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ÂME [â-m'] s. f.

1° Principe de vie. 2° Le principe immatériel de la vie, l'âme après la mort. 3° L'ensemble


des facultés morales et intellectuelles. Grande âme. Avoir de l'âme. Être tout âme. 4° L'âme,
en parlant des relations amoureuses. 5° Une personne, homme, femme ou enfant. 6° La vie,
l'existence. 7° Imitation de la vie, chaleur, expression. 8° Agent, moteur principal, en
parlant des personnes. 9° En parlant des choses. 10° Emplois techniques.
1° Principe de vie. Les anciens philosophes admettaient une âme raisonnable, qui présidait
aux fonctions de l'intelligence ; une âme sensitive, qui présidait aux sensations ; et une âme
végétative, qui présidait à la nutrition. L'âme du monde, principe qui, suivant quelques
philosophes, vivifie le monde.
2° Le principe immatériel de la vie, l'âme après la mort. L'immortalité de l'âme. Évoquer
les âmes des morts. Une âme régénérée par le baptême. Les âmes des trépassés. ♦ Ainsi voit
le monde une âme juste au lit de la mort, MASS., Mort. ♦ Vigilant, qui n'a pas reçu son âme
en vain, MASS., Élus.
Locution familière : Dieu veuille avoir son âme ; sorte de prière pour le repos d'une
personne trépassée.
Donner son âme au diable, faire un pacte avec le diable à qui l'on abandonne son âme
pour des avantages terrestres. On croyait que les sorciers donnaient leur âme à Satan, et
recevaient en échange une puissance surnaturelle. Faust est la plus célèbre de ces légendes
où un homme donne son âme au diable.
Une âme en peine, une âme livrée aux peines de l'enfer ou du purgatoire. Il est comme
une âme en peine ; il est en proie à la plus vive inquiétude, affliction, etc.
Corps et âme, tout entier. Il se donna à lui corps et âme.
C'est un corps sans âme, se dit d'une armée, d'un parti sans chef.
Être comme un corps sans âme, être abattu, sans volonté, sans résolution.
3° L'ensemble des facultés morales et intellectuelles. L'aliment de l'âme, c'est la vérité et la
justice. Ce qui souille l'âme. âme bien née, noble, élevée. âme basse, vénale. Les yeux sont
le miroir de l'âme. L'âme humaine peut tout se représenter par la pensée. ♦ Une âme
généreuse et que la vertu guide, CORN., Cinna, III, 4 ♦ Ainsi parlent, seigneur, les âmes
soupçonneuses, CORN., Sertor. II, 2 ♦ Ne me prenez point tant pour une âme insensible,
CORN., Agésil. IV, 5 ♦ Mardochée à ses yeux est une âme trop vile, RAC., Esth. II, 1
♦ Mais bien qu'il l'abandonne, il l'adore dans l'âme, CORN., Sertor. IV, 2 ♦ Le lâche ! il
vous flattait lorsqu'il tremblait dans l'âme, CORN., Héracl. I, 1 ♦ J'en rougis dans mon âme,
CORN., Nicom. II, 1 ♦ De mon trône en son âme elle prend la moitié, CORN., Pomp. I ♦ Je
voudrais le connaître, Mais connaître dans l'âme, CORN., le Ment. II, 2 ♦ Je vous rappelle
un songe effacé de votre âme, RAC., Mithr. I, 2 ♦ ... la dame, Qui riait sans doute en son
âme, LA FONT., Fianc. ♦ Et je veux qu'un amant pour me prouver sa flamme, Sur
d'éternels soupçons laisse flotter son âme, MOL., Fâcheux, II, 4
Grande âme, homme d'un esprit étendu, homme d'un grand caractère. ♦ Les plus grandes
âmes sont celles qui s'arrangent le mieux dans la situation présente et qui dépensent le
moins en projets pour l'avenir, FONTEN., Chazelles.
Avoir de l'âme, avoir un coeur noble, sensible et généreux. Que d'âme et de douceur dans
ses regards !
Être tout âme, être doué d'une excessive sensibilité.
4° Particulièrement en parlant des relations amoureuses. ♦ Son âme ailleurs éprise, RAC.,
Andr. II, 2 ♦ L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme, RAC., ib. II, 2 ♦ Que
vous et Bajazet vous ne faites qu'une âme, RAC., Baj. IV, 3 ♦ Chacun peut à son choix
disposer de son âme, RAC., Andr. III, 2
5° Une personne, homme, femme ou enfant. ♦ Qu'on ne laisse monter aucune âme là-haut,
RAC., Plaid. I, 6 ♦ En y comptant les femmes, vous trouverez près de vingt millions d'âmes,
VOLT., Russie, I, 2 ♦ Je fus bien surpris de ne pas trouver une âme chez M. de
Luxembourg, SAINT-SIMON, 11, 128 ♦ En effet il n'a vu âme vivante, SÉV., 206 ♦ Il n'est
âme vivante Qui ne pèche en ceci, LA FONT., Fab. IX, 11
Familièrement. C'est une bonne âme. C'est une personne bonne et simple.
Familièrement. On dit d'un homme qui est l'aveugle instrument des volontés d'un autre,
quand en soi-même on les condamne comme immorales ou criminelles : c'est son âme
damnée.
6° La vie, l'existence. ♦ Essuyez des pleurs qui m'arrachent l'âme, J. J. ROUSS., Hél. III, 2
♦ Dans cet embrassement dont la douceur me flatte, Venez et recevez l'âme de Mithridate,
RAC., Mithr. V, 5 ♦ Que des pleurs, des baisers de flamme Fassent passer toute mon âme
Dans ces dons qu'elle doit toucher, GRESS., le Chartreux.
Familièrement. Il a l'âme sur les lèvres, il est près d'expirer.
Il a rendu l'âme, il est mort, il vient de trépasser. ♦ Pendant que la pauvre femme rendait
l'âme, SÉV., 348 ♦ Il a rendu l'âme entre les mains de M. de Condom, SÉV., 413 ♦ Peut-être
ils rendent l'âme, RAC., Plaid. II, 12
Familièrement. Sur mon âme, expression affirmative, c'est-à-dire sur ma vie, mon
honneur. ♦ Mon bras, sur mon âme, LA FONT., Cal.
Mon âme, terme de tendresse. ♦ Iras-tu, ma chère âme ? et ce funeste honneur....,
CORN., Hor. II, 5
7° Imitation de la vie, expression de vie, chaleur, mouvement. Phidias avait donné de l'âme
à l'ivoire. Chanter avec âme.
