16-18 = CSEL 54, p. 598, l. 13-15).
92  Jérôme, Ep. 64, 12 : « … atque ita polymita arte distinctum ut diuersos flores et gemmas
artifici manu non textas sed additas arbitreris. » (CUF 3, p. 127, l. 26-29 = CSEL 54, p. 599,
l. 4-6).
93  Jérôme, Ep. 64, 15 : « … et efficitur palleolum uermiculatae pulchritudinis perstringens ful-
gore oculos in modum caracallarum, sed absque cucullis. » (CUF 3, p. 129, l. 25-27 = CSEL
54, p. 601, l. 17-p. 602, l. 2).
94  Jérôme, Ep. 64, 15 : « Auri laminae, id est bratteae, mira tenuitate tunduntur … » (CUF 3,
p. 129, l. 21-22 = CSEL 54, p. 601, l. 14-15).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


248 Canellis

les parties honteuses95 ; la ceinture serre la tunique à la taille96 ; les clochettes


et les grenades servent à rendre sonore sa démarche quand il rentre dans le
Saint des Saints, sans quoi il mourrait aussitôt97 ; les deux pierres sur les épau-
lettes de l’éphod portent, à droite, les noms des fils aînés de Jacob, et, à gauche,
les noms des puînés ; le Pontife, en pénétrant dans le Saint des Saints, porte
ainsi sur ses épaules le peuple d’Israël pour lequel il va prier le Seigneur98 ;
sur les douze pierres du rational sont gravés les noms des douze tribus dans
l’ordre de naissance des patriarches éponymes99 ; enfin sur la plaque d’or fi-
gure le nom divin, qui couronne « la splendeur du Pontife »100. Ainsi l’ordre
adopté par Flavius Josèphe puis par Jérôme pour décrire la tenue du Pontife
suit globalement un crescendo, du vêtement le plus humble (les caleçons) au
plus sacré (la plaque d’or). Ce mouvement ascendant annonce déjà l’interpré-
tation à plus haut sens et la symbolique des couleurs caractérisant les habits
du Grand Prêtre.

3 Sens spirituel et symbolique des couleurs

Sous le calame de Jérôme dans l’Epistula 64, le sens spirituel – mystique ou


allégorique –, donné aux vêtements du Pontife, se présente en deux temps : se
fondant sur l’explication même de Flavius Josèphe, l’exégète commence par

95  Jérôme, Ep. 64, 10 (CUF 3, p. 126, l. 17-24 = CSEL 54, p. 597, l. 8) ; cf. Flavius Josèphe, A. J. 3,
152 (p. 157).
96  Jérôme, Ep. 64, 12 (CUF 3, p. 127, l. 29-p. 128, l. 4 = CSEL 54, p. 599, l. 6-10) ; cf. Flavius
Josèphe, A. J. 3, 155 (p. 158).
97  Jérôme, Ep. 64, 14 (CUF 3, p. 129, l. 1-4 = CSEL 54, p. 600, l. 16-20) ; cf. Flavius Josèphe, A. J. 3,
160 (p. 159), qui ne précise pas le nombre de clochettes ni la nécessité de rendre la dé-
marche du Pontife sonore.
98  Jérôme, Ep. 64, 15 (CUF 3, p. 130, l. 5-10 = CSEL 54, p. 602, l. 10-12) ; cf. Flavius Josèphe, A. J. 3,
166 (p. 160), qui précise que les noms sont écrits dans l’alphabet hébreu traditionnel, six sur
chaque épaule : sur l’une : Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Dan et Nephtali, et sur l’autre : Gad,
Asher, Isachar, Zabulon, Joseph et Benjamin. Pour le détail, voir Flavius Josèphe, A. J. 3,
166 (p. 160, n. 8).
99  Jérôme, Ep. 64, 16 (CUF 3, p. 130, l. 31-p. 131, l. 1 = CSEL 54, p. 603, l. 13-14) ; cf. Flavius Josèphe,
A. J. 3, 169 (p. 161).
100  Jérôme, Ep. 64, 17 : « Octaua est lamina aurea, id est sis zaab, in qua scriptum est nomen
Dei hebraicis quattuor litteris ioth, he, uau, he, quod apud illos ineffabile nuncupatur.
Haec super pilleolum lineum et commune omnium sacerdotum in pontifice plus addi-
tur, ut in fronte uitta hyacinthina constringatur, totamque pontificis pulchritudinem Dei
uocabulum coronet et protegat. » (CUF 3, p. 131, l. 24-27 ; p. 132, l. 1-2 = CSEL 54, p. 604,
l. 16-21) ; cf. Flavius Josèphe, A. J. 3, 178 (p. 163).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 249

aborder une interprétation philosophique et cosmologique (§§ 18), puis dans


un second temps, en prenant ses distances vis-à-vis de sa source juive, il pro-
pose une interprétation chrétienne, ecclésiologique et tropologique (§§ 19-21).
À la suite des Antiquités juives de Flavius Josèphe, mais plus encore dans la
lignée de la Vie de Moïse de Philon d’Alexandrie101, qui va au delà de la courte
explication de Flavius Josèphe, Jérôme s’arrête sur le symbolisme des couleurs
qu’il commente en y ajoutant quelquefois des compléments érudits de son
cru. Comme ses devanciers102, il assimile les quatre couleurs aux quatre élé-
ments : le byssus à la terre, car elle produit le lin ; la pourpre à la mer, qui four-
nit les murex ; l’hyacinthe à l’air, puisque le ciel est bleu ; et l’écarlate, au feu et
à l’éther103. Après des remarques sur l’hébreu et les traductions d’Aquila et de
Symmaque104, le latin se lance dans une interprétation qui synthétise les deux
explications de Philon et de Flavius Josèphe : « le premier vêtement de lin, écrit
Jérôme, signifie la terre, le deuxième, qui est d’hyacinthe, représente l’air par
sa couleur, car c’est peu à peu que nous nous élevons des choses terrestres aux
célestes, et la robe elle-même, de couleur hyacinthe, qui va de la tête aux ta-
lons, indique que l’air est répandu depuis le ciel jusqu’à la terre. Les grenades et
les clochettes du bas représentent les éclairs et le tonnerre105, ou bien la terre
et l’eau106, ainsi que l’accord de tous les éléments entre eux, et cette compé-
nétration réciproque qui fait que, dans chacun des êtres, tous se retrouvent.
Les couleurs précitées sont tissées d’or : cela veut signifier que la chaleur vitale
et la providence divine pénètrent toutes choses.107 » Mais tandis que la brève
explication de Flavius Josèphe ne fournit que des correspondances, et que le
commentaire de Philon se limite à des éléments physiques et cosmologiques,
Jérôme, lui, amorce déjà une interprétation morale en évoquant l’élévation des
choses terrestres aux choses célestes, et en mentionnant la providence divine.

101  Philon, Vie de Moïse, introd. trad. et notes de R. Arnaldez, C. Mondésert, J. Pouilloux,
P. Savinel, Œuvres de Philon d’Alexandrie, 22, Cerf, 1967.
102  Sur le symbolisme juif des vêtements du Grand Prêtre, voir Voir C.T.R. Hayward, « St
Jerome and the Meaning of the High Priestly Vestments », p. 98-104.
103  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 132, l. 8-17 = CSEL 54, p. 605, l. 6-p. 605, l. 13) ; cf. Flavius
Josèphe, A. J. 3, 183 (p. 163-164). On retrouve cette interprétation dans Origène, HEx 13, 3
(p. 386, l. 85-p. 388, l. 99).
104  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 132, l. 13-16 = CSEL 54, p. 605, l. 10-12).
105  Flavius Josèphe, A. J. 3, 184 : « éclair » et « foudre » (p. 164).
106  Philon, V. M., 2, 119, 120 et 121 (p. 244-245).
107  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 132, l. 20-32 = CSEL 54, p. 605, l. 16-p. 606, l. 8) ; cf. Flavius
Josèphe, A. J. 3, 184 (p. 164).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


250 Canellis

Les deux pierres de l’éphod, émeraudes selon la LXX et Philon108, onyx (ou
sardonyx) selon Flavius Josèphe109 – Jérôme en effet ne tranche pas ici110 –
symbolisent les deux hémisphères ou encore le soleil et la lune111. La ceinture
représente l’océan comme le dit seulement Flavius Josèphe112. Placé au milieu
de la tunique, le rational représente la terre, entourée de tous les éléments,
selon Jérôme suivant en cela Flavius Josèphe113. Les douze pierres, comme l’ex-
pliquent aussi bien Philon que Flavius Josèphe, figurent les douze signes du zo-
diaque ou les douze mois ; à chaque rangée correspond une saison, et à chaque
saison trois mois114. Mais, sans reprendre totalement à Philon son explication
de la révolution du soleil d’après les lois mathématiques inébranlables, Jérôme
se défend toutefois d’écrire un exposé païen et justifie ses propos en évoquant
la loi inflexible de la Providence divine et en citant comme exemple un pas-
sage du Livre de Job (9, 9) compréhensible uniquement si l’on recourt au lan-
gage usuel115. Le rational enfin, qui tire son nom de ratio, « raison », calqué sur
le nom grec λογεῖον que Philon rapproche du λόγος116, symbolise la manière
d’agir de Dieu ; dans le rational il y a en effet « révélation » et « vérité », δήλωσις
et ἀλήθεια, termes repris à Philon117. Mais, au lieu de suivre Philon, Jérôme s’en
démarque : il abrège le développement de son prédécesseur et centre son ex-
plication sur l’action et la sagesse de Dieu118. Poursuivant son fil directeur, et
s’inspirant librement de ses prédécesseurs grecs, l’exégète latin finit par la tiare,

108  Jérôme, Ep. 64, 15 (CUF 3, p. 130, l. 2 = CSEL 54, p. 602, l. 5-6) ; cf. Philon, V. M. 2, 122
(p. 244-245).
109  Jérôme, Ep. 64, 15 (CUF 3, p. 130, l. 3 = CSEL 54, p. 602, l. 6-7) ; cf. Flavius Josèphe, A. J. 3, 165
(p. 160).
110  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 133, l. 1-2 = CSEL 54, p. 606, l. 8-9).
111  Flavius Josèphe (A. J. 3, 185, p. 164) ne mentionne que le soleil et la lune, alors que Philon
propose les deux interprétations (V. M. 2, 122, p. 246-247).
112  Flavius Josèphe, A. J. 3, 185 (p. 164). Philon ne mentionne la ceinture ni dans la description
des vêtements ni dans leur symbolisme (§§ 109-135, p. 240-251).
113  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 133, l. 7-10 = CSEL 54, p. 606, l. 14) ; cf. Flavius Josèphe, A. J. 3,
185 (p. 164). Philon ne le dit pas, mais on peut le déduire des §§ 124-126.
114  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 133, l. 10-13 = CSEL 54, p. 606, l. 16-p. 607, l. 1) ; cf. Philon, V. M. 2,
124 (p. 246-248) ; Flavius Josèphe, A. J. 3, 186 (p. 164).
115  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 133, l. 14-22 = CSEL 54, p. 607, l. 4-8) ; cf. Philon, V. M. 2, 124-126
(p. 246-248).
116  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 133, l. 22-p. 134, l. 8, en part. l. 23 = CSEL 54, p. 607, l. 8-22) ;
cf. Philon, V. M. 2, 127-130 (p. 246-249), en part. § 127.
117  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 133, l. 28-29 = CSEL 54, p. 607, l. 14) ; cf. Philon, V. M. 2, 128-129
(p. 248-249).
118  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 133, l. 28-p. 134, l. 8 = CSEL 54, p. 607, l. 13-22) ; cf. Philon, V. M. 2,
127-130 (p. 248-249).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 251

qui, avec sa bandelette couleur hyacinthe symbolise le ciel, et la plaque d’or où


figure le nom divin : elles suggèrent « que tout ce qui est au dessous est gouver-
né par la volonté de Dieu »119. Après avoir fait le lien avec le premier chapitre
du Livre d’Ézéchiel (1, 4-28) qu’il expliquera dans son In Hiezechielem120, Jérôme
conclut : « le Pontife de Dieu, en portant un échantillon de toutes les créatures
sur ses vêtements indiqu[e] que tous les êtres créés ont besoin de la miséri-
corde de Dieu », « la création tout entière doit offrir le sacrifice en même temps
que lui » ; il doit prier pour toutes les créatures « et par sa propre voix et par le
costume qu’il porte121.
A cette explication spirituelle, philosophique et cosmologique, se superpo-
se une interprétation allégorique chrétienne, tropologique et ecclésiologique,
présentée en deux mouvements, dans laquelle l’influence origénienne est re-
connaissable, même si l’Alexandrin n’est pas nommé122. Les caleçons de lin, qui
évoquent les « spermes » (semina), et par conséquent la chair (caro), renvoient
à l’élément « terre » et à l’éviction d’Adam hors du paradis (Gn 3, 19)123. Cette
idée ainsi que la citation de la Genèse se trouvent dans l’Homélie 9, 2 d’Origène
sur le Lévitique, que Rufin traduira vers 403-404124. De ces souillures et de ces
péchés, explique Jérôme, il faut se laver, comme Moïse qui lave Aaron et ses
fils, et se lave lui-même, pour que tous renaissent dans le Christ, en hommes
nouveaux125, puisque c’est le vin nouveau qu’on met dans les outres neuves.
Prêt pour revêtir le Christ, le Chrétien dépose sa tunique de peau pour s’ha-
biller « d’une robe de lin, toute blanche » et, au sortir de la cuve baptismale,

119  Jérôme, Ep. 64, 18 : « Super omnia cidaris et uitta hyacinthina caelum monstrat, et auri
lamina quae in fronte pontificis est, inscriptumque nomen Dei universa quae subter sunt,
Dei arbitrio gubernari. » (CUF 3, p. 134, l. 9-12) ; cf. Philon, V. M. 2, 128-129 (p. 248-249).
120  Voir A. Canellis, « Hiezechiel quoque uidit Dominum in forma hominis sedentem super
Cherubim … L’exégèse de la première vision d’Ezéchiel dans l’In Hiezechielem de saint
Jérôme » dans Les visions de l’Apocalypse : Héritage d’un genre littéraire et interprétation
dans la littérature chrétienne des premiers siècles, Cahiers de Biblia patristica, Strasbourg,
2014, p. 127-154, en particulier 3ème partie.
121  Jérôme, Ep. 64, 18 : « (iustum erat) ut pontifex Dei creaturarum omnium typum portans
in uestibus suis indicaret cuncta indigere misericordia Dei, et consacrificaret ei uniuersa
conditio, ut non pro liberis ac parentibus, et propinquis, sed pro cuncta creatura et uoce
et habitu precaretur. » (CUF 3, p. 135, l. 1-6 = CSEL 54, p. 609, l. 1-5) ; cf. Philon, V. M. 2, 133-
135 (p. 250-251).
122  Jérôme, Ep. 64, 19 (CUF 3, p. 135, l. 10 = CSEL 54, p. 609, l. 9).
123  Jérôme, Ep. 64, 18 (CUF 3, p. 135, l. 9-16 = CSEL 54, p. 609, l. 9-14).
124  Origène, HLev. 9, 2 (ed. M. Borret, SC 287, Paris, Cerf, 1981, p. 72, l. 36 ; p. 76, l. 26-29).
125  Origène, HLev. 6, 2 (p. 276, l. 89-p. 278, l. 118). Jérôme reprend Gn. 3, 21.

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


252 Canellis

« toute la turpitude de [ses] péchés d’autrefois sera cachée »126. Malgré des


variantes, cette thématique s’inspire de la même Homélie sur le Lévitique127.
Après les caleçons et la tunique de lin, le chrétien, selon l’interprétation hié-
ronymienne, revêt « l’habit couleur hyacinthe » pour entamer « son ascension
depuis le plan terrestre jusqu’aux altitudes »128. Mais la grâce du baptême et la
doctrine la plus secrète ne sont rien sans les œuvres symbolisées par l’éphod,
thème présent dans l’Homélie 9 d’Origène sur l’Exode129. Jérôme interprête les
deux gemmes sur les épaules comme le Christ et l’Église avec les noms des
douze apôtres, ou la lettre et l’esprit contenant les mystères de la foi (à droite
l’esprit, à gauche, la lettre)130. Au rational Jérôme applique le symbolisme nu-
mérique et y voit, entremêlées les unes aux autres, les quatre vertus cardinales
(prudentia, fortitudo, iustitia, temperantia), ainsi que les quatre évangiles de
l’Apocalypse131. En outre il y a dans le rational la vérité et la science : il mani-
feste la science du Pontife et préfigure le savoir des Apôtres dans les saintes
disciplines132. Le thème de la parole évangélique et apostolique, de la vérité
de la foi est exprimé par Origène dans l’Homélie 9 sur l’Exode133, et celui de la
science véridique du Pontife dans les Homélies 6 et 12 sur le Lévitique134.
Après avoir souligné l’importance de l’ordre des vêtements, en suivant d’as-
sez près le passage parallèle dans l’Homélie 6 d’Origène sur le Lévitique135 et

126  Jérôme, Ep. 64, 19 (CUF 3, p. 135, l. 17-p. 136, l. 4 = CSEL 54, p. 609, l. 14-p. 610, l. 7), en part. :
« … tunc induemur ueste linea nihil in se mortis habente, sed tota candida, ut de baptis-
mo consurgentes cingamus lumbos in ueritate et tota pristinorum peccatorum turpitudo
celetur. » (CUF 3, p. 135, l. 28-p. 136, l. 2 = CSEL 54, p. 610, l. 2-5). Idée reprise plus loin, au
§ 20, p. 136, l. 14-15 = CSEL 54, p. 610, l. 15-16. Voir aussi HEx. 9, 4 (p. 300, l. 80-84).
127  Origène, HLev. 9, 1 (p. 72, l. 26-p. 74, l. 55) ; 9, 5 (p. 86, l. 1-p. 88, l. 13).
128  Jérôme, Ep. 64, 20 (CUF 3, p. 136, l. 5-13 = CSEL 54, p. 610, l. 8-15), en part. : « Post femina-
lia et lineam tunicam induimur hyacinthino uestimento, et incipimus de terrenis ad alta
conscendere. » (CUF 3, p. 136, l. 5-7 = CSEL 54, p. 610, l. 8-9).
129  Origène, HEx. 9, 4 (p. 300, l. 84-87) ; HLév. 6, 3 (p. 282, l. 65-70). Sur l’intelligence voir HLév.
6, 3 (p. 280, l. 57 sq.).
130  Jérôme, Ep. 64, 20 (CUF 3, p. 136, l. 20-26 = CSEL 54, p. 611, l. 4-5) ; cf. Origène, HLev. 6, 5
(p. 288, l. 27).
131  Jérôme, Ep. 64, 20 (CUF 3, p. 137, l. 3-5 ; l. 6-9 = CSEL 54, p. 611, l. 8-13 ; l. 13-16). Sur les quatre
vertus, voir A. Canellis, « De Cicéron à saint Jérôme : bilan sur les quatre vertus » dans
E. Gavoille et S. Roesh (éd.), Diuina studia. Mélanges de religion et de philosophie ancienne
offerts à François Guillaumont, Ausonius, Scripta Antiqua 110, Bordeaux, 2018, p. 21-29.
132  Jérôme, Ep. 64, 20 (CUF 3, p. 137, l. 1-20 = CSEL 54, p. 611, l. 8-p. 612, l. 5).
133  Origène, HEx. 9, 4 (p. 300, l. 87-p. 302, l. 100).
134  Origène, HLev. 6, 4 (p. 284, l. 24-33) ; 12, 3 (p. 174, l. 24-32).
135  Origène, HLev. 6, 4 (ed. M. Borret, SC 286, Paris, Cerf, 1981, p. 286, l. 46-65) ; Jérôme cite
également Os. 10, 12.

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


La Lettre 64 de Saint Jérôme et le symbolisme des couleurs 253

passé sur la signification des douze gemmes du rational en renvoyant Fabiola


à l’érudit ouvrage d’Épiphane136, le moine de Bethléem propose une seconde
interprétation à plus haut sens : après le baptême et les progrès du Chrétien
dans la foi, il aborde une explication ecclésiologique, christologique et même
apocalyptique. La plaque d’or signifie la science de Dieu couronnant la tête
du Chrétien, comme le dit Origène137. Avec la tunique de lin et le vêtement
couleur hyacinthe, le chrétien se ceint du baudier sacré et obtient les qualités
d’action. Avec le rational il reçoit la vérité et sa parole énonce la doctrine. Mais,
ce « char si beau a besoin d’un guide », tel le Créateur debout au dessus de ses
créatures, conduisant sa création. La plaque d’or préfigurait l’étendard de la
croix, et l’or de la Loi, le sang de l’Évangile138. Mais alors que l’Exode mentionne
huit vêtements, le Lévitique, n’en mentionne que sept, laissant de côté les cale-
çons : Jérôme s’interroge à la suite d’Origène139. Contrairement à son devancier
qui traite moins de la chasteté des prêtres que de la descendance spirituelle140,
Jérôme, défenseur acharné de l’ascétisme et de la continence, s’attarde sur le
problème de la luxure de ses contemporains ; selon lui, Dieu seul au jour du
Jugement pourra reconnaître parmi les prêtres et les vierges ceux qui ont véri-
tablement été chastes141.
Ainsi, appuyée sur des connaissances linguistiques exceptionnelles pour
l’époque, sur les témoignages précis des juifs Philon d’Alexandrie et Flavius
Josèphe, et sur l’exégèse allégorique du savant Origène, la description des
vêtements sacerdotaux et la signification des couleurs dans l’Epistula 64 ne
manquent pas d’éclat, d’érudition ni même d’une certaine originalité, puisque
Jérôme personnalise, voire romanise ce savoir encyclopédique qu’il synthésise,
reconstruit, réécrit selon son habitude. Limité par la longueur requise pour
une lettre, il remet à plus tard l’exploration de la forêt sans bornes des sens
spirituels comme la construction de la maison sur les fondations qu’il a posées.
Celles-ci viendront en fait à l’occasion de l’exégèse des prophètes Isaïe142 et

136  Jérôme, Ep. 64, 20-21 (CUF 3, p. 136, l. 21-p. 138, l. 17 = CSEL 54, p. 610, l. 8-p. 614, l. 21).
137  Origène, HLev. 6, 5 (p. 286, l. 1-p. 288, l. 45) ; 12, 3 (p. 174, l. 33-p. 176, l. 40).
138  Jérôme, Ep. 64, 21 (CUF 3, p. 138, l. 18-p. 138, l. 27 = CSEL 54, p. 613, l. 6-14), en part. :
« Inperfecta sunt uniuersa, nisi tam decoro currui dignus quaeratur auriga, et super crea-
turas creator insistens regat ipse quae condidit. Quod olim in lamina monstrabatur, nunc
in signo ostenditur crucis. » (CUF 3, p. 138, l. 23-27 = CSEL 54, p. 613, l. 11-14).
139  Jérôme, Ep. 64, 21 (CUF 3, p. 139, l. 2-27 = CSEL 54, p. 613, l. 17-p. 614, l. 21) ; cf. Origène, HLev.
6, 6 (p. 292, l. 29-p. 294, l. 70).
140  Origène, HLev. 6, 6 (p. 292, l. 40-p. 294, l. 70).
141  Jérôme, Ep. 64, 21 (p. 138, l. 27-p. 139, l. 27).
142  Jérôme, In Isaiam XV, 54, 11-14 (ed. M. Adriaen, CCSL 73A, Brepols, Turnhout, 1963, p. 611,
l. 116-p. 613, l. 207).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254


254 Canellis

Ézéchiel 143, où, avec des reflets d’intertextualité, les listes de joyaux multico-
lores des vêtements du Pontife dans l’Exode, du Prince de Tyr d’Ézéchiel 28, 13,
et de l’Apocalypse de Jean 21, 19-20, évoquées dans l’Epistula 64144, brilleront de
tous leurs feux.
Mais Jérôme n’est pas le seul latin à avoir élaboré une interprétation allé-
gorique des vêtements du Grand Prêtre à la suite de Philon, Flavius Josèphe
et Origène : quelques années avant lui, connaissant le grec mais non l’hébreu,
l’évêque de Milan, Ambroise, dans le prologue de son De fide ad Gratianum
Augustum a également proposé une explication ecclésiologique, christolo-
gique et morale des vêtements sacerdotaux, qu’il conclut par une maxime
aussi synthétique que programmatique : Bona ergo fides, cum pulchro operum
renidet ornatu145.

143  Jérôme, In Hiezechielem, 9, 28, 11-19 (ed. F. Glorie, CCSL 75, Brepols, Turnhout, 1964, p. 392,
l. 237-315).
144  Jérôme, Ep. 64, 16 (CUF 3, p. 131, l. 1-5 = CSEL 54, p. 603, l. 14-17).
145  Ambroise de Milan, De fide 2, Prol. 4-14 (ed. O. Faller, CSEL 78, Vienne, 1962, p. 59, l. 24-p. 62,
l. 94).

Vigiliae Christianae 72 (2018) 235-254

Vous aimerez peut-être aussi