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ARCHÉOLOGIE DE LA NOTION D'ANALOGIE D'ARISTOTE À SAINT

THOMAS D'AQUIN

Joël Lonfat

Vrin | « Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge »

2004/1 Tome 71 | pages 35 à 107


ISSN 0373-5478
ISBN 9782711617425
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-archives-d-histoire-doctrinale-et-litteraire-du-moyen-
age-2004-1-page-35.htm
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AHDLMA 71 (2004) 35-107

ARCHÉOLOGIE DE LA NOTION D’ANALOGIE


D’ARISTOTE À SAINT THOMAS D’AQUIN

par Joël LONFAT


Université de Genève,
Département de Philosophie,
2 rue de Candolle, CH-1211 Genève 4

Résumé
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D’Aristote à s. Thomas d’Aquin, en passant par Alexandre d’Aphrodise, Proclus, le
Ps. Denys, Simplicius, Avicenne, Al-Ghazali, Averroès, Boèce et s. Albert le Grand,
l’étude des transformations de la notion d’analogie nous amène à ne plus la considérer
comme un méta-problème philosophique qui traverserait, immuable, l’histoire de la
philosophie antique et médiévale, mais comme un complexe constitué de nombreuses
problématiques, questions et réponses différentes.
Abstract
From Aristotle to st. Thomas Aquinas, through the works of Alexander of Aphrodisias,
Proclus, Pseudo-Dionysius, Simplicius, Avicenna, Al-Ghazali, Averroes, Boethius and st.
Albert the Great, this investigation of the various transformations of the concept leads us
to treat analogy not as a static philosophical meta-problem, unchanging from Antique
philosophy through to Medieval philosophy, but as a complex constituted of many
different issues, questions and responses.
Abstracto
Desde Aristóteles hasta Santo Tomás de Aquino, a través de los trabajos realizados
por Alejandro de Afrodisia, Proclo, Pseudo-Dionisio, Simplicio, Avicena, Al-Ghazali,
Averroes, Boetio, y San Alberto Magno, la investigación de la transformación del
concepto de analogia no nos conduce a tratar la analogía como un meta-problema
stático-filosófico, que no ha sufrido ningun cambio desde la filosofía antigua hasta la
medieval, sino como un complejo de diferentes problemas, interrogaciones y respuestas.

[Mots-clés : l’analogie philosophique, histoire de la philosophie médiévale


(l’analogie)]
36 JOËL LONFAT

INTRODUCTION

C ’est en historien de la philosophie que nous allons mener ici un travail


d’archéologie de la notion d’analogie, afin de savoir si, à défaut des mots
eux-mêmes, on retrouve des notions équivalentes utilisées par différents philo-
sophes d’Aristote jusqu’à saint Thomas d’Aquin, ce qui nous permettrait de les
considérer comme relevant de la même épistémè ou – thèse beaucoup plus forte –
de les considérer comme pertinentes pour répondre au « problème de l’être » ; ou
si, au contraire, il y a plusieurs âges de la théorie de l’analogie qui présentent des
structures de complexes constitués de questions et de réponses transitoires, qui ne
seraient donc pas les instanciations d’un unique problème qui serait le problème
de l’être ?
Notre travail consistera à montrer non seulement que l’analogia entis ne
provient pas d’Aristote, mais qu’elle se trouve en fait être le produit de l’exégèse
philosophique médiévale, fondée sur diverses lectures des corpus aristotéliciens,
et de ses interprétations grecques et arabes, selon le rythme de leurs traductions en
latin. De fait, la formulation médiévale du concept d’analogie de l’être est un phé-
nomène tardif qui a été préparé par une longue suite de médiations et de transferts :
c’est entre autres à travers la fusion de plusieurs textes du Stagirite, développant
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chacun leur propre problématique et interprétés par des philosophes grecs, sur-
interprétés par des philosophes du monde musulman, intéressés eux aussi le plus
souvent par d’autres problématiques que celles du Stagirite, puis traduits par dif-
férents traducteurs à partir du grec, du syriaque et de l’arabe, que parvient finale-
ment le matériel de base des philosophes médiévaux 1.

ARISTOTE

Les théories médiévales de l’analogie se présentent comme les héritières du


« système » d’Aristote ; en fait, elles naissent plus d’une fusion de plusieurs textes
du Stagirite développant chacun leur propre problématique, que d’une probléma-
tique unique issue directement d’un seul de ses textes : même si les théories de
l’analogie apparaissent principalement lors de la rencontre de trois grands textes,
le chapitre premier du premier livre des Catégories, le quatrième chapitre du
premier livre de l’Ethique à Nicomaque et la deuxième partie du livre * de la
Métaphysique, elles proviennent aussi de la fusion de nombreux autres textes du
Stagirite, tirés de sa logique, de son éthique, de sa rhétorique, de sa poétique, de sa

(1) Mes remerciements vont à Alain de Libera, qui m’a montré la voie et transmis la méthode ; à
Jean-François Courtine, qui m’a autorisé à citer certaines analyses d’un travail encore inédit ; à
Jennifer Ashworth, Irène Rosier-Catach, Laurent Cesalli, Curzio Chiesa et Bernard Montagnes, dont
les remarques m’ont permis de rendre ce travail moins imparfait. Cette recherche a été en partie
financée par le projet Les concepts formels : philosophie et histoire, IRIS dirigé par Kevin Mulligan ;
qu’il en soit aussi chaleureusement remercié.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 37

métaphysique et même de ses traités biologiques. Nous ne pouvons ici les analyser
tous, c’est pourquoi nous nous contenterons de mettre en évidence les passages les
plus pertinents.
Au début du livre des Catégories, Aristote nous propose un classement de « ce
qu’il y a », à savoir des choses, selon qu’elles sont homonymes, synonymes et
paronymes :
On appelle homonymes les choses dont le nom seul est commun, tandis que la
notion désignée par ce nom est diverse. Par exemple, animal est aussi bien un
homme réel qu’un homme en peinture ; ces deux choses n’ont en effet de commun
que le nom, alors que la notion désignée par le nom est différente. Car si on veut
rendre compte en quoi chacune d’elles réalise l’essence d’animal, c’est une
définition propre à l’une et à l’autre qu’on devra donner.
D’autre part, synonyme se dit de ce qui a à la fois communauté de nom et identité de
notion. Par exemple, l’animal est à la fois l’homme et le bœuf ; en effet, non
seulement l’homme et le bœuf sont appelés du nom commun d’animal, mais leur
définition est la même, car si on veut rendre compte de ce qu’est la définition de
chacun d’eux, en quoi chacun d’eux réalise l’essence d’animal, c’est la même
définition qu’on devra donner.
Enfin, on appelle paronymes les choses qui, différant d’une autre par le « cas »,
reçoivent leur appellation d’après son nom : ainsi de grammaire vient grammai-
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rien, et de courage, homme courageux 2.

La synonymie
L’importance de la synonymie est évidente : en effet, comment avoir un
langage signifiant si – au moins en règle générale – chaque nom n’a pas une signi-
fication une 3 ? D’où le rôle central et nécessaire de la prédication synonymique
dans le discours 4. Ainsi, comme on le remarque dans l’exemple choisi par
Aristote, c’est en vertu de cette prédication synonymique que ce qui est prédiqué
du genre peut être prédiqué de l’espèce et de l’individu, et donc que l’ont peut pré-
diquer de l’espèce homme et de l’espèce bœuf le nom du genre (soit “animal”/
“]ÙRQ”) et le O²JRM de l’essence (soit substance animée sensible mortelle). Par
conséquent, plusieurs espèces et/ou individus peuvent recevoir le nom et la défi-
nition du genre animal et ce nom, même s’il s’applique à une pluralité d’espèces et
à une infinité d’individus, n’en est pas moins univoque, puisque par exemple,
l’homme, le bœuf, etc. ont une même essence, qui les fait appartenir au genre
animal.

(2) ARISTOTE, Catégories, trad. J. TRICOT, Paris, Vrin, 1994, 1a1-15, p. 1-2.
(3) « En effet, ne pas signifier une chose unique, c’est ne rien signifier du tout, et si les noms ne
signifiaient rien, on ruinerait tout échange de pensée entre les hommes, et, en vérité, aussi avec soi-
même ; car on ne peut pas penser si on ne pense pas une chose unique ; et, si on le peut, un seul nom
pourra être assigné à cette chose », ARISTOTE, La Métaphysique, 2 vol., trad. J. TRICOT, Paris, Vrin,
1991-1992, 1006b6-11, p. 201-202.
(4) Cf. ARIST., Cat., 3a33-3b9, p. 13-14.
38 JOËL LONFAT

L’homonymie
Pour Aristote, cependant, la communauté de nom n’implique pas nécessai-
rement l’appartenance au même genre et ne permet donc plus la prédication
synonymique. En effet, nous remarquons qu’il existe des choses dont le nom est
commun, mais pas la définition : les homonymes. En effet, un même nom peut être
prédiqué d’espèces qui ne sont pas espèces d’un même genre ; il faut donc faire
attention, afin de ne pas leur prédiquer abusivement une même définition.
L’exemple que prend Aristote est à cet égard très intéressant : le même ]ÙRQ que
pour la synonymie. Alors que pour celle-ci, on pouvait prédiquer le terme “ani-
mal” et sa définition du bœuf et de l’homme, on ne peut plus le faire pour l’homme
réel et l’homme peint, qui sont homonymes. En effet, celui-là comme celui-ci peu-
vent être appelés du même nom “]ÙRQ”, mais selon des définitions différentes :
l’homme réel est toujours une substance animée, mais pour l’homme peint, ce
n’est évidemment plus le cas, sa définition étant alors : représentation picturale
d’un homme 5. Le Stagirite mentionne encore d’autres exemples éclairants dans
les Réfutations Sophistiques et dans les Parties des Animaux, soit pour le premier
“‚HW²M” qui signifie à la fois l’aigle et le fronton, et “chien”, qui signifie à la fois le
canidé, le poisson et la constellation ; et pour le second, le nom “homme” appliqué
à un homme vivant et à un cadavre, et le nom “main” appliqué à une vraie main et à
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une main faite en bronze ou en bois 6. Il est donc aisé de remarquer que le nœud du
problème se trouve dans la définition. Aristote y revient d’ailleurs assez longue-
ment et avec beaucoup de précision dans le chapitre quinze du premier livre des
Topiques 7. En effet, il nous donne dans ce passage des « tests » qui doivent nous
permettre de déterminer si la chose qu’exprime un terme est homonyme ou non :
– L’homonymie trahie par les contraires :
a) Prenez d’abord un terme quelconque qui possède plusieurs sens ; si l’un de
ses sens a un contraire et un autre non, la chose qu’exprime ce terme est homo-
nyme. Si les deux sens ont un contraire, appliquez le test b) 8.
b) Comparez les contraires des deux sens du terme, afin de savoir s’ils ont le
même sens ou non. S’ils ont le même sens, la chose que ce terme exprime est
synonyme, sinon elle est homonyme 9.

(5) En effet, “]ÙRQ” signifie à la fois « tout être vivant, animal » et un « personnage ou figure
(d’homme ou d’animal) représenté dans un tableau, même en parlant d’objets inanimés », A. BAILLY,
Abrégé du dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 1901, p. 397.
(6) Cf. ARISTOTE, Les Réfutations sophistiques, trad. J. TRICOT, Paris, Vrin, 1995, 166a14-21,
p. 10-11 et Les Parties des animaux, trad. P. LOUIS, Paris, Les Belles Lettres, 1956, 640b33-641a3,
p. 6.
(7) Cf. ARISTOTE, Les Topiques, trad. J. TRICOT, Paris, Vrin, 1990, 107b6-33, p. 41-43.
(8) Cf. ibid., 106a36-b4, p. 36.
(9) Cf. ibid., 106a9-16, p. 34-35.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 39

– L’homonymie trahie par la prédication selon le plus et le moins :


Prenez un terme qui possède plusieurs sens ; si vous pouvez comparer ses sens
selon une différence ou une égalité de degré, la chose qu’exprime ce terme est
synonyme, sinon elle est homonyme 10.
– L’homonymie trahie par la prédication entre genres non subordonnés entre
eux :
Prenez un terme qui possède plusieurs sens ; si ses sens tombent sous des
genres subordonnés entre eux, la chose qu’exprime ce terme est synonyme, sinon
elle est homonyme 11.
– L’homonymie trahie par la prédication trans-catégorielle :
Prenez un terme qui possède plusieurs sens ; s’il peut s’employer dans
plusieurs catégories de l’être, la chose qu’il exprime est homonyme :
Il faut considérer aussi les genres des catégories auxquels se rapporte le terme, et
voir si ce sont les mêmes dans tous les cas. Si ce ne sont pas les mêmes, il est
évident que le terme est homonyme. Par exemple, le bien, en fait d’aliments, est
l’agent du plaisir, et, en Médecine, l’agent de la santé, tandis qu’appliqué à l’âme il
signifie être d’une certaine qualité, comme tempérant, courageux ou juste ; et de
même encore si on l’applique à l’homme. Quelquefois le bien a pour catégorie le
temps : par exemple, le bien qui arrive au moment opportun, car on appelle un bien
ce qui vient en temps opportun. Souvent, c’est la catégorie de la quantité, quand le
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bien s’applique à la juste mesure, car la juste mesure est aussi appelée un bien.
Ainsi le bien est un terme homonyme 12.
C’est fort de ces notions qu’Aristote entre en débat avec le platonisme, ce qui
l’amène à affiner sa théorie. En effet, la problématique principale change d’orien-
tation : ce n’est plus un classement des choses qui intéresse premièrement le
Stagirite, mais la réfutation de la théorie des Idées de Platon ; le développement de
l’homonymie et de la synonymie dans ses thèses va donc être dirigé d’abord par un
souci de « polémique » philosophique avec son maître. Il le fait principalement
dans les Topiques, l’Ethique à Eudème, l’Ethique à Nicomaque et le livre $ de la
Métaphysique 13.
Parmi les méthodes développées dans les Topiques par lesquelles on peut
déterminer si un terme est synonyme ou homonyme, celle dont se sert Aristote
pour contrer la théorie des Idées – qu’il développe dans les deux Ethiques – est
celle utilisant la prédication trans-catégorielle 14. L’exemple choisi par Aristote,

(10) Cf. ibid., 107b13-18, p. 42.


(11) Cf. ibid., 107a17-23, p. 40 et 107b19-26, p. 42-43.
(12) Ibid., 107a3-12, p. 38-39 ; cf. aussi 106a2-8, p. 34 et 107b6-12, p. 41-42.
(13) Nous ne pouvons malheureusement pas entrer ici dans son analyse, qui serait beaucoup trop
longue. En effet, en plus de la problématique de base, Aristote n’utilise pas univoquement dans ce
passage les termes “homonyme” et “synonyme”, ce qui complique encore la tâche.
(14) Cf. texte cité ci-dessus à la note 12.
40 JOËL LONFAT

celui du bien, touche directement les théories de son maître : le bien se dit dans
plusieurs catégories – dans cet exemple – selon l’agir, la qualité, le temps et la
quantité. Par conséquent, le bien est un homonyme ; il s’applique donc à une
pluralité d’objets, chaque fois en un sens différent. Cela implique entre autres que
le bien en tant que bien ne peut être un genre. En effet, si c’était le cas, il serait alors
une sorte de genre suprême, sous lequel tous les autres genres seraient subor-
donnés, et il n’y aurait plus aucune nécessité pour que les définitions soient diffé-
rentes : il serait alors synonyme. Cette « attaque » touche directement Platon : il y a
des biens, qui peuvent être pris dans des sens différents, mais il n’y a pas d’Idée du
Bien, au sens où l’Idée désignerait l’unité d’une multiplicité ; partant, il n’y aura
pas de science qui puisse étudier le Bien comme son objet, puisqu’il échappe à
toute définition commune.
Avec l’Ethique à Eudème, Aristote rencontre encore son ancien maître sans le
citer explicitement, mais tout en nous laissant des signes suffisants pour l’iden-
tifier 15. Dans le chapitre huit du premier livre, il aborde à nouveau la question du
bien et de l’existence des Idées et donne une énumération, plus détaillée que dans
les Topiques, des catégories dans lesquelles le bien se dit. A cette occasion, il réaf-
firme clairement l’homonymie du bien contre la théorie des Idées. Mais le Philo-
sophe fait plus : il affirme que cette homonymie du bien provient d’une homony-
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mie plus fondamentale et plus radicale, celle de l’être, celui-ci étant celui qui, le
premier, se distribue selon la pluralité des catégories 16 ; c’est parce que l’être est
homonyme que le bien l’est aussi. Mais Aristote va encore plus loin : il étend
l’homonymie à l’intra-catégoriel, même ce qui est dit bon dans une même
catégorie est homonyme ; par conséquent, il semble bien que les termes communs
comme être et bien sont tous homonymes. La conséquence qui en découle, et que
le Stagirite n’oublie pas de nous signaler, est qu’il est alors impossible qu’il
appartienne à une science unique d’étudier l’être, comme le bien. L’homonymie
de l’être – comme celle du bien – est irréductible 17. L’exposé parallèle de
l’Ethique à Nicomaque ne fait que reprendre les thèses développées dans
l’Ethique à Eudème, en leur apportant toutefois de la précision. En effet, cette fois
Aristote cite clairement ceux à qui il s’en prend dans son analyse du bien comme
homonyme : les platoniciens 18. De plus, la liste des catégories dans lesquelles
l’être se dit s’enrichit de deux éléments : la relation et le lieu 19.

(15) Cf. ARISTOTE, Ethique à Eudème, trad. V. DÉCARIE, Paris-Montréal, Vrin-Les Presses de
l’Université de Montréal, 1978, 1217b19-23, p. 69-70.
(16) Cf. ARIST., Mét., 1017a22-27, p. 270-271.
(17) Cf. ARIST., Eth. Eud., 1217b25-1218a1, p. 70-72. De plus, dans le cas de l’être comme du
bien, la théorie exposée au chapitre IV du livre * de la Métaphysique ne semble pas pouvoir s’appli-
quer, les différentes significations de l’être étant en nombre illimités : cf. ARIST., Mét., 1006a34 sq.,
p. 201.
(18) Cf. ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, trad. J. TRICOT, Paris, Vrin, 1994, 1096a34-1096b5,
p. 48.
(19) Cf. ibid., 1096a23-34 & 1096b23-26, p. 47-48 et 51.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 41

Mais est-ce là le mot de la fin d’Aristote au sujet de l’être et du bien : une


homonymie totale, leur interdisant d’être l’objet chacun d’une science unique 20 ?
Il ne le semble pas. En effet, en dehors des Topiques 21, le Stagirite apporte des
éléments supplémentaires dans les deux Ethiques, la Métaphysique, la Physique,
les Parties des animaux, la Rhétorique et la Poétique. Dans ces passages, le
Philosophe, très souvent dégagé du souci de réfuter la théorie platonicienne des
Idées, est guidé par d’autres impératifs théoriques qui le rendent moins attentif à
combattre par l’homonymie l’unité de la multiplicité dans l’Idée, mais plus sen-
sible au besoin de trouver le fondement de l’amitié (Ethique à Eudème), de com-
prendre la nature du bien en soi (Ethique à Nicomaque), d’affirmer l’existence
d’une science une qui étudie l’être en tant qu’être (Métaphysique), d’analyser la
différence de mouvement des choses mues (Physique), d’étudier les animaux
(Parties des Animaux) et d’analyser la métaphore (Rhétorique et Poétique). Mais
ne faudrait-il pas envisager, en plus de l’influence du VNRS²M – qui détermine plus
ou moins le sens dans lequel on aborde un problème et les points que l’on met en
évidence – une évolution de la doctrine d’Aristote ?
Dans le premier et le deuxième chapitre du septième livre de l’Ethique à
Eudème, Aristote recherche et analyse les fondements de l’amitié ; pour ce faire, il
détermine d’abord lequel du plaisant ou/et du bon est ce qui est aimé. L’alternative
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est simple : soit nous aimons ce que nous convoitons et la convoitise porte sur ce
qui nous procure du plaisir, soit ce que nous aimons, c’est ce qui est aimé, le bien.
Aristote résout cette aporie sans trancher ni disqualifier une des alternatives ; au
contraire, il élargit le « terrain » de l’amitié : « ce qui est désiré et souhaité, c’est le
bien ou ce qu’on s’imagine tel. Voilà bien pourquoi le plaisant est désiré car on
l’imagine être un bien. (…) il est donc évident que tant le bon que le plaisant est
objet d’amitié » 22. Cela va lui permettre d’aborder le problème sous un angle
porteur d’une plus grande ouverture, celui de la pluri-signification du terme
“bon”, qui détermine celle du terme “amitié”. En effet, nous appelons bonne une
chose selon qu’elle possède une certaine qualité, selon qu’elle est profitable et
utile, selon qu’elle est plaisante parce que visant un bien absolu ou un bien appa-
rent. Il en est de même pour l’homme : nous disons d’un homme qu’il est bon selon
sa qualité d’être et sa vertu, selon qu’il est utile ou selon qu’il est plaisant et nous
procure du plaisir 23. Les différents sens du mot “amitié” étant par conséquent liés
à ceux de “bon”, Aristote se demande alors si “amitié” sera purement homonyme,
ou bien si les différents sens d’“amitié” n’ont quand même pas quelque rapport
entre eux, quelque chose de commun. C’est à cette occasion que le Philosophe

(20) C’est d’ailleurs ce que semble avoir retenu Porphyre par exemple, dans l’Isagoge, trad.
A. de LIBERA, A.-Ph. SEGONDS, Sic et Non, Paris, Vrin, 1998, II. 10, p. 7-8 ; nous ne pouvons que
constater les problèmes que cette vision pose pour les commentateurs, quand on pense que l’Isagoge
servait d’introduction aux Catégories.
(21) A l’exception de 108a7-12, p. 45, qui présente, comme nous le verrons plus bas, ce
qu’Aristote appelle l’analogie, mais sans être plus explicite, ni même le relier à l’homonymie.
(22) ARIST., Eth. Eud., 1235b27… 30, p. 155.
(23) Cf. ibid., 1236a7-15, p. 156.
42 JOËL LONFAT

prend de la distance par rapport à ses premières théories de l’homonymie, qui ne


visaient qu’à réfuter les thèses de Platon :
Il est donc nécessaire qu’il y ait trois espèces d’amitiés [la première se définissant
par la vertu, la seconde par l’utilité, une troisième par le plaisir] et qu’elles ne se
disent pas toutes selon un seul sens, ni comme les espèces d’un seul genre, ni d’une
manière tout à fait équivoque. En effet elles se disent par rapport à une seule
d’entre elles qui est première, tout comme dans le cas du médical ; et nous appelons
“médical” ou une âme ou un corps ou un instrument ou un acte mais, à proprement
parler, ce qui est premier. Est premier ce dont la définition se retrouve en tous : par
exemple, l’instrument médical est celui dont le médecin se sert, mais la définition
de l’instrument ne se retrouve pas dans celle du médecin 24.
Le mot “amitié” se prend donc en plusieurs sens, mais toujours par rapport à un
seul de ses sens qui est premier, à partir duquel les autres sont dénommés, et qui est
l’amitié fondée sur la vertu 25.
Mais dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote nous apporte des éléments
nouveaux qui complexifient sa « doctrine » de l’homonymie, tout en élargissant
son champ. Après avoir souligné que le « bien n’est (…) pas quelque élément
commun dépendant d’une idée unique » 26, le Philosophe s’interroge à propos du
sens selon lequel les biens sont effectivement appelés des biens : selon lui, ils ne
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peuvent pas nommer des homonymes accidentels (‚Sµ WºFKM) 27, car ils ont
effectivement quelques rapports entre eux. L’existence d’une pluralité de rapports
est l’apport notable de ce texte : le rapport n’est plus d’un seul type selon le modèle
du “médical” dit du médecin et des instruments dont il se sert, mais de trois types,
soit un rapport à une commune origine (‚I
xQ²M), à une fin commune (SUµM{Q)
ou à une unité d’analogie (NDW
 ‚QDORJeDQ). Bien que l’analogie ne soit pas
définie dans ce passage, l’exemple que nous fournit Aristote est parlant de lui-
même 28 : l’analogie est une proportion de type mathématique, soit un rapport de
rapport à deux termes du type a : b : : c : d 29.
Mais alors en quel sens les biens sont-ils appelés du nom de bien ? Il ne semble pas,
en tout cas, qu’on ait affaire à des homonymes accidentels. L’homonymie pro-
vient-elle alors de ce que tous les biens dérivent d’un seul bien ou de ce qu’ils
concourent tous à un seul bien ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’une unité d’analogie :

(24) Ibid., 1236a16-22, p. 156-157.


(25) Cf. ibid., 1236a33-1236b5, p. 158. Le Philosophe souligne encore ce point en précisant son
exemple dans le passage parallèle de l’Ethique à Nicomaque, mais en insistant moins sur le rapport
liant le premier sens et les autres qui en dérivent, cf. Eth. Nic., 1157a25-32, p. 394.
(26) ARIST., Eth. Nic., 1096b25, p. 51.
(27) Comme par exemple la “rame” dite de celle du bateau, d’un support à une tige grimpante
(tuteur), du papier et de l’instrument servant à maintenir tendue une pièce de tissu pendant le séchage.
(28) Cf. aussi les passages des Top. 108a7-12, p. 45, et de l’Eth. Nic., 1131b5-7, p. 229-230.
(29) Aristote fait un grand usage de l’analogie dans ses traités biologiques, particulièrement dans
les Parties des animaux. En effet, elle y est utilisée comme critère de classification des animaux pour
les espèces de genres non-subordonnés entre eux, et la prédication par le plus et le moins pour les
espèces d’un même genre : 644a12-23, p. 15-16 ; et aussi 645b26-28, p. 20.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 43

ainsi, ce que la vue est au corps, l’intellect l’est à l’âme, et de même pour les autres
analogies 30 ?
Quelques remarques :
a) Ces analyses complètent la théorie de l’homonymie mise en place et
présentée au début des Catégories. En effet, l’homonymie se divise en une
homonymie accidentelle (‚SµWºFKM) et en une homonymie intentionnelle 31, qui
elle même se divise en trois selon les rapports ‚I
 xQ²M SUµM {Q et NDW

‚QDORJeDQ. Plusieurs choses peuvent donc être signifiées avec intention par un
même nom, même entre genres non-subordonnés entre eux, pourvu que ce soit
selon un de ces trois rapports. Cela nous donne le schéma suivant (S1) :
°PÈQXPD

‚SµWºFKM ‚SµGLDQReDM

‚I
xQ²M SUµM{Q NDW
‚QDORJeDQ

b) Il semble bien que l’exemple du “médical” pouvant être dit du médecin et


des instruments est un exemple de la prédication selon le rapport ‚I
 xQ²M. En
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effet, du scalpel et des compresses peut être prédiqué le terme “médical” parce
qu’ils partagent une commune origine, celle d’être instruments du médecin et
compresses du médecin, de qui “médical” est dit premièrement. Il semble donc,
d’après ce que nous avons vu, que le bien devrait aussi se dire de cette façon.
c) Le « ne s’agirait-il pas plutôt » marque-t-il simplement une alternative, ou
plutôt un choix préférentiel du Stagirite ? Une réflexion de Jean Tricot est
éclairante : « la partic[ule]  , l. 28, fréquemment employé par Ar[istote] (cf. les
références et les indications de l’Ind. arist., 312b56 à 313a35), signifie générale-
ment ne faut-il pas dire plutôt que, n’est-ce pas plutôt que, et elle exprime souvent,
sous sa forme dubitative, une préférence de l’auteur (renforcée, dans le présent
passage, par P‰OORQ qui suit). Elle marque soit une objection, soit une réponse,
soit enfin une correction » 32. Si c’est le cas, le mot “bien” devrait se dire des biens
selon le rapport d’une unité NDW
 ‚QDORJeDQ, et non pas, comme l’exemple du
bon dans l’amitié nous le laissait supposer, selon le rapport ‚I
 xQ²M. Il y a là
visiblement encore quelques tâtonnements dans l’élaboration de la théorie de
l’homonymie.

(30) ARIST., Eth. Nic., 1096b26-30, p. 51-52.


(31) Comme l’explique P. Aubenque : « pour Aristote, le hasard (WºFK) est la coïncidence entre un
enchaînement réel de causes et d’effets et un rapport imaginaire de moyen à fin : ainsi en est-il du
créancier qui va se promener sur l’agora et y rencontre “par hasard” son débiteur (Phys., II, 5, 196b33).
La WºFKrenvoie donc toujours à une intention humaine absente : c’est en ce sens qu’on oppose l’‚Sµ
WºFKM (que nous traduisons par accidentel, faute d’un terme plus propre et qui se différencie mieux des
autres sens d’accident) non seulement au nécessaire, mais à l’intentionnel (‚Sµ GLDQReDM) »,
Le Problème de l’être chez Aristote, Quadrige, Paris, PUF, 1994, p. 191, note 3.
(32) ARIST., Eth. Nic., p. 53, note 1.
44 JOËL LONFAT

Mais Aristote en reste là pour l’Ethique à Nicomaque, c’est-à-dire à cette


simple énumération d’hypothèses, sans résoudre cette aporie posée par le mot
“bien” : rapport ‚I
xQ²M ou rapport d’unité NDW
‚QDORJeDQ " Il se contente de
nous renvoyer à un examen détaillé de la question, qui appartient à une autre
branche de la philosophie, la métaphysique.
Avant de nous y engager, il nous faut faire un petit détour par les Physiques. En
effet, Aristote y mentionne trois sens selon lesquels une chose est homonyme :
(…) le genre n’est pas un, mais (…) derrière lui se cache une pluralité et (…),
parmi les homonymies, les unes sont très éloignées, les autres possèdent une
certaine similitude, les autres encore sont proches par genre ou par analogie, raison
pour laquelle elles ne semblent pas être des homonymies 33.
Ce qui nous donne le schéma suivant (S2) :
°PÈQXPD

SRO½‚SzFRXVDL °PRL²WKWD yJJºM

JzQRM ‚QDORJeD
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Malheureusement le Stagirite ne donne pas plus de précisions. Nous allons
essayer de rapprocher et d’éclairer S2 par S1, en les comparant. Nous pensons
pouvoir rapprocher le premier type d’homonymie, soit celui où le même terme est
prédiqué de choses d’une manière très distante dans S2 de l’homonymie ‚Sµ
WºFKMde S1, qui se définit de la même manière. Pour le cas du terme prédiqué de
choses selon une certaine similitude, il nous semble que rien ne lui correspond
dans S1, et donc que nous sommes très probablement en face d’une nouvelle
forme d’homonymie intentionnelle ; en effet, même si plusieurs sens d’un terme
qui se dit selon un rapport ‚I
 xQ²M, SUµM {Q, ou d’unité NDW
 ‚QDORJeDQ
peuvent présenter des similitudes, ce n’est jamais ni nécessaire ni déterminant
pour ces rapports 34. Par contre, nous pouvons peut-être rapprocher cette simili-
tude de l’exemple qu’Aristote nous a donné au début des Catégories pour illustrer
l’homonymie : l’homme réel et l’homme peint. En effet, il serait absurde d’af-
firmer qu’entre l’homme réel et l’homme peint il n’existe aucun rapport, que ces
choses homonymes soient ‚Sµ WºFKM : c’est évidemment parce qu’il existe une
ressemblance entre l’homme réel et sa représentation picturale que l’on peut
appeler celle-ci du nom d’homme. Quant au sens selon lequel on prédique un
terme de choses selon le « voisinage », il se divise en deux : le voisinage de genre et

(33) ARIST., La Physique, introd. L. COULOUBARITSIS et trad. A. STEVENS, Paris, Vrin, 1999,
249a21-25, p. 262-263.
(34) En effet, ce qui est déterminant, c’est la commune origine pour le rapport ‚I
 xQRM, la fin
commune pour le rapport SUµM{Q, et la proportion pour le rapport d’unité NDW
‚QDORJeDQ.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 45

le voisinage d’analogie. Comme le Philosophe utilise toujours le terme ‚QDORJeD


dans le même sens, soit celui de la proportion, le rapprochement avec S2 est
évident. Ce l’est moins pour le cas du voisinage de genre. Est-ce à dire que le genre
cache une pluralité, qu’il n’est plus univoque, c’est-à-dire que les termes tombant
sous le même genre désignent des choses homonymes ; ou alors qu’ils se com-
portent comme des genres, et nous amènent à penser que les choses désignées par
ce terme sont synonymes, alors qu’en fait elles sont homonymes ? Il est très diffi-
cile de répondre à cette question, mais nous pouvons essayer de le faire en rappro-
chant le voisinage de genre des rapports ‚I
 xQ²M et SUµM {Q : si nous prenons
l’exemple de l’amitié, elle se dit d’un chien et d’un homme, mais pas nécessai-
rement selon le même sens, bien que le chien et l’homme appartiennent au même
genre, soit animal ; de plus, les différents sens du terme “amitié” semblent se
comporter comme s’ils tombaient sous le même genre, étant donné que la plupart
de ses sens – soit deux sur trois – peuvent s’appliquer à l’homme dans le même
sens que celui dans lequel ils sont appliqués aux bêtes 35 ; “amitié” semble donc
désigner des choses synonymes, alors qu’en fait ce sont des choses homonymes,
l’amitié selon la vertu ne pouvant être prédiquée que de l’homme. Nous pouvons
donc « fusionner » nos deux schémas en un nouveau (S3) :
°PÈQXPD
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‚SµWºFKM ‚SµGLDQReDM

°PRL²WKWD yJJºM

JzQRM NDW
‚QDORJeDQ

‚I
xQ²M SUµM{Q
A présent, nous pouvons nous intéresser à la Métaphysique. Nous avons vu
qu’Aristote laissait en suspens dans l’Ethique à Nicomaque la question de savoir
si le bien est homonyme selon un rapport ‚I
 xQ²M, SUµM {Q, ou d’unité NDW

‚QDORJeDQ ; c’est à peu près la même question qu’il envisage à propos de l’être
dans la Métaphysique. Les passages dans lesquels le Stagirite aborde la problé-
matique des multiples sens de l’être (Wµ·QOzJHWDLSROODFÎM) visent dans leur
majorité la théorie de l’unification de ces significations afin de fonder la science
du Wµ·Q®´Q. Mais avant de poursuivre l’analyse du cas de l’être, il nous semble
important de faire un détour dans le but de considérer rapidement la question des
relations entre l’être, l’un et le bien, afin de comprendre en quoi les solutions que
nous apportons à notre problématique pour l’un d’entre eux sont pertinentes pour
les deux autres. Comme le dit Pierre Aubenque, « il faut se garder de transposer
chez Aristote l’idée scolastique selon laquelle les trois termes transcendantaux

(35) En effet, Aristote reconnaît que l’amitié selon l’utilité et selon le plaisir appartiennent aux
hommes comme aux bêtes, et même parfois entre les hommes et les bêtes, ce qui n’est bien sûr pas le
cas de l’amitié selon la vertu qui n’appartient qu’à l’homme. Cf. ARIST., Eth. Eud., 1236b6-11, p. 158.
46 JOËL LONFAT

(être, bien, un) formeraient système et pourraient s’attribuer réciproquement (en


particulier, l’idée que l’être est bon, en tant qu’il est, est tout à fait étrangère à la
pensée d’Aristote). (…) [En effet, Aristote] répète souvent que le bien et l’un se
disent en autant de sens que l’être, mais le fait que la formule ne soit pas réversible
suffit à ruiner toute “convertibilité” au sens strict : la pluralité des significations de
l’être ne peut avoir le même statut que la pluralité des significations du bien et de
l’un ; plus fondamentale, elle est aussi plus obscure » 36. De plus, il faut encore
distinguer entre le cas de l’un et celui du bien. En effet, Aristote se contente
d’affirmer que le bien se dit en des acceptions aussi nombreuses que l’être 37, ce
qui n’implique aucune convertibilité, et encore moins une quelconque identité ;
par contre, l’être et l’un sont beaucoup plus proches – comme le Stagirite
l’affirme 38 – mais c’est toujours l’homonymie de l’être qui fonde celle de l’un, et
qui est donc première 39 : l’homonymie de l’être est la plus radicale et elle est le
fondement de celles de l’un et du bien.
Venons-en au Wµ ·Q OzJHWDL SROODFÎM. Pour Aristote, l’être se distribue
selon la pluralité des catégories 40, mais pas uniquement : la prédication selon les
catégories n’est qu’une forme parmi d’autres de la distribution de l’être qui se
prend aussi selon plusieurs acceptions, soit l’être par accident, l’être comme vrai,
l’être en puissance et l’être en acte 41. L’être ainsi conçu ne peut pas relever d’une
homonymie ‚SµWºFKM, mais il doit exister quelque rapport entre ses sens, sinon
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cette science « sans nom » du Wµ ·Q ® ´Q ne pourrait exister. En effet, pour
Aristote, « ce n’est pas (…) la pluralité des significations qui rend un terme sujet
de différentes sciences, c’est seulement le fait qu’il n’est pas nommé par rapport à
un principe unique, et aussi que ses définitions dérivées ne sont pas rapportées à
une signification primordiale » 42 ; cela veut dire qu’effectivement « si (…) le
terme être n’est qu’un terme homonyme, sans qu’il y ait rien de réellement com-
mun entre ses divers sens, l’Être ne tombe pas sous une seule science (puisqu’il
n’y a pas d’unité de genre entre les diverses significations d’un terme homonyme).
Par contre, s’il y a quelque chose de commun, alors l’étude de l’Être appartiendra à
une seule science » 43. Et c’est effectivement la réponse à la question du rapport des

(36) P. AUBENQUE, Le Problème…, p. 204. L’idée que « l’être est bon en tant qu’il est » est de
Boèce, donc du néo-platonisme.
(37) Cf. ARIST., Eth. Eud., 1217b25-1218a1, p. 70-72.
(38) Cf. ARIST., Mét., 1003b22-27, p. 179-180.
(39) Cf. ibid., 1003b31, p. 180 ; 1053b23-28, p. 538-539 ; Phys., 185b6-8, p. 72.
(40) Cf. ARIST., Mét., 1017a22-27, p. 270-271.
(41) Cf. ibid., 1026a33-b2, p. 335. Ici la traduction de J. Tricot est malheureuse : rendre le NDhHg
WL…OORVKPDeQHLWµQWU²SRQWRÀWRQ par « et tous les autres modes de signification analogues de
l’être » est ennuyeux. En effet, elle introduit le terme “analogue” qui, comme nous l’avons vu, a un
sens technique très précis chez Aristote, et porte ici à confusion. Il vaudrait mieux traduire : « et tous
les autres termes qui signifient de cette manière ».
(42) ARIST., Mét., 1004a23-25, p. 185.
(43) Ibid., 1060b32-36, p. 589. La question que se pose Aristote est capitale. En effet, comme le
dit J.-F. Courtine : « la multiplicité homonymique risque de ruiner le projet d’un “maintien théo-
rétique” destiné à faire face à l’étant en vue de son être. Et cela d’autant plus que l’on accentue
davantage la rigueur du concept aristotélicien de l’ySLVW›PK, comme science dont la démarche
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 47

multiples sens de l’être qu’Aristote nous donne : il y a quelque unité entre les
divers sens de l’être. Reste à savoir quelle est cette unité qui fonde cette « science
sans nom » ; le Philosophe – aux livres * et ' de la Métaphysique – nous en propose
en tout six types : unité à l’égard d’un terme unique (SUµM{Q) ; unité de consécu-
tion (WÙ yIH[¡M) ; unité numérique (NDW
 ‚ULTP²Q) ; unité spécifique (NDW

HmGRM) ; unité générique (NDW† JzQRM) ; unité par analogie (NDW


 ‚QDORJeDQ),
c’est-à-dire identité de proportion. Le Stagirite remarque une particularité
intéressante des quatre derniers types d’unité : chaque type implique le type posté-
rieur. Ce « système » englobe donc tout, de l’unité numérique qui est la forme la
plus forte d’unité, à l’unité NDW
 ‚QDORJeDQ qui est la plus faible, pouvant
« relier » jusqu’à des termes tombant sous des genres non-subordonnés entre eux :
Mais l’unité signifie seulement tantôt une simple relation à l’égard d’un terme
unique, tantôt une unité de consécution 44.
Ce qui est un, l’est, ou selon le nombre, ou selon l’espèce, ou selon le genre, ou par
analogie : selon le nombre, ce sont les êtres dont la matière est une ; selon l’espèce,
les êtres dont la définition est une ; selon le genre, les êtres dont on affirme le même
type de catégorie ; enfin, par analogie, toutes les choses qui sont l’une à l’autre
comme une troisième chose est à une quatrième 45.
L’unité numérique, spécifique et générique impliquant la synonymie, et
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l’unité NDW
‚QDORJeDQ figurant déjà dans notre schéma, nous n’avons pas encore
besoin de le compléter. En ce qui concerne l’unité WÙyIH[¡M, Aristote ne nous dit
ici rien de plus… et il n’apporte que quelques précisions de détails au livre /:
(…) si l’Univers est comme un tout, la substance en est la partie première ; et s’il
n’est un que par l’unité de consécution, même ainsi la substance tient encore le
premier rang ; ce n’est qu’après que vient la qualité, puis la quantité. En même
temps, ces dernières catégories ne sont même pas des êtres proprement dits, mais
des qualités et des mouvements, ou alors, même le non-blanc et le non-droit
seraient des êtres : du moins leur conférons-nous à eux aussi l’existence quand
nous disons, par exemple : le non-blanc est. J’ajoute qu’aucune de ces catégories
autres que la substance n’est séparée 46.
Il semble que l’unité WÙ yIH[¡M et l’unité NDW
 ‚QDORJeDQ proviennent des
outils mathématiques 47 « transposés » pour servir à la métaphysique. En ce qui
concerne l’unité WÙyIH[¡M, le premier rang dans la suite est toujours tenu par la
substance, après laquelle seulement viennent les autres catégories. Or ce que dit
Aristote à propos de cette unité WÙyIH[¡M est tout à fait parallèle à ce qu’il affirme
du rapport SUµM {Q, dont le terme unique relativement auquel se prennent les

privilégiée est celle d’une prédication synonymique NDW


~QWLNDhNRLQ²Q, au sein de l’unité d’un
même JzQRM», Inventio analogiae, à paraître aux éditions Vrin.
(44) ARIST., Mét., 1005a10-11, p. 190.
(45) Ibid., 1016b31-35, p. 267-268.
(46) Ibid., 1069a18-24, p. 641-642.
(47) C’est-à-dire les notions de suite pour la première et de proportion pour la seconde.
48 JOËL LONFAT

différentes acceptions de l’être est la substance. Avant de poursuivre l’analyse du


SUµM{Q – qui a aussi déjà sa place dans notre schéma – il est utile de chercher la
place qu’y tient l’unité WÙyIH[¡M : est-elle une forme supplémentaire de l’homo-
nymie ou peut-elle entrer dans un type déjà répertorié ? Nous pouvons remarquer
que, non seulement l’unité WÙ yIH[¡M et le rapport SUµM {Q sont proches de par
leur rapport à la substance qui est toujours première, mais qu’aussi cette unité WÙ
yIH[¡M semble être un autre bon candidat du type des voisins par genre : en effet,
une série dont la substance est toujours le premier terme et dont les autres
catégories viennent toujours à la suite sans pouvoir en être séparées – dépendant
pour leur être du premier – a une ressemblance avec le genre et les espèces qui lui
sont subordonnées. Les choses désignées par les termes de la série semblent donc
être synonymes comme dans le cas du genre, alors qu’en fait elles sont homo-
nymes, comme c’était le cas pour les rapports ‚I
xQ²M et SUµM{Q. Nous pensons
donc pouvoir compléter notre schéma ainsi (S4) :
°PÈQXPD

‚SµWºFKM ‚SµGLDQReDM

°PRL²WKWD yJJºM
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JzQRM NDW
‚QDORJeDQ

‚I
xQ²M SUµM{Q WÙyIH[¡M
A présent, nous pouvons revenir à l’analyse du rapport SUµM{Q:
L’Être se prend en plusieurs acceptions, mais c’est toujours relativement à un
terme unique, à une seule nature déterminée. Ce n’est pas une simple homonymie,
mais de même que tout ce qui est sain se rapporte à la santé, telle chose parce
qu’elle la conserve, telle autre parce qu’elle la produit, telle autre parce qu’elle est
le signe de la santé, telle autre enfin parce qu’elle est capable de la recevoir ; de
même encore que le médical a trait à la Médecine et se dit, ou de ce qui possède
l’art de la médecine, ou de ce qui y est naturellement propre, ou enfin de ce qui est
l’œuvre de la Médecine, et nous pouvons prendre encore d’autres exemples
semblables : de même aussi, l’Être se prend en de multiples acceptions, mais, en
chaque acception, toute dénomination se fait par rapport à un principe unique.
Telles choses, en effet, sont dites des êtres parce qu’elles sont des substances,
telles autres parce qu’elles sont des déterminations de la substance, telles autres
parce qu’elles sont un acheminement vers la substance, ou, au contraire, des
corruptions de la substance, ou parce qu’elles sont des privations, ou des qualités
de la substance, ou bien parce qu’elles sont des causes efficientes ou génératrices,
soit d’une substance, soit de ce qui est nommé relativement à une substance, ou
enfin parce qu’elles sont des négations de quelqu’une des qualités d'une substance,
ou des négations de la substance même ; c’est pourquoi nous disons que même le
Non-Être est : il est Non-Être. Et de même donc que de tout ce qui est sain, il n’y a
qu’une seule science, ainsi en est-il aussi pour les autres cas. Non seulement, en
effet, l’étude des choses ayant communauté de notion relève d’une seule science,
mais encore l’étude des choses simplement relatives à une seule et même nature,
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 49

car même ces choses-là ont, en quelque manière, communauté de notion. Il est
donc évident qu’il appartient aussi à une seule science d’étudier tous les êtres en
tant qu’êtres 48.
L’être n’est donc ni un synonyme ni un homonyme ‚Sµ WºFKM : il « se dit
(OzJHWDL) de façon multiple (SROODFÎM), mais toujours vers un, une certaine
nature (SUµM ~Q NDh PeDQ WLQ† IºVLQ) » ; la multiplicité des significations de
l’être converge donc vers un terme unique et premier, sur lequel le Stagirite ne
nous donne pas plus d’informations, mais laisse à un exemple le soin de nous
éclairer : tout ce qui est dit “sain” se rapporte à la santé. En effet, on dit de la diète
qu’elle est saine parce qu’elle conserve la santé, de la médecine qu’elle est saine
parce qu’elle produit la santé, de l’urine qu’elle est saine parce qu’elle est le signe
de la santé, et du corps qu’il est sain parce qu’il est susceptible de recevoir la santé :
la diète, la médecine, l’urine et le corps sont donc dits “sains” par référence à la
santé. Mais ce n’est pas si simple : d’après cet exemple, il semble que ce rapport
SUµM {Q soit plus qu’un simple rapport focal univoque de différents sens d’un
terme vers un unique premier. En effet, dès le moment où l’on cherche ce qu’est la
santé, c’est-à-dire ce qu’Aristote nomme PeD IºVLM, on est renvoyé d’abord au
corps, qui demande d’être dit “sain”, car il est essentiel à la détermination de la
santé, étant son substrat, et qui, pourtant, ne peut pas être dit “sain” si nous n’en
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avons pas un signe. Autrement dit, le corps et l’urine sont dits “sains” par rapport à
la santé, qui n’existe que comme santé d’un corps particulier, celui-ci ne pouvant
être dit “sain” que par rapport à l’urine qui en est le signe. Par conséquent il est
impossible de saisir et d’isoler la santé, ainsi que ses différents aspects, qui sont en
quelque sorte prisonniers de cette dynamique, de cette circularité d’implication.
La PeDIºVLM n’est pas un JzQRM, pas plus qu’elle n’en a la structure ; elle n’est pas
une nature indépendante qui domine, couvre et fait couler d’elle ses instantiations.
Au contraire, elle est toujours présente comme voilée dans la diversité des aspects
du sain.
Voyons à présent quel est ce principe unique (‚UF›), ce fondement qui permet
aux êtres d’être dits “être” : c’est l’R¹VeD. En effet, les choses sont dites “être”
parce qu’elles sont des R¹VeDL, ou parce qu’elles en sont des déterminations, des
acheminements, des qualités… L’R¹VeD est donc fondement en ce sens qu’elle
maintient toutes les autres catégories dans leur être, puisqu’il ne peut y avoir de
qualité qui ne soit qualité d’une R¹VeD. Néanmoins, comme le dit Pierre
Aubenque, « (…) elle n’est pas ‚UF› au sens de fondement du connaître : la con-
naissance de l’essence ne permet en rien de connaître les autres catégories, car elle
n’est pas leur essence (si elle l’était, il y aurait unité de signification), et elle
n’entre même pas dans leur essence à titre de genre (car alors il y aurait
synonymie). De l’essence on ne peut donc déduire les autres catégories : celles-ci
sont à jamais imprévisibles et ce n’est pas une analyse de l’essence qui nous dira
pourquoi l’être se donne à nous comme quantité, comme temps, comme relation,

(48) ARIST., Mét., 1003a33-b19, p. 176-178 ; cf. aussi 1028a10-35, p. 347-349 ; 1030a18-b2,
p. 365-367 et 1060b31-1061a15, p. 588-589.
50 JOËL LONFAT

etc., plutôt qu’autrement. Si l’essence en tant que fondement est première en soi,
ce qui est premier pour nous, c’est l’être de la diversité de son être-dit : nous
trouvons l’essence présente dans chacune des significations de l’être, mais non les
autres significations présentes dans l’essence » 49. Cette dépendance à l’égard de
l’R¹VeDde chacune des significations de l’être se traduit donc par un rapport SUµM
{Q, mais, comme pour la santé, Aristote ne définit pas ce rapport : il se contente à
nouveau d’en donner un exemple. Quel est donc ce rapport, tout entier contenu
dans la préposition SU²M ? Essayons de comparer les exemples de la santé et de la
substance, afin de voir en quoi ils divergent ou sont semblables. De la même
manière que pour la santé, les catégories de l’être s’entre-signifient mutuellement
selon la même dynamique. L’R¹VeD – à l’instar de la santé – n’est pas un JzQRM:
elle n’est pas une nature indépendante à partir de laquelle découlent hiérarchique-
ment les autres significations de l’être ; elle n’est rien d’autre que l’unificateur de
l’explicitation des différents sens de l’être 50. Par conséquent, nous pensons qu’il
n’existe pas de hiérarchisation selon l’antérieur et le postérieur dans le rapport
SUµM{Q chez Aristote, même s’il y a un premier ; en effet, du premier on ne peut
déduire et connaître ses inférieurs comme nous venons de le voir : l’être joue une
sorte de jeu de cache-cache dans ses catégories, s’y dévoilant et s’y dissimulant,
nous renvoyant sans cesse de l’une à l’autre, sans jamais se laisser saisir. De plus,
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le Philosophe nous a déjà fourni un type d’unité dont la spécificité est d’ordonner
les différentes significations selon une série, donc selon l’antérieur et le posté-
rieur : c’est l’unité WÙyIH[¡M. Si les différentes significations de l’être se hiérar-
chisaient selon l’antérieur et le postérieur, Aristote n’aurait pas « classé » l’être
dans le rapport SUµM{Q – qui ne comporte pas d’aspect sériel de l’antérieur et du
postérieur, mais seulement un premier qui ne fait finalement que renvoyer aux
autres acceptions –, mais il l’aurait classé dans l’unité WÙyIH[¡M 51. Néanmoins
ces exemples ne sont pas entièrement superposables, et ceci pour deux raisons :
1) L’R¹VeD, principe premier et unique par rapport auquel les catégories
signifient l’être ne leur est pas transcendante, mais elle est elle-même une de ces
catégories, une des significations de l’être parmi d’autres, même si elle est
première. Son statut est donc double : à la fois signification de l’être parmi les caté-
gories et fondement par quoi les autres significations de l’être sont effectivement
des significations de l’être. Alors que pour l’exemple du sain, la santé n’est pas
elle-même l’une des significations multiples du sain : elle en transcende les
différentes significations. Le cas de l’être est plus complexe : on remarque tout de

(49) P. AUBENQUE, Le Problème…, p. 193-194.


(50) Comme le dit P. Aubenque : « Le SU²M du SUµM~QOHJ²PHQRQ n’est décidément ni un NDWƒ,
ni un GLƒ, ni un rapport d’attribution ni un rapport de déduction : il est la référence obscure et incertaine
qui assure, certes, l’unité des significations multiples de l’être, mais une unité elle-même équivoque et
dont le sens sera toujours à “rechercher” », ibid., p. 249. Aubenque ne dramatise-t-il pas un peu ? Au
lieu de « toujours à rechercher », ne faudrait-il pas plutôt dire « chaque fois à préciser » ?
(51) L’évolution de ces rapports, leurs contaminations mutuelles sont le fait de commentateurs
d’Aristote et seront étudiés plus loin ; en effet, la hiérarchisation des êtres est bien plus néoplato-
nicienne qu’aristotélicienne.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 51

suite que l’R¹VeDn’est pas à la quantité ou à la qualité ce que la santé est au sain ou
au sanitaire, et cela pour une raison essentielle : les catégories ne sont pas les
modes de signification de l’R¹VeD, mais l’R¹VeD et les autres catégories signi-
fient, la première immédiatement et les autres en se rapportant à la première, un
terme plus fondamental encore, qui est l’être 52.
2) Dans le cas du sain, le rapport SUµM {Q ne concernait que deux termes : la
santé et ses différentes modalités ; dans le cas de l’être, il concerne trois termes :
être, R¹VeD, et les autres catégories. Ainsi que nous venons de le voir, nous ne
pouvons pas réduire l’un de ces termes à un autre ; en effet, l’R¹VeD, bien qu’étant
le fondement – et même ce par quoi les autres catégories existent –, n’est pourtant
pas l’être, car malgré tout, elle reste une des catégories, étant manifeste que l’être
n’est pas identique aux catégories.
Peut-être pouvons-nous à présent expliquer l’allusion à l’hypothèse de
l’analogie invoquée lors de l’étude des significations multiples du bien. En effet,
l’analogie ne concerne pas le problème de l’unification des sens du bien et encore
moins de l’être, puisque effectivement différentes choses sont dites “bien” ou
“être” selon un rapport SUµM {Q. Alors où est la place de l’analogie ? Laissons à
Pierre Aubenque le soin de répondre à cette question :
Ce qui peut être dit ici analogique (encore qu’Aristote présente ceci, non comme
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une solution, mais comme une hypothèse), ce n’est pas à proprement parler les
significations multiples du bien, ni encore moins de l’être, mais le rapport entre les
unes et les autres : l’intelligence est à l’essence ce que la vertu est à la qualité, la
mesure à la quantité, l’occasion au temps, etc., et le bien en tant que bien est
précisément ce qu’il y a d’égal entre ces différents rapports. Pour qu’il y ait
analogie, il faut donc que soient en présence deux séries, entre lesquelles on établit
un rapport terme à terme : en ce sens, on peut dire que les significations du bien
(comme celles de l’un) sont analogiques par rapport à celles de l’être, puisqu’à
chaque signification de l’être correspond une signification du bien ou de l’un.
Mais s’il en est ainsi, on ne peut étendre aux significations de l’être le recours à
l’analogie, qu’Aristote ne suggère d’ailleurs que pour le cas des significations
multiples du bien. Celles-ci renvoient à celles-là, et c’est l’égalité de ces rapports
qui autorise l’affirmation d’une proportion 53.
Aristote utilise l’analogie en ce sens afin de cerner la notion d’acte par
exemple : en effet, pour élucider cette notion, le Stagirite nous propose de consi-
dérer l’analogie – non de l’acte – mais de ses multiples significations :
La notion d’acte que nous proposons peut être élucidée par l’induction, à l’aide
d’exemples particuliers, sans qu’on doive chercher à tout définir, mais en se

(52) Un exemple simple montre toute la distance qui sépare l’immanence de l’R¹VeD et la
transcendance de la santé : si on supprime la santé, on ne supprime pas le corps. Par contre si on
supprime l’R¹VeD, on supprime du même coup les autres catégories.
(53) P. AUBENQUE, Le Problème…, p. 202-203.
52 JOËL LONFAT

contentant d’apercevoir l’analogie : l’acte sera alors comme l’être qui bâtit est à
l’être qui a la faculté de bâtir, l’être éveillé à l’être qui dort, l’être qui voit à celui
qui a les yeux fermés mais possède la vue, ce qui a été séparé de la matière à la
matière, ce qui est élaboré à ce qui n’est pas élaboré 54.
Le rapport fondamental est bien le rapport SUµM{Q.
Trois questions s’imposent alors à nous : premièrement, quel rapport y a-t-il
entre les rapports ‚I
xQ²M et SUµM{Q" Deuxièmement, quel rapport y a-t-il entre
l’analogie et la métaphore ? Troisièmement, pourquoi est-ce que ce sont des
choses qui sont homonymes/synonymes et pas des termes ?
1) Les rapports ‚I
 xQ²M et SUµM {Q sont-ils identiques ou sont-ils deux
rapports différents ? En effet, il semble que le Stagirite n’emploie le rapport ‚I

xQ²M dans son sens technique que dans l’Ethique à Nicomaque et nulle part
ailleurs 55. De plus, quand Aristote parle des multiples sens du bien, il parle
d’abord d’un rapport ‚I
xQ²M puis, en se basant sur les multiples sens de l’être qui
en sont le fondement, d’un rapport SUµM {Q ; tout cela semble plaider pour une
unification de ces rapports. Néanmoins nous pensons devoir nuancer ce propos. Si
notre interprétation des rapports ‚I
xQ²M et SUµM{Q comme étant deux types de
rapports des voisins par genre est effectivement correcte, nous pouvons expliquer
ce « flottement » ainsi : nous pouvons formellement les distinguer dans une typo-
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logie visant à énumérer les différents types d’unités, car la fin ne coïncide pas en
règle générale avec l’origine, mais en revanche leur fonctionnement est iden-
tique ; les deux rapports se fondent sur un premier et n’exigent aucune hiérarchi-
sation des différents sens des termes. Par conséquent nous pensons que ces rap-
ports ne sont pas identiques, mais qu’au sujet de l’être ils fonctionnent de la même
manière et peuvent être non-dissociés, le rapport devenant SUµM{QNDh‚I
xQ²M.
2) Aristote distingue la métaphore de l’analogie. En effet, dans la Poétique, il
affirme que l’analogie n’est qu’un des types de la métaphore qui en compte
quatre 56.
3) D’après les définitions que le Philosophe nous donne des homonymes et des
synonymes, ils ne peuvent concerner que les choses et pas les termes. Un exemple
suffira à éclairer ce point : prenons un homme et un bœuf ; “animal” est dit de
l’homme et du bœuf selon la même définition : les deux choses sont synonymes.
Prenons à présent une âme et un corps et une âme seulement ; “animal” est dit de
l’âme et du corps et de l’âme seule selon des définitions différentes, se référant à
un terme unique : l’âme et le corps et l’âme seule sont des choses homonymes 57. Si
au contraire Aristote parlait de termes, nous serions obligés de dire qu’“animal”
est en même temps synonyme et homonyme, ce qui serait gênant …

(54) ARIST., Mét., 1048a35-b3, p. 499-500.


(55) ARIST., Eth. Nic., 1096b26-30, p. 51-53.
(56) « La métaphore est l’application d’un nom impropre, par déplacement soit du genre à
l’espèce, soit de l’espèce au genre, soit de l’espèce à l’espèce, soit selon un rapport d’analogie »,
ARISTOTE, La Poétique, trad. R. DUPONT-ROC, J. LALLOT, Paris, Seuil, 1980, 1957b6-33, p. 106-109.
(57) Cf. ARIST., Mét., 1043a34-37, p. 463.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 53

La paronymie
En ce qui concerne la paronymie, Aristote en fait un usage plus « discret » 58
que la synonymie ou l’homonymie, néanmoins important. La définition des
paronymes pose deux points fondamentaux, qui s’influencent mutuellement : la
paronymie repose sur ce que le Stagirite appelle la terminaison (SWÎVLM) 59, et
c’est aussi une propriété des choses. Cette définition ne va pas sans poser une
question fondamentale : cette terminaison est-elle celle de la chose ou bien du
nom ? Ce problème peut être explicité ainsi : est-ce que les paronymes sont des
choses qui diffèrent par le cas, recevant leur nom de la chose première qui est
« sans cas » et dont les autres sont des désinences, ou alors est-ce que les paro-
nymes sont des choses dont les noms seulement diffèrent par leur terminaison,
sans que nécessairement ces choses aient un quelconque rapport entre elles ? Il y a,
à notre avis, deux raisons de préférer la deuxième solution, soit que SWÎVLM
désigne la terminaison d’un mot et non le cas d’une chose :
1) Si on affirme que SWÎVLM désigne le cas d’une chose, on se trouve dans la
position gênante et non-aristotélicienne de devoir affirmer une participation entre
les choses qui sont une chute et la chose dont elles proviennent 60. On serait obligé
d’aller encore plus loin, en devant imposer une hiérarchie à l’univers, selon
qu’une chose qui déchoit est plus ou moins proche de la chose dont elle déchoit
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que les autres, ce qui est encore moins aristotélicien.
2) Comme les paronymes sont des choses, la terminaison doit être celle d’un
terme et non d’une chose, car sinon nous serions obligé de dire que des qualités, ou
des adverbes par exemple, sont des choses. En effet, comme “justement” vient de
“juste”, si on affirme que le cas est celui d’une chose, il faut affirmer que le
justement est une chose ; si le cas est seulement celui d’un terme, nous pouvons
alors dire que les choses faites justement sont les paronymes des choses justes, et
le terme “justement” présente une désinence qui fait de lui un cas du terme “juste”,
ce qui ne présente plus de difficulté majeure.
Nous pouvons remarquer pour terminer que les choses paronymes et les
choses homonymes sont en étroite relation chez Aristote, mais sans jamais

(58) En effet, Aristote ne l’utilise qu’à propos de la quantité au chapitre VIII des Catégories,
10a27-31, p. 49.
(59) 3WÎVLM signifie la chute et aussi, d’un point de vue grammatical, le cas d’un nom (casus en
latin) ou le mot formé d’un autre, comme l’adverbe de l’adjectif (SeSWZ), cf. Abrégé du dictionnaire
grec-français, p. 767. Mais Aristote parle-t-il de « cas » dans le sens grammatical ? Pas forcément, car
le cas est aussi ce qui permet d’exprimer la relation entre le premier et ses subordonnés dans une unité
d’origine, comme dans l’exemple de la santé et du sain ! Si ce n’est pas… le cas, nous avons peut-être
une bonne raison de supposer que ce sont des philosophes postérieurs qui, ayant remarqué l’ambiguïté
de sa définition des paronymes ont lesté cette notion de celle de cas (et par là lui ont imposé une place
un peu différente dans le dispositif, ce que nous verrons par la suite), alors que le Stagirite n’avait
indiqué que des différences de désinence.
(60) Comme nous le verrons plus loin, surtout chez les commentateurs arabes, le lien entre
l’interprétation de SWÎVLM en terme de cas et la participation est important pour la construction de la
paronymie, et pour son rapprochement avec l’homonymie par rapport à un premier.
54 JOËL LONFAT

pouvoir être identifiées 61, et que la paronymie peut être un critère pour affirmer
l’homonymie de deux choses, comme il l’explique dans les Topiques 62.

ALEXANDRE D’APHRODISE

Ces thèses aristotéliciennes ne restèrent pas longtemps « chimiquement


pures » : l’influence considérable du platonisme amène de nouvelles données à
notre problématique. Le tournant platonicien des doctrines de l’analogie a déjà
son inflexion principale chez Alexandre d’Aphrodise. Celui-ci va en effet
interpréter le rapport à un premier en terme de série selon l’antérieur et le
postérieur, théorie qui ne se trouve pas chez le Stagirite, mais qui va devenir le
point central de l’interprétation des problématiques liées à l’homonymie, à la
synonymie et à l’unification des différents sens de l’être. Même si nous ne
pouvons connaître les raisons fondamentales qui ont poussé Alexandre à faire ce
« glissando » théorétique, nous pouvons néanmoins en analyser le processus ; pour
ce faire, nous allons nous baser exclusivement sur son commentaire du livre * de
la Métaphysique, qui contient les éléments pertinents pour notre étude.
Alexandre est très sensible à l’‚UF›, en référence à laquelle ou à partir de
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laquelle tout ce qui est peut être dit “être” : l’R¹VeD. Il affirme que, de même que
toutes les autres catégories dépendent de l’R¹VeD en tant que fondement par
lequel non seulement les autres catégories sont dites “être”, mais sont 63, de même

(61) En effet, les choses qui sont saines, soit l’urine, le corps, la gymnastique sont homonymes
comme nous venons de le voir ; mais ce n’est pas une homonymie pure, l’unité des multiples signifi-
cations du mot « sain » étant assurée par le rapport à un premier, la santé, de qui elles tirent leur nom ;
les choses saines et la santé sont donc paronymes. Nous pouvons remarquer que nous ne pouvons faire
cela pour l’exemple de l’être, possédant trois termes : le premier et les choses homonymes qui
entretiennent avec lui un rapport d’origine ou de fin ne sont pas nécessairement des choses paronymes.
De plus, nous ne pouvons identifier les homonymes et les paronymes, car pour que des choses soient
homonymes, il faut que leur nom soit identique (les choses dites « saines »), ce qui ne doit jamais être
le cas pour des choses paronymes (le corps sain et la santé), dont les noms doivent différer par leur
terminaison. La paronymie n’est pas non plus dépendante des choses homonymes par rapport à un
premier (comme si on devait avoir des choses homonymes pour que le premier et les choses duquel
elles tirent leur nom soient des paronymes), de nombreuses choses paronymes n’étant pas liées
comme premier à des homonymes (par exemple, grammatica/la grammaire et grammaticus/ homme
s’adonnant à la grammaire : grammaticus vient effectivement de grammatica et ne présente pas la
même terminaison que grammatica, ils sont donc paronymes ; mais la chose qui est dite
« grammaticus » n’est pas homonyme).
(62) Cf. ARIST., Top., 106b29-107a2, p. 38.
(63) « Assuming that there is one science of things said in many ways, by derivation from one
thing and with reference to one thing, he then shows that in such cases, in which there is something
primary which is said in the proper sense, while other things are derived from that thing (as is the case
with things said by derivation from one thing and with reference to one thing), the science that
concerns itself with that nature, on which the other things also bear, is in the proper sense and in the
highest degree the science of that which is primary. Medicine, for example, which is the science of all
healthful things, is in the proper sense and in the highest degree the science of health, with reference to
which other things are said [to be healthful]. Likewise the science concerned with goods is in the
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 55

les multiples types d’R¹VeDL ne sont pas purement homonymiques, mais leurs
différents sens s’unifient selon un rapport SUµM{Q, dans lequel le rôle du premier
est tenu par la substance première (SUÎWK R¹VeD) ; les autres R¹VeDL dépendent
donc de la substance première de la même manière que les différentes catégories
dépendent de l’R¹VeD : c’est d’elle qu’elles tirent leur dénomination et leur
existence 64. Parallèlement à l’établissement de cette totale dépendance de tous les
membres du réel à la SUÎWK R¹VeD, Alexandre introduit dans cette structure un
ordre selon l’antérieur et le postérieur. Pour ce faire, il va agir sur les trois rapports
aristotéliciens qui sont pertinents pour unifier les multiples sens selon un premier,
soit les rapports ‚I
xQ²M SUµM{Q et WÙyIH[¡M. En effet, ces trois rapports sont
les seuls suffisamment proches pour permettre une « contamination » mutuelle
sans déformer à outrance les thèses du Stagirite. En effet, comme nous l’avons
déjà constaté, les structures de ces rapports sont très proches, tous constituant
aussi des rapports dont la substance est première, qu’elle soit origine ou fin. Cette
« contamination » est double :
1) Une « contamination » du rapport SUµM {Q par la structure sérielle du
rapport WÙyIH[¡M : Alexandre introduit dans le rapport SUµM {Q un ordre selon
l’antérieur et le postérieur suivant les relations qu’entretiennent les choses les
unes avec les autres, ne distinguant les rapports SUµM{Q et WÙyIH[¡M que dans le
fait que, en ce qui concerne les choses dites selon le rapport WÙ yIH[¡M, ne
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possédant pas de premier, ce sont les membres postérieurs de la série qui sont les
plus complets, alors que dans le cas du rapport SUµM{Q, ce sont les premiers qui
sont les plus complets :
For one and being are not such things, but rather, as he adds, ‘some are by
reference to one thing, some in the manner of a series’. While both are among
things said in many ways, things in a series differ from things said with reference to
one thing, in that things said with reference to one thing are said in this way
because they belong to that one thing, and have a certain order relative to one
another, as healthy things, medical things, and beings have been shown to have,
while things in a series are among things said in many ways only in this respect,
that one of them is primary while another is secondary. For example, three, four,
and the series of numbers are not numbers because they belong to two or because
they contribute something to two ; on the contrary, that which is primary in this
manner contributes to the things that come after it. So, in the case of things said in
many ways in this manner, it is the posterior [members of the series] that are more

proper sense and in the highest degree concerned with the most complete of goods. And there will,
then, be one science of all being, since being is of the same nature, but this science will be in the highest
degree involved with the primary being, that which is being in the most proper sense, on account of
which other things are beings. People say that substance is such a thing, for the being of other things
depends on substance, and it is on account of substance that they too are beings », ALEXANDER OF
APHRODISIAS, On Aristotle Metaphysics 4, trad. A. MADIGAN, Ancient Commentators on Aristotle,
London, Duckworth, 1993, 244.10-24, p. 18-19.
(64) Cf. ibid., 247.8-15, p. 22 et 251.21-24, p. 27.
56 JOËL LONFAT

complete, whereas in the case of things said with reference to one thing, the one is
that to which the others are referred 65.
Alexandre laisse donc ici de côté le fait que le rapport WÙyIH[¡M possède aussi
un premier, et semble ne pas tenir compte du passage du livre / de la Méta-
physique, qui affirme le contraire 66.
2) Une « surimpression » du rapport ‚I
 xQ²M et du rapport WÙ yIH[¡M :
Alexandre identifie tout simplement ces deux rapports, sans autre explication que
l’affirmation qu’Aristote n’avait envisagé que deux rapports seulement d’homo-
nymie par rapport à un premier :
The words ‘some in the manner of a series’ may express ‘derived from one thing’.
For he has divided the things said in many ways in this manner into things derived
from one thing and thing said with reference to one thing 67.
Nous pouvons déduire de ces considérations qu’en introduisant dans le rapport
SUµM{Q une structure selon l’antérieur et le postérieur, on permet la déduction de
toute la série à la suite du premier qui est le plus complet ; et en introduisant dans le
rapport ‚I
xQ²M une même structure selon l’antérieur et le postérieur, on permet
une remontée de toute la série pour arriver au dernier qui est le plus complet. Bien
que conservant les bases du rapport SUµM{Q en tant que relation à une commune
origine et du rapport ‚I
 xQ²M à une commune fin, cette interprétation du texte
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d’Aristote faite par Alexandre a un sens assez clair, comme le dit Jean-François
Courtine :
Il s’agit de considérer la doctrine de l’unité par référence, immanente à la
prédication catégoriale, comme une étape simplement préliminaire à une doctrine
de l’unité, beaucoup plus profondément centrée sur la question de l’étagement de
différentes régions ontiques ; les commentateurs n’envisagent donc l’unité catégo-
riale que comme prolégomène à l’unité transcatégoriale, ou transcendentale de
l’être, entièrement subordonnée à un principe premier, à partir duquel il doit être
possible en retour de déduire la totalité de ce qui est 68.
Cette inflexion de la thèse aristotélicienne va définitivement consommer son
mariage avec le néo-platonisme dans sa principale conséquence : la participation.
En effet, l’étagement de différentes régions ontiques, c’est-à-dire la hiérarchi-
sation des êtres par rapport à un premier pose une question fondamentale : quel
rapport entretiennent entre eux les êtres ordonnés suivant l’antérieur et le
postérieur à partir d’un premier ? De là à répondre par la participation, il n’y a
qu’un pas, qu’Alexandre franchit sans réserve : il y a le premier qui, comme nous
l’avons vu, est le plus complet et possède donc une certaine nature en plénitude ;
cette nature se trouve aussi dans ceux qui lui sont postérieurs, mais diminuée au
fur et à mesure que l’on s’éloigne du premier, selon les rapports réel et de

(65) Ibid., 263.22-33, p. 42.


(66) Cf. ARIST., Mét., 1069a18-24, p. 641-642.
(67) ALEXANDER OF APHRODISIAS, op. cit., 263.34-35, p. 42.
(68) J.-F. COURTINE, op. cit.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 57

dénomination qu’ils entretiennent avec celui-ci, donc selon la mesure de leur


participation au premier. En ce qui concerne la participation, Alexandre ne nous
dit rien de plus précis, ni qu’elle dépendrait uniquement du premier, qui « se
donnerait » différemment à ses suivants, ni du dernier qui ne recevrait cette nature
que selon sa capacité de réception 69. Mais c’est cette participation, dont la
conséquence est le rapprochement de l’homonymie par référence à un premier, de
la synonymie, qui permet de résoudre le problème d’une science une de l’être, et
donc de trancher définitivement la question aristotélicienne de l’unité de la
science de l’être « toujours à préciser ». Ce rapprochement est fondé sur la notion
de nature commune. En effet, de même que les synonymes sont rangés sous un
même genre et partagent donc univoquement une même nature, les homonymes
par référence à un premier partagent aussi une référence à une même nature, mais
qui est participée inégalement par ceux qui lui sont postérieurs. C’est donc grâce à
la participation que l’on peut relier tous les relata de l’homonymie ‚I
xQ²MNDh
SUµM {Q à une même nature, et les rapprocher ainsi des synonymes. Et c’est ce
rapprochement qui permet à Alexandre de fonder l’unité de la science de l’être : en
effet, comme il n’y a de science une d’un objet que s’il y a une nature commune, il
doit aussi y avoir une science une des homonymes par rapport à un premier, dans la
mesure où ils ont aussi une nature commune, bien qu’elle soit inégalement
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participée par les relata.
Le rapprochement de l’homonymie par rapport à un premier de la synonymie a
une conséquence intéressante, qui marque la distance qui s’instaure entre les
thèses d’Aristote et celles d’Alexandre d’Aphrodise : alors que pour le Stagirite,
les significations multiples de l’être sont fondamentalement homonymiques, pour
Alexandre, l’homonymie par rapport à un premier devient un intermédiaire entre
les homonymes purs et les synonymes, et donc reçoit un nouveau statut.
Après avoir dit qu’il y a une science de l’Être en tant qu’Être, de ses principes et de
ses causes, et l’avoir constituée sous le nom de VRIeD, il (Ar.) (…) va montrer que
l’Être, n’étant ni un genre des choses dont il est affirmé (…), ni un homonyme (…),
est quelque chose d’intermédiaire entre les homonymes et les synonymes ; entre
les uns et les autres, il y a en effet les choses qui sont dites d’après un terme unique
et relativement à un terme unique, et l’Être en est une… Ailleurs il range, comme
on le fait plus communément, cette sorte de nature dans la classe des homonymes ;
mais ici, adoptant une division plus exacte, il dit qu’elle diffère des homonymes et
en quoi elle en diffère. Car, dans ce cas, il n’y a pas seulement communauté de

(69) « Quant aux choses qui sont nommées d’après un terme unique et relativement à un terme
unique, d’une part elles ne conservent pas mutuellement cette équivalence à l’égard de leur prédicat,
par laquelle se caractérisent les synonymes ; mais elles ne possèdent pas non plus cette hétérogénéité
rebelle à toute fusion et à tout mélange, qui est le propre des homonymes ; mais il y a entre elles une
certaine communauté, consistant en ce que, si elles sont ce qu’exprime leur nom, elles le doivent à
l’existence d’une certaine nature de la chose qui est leur principe, à l’égard de laquelle elles sont dans
un certain rapport et à cause de laquelle elles participent d’un même nom ; et cette nature se laisse
apercevoir en quelque façon en toutes ces choses », ALEXANDRE D’APHRODISE, Commentaire sur la
Métaphysique 4, 241.9-241.21, cité par L. ROBIN, La théorie platonicienne des idées et des nombres
d’après Aristote, Paris, Félix Alcan, 1908, p. 155-157.
58 JOËL LONFAT

nom, et la relation mutuelle des notions n’est pas la même que pour les purs homo-
nymes, dont l’homonymie est un produit du hasard ; mais il y a, pour les choses que
nous considérons, une cause déterminée de la similitude de leur dénomination
mutuelle 70.

PROCLUS

Notre problématique se complexifie avec l’apport d’une seconde tradition qui


met en œuvre une hiérarchisation des éléments composant le réel selon qu’ils
participent d’une manière plus ou moins complète au premier (soit l’Un),
conformément au rapport de proportion qui existe entre eux. Un des représentants
les plus éminents de cette tradition est Proclus 71. L’évolution de la manière dont
on perçoit le réel d’Aristote à Proclus est très intéressante pour notre propos. En
effet, pour le Stagirite, les relations entre les êtres sont décrites par des rapports
sémantiques et/ou ontologiques, ce qui fait, entre autres, que les deux exemples
d’homonymie par rapport à un premier ne coïncident pas exactement : ce n’est que
par dénomination que l’urine est dite saine, la santé ne se trouvant formellement
que dans le corps, support de la santé. De plus, l’urine ne dépend pas de la santé
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pour exister, ni pour recevoir son nom. En revanche, dans l’exemple de l’être, tout
ce qui existe n’est pas seulement dit “être”, mais a de l’être, est être ; dans ce cas, le
rapport n’est pas seulement sémantique, mais aussi ontologique. De plus, les
catégories dépendent de l’R¹VeD pour exister et reçoivent leur nom de l’être ; il n’y
a plus deux termes, le sain et la santé, mais trois : l’être, l’R¹VeD et les autres
catégories. Pour Alexandre d’Aphrodise, les relations entre les êtres sont décrites
par des rapports sémantico-ontologiques, ce qui rapproche nos deux exemples :
c’est parce que les choses saines participent de la santé, et les êtres de l’être,
qu’elles sont dites “saines” et qu’ils existent. A cause de cette participation à un
premier, tout dépend de la SUÎWK R¹VeD pour exister, et chaque être reçoit de
l’être sa dénomination. Pour Proclus par contre, les relations entre les êtres ne sont
décrites que par des rapports ontologiques. Il ne considère pas l’aspect sémantique
de ces rapports, évacuant ainsi du premier plan la problématique des choses
homonymes, synonymes et éliminant les choses paronymes, pour lesquelles
l’élément sémantique était fondateur. Il n’en a en effet plus besoin pour atteindre

(70) ALEXANDRE D’APHRODISE, Commentaire sur la Métaphysique 4, 240.33… 241.27, cité par
L. ROBIN, op. cit., p. 155-157.
(71) Un autre auteur néoplatonicien, Damascius, mériterait notre attention, mais nous ne pouvons
ici développer ses thèses. Nous ne ferons donc que signaler les passages de son Traité des premiers
principes (texte établi par L. G. WESTERINK et traduit par J. COMBÈS, Paris, Les Belles Lettres, 1986)
qui sont en relation directe avec notre étude : 1 re partie, p. 2-4 et 120-130 (il y a aussi quelque chose de
ce genre dans l’Isagoge de Porphyre à propos du « genre des Héraclides », cf. chapitre sur le genre,
§ 1-2), et 3 e partie, p. 1-56.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 59

le réel, l’Un comme suprême participé et la hiérarchisation de l’univers lui


permettant une toute autre approche du réel, soit par des mouvements ascendants
et descendants entre le principe et ses subordonnés. Le premier, duquel tout
découle et provient, même l’être, est l’un, le participé imparticipant, c’est-à-dire
l’un participé par tout, mais qui ne participe de rien 72.
Après avoir posé un premier de qui tout découle et qui est donc non seulement
principe de l’existence de tout ce qui est, mais aussi de ce qui se trouve « distri-
bué » dans ses inférieurs par la participation, il suffit d’établir un ordre hiérar-
chique dans le réel afin d’en faire en plus le principe de connaissance de ce qui est,
et par conséquent de réduire toute la problématique aristotélicienne de l’homo-
nymie par rapport à un premier à un ordre naturel du monde. Et c’est ce que fait
Proclus : tous les êtres proviennent de l’Un qui est de façon primordiale et parfaite
ce qu’il communique à ses inférieurs, lesquels se structurent hiérarchiquement
selon l’ordre décroissant, les moins parfaits découlant des plus parfaits selon la
qualité de leur ressemblance avec l’un.
11. Tous les êtres procèdent d’une cause unique qui est la première.
18. Tout dispensateur qui agit par son être est lui-même de façon primordiale ce
qu’il communique aux bénéficiaires de ses dispensations.
19. Tout ce qui appartient de façon primordiale à un ordre d’êtres est présent à tous
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les êtres qui sont rangés sous cet ordre selon la même loi et de façon permanente.
29. La loi de toute procession est la ressemblance des dérivés aux êtres premiers.
36. De tous les êtres qui se multiplient en procédant, les premiers sont plus parfaits
que les seconds, les seconds plus parfaits que les rangs ultérieurs, et ainsi de suite.
64. Puisque la procession s’effectue en descendant les degrés qu’exigent les
causes constituantes, il faut que des très parfaits procèdent les parfaits, et, par la
médiation de ceux-ci, les imparfaits, selon l’ordre requis.
97. Toute cause faisant fonction de principe en chaque série communique à la série
entière son propre caractère. Et ce que la cause est à titre primordial, la série le
réalise selon le mode dégressif 73.
Une conséquence importante découle de cette participation : quelque chose de
l’un se trouve toujours dans les subordonnés, si éloignés qu’ils soient du premier
dans l’ordre hiérarchique. Le principe de la série communique donc à celle-ci de
manière dérivée et dégressive ce qui le caractérise ; et ce quelque chose de l’un se
retrouvant en tous, même dégradé, c’est sa forme :
30. Tout ce qui est produit immédiatement par un principe demeure en lui tout en
procédant de lui.
112. Les premiers membres de chaque ordre portent la forme de leurs principes
antérieurs 74.

(72) Cf. PROCLUS, Éléments de théologie, trad. J. TROUILLARD, Paris, Aubier-Montaigne, 1965,
n° 1-2-3-5-100, p. 61-64 et 119-120.
(73) Ibid., p. 67-68, 72-73, 81-82, 85-86, 100-101 et 117-118.
(74) Ibid., p. 82 et 127.
60 JOËL LONFAT

Quel est alors ce principe d’ordre, permis par la participation par ressemblance
liée au partage d’une même forme et qui structure hiérarchiquement tout l’uni-
vers ? C’est ce que Proclus appelle l’analogie. En effet, pour Proclus, l’analogie
est le principe même de l’ordre de l’univers et ceci par le fait que, concernant
l’univers dans sa totalité 75, elle est à la fois la mesure qui relie tous les éléments de
la série selon le degré de perfection de la forme qu’ils reçoivent du premier, et la
proportion qui relie les séries entre elles. L’analogie, du fait qu’elle est principe
d’ordonnancement de tous les participés par rapport à l’un, est le principe de
l’unité du monde.
108. Tout sujet particulier de chaque ordre peut participer de deux façons à la
monade du plan immédiatement supérieur : ou bien à travers son propre universel,
ou bien à travers le sujet particulier qui lui correspond dans l'ordre supérieur
conformément au rapport de proportions qui règne entre les ensembles sériels 76.
Nous pouvons remarquer que Proclus fait se rencontrer – mais sans les
identifier – les rapports ‚I
xQ²M 77 et NDW
‚QDORJeDQ. Nous avons là le premier
grand pas en direction de ce que nous appellerons plus tard l’analogia entis, qui
n’existe bien sûr pas encore dans les théories de Proclus, mais y possède quelques
prémices, bien plus que chez Aristote. En effet, il fallait, comme le dit Jean-
François Courtine, qu’existe « cette perspective des degrés de l’être, qui rapporte
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hiérarchiquement les étants à un premier, selon leur participation plus ou moins
déficiente, [pour] (…) constitue[r] le fondement ultime d’une doctrine de l’ana-
logie ; pour qu’il y ait analogie de l’être, il faut que celui-ci se distribue selon un
plus et un moins. Or c’est précisément un tel point de vue qui nous paraît radica-
lement étranger à la démarche de la pensée authentiquement aristotélicienne » 78.
En conséquence, la structure de l’univers demande deux rapports pour
Proclus : le rapport ‚I
xQ²M – notre auteur ayant interprété en un sens uniquement
ontologique l’aspect sémantique de ce rapport – et l’‚QDORJeD, qui bien que
gardant son aspect mathématique aristotélicien, a été passablement développée.
C’est de l’articulation de ces deux rapports que « naît » la structure hiérarchique de

(75) Cf. PROCLUS, Commentaire sur le Timée, trad. A. J. FESTUGIÈRE, t. I-II, Paris, Vrin-C.N.R.S.,
1966-1967, I, 50.20-21, p. 84.
(76) PROCLUS, El. theol., p. 124 ; cf. aussi Commentaire sur le Timée, II, 27.10-16, p. 53.
(77) L’ambiguïté entre les rapports ‚I
 xQ²M et SUµM {Q qui subsistait encore chez Aristote, à
savoir s’il fallait les identifier ou les distinguer, semble s’être résolue par leur identification pure et
simple. En effet, Proclus utilise principalement le terme technique ‚I
 xQ²M pour exprimer le
mouvement de communication de la forme du premier à la série, celui-ci devenant ainsi la commune
origine de tout, par exemple dans cette formule : « de même (…) que tous les êtres procèdent d’un seul,
toute série procède d’un seul terme » (ÆMJ†UW†´QWD SƒQWD ‚I
 xQ²M R»WZ NDh S‰VD VHLU†
‚I
xQ²M) in El. theol., n° 100, p. 120. De plus, il se sert du terme technique SUµM{Q uniquement dans
l’expression, devenue canonique probablement depuis Alexandre d’Aphrodise, ‚I
xQ²MNDhSUµM
{Q, qu’il utilise comme synonyme (au sens moderne du terme) d’‚I
 xQ²M, dans, par exemple « [les
êtres] ne relèvent pas, en effet, d’une seule définition, mais ils ont une unité d’origine et de référence,
puisque tous procèdent de leur monade propre (R¹GHJ†UHlM°O²JRM‚OO
ÆM‚I
xQ²MNDhSUµM
{Q [SƒQWDSU²HLVLQyNW¡MRdNHeDMPRQƒGRM]), ibid., 110, p. 126.
(78) J.-F. COURTINE, op. cit.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 61

l’univers, ainsi que son unité : tout provient de la même origine, à savoir l’un ; le
rapport qui relie l’un à ses inférieurs, du moins aux plus proches qui reçoivent sa
forme dégradée est donc bien un rapport à une commune origine, soit le rapport
‚I
 xQ²M. De même, les premiers de chaque série, communiquant leur forme à
leurs inférieurs créent un rapport ‚I
xQ²M :
110. Parmi les membres de chaque série, les premiers et ceux qui sont unis à leur
propre monade ont le pouvoir de participer aux êtres établis dans la série
immédiatement supérieure en vertu de leur correspondance, au lieu que les moins
parfaits et ceux qui s’écartent de leur principe propre ne peuvent jouir de cette
participation.
Parce que les premiers sont en étroite affinité avec leurs analogues plus élevés, du
fait qu’ils sont pourvus dans leur ordre d’un rang supérieur et plus divin, tandis que
les suivants procèdent plus avant, c’est-à-dire que la procession qui leur est
départie est seconde et subordonnée, mais ni originelle ni souveraine au sein de
l’ensemble sériel, il est nécessaire que ces premiers soient joints selon leur
communauté originelle aux êtres de l’ordre supérieur, alors que les suivants ne
peuvent s’y unir. Car les êtres ne sont pas tous de même degré, même s’ils appar-
tiennent au même ordre. Ils ne relèvent pas, en effet, d’une seule définition, mais
ils ont une unité d’origine et de référence, puisque tous procèdent de leur monade
propre. Si bien qu’ils n’ont pas reçu une puissance identique, mais les uns sont
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capables d’accueillir les participations des êtres immédiatement supérieurs, tandis
que les autres, rendus dissemblables par des processions qui les écartent à l’excès
de leurs principes, sont privés d’un tel pouvoir 79.
L’analogie, quant à elle, permet essentiellement d’ordonner les membres des
séries entre eux, et les séries entre elles ; c’est donc elle qui permet de créer l’ordre
hiérarchique de l’univers, de conserver l’unité que lui donne le rapport ‚I
xQ²M à
partir du premier, et de créer cette unité dans et entre les séries. En effet, le rapport
‚I
xQ²M n’indiquant que la commune origine, et laissant donc le problème de la
hiérarchisation des subordonnés de côté, c’est l’analogie qui le prend en charge.
Elle est en quelque sorte à la fois la capacité de réception de chaque inférieur de la
forme provenant du premier, ce qui permet d’établir l’ordre dégressif de la série, et
le rapport qui règne entre les ensembles sériels et qui hiérarchise les séries entre
elles, créant l’ordre de l’univers. C’est cette double structure de l’analogie qui sera
développée et menée à son sommet par le Pseudo-Denys. On peut encore remar-
quer que pour Proclus, le rapport ‚I
xQ²M est antérieur à l’unité NDW
‚QDORJeDQ.
En effet, la procession de la commune origine est première, et vient avant
l’établissement d’une proportion entre les membres des séries et entre les séries
elles-mêmes. L’unité NDW
‚QDORJeDQ se greffe toujours sur le rapport ‚I
xQ²M
qui est non seulement antérieur selon le temps, mais surtout plus profond au sens
ontologique. Etant donné l’intérêt ontologique et épistémologique que présente
une telle théorie, il est évident que les auteurs postérieurs à Proclus ne pourront pas
l’ignorer, et revenir à un Aristote pur, ni même à la simple participation « floue »

(79) PROCLUS, El. theol., p. 125-126 ; cf. aussi n° 100, p. 119-120.


62 JOËL LONFAT

d’Alexandre, mais que tous seront plus ou moins marqués par ce « nouvel ordre du
monde », unifié et hiérarchisé par les rapports ‚I
xQ²M et NDW
‚QDORJeDQ.

DENYS LE PSEUDO-ARÉOPAGITE

L’influence de Denys est importante pour l’élaboration des théories de


l’analogie : ses œuvres furent d’ailleurs connues dans le monde latin avant les
Éléments de Théologie, qui ne furent traduits par Guillaume de Moerbecke qu’en
1268. Pour Denys, les idées divines sont fondamentales 80, car ce sont elles qui
déterminent le mode de participation des créatures aux vertus divines. Ces idées
ne sont pas l’essence de Dieu, mais elles sont les causes et les principes des choses,
préexistant dans les vertus de Dieu. La causalité joue ici un rôle très particulier :
elle signifie la manifestation dans le rapport des causes aux effets ; les causes
invisibles en elles-mêmes deviennent visibles dans les effets, ceux-ci possédant
les images des causes, cependant sans en avoir la similitude parfaite, car il y a plus
dans les causes que dans leurs effets ; elle signifie aussi la participation ou l’imi-
tation dans le rapport des effets à leurs causes. Les idées étant les causes des choses
créées, l’imitation est l’accomplissement par lequel la créature existe et tend à
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devenir ce qu’elle doit être, en participant aux vertus divines selon le mode qui lui
est prescrit. Les idées ne sont plus non seulement les causes des choses créées, leur
donnant l’existence, mais aussi leurs fins. La fin du créé est donc la participation
parfaite aux vertus divines, selon le mode déterminé pour chaque être crée 81.
Chez Denys, la participation est aussi fondée sur le premier selon qu’il est
cause formelle exemplaire, amenant tous ses subordonnés à l’être :
Convenienter igitur cunctis aliis principalius sicut existens deus laudatur ex
digniore aliorum donorum eius. Etenim praeesse et superesse praehabens et super-
habens ex ipso « quod est » – ipsum dico secundum-se-esse – praeexistere fecit, et
per esse ipsum omne quocumque modo existens subsistere fecit. Et quidem
principia existentium omnia esse participant et sunt et principia sunt ; et primum
sunt, postea principia sunt. Et si vis viventium sicut viventium principium dicere
per-se-vitam, et similium sicut similium per-se-similitudinem (…) et aliorum
quaecumque hoc aut hoc aut ambobus aut multis participant, hoc aut hoc, aut
utraque, aut multa participata : per-se-participationes invenies ipso esse primum

(80) « Exemplaria autem dicimus esse in deo existentium rationes substantificas et singulariter
praeexistentes ; quas theologia praediffinitiones vocat et divinas et bonas voluntates existentium
determinativas et effectivas, secundum quas supersubstantialis existentia omnia praediffinivit et
produxit », texte de la translatio Iohannis Sarraceni des Noms Divins, in s. ALBERT LE GRAND, Super
Dionysium De divinis nominibus, in Opera omnia, tomus XXXVII, Pars I, Monasterii Westfalorum,
Aschendorff, 1972. Pour une traduction française, cf. Les Noms divins (ND), in Œuvres complètes du
Pseudo-Denys l’Aréopagite, trad. M. de GANDILLAC, Bibliothèque philosophique, Paris, Aubier,
1934.
(81) Cf. V. LOSSKY, « La notion des “analogies” chez Denys le pseudo-Aréopagite », AHDLMA, 5
(1930), p. 279-309.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 63

illas participantes et ipso esse primum quidem existentes, postea huius aut huius
principia existentes et participare esse, et existentes et participatas. Si autem ista
participatione essendi sunt, multo quidem magis ea quae ipsis participant.
Denys, à l’instar de Proclus, greffe sa théorie de l’analogie sur sa conception
de la théophanie. L’analogie est la mesure, ou la proportion selon laquelle les
créatures participent aux vertus divines, qui leur confèrent en premier l’être, puis
toutes leurs perfections :
Sed et post illas sacras et admirabiles mentes animae et quaecumque animarum
sunt bona, sunt propter superbonam bonitatem : intellectuales ipsas esse, habere
substantialem vitam inconsumptibilem, ipsum esse et posse extentas ad angelicas
vitas, per ipsas sicut bonos duces ad omnium bonorum bonum principatum sursum
agi et inde emanantium illuminationum in participatione fieri secundum illorum
proportionem et deiformi dono secundum virtutem participare, et quaecumque
alia a nobis in sermone de anima sunt enumerata 82.
Etant donné que l’analogie est la capacité qu’a chaque être de participer au
premier, la proportion ainsi établie entre chaque être met en place un ordre dans
l’univers sous forme sérielle, du plus parfait au moins parfait 83. Pour terminer,
nous ne faisons que signaler qu’il existe encore chez le Pseudo-Denys un autre
sens important du terme analogie : l’analogie signifie aussi la fin de chaque créa-
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ture, c’est-à-dire son union avec Dieu, qui est différente pour chacune d’elles 84.

SIMPLICIUS

Simplicius, élève de Proclus et de Damascius, est aussi une source importante


pour l’élaboration médiévale de la théorie de l’analogie. Son commentaire du
traité des Catégories a été beaucoup étudié ces dernières années 85, et cela à juste
titre : Simplicius est l’héritier d’une longue série de commentateurs, partant
d’Alexandre d’Aphrodise et passant par les commentaires aujourd’hui perdus de

(82) Cf. aussi ces deux passages de la Hiérarchie céleste, col. 165 et 292, cités par V. Lossky,
op. cit., p. 289-290 et 291.
(83) Cf. ibid., col. 164, cité par V. LOSSKY, op. cit., p. 292 ; voir aussi la Hiérarchie ecclésiastique,
col. 513, cité par V. LOSSKY, op. cit., p. 293. Denys identifie parfois l’analogie avec l’ordre, comme
lorsqu’il désigne les ordres ecclésiastiques par ‚QDORJeDLcHUDUFLNDh, cf. Hiérarchie ecclésiastique,
in Œuvres complètes, col. 513, p. 303-304.
(84) Le premier sens d’analogie est lié aux êtres créés en leur état de chute, état ne correspondant
plus à leur état originel, et pas encore à leur état final (soit après le salut), qui sont identiques et liés au
deuxième sens d’analogie.
(85) Cf. entre autres, SIMPLICIUS, Commentaire sur les Catégories, trad. sous la dir. de I. HADOT,
Philosophia antiqua, volume LI, fascicule III : Préambule aux Catégories & commentaire au premier
chapitre des Catégories, Leiden, E. J. Brill, 1990. Cf. aussi J.-F. COURTINE, « Aux origines néoplato-
niciennes de la doctrine de l’analogie de l’être » in C. CHIESA, L. FREULER (éd.), Métaphysiques
médiévales : Études en l’honneur d’André de Muralt, Cahiers de la Revue de théologie et de
philosophie 20, Genève-Lausanne-Neuchâtel, 1999, p. 29-46.
64 JOËL LONFAT

Porphyre 86 et de Jamblique – qui ont eu une grande influence dans le « commenta-


risme » grec et arabe. Son originalité réside à la fois dans la systématisation qu’il
introduit dans les théories de l’homonymie par référence à un premier, et dans un
certain retour aux thèses premières d’Alexandre d’Aphrodise et de Porphyre.
Cette systématisation apparaît dès le début de son commentaire des Catégories
avec la « revue » des opinions de ses prédécesseurs et avec la classification de « ce
qui est » sur la base de la composition entre le nom et le O²JRM de l’essence 87 :
O²JRM de l’essence → identique O²JRM de l’essence → différent
noms identiques synonymes homonymes
noms différents polyonymes hétéronymes 88

Pour Simplicius, dire que l’homonymie d’une chose a son corrélat linguistique
dans l’homonymie d’un terme, et dire que x et y sont homonymes parce qu’ils ont
le même nom et des définitions différentes, équivaut à affirmer que le nom de x et
de y est équivoque, parce qu’il désigne deux choses, x et y, dont les définitions sont
différentes. Malgré cela, ou plutôt avec cela, l’homonymie reste une propriété des
choses 89, au point qu’elle reste tributaire de la participation 90. Voici la classifi-
cation des homonymes telle que les latins pouvaient la lire d’après la traduction de
son commentaire par Guillaume de Moerbeke en 1266 :
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Consueverunt autem hic supervenientes expositores modos aequivocorum dinu-
merare et dicunt quod secundum supremos modos dupliciter dicuntur aequivoca ;
haec enim sunt a casu, ut Alexander qui Parius et qui Macedo, haec autem ab
intellectu, quando recogitans aliquis propter causam aliquam eadem nomina
imposuerit. Sed quae quidem a casu, velut casualia et indeterminata, indivisa

(86) Soit le Commentaire à Gédalius.


(87) Sur la différence entre O²JRMde l’essence et définition, cf. SIMPLICIUS (latin), Commentaire
sur les Catégories d’Aristote : traduction de Guillaume de Moerbeke, éd. A. PATTIN, Corpus Latinum
Commentariorum in Aristotelem Graecorum, Louvain-Paris, Publications Universitaires de Louvain-
Editions Béatrice Nauwelaerts, 1971, p. 39.
(88) « Sciendum igitur quod quaecumque secundum nomen communicantia differunt secundum
rationem, haec vocantur aequivoca, quaecumque autem e converso secundum rationem quidem com-
municant, differunt autem secundum nomen, haec vocantur multionyma, puta hominis definitio una,
nomina plura, merops brotos et si quid tale (nomina sunt hominis). Quae autem communicant secun-
dum ambo secundum nomen scilicet et rationem vocantur univoca, ut homo et equus communicant
nomine animalis et definitione ; ambo enim sunt animalia et substantia animata sensitiva ; et propter
hoc univoce de ambobus animal praedicatur. Quae autem neque secundum rationem neque secundum
nomen communicant vocantur quidem alteronyma, sunt autem secundum veritatem altera, et maxime
quando neque suppositum habuerint commune ut ascensus et descensus scalam ; quae enim talia
magis utique alteronyma dicentur. Sunt autem quaedam quae sic quidem communicant ambobus, sic
autem differunt, ut quae dicuntur denominativa, ut cum ab albedine album dicitur et a grammatica
grammaticus », SIMPLICIUS (latin), op. cit., p. 30-31.
(89) « Unde res proprie, non nomina, dicendum facere aequivocationem », ibid., p. 32.
(90) « Si autem dicat aliquis, quod participare natura aequivoci nihil aliud est quam nomine solo
communi participare – haec enim est aequivoci natura, siquidem ista est definitio – (…) dicendum
quod nomina quidem de rebus praedicantur principaliter et propria et communia, aequivoce autem vel
univoce praedicari non principaliter inest, sed per nominum talem vel talem communicatum », ibid.,
p. 41-42.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 65

manent ; quae autem ab intellectu dividuntur quadrupliciter, scilicet in ea quae


secundum similitudinem, sicut Aristoteles in exemplo aequivocorum usus est
dicens animal, homo et quod pingitur, commune quidem habentia nomen hoc,
rationem autem alteram, propterea quod homo quidem animal est ut substantia
animata sensitiva, imago autem hominis vel statua animal ita ut similitudo
existentis animati sensitivi 91. Secundus autem modus ab intellectu qui secundum
analogiam, ut cum principium dicitur aequivoce numerorum quidem unitas, lineae
autem punctus, fluviorum autem fons et animalium cor ; sicut enim ad numerum
unitas, ita et alia se habent, quod quidem est proprium analogiae. Tertius autem
modus ab intellectu quando ab aliquo fit communis praedicatio in multis et
differentibus rebus, ut a medicinali medicinalis quidem liber, quia medicinalium
disciplinarum habet conscriptionem, medicinalis etiam scalpellus, quia organum
est incisionum quae secundum medicativam artem, medicinale autem et farma-
cum, quia ad sanitatem est opportunum, unde nomen quidem solum commune,
ratio autem uniuscuiusque altera. Quartus autem, quando diversa ad unum
referuntur finem, ab illo appellationem recipientia, sicut cibus sanus et farmacum
sanum et excercitium et alia quaecumque a sanitate ut a fine nominantur. Hos
autem duos modos quidam copulantes enuntiaverunt ut unum qui ab uno et ad
unum, quidam autem neque in aequivocis ipsum posuerunt neque in univocis, sed
amborum intermedium, propterea quod ratione quadam participant a medicinali
quidem medicinalia, a sanitate autem sana – non enim nomen solum commune est
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– et propter hoc univocis assimilantur, secundum quod autem non ex aequo
participant participantia – non enim similiter medicinalis est liber, qui scientiam
medicinalem continet et scalpellus, neque similiter sanum farmacum et
deambulatio – propter hoc igitur non sunt univoca 92.
On peut schématiser cette classification ainsi :
aequivoca (°PÈQXPD)

a casu (‚SµWºFKM) ab intellectu (‚SµGLDQReDM)

secundum similitudinem secundum analogiam ab uno ad unum


(NDT
°PRL²WKWD) (NDW
‚QDORJeDQ) (‚I
xQ²M) (SUµM{Q)
Cette analyse soulève trois problèmes :
1) Le problème de l’identification ou de la distinction des rapports ‚I
xQ²M et
SUµM {Q est visiblement toujours une pierre d’achoppement au sein de l’homo-
nymie par rapport à un premier. Simplicius consacre en effet un paragraphe entier
de son analyse à la discussion de cette ambiguïté qui, comme nous l’avons consta-
té plus haut, se trouve déjà chez Aristote. Il est malgré tout difficile de répondre à

(91) Nous voyons ici l’écart qu’il y a entre l’exemple en grec, où le terme “]ÙRQ” désignait à la
fois l’animal et la reproduction picturale et l’exemple en latin, qui perd cette subtilité.
(92) SIMPLICIUS (latin), op. cit., p. 42-43. Cf. aussi SIMPLICIUS, On Aristotle Physics 7, trad.
C. HAGEN, Ancient Commentators on Aristotle, London, Duckworth, 1994, 1096.27-1097.5, p. 77.
66 JOËL LONFAT

cette question, Simplicius se contentant de poser le problème, mais sans donner sa


solution. C. Luna fournit de bonnes raisons de croire que pour notre auteur, il n’y a
pas de différences réelles entre les homonymes ‚I
xQ²M et SUµM{Q, et donc que
les deux « classes » peuvent être identifiées 93. Mais malheureusement elles ne
sont pas suffisantes – à notre avis – pour apporter la certitude que c’est la bonne
interprétation de ce que Simplicius « voulait dire », si tant est qu’une telle expres-
sion ait un sens en histoire de la philosophie.
2) Le problème de la place des homonymes ‚I
xQ²MNDhSUµM{Q, qui sont
encore considérés ici comme intermédiaires entre l’homonymie et la synonymie,
et ceci en opposition avec l’opinion d’Aristote qui place toujours l’homonymie
par rapport à un premier dans l’homonymie. Là encore, Simplicius ne fait que citer
cette thèse sans la discuter. Il faut donc essayer de reconstruire sa pensée, ce que
fait en ces termes C. Luna : « (…) Simplicius admet l’existence d’une classe inter-
médiaire entre les homonymes et les synonymes. Cette classe est constituée par les
choses ‚I
 xQ²M NDh SUµM {Q OHJ²PHQD. Celles-ci, qui large loquendo font
partie des homonymes, stricte loquendo ne sont ni des homonymes ni des syno-
nymes. Cette condition particulière des choses ‚I
xQ²MNDhSUµM{QOHJ²PHQD
est exprimée par la formule “SROODFÎMOzJHVTDL”, qui est elle aussi susceptible
d’une interprétation large (pour autant qu’elle peut être appliquée aux synonymes
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et aux homonymes) et d’une interprétation stricte (pour autant qu’elle peut être
appliquée seulement aux choses ‚I
xQ²MNDhSUµM{QOHJ²PHQD). Le corrélat
ontologique de la notion de SUµM{Q et de SROODFÎMOzJHVTDL est une notion de
hiérarchie où la participation à la même forme assure l’unité et par voie de consé-
quence la non-homonymie, tandis que la diversité des degrés de participation
détermine la pluralité et par conséquent la non-synonymie » 94.
3) Le problème de la disparition des homonymes WÙyIH[¡M, qui sont proba-
blement identifiés par Simplicius – et cela à la suite d’Alexandre d’Aphrodise –
avec les homonymes ‚I
xQ²M.
Quant aux paronymes, leur place dans le dispositif est ambiguë ; selon Simpli-
cius, les paronymes sont en quelque sorte intermédiaires entre les homonymes et
les synonymes, auxquels ils sont et ne sont pas semblables, en tant que leur nom et
leur définition ne sont ni tout à fait différents ni tout à fait les mêmes. L’exemple
désormais classique établi par Aristote et repris par Simplicius est celui de la
grammaire et du grammairien : si “grammaire” et “grammairien” ne sont pas le
même mot et ne signifient pas la même réalité, il est toutefois évident qu’il existe
entre eux un lien qui est à la fois linguistique et réel.
Denominativa sunt aliquo modo media inter aequivoca et univoca, et ambobus
participant et deficiunt ab ambobus. Grammatica enim et grammaticus nomina et
rationem habent neque omnino eadem neque omnino altera ; et grammaticae
quidem ratio est scientia scribendi et legendi, *** aiunt autem tribus opus esse ei

(93) Cf. commentaire de C. LUNA, in SIMPLICIUS, op. cit., § 4.1, p. 84-85.


(94) Ibid., p. 41.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 67

quod ab aliquo denominatur, re scilicet a qua fit denominatio et nomine et adhuc


dissimilitudine terminationis, quod Aristoteles vocat casum. Casus enim nomi-
num vocabant antiqui non solum quinque hos quos nunc dicimus, sed etiam vici-
nas declinationes, qualescumque habeant figurationes ; unde et nunc vocatas me-
dietates casus vocabant, velut a virili casum viriliter et a bono bene. Ita autem et
masculinus quidam ipsis erat casus a nomine feminino, ut a grammatica gramma-
ticus, et feminina a masculino ut ab Alexandro Alexandria. Casus autem et hos
vocabant quia idem patiuntur cum proprie dictis casibus penes transformationem
terminationis. Quodcumque autem trium defuerit, non fit denominativum.
« Gyni » (i.e., mulier) enim musica arte participans et musica dicta, quamvis
nomine et re participet, quoniam terminationem habet eamdem, non dicitur deno-
minative a musica, sed aequivoca est ipsi ; et si quis virtute participans studiosus ab
ipsa vocetur, et re quidem participet et casu differat, nomine autem non participans
non dicitur denominative a virtute, sed neque a studio studiosus denominative ;
studiosus enim qui virtutem habet, student autem circa et quicumque. Aristoteles
tamen differentiam casus et eam quae secundum nomen appellationem, duo haec
sola videtur denominativis assignare, sed ex exemplis fecit manifestam et eam
quae secundum rem participationem in denominativis ; grammaticus enim non
solo nomine grammaticae participat, sed et ipsa arte, et virilis virtute. Oportet
autem in denominativis inquirere quid est primum et quid est quod ab illo est
denominatum, quia primum quidem est Alexander, et ab illo Alexandria et ab illa
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Alexandreus ; non enim e converso. Manifeste autem erunt natura priora, sicut
conditor condita civitate et civitas cive 95.
On peut remarquer qu’il existe de nombreux points communs entre les
paronymes et les choses ‚I
xQ²MNDhSUµM{QOHJ²PHQD, non seulement quant à
leur place dans la classification des réalités – soit celle d’intermédiaire entre les
synonymes et les homonymes – et l’insistance sur la participation au premier,
mais aussi quant au fait que lorsqu’on comprend le mot SWÎVLM comme un cas
grammatical, on peut non seulement exprimer la paronymie, mais aussi un rapport
‚I
 xQ²M NDh SUµM {Q, comme l’illustre très bien l’exemple de la santé et des
choses qui sont dites “saines”. Néanmoins cela ne constitue qu’un chevauchement
de deux ensembles, et non une identification. En effet, Simplicius n’identifie pas
la paronymie avec les choses ‚I
 xQ²M NDh SUµM {Q OHJ²PHQD 96, car dans
certains cas des termes féminin/masculin – comme grammatica (la grammaire) et
grammaticus (homme grammairien) – qui sont paronymes, ne peuvent entrer dans
la « catégorie » des homonymes par rapport à un premier ; de plus, les termes ayant
une même terminaison – comme grammatica (la grammaire) et grammatica

(95) SIMPLICIUS (latin), op. cit., p. 49-51.


(96) « On peut d’ailleurs déjà s’en apercevoir, si l’on analyse la définition des qualités requises
pour la paronymie. Simplicius en énumère trois : (I) la réalité dont le paronyme tire son nom ; (II) le
nom du paronyme ; (III) la différence de terminaison du nom primaire et du nom dérivé. Ces trois
conditions sont à la fois nécessaires et suffisantes à la paronymie, car l’absence d’une d’entre elles
implique l’absence de la paronymie. Cela veut dire que la paronymie ne risque jamais d’être confon-
due avec l’homonymie SUµM{Q, car la différence de la terminaison exclut l’identité du nom, qui, elle,
est une condition nécessaire pour l’homonymie », commentaire de C. LUNA, in SIMPLICIUS, op. cit.,
p. 120.
68 JOËL LONFAT

(femme grammairienne) – ne sont pas des paronymes 97. Cette thèse affirmant la
distinction entre la paronymie et les choses ‚I
 xQ²M NDh SUµM {Q OHJ²PHQD
disparaîtra chez les commentateurs arabes qui ne retiennent plus la paronymie,
l’évacuant de la classification des réalités en l’introduisant dans les convenientia,
la SWÎVLM n’étant plus interprétée qu’en terme de cas grammatical : c’est l’oubli de
la paronymie aristotélicienne.

AVICENNE, AL-GHAZALI ET AVERROÈS

Une autre source est intéressante pour notre propos : ce sont les philosophes
arabes Avicenne, Al-Ghazali et Averroès. En effet, ceux-ci apportent aux Latins
non seulement leurs propres théories, mais aussi, bien que d’une manière
indirecte, un accès privilégié aux auteurs grecs qu’ils ne pouvaient connaître de
première main 98. A cause de l’indisponibilité de nombreux textes de ces auteurs,
nous nous contenterons ici de fournir les éléments principaux de leurs doctrines de
l’homonymie 99.
Comme le montre l’étude d’Alain de Libera 100, c’est la Métaphysique
d’Avicenne, « connue par les Latins avant la Métaphysique d’Aristote (…) [qui]
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inaugure ainsi la problématique de la pluralité des sens de l’être sous une forme
qui définit d’avance les conditions d’intelligibilité de la métaphysique aristotéli-
cienne en fondant la possibilité de toute métaphysique comme science sur la
possibilité de penser l’unité du concept d’être en termes de “convenance selon
l’ambiguïté” » 101. Deux textes importants sont à la source de la doctrine de l’unité
des multiples sens de l’être :
Dicemus igitur nunc quod quamvis ens, sicut scisti, non sit genus nec praedicatum
aequaliter de his quae sub eo sunt, tamen est intentio in qua conveniunt secundum

(97) Cf. appendice II du commentaire de C. LUNA, in SIMPLICIUS, op. cit., p. 153-159. Un témoin
antérieur à Simplicius et très intéressant pour cette problématique est la Paraphrasis themistiana :
« Anonymi Paraphrasis Themistiana (pseudo-Augustini Categoriae decem) », in Categoriae, ed.
L. MINIO-PALUELLO, Aristoteles Latinus I. 1-5, Paris, Desclée de Brower, 1961, p. 138-139.
(98) Pour un complément d’information, cf. A. BADAWI, La transmission de la philosophie
grecque au monde arabe, Études de philosophie médiévale LVI, Paris, Vrin, 1987.
(99) En effet, la traduction latine de la partie de la Logica d’Avicenne consacrée aux catégories
n’a pas été conservée, et nous ne possédons pas d’édition critique de la traduction latine du
Commentaire moyen des Catégories d’Averroès, ni de son Grand Commentaire sur la Métaphysique,
pas plus que de son Grand Commentaire sur l’Ethique à Nicomaque. Pour une bibliographie des
œuvres d’Averroès (avec les projets d’édition), cf. Averroes and the Aristotelian Tradition : Sources,
Constitution and Reception of the Philosophy of Ibn Rushd. Proceedings of the Fourth Symposium
Averroicum (Cologne, 1996), ed. G. ENDRESS & J.A. AERTSEN, Leiden, E. J. Brill, 1999, p. 385-407.
(100) A. de LIBERA, « Les sources gréco-arabes de la théorie médiévale de l’analogie de l’être »,
Les Études philosophiques, 3/4 (1989), p. 319-345.
(101) Ibid., p. 333.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 69

prius et posterius ; prima autem est quidditati quae est in substantia, deinde ei quod
est post ipsam. Postquam autem una intentio est ens secundum hoc quod assigna-
vimus, sequuntur illud accidentalia quae ei sunt propria, sicut supra diximus. Et
ideo eget aliqua scientia in qua tractetur de eo, sicut omni sanativo necessaria est
aliqua scientia 102.
Postquam locuti sumus de his quae sunt entis et unitatis quasi species, nunc oportet
loqui de his quae sunt eorum quasi proprietates et accidentia comitantia. Prius
autem incipiemus de his quae sunt entis, et ex his primo de prioritate et poste-
rioritate. Dico igitur quod quamvis prioritas et posterioritas dicantur multis modis,
tamen fortasse conveniunt in uno secundum ambiguitatem, scilicet quia priori,
inquantum est prius, aliquid est quod non est posteriori, sed nihil est posteriori
quod non habeat id quod est prius 103.
Nous n’avons malheureusement pas d’autres explications sur ce qu’est cette
convenientia. Comme nous ne possédons pas en latin la partie pertinente de la
Logique du Shifa’, nous ne pouvons pas éclairer l’Avicenna Latinus par lui-même ;
mais peut-être pouvons-nous le faire par Al-Ghazali, sa Logica – dont nous pos-
sédons la traduction latine – étant en fait un abrégé de la Logique perdue du Persan.
Univoca sunt, ut haec dictio « animal » convenit homini et equo secundum eandem
intentionem indifferenter, sine magis et minus, sine prius et posterius. Animalitas
enim omnibus istis eadem est. Similiter, « homo » convenit Petro et Iohanni.
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Diversivoca sunt multa nomina eiusdem rei, ut « ensis », « mucro », « gladius ».
Multivoca sunt multa nomina multarum rerum, ut « equus » et « asinus », quae sunt
singula singularum rerum
Aequivoca sunt, ut una dictio conveniens multis et diversis, ut « canis », quod
dicitur de latrabili et de caelesti sidere.
Convenientia sunt media inter univoca et aequivoca, ut « ens », quod dicitur de
substantia et accidente. Non enim est sicut haec dictio « canis ». Ea enim quae
appellantur « canis » non conveniunt in aliqua significatione canis. Esse vero
convenit substantiae et accidenti. Nec sunt sicut univoca. Animalitas enim aeque
convenit equo et homini indifferenter et eodem modo. Esse vero prius habet sub-
stantia ; deinde accidens, mediante alio. Ergo est eis esse secundum prius et
posterius. Hoc dicitur ambiguum 104, eo quod aptatur ad hoc et ad hoc 105.
Donc si l’être n’est pas un genre ni un synonyme comme l’avait déjà affirmé
Aristote, il est quand même une intention une, qui convient en premier à la quid-
dité de la substance et en second lieu à ce qui vient après elle, et c’est cette

(102) AVICENNE, Liber de philosophia prima sive Scientia divina, éd. critique de la traduction
latine médiévale par S. VAN RIET, t. I-II, Louvain-Leiden, E. Peeters-E.J. Brill, 1977-1980, I. 5, p. 40,
l. 46-53.
(103) Ibid., I. 4, p. 184, l. 1-10.
(104) Ils sont « ambigus » en ce qu’ils prennent à la fois des homonymes purs et des synonymes, et
ne sont donc complètement ni les uns ni les autres. Les termes ambigus proviennent d’Alexandre dans
son commentaire sur les Topiques, et sont récupérés par les philosophes arabes sous le nom de al-
mušakkika.
(105) « Logica Algazelis : Introduction & Critical Text », ed. Ch. LOHR, Traditio 21 (1965),
p. 245-246.
70 JOËL LONFAT

intention une qui fonde une science une de l’être. On retrouve ici la structure néo-
platonicienne désormais bien connue de la série selon l’antérieur et le postérieur
appliquée à l’être dit premièrement de la substance puis des autres catégories. Une
chose encore est intéressante : la convenance est une relation utilisée dans les
définitions des univoca, des aequivoca et des convenientia ou ambigua, mais pas
dans celles des diversivoca et des multivoca ; il semble donc que cette relation ne
fonctionne que lorsque n’entre en jeu qu’un seul nom attribué à plusieurs, et non
plusieurs noms, qu’ils soient attribués à un ou à plusieurs. Nous reconnaissons
sans peine la synonymie dans les univoca, l’homonymie ‚Sµ WºFKM dans les
aequivoca ; les convenientia posent plus de problèmes :
1) De quelle nature sont les convenientia, qui ne sont ni des homonymes, l’être
ne convenant pas multis et diversis à la substance et aux accidents, ni des syno-
nymes, l’être ne convenant pas non plus indifferenter à la substance et à l’acci-
dent ? Il semble qu’ils soient ce que nous avons appelé l’homonymie ‚I
xQ²MNDh
SUµM {Q. En effet, les convenientia tiennent la même place que celle des choses
‚I
 xQ²M NDh SUµM {Q OHJ²PHQD depuis Alexandre, soit celle d’intermédiaire
entre les homonymes et les synonymes. De plus, l’exemple de l’être dit de la sub-
stance et des accidents 106 est semblable à celui de l’être dit de la substance et des
autres catégories. Un autre argument repose sur leur structure : l’homonymie par
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rapport à un premier, comme les convenientia, se dit selon un ordre sériel compor-
tant de l’antérieur et du postérieur. Ces trois arguments nous semblent suffisants
pour conclure à l’identification des convenientia et des choses ‚I
xQ²MNDhSUµM
{QOHJ²PHQD.
2) Les homonymes NDT
 °PRL²WKWD, WÙ yIH[¡M et NDW
 ‚QDORJeDQ ont
disparu du dispositif. En effet, toute la classification de ce qu’Aristote appelait les
°PÈQXPD a changé : l’homonymie est réduite à l’homonymie ‚SµWºFKM sous le
nom d’aequivoca. L’homonymie ‚Sµ GLDQReDM semble se réduire uniquement
aux convenientia ; l’homonymie NDT
 °PRL²WKWD a disparu : elle a peut-être été
évacuée du dispositif de par son rôle secondaire dans la problématique qui nous
occupe ; l’homonymie WÙ yIH[¡M a aussi disparu de la classification : elle a
probablement été identifiée – toujours à la suite d’Alexandre 107 – avec le rapport
‚I
xQ²MNDhSUµM{Q, ces deux rapports partageant à présent dans leur identifi-
cation leur aspect sériel selon l’antérieur et le postérieur. L’analogie, quant à elle,
a complètement disparu, sans être remplacée ou introduite dans un autre rapport…
Peut-être est-ce dû à la tradition qui, passant par Proclus et Simplicius, en fait un
rapport second, qui ne peut se greffer que sur un rapport ‚I
xQ²MNDhSUµM{Q,
qui est premier.

(106) Ici l’être n’est pas seulement dit de la substance et des accidents selon l’antérieur et le
postérieur ; Al-Ghazali affirme clairement que l’esse vero convenit substantiae et accidenti, secundum
prius et posterius. C’est d’un rapport réel que découle la dénomination, et ce n’est donc pas un rapport
purement sémantique : la participation des choses ainsi dénommées est conservée.
(107) Il est étonnant de constater à quel point Avicenne et Al-Ghazali sont souvent beaucoup plus
proches d’Alexandre que d’Aristote.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 71

Un autre absent de cette classification nous déroute : la paronymie (denomi-


natio) ne figure plus dans la classification des réalités. Pourquoi ? Il est très
difficile de répondre à cette question. Peut-être nos auteurs ont-ils identifié les
paronymes avec les ‚I
xQ²MNDhSUµM{QOHJ²PHQD, la position d’intermédiaire
entre les synonymes et les homonymes étant déjà occupée par les convenientia.
Nous pouvons encore ajouter à cette raison le fait que, suite à un certain plato-
nisme grammatical, le terme SWÎVLM, interprété uniquement en terme de cas
grammatical, s’est réduit à exprimer le rapport entre les termes ne différant que par
ce cas, et désignant par conséquent aussi un rapport ‚I
 xQ²M NDh SUµM {Q. En
effet, c’est en utilisant le terme de denominatio pour dire uniquement la relation
linguistique de dénomination ou de prédication dénominative, et en utilisant le
terme de convenientia pour dire le rapport de dérivation d’une commune origine
ou de focalisation vers une même fin – liant par exemple le référent d’un terme
homonyme (sanum) à son premier (sanitas) – que les traductions latines
d’Avicenne et d’Al-Ghazali télescopent les convenientia avec les denominativa,
celles-ci ne retenant plus des paronymes aristotéliciens que le fait qu’une réalité,
tout en différant d’une autre réalité par la désinence de son nom, a une appellation
conforme au nom de cette autre réalité. Ce qui lie le terme premier aux homo-
nymes et permet la denominatio, c’est la convenientia, le rapport ‚I
 xQ²M NDh
SUµM{Q, lié à la participation à une même forme donatrice d’être.
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C’est Averroès qui va mener ces théories à leur apogée. La classification des
réalités qu’il présente dans son Commentaire moyen des Catégories nous place
dans une perspective nouvelle : un retour au texte aristotélicien, qu’il commente
sans prendre de distance 108, en analysant dans l’ordre propre du texte les thèses
successives du Stagirite. Cette méthode a une conséquence importante : nous
avons l’analyse des thèses d’Aristote et rien que de ses thèses. Le philosophe de
Cordoue n’éclaire que rarement le passage du texte du Philosophe qu’il étudie par
d’autres. Et pourtant, sa classification des réalités est somme toute très
conventionnelle :
Inquit Aristoteles. Res, quarum nomina sunt aequiuoca, sunt illae, quae nihil aliud
habent commune, quam nomen solum : sed definitio cuiuslibet earum, notificans
eius essentiam, prout significat illud nomen aequiuocum, est quidem diuersa a
definitione alterius habet enim definitionem sibi propriam vnaquaeque earum : vt
exempli gratia, hoc nomen animal, quod dicitur de homine picto & de homine
rationali : quorum quidem definitiones sunt diuersae, nihilque vniuersale & com-
mune eos coniungit, nisi nomen tantum : vt cum dicimus de ipsis simul quod sunt
animalia.
Res vero, quarum nomina sunt vniuoca, sunt quae idem obtinent nomen & com-
mune, & definitio, quae praestat earum essentiam, prout illud nomen significat, est
quoque eadem : vt exempli causa, hoc nomen animal, quod dicitur de homine, &

(108) Sur la méthode d’Averroès dans les commentaires moyens, cf. l’introduction de
A. BENMAKHLOUF et S. DIEBLER au Commentaire moyen sur le De Interpretatione, Sic et Non, Paris,
Vrin, 2000, p. 8-17.
72 JOËL LONFAT

equo. Nam hoc nomen animal est commune eis, & definitio eorum significat
eamdem essentia : hoc est quando dicimus, corpus nutribile sensitiuum, quae est
definitio animalis.
Res autem, quarum nomina sunt denominatiua, sunt quae denominantur nomine
alicuius affectus vel dispositionis, sed earum nomina discrepant a nomine illius
affectus per casum : quia continent subiectum illius affectus, cum ipso affectu : vt
denominatur fortis ab ipsa fortitudine, & prudens a nomine prudentiae 109.
L’apport personnel d’Averroès à notre problématique est double et touche
directement la classification des homonymes : c’est premièrement la conception
de l’accident comme « cas » ou « flexion » de la substance, et deuxièmement une
division tripartite des choses dites multiplement par rapport à un premier. Cette
conception de l’accident comme flexion de la substance lancée dans le Grand
commentaire sur la Métaphysique est fondée sur une exégèse particulière du
premier chapitre du livre =:
Cum declarauit, quod hoc nomen ens significat substantiam, & accidentia
substantiae, quae sunt nouem praedicamenta, intendit declarare, quod hoc nomen
ens principaliter, & simpliciter significat praedicamentum substantiae, & secun-
dario & determinate, scilicet relatiue ad substantiam, alia praedicamenta acciden-
tium, quae non dicuntur esse, nisi quia accidunt enti, quod est ens per se, scilicet
substantiae. Et dicit cum ens dicitur & cetera id est &, cum declaratum est, quod
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hoc nomen ens dicitur de generibus praedicamentorum, manifestum est, quod
primum, de quo dicitur hoc nomen simpliciter, & principaliter, est illud, quod
dicitur in responsione ad quid est hoc indiuiduum demonstratum per se existens :
& ista interrogatio est de substantia 110.
Le commentaire nous présente donc – selon l’analyse d’A. de Libera –
« comme “cas” ou “flexion” le rapport même de l’accident à la substance dans le
cadre même d’une ontologie qui ne se content[e] pas de marquer la dépendance de
l’accident par rapport au sujet mais vis[e] à exténuer l’accident de tout être et de
toute quiddité autres que l’être et la quiddité des substances premières (…). De
fait, pour Averroès, les neuf catégories d’accidents sont autant de “cas”, de
“flexions” de la substance considérée non comme simple agent (ab uno) ou
comme simple fin (ad unum) mais comme seul sujet ontologique authentique ; les
accidents ne sont donc pas des “étants” (entia) de plein exercice, mais des
“chutes” de l’étant (entis), “quelque chose du seul étant au sens véritable”, la
substance » 111.

(109) AVERROÈS, « Commentaire moyen des Catégories », in Aristotelis Opera cum Averrois
commentariis, t. I. 1, Venise 1562-1574, repr., Frankfurt am Main, Minerva G.m.b. H., 1962, 23E-
23I. Nous pouvons constater ici la concision de l’analyse d’Averroès qui colle au texte d’Aristote sans
s’en détacher : il ne traite que ce dont le Stagirite parle, soit des aequivoca, des univoca et des
denominativa, et laisse de côté les multivoca et les diversivoca, sans s’inquiéter d’une quelconque
complétude logique de sa classification.
(110) AVERROÈS, « Grand Comm. sur la Métaphysique », in Aristotelis Opera..., t. VIII, 153F-
153H.
(111) A. de LIBERA, op. cit., p. 340.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 73

Et dicit Et ens dicitur multis modis, & cetera id est, & non aequiuoce, sicut canis,
qui dicitur de latrabili & marino : neque vniuoce, vt animal de homine, & asino :
sed est de nominibus, quae dicuntur de rebus attributis eidem, & sunt media inter
vniuoca & aequiuoca. Et hoc intendebat, cum dicitur sed attribuitur vni rei, &
cetera id est & ista, quae attribuuntur eidem non attribuuntur eodem modo, sed
modis diuersis, & quaedam attribuuntur eodem modo, sed diuersantur secundum
magis & minus, sicut hoc nomen substantia, quae dicitur de formis & de indiuiduo.
Et, quia sana attribuuntur sanitati modis diuersis, sicut nouem praedicamenta
attribuuntur ad esse, quia sunt in vero ente, quod est substantia modis diuersis,
incoepit notificare diuersitatem modorum, qui inueniuntur in talibus nominibus,
ad demonstrandum quod ita est de hoc nomine ens cum substantia & cum alijs
praedicamentis, & dicit quoddam enim dicitur sanum, & cetera id est quaedam
enim dicuntur sana, quia attribuuntur sanitati hoc modo, scilicet quia conseruant
sanitatem ; sicut dicimus quod exercitium est sanum, quia conseruat sanitatem : &
quaedam attribuuntur sanitati, quia faciunt sanitatem, sicut dicimus quod potio
accepta est sana ; & similiter dicimus sanum signum, quod nunciat sanitatem :
sicut dicimus de criticis laudabilibus ; & similiter dicimus sanum illud, quod cito
recipit sanitatem, sicut corpus mundum ab humoribus. Et cum adduxit ea, quae
attribuuntur vni fini, induxit exemplum etiam de rebus, quae attribuuntur vni
agenti & dicit Et similiter attribuitur esse medicum medicinae, id est & similiter
omne adiuuans actionem medicinae attribuitur medicine. Et intendebat per hoc
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declarare, quod attributa ei, aut attribuuntur eidem fini, aut eidem agenti, aut
eidem subiecto, sicut nouem praedicamenta substantiae. Deinde dicit quoddam
enim dicitur medicum, & cetera id est quoddam enim dicitur medicum, quia
acquirit artem medicinae, verbi gratia, homo medicus : & quoddam quia conuenit
actioni medicinae, verbi gratia, dieta. Deinde dicit & quoddam, quia facit actio-
nem medicinae, licet non sit medicus ; vetula enim quae medicabat cum illa herba,
sicut dicitur, agebat actionem medicinalem, licet non erat medica. Deinde dicit Et
similiter etiam ens dicitur multis modis ; sed omnes illi modi attribuuntur vni
primo id est & similiter hoc nomen ens, licet dicatur multis modis, tamen in omni-
bus dicitur ens, quia attribuitur primo enti substantiae ; & istae attributiones in
vnoquoque eorum sunt diuersae ; praedicamenta enim attribuuntur substantiae,
non quia est agens aut finis eorum, sed quia constituuntur per illam, & subiectum
est eorum ; & universaliter non dicuntur entia, nisi quia sunt dispositiones entis ; &
multi homines negant ea esse ; albedo enim non est, sed album.
Deinde incoepit declare modos, secundum quos attribuuntur substantiae, & dicit
quaedam enim dicuntur entia, & cetera id est quoddam dicitur ens, quia est
existens per se, & est substantia : & quoddam dicitur ens, quia est passio sub-
stantiae ; & intendit per viam ad substantiam motum ad substantiam ; motus enim
dicitur ens, quia est via ad verum ens. Et intendit per relationem, quia est
comparatio entis ad ens ; & intendit relationem, quae dicitur ens, secundum quod
determinatum est in alijs locis ; & dicitur etiam ens illud, quod est priuatio entis ; &
hoc nomen etiam ens dicitur modo consimilitudinis ; dicitur enim substantia illud,
quod facit substantiam, sicut dicentes hic esse virtutes & formas facientes
substantiam ; & similiter dicitur, quod elementa substantiae sunt substantiae ; &
hoc intendebat, cum dicit aut generantia substantiam. Deinde dicit aut aliud id est
dicitur etiam ens illud, quod existit in substantia ; & hoc universale est caeteris
praedicamentis. Deinde dicit aut quia negant & cetera id est quoniam quemad-
modum hoc nomen ens dicitur de omnibus istis modis, ita etiam dicitur de
74 JOËL LONFAT

negatione & affirmatione. Et intendebat per hoc, quod hoc nomen ens dicitur de
primis intelligibilibus, & secundis : & sunt res Logicae. Et declarauit, quod hoc
nomen ens dicitur omnibus modis istis, incoepit declarare quod cogniti eorum,
quae dicuntur tali modo, est vnius scientiae, & dicit Quemadmodum igitur scientia
vna consyderat de rebus attributis sanitati, scilicet medicina, ita vna scientia debet
consyderare de omnibus attributis entis. Deinde dicit Quoniam non est vnius
scientiae consyderatio & cetera id est res enim, quae habent vnam scientiam, non
tamen sunt, quarum subiectum est vnum genere, aut specie dicto vniuoce, sed
quarum esse attribuitur vni fini, aut vni agenti, aut vni subiecto. Et dixit hoc, quia
ista est dispositio entium, scilicet quae attribuuntur vni fini, aut vni complemento ;
& hoc est quaesitum in hac scientia. Deinde dicit Et, quia ista dicuntur & cetera id
est &, quia declaratum est quod hoc nomen ens dicitur modo modorum rerum, de
quibus dicitur hoc nomen vnum, manifestum est, quod vna scientia consyderat de
ente ; & dispositio in hoc modo generis est sicut dispositio in genere, quod dicitur
vniuoce : quia praedicabilia essentialia inueniuntur in hoc genere, quod dicitur
multipliciter, sicut inueniuntur in genere, quod dicitur vniuoce ; sed hoc non
inuenitur in genere, quod dicitur aequiuoce ; & licet inueniatur in quodam aliquod
verum, tamen non est essentialiter ; possibile est enim vt aliquod praedicabile
praedicetur vere de aliquo nomine aequiuoco, verbi gratia, omnis canis est
pulcher, sed non inuenitur in eis praedicabile essentiale omnino. Deinde dicit Et
scientia, quae est scientia in rei veritate & cetera id est & manifestum est, quod
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vera scientia in talibus rebus, quae dicuntur per attributionem, est scientia primi,
quod est in illo genere, per cuius continuationem cum alijs attribuuntur illa alia ei,
& a suo nomine denominantur 112.
Nous avons ici toute la théorie d’Averroès sur l’unité des multiples sens de
l’être. Comme pour ses prédécesseurs, les exemples de l’être, du sain et du
médical caractérisent les choses dites multiplement par rapport à un premier,
intermédiaires entre les univoca et les aequivoca. Par conséquent, l’unité se fait
toujours par rapport à un premier, et encore selon l’antérieur et le postérieur.
L’originalité d’Averroès consiste en cette tripartition des choses dites multi-
plement par rapport à un premier, qui marque à la fois un retour à Aristote 113 et une
« nouveauté » : l’attribution à un sujet 114. En effet, si l’exemple du sain et de la
santé illustre l’attribution comme à une fin, et celui du médical et de la médecine
l’attribution comme à un agent, l’être dit de la substance puis des neuf autres
catégories n’appartient à aucun des deux, mais à l’attribution comme à un sujet.
Non seulement Averroès n’identifie pas les rapports d’attribution comme à un
agent et comme à une fin en un seul rapport ‚I
xQ²MNDhSUµM{Q, mais il déplace
la problématique de l’unité des multiples sens de l’être dans une nouvelle
catégorie, celle des choses dites multiplement par rapport au premier selon le

(112) AVERROÈS, « Grand Comm. sur la Métaphysique», in Aristotelis Opera..., t. VIII, 65D-66F.
(113) Celui-ci distingue les homonymes ‚I
 xQ²M (selon l’agent), SUµM {Q (selon la fin) et WÙ
yIH[¡M (selon l’antérieur et le postérieur).
(114) Le vocabulaire de l’attribution aura une influence considérable sur notre problématique par
l’invention scolastique d’une analogia attributionis qui aura son heure de gloire dans l’analogie
d’attribution extrinsèque.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 75

sujet ; cette catégorie n’est cependant pas nouvelle au plein sens du terme : ce sont
les convenientia rebaptisées, l’exemple de l’être faisant non seulement le lien 115,
mais Averroès lui-même ; en effet, il affirme dans son Commentaire sur l’Ethique
à Nicomaque :
Cum igitur nomen boni synonyme dicatur nomini entis, dicetur ambigue de decem
praedicamentis id est non secundum intentionem vnam, quam participent decem
praedicamenta 116.
Cela nous donne le schéma suivant :
réalités

univoca attribuuntur/diuersantur aequivoca


secundum magis et minus

vni fini vni agenti vni subiecto = ambigua


Trois problèmes – toujours les mêmes – se posent à nous, soit : où sont passées
les choses dites multiplement par rapport à un premier selon l’unité WÙ yIH[¡M,
ainsi que celles selon l’unité NDW
 ‚QDORJeDQ, et que sont devenus les
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paronymes ?
– Le Commentateur nomme l’unité de consécution dans son exégèse du livre *
de la Métaphysique 117. Il est alors très difficile de dire pourquoi il ne la reprend pas
dans sa classification. Nous ne pouvons que proposer trois réponses, énoncées
dans l’ordre croissant de probabilité : soit c’est parce que, à la suite d’Alexandre
d’Aphrodise, Averroès identifie les choses dites multiplement par rapport à un
premier avec l’unité de consécution ; soit il identifie les choses dites multiplement
par rapport à un premier selon le sujet seulement avec l’unité de consécution,
renforcé en cela par l’aspect sériel selon l’antérieur et le postérieur et par la
doctrine de l’accident comme flexion de la substance ; soit il écarte l’unité de
consécution en l’opposant à ce qui est attribué à un premier, et en sous-entendant
ainsi tout simplement qu’elle est non-pertinente pour le problème de l’unité des
multiples sens de l’être.
– Averroès envisage aussi l’unité selon l’analogie dans son Commentaire
sur la Métaphysique, au livre ' et dans son Commentaire de l’Ethique à
Nicomaque 118. Or il ne l’intègre pas non plus dans son classement des réalités.
Nous pensons que comme c’est le cas pour l’unité de consécution, il ne mentionne

(115) L’exemple illustrant les convenientia est systématiquement et uniquement celui de l’être.
(116) AVERROÈS, «Grand Comm. sur l'Ethique à Nicomaque », in Aristotelis Opera..., t. III, 6F.
(117) Cf. AVERROÈS, « Grand Comm. sur la Métaphysique », in Aristotelis Opera..., t. VIII, 71L.
(118) Cf. ibid., t. VIII, 115D… 115H et «Grand Comm. sur l'Ethique à Nicomaque »,
in Aristotelis Opera..., t. III, 6E-7C.
76 JOËL LONFAT

la proportionnalité que par fidélité au texte qu’il commente 119, mais sans l’utiliser
dans sa classification ; en effet, elle n’est plus pertinente pour résoudre les
difficultés posées par les choses dites multiplement par rapport à un premier, et
donc a fortiori pour le problème de l’unification des multiples sens de l’être.
– Quant à la paronymie, à part sa présentation au début du Commentaire moyen
des Catégories, elle brille par son absence. Une phrase d’Averroès peut nous
mettre sur la voie du « monde perdu des paronymes » : « Manifestum est, quod
vera scientia in talibus rebus, quae dicuntur per attributionem, est scientia primi,
quod est in illo genere, per cuius continuationem cum alijs attribuuntur illa alia ei,
& a suo nomine denominantur. » Il semble donc que le Commentateur n’interprète
la denominatio qu’en terme de dérivation linguistique. En effet, la relation des
termes homonymes à leur premier hérite de la structure propre du paronyme dont
la SWÎVLM n’est interprétée que dans le sens du cas grammatical, c’est-à-dire de
l’accident conçu comme cas ou flexion de la substance. La denominatio ne sert
donc plus qu’à décrire la dérivation linguistique qui permet de donner aux
homonymes le nom du premier auquel ils sont liés par la même fin, le même agent
ou le même sujet, moyennant la différence du cas :
Premier
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hom 1 hom 2 hom 3 hom 4
Homonymie par rapport à un premier : rapport ontologique d’une participation
à une même forme donatrice d’être entre un premier qui est agent, fin ou sujet
(le « donneur ») et ses subordonnées, pris ensembles 120 (les « greffés »).
Denominatio : rapport de dénomination par dérivation linguistique se basant sur
un rapport ontologique de participation d’un premier d’avec ses inférieurs.

(119) En effet, comme Averroès fait œuvre de commentateur et qu’il suit mot à mot le texte du
Stagirite, il ne peut se permettre de censurer des passages ; c’est probablement pourquoi il nomme
– d’ailleurs beaucoup plus qu’il ne commente ou n’explique – l’unité WÙ yIH[¡M et l’unité NDW

‚QDORJeDQ. En ce qui concerne le problème de l’unité de la science de l’être – qui passe par l’unité du
concept d’être – ces deux types d’unité ne sont pas pertinents pour parler de l’être et c’est proba-
blement pour cela qu’ils sont simplement laissés de côté par Averroès, lequel s’intéresse davantage
aux ambigua, qui sont la solution à son aporie.
(120) Il faut en effet au moins trois termes pour être homonymes par rapport à un premier : deux
choses qui ont le même nom, et le premier d’où à la fois elles proviennent et d’après lequel elles sont
dénommées. En effet, l’homonymie par rapport à un premier concerne, par exemple, une certaine
qualité du corps et de l’urine, qui ont une relation réelle avec la santé, le corps et l’urine participant
selon leur mesure et donc selon le plus et le moins de la santé qui leur fournit sa forme ; et c’est à cause
de ce rapport entre la santé et le corps, et entre la santé et l’urine, que l’on peut effectivement les déno-
mmer « sains ». Le rapport à un premier lie donc toujours au moins trois termes, deux homonymes et le
premier duquel ils participent ; la denominatio concerne toujours chacun des termes homonymes et le
premier duquel ils reçoivent leur dénomination. Il semble donc que la paronymie se réduise de plus en
plus à la dénomination des termes homonymes par rapport à leur premier au fur et à mesure que la
participation augmente, que la SWÎVLM est interprétée en terme de cas grammatical et que l’accident est
considéré comme flexion de la substance.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 77

SAINT ALBERT LE GRAND

Nous avons à présent presque tout ce qu’il nous faut pour parler de « l’analogie
de l’être ». Il ne nous manque en fait que sa formulation 121, à savoir le premier
moment où le terme analogia est venu dénommer ce que nous appelions les conve-
nientia à la suite des philosophes arabes, ceux-ci ayant ainsi rebaptisé les choses
‚I
 xQ²M NDh SUµM {Q OHJ²PHQD des philosophes grecs. Cette source de la
formulation médiévale de la théorie de l’analogie se trouve chez Albert le Grand :
Adhuc autem voci significativae ad placitum secundum quod est in intellectu
quaerentis scientiam ignoti per notum, accidunt quinque, scilicet quod sit univoca,
et quaedam diversivoca, quaedam autem multivoca, etiam quaedam aequivoca,
quaedam vero analoga sive proportionata, quae apud Arabes vocantur
convenientia 122.
Albert enrichit notre schéma classique d’un cinquième type de vocables qui,
structurellement, se substitue aux paronymes. Ces « noms », appelés analoga,
sont alors caractérisés comme l’équivalent de « ce que les Arabes appellent, eux,
convenientia ». Et voilà la rencontre, le collage violent, contre-nature, faisant
confluer en un même lieu improbable autant de phénomènes aussi différents que
l’analogie/proportion, l’unité des multiples sens d’un mot par rapport à un premier
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selon l’antérieur et le postérieur, la dérivation linguistique et la participation.
Analoga autem sunt proportionaliter dicta, ut Arabes dicunt, convenientia : et sunt
media inter univoca et aequivoca, quae sunt imposita diversis secundum esse et
substantiam per respectum ad unum cui proportionantur, sicut ens, quod dicitur de
substantia primo et principaliter, et de accidente secundario, quia est aliquid entis :

(121) En fait, ce n’est pas tout à fait juste : le grand absent est Boèce. Il est cependant doublement
intéressant pour notre problématique, car l’Organon d’Aristote était lu au Moyen Âge dans la
traduction latine qu’il en avait faite, et celle-ci était souvent diffusée avec son commentaire,
directement inspiré par ceux de Porphyre (soit son Commentaire par questions et réponses, et son
Commentaire à Gédalius). C’est Boèce qui met en place une partie du vocabulaire (l’autre partie étant
surtout le fruit des traductions d’Averroès) dans lequel va s’exprimer la doctrine de l’analogie de
l’être : aequivoca a casu, a consilio (secundum similitudinem, secundum proportionem, ab uno et ad
unum), univoca, diversivoca, multivoca et denominativa.
univoca aequivoca diversivoca multivoca denominativa

a casu a consilio

secundum similitudinem secundum proportionem ab uno medicinale/ ad unum


Alexander Priami & ut principium, namque medicina salutaris/salutis
Alexander Magnus principium est in numero
unitas, in lineis punctus

(122) S. ALBERT LE GRAND, De praedicabilibus, I, 5, cité par A. de LIBERA, Albert le Grand et la


philosophie, Paris, Vrin, 1990, p. 90.
78 JOËL LONFAT

et quantitas dicitur ens, quia est mensura entis : et qualitas dicitur ens, quia est
dispositio entis 123.
Mais dans la suite, sa théorie se complexifie. Elle distingue ce qu’il faut
appeler les trois modes de l’analogie, ou encore les trois types de proportions
réglant l’emploi des termes analogiques : la proportio ad unum subiectum, qui
vaut pour le terme « étant » ; la proportio ad unum efficiens actum, qui vaut pour le
terme « médical » ; et une proportio valant pour le terme « sain », qui n’a pas ici
d’appellation technique. Comme nous pouvons le constater, ce texte contient tout
le fond théorique de l’analogie médiévale : le statut intermédiaire des termes
analogiques ; l’interprétation de l’analogie ad unum en termes de proportion
comportant un rapport per prius et posterius ; enfin, l’interprétation de l’accident
comme flexion de la substance d’après une distinction ens-entis qui deviendra dès
lors un lieu commun de l’exégèse aristotélicienne.
Notons cependant que ce n’est pas toute la théorie de l’analogie du Docteur
Universel : celui-ci distingue en effet deux types d’analogie, celle, philosophique,
dont nous venons de parler, et l’analogie théologique, qu’il appelle univocité
d’analogie, et qui se place de manière sinon monstrueuse, du moins étonnante,
entre la synonymie et l’analogie philosophique (elle-même déjà intermédiaire
entre la synonymie et l’homonymie). Il développe sa théorie de l’univocité
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d’analogie surtout dans son Commentaire des Noms Divins 124. Pour Albert le
Grand, héritier à la fois d’Averroès et de Denys, la participation et la causalité per
similitudinem – comprises comme participation par ressemblance graduée liée à la
transmission d’une forme donatrice d’être d’un premier, et qui est reçue par les
participants selon leur capacité de réception – occupent une place centrale dans sa
pensée, et auront une influence considérable sur son jeune élève, Thomas
d’Aquin.

SAINT THOMAS D’AQUIN

Nous pensons qu’il est nécessaire, afin de comprendre la doctrine de


l’analogie de Thomas, d’analyser les œuvres où il fait un travail de commentateur
séparément de celles où il donne son avis, et cela pour trois raisons : la base de son
analyse dans ses commentaires du Stagirite ne varie quasiment pas, alors que ses
propres théories subissent des changements radicaux, ce qui signifie que son
interprétation d’Aristote ne varie pas avec ses opinions. De plus, dans ses
commentaires, il distingue toujours, et ceci à la suite d’Aristote, les rapports ‚I

xQ²Mdes rapports SUµM{Q, alors que dans ses propres théories, ils sont identifiés.

(123) Ibid., p. 90.


(124) Pour l’univocité d’analogie, cf. F. RUELLO, Les noms divins et leurs raisons selon s. Albert
le Grand, commentateur du « De divinis nominibus », « Bibliothèque thomiste XXXV », Paris, Vrin,
1963.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 79

Enfin, lorsque Thomas commente Aristote, il n’indique jamais quelle unité est
utilisable pour parler de Dieu, autrement dit il n’indique jamais quel rapport nous
permet d’attribuer des noms à Dieu, ce qu’il fait par contre toujours quand il donne
son avis ; c’est en effet ce sujet qui l’intéresse, sujet complètement ignoré par
Aristote qui s’intéresse à l’unité de la science de l’être en tant qu’être.

L’analogie dans les commentaires des œuvres d’Aristote


De principiis naturae
Ce texte n’est pas à proprement parler un commentaire d’une œuvre
d’Aristote. Pourtant, il mérite sa place dans cette classification. En effet, le De
principiis naturae comprend un paragraphe entier consacré à l’analogie qui n’est
en fait qu’un résumé presque littéral du grand commentaire d’Averroès sur la
Métaphysique 125.
Dans le sixième chapitre de l’opuscule, le Docteur Commun s’intéresse aux
principes intrinsèques des êtres naturels, soit la matière et la forme. S’appuyant
sur la règle énonçant que toute convenance et toute différence des principes sont
identiques à celles des êtres dont ils sont les principes, l’Aquinate établit une liste
de quatre types d’unité qui en sont autant de degrés : l’unité numérique liée à l’in-
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dividu, l’unité spécifique d’individus numériquement distincts, l’unité générique
d’espèces distinctes et l’unité selon l’analogie, unifiant des genres différents,
celle-ci étant le type d’unité le plus large, permettant d’unir entre autres la
substance et la quantité dans l’être 126. A ce stade, Thomas se rend compte qu’il est
allé trop vite, et qu’il n’a pas explicité une étape importante de son raisonnement.
En effet, afin d’expliquer ce qu’est l’unité d’analogie, il faut revenir à la théorie de
l’attribution par rapport à un premier. C’est donc ce qu’il fait : un même terme peut
être prédiqué de plusieurs de trois manières : univoquement (selon le même nom
et la même ratio), comme animal prédiqué de l’homme et de l’âne ; équivo-
quement (selon le même nom mais selon des rationes différentes), comme chien
dit de l’animal qui aboie et de la constellation ; analogiquement (un même nom
prédiqué de plusieurs dont les rationes sont diverses, mais selon un rapport à l’un
d’entre eux à qui il est attribué en premier lieu), comme sain dit du corps de
l’animal, de l’urine et de la potion 127. L’unité analogique repose sur le rapport que
les analogués entretiennent avec le premier. Ce rapport n’est pas uniforme : il peut
être selon la fin, illustré par l’exemple des choses dites saines ordonnées à la santé ;
selon l’agent, illustré par l’exemple des choses dites médicales ordonnées au
médecin ; selon le sujet, illustré par l’exemple de l’être dit de la substance premiè-

(125) THOMAS D’AQUIN, De principiis naturae, in Opuscula IV, Opera omnia, t. XLIII,
éd. Léonine, Rome, 1976, et B. MONTAGNES, La doctrine de l’analogie de l’être d’après saint
Thomas d’Aquin, Philosophes Médiévaux VI, Louvain-Paris, Publications universitaires-Béatrice-
Nauwelaerts, 1963.
(126) THOMAS D’AQUIN, De principiis naturae, § 6, l. 1-18, p. 46.
(127) Ibid., § 6, l. 19-41, p. 46.
80 JOËL LONFAT

rement et des autres catégories à titre secondaire mais par référence à la substance
qui est leur sujet ontologique.
Aliquando enim ea que conueniunt secundum analogiam, id est in 128 proportione
uel comparatione uel conuenientia, attribuuntur uni fini, sicut patet in predicto
exemplo ; aliquando uni agenti, sicut medicus dicitur et de eo qui operatur per
artem et de eo qui operatur sine arte, ut uetula, et etiam de instrumentis, sed per
attributionem ad unum agens quod est medicina ; aliquando autem per attributio-
nem ad unum subiectum, sicut ens dicitur de substantia, de qualitate et quantitate
et aliis predicamentis : non enim ex toto est eadem ratio qua substantia est ens et
quantitas et alia, sed omnia dicuntur ex eo quod attribuuntur substantie, quod est
subiectum aliorum. Et ideo ens dicitur per prius de substantia et per posterius de
aliis ; et ideo ens non est genus substantie et quantitatis, quia nullum genus predica-
tur per prius et posterius de suis speciebus, sed predicatur analogice. Et hoc est
quod diximus, quod substantia et quantitas differunt genere sed sunt idem
analogia 129.
Proportio – et par conséquent secundum analogiam – ne signifie pas ici le
rapport à quatre termes, qui s’appelait ‚QDORJeD 130 chez nos auteurs grecs (ou
proportio dans les traductions latines de nos auteurs arabes et chez Boèce), mais il
dénomme le rapport à deux ou trois termes 131 que nos auteurs appelaient les
voisins de genre, les ‚I
xQ²MNDhSUµM{Q ou encore les convenientia 132. S’il y
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avait ici un recouvrement de notion, le Docteur Commun aurait dû appeler
proportio aussi le rapport à quatre termes en lequel consiste le fait que toute
convenance/différence des principes est identique aux convenance/différence des
êtres dont ils sont les principes 133 ; or il ne le fait pas et réserve ici cette appellation
au rapport à deux/trois termes 134. Alors pourquoi cette identification : secundum
analogiam id est (in) proportione ? La réponse est simple : pour l’Aquinate, il y a
de la proportion dans l’unité par rapport à un premier – l’analogie – mais qui n’est
pas une proportion à quatre termes – l’‚QDORJeD – dont il ne parle d’ailleurs pas
explicitement. En fait, cette proportion existe peut-être déjà virtuellement chez
Alexandre dans son analyse du rapport à un premier, mais depuis le néo-

(128) Le in est omis dans la famille ) des manuscrits.


(129) THOMAS D’AQUIN, De principiis naturae, § 6, l. 42-62, p. 46-47. Ici nous pouvons
remarquer à quel point Thomas est aussi tributaire d’Albert le Grand ; c’est de lui que vient
l’équivalence secundum analogiam, id est (in) proportione uel comparatione uel conuenientia.
(130) Afin de distinguer l’analogie-proportion grecque à quatre termes de l’analogie-proportion à
deux/trois termes de l’Aquinate, nous nommerons la première ‚QDORJeD (en attendant que Thomas
nous donne sa propre appellation) et la seconde analogie ou analogia.
(131) Les rapports sain – santé, médical – médecin et être – substance – neuf autres catégories.
(132) De plus, il est clair que pour Averroès, convenientia ne dénomme jamais un rapport à quatre
termes a : b : : c : d.
(133) Notons ici que Thomas ne relève pas explicitement qu’il s’agit d’un rapport à quatre termes,
rapport qui ne semble donc pas du tout l’intéresser dans ce passage.
(134) Le fait qu’ailleurs il puisse confondre les vocables, et appeler aussi analogia l’‚QDORJeD
n’implique aucunement que la proportion dans l’analogie soit à quatre termes, bien au contraire : le
fait qu’il n’appelle jamais l’‚QDORJeD convenientia montre qu’ici analogia (identifiée aux conve-
nientia), désigne effectivement le rapport de multiples significations d’un terme à un premier.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 81

platonisme de Proclus et de ses successeurs, elle existe en « acte » : c’est cette


mesure selon laquelle les inférieurs participent au premier, fondant ainsi
l’antériorité et la postériorité dans l’unité par rapport à un premier, que le pseudo-
Denys appelle justement analogie ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous pensons
que cette proportion naît avec la participation. En fait, dès que l’on interprète
l’homonymie par rapport à un premier en terme de rapport ontologique d’une
participation à une même forme donatrice d’être entre un premier qui est agent, fin
ou sujet, et ses inférieurs disposés dans un ordre sériel selon l’antérieur et le posté-
rieur, on est obligé de postuler cette nouvelle relation qu’est la proportion. En
effet, ce qui va déterminer la capacité de réception de la forme dans les inférieurs,
et qui permet la création d’un ordre allant du plus parfait au moins parfait dans
l’ordre décroissant, c’est la mesure selon laquelle chacun des inférieurs peut,
selon sa capacité, recevoir la forme du premier et y participer. Cette mesure qui est
appelée analogie par Proclus et surtout par Denys, Thomas la connaît très bien !
Cette analogie dionysienne est reçue par le Docteur Angélique comme proportio,
l’introduisant en tant que mesure ou principe d’ordre de la relation au premier :
selon l’exemple de l’être, les neuf catégories se rapportent à la substance, chacune
d’une manière différente, réglée sur sa capacité de réception de la forme provenant
du premier, c’est-à-dire selon son aptitude à participer à la substance. C’est donc
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selon que chaque réalité est proportionnée de par sa forme dégradée à la forme du
premier que se fait l’aspect sériel de l’antérieur et du postérieur. Cette conception
de l’analogie est constante dans l’œuvre de l’Aquinate. On la retrouve d’ailleurs
exposée explicitement dans son Commentaire de la Métaphysique, qui est une
œuvre de maturité 135. Avant de continuer, nous pouvons encore remarquer que le
rapport selon l’analogie, qui est une forme d’unité des êtres, est premier et sert,
secondairement, à fonder la règle de correspondance entre les principes et les êtres
dont ils sont les principes. C’est donc l’unité d’analogie qui permet de fonder
l’‚QDORJeD 136. Cela nous donne le schéma suivant :

(135) D’où l’on peut voir sa constance dans sa tâche de commentateur, et par là-même sa
dépendance vis-à-vis du commentaire d’Averroès, qui l’a toujours accompagné tout au long de son
travail.
(136) Comme Thomas suit fidèlement Averroès, il nous donne peut-être ici une clef d’inter-
prétation de la question de la disparition de l’‚QDORJeD chez Averroès, soit, comme nous l’avions
supposé, à cause de son aspect second et non-pertinent pour parler du problème de l’unité du concept
d’être. Mais cette classification pose un problème : si l’on ne considère pas l’‚QDORJeD comme une
forme d’unité, comment allons-nous unifier des rapports à quatre termes qui ne présupposent pas le
rapport à un premier ? En effet, comme nous l’avions déjà vu, pour Aristote c’est parce que l’être et le
bien sont dits par rapport à un premier que les significations du bien sont analogiques par rapport à
celles de l’être ; mais cela n’est pas valable pour touts les rapports à quatre termes, comme par exemple
le roi : son royaume : : le soleil : le ciel, ou la vue : le corps : : l’intellect : l’âme. Thomas fait un impair
en suivant ici fidèlement Averroès, et en passant sur la difficulté, alors que les contextes d’analyse sont
différents entre ces deux auteurs : Thomas parle de l’unité des principes et Averroès de l’unité du
concept d’être. Averroès peut bien se passer – dans l’optique de sa problématique – d’entrer en matière
avec l’‚QDORJeD qui n’est d’aucune utilité pour parler de l’unité du concept d’être, mais Thomas, lui,
n’aurait pas dû s’en passer, étant donné qu’elle était un élément central dans la problématique
d’analyse des différents types d’unité, qui ne se réduisent pas à ceux qui concernent l’être. C’est un
point qu’il va corriger, comme nous le verrons dans son commentaire sur la Métaphysique.
82 JOËL LONFAT

termini

univoca aequivoca analogia/proportio/convenientia ................. ‚QDORJeD

uni fini uni agenti uni subiecti

Sententia super Metaphysicam


Le fait que l’Aquinate rédige ce commentaire dans sa période de maturité, soit
vers 1270-1271, va nous permettre, en le mettant en parallèle avec le De principiis
naturae, de remarquer qu’il garde une grande homogénéité théorique entre ces
deux œuvres. Pour ce faire, nous allons nous appuyer sur une analyse du onzième,
puis du quatrième livre.
Utrumque [sc. medicativum et salubre] enim eorum dicitur secundum diversos
modos, tamen per reductionem ad aliquod unum. Medicativum enim aliquid
dicitur multipliciter, secundum quod hoc refertur sic ad medicamentum, et id
aliter. Et similiter salubre dicitur multipliciter secundum quod hoc refertur sic ad
sanitatem, et id aliter. Utrobique tamen idem est ad quod fit reductio licet diversis
modis. Sicut sermo dicitur medicans, eo quod est a scientia medicativa. Cutellus
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autem dicitur medicativus, eo quod est utilis eidem scientiae sicut instrumentum.
Et similiter hoc dicitur salubre, quia est significativum sanitatis, sicut urina. Hoc
autem, quia est factivum sanitatis, sicut potio medicinalis. Et similiter est in aliis
quae hoc eodem modo dicuntur. Manifestum est enim quod quae sic dicuntur,
media sunt inter univoca et aequivoca. In univocis enim nomen unum praedicatur
de diversis secundum rationem totaliter eamdem ; sicut animal de equo et de bove
dictum, significat substantiam animatam sensibilem. In aequivocis vero idem
nomen praedicatur de diversis secundum rationem totaliter diversa. Sicut patet de
hoc nomine, canis, prout dicitur de stella, et quadam specie animalis. In his vero
quae praedicto modo dicuntur, idem nomen de diversis praedicatur secundum
rationem partim eamdem, partim diversam. Diversam quidem quantum ad
diversos modos relationis. Eamdem vero quantum ad id ad quod fit relatio. Esse
enim significativum, diversum est. Sed sanitas una est. Et propter hoc huiusmodi
dicuntur analoga, quia proportionantur ad unum. Et similiter est de multiplicitate
entis. Nam ens simpliciter, dicitur id quod in se habet esse, scilicet substantia. Alia
vero dicuntur entia, quia sunt huius quod per se est, vel passio, vel habitus, vel
aliquid huiusmodi. Non enim qualitas dicitur ens, quia ipsa habeat esse, sed per
eam substantia dicitur esse disposita. Et similiter est de aliis acidentibus. Et propter
hoc dicit quod sunt entis. Et sic patet quod multiplicitas entis habet aliquid
commune, ad quod fit reductio 137.
Nous avons, posé dans le commentaire du livre . de la Métaphysique, la base
de la classification des termes, avec cette précision importante : les analogues sont

(137) THOMAS D’AQUIN, In Metaphysicorum Aristotelis commentaria, ed. M.-R. CATHALA, Turin,
Marietti, 1935, XI e livre, leçon 3, n° 2196-2197.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 83

intermédiaires entre les équivoques et les univoques. Cette classification est


encore grossière, et demande à être éclairée par le commentaire du livre *.
Néanmoins, nous pouvons remarquer une explicitation qui n’est pas sans rapport
avec notre analyse du problème de la proportio, et à laquelle nous reviendrons
dans l’analyse de la première leçon du quatrième livre : l’analogie est un type
d’unité où « un même nom est prédiqué de divers sujets suivant une raison
partiellement la même et partiellement différente : différente par les divers modes
de la relation ; la même par ce à quoi se rapporte la relation ». Nous pouvons à
présent compléter cette analyse par celle du commentaire du livre * :
Dicit ergo primo, quod ens sive quod est, dicitur multipliciter. Sed sciendum quod
aliquid praedicatur de diversis multipliciter : quandoque quidem secundum
rationem omnino eamdem, et tunc dicitur de eis univoce praedicari, sicut animal
de equo et bove. – Quandoque vero secundum rationes omnino diversas ; et tunc
dicitur de eis aequivoce praedicari, sicut canis de sidere et animali. – Quandoque
vero secundum rationes quae partim sunt diversae et partim non diversae :
diversae quidem secundum quod diversas habitudines important, unae autem
secundum quod ad unum aliquid et idem istae diversae habitudines referuntur ; et
illud dicitur « analogice praedicari », idest proportionaliter, prout unumquodque
secundum suam habitudinem ad illud unum refertur. Item sciendum quod illud
unum ad quod diversae habitudines referuntur in analogicis, est unum numero, et
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non solum unum ratione, sicut est unum illud quod per nomen univocum
designatur. Et ideo dicit quod ens etsi dicatur multipliciter, non tamen dicitur
aequivoce, sed per respectum ad unum ; non quidem ad unum quod sit solum
ratione unum, sed quod est unum sicut una quaedam natura. Et hoc patet in
exemplis infra positis. Ponit enim primo unum exemplum, quando multa
comparantur ad unum sicut ad finem, sicut patet de hoc nomine sanativum vel
salubre. Sanativum enim non dicitur univoce de diaeta, medicina, urina et animali.
Nam ratio sani secundum quod dicitur de diaeta, consistit in conservando sanita-
tem. Secundum vero quod dicitur de medicina, in faciendo sanitatem. Prout vero
dicitur de urina, est signum sanitatis. Secundum vero quod dicitur de animali, ratio
eius est, quoniam est receptivum vel susceptivum sanitatis. Sic igitur omne
sanativum vel sanum dicitur ad sanitatem unam et eamdem. Eadem enim est
sanitas quam animal suscipit, urina significat, medicina facit, et diaeta conservat.
Secundo ponit exemplum quando multa comparantur ad unum sicut ad principium
efficiens. Aliquid enim dicitur medicativum, ut qui habet artem medicinae, sicut
medicus peritus. Aliquid vero quia est bene aptum ad habendum artem medicinae,
sicut homines qui sunt dispositi ut de facili artem medicinae acquirant. Ex quo
contingit quod ingenio proprio quaedam medicinalia operantur. Aliquid vero
dicitur medicativum vel medicinale, quia eo opus est ad medicinam, sicut
instrumenta quibus medici utuntur, medicinalia dici possunt, et etiam medicinae
quibus medici utuntur ad sanandum. Et similiter accipi possunt alia quae
multipliciter dicuntur, sicut et ista. Et sicut est de praedictis, ita etiam et ens
multipliciter dicitur. Sed tamen omne ens dicitur per respectum ad unum primum.
Sed hoc primum non est finis vel efficiens sicut in praemissis exemplis, sed
subiectum. Alia enim dicuntur entia vel esse, quia per se habent esse sicut
substantiae, quae principaliter et prius entia dicuntur. Alia vero quia sunt
passiones sive proprietates substantiae, sicut per se accidentia uniuscuiusque
84 JOËL LONFAT

substantiae. Quaedam autem dicuntur entia, quia sunt via ad substantiam, sicut
generationes et motus. Alia autem entia dicuntur, quia sunt corruptiones
substantiae. Corruptio enim est via ad non esse, sicut generatio via ad substantiam.
Et quia corruptio terminatur ad privationem, sicut generatio ad formam,
convenienter ipsae etiam privationes formarum substantialium esse dicuntur. Et
iterum qualitates vel accidentia quaedam dicuntur entia, quia sunt activa vel
generativa substantiae, vel eorum quae secundum aliquam habitudinem
praedictarum ad substantiam dicuntur vel secundum quamcumque aliam. Item
negationes eorum quae ad substantiam habitudinem habent, vel etiam ipsius
substantiae esse dicuntur. Unde dicimus quod non ens est non ens. Quod non
diceretur nisi negationi aliquo modo esse competeret 138.
Si nous la comparons avec celle que Thomas avait établie dans le De principiis
naturae, nous obtenons le schéma suivant :
aequivoca analogia univoca
(animal de equo (canis de sidere
et bove) et animali)
ad unum sicut ad unum sicut ad unum subiectum
ad finem ad principium (ens)
(sanativum) efficiens
(medicativum)
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Ces deux textes ne présentent pas de différences importantes dans leurs
classifications respectives des réalités, les exemples étant soit semblables, soit
identiques. Voyons alors les éclaircissements apportés par Thomas à ses
premières analyses. Le point le plus important consiste dans le secundum ana-
logiam id est (in) proportione du de Principiis naturae et le analogice praedicari,
idest proportionaliter du in Metaphysicorum ; il y a dans ce passage de quoi
alimenter l’hypothèse selon laquelle il y a de la proportion dans l’analogie. En
effet, l’explicitation de la notion de raisons partiellement les mêmes et partielle-
ment différentes est presque identique à celle du commentaire de ., ce qui nous
permet de les considérer comme relevant d’une même problématique, et d’éclai-
rer celle de . par celle de *. Pour celle-ci, l’Aquinate explicite son propos en
précisant : « on parle de prédication analogique, c’est-à-dire proportionnelle, pour
autant que chaque terme se rapporte à ce quelque chose de premier selon sa
manière d’être ». En conséquence, comme le dit Pierre Aubenque : « [S. Thomas
introduit] expressément de la proportionnalité là où Aristote n’en voyait pas, en
introduisant un principe d’ordre entre les relations a/b, a/c, a/d, etc., qu’Aristote se
contentait de juxtaposer. Ce principe d’ordre consiste dans l’administration
proportionnelle de la relation au premier : les catégories se rapportent au premier,
c’est-à-dire la substance, non seulement de façon différente, mais selon une
diversité qui est désormais réglée sur la manière d’être (habitudo) de chaque
catégorie, c’est-à-dire sur son aptitude inégale à se rapporter à la substance. (…)
l’analogie d’attribution est donc bien fondée dans ce passage sur une proportion,

(138) Ibid., IV e livre, leçon 1, n° 535-540.


LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 85

et rien n’interdit désormais de penser que saint Thomas l’a appelée analogie parce
qu’il savait, même s’il l’oublie quelque fois, que ce terme grec signifie « pro-
portion » : analogice, idest proportionaliter. Mais cet usage de l’analogie a ceci de
particulier qu’il est en quelque sorte focalisé par un terme premier, qui échappe à
la répartition proportionnelle, parce qu’il est lui-même le principe et la cause, à
tout le moins la cause exemplaire, de cette répartition. En termes platoniciens,
l’analogie d’attribution, interprétée comme analogie per prius et posterius,
exprime la participation graduelle des termes dérivés à un terme premier,
participation qui n’est graduelle que parce qu’elle est proportionnée à l’essence,
c’est-à-dire à la perfection propre – on serait presque tenté de dire : au mérite – de
chacun des termes participants » 139. Par conséquent, il est correct de dire que dans
l’analogia, il y a de la proportio, mais qui n’est pas l’‚QDORJeD, car elle établit un
rapport soit entre deux termes soit entre plusieurs termes et un premier mais
jamais entre quatre termes pris deux à deux. C’est donc selon que chaque réalité
est proportionnée à la forme du premier de par la forme qu’elle en a reçue que se
fait l’aspect sériel selon l’antérieur et le postérieur, et se fonde par conséquent
l’analogie. Il y a en revanche une nouveauté dans le commentaire sur la
Métaphysique, soit un élargissement générique de la notion d’analogia et de la
proportio à l’‚QDORJeD 140 En conséquence, Thomas semble affirmer ici qu’à la
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fois l’unité par rapport à un premier et le rapport à quatre termes sont des modes de
l’analogia ou proportio 141. En effet, l’Analogie se divise maintenant en deux
modes, soit celui où duo habent diversas habitudines ad unum (sanativum) et la
proportio duorum ad diversa (tranquillitatis : mare : serenitatis : aerem), qui à ce
titre méritent d’être appelés du nom du genre, soit des analogies. Le mot analogia
a donc trois sens dans les commentaires de Thomas sur la Métaphysique
d’Aristote : le premier correspond à ce que l’on appelait les aequivoca a
consilio 142, le deuxième à ce que l’on appelait les rapports ‚I
xQ²MNDhSUµM{Q

(139) P. AUBENQUE, « Les origines de la doctrine de l’analogie de l’être : sur l’histoire d’un
contresens », Les Etudes philosophiques, janvier-mars 1978, p. 8-9.
(140) Cf. THOMAS D’AQUIN, In Met., V e livre, leçon 8, n° 879. Une remarque importante au sujet
de cet exemple : il pose quelques problèmes que nous n’abordons pas ici mais que nous signalons :
tranquillitas et serenitas ne sont pas des multivoca, ce qui serait requis pour que l’exemple illustre
vraiment un rapport à quatre termes, mais ils sont des diversivoca, ce que nous appellerions
aujourd’hui des synonymes, ce qui semble transformer notre rapport à quatre termes en rapport à trois
termes.
(141) Thomas ne donne pas ici d’autre nom au rapport à un premier, et ne dénomme pas non plus
le rapport à quatre termes, mais il indique seulement qu’il font partie d’une même classe, l’Analogia.
Afin de les distinguer, nous continuerons à utiliser nos précédentes conventions, soit analogia/
analogie = rapport à trois termes, ‚QDORJeD= proportion à quatre termes, et Analogia = rapport à trois
termes + à quatre termes.
(142) Sans l’unité NDT
°PRL²WKWD qui a disparu du système de classification des réalités.
86 JOËL LONFAT

ou mieux les convenientia 143 et le troisième au rapport à quatre termes a/b = c/d.
Cela nous donne le schéma suivant :
aequivoca analogia univoca

analogia/proportio/convenientia analogia/proportio/‚QDORJeD

ad unum sicut ad unum sicut ad unum


ad finem ad principium efficiens subiectum

L’analogie dans les œuvres personnelles de Thomas d’Aquin


C’est une autre problématique que celle qui a pour but d’assurer l’existence
d’une science une de l’être en tant qu’être qui intéresse Thomas dans ses œuvres
personnelles : savoir quelle est la portée exacte du langage humain lorsqu’on
l’applique à Dieu, et connaître quelle sorte d’unité existe entre les êtres créés et
l’être divin ? Afin de comprendre comment l’Aquinate transforme et utilise la
théorie de l’analogie de l’être à l’intérieur même de son système dans le but de
répondre à ces nouvelles problématiques, nous allons analyser principalement son
Commentaire des Sentences, les questions disputées De veritate et De potentia, la
Somme contre les Gentils et la Somme théologique.
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Commentaire des Sentences
Comme nous l’avons déjà constaté, l’importance de la participation est
centrale pour l’histoire du développement de la notion d’analogie, et l’est par
excellence chez l’Aquinate. En effet, dans son commentaire des Sentences, nous
pouvons considérer que le rapport au premier, soit l’analogie, est compris comme
une dégradation ou une réduction 144 progressive de la plénitude d’être, qui est
dans le premier à titre de forme et qui devient cause exemplaire de tous ses
inférieurs qui, par la réception de cette forme dégradée, participent au premier par
ressemblance. En d’autres termes, Thomas met au premier plan la notion de causa
efficiens exemplaris, qui fonde ainsi une participation par similitude grâce au
partage d’une même forme dégradée. Bien que la ressemblance se situe d’abord

(143) L’identification aux convenientia est plus pertinente, ceci à cause de la disparition de l’unité
aristotélicienne WÙyIH[¡M, et de l’apparition de l’unité par rapport à un premier selon le sujet.
(144) Cf. aussi THOMAS D’AQUIN, Super Boetium de Trinitate, in Opera omnia, vol. L, édition
Léonine, Rome, 1992, p. 153-154. Un commentaire de J.-F. Courtine dans son Inventio Analogiae est
éclairant à ce sujet : « Ce texte qui joue, sans les confondre entièrement, sur plusieurs registres
aristotéliciens, met particulièrement en relief la structure de dépendance ontologique sur laquelle
repose la seconde forme de communauté “analogique”. Le principe ontologique est lui-même “au plus
haut point”, “au plus haut degré” étant. Tout le reste n’est et n’est dit étant que secondairement, à la
mesure de sa participation au premier. Ordo et gradus sont ici les deux termes clefs ; ils indiquent en
effet une structure hiérarchique conforme à la participation graduée d’une perfection qui trouve sa
réalisation achevée dans le premier terme éminent. Eminence, causalité, participation sont ici
d’emblée nouées ensemble, mais dans un horizon qui demeure néoplatonicien ou dionysien plutôt
qu’aristotélicien (…) ».
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 87

dans l’ordre de la causalité univoque, le Docteur Commun parle ici de partici-


pation par similitude entre deux êtres parce que la forme se trouve en plénitude
dans le premier, tandis que l’autre l’imite sans l’égaler 145 : la forme est dans le
premier per essentiam, mais seulement per participationem dans le second. C’est
donc une unité foncièrement inégale qui repose sur le rapport formel d’imitation,
qui se traduit entre autres par ces deux formules particulièrement précises : unum
quod participative habet formam imitatur illud quod essentialiter habet ; unum
per se est simpliciter, et alterum participat de similitudine ejus quantum potest. En
effet, d’après l’adage qui affirme que « [ens creatum] a primo ente descendit, ens
primum imitatur » 146, nous pouvons inférer que c’est en vertu de la mesure finie
suivant laquelle chacun reçoit l’être que la créature est une représentation
imparfaite et inadéquate de l’exemplaire divin. En se communiquant, les attributs
divins se dégradent et ils ne peuvent donc se retrouver à égalité dans les êtres, mais
seulement sous forme amoindrie per aliquem modum imitationis et similitudinis.
Bref, entre le créé et Dieu il n’y a ni hétérogénéité radicale ni confusion dans une
même forme : l’unité qui les réunit consiste en ceci que les créatures imitent Dieu
autant que leur nature leur permet, mais sans jamais atteindre à la perfection divine
(l’aspect dionysien de l’analogie ressort clairement) 147. Une fois établie la base
sur laquelle Thomas construit sa théorie de la participation, nous pouvons aborder
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la classification des termes et l’analyse des différents types de rapport au premier,
afin de déterminer quelle est la sorte d’unité qui existe entre les êtres créés et l’être
divin. Le fondement de sa classification est tout à fait conventionnel : les termes se
classent toujours selon qu’ils sont univoques, équivoques 148, ou quelque chose
d’intermédiaire entre les univoques et les équivoques, soit les analogues ; c’est
cette unité analogique qui fonde l’unité entre les créatures et le créateur :
Respondeo dicendum, quod persona dicitur de Deo et creaturis, non univoce nec
aequivoce, sed secundum analogiam ; et quantum ad rem significatam per prius est
in Deo quam in creaturis, sed quantum ad modum significandi est e converso, sicut
est etiam de omnibus aliis nominibus quae de Deo et creaturis analogice
dicuntur 149.
Si nous ne rencontrons que peu de difficulté pour établir ce fondement, il en va
autrement de l’analyse fine de l’analogie. En effet, nous allons rencontrer un

(145) Cf. THOMAS D’AQUIN, Scriptum super Libros Sententiarum magistri Petri Lombardi
episcopi Parisiensis, ed. P. MANDONNET, Paris, Lethielleux, 1929, I dist. XIX, Q. 1, a. 2, p. 464. Le rôle
de l’imitation est central dans la théologie de la création où, comme c’est le cas aussi chez
Bonaventure, Dieu connaît sa propre essence comme « imitable » par la créature.
(146) Ibid., I Prologue, Q. 1, a. 2, p. 10.
(147) Cf. ibid., I dist. III, Q. 1, a. 3, p. 96 ; cf. aussi I dist. II, Q. 1, a. 2, p. 62-63.
(148) Thomas est héritier du vocabulaire d’Albert le Grand, car il n’y a ici aucune distinction entre
les aequivoca a casu et les aequivoca a consilio : l’appellation d’aequivoca a consilio a déjà fait place
à l’analogia, ce qui rend superflu sa distinction d’avec les aequivoca a casu.
(149) THOMAS D’AQUIN, Com. sur les Sent., I dist. XXV, Q. 1, a. 2, p. 607.
88 JOËL LONFAT

problème qui va donner naissance à deux réponses différentes à l’intérieur même


de ce Commentaire. La question est celle de savoir si l’analogie qui nous sert pour
exprimer le rapport entre le créé et le créateur est la même que celle qui nous sert
pour exprimer le rapport de l’être à la substance et à l’accident, ou s’il y en a
plusieurs types. Le Docteur Commun soutient ici à la fois deux réponses diffé-
rentes. En effet, dans le deuxième article de la cinquième question de la distinction
dix-neuf, il propose une analyse développée et complexe non seulement de
l’analogie, mais aussi de la classification des termes basée sur la combinaison de
deux critères : secundum intentionem et secundum esse :

Ad primum igitur dicendum, quod aliquid dicitur secundum analogiam tripliciter :


vel secundum intentionem tantum, et non secundum esse ; et hoc est quando una
intentio refertur ad plura per prius et posterius, quae tamen non habet esse nisi in
uno ; sicut intentio sanitatis refertur ad animal, urinam et dietam diversimode,
secundum prius et posterius ; non tamen secundum diversum esse, quia esse
sanitatis non est nisi in animali. Vel secundum esse et non secundum intentionem ;
et hoc contingit quando plura parificantur in intentione alicujus communis, sed
illud commune non habet esse unius rationis in omnibus, sicut omnia corpora
parificantur in intentione corporeitatis. Unde Logicus, qui considerat intentiones
tantum, dicit, hoc nomen, corpus, de omnibus corporibus univoce praedicari : sed
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esse hujus naturae non est ejusdem rationis in corporibus corruptibilibus et
incorruptibilibus. Unde quantum ad metaphysicum, et naturalem, qui considerant
res secundum suum esse, nec hoc nomen, corpus, nec aliquid aliud dicitur univoce
de corruptibilibus et incorruptibilibus, ut patet, X Met., text. 5, ex Philosopho et
Commentatore. Vel secundum intentionem et secundum esse ; et hoc est quando
neque parificatur in intentione communi, neque in esse ; sicut ens dicitur de
substantia et accidente ; et de talibus oportet quod natura communis habeat aliquod
esse in unoquoque eorum de quibus dicitur, sed differens secundum rationem
majoris vel minoris perfectionis. Et similiter dico, quod veritas, et bonitas, et,
omnia hujusmodi dicuntur analogice de Deo et creaturis. Unde oportet quod
secundum suum esse omnia haec in Deo sint, et in creaturis secundum rationem
majoris perfectionis et minoris ; ex quo sequitur, cum non possint esse secundum
unum esse utrobique, quod sint diversae veritates 150.

secundum esse non secundum esse


secundum intentionem ens sanitas
non secundum intentionem corpus ? 151

(150) Ibid., I dist. XIX, Q. 5, a. 2, p. 492.


(151) Le Docteur Angélique n’envisage pas le cas du non secundum esse et non secundum
intentionem car alors nous tomberions dans le cas de ce que nous appelions l’aequivocatio a casu, qui
n’entre plus dans la structure de l’analogie.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 89

Cela nous donne le schéma suivant :


analogia

ad unum subiectum ad unum sicut ad finem & sicut ad


principium efficiens

secundum esse et non secun- secundum intentionem et secundum intentionem tantum et


dum intentionem ; univocité secundum esse : intrinsèque non secundum esse : extrinsèque
de la notion et inégalité ens : sub←acc. sanum
réelle : hoc nomen, corpus,
de omnibus corporibus uni-
voce praedicari : sed esse
hujus naturae non est ejus-
dem rationis in corporibus Veritas, et bonitas, et,
corruptibilibus et incorrupti- omnia hujusmodi dicuntur
bilibus analogice de Deo et
creaturis

Dans le prologue et dans la dist. 35, qu. 1, art. 4, le Docteur commun soutient
par contre le fait que l’analogie ne se divise qu’en deux modes : le premier étant
caractérisé par la convenance – ou la participation – à quelque chose d’un selon
l’antérieur et le postérieur, le second étant la participation par similitude. Dans ce
cas, l’analogie prévalant dans le rapport créature – créateur est le second.
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Ad secundum dicendum, quod Creator et creatura reducuntur in unum, non
communitate univocationis sed analogiae. Talis autem communitas potest esse
duplex. Aut ex eo quod aliqua participant aliquid unum secundum prius et
posterius, sicut potentia et actus rationem entis, et similiter substantia et accidens ;
aut ex eo quod unum esse et rationem ab altero recipit ; et talis est analogia
creaturae ad Creatorem : creatura enim non habet esse nisi secundum quod a primo
ente descendit, nec nominatur ens nisi inquantum ens primum imitatur ; et similiter
est de sapientia et de omnibus aliis quae de creatura dicuntur 152.
Cela nous donne le schéma suivant :
analogia

ad unum sicut ad finem & ad principium


efficiens + ad unum subiectum

aliqua participant aliquid unum secundum prius Unum esse et rationem ab altero recipit
et posterius
secundum convenientiam in aliquo uno quod eis secundum quod unum imitatur aliud quantum
per prius et posterius convenit potest, nec perfecte ipsum assequitur

et talis est analogia creaturae ad Creatorem

(152) THOMAS D’AQUIN, Comm. sur les Sent., I prol., Q. 1, p. 10 et aussi I dist. XXXV, Q. 1, a. 4,
p. 819-820.
90 JOËL LONFAT

La conséquence s’impose d’elle-même :


Les Sentences n’offrent pas de théorie unifiée de l’analogie de l’être ; le schéma
général est bien celui de l’unité par référence à un premier, mais ce premier, c’est
tantôt l’être antérieur à l’accident et à la substance, tantôt Dieu lui-même
communiquant sa ressemblance aux autres 153.
Deux questions demeurent : d’abord, où sont passés les paronymes et l’unité
NDW
‚QDORJeDQ" Ensuite, pourquoi ce changement dans la structure et le champ
d’application de l’analogie ?
Rédigé pendant la même période que le De principiis naturae, le Commentaire
des Sentences est tout aussi tributaire d’Averroès. La denominatio est clairement
introduite dans le rapport à un premier, comme cela se constate dans l’exemple des
choses dites saines par dénomination extrinsèque, dans le cas du secundum inten-
tionem et non secundum esse. Dans la même ligne, l’‚QDORJeD est complètement
exclue étant donné qu’elle est ici non pertinente pour résoudre les apories de
l’attribution d’un même terme à Dieu et à la créature ; elle se retrouve cantonnée à
la métaphore, et ne sert qu’à exprimer les noms divins métaphoriques, et ceci par
transposition de termes du registre du créé à celui du divin, sans implication
ontologique et sans instauration de rapport entre la créature et le Créateur 154.
Répondre à la deuxième question est pratiquement impossible en l’état de nos
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connaissances, pour la principale raison que l’on ne possède ni l’édition critique
du Commentaire des Sentences de Thomas, ni une chronologie précise de ses
étapes de rédaction. L’hypothèse qui serait la plus heureuse pour sauvegarder
l’intégrité de la pensée de l’Aquinate – et éviter ainsi de le voir se contredire et
changer d’avis deux fois dans une même œuvre – serait qu’il ait rédigé le prologue
après la distinction dix-neuf et que, par conséquent, son commentaire présente une
évolution de sa pensée en deux moments, le premier étant celui de la distinction
dix-neuf, où la structure est encore très averroïste, le second étant celui du
prologue et de la distinction trente-cinq où le Docteur Angélique prend un peu de
distance par rapport au Commentateur ; mais une réponse définitive autre qu’une
hypothèse séduisante n’est pas encore possible.
De veritate
La théorie développée dans le Commentaire des Sentences ne constitue pas
l’état définitif de la réflexion de l’Aquinate au sujet du rapport créatures –
Créateur. En effet, Thomas va construire dans le De veritate une théorie de
l’analogie complètement différente, en partant des mêmes présupposés méta-
physiques que ceux qu’il vient de mettre en œuvre dans son commentaire des

(153) B. MONTAGNES, op. cit., p. 73.


(154) Cf. THOMAS D’AQUIN, Com. sur les Sent., I dist. XXXIV, Q. 3, a. 1, p. 798. Nous pouvons
remarquer qu’ici le Docteur Angélique rajoute encore une dénomination pour le rapport à quatre
termes, qu’il appelle aussi – en plus d’analogia et de proportio – proportionalitas. Pour plus de
renseignements lexicographiques sur ces appellations, et sur leur origine dans la traduction latine faite
par Roland de Crémone des Eléments d’Euclide (l. V, déf. 3 et 5), cf. B. MONTAGNES, op.cit., p. 75-77.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 91

Sentences. Le De veritate fait donc également appel à la causalité formelle, et par


conséquent à la participation par similitude : un attribut commun convient à la
créature et au Créateur selon la manière dont la créature imite le créateur 155. C’est
selon la capacité de chaque être créé à participer à l’être divin qu’il reçoit de lui sa
forme, étant dégradée par rapport à celle, absolue et parfaite, de Dieu 156.
C’est à l’art. 11 de la qu. 2 du De veritate que Thomas expose d’une manière
systématique sa « nouvelle » théorie de l’analogie. En fait, la division des termes ne
varie pas en son fondement de celle présentée dans le Commentaire des Sentences :
ceux-ci peuvent être soit univoques, soit équivoques, soit analogiques. En ce qui
concerne l’attribution d’un même terme à la créature et au Créateur, nous sommes
toujours dans la même logique : les noms ne sont pas prédiqués univoquement de la
créature et de Dieu, sans quoi il n’y aurait plus de distinction entre le créé et
Dieu 157 ; ni équivoquement, sans quoi, en niant qu’il existe une certaine ressem-
blance entre les créatures et Dieu, on serait obligé d’affirmer l’impossibilité de la
connaissance des créatures par Dieu, ainsi que celle de Dieu par les créatures. Par
conséquent, la forme d’unité qui s’applique au rapport des êtres créés à Dieu est
l’analogie 158. Ce qui marque par contre une coupure d’avec la thèse du com-
mentaire des Sentences, c’est l’analyse de l’analogie, qui consiste en une double
division : la convenientia proportionis et la convenientia proportionalitatis.
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Unde dicendum est quod nec omnino univoce nec pure aequivoce nomen scientiae
de scientia Dei et nostra praedicatur sed secundum analogiam, quod nihil est dictu
quam secundum proportionem. Convenientia autem secundum proportionem
potest esse dupliciter et secundum haec duo attenditur analogiae communitas. Est
enim quaedam convenientia inter ipsa quorum est ad invicem proportio eo quod
habent determinatam distantiam vel aliam habitudinem ad invicem, sicut binarius
cum unitate eo quod est eius duplum ; convenientia etiam quandoque attenditur
non duorum ad invicem inter quae sit proportio sed magis duarum ad invicem pro-
portionum, sicut senarius convenit cum quaternario ex hoc quod sicut senarius est
duplum ternarii ita quaternarius binarii : prima ergo convenientia est proportionis,
secunda autem proportionalitatis. Unde et secundum modum primae conve-
nientiae invenimus aliquid analogice dictum de duobus quorum unum ad alterum
habitudinem habet, sicut ens dicitur de substantia et accidente ex habitudine quam
accidens ad substantiam habet, et sanum dicitur de urina et animali ex eo quod
urina habet aliquam habitudinem ad sanitatem animalis ; quandoque vero dicitur
aliquid analogice secundo modo convenientiae, sicut nomen visus dicitur de visu
corporali et intellectu eo quod sicut visus est in oculo ita intellectus in mente. Quia
ergo in his quae primo modo analogice dicuntur oportet esse aliquam determina-
tam habitudinem inter ea quibus est aliquid per analogiam commune, impossibile
est aliquid per hunc modum analogice dici de Deo et creatura quia nulla creatura

(155) Cf. THOMAS D’AQUIN, Quaestiones disputatae de veritate, in Opera omnia, vol. XXII,
édition Léonine, Rome, 1975, Q. 2, a. 11, ad 8, p. 80.
(156) Ibid., Q. 23, a. 7, ad 10, p. 672.
(157) Si la ratio était la même dans la créature et en Dieu, étant donné qu’en Dieu elle s’identifie à
son Esse, il en serait de même pour la créature, ce qui est impossible.
(158) THOMAS D’AQUIN, De veritate, Q. 2, a. 11, resp., p. 78-79.
92 JOËL LONFAT

habet talem habitudinem ad Deum per quam possit divina perfectio determinari ;
sed in alio modo analogiae nulla determinata habitudo attenditur inter ea quibus
est aliquid per analogiam commune, et ideo secundum illum modum nihil prohibet
aliquod nomen analogice dici de Deo et creatura.
Sed tamen hoc dupliciter contingit : quandoque enim illud nomen importat aliquid
ex principale significato in quo non potest attendi convenientia inter Deum et
creaturam, etiam modo praedicto, sicut est in omnibus quae symbolice de Deo
dicuntur, ut cum dicitur Deus leo vel sol vel aliquid huiusmodi, quia in horum
diffinitione cadit materia, quae Deo attribui non potest ; quandoque vero nomen
quod de Deo et creatura dicitur nihil importat ex principali significato secundum
quod non possit attendi praedictus convenientiae modus inter creaturam et Deum,
sicut sunt omnia in quorum diffinitione non clauditur defectus nec dependent a
materia secundum esse, ut ens, bonum et alia huiusmodi 159.
Le Docteur Commun repousse explicitement la convenientia proportionis
lorsqu’il s’agit de décrire le rapport entre les créatures et le Créateur. En effet, elle
ne respecte pas les exigences de la transcendance divine, en comportant le danger
de rendre le premier homogène aux termes dérivés ; si c’était le cas, il en décou-
lerait qu’à partir de l’être créé on devrait pouvoir, en vertu des distances définies et
des relations strictes qu’elle met en jeu, définir la perfection divine, tout comme à
partir d’un nombre donné on peut déterminer la valeur de son double. Bref, la
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communauté de rapport supprimerait la distance infinie qui sépare les êtres créés
de Dieu. L’Aquinate ne retient donc que la convenientia proportionalitatis dans le
cas du rapport créatures – Créateur. C’est en effet sans aucun rapport déterminé,
mais selon une comparaison de deux proportions qu’il faut comprendre le lien
entre le créé et Dieu : il n’y a pas de rapport du fini à l’infini (ce qu’imposait la
convenientia proportionis), mais le rapport du fini au fini est semblable au rapport
de l’infini à l’infini 160. Ainsi nous pouvons dire que la science divine : l’être
infini : : science créée : l’être fini. Il n’y a dans ce cas aucun rapport déterminé, ni
ressemblance directe des créatures à Dieu, la convenientia proportionalitatis ne
traduisant que la ressemblance des deux rapports que les êtres créés et Dieu entre-
tiennent respectivement vis-à-vis de leurs propriétés ou attributs. C’est pourquoi
le Docteur Commun ne retient, comme l’écrit Pierre Aubenque, « que l’analogie
de proportionnalité, qui aurait l’avantage de respecter la distance éventuellement
infinie entre l’antérieur et le dérivé, puisqu’elle se contente de dire que, mutatis
mutandis (et si grande que soit la mutatio), des rapports identiques s’instituent à
l’intérieur du premier comme à l’intérieur du dérivé. Ainsi, la même relation que
nous reconnaissons entre l’entendement humain et l’essence de l’homme peut être

(159) Ibid. Q. 2, a. 11, resp., p. 79.


(160) « Et similiter finitum et infinitum, quamvis non possint esse proportionata possunt tamen
esse proportionabilia, quia sicut infinitum est aequale infinito ita finitum finito ; et per hunc modum est
similitudo inter creaturam et Deum, quia sicut se habet ad ea quae ei competunt, ita creatura ad sua
propria », ibid., Q. 23, a. 7, ad 9, p. 672.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 93

légitimement supposée, si grande que soit la distance de la créature à Dieu, entre


l’entendement divin et l’essence de Dieu » 161. Cela nous donne le schéma suivant :
aequivocatio analogia univocatio

ad unum sicut ad finem & ad ‚QDORJeD


principium efficiens +
ad unum subiectum

convenientia proportionis convenientia proportionalitatis


binarius cum unitate eo quod est eius duplum. 6/4 = 3/2
ens dicitur de substantia et accidente et sanum nomen visus dicitur de visu corporali et
dicitur de urina et animali intellectu

impossibile est aliquid per hunc modum analogice secundum illum modum nihil prohibet
dici de Deo et creatura aliquod nomen analogice dici de Deo et
creatura.
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Nous pouvons remarquer combien ce schéma est structurellement proche de
celui représentant la théorie de l’analogie développée par l’Aquinate au prologue
et à la distinction trente-cinq du Commentaire des Sentences 162. Cela tendrait à
prouver i) l’hypothèse selon laquelle le prologue et la distinction trente-cinq ont
été écrits après la distinction dix-neuf, indiquant ainsi une évolution de la théorie
de l’analogie à l’intérieur même du Commentaire des Sentences, et que ii) la
réponse au problème du rapport créatures – Créateur apportée par le De veritate
est moins éloignée de celle du Commentaire des Sentences que ce que l’on a
tendance à penser. Il ne s’agit, tout au long de l’évolution du Commentaire et du
De veritate, que de recherches tâtonnantes pour concilier imitation formelle,
rapport entre le créé et Dieu, et transcendance divine.
Reste à considérer les raisons qui ont poussé Thomas a opter pour la conve-
nientia proportionalitatis. Celles-ci apparaissent clairement dans les arguments
« contre » qui introduisent l’analyse de l’article 11 de la question 2, et dans les
réponses qu’il leur donne 163. C’est afin de sauvegarder la transcendance divine de
l’univocité – sans pour autant tomber dans l’équivocité –, que Thomas n’envisage
pas d’autre solution que la convenientia proportionalitatis. En effet, dans la
perspective d’une ontologie formaliste, comme c’est le cas dans le Commentaire

(161) P. AUBENQUE, « Les origines… », p. 10.


(162) En plus de l’identité des deux « bras gauches » de nos schémas, le flou qui entoure la
participation par imitation – on ne sait pas très bien à quel type de rapport il correspond – dans le
commentaire des Sentences laisse la partie belle à l’indétermination, et donc à une évolution vers la
solution du De veritate.
(163) THOMAS D’AQUIN, De veritate, Q. 2, a. 11, p. 77-80.
94 JOËL LONFAT

des Sentences et dans le De veritate, si l’on ne veut pas prendre le risque du


panthéisme, il faut accentuer le plus possible la distance entre les créatures et le
Créateur. Nous pouvons donc affirmer que les arguments présentés par l’Aquinate
tendent tous à faire apparaître les inconvénients que présente la convenientia
proportionis dans un contexte d’imitation et d’exemplarité. Ces arguments
peuvent être résumés ainsi :
1) Il n’existe pas de ressemblance entre les êtres créés et Dieu en vertu d’une
forme commune, même reçue per prius et posterius. La ressemblance directe est
rejetée au profit de la ressemblance proportionnelle.
2) Finiti ad infinitum nulla proportio : cet adage est invoqué chaque fois qu’il
est question des rapports créatures – Créateur. Bien qu’il n’y ait effectivement pas
de rapport direct et déterminé entre le créé et Dieu, il peut néanmoins y avoir une
proportionnalité 164 entre des rapports directs et déterminés sur le plan du divin et
sur le plan du créé : Dieu/attribut de Dieu = être créé/attribut de l’être créé.
Cette solution présente à notre avis un inconvénient majeur : elle est hébéphré-
nique. En effet, comment peut-on affirmer en même temps qu’il n’existe aucun
rapport déterminé entre les créatures et Dieu, et que le nom de science convient à la
créature et au Créateur du point de vue de ce en quoi la créature imite le Créateur,
le tout dans un contexte d’ontologie formelle et de participation par imitation ? Il
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semble bien qu’il y ait ici une contradiction. De même si on diminue l’opposition
en niant le rapport formel entre les créatures et le Créateur pour l’instaurer au
niveau des plans du créé et du divin, on n’échappe pas non plus à la contradiction.
En effet, si l’intelligence divine est à Dieu ce que l’intelligence de la créature est à
celle-ci, il suffit simplement de permuter les moyens pour s’apercevoir que le
rapport de l’intelligence créée à l’intelligence divine doit être identique au rapport
de la créature à Dieu, c’est-à-dire du fini à l’infini. Or finiti ad infinitum nulla
proportio ; il n’y en a donc pas davantage de l’entendement créé à l’entendement
divin, et la prétendue proportionnalité s’effondre. Si l’on pose qu’il n’y a pas de
relation déterminée entre les niveaux qu’il s’agit de rapprocher, on n’aura de toute
façon rien gagné en écrivant le signe = entre deux expressions.
Ces réflexions nous amènent au fait que cette théorie de l’analogie, par trop
déficiente, ne peut être en définitive qu’une solution très provisoire à notre pro-
blème, solution à laquelle l’Aquinate ne reviendra jamais par la suite. En effet, il
est aisé de constater l’impasse dans laquelle le Docteur Angélique s’engage : de
par sa conception formaliste suivant laquelle le rapport des êtres à Dieu est effecti-
vement une imitation, notre auteur doit – pour éviter de succomber à l’univocité et
au panthéisme – nier toute ressemblance directe et refuser tout rapport déterminé
afin d’augmenter la distance entre le créé et Dieu. Bernard Montagnes résume très
bien les concessions impossibles que l’Aquinate a pourtant faites pour permettre à
sa théorie de fonctionner : « A quel prix sauvegarde-t-on ainsi la transcendance
divine ? En séparant radicalement les êtres de Dieu, en accentuant la distance

(164) « Quamvis non possit esse aliqua proportio creaturae ad Deum, tamen potest esse
proportionalitas (…) », ibid., Q. 3, a. 1, ad 7, p. 101 ; cf. aussi Q. 2, a. 3, p. 52-53.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 95

jusqu’à la rupture, en courant le péril de l’équivocité et de l’agnosticisme. Ni


théologiquement ni philosophiquement ce n’est une solution satisfaisante : elle
réduit à rien la connaissance de Dieu, elle renonce à l’unité de l’être. Ce qui est en
cause, c’est bien la métaphysique sous-jacente qui inspire cette solution. Pour
sortir de l’impasse, il fallait concevoir l’être non plus comme forme mais comme
acte, et la causalité non plus comme la ressemblance de la copie au modèle mais
comme la dépendance d’un être vis-à-vis d’un autre être qui le produit » 165.
Œuvres de la maturité
Il y a, dans les œuvres postérieures au De veritate, un changement de perspec-
tive : l’Aquinate, se fondant sur une métaphysique de l’acte, abandonne la
causalité formelle pour la causalité efficiente, qui établit entre le créé et Dieu un
rapport par lequel celui-ci reste présent au plus intime de tout ce qui est, sans pour
autant cesser d’être transcendant. La causalité n’est donc plus envisagée en terme
de ressemblance d’une copie à son modèle, mais comme une dépendance pro-
prement ontologique : exercée par un être en acte, la causalité efficiente fait exister
un nouvel être en acte qui ne se confond pas avec le premier – l’effet et la cause
existant chacun pour son compte –, mais elle les relie dans l’acte même, puisque
l’acte de l’agent devient celui du patient. L’acte est donc en même temps ce que
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l’effet a de commun avec la cause, et ce par quoi il en diffère. Ainsi, la causalité
créatrice établit entre les êtres et Dieu le lien de participation indispensable pour
qu’il y ait entre eux une analogie par rapport à un premier. Le fond métaphysique
de la participation se complexifie pourtant : la ressemblance déficiente fondée sur
la participation inégale d’une forme ne disparaît pas complètement 166, mais elle
sera subordonnée et fondée sur la participation conçue comme communication
d’un acte à un sujet en puissance. Cela veut dire que pour l’Aquinate, il n’y a pas de
participation sans rapport de causalité productrice : quod per essentiam dicitur, est
causa omnium quae per participationem dicuntur 167, et omne autem quod est per
participationem, causatur ab eo quod est per essentiam 168. L’axiome de ressem-
blance omne agens agit sibi simile n’est plus premier, mais il se rattache à un
axiome plus fondamental, celui de l’actualité de l’agent : omne agens agit in
quantum actu est 169 ; l’exemplarité n’a pas totalement disparu, mais elle se greffe

(165) B. MONTAGNES, op. cit., p. 91.


(166) En effet, Thomas parle explicitement de ressemblance par participation inégale à une forme
(cf. Summa theologiae [désormais ST] I a, Q. 42, a. 1, ad 2), d’analogia imitationis (ST I a, Q. 44, a. 3),
de participare de similitudine (ST I a, Q. 1, a. 1, ad 2 & Q. 14, a. 9, ad 2), de participare similitudinem
(ST I a, Q. 105, a. 5), de participata similitudo (ST Ia, Q. 12, a. 2 & Q. 89, a. 4). Ceci est important car la
participation par similitude déficiente est ici clairement liée à l’attribution secundum prius et posterius
(Summa contra gentiles [désormais SCG] I, 32, 6°, ST I a, Q. 13, a. 6 & 10, Quaestiones disputatae de
potentia, Q. 7, a. 7, ad 2).
(167) THOMAS D’AQUIN, SCG, editio Leonina manualis, Rome, Desclée & Cie, 1934, II, 15,
p. 101.
(168) THOMAS D’AQUIN, ST, I a Q. L-CXIX cum commentariis Thomae de Vio Caietani, in Opera
omnia, t. V, édition Léonine, Rome, 1889, I a, Q. 61, a. 1, resp., p. 106.
(169) THOMAS D’AQUIN, Quaestiones disputatae de potentia, Q. 7, a. 5 ; SCG I, 29, p. 31.
96 JOËL LONFAT

sur l’efficience 170. Cette métaphysique s’applique bien évidemment à l’être et aux
rapports entre la créature et le Créateur. De plus, comme pour Thomas l’être est
une perfection commune à tous les étants qui communiquent quelque chose d’un
selon la ratio essendi, il faut qu’il existe un principe commun qui soit pour tous
causa essendi 171. L’unité de l’être n’est donc plus ici seulement celle du concept
d’être – comme c’était le cas chez les commentateurs arabes – mais bien l’unité
réelle du principe d’être. Jean-François Courtine explicite clairement ce point
central de la doctrine thomiste de l’analogia entis : « l’accent (…) est mis d’em-
blée sur le rapport de dépendance “causa” – “effectus”, en soulignant l’effectivité
de l’actus essendi qui transit intrinsèquement chaque étant. Ainsi la causalité
efficiente établit entre les êtres et Dieu un rapport de coappartenance sans que pour
autant l’acte d’être au plus intime de tout étant cesse de renvoyer à une instance
irréductiblement transcendante 172. Soit à dire encore – et c’est là le point décisif –
que chez l’Aquinate même l’analogie d’attribution ne signifie pas d’abord prédi-
cation par référence à l’unité d’un concept, mais bien dépendance ontologique, ou
si l’on préfère dépendance causale » 173. C’est en tant qu’ipsum esse que Dieu est
cause de tous les êtres, et qu’il fonde par conséquent toute participation : les êtres
créés sont, dans la mesure où ils participent l’esse, étant plus ou moins parfaits
selon qu’ils participent plus ou moins à la perfection d’être qui appartient à Dieu
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par essence. C’est selon cette capacité à participer que s’établit le degré de
ressemblance des créatures à l’ipsum esse. Tout est donc « suspendu » à cette
métaphysique de l’acte divin. En effet, comme l’explique très bien Bernard
Montagnes, « il ne faudrait pas concevoir un esse indifférencié et unique qui
actuerait, comme du dehors, les différentes essences : en réalité, l’être participé est
limité par la puissance qui le reçoit 174 et l’acte d’être se multiplie et se différencie
autant qu’il y a de puissances pour le recevoir en se proportionnant à chacune 175.
Puisque l’acte est premier, tant du point de vue de la participation que de celui de
l’efficience, le rapport du créé à Dieu est celui de l’effet à sa cause et de la
puissance à l’acte. C’est ce rapport qui établit une ressemblance déficiente entre
les êtres et Dieu » 176. Ce nouveau lien, même s’il n’est pas basé sur une participa-
tion à une même forme, n’en est pas moins fort ni réel : l’être appartient en effet à
Dieu per prius et aux créatures per posterius ; il est donc impossible de définir les

(170) Comme l’explique B. Montagnes, « la participation se présente comme la communication


de l’acte à un sujet en puissance ; l’acte est communiqué par une causalité productrice qui assimile
l’effet à l’agent ; l’acte reçu est limité par la puissance qui le reçoit (et de façon graduée puisque la
puissance n’est pas unique) ; enfin le sujet participant est composé de l’acte reçu et de la puissance
réceptrice », B. MONTAGNES, op. cit., p. 55-56.
(171) THOMAS D’AQUIN, De potentia Dei, in Quaestiones disputatae et Quaestiones duodecim
quodlibetales, t. I, Turin, Marietti, 1942, Q. 3, a. 6, p. 53.
(172) En effet, pour le Docteur Angélique, il faut d’abord penser l’esse comme ce qu’il y a de plus
intime (intimior), si l’on veut le penser aussi comme ce qu’il y a de plus commun (communissimum).
(173) J.-F. COURTINE, Inventio analogiae. Ceci est d’ailleurs bien illustré par un passage du
De potentia, Q. 3, a. 5, p. 50.
(174) Cf. THOMAS D’AQUIN, ST, I a, Q. 75, a. 5, ad 4, p. 202.
(175) Cf. ibid., Q. 75, a. 5, ad 1, p. 202.
(176) B. MONTAGNES, op. cit., p. 56-57.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 97

êtres abstraction faite de la dépendance qu’ils ont envers Dieu, étant des effets de sa
causalité créatrice 177. Nous pouvons remarquer qu’ici Thomas n’admet plus l’ada-
ge qui l’avait guidé dans ses premières œuvres : finiti ad infinitum nulla est pro-
portio. Il y a dans ses œuvres de maturité un rapport direct entre les créatures et
Dieu, soit celui qu’établit la causalité efficiente : nihil prohibet esse proportionem
creaturae ad Deum (…) secundum habitudinem effectus ad causam 178, et potest
esse proportio creaturae ad Deum, inquantum se habet ad ipsum ut effectus ad
causam, et ut potentia ad actum 179. La ressemblance directe entre l’effet et la cause
suffit à sauvegarder la transcendance divine, et il devient donc inutile de recourir à
la ressemblance selon la proportionnalité. On peut continuer à parler de distance
entre la créature et le Créateur, à condition de ne plus l’entendre comme une
coupure, mais simplement comme une expression de la dissemblance. Ainsi com-
prise, la distance n’empêche en aucune façon l’analogie par référence à un premier.
Maintenant que nous avons posé les nouvelles bases métaphysiques sur
lesquelles repose la théorie de l’analogie du Docteur Commun, nous pouvons nous
intéresser au point central de la problématique : la théorie de l’analogie. Les solu-
tions de la SCG, de la question disputée de Potentia et de la ST suivent toujours le
même schéma de base, identique à celui des œuvres antérieures de l’Aquinate : les
noms divins ne sont ni univoques, ni équivoques, mais analogiques. Reste à savoir
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quel type d’analogie est pertinent pour décrire le rapport entre le créé et Dieu.

La Summa contra Gentiles


Thomas développe sa théorie de l’analogie principalement dans trois chapitres
de sa SCG 180. Dans le premier, il fournit des arguments contre l’univocité des
noms divins ; dans le second, c’est contre leur équivocité qu’il argumente ; dans le
troisième, il développe sa théorie de l’analogie. Pour l’Aquinate, rien ne peut être
prédiqué univoquement de Dieu et des créatures, et cela pour trois raisons :
– Pour qu’il y ait prédication univoque, il faut que l’effet reçoive une forme spé-
cifiquement semblable à celle par laquelle l’agent agit. Or Dieu et les choses dont il
est la cause n’ont pas la même forme, étant donné que celles-ci reçoivent de façon
dégradée et particulière ce qui se trouve de manière parfaite et universelle en Dieu.
– Ce qui est prédiqué de plusieurs de manière univoque est soit un genre, soit
une espèce, soit une différence, soit un accident, soit un propre. Or rien n’est
prédiqué de Dieu de ces manières, donc rien n’est prédiqué de Dieu et des
créatures univoquement.
– La prédication univoque implique l’égalité d’ordre ; or rien n’est prédiqué de
Dieu et des autres choses à égalité, mais toujours selon l’antérieur et le postérieur :

(177) Cf. THOMAS D’AQUIN, ST, I a Q. I-XLIX cum commentariis Thomae de Vio Caietani,
in Opera omnia, t. IV, édition Léonine, Rome, 1888, I a, Q. 44, a. 1, p. 455 et De pot. Dei, Q. 3, a. 5, ad 1,
p. 50.
(178) THOMAS D’AQUIN, SCG, III, 54, 6°, p. 286.
(179) THOMAS D’AQUIN, ST, I a, Q. 12, a. 1, ad 4, p. 115.
(180) Soit les chapitres 32-34 du livre I.
98 JOËL LONFAT

tout ce qui est prédiqué de Dieu l’est essentiellement, tandis que ce qui est
prédiqué de toutes les autres choses l’est selon la participation 181.
De plus, tout ce qui est prédiqué des créatures et du Créateur ne l’est pas selon
une pure équivocité, comme le sont les équivoques dus au hasard. En effet, dans
les aequivoca a casu, il n’y a aucun ordre ni rapport entre l’un et l’autre des termes.
Or il n’en va pas ainsi des noms qui sont dits de Dieu et des créatures : il existe un
ordre de la cause et de l’effet, et donc un certain mode de ressemblance des
créatures à Dieu. De même, si les noms étaient dits équivoquement de Dieu et des
créatures, la connaissance dépendant de la ratio des noms, Dieu ne pourrait plus
connaître ses créatures, ni les créatures leur Créateur 182.
Par conséquent, ce qui est dit de Dieu et des autres choses l’est de manière
analogique, hoc est, secundum ordinem vel respectum ad aliquid unum 183. Or il
existe deux types de prédications analogiques pour Thomas : le premier, la
prédication ad unum alterum, décrit le rapport de plusieurs choses à quelque chose
d’unique qui est premier, comme pour l’exemple désormais incontournable de la
santé, où l’animal, le remède, la nourriture et l’urine sont dits “sain” de par leur
rapport à un premier unique qui est la santé, selon qu’il est son sujet, qu’il la
produit, qu’elle la conserve et qu’elle en est le signe. Le second type est la
prédication ad unum ipsorum, qui décrit un rapport entre deux choses, non pas à
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une troisième – comme dans le cas du corps et du remède qui sont dits “sain” par
rapport à la santé – mais de l’une à l’autre. C’est le cas qui est illustré par l’exemple
de l’être dit de la substance et de l’accident, dans la mesure où l’accident a un
rapport déterminé à la substance.
Sic igitur ex dictis relinquitur quod ea quae de Deo et rebus aliis dicuntur,
praedicantur neque univoce neque aequivoce, sed analogice : hoc est, secundum
ordinem vel respectum ad aliquid unum.
Quod quidem dupliciter contingit. Uno modo, secundum quod multa habent
respectum ad aliquid unum : sicut secundum respectum ad unam sanitatem animal
dicitur sanum ut eius subiectum, medicina ut eius effectivum, cibus ut conserva-
tivum, urina ut signum.
Alio modo, secundum quod duorum attenditur ordo vel respectus, non ad aliquid
alterum, sed ad unum ipsorum : sicut ens de substantia et accidente dicitur
secundum quod accidens ad substantiam respectum habet, non quod substantia et
accidens ad aliquid tertium referantur 184.
La conclusion qui nous vient directement à l’esprit est qu’il est impossible que
l’on puisse prédiquer quelque chose de Dieu et des créatures selon l’analogie ad

(181) Cf. THOMAS D’AQUIN, SCG, I, 32, p. 33.


(182) Cf. ibid., I, 33, p. 33-34.
(183) Nous pouvons remarquer ici que Thomas abandonne toutes les équivalences terminolo-
giques qu’il employait dans ses premières œuvres, soit la proportio et la convenientia, pour ne plus
garder que l’idée d’ordre (plutôt néoplatonicienne) et de rapport à un premier (tout à fait aristotéli-
cienne). L’abandon de la ressemblance formelle au profit de la causalité efficiente lui permet aussi de
revenir au rapport à un premier et d’évacuer ainsi le rapport à quatre termes.
(184) THOMAS D’AQUIN, SCG, I, 34, 1°-3°, p. 34.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 99

unum alterum, car il faudrait poser un premier auquel Dieu se rapporterait, ce qui
est impossible. Par conséquent il semble que l’analogie ad unum ipsorum consti-
tue la seule réponse à notre question 185. Néanmoins ce n’est pas si simple, et
l’Aquinate va « relativiser » sa réponse en introduisant une nouvelle distinction :
être secundum nomen et secundum rem. Dans le cas de l’analogie ad unum ipso-
rum, la substance est antérieure à l’accident secundum rem, car l’accident à besoin
d’une substance à laquelle il est inhérent ; elle est aussi antérieure à l’accident
secundum nomen, car elle est posée dans la définition de l’accident : c’est
pourquoi “étant” est dit de la substance avant de l’être de l’accident, car elle est
antérieure à la fois secundum rem et secundum nomen et ceci pour nous et en soi.
Quant à l’analogie ad unum alterum, de notre point de vue, le terme prédiqué
analogiquement est dit en premier lieu de ce qui est premier secundum nomen, et
seulement ensuite de ce qui est secundum rem. En effet, en soi la virtus sanativa
dans les remèdes est antérieure à la santé secundum rem, comme une cause est
antérieure à son effet ; mais comme nous ne pouvons connaître cette virtus
sanativa que par son effet, c’est-à-dire par la constatation empirique de la santé,
nous ne pouvons la nommer qu’à partir de ses effets. C’est pourquoi en soi c’est le
remède, antérieur secundum rem, qui mérite d’être dit sain, mais pour nous, c’est
l’animal qui mérite en premier lieu d’être dit sain secundum nomen, car c’est en lui
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que l’effet, soit la santé, se trouve formellement, tout en sachant que nous ne
pouvons en avoir connaissance que par ce qui en est le signe, soit l’urine : pour
nous, ce qui est premier secundum nomen est second secundum rem (l’urine), et ce
qui est premier secundum rem est second secundum nomen (le corps) 186.
In huiusmodi autem analogica praedicatione ordo attenditur idem secundum
nomen et secundum rem quandoque, quandoque vero non idem. Nam ordo
nominis sequitur ordinem cognitionis : quia est signum intelligibilis conceptionis
quando igitur id quod est prius secundum rem, invenitur etiam cognitione prius,
idem invenitur prius et secundum nominis rationem et secundum rei naturam :
sicut substantia est prior accidente et natura, inquantum substantia est causa
accidentis ; et cognitione, inquantum substantia in definitione accidentis ponitur.
Et ideo ens dicitur prius de substantia quam de accidente et secundum rei naturam
et secundum nominis rationem. – Quando vero id quod est prius secundum natu-
ram, est posterius secundum cognitionem, tunc in analogicis non est idem ordo
secundum rem et secundum nominis rationem : sicut virtus sanandi quae est in
sanativis, prior est naturaliter sanitate quae est in animali, sicut causa effectu ; sed
quia hanc virtutem per effectum cognoscimus, ideo etiam ex effectu nominamus.
Et inde est quod sanativum est prius ordine rei, sed animal dicitur per prius sanum
secundum nominis rationem 187.

(185) Cf. ibid., I, 34, 4°, p. 34.


(186) Après tous ces détours, on revient enfin à Aristote. Toute la recherche de Thomas vise en
fait à sortir de cette dynamique qui était le point central de la théorie aristotélicienne de l’homonymie
par rapport à un premier qui est fondamentalement un type d’homonymie, et pas un nouvel élément
d’une classification des termes qui se trouverait, comme intermédiaire, sur le même plan que
l’homonymie et la synonymie.
(187) THOMAS D’AQUIN, SCG I, 34, 5°, p. 34-35.
100 JOËL LONFAT

Dieu est effectivement, comme dans le cas illustré par l’exemple de la


substance, premier secundum rem et secundum nomen ; en effet, en soi, Dieu est
premier dans l’ordre des choses, car il est l’ipsum esse, et premier dans l’ordre de
la connaissance, car il est à la fois intellect et source de toute intelligibilité. Or pour
nous, il n’est connu et nommé que d’après ses seuls effets : pour nous, ce qui est
premier secundum nomen est second secundum rem (les effets), et ce qui est
premier secundum rem est second secundum nomen (Dieu) ; et en soi, ce qui est
premier, c’est Dieu.
Sic igitur, quia ex rebus aliis in Dei cognitionem pervenimus, res nominum de Deo
et rebus aliis dictorum per prius est in Deo secundum suum modum, sed ratio
nominis per posterius. Unde et nominari dicitur a suis causatis 188.
Il faut donc envisager une sorte de contamination de l’analogie ad unum
ipsorum, qui est pertinente pour parler de l’être, de la substance et de l’accident,
car ne s’appliquant que dans la mesure où l’ordre est identique dans les noms et
dans les choses, par l’analogie ad unum alterum, qui permet des ordres différents
entre celui de la chose et celui de la connaissance, ceci afin de décrire le type de
prédication des noms attribués aux créatures et à Dieu. Cela nous donne à peu près
le schéma suivant :
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aequivocatio analogia univocatio

ad unum subjectum ad unum sicut ad finem & ad unum sicut


efficiens ad principium

^
analogia ad unum ipsorum analogia ad unum alterum

^
ens : sub←acc. sanum

^^
⇒ 1 sec. rem.
er
⇒ 1 sec. rem.
er

pour nous et en soi Corps


⇒ 1 sec. nom.
er

⇒ 2 sec. nom.
nd
pour nous
⇒1 sec. nom.
er

Urine
⇒2 sec. rem.
nd

type d’analogie ad unum ipsorum


qui nous permet de prédiquer un

^
même terme des créatures
et de Dieu

^^
⇒ 1 sec. nom.
er

effets

⇒ 2 sec. rem.
nd
pour nous
⇒ 1 sec. rem.
er

Dieu
⇒ 2 sec. nom.
nd

en soi : Dieu ⇒ 1
er

(188) Ibid., I, 34, 6°, p. 35.


LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 101

Thomas ne peut qu’hésiter à propos de la structure exacte de l’analogie : il ne


peut effectivement pas la préciser, étant donné l’impossibilité intrinsèque de
dépasser cette dynamique de renvoi des homonymes entre eux, inhérente à
l’analogie ad unum alterum, et ce depuis Aristote.

Quaestiones disputatae De potentia Dei


De même, Thomas écarte dans la question disputée De potentia l’univocité 189
et l’équivocité pure 190 des types de prédication d’un même terme à la créature et à
Dieu, pour ne garder que l’analogie. Dans notre texte, et comme pour les autres
œuvres, elle est double : l’analogie duorum ad tertium et l’analogie unius ad
alterum.
Et ideo aliter dicendum est, quod de Deo et creatura nihil praedicetur univoce ; non
tamen ea quae communiter praedicantur, pure aequivoce praedicantur, sed analo-
gice. Hujus autem praedicationis duplex est modus. Unus quod aliquid praedicatur
de duobus per respectum ad aliquod tertium, sicut ens de qualitate et quantitate per
respectum ad substantiam. Alius modus est quo aliquid praedicatur de duobus per
respectum unius ad alterum, sicut ens de substantia et quantitate. In primo autem
modo praedicationis oportet esse aliquid prius duobus, ad quod ambo respectum
habent, sicut substantia ad quantitatem et qualitatem ; in secundo autem non, sed
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necesse est unum esse prius altero. Et ideo cum Deo nihil sit prius, sed ipse sit prior
creatura, competit in divina praedicatione secundus modus analogiae, et non
primus 191.
On constate que, dans le cas de l’analogie duorum ad tertium, la dénomination
analogique appartient aux deux termes secondaires dans la mesure où ils sont l’un
et l’autre référés à leur premier, comme l’être dit de la quantité et de la qualité par
rapport à la substance, qui est le premier. En ce qui concerne l’analogie unius ad
alterum, la dénomination analogique appartient à un terme secondaire en vertu du
rapport direct qui le relie au premier, comme l’être dit de la substance et d’un
accident, non pas par référence à une forme commune à l’un et à l’autre et qui
serait l’être, mais parce que l’être convient per prius à la substance et per posterius
à l’accident, selon le rapport d’inhérence de l’accident dans la substance 192. De
même pour Dieu : en effet, l’être n’englobe pas les êtres et Dieu, puisqu’il n’est
pas antérieur à Dieu. C’est Dieu qui fonde l’analogie de l’être puisque les êtres
reçoivent par participation ce qu’il est par essence ; il n’y a pas d’autre premier que
lui. C’est donc l’analogie unius ad alterum qui est pertinente pour la prédication
d’un même terme aux êtres créés et à Dieu. Cela nous donne le schéma suivant :

(189) THOMAS D’AQUIN, De pot. Dei, Q. 7, a. 7, resp., p. 238-239.


(190) Ibid., Q. 7, a. 7, resp., p. 239.
(191) Ibid., Q. 7, a. 7, resp., p. 239.
(192) L’analogie est double car, d’une part, l’être peut se dire de deux accidents, parce qu’ils sont
l’un et l’autre en rapport à la substance qui est première ; d’autre part, on peut prendre en compte le
rapport direct d’inhérence qui existe entre un accident et sa substance.
102 JOËL LONFAT

aequivocatio analogia univocatio

ad unum subjectum

unius ad alterum : duorum ad tertium :


ens de substantia et quantitate ens de qualitate et quantitate
per respectum ad substantiam

c’est l’analogie unius ad


alterum qui est pertinente pour
la prédication de termes à la
créature et au Créateur

Pour conclure cette analyse, nous pouvons faire deux remarques : premiè-
rement, la structure de ce schéma et celle du schéma de la SCG sont pratiquement
identiques, différant seulement par la place donnée à l’analogie non-pertinente
pour parler de la prédication d’un même terme de la créature et du Créateur. En
effet, les deux schémas présentent une division identique de l’analogie en deux
modes, dont le premier décrit le rapport de deux termes à un premier, et le second
le rapport entre deux termes selon l’habitude de l’un à se rapporter à l’autre, qui est
son premier ; l’analogie permettant le discours sur Dieu est dans les deux cas du
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type du second mode. La seule différence consiste en cette « complexification » du
schéma de la SCG qui permet le parasitage de l’analogie ad unum ipsorum par
l’analogie ad unum alterum, ce qui n’est plus le cas ici. Il y a donc une grande
proximité théorique sur le plan de la doctrine de l’analogie entre ces deux œuvres
de la maturité. Deuxièmement, le choix de l’exemple illustrant le cas de l’analogie
duorum ad tertium est troublant ; c’est en effet la première fois qu’il intervient
dans notre étude : sicut ens de qualitate et quantitate per respectum ad substan-
tiam. Pourquoi ce changement, ce brusque écartement de l’exemple de la santé,
qui traverse pourtant toute l’histoire de la théorie de l’analogie ? Une réponse
possible est que l’Aquinate, cherchant à se débarrasser de la solution hybride de la
SCG, fait coïncider l’analogie transcendentale avec l’une des deux formes
d’analogie prédicamentale. Toujours est-il que ce choix pose problème : comment
peut-on encore dire que l’on connaît Dieu par ses effets ? Cela n’est pas possible
dans le cas de l’être dit de la substance et de l’accident, comme c’était déjà le cas
dans la SCG ; mais cela n’est pas non plus possible pour l’analogie duorum ad
tertium : comment dire en effet que la quantité, la qualité ou le lieu sont des effets
ou des causes de la substance ? En faisant coïncider l’analogie transcendentale
avec l’analogie unius ad alterum, interprétée à travers l’exemple unique de l’être,
Thomas sacrifie la connaissance de Dieu par les créatures sur l’autel des noms
divins. Cela explique probablement pourquoi la question disputée de Potentia ne
présente pas la dernière version de la théorie de l’analogie du Docteur Commun.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 103

La Summa theologiae
Dans sa ST, Thomas consacre toute une question 193 au problème des noms
divins. Il y suit la même structure que dans ses œuvres antérieures, structure qui
constitue toujours le fondement de sa discussion de l’analogie. Il commence par
démontrer l’impossibilité pour un nom d’être prédiqué des créatures et de Dieu de
manière univoque 194, puis fait de même pour l’équivocité 195. Par conséquent, et
comme on pouvait s’y attendre, Thomas affirme que c’est en vertu de l’analogie –
toujours intermédiaire entre l’équivocité et l’univocité – qu’un nom peut être
attribué à Dieu et aux créatures 196. Et cette analogie se divise aussi en deux
modes : l’analogie multa ad unum, et l’analogie unum ad alterum :
Dicendum est igitur quod huiusmodi nomina dicuntur de Deo et creaturis
secundum analogiam, idest proportionem. Quod quidem dupliciter contingit in
nominibus : vel quia multa habent proportionem ad unum, sicut sanum dicitur de
medicina et urina, inquantum utrumque habet ordinem et proportionem ad
sanitatem animalis, cuius hoc quidem signum est, illud vero causa ; vel ex eo quod
unum habet proportionem ad alterum, sicut sanum dicitur de medicina et animali,
inquantum medicina est causa sanitatis quae est in animali 197.
Et c’est selon ce dernier type d’analogie que les termes sont attribués à Dieu et
à la créature. De plus, selon l’Aquinate, c’est parce que tout ce qui est dit à la fois
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de Dieu et des créatures est dit en raison de quelque relation d’ordre de la créature
au Créateur, que c’est par ses effets que nous pouvons le nommer.
Et hoc modo aliqua dicuntur de Deo et creaturis analogice, et non aequivoce pure,
neque univoce. Non enim possumus nominare Deum nisi ex creaturis, ut supra
dictum est. Et sic, quidquid dicitur de Deo et creaturis, dicitur secundum quod est
aliquis ordo creaturae ad Deum, ut ad principium et causam, in qua praeexistunt
excellenter omnes rerum perfectiones 198.
Cela nous donne le schéma suivant :
aequivocatio analogia univocatio

ad unum subjectum ad unum sicut ad finem & ad unum


sicut efficiens ad principium

unius ad alterum : multa ad unum :


sanum dicitur de medicina et animali sanum dicitur de medicina et urina

c’est l’analogie unum ad


alterum qui est pertinente pour
la prédication de termes à la créature et au Créateur

(193) Soit la Q. 13 de la I a, p. 139-165.


(194) Cf. ibid., Q. 13, a. 5, resp., p. 146.
(195) Cf. ibid., Q. 13, a. 5, resp., p. 146.
(196) Cf. ibid., Q. 13, a. 5, resp., p. 146-147.
(197) Ibid., Q. 13, a. 5, resp., p. 146.
(198) Ibid., Q. 13, a. 5, resp., p. 146.
104 JOËL LONFAT

Bien que la structure des deux types d’analogie soit tout à fait identique à celle
présentée dans la question disputée De potentia, et très semblable à celle de la
SCG, le choix des exemples les illustrant nous entraîne dans une interprétation
différente, qui prend le contre-pied de celle du De potentia. En effet, contraire-
ment à la question disputée dans laquelle le Docteur Commun donne la préférence
à l’exemple de l’être, écartant ainsi la possibilité de la connaissance de Dieu par
ses effets, il fait exactement le contraire dans la ST en écartant l’exemple de l’être
pour ne garder que l’exemple de la santé. Tout l’article cinq de la question treize
devant permettre la connaissance de Dieu à travers ses effets, c’est par l’exemple
de la santé que l’Aquinate peut illustrer au mieux cette condition ; c’est pourquoi il
le substitue à l’exemple de l’être dit d’un accident et de sa substance selon le rap-
port d’inhérence, qui ne permet effectivement pas cette application de la problé-
matique cause-effet. Mais cette interprétation pose aussi un problème majeur : si
l’on applique à la lettre l’exemple de sain dit de la médecine et de l’animal au cas
des noms dits des créatures et du Créateur, on n’atteint plus l’essence de Dieu,
mais seulement sa causalité 199. En effet, dans le cas de tout rapport à un premier,
celui-ci doit figurer dans la définition de tous les autres termes, leur étant attribué
dans l’ordre selon qu’ils se rapprochent plus ou moins du premier. Ainsi, le mot
sain dit de l’animal entre dans la définition du mot sain selon qu’il s’applique à la
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médecine, laquelle est dite saine parce qu’elle cause la santé de l’animal ; et il entre
également dans la définition du mot sain dit de l’urine, qui est dite saine en tant que
signe de la santé de l’animal. Cela veut dire que la santé n’est pas ailleurs que dans
le seul animal ; c’est en effet parce que la médecine est cause de la santé et que
l’urine est le signe de la santé qu’elles sont dites saines. Et quoique la santé ne soit
effectivement ni dans la médecine, ni dans l’urine, il y a dans l’une et dans l’autre
quelque chose par quoi l’une provoque et l’autre signifie la santé 200. Donc dans ce
cas, on ne peut atteindre l’essence de la cause par la connaissance de l’effet, soit
pour reprendre l’exemple de la santé : ce n’est pas par la connaissance de l’urine
que l’on va atteindre l’essence de l’animal, bien que par cette connaissance on
puisse connaître l’animal en tant que sain, et donc cause d’une urine saine 201.
Avant de conclure cette partie, nous pouvons faire une dernière remarque :
nous voyons réapparaître dans la ST le rapport à quatre termes, c’est-à-dire
l’‚QDORJeD En effet, l’Aquinate nous apprend à l’article six de la question treize
que les noms attribués à Dieu par métaphore, appartenant par priorité aux
créatures – contrairement aux noms visant l’essence de Dieu, qui sont dits premiè-
rement de lui – sont appliqués à Dieu à titre de « ressemblance » à une créature.
L’exemple est éclairant : le mot lion dit de Dieu n’est rien d’autre qu’une simi-
litude de proportion signifiant que Dieu agit avec force dans ses œuvres comme le

(199) C’est pourquoi la théorie de l’analogie de Maître Eckhart sera une théorie distinguant
causalité univoque et causalité analogique.
(200) Cf. THOMAS D’AQUIN, ST, I a II ae, Q. 20, a. 3, ad 3, p. 158.
(201) Cf. ibid., I a, Q. 13, a. 6, p. 150.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 105

lion dans les siennes. L’‚QDORJeD, ou ce que le De veritate appelait l’analogia


proportionalitatis, ne désigne – à nouveau – plus que la métaphore 202.
La question qui se pose incontournablement à présent est celle de savoir
pourquoi ces changements interprétatifs par exemples interposés, alors que toute
la structure de l’analogie est identique, dans la SCG, dans la question disputée de
Potentia, et dans la ST ? C’est encore une question à laquelle il est difficile de
répondre ; il y a à notre avis principalement deux possibilités :
1) L’Aquinate cherche absolument à identifier l’analogie transcendentale
avec l’un des deux types d’analogie prédicamentale, soit en l’occurrence toujours
avec celui qui décrit le rapport entre deux termes selon l’habitude qu’a le second
de se rapporter au premier, ne faisant varier les implications particulières de son
choix qu’à travers les exemples.
2) Thomas, à travers les choix de ses exemples, cherche à rendre son lecteur
plus attentif à une problématique en l’abordant chaque fois d’une manière
différente, par un angle différent.

Personnellement, nous avons une nette préférence pour la deuxième solution.


En effet, il nous semble assez étonnant que le Docteur Angélique utilise dans
l’article cinq un exemple pour décrire la manière dont un même nom peut être
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prédiqué de Dieu et des créatures, et dans l’article suivant nie la capacité de cet
exemple à décrire cette même situation. De plus l’analogie transcendentale de
Thomas, liée à la dynamique fondamentale « d’entre-signification » des multiples
sens des mots sain et être que nous avons déjà remarquée chez Aristote, recherche
une unité jamais absolument fixée, et toujours à préciser. La théorie finale de
l’analogie du Docteur Commun est celle qui est présentée dans la SCG, et dont les
théories du De potentia et de la ST ne sont en fait que des vues dépendantes
chacune de l’un des deux référentiels de celle de la SCG. En d’autres termes,
l’analyse du De potentia a pour référentiel ce que nous avions qualifié de premier
en soi dans le schéma de la SCG, soit le point de vue de Dieu, qui est celui de la
problématique de la substance ; et la ST a pour référentiel ce que nous avions
qualifié de premier pour nous dans le même schéma de la SCG, soit du point de vue
de l’homme, qui est celui de la problématique effet-cause. Par conséquent dès
1264 au plus tard, Thomas a déjà une théorie de l’analogie bien établie, qui est
celle de la SCG, et qui présente effectivement une analogie transcendentale
hybride, réunissant les deux analogies prédicamentales dans une fusion toujours
dynamique, et donc toujours à préciser.

(202) Cf. ibid., I a, Q. 13, a. 6, p. 150.


106 JOËL LONFAT

CONCLUSION

Bien qu’elle ait été attribuée longtemps à Aristote, la doctrine de l’analogia


entis n’est pas une doctrine aristotélicienne, mais une invention médiévale,
correspondant à diverses relectures des corpus aristotéliciens grecs et arabes,
successivement apparus en traduction chez les latins. En ce qui concerne les
doctrines de l’analogie de l’être chez saint Thomas d’Aquin, nous espérons avoir
montré qu’elles sont nées d’une série de surimpressions et de déplacements de
problématiques, qui ont leur origine chez Alexandre d’Aphrodise. Il y a les
surimpressions du collage des homonymes ‚I
 xQ²M et SUµM {Q, de leur dépla-
cement en une position d’intermédiaire entre les homonymes purs et les syno-
nymes – à l’instar des paronymes –, de la fusion des paronymes dans la structure
des homonymes ‚I
xQ²MNDhSUµM{Q, de l’écartement de certains types d’unité
du classement des réalités – les unités NDW
‚QDORJeDQet NDT
°PRL²WKWD –, de
la transformation du rapport à un premier d’un point de vue dynamique en une
participation causatrice d’ordre, de la compréhension des équivoques, univoques
et analogues comme des termes et plus comme des réalités… Il y a en plus des
problématiques différentes qui, comme nous avons pu le constater, peuvent être
multiples même au sein d’un seul auteur : Aristote envisage la théorie des multi-
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ples sens de l’être dans différentes problématiques comme celle de la critique de la
théorie des Idées, de la recherche du fondement de l’amitié et de la nature du bien,
de l’établissement d’une science une de l’être en tant qu’être ; le pseudo-Denys
envisage l’analogie pour ordonner – selon la participation – l’univers entier au
premier ; les auteurs arabes sont intéressés surtout par l’unité du concept d’être ;
Boèce ne connaît pas la problématique des multiples sens de l’être, mais il est
intéressé par le transfert des catégories in divinis ; saint Thomas d’Aquin recher-
che les conditions de possibilité d’un discours cohérent et adéquat sur Dieu et, par
suite, les conditions de possibilité et de vérité du discours théologique 203. Cela
tend à confirmer le bien-fondé de la thèse selon laquelle l’objet de la Problem-
geschichte n’est pas prima facie l’histoire des problèmes, mais l’étude des
structures de complexes constitués de questions et de réponses, donc une histoire
de la philosophie entendue comme histoire des corpus 204.

(203) Il n’existe pas de problème permanent P qui serait le problème de l’être, auquel tous les
philosophes donneraient immanquablement une réponse plus ou moins satisfaisante, mais il n’y a que
des problèmes transitoires p1, p2, p3, …, pn, qui ne sont pas des instances de l’archi-problème P, mais
des complexes de questions-réponses eux-mêmes transitoires. Pour la description logique des ces
transitions, cf. A. de LIBERA, « Le relativisme historique : théorie des “complexes questions-réponses”
et “traçabilité” », Les Études philosophiques, octobre-décembre 1999, p. 489-490.
(204) Cf. A. de LIBERA, L’art des généralités : théories de l’abstraction, Paris, Aubier, 1999, ainsi
que l’article « Archéologie et reconstruction : Sur la méthode en histoire de la philosophie médié-
vale », in Un siècle de philosophie 1900-2000, Folio essais, Paris, Gallimard/Centre Pompidou, 2000,
p. 552-587.
LA NOTION D’ANALOGIE D’ARISTOTE À SAINT THOMAS 107

Joël LONFAT, né en 1974, de nationalité suisse, est boursier du Fond National


Suisse de la Recherche Scientifique pour le projet « Translatio studiorum » (FNRS
101411-101807), sous la direction d’Alain de Libera. Il prépare une thèse de
philosophie sur les Polémiques « anti-averroïstes » au sujet de l’intellect au XIV e
siècle, sous la direction d’Alain de Libera.
Il prépare une édition du De plurificatione intellectus possibilis de Gilles de Rome
et de la première partie de la Somme de Logique de Richard Brinkley, en
collaboration avec Laurent Cesalli.
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