8° Fig. Agent, moteur principal. ♦ C'est l'âme de l'entreprise et l'homme de confiance,
SÉV., 525 ♦ Enfin vous êtes l'âme de tout cela, SÉV., 491 ♦ Elle est l'âme de toute la parure
de l'hôtel de Condé, SÉV., 399 ♦ Elle fut l'âme de l'entreprise, FLÉCH., Aig. ♦ La Renaudie
était l'âme du parti, BOSSUET, Déf. ♦ Vous qui devez être l'âme d'un État, BOSSUET,
Polit. ♦ Si Charlemagne, qui était l'âme des Français sans le paraître...., MABLY, t. II, p.
124 ♦ J'étais de ce grand corps l'âme toute-puissante, RAC., Brit. I, 1 ♦ âme de mes conseils,
et qui seul tant de fois Du sceptre dans ma main as soulagé le poids, RAC., Esth. II, 5 ♦ Toi,
pour qui j'ai tout fait ; toi, l'âme de ma vie, VOLT., Alz. II, 3
9° En parlant des choses. ♦ L'ambition, qui est l'âme de notre conduite, MASS., Conf.
♦ Ma passion pour vous, généreuse et solide, A la vertu pour âme et la raison pour guide,
CORN., Pulch. I, 1 ♦ Les passions qui doivent être l'âme de la tragédie, CORN., Ex. de Nic.
♦ La charité qui est l'âme et la vie de la grâce, PASC., Prov. 5 ♦ Cette tristesse qui en est
l'âme, ne s'y remarque plus, LA BRUY., 15
10° On dit qu'une étoffe n'a que l'âme, quand elle n'a ni force ni consistance.
L'âme d'une devise, les paroles qui l'expliquent.
L'âme d'un violon, d'une basse, le petit morceau de bois placé dans le corps de
l'instrument pour soutenir le chevalet et mettre en communication les deux tables de
l'instrument.
L'âme d'un soufflet, la soupape de cuir par laquelle l'air pénètre.
L'âme d'un fagot, le menu bois qui se trouve au centre.
L'âme d'une statue, le massif sur lequel on applique la terre qui sert à modeler la statue.
L'âme d'un canon, d'une arme, le creux où l'on introduit la charge.
L'âme d'un tableau, l'esquisse.
âme d'un cordage, fils que l'on met au milieu des différents torons dont le cordage est
composé.
âme d'une fusée, trou conique ménagé dans le corps d'une fusée volante.
Dans les manufactures de tabac, on appelle âme : 1° un bâton autour duquel le tabac
cordé est monté ; 2° les petites feuilles qui remplissent le dedans des andouilles de tabac.
âme de la plume, petite masse sèche et longue que renferme le tuyau d'une plume.

REMARQUE
1. Ce mot s'était toujours écrit sans accent circonflexe jusqu'en 1798 ; mais alors
l'Académie, dans son édition, l'a marqué d'un accent circonflexe, et a maintenu depuis cet
accent. L'accent, outre qu'il indique la prononciation, représente une lettre supprimée ;
l'ancien mot était anme et, par suite, alme et même arme.
2. Balzac a dit âme pour ce qu'il y a de meilleur dans une chose. ♦ Je choisis les oiseaux
qui sont engraissés de sucre, et me nourris de l'âme du fruit, BALZAC, liv. II, lett. 4

SYNONYME
ÂME FAIBLE, COEUR FAIBLE, ESPRIT FAIBLE. Comme âme est plus compréhensif
que coeur et esprit, l'âme faible désigne une personne en qui tout est faible ; elle est sans
ressort et sans vigueur. Le coeur faible est, suivant les deux acceptions du mot coeur, ou
trop tendre, trop facile à toucher, à séduire, ou pusillanime et facile à décourager, à effrayer.
Un esprit faible est incapable d'examen, crédule et inhabile à sentir la vérité et la raison.

HISTORIQUE
XIe s. ♦ Wart l'om que l'om l'anme ne perde, que Dex rachatat de sa vie, Lois de Guill.
41 ♦ Assoudrai vous pour vos anmes guarir, Ch. de Rol. LXXXVII ♦ Toutes vos anmes ait
Deus li glorieus, ib. CLX
XIIe s. ♦ Pour la moie arme messes chanter ferez, Ronc. p. 18 ♦ Se plaist Jhesu, qui l'ame
m'a donnée, ib. p. 49 ♦ Qui donc veïst le duc nostre seignor prier Qu'il ait merci de s'arme,
com de son chevalier...., Sax. X ♦ Li clers deivent les lais [laïques] e lur anemes guarder, Th.
le Mart. 30 ♦ Ore, mis sires, veirement vit Deus ta aneme, ki t'ad guarded que ne voises
avant, Rois, 100 ♦ Ço fud grant demustrance ke les anmes furent salyées devant Deu, ib.
202 ♦ Ellevos [voici que] en ta main est, mais nequedent l'anrme de lui guarde, Job. 448
XIIIe s. ♦ Si ne troverent nule ame qui venist encontre aus, VILLEH., CVII ♦ Mainte
ame en fut de corps sevrée et departie, Berte, 11 ♦ [Dieu] Qui en ame et en corps en soit
toujours gardere, ib. IV ♦ Sire, que la vostre ame soit de Dieu couronnée, ib. XLVI ♦ Lors
regarde tot contreval Le bois, por savoir s'alme orroit [entendroit], Et quant il nule alme ne
voit...., Ren. 24715 ♦ Et qui premiers istra fors en la praerie, Se martire reçoit ne que arme
l'ocie, Devant nostre seigneur ira s'ame florie, Ch. d'Ant. VIII, 174 ♦ Et une autre dame qui
estoit à l'autre part du lit, ne li souffri mie ; ainçois [mais] disoit que il avoit encore l'ame ou
cors, JOINV., 207 ♦ Et, ainsi, biaus sire Diex, je leverai m'amme à toy, et je me fie en toy,
JOINV., 201
XVe s. ♦ Les Pisains.... respondirent.... que qui guerre leur feroit, bien et bel se
defendroient, et qu'ils ne craignoient ame [personne], Bouciq. III, chap. 11 ♦ Si très tost que
cette petite fistule laira le couler et sechera, vous mourrez sans point de remede, mais vous
avez quinze jours au plus de loisir pour vous aviser et penser à l'ame [le médecin à Charles
V], FROISS., II, II, 70 ♦ L'espie entra ens ès fossés où point d'eau n'a ni ne peut avoir, car
ils sont de sablon bouillant ; et regarda dessous et dessus, et n'y ouit ni ne vit ame, et tout ce
rapporta il ainsi à son maistre, FROISS., II, II, 13 ♦ Il n'avoit ame avec luy, mais avoit
envoyé ses serviteurs pour...., COMM., III, 2
XVIe s. ♦ Vous lui direz le contenu en une petite ame [billet] escripte de ma main, que
vous trouverez en ceste lettre, ou la luy monstrerez, MARG., Lett. 149 ♦ Un bastiment
capable de deux ou trois cents ames, MONT., I, 237 ♦ Ils croyent les ames eternelles,
MONT., I, 238 ♦ La fermeté du courage et de l'ame - Rendre l'ame, MONT., I, 243 ♦ Si ce
ne sont quelques uns, qui ont (comme on dit) l'ame de travers, les autres sentent assez le
fruit qui en revient [de la concorde], LANOUE, 44 ♦ Des benefices qui vaqueroyent les
premiers, qui sont sans charge d'ames...., LANOUE, 129 ♦ Considerez que la Roine mere
est l'ame de l'Estat, elle qui est sans ame, D'AUB., Hist. II, 10 ♦ Chascun pour sauver sa vie
et respirer une ame precaire se faisoit bourreau de son compagnon, D'AUB., ib. II, 122 ♦ Il
lui donna un bouquet d'olive, de laurier et de cyprès, avec un sonnet qui servoit d'ame à cet
embleme, D'AUB., ib. II, 186 ♦ Voyant que le Roy, de sa propre ame [de son propre
mouvement], luy faisoit ce present, CARL., II, 16 ♦ Ame couarde en un beau corps logée,
RONS., 635

ÉTYMOLOGIE
Provenç. anma, arma ; espagn. et ital. alma ; de anima, dont la signification primitive est
souffle, vent, et, par extension, respiration, vie, esprit, âme. On voit par là l'identité de ce
mot avec le terme des Grecs, qui a conservé exclusivement l'acception de vent ; anima et le
mot grec ont pour radical le sanscrit ana, respirer. Cela montre comment les mots abstraits
dérivent de ceux qui servent à désigner les objets matériels. Aneme dans certains textes
anciens n'est un mot de trois syllabes que pour les yeux ; la mesure du vers prouve qu'on ne
donnait au mot que deux syllabes ; cette orthographe était un archaïsme reproduisant de plus
près la forme latine.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
ÂME. Ajoutez :
11° Âme des bêtes, hypothèse qui attribue aux animaux une âme plus ou moins
raisonnable. ♦ Si l'on voulait attribuer une âme aux animaux, on serait obligé de n'en faire
qu'une pour chaque espèce, BUFF., Morceaux choisis, p. 105
12° Terme de télégraphie électrique. âme du câble, le fil central ou conducteur électrique
formé d'un certain nombre de brins de métal tordus.
13° L'âme d'une pierre de construction, la partie intérieure.
14° Dans quelques cordages, l'âme est un toron qui est placé longitudinalement dans l'axe.

ESPRIT [è-spri ; le t se lie dans le parler soutenu ; au pluriel, l's se lie : des è-spri-
z élégants] s. m.
1° Souffle. L'esprit souffle où il veut. ♦ La terre était informe et toute nue, les ténèbres
couvraient la face de l'abîme, et l'esprit de Dieu était porté sur les eaux, SACI, Bible,
Genèse, I, 2
L'esprit de Dieu descendit sur les prophètes, ils reçurent l'inspiration divine.
2° Aspiration. Usité seulement en cet emploi dans la grammaire grecque : esprit rude,
signe d'aspiration ; esprit doux, signe qui marque absence d'aspiration.
3° Substance incorporelle et intellectuelle ; le souffle ayant servi, comme ce qu'il y a de
plus subtil, à désigner dans les langues l'immatérialité, ainsi qu'on le voit dans la Bible où il
est dit que Dieu souffla dans l'homme un souffle de vie pour l'animer. ♦ Qui ne croirait, à
nous voir composer toutes choses d'esprit et de corps, que ce mélange nous serait
compréhensible ?, PASC., Pensées, t. I, p. 263, édit. LAHURE. ♦ Le premier de tous les
esprits, c'est Dieu, souverainement intelligent, BOSSUET, Conn. v, 13 ♦ Dieu est esprit, dit
notre Seigneur, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité, c'est-à-dire que
cette suprême intelligence doit être adorée par l'intelligence, BOSSUET, ib. ♦ L'idée d'un
être supérieur à tous les autres êtres, qui les a tous faits, et à qui tous se doivent rapporter ;
un être souverainement parfait, qui est pur, qui n'a point commencé et qui ne peut finir, dont
notre âme est l'image, et, si j'ose le dire, une portion, comme esprit et comme immortelle,
LA BRUY., XVI ♦ De ce que je pense, je n'infère pas plus clairement que je suis esprit, que
je conclus de ce que je fais ou ne fais point, selon qu'il me plaît, que je suis libre, LA
BRUY., ib.
4° Le Saint-Esprit, l'Esprit vivifiant, l'Esprit consolateur (avec une s et un e majuscules), la
troisième personne de la Trinité. ♦ Docteurs, dites-moi donc, quand nous sommes absous,
Le Saint-Esprit est-il ou n'est-il pas en nous ?, BOILEAU, Épît. XI ♦ C'est le Saint-Esprit
qui est en nous le principe immédiat et substantiel de toutes les opérations de la grâce,
BOURD., Mystère, Pentecôte, t. I, p. 465 ♦ Le Saint-Esprit est essentiellement ferveur et
amour, BOURD., ib. p. 472
On dit aussi l'Esprit-Saint.
L'ordre du Saint-Esprit, ordre institué par Henri III en 1597 ; le nombre des chevaliers
était borné à cent, sans y comprendre les commandeurs ecclésiastiques et les officiers de
l'ordre.
5° Les esprits, les substances incorporelles, telles que les anges et les démons. ♦ Il me
semble que la science des esprits appartient bien plus à la théologie révélée qu'à la théologie
naturelle, D'ALEMB., Encycl. Disc. prélim.
Les esprits célestes, les anges. ♦ Pareil à ces esprits que ta justice envoie, Quand son roi
lui dit : pars, il s'élance avec joie, RAC., Esth. Prol.
Les esprits de ténèbres, les anges déchus. ♦ Il y a à Endor une femme qui a un esprit de
Python, SACI, Bible, Rois, I, XXVIII, 7 ♦ J'irai et je serai un esprit menteur dans la bouche
de tous ses prophètes, SACI, ib. III, II, 22 ♦ Il n'était bruit aux champs comme à la ville Que
d'un manant qui chassait les esprits, LA FONT., Belph. ♦ Ceux qui sont possédés du malin
esprit, BOSSUET, Nouv. myst. 17 ♦ Je veux raconter la victoire que les fidèles remportèrent
sur les esprits de l'abîme, CHATEAUB., Mart. III ♦ Revenants, lutins, noirs esprits,
Sorciers, malignes influences, à tout croire on m'avait appris, BÉRANG., Feux foll.
Les esprits immondes, les diables.
Fig. L'esprit du démon, pensée malfaisante qui germe en nous et qui se révèle par
quelque action méchante. Il est animé par l'esprit du démon.
Esprit follet, sorte de lutin familier qui, selon le préjugé populaire, est plus espiègle que
méchant. ♦ J'espère que les zéphyrs, qui sont du nombre des esprits doux, me seront
favorables, et que, devant que cette lettre soit en France, je pourrai être en Angleterre,
VOIT., Lett. 42
Esprit familier, sorte de génie que l'on croyait attaché à une personne pour la guider,
l'inspirer. Le démon ou esprit familier de Socrate.
Revenant, apparition d'un mort. ♦ L'hôtesse.... Soutient toujours qu'il revient des esprits,
LA FONT., Rém. ♦ L'hôtesse, étant alors sans chambrière, Court à la cave, et, de peur des
esprits, Mène avec soi madame Simonette, LA FONT., ib. ♦ Sa femme [à d'Heudicourt]
avec tout son esprit craignait les esprits jusqu'à avoir des femmes à gages pour la veiller
toutes les nuits, SAINT-SIMON, 218, 183
Esprits frappeurs, esprits écrivains, âmes de morts que, depuis quelques années, certaines
gens s'imaginent venir frapper aux portes et aux murailles, ou conduire la plume ou le
crayon de personnes qui écrivent, et substituer leur pensée à celle de ces personnes.
6° La vie considérée, suivant l'opinion ancienne, en tant qu'elle est le souffle. ♦ Un esprit
vit en nous et meut tous les ressorts, LA FONT, Fabl. x, 1
Rendre l'esprit, mourir. ♦ Et fais que sur ma tombe Arcas rende l'esprit, ROTR., Hercule
mour. v, 1
7° Les corps légers et subtils qu'on regardait comme le principe de la vie et des sentiments.
Esprits vitaux. ♦ Enfin il se trahit lui-même Par les esprits sortant de son corps échauffé ;
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé, Conclut que c'est son lièvre...., LA FONT., Fabl. v,
17 ♦ M. de Turenne reçut le coup au travers du corps, vous pouvez penser s'il tomba et s'il
mourut ; cependant le reste des esprits fit qu'il se traîna la longueur d'un pas et que même il
serra la main par convulsion, et puis on jeta un manteau sur son corps, SÉV., 201 ♦ Des
armées médiocres à la vérité, mais semblables à ces corps vigoureux où il semble que tout
soit nerfs et où tout est plein d'esprits, BOSSUET, Hist. III, 5 ♦ Le philosophe use ses
esprits à démêler les vices des hommes, LA BRUY., I ♦ Rendre à mon sang glacé son
ancienne chaleur, à mon corps, à mes sens leur première vigueur, Et d'esprits tout nouveaux
réchauffer ma pensée, CHAUL., à Mme de Lassay.
Reprendre ses esprits, revenir à soi, sortir de syncope. ♦ J'ai senti défaillir ma force et
mes esprits : Ses femmes m'entouraient quand je les ai repris, RAC., Bajazet, v, 1 ♦ Moi qui
n'ai pu tantôt, de ta mort menacée, Retenir mes esprits prompts à m'abandonner, RAC., ib. v,
12 ♦ On le porta au château, où l'on n'épargna rien pour lui faire reprendre ses esprits,
LESAGE, Diable boit. 15 ♦ Je me meurs. - Dieux puissants ! rappelez ses esprits, VOLT.,
Mérope, III, 4
En un sens moins restreint, se remettre. ♦ Mais n'appréhende plus, je reprends mes
esprits, MOL., l'Ét. IV, 3 ♦ Permettez, messieurs, que je reprenne ici mes esprits, FLÉCH.,
Lam.
Esprits animaux, fluide imaginaire qu'on supposait formé dans le coeur et dans le
cerveau et distribué, par le moyen des nerfs, dans toutes les parties du corps. ♦ Ce qu'il y a
de plus remarquable, c'est la génération des esprits animaux, qui sont comme un vent très
subtil, ou plutôt comme une flamme très pure et très vive, qui, montant continuellement en
grande abondance du coeur dans le cerveau, se va rendre de là par les nerfs dans les muscles
et donne le mouvement à tous les membres, DESC., Méth. v, 8 ♦ Ce que tous les
anatomistes ont nommé esprits animaux..., MAIRAN, Éloges, Petit ♦ Je me sers ici
d'expressions qui ne doivent pas être prises à la lettre : nous ignorons la nature des esprits
animaux ; ils sont encore plus hors de la portée de nos sens et de nos instruments que les
vaisseaux qui les filtrent ou les préparent, BONNET, Ess. anal. âme, ch. 4
Les petits esprits, s'est dit quelquefois pour esprits animaux. ♦ Je vous aime trop pour
que les petits esprits ne se communiquent pas de vous à moi, et de moi à vous, SÉV., 5 juill.
1671
8° Terme de chimie. Substance qui s'échappe des corps soumis à la distillation et qui, à
cause de sa subtilité, fut comparée au souffle. Esprit-de-vin. Les esprits alcooliques. ♦ Il
s'agissait des droits sur l'esprit-de-vin, et de la manière d'avoir égard, dans les droits
d'entrée, aux différents degrés de force de cette liqueur, CONDORCET, Monsigni.
Terme de commerce. Absolument. Les esprits, nom des liqueurs alcooliques, et, en
particulier, de l'esprit-de-vin.
Terme d'ancienne chimie. Esprit volatil, nom donné à tous les sous-carbonates
d'ammoniaque provenant de la distillation de matières animales. Esprit de sel, solution
d'acide chlorhydrique dans l'eau. Esprit de nitre, acide azotique étendu d'eau. Esprit de
vitriol, acide sulfurique étendu d'eau. Esprit ardent, l'alcool très rectifié. Esprit alcalin, le
gaz ammoniac.
Esprits ou eaux spiritueuses, nom donné par les anciens chimistes à des alcools chargés,
par distillation, des principes médicamenteux de drogues simples.
Esprit recteur, nom que Boerhaave avait donné au liquide odorant qu'on obtient de la
distillation directe des végétaux aromatiques.
Terme d'alchimie. Esprit fugitif, le mercure. Esprit universel, substance subtile et rare
qui, réunie à son solide, régit et vivifie toute la nature.
9° L'âme de l'homme. L'esprit et le corps. ♦ Saint Paul appelle Dieu le père de tous les
esprits, c'est-à-dire de toutes les créatures intellectuelles, capables de s'unir à lui,
BOSSUET, Conn. v, 13 ♦ Encore que notre esprit soit de nature à vivre toujours, il
abandonne à la mort tout ce qu'il consacre aux choses mortelles, BOSSUET, Duch. d'Orl.
Être ravi en esprit, avoir une vision qui transporte l'âme dans les régions célestes.
Terme de l'Écriture sainte. L'esprit, par opposition à la chair. L'esprit est prompt et la
chair est faible. ♦ Ne demande jamais à ta chair infidèle Ce qu'elle veut ou ne veut pas ;
Range-la sous l'esprit, et fais qu'en dépit d'elle Son esclavage ait pour toi des appâts, CORN,
Imit. III, 11 ♦ Ceux qui vivaient selon l'esprit, ceux qui vivaient selon la chair, BOSSUET,
Hist. I, 1 ♦ Quand saint Paul dit que la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la
chair, il entend que la partie intelligente combat la partie sensitive ; que l'esprit, capable de
s'unir à Dieu, est combattu par le plaisir sensible attaché aux dispositions corporelles,
BOSSUET, Conn. v, 13 En esprit, spirituellement. ♦ Les Gentils s'unissent en esprit aux
Juifs, BOSSUET, Hist. II, 7 ♦ Vous n'adoreriez pas le Seigneur en esprit, MASS., Car.
Culte.
Les esprits bienheureux, les âmes qui sont en paradis. ♦ Des esprits bienheureux la
troupe l'environne, TRISTAN, Mariane, v, 3
10° Grâce et don de Dieu. L'esprit de prophétie. L'esprit d'Elie se reposa sur Élisée.
♦ L'esprit du Seigneur fut en lui et il jugea Israël, SACI, Bible, Juges, III, 10 ♦ Ce roi qui
avait l'esprit de prophétie, PASC., Prov. 18 ♦ Des hommes à qui l'Esprit-Saint n'avait pas
été donné ce semble avec mesure, MASS., Car. Culte. ♦ Le Seigneur a retiré son esprit du
milieu de cette Église infidèle, MASS., Myst. Assompt. ♦ Le fanatique recevait l'esprit ; on
le lui conférait en lui soufflant dans la bouche, VOLT., Louis XIV, 36
Chercher l'esprit, se disait, entre les puritains, d'un recueillement mental de dévotion où
l'on attendait quelque inspiration du Seigneur.
11° En particularisant le sens d'esprit, l'âme considérée comme l'agent des pensées, des
souvenirs, des volontés. ♦ L'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des
organes des corps, que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément
les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici, je crois que c'est dans la
médecine qu'il faut le chercher, DESC., Méth. VI, 2 ♦ Mais la pudeur peut tout sur l'esprit
d'une fille Dont la vertu répond à l'illustre famille, CORN., Théod. II, 7 ♦ Et j'ai l'esprit,
seigneur, d'autant plus satisfait, Que mon sang rompt le cours du mal que j'avais fait,
CORN., Nicom. v, 10 ♦ Vous ne me dites rien que ce que j'en ai dit, Lorsqu'à Léon tantôt j'ai
dépeint son esprit, CORN., Pulch. IV, 1 ♦ Peut-il dans ton esprit passer pour innocent ?,
MAIRET, Mort d'Asdr. I, 4 ♦ Et mettre en ton esprit cet éternel effroi Que le crime en tous
lieux met aux âmes sans foi, MAIRET, ib. v, 3 ♦ Le temps m'a de l'esprit son portrait effacé,
ROTR., Bélis. I, 2 ♦ Mais combien mon esprit répugne à ce devoir !, ROTR., Hercule mour.
v, 2 ♦ Tout en tout est divers ; ôtez-vous de l'esprit Qu'aucun être ait été composé sur le
vôtre, LA FONT., Fabl. IX, 12 ♦ Le coeur a son ordre ; l'esprit a le sien qui est par principes
et démonstrations ; le coeur en a un autre, PASC., Pensées, t. I, p. 288, édit. LAHURE.
♦ Quoi ! toujours Andromaque occupe votre esprit, RAC., Androm. II, 5 ♦ Où laissé-je
égarer mes voeux et mon esprit ?, RAC., Phèd. I, 3 ♦ Toi-même en ton esprit rappelle le
passé, RAC., ib. II, 5 ♦ Ce qui est arrivé dans une même secte, c'est ce qui arrive à toute
heure dans un même esprit ; et l'expérience nous fait voir qu'il se divise lui-même et qu'il se
confond, dès qu'il est assez malheureux pour ne s'attacher pas à la simplicité de la foi,
BOURDAL., Carême, Sur la paix chrétienne ♦ Il pesait les esprits et donnait à chacun le
rang qu'il méritait, FLÉCH., M. de Montausier. ♦ Par le mot esprit, j'entends tout être
pensant, BOULLAINVILLIERS, Réfut. de Spinosa, p. 90 ♦ De quelque côté qu'il tourne son
esprit, soit qu'il rappelle le passé, soit...., MASS., Av. Mort du péch.
S'emparer de l'esprit de quelqu'un, gagner sa confiance au point de pouvoir le diriger.
Être bien dans l'esprit de quelqu'un, posséder ses bonnes grâces, sa bienveillance.
Se mettre bien dans l'esprit de quelqu'un, gagner son amitié, sa bienveillance. ♦ Songez
seulement à bien vous mettre dans l'esprit de mon père, MOL., l'Avare, I, 1 ♦ Pour se bien
mettre dans l'esprit du roi, HAMILT., Gramm. 7
Se dit aussi dans le même sens au pluriel, en poésie. ♦ Junie .... S'est vue en ce palais
indignement traînée ; Hélas ! de quelle horreur ses timides esprits à ce nouveau spectacle
auront été surpris !, RAC., Brit. I, 3 ♦ Quoi donc ! à me gêner appliquant mes esprits, J'irai
faire à mes yeux éclater ses mépris !, RAC., Bajaz. IV, 4 ♦ D'horreur et de pitié mes esprits
déchirés, VOLT., Mort de Cés. III, 2 ♦ Un sexe dangereux dont les faibles esprits....,
VOLT., Tancr. I, 1
Mettre en l'esprit, suggérer, inspirer. ♦ Et les tristes discours Que te met en l'esprit
l'amitié paternelle, MALH., IV, 18 ♦ N'y a-t-il point quelque Dieu qui me met en l'esprit ces
pensées ?, DESC., Médit. II, 3 ♦ Tu te mets en l'esprit une crainte frivole, CORN., Suivante,
II, 9
Venir en l'esprit, se dit des pensées qui surviennent. ♦ Chacun disait ce qui lui venait
dans l'esprit, FÉN., Tél. v.
Perdre l'esprit, devenir fou. ♦ J'aurais perdu l'esprit si j'osais me vanter Qu'avec ce peu de
gens nous puissions résister, CORN., Rodog. III, 2 ♦ Elle a besoin de six grains d'ellébore,
Monsieur, son esprit est tourné, MOL., Amph. II, 2 ♦ C'est une radoteuse, elle a perdu
l'esprit, LA FONT., Fabl. x, 2
Où avait-il l'esprit quand.... ? à quoi pensait-il quand.... ? ♦ Je ne sais pas où j'avais
l'esprit, SÉV., 202
En esprit, par la pensée, en imagination. ♦ Il voyait en esprit le rang qu'ils devaient tenir,
BOSSUET, Serm. Sept. ♦ Jacob vit en esprit le secret de cette élection, BOSSUET, Hist. II,
2 ♦ La lettre dont Votre Majesté m'honore m'a transporté en esprit à Orembourg, VOLT.,
Lett. à Cath. 136 ♦ Là, pesant mes projets, de Néron massacré Je foulais en esprit le corps
défiguré, LEGOUVÉ, Épich. et Néron, 1, 3
Familièrement. Il a l'esprit au talon, se dit quand quelqu'un fait une lourde faute, ou
quand il est distrait, préoccupé.
12° Présence d'esprit, qualité de l'esprit par laquelle on fait ou dit sans hésitation ni
délibération ce qui est à propos.
Dans le même sens. ♦ J'ai eu bon esprit de la laisser là, SÉV., 155
13° Il se dit en particulier des facultés intellectuelles, de l'aptitude à comprendre, à saisir, à
juger. Esprit solide, orné. Cultiver son esprit. Avoir un esprit vif et pénétrant. Avoir l'esprit
ouvert. Avoir l'esprit borné, bouché. Il n'a pas l'esprit de régler ses affaires. ♦ Je n'ai jamais
fait beaucoup d'état des choses qui venaient de mon esprit, DESC., Méth. VI, 2 ♦ Bien que
j'aie expliqué mes opinions à des personnes de très bon esprit et qui, pendant que je leur
parlais, semblaient les entendre fort distinctement, DESC., ib. VI, 6 ♦ L'esprit est toujours la
dupe du coeur, LA ROCHEF., Max. 102 ♦ Tous ceux qui connaissent leurs esprits ne
connaissent pas leur coeur, LA ROCHEF., ib. 103 ♦ Il y a deux sortes d'esprits : l'une de
pénétrer vivement et profondément les conséquences des principes, et c'est là l'esprit de
justesse ; l'autre, de comprendre un grand nombre de principes sans les confondre, et c'est là
l'esprit de géométrie ; l'un est force et droiture d'esprit, l'autre est amplitude d'esprit, PASC.,
Pensées, art. VII, 2 ♦ Tout l'éclat des grandeurs n'a point de lustre pour les gens qui sont
dans les recherches de l'esprit ; la grandeur des gens d'esprit est invisible aux rois, aux
riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair, PASC., Pensées, art. XVII, 1, édit.
HAVET. ♦ Archimède, sans éclat, serait en même vénération ; il n'a pas donné des batailles,
mais il a fourni à tous les esprits ses inventions, PASC., ib. ♦ Mon esprit diminue, au lieu
qu'à chaque instant On aperçoit le vôtre aller en augmentant, LA FONT., Fabl. XII, 1
♦ L'homme du meilleur esprit est inégal ; il souffre des accroissements et des diminutions,
LA BRUY., XI ♦ Le mot esprit, quand il signifie une qualité de l'âme, est un de ces mots
vagues, auxquels tous ceux qui les prononcent attachent presque toujours des sens
différents : il exprime autre chose que jugement, génie, goût, talent, pénétration, étendue,
grâce, finesse, et il doit tenir de tous ces mérites : on pourrait le définir raison ingénieuse,
VOLT., Dict. phil. Esprit, II ♦ On a émis la question, si tous les hommes sont nés avec le
même esprit, les mêmes dispositions pour les sciences, et si tout dépend de leur éducation et
des circonstances où ils se trouvent, ID., ib. v ♦ Il n'y avait de réel que l'esprit, dont en effet
il avait beaucoup, c'est-à-dire une conception aisée, une grande pénétration, beaucoup de
discernement, de la mémoire et de l'éloquence, Mme DE CAYLUS, Souv. p. 243, dans
POUGENS ♦ L'esprit ne crée rien, mais il opère sans cesse sur cette multitude presque
infinie de perceptions diverses qu'il acquiert par le ministère des sens, BONNET, Paling.
XXII, 2 ♦ Un esprit élevé ne daigne apercevoir dans son objet que les rapports qui
l'agrandissent, MARMONTEL, Élém. litt. Oeuvres, t. x, p. 198, dans POUGENS ♦ Un esprit
profond ne s'arrête jamais aux apparences superficielles, sa méditation s'exerce à sonder son
objet et à tirer comme de ses entrailles, ex visceribus rei, ce qu'il y a de plus riche et de plus
enfoui, MARMONTEL, ib. p. 197
L'esprit et le coeur, la partie intellectuelle et la partie morale de l'homme. ♦ J'appelle
mondains, terrestres ou grossiers, ceux dont l'esprit et le coeur sont attachés à une petite
portion de ce monde qu'ils habitent, qui est la terre, LA BRUY., XVI
Rollin ayant fait un ouvrage à l'usage de la jeunesse pour se former l'esprit et le coeur, un
grand nombre d'auteurs avaient imité ce titre, et c'est d'eux que Voltaire se moque : ♦ Que je
vous sais bon gré, dit-il, de n'avoir point dit l'esprit et le coeur ; car on n'entend que ces mots
dans les conversations de Babylone, on ne voit que des livres où il est question du coeur et
de l'esprit, composés par des gens qui n'ont ni de l'un ni de l'autre, VOLT., Zadig, 15
Bon esprit, un esprit qui a les qualités requises. ♦ Il a un bon esprit ; il sait bien ce qu'il
sait, SÉV., 548 ♦ Le bon esprit consiste à retrancher tout discours inutile et à dire beaucoup
en peu de mots, FÉN., Éduc. filles, ch. 9 ♦ Elle savait que le bon esprit consiste à se
conformer à sa situation, VOLT., Princ. de Babyl. 4 ♦ Il y a bien loin du grand talent au bon
esprit, VOLT., Lett. la Touraille, 12 mai 1766 ♦ Votre esprit est vif et curieux, C'est le bon
esprit à votre âge, ST-LAMBERT, à Mlle ***.
Avoir le bon esprit de, être assez raisonnable pour. Il eut, dans cette affaire, le bon esprit
de céder.
Avoir l'esprit bien fait, avoir un bon esprit. ♦ Il a l'esprit bien fait, SÉV., 286 ♦ La nièce
aura l'esprit mieux fait que le neveu, REGNARD, Légat. III, 6 En un autre sens, il a l'esprit
bien fait, il ne se fâche pas des contrariétés, des plaisanteries.
Esprit faux, esprit qui ne sait pas démêler l'erreur d'avec la vérité. ♦ Les plus grands
génies peuvent avoir l'esprit faux sur un principe qu'ils ont reçu sans examen : Newton avait
l'esprit très faux quand il commentait l'Apocalypse, VOLT., Dict. phil. Esprit, VI ♦ Un
esprit faux est un esprit très borné : c'est un esprit qui n'a pas contracté l'habitude
d'embrasser un grand nombre d'idées ; vous voyez par là qu'il doit souvent en laisser
échapper les rapports, CONDIL., Art d'écr. I, 1 ♦ Le caractère de l'esprit juste, c'est d'éviter
l'erreur, en évitant de porter des jugements ; il sait quand il faut juger, l'esprit faux l'ignore
et juge toujours, ID., ib.
Esprit particulier, se dit parmi les protestants, de la connaissance que chacun peut avoir
sur le véritable sens des Écritures et des dogmes.
14° L'esprit humain, l'esprit de l'homme en général. ♦ Lorsque j'ai voulu descendre aux
choses qui étaient plus particulières, il s'en est tant présenté à moi de diverses, que je n'ai
pas cru qu'il fût possible à l'esprit humain de distinguer les formes ou espèces de corps qui
sont sur la terre, si ce n'est qu'on vienne au-devant des causes par les effets et qu'on se serve
de plusieurs expériences particulières, DESC., Méth. VI, 3 ♦ Si l'esprit humain est si peu de
chose, même lorsqu'il s'agite et qu'il cherche la vérité, que sera-ce lorsqu'il s'abandonne au
poids de son corps et qu'il n'agit presque que par les sens ?, NICOLE, Ess. mor. 1er traité,
ch. 10 ♦ L'esprit humain a son enfance et sa virilité ; plût au ciel qu'il n'eût pas aussi son
déclin, sa vieillesse et sa caducité !, DIDEROT, Opin. des anc. phil. (éclectisme).
15° En un sens plus particulier que celui d'ensemble des facultés intellectuelles, vivacité
d'esprit qui fait trouver des saillies piquantes, des mots spirituels, des aperçus ingénieux. Il
n'y a point d'esprit dans ce livre. Traits d'esprit. ♦ Vous avez de l'esprit si vous n'avez du
coeur, CORN., Nicom. III, 4 ♦ Peu d'esprit avec de la droiture ennuie moins à la longue que
beaucoup d'esprit avec du travers, LA ROCHEF., Max. 502 ♦ Eh ! mon Dieu, il y en a
beaucoup que le trop d'esprit gâte, qui voient mal les choses à force de lumière, et même qui
seraient bien fâchés d'être de l'avis des autres pour avoir la gloire de décider, MOL., Crit. 6
♦ Ah ! certes, le détour est d'esprit, je l'avoue, MOL., Femmes sav. I, 4 ♦ Nul n'aura de
l'esprit, hors nous et nos amis, MOL., ib. III, 2 ♦ C'est un homme qui me paraît avoir de
l'esprit, SÉV., 41 ♦ Je dînai avec des gens qui ont bien de l'esprit, SÉV., 423 ♦ À mesure
qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux ; les gens du commun ne
trouvent pas de différence entre les hommes, PASC., Pensées, t. I, p. 284, édit. LAHURE.
♦ Considérez la princesse, représentez-vous cet esprit qui, répandu par tout son extérieur, en
rendait les grâces si vives, BOSSUET, Duch. d'Orl. ♦ Ceux qui se piquaient d'avoir de
l'esprit, BOSSUET, Var. 9 ♦ Rire des gens d'esprit, c'est le privilége des sots ; ils sont dans
le monde, ce que les fous sont à la cour, je veux dire sans conséquence, LA BRUY., V ♦ Il
est moins rare de trouver de l'esprit que des gens qui se servent du leur, ou qui fassent valoir
celui des autres et le mettent à quelque usage, LA BRUY., II ♦ Incapable de savoir jusqu'où
l'on peut avoir de l'esprit, il croit naïvement que ce qu'il en a est tout ce que les hommes en
sauraient avoir, LA BRUY., ib. ♦ Mme de Longueville était alors dans cette grande piété où
elle a fini ses jours, et l'on sait que dans l'un et dans l'autre temps de sa vie elle a fait un cas
infini de l'esprit, non pas seulement de cet esprit qui rend un homme habile dans un certain
genre et qui y est attaché, mais principalement de celui qu'on peut porter partout avec soi,
FONTEN., Dodart. ♦ Son plus beau feu [de l'esprit] se convertit en glace Dès qu'une fois il
luit hors de sa place, Et rien enfin n'est plus froid qu'un écrit Où l'esprit brille aux dépens de
l'esprit, J. B. ROUSS., Ép. II, 3 ♦ Qu'est-ce qu'esprit ? raison assaisonnée, J. B. ROUSS., ib.
I, 3 ♦ Son esprit [de Pellisson] lui servait non pas à en montrer, mais à en donner ; et l'on
sortait d'avec lui, non pas persuadé qu'il eût plus d'esprit qu'un autre, mais se flattant d'en
avoir pour le moins autant que lui, D'OLIVET, Hist. Acad. t. II, p. 285, dans POUGENS
♦ Ce qu'on appelle esprit est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine ; ici
c'est l'abus d'un mot qu'on présente dans un sens et qu'on laisse entendre dans un autre ; là
un rapport délicat entre deux idées peu communes ; c'est une métaphore singulière ; c'est
une recherche de ce qu'un objet ne présente pas d'abord, mais de ce qui est en effet dans lui ;
c'est l'art, ou de réunir deux choses éloignées, ou de diviser deux choses qui paraissent se
joindre, ou de les opposer l'une à l'autre ; c'est celui de ne dire qu'à moitié sa pensée pour la
laisser deviner ; enfin je vous parlerais de toutes les différentes façons de montrer de l'esprit,
si j'en avais davantage, VOLT., Dict. phil. Esprit, I ♦ Loin que j'aie reproché à Voiture
d'avoir mis de l'esprit dans ses lettres, j'ai trouvé, au contraire, qu'il n'en avait pas assez,
quoiqu'il le cherchât toujours, VOLT., ib. ♦ Au peu d'esprit que le bonhomme avait, L'esprit
d'autrui par supplément servait, VOLT., Pauvre diable. ♦ L'esprit qu'on veut avoir gâte celui
qu'on a, GRESSET, Méch. IV, 7 ♦ On n'applaudit guère dans un cercle que le genre d'esprit
que l'on croit avoir, GENLIS, Mme de Maintenon, t. I, p. 170, dans POUGENS
Faux esprit. ♦ Le faux esprit est autre chose que de l'esprit déplacé ; ce n'est pas
seulement une pensée fausse ; car elle pourrait être fausse, sans être ingénieuse ; c'est une
pensée fausse et recherchée, VOLT., Dict. phil. Esprit, II
Avoir de l'esprit en argent comptant ou argent comptant, en montrer sans préparation et
aussitôt que la circonstance l'exige. ♦ Il [Panard] n'avait de l'esprit que quand il écrivait ; il
ne l'avait point en argent comptant, comme disait M. de Marivaux, COLLÉ, Journal, t. III,
p. 197
Avoir de l'esprit jusqu'au bout des doigts, faire paraître de l'esprit jusque dans les petites
choses.
Avoir de l'esprit au bout des doigts, être adroit aux ouvrages de la main.
Faire de l'esprit, se fatiguer à montrer de l'esprit.
On dit de même courir après l'esprit.
Bureau d'esprit, se dit d'un salon qui passe pour recevoir des causeurs très spirituels.

PROVERBE
L'esprit court les rues, rien n'est plus commun que l'esprit, tout le monde se pique d'en avoir.
Cet enfant a trop d'esprit, il ne vivra pas, se dit d'un enfant qui a beaucoup d'esprit, et,
plus souvent, ironiquement, d'un enfant qui n'a guère de dispositions.
C'est dans le sens de ce dicton que la Fontaine a dit : Cette réflexion embarrassant notre
homme : On ne dort pas, dit-il, quand on a tant d'esprit, Fabl. IX, 4.
Vive les gens d'esprit, se dit, soit sérieusement, soit en se moquant, des gens qui
s'imaginent avoir trouvé un bon expédient.
On dit dans un sens analogue que l'amour fait venir l'esprit aux filles. ♦ Comment l'esprit
vient aux filles, LA FONT., Titre d'un de ses contes. ♦ Et mort de ma vie, madame, ce n'est
pas l'esprit qui donne de l'amour ; c'est l'amour qui fait venir de l'esprit, DANCOURT, la
Parisienne, sc. 7
16° En particularisant autrement esprit pris au sens d'âme, les sentiments de l'âme. ♦ Ton
esprit amoureux n'aura-t-il point d'ombrage ?, CORN., Cid, II, 3 ♦ Votre amour en tous
deux fait ce combat d'esprits, CORN., Cinna, II, 1 ♦ Depuis que mon esprit est capable de
flamme, Jamais un trouble égal n'a confondu mon âme, CORN., Méd. I, 2 ♦ Ah ! cruels
déplaisirs à l'esprit d'une amante, CORN., Cid, IV, 3 ♦ Ce que j'ai dans l'esprit, je ne le puis
celer, CORN., Gal. du palais, II, 9 ♦ Ne vous entr'appeler que mon âme et ma vie, C'est
montrer que tous deux vous n'avez qu'une envie, Et que d'un même trait vos esprits sont
blessés, CORN., Veuve, I, 3 ♦ Madame, puissiez-vous lire dans mon esprit ; Vous verriez
jusqu'où va ma pure obéissance, CORN., ib. I, 3 ♦ Ainsi que la naissance, ils ont les esprits
bas, CORN., Pomp. IV, 2 ♦ Ainsi, de vos désirs toujours reine absolue, Les plus grands
changements vous trouvent résolue ; De la plus forte ardeur vous portez vos esprits Jusqu'à
l'indifférence et peut-être au mépris, CORN., Poly. II, 2
Changer d'esprit, changer de sentiment, de disposition. ♦ Avec votre jalouse elle a
changé d'esprit ; Et je l'avais laissée à l'hymen toute prête, CORN., Perth. III, 3 ♦ Le temps,
qui change tout, a changé mes esprits, VOLT., Oreste, I, 5
17° Humeur, caractère. Un esprit remuant, turbulent, inquiet, brouillon. Un esprit souple,
volage, faible. ♦ Je ne suis point d'humeur à vouloir contre vous Faire éclater, madame, un
esprit trop jaloux, MOL., Sgan. 22
18° Bel esprit, la culture des belles-lettres, de la littérature. ♦ Et pour l'homme au sonnet
qui s'est jeté dans le bel esprit et veut être auteur malgré tout le monde, MOL., Mis. v, 4 ♦ Ô
vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse, Courez du bel esprit la carrière épineuse,
BOILEAU, Art poet. I ♦ Le faux bel esprit tient de plus près qu'on ne croit à la barbarie,
D'ALEMB., Éloges, Terrasson.
Un bel esprit, de beaux esprits, ceux qui se distinguent par l'élégance et la délicatesse,
parfois affectées. ♦ Il [Boisrobert proposant à Balzac de le mettre de l'Académie française
nouvellement créée] me parlait seulement, en termes vagues et généraux, d'une académie
des beaux esprits, et m'ordonnait d'écrire une lettre pour demander d'y être reçu, BALZ.,
Lett. à Conrart, 2 nov. 1653 ♦ L'ambition de passer pour bel esprit, HAMILT., Gramm. 6
Une femme bel esprit, une femme qui a des prétentions aux connaissances qui
constituent le bel esprit. ♦ Une femme bel esprit est le fléau de son mari, de ses enfants, de
ses amis, de ses valets, de tout le monde, J. J. ROUSS., Émile, V Esprit, absolument, pour
bel esprit. ♦ Le duc de Charost fut attrapé par une madame Martel, vieille bourgeoise de
Paris, qui était un esprit et qui voyait assez bonne compagnie, SAINT-SIMON, 221, 241
♦ Le vieux Caderousse avait fait l'esprit et l'important, puis le dévot, SAINT-SIMON, 383,
169 ♦ Il [Louis XIV] préférait la soumission aux lumières, et disait quelquefois qu'il
craignait les esprits, DUCLOS, Règne de Louis XIV, Oeuvres, t. v, p. 175, édit. DELAUNAY.
20° Il se dit des personnes considérées par rapport au caractère de leur esprit. ♦ Les esprits
généreux jugent tout par eux-mêmes, CORN., Théod. IV, 1 ♦ Et ces esprits légers,
approchant des abois, Pourraient bien se dédire une seconde fois, CORN., Nicom. IV, 2
♦ Faites quelque indulgence à de jeunes esprits, ROTR., Antig. v, 4 ♦ Tout ce que vous avez
été durant vos jours, C'est-à-dire un esprit chaussé tout à rebours, MOL., l'Étour. II, 14 ♦ Un
de ces esprits remuants et audacieux qui semblent être nés pour changer le monde ; que le
sort de tels esprits est hasardeux, et qu'il en paraît dans l'histoire à qui leur audace a été
fatale !, BOSSUET, Reine d'Anglet. ♦ Mais je ne puis souffrir qu'un esprit de travers, Qui,
pour rimer des mots, pense faire des vers, Se donne en te louant une gêne inutile,
BOILEAU, Disc. au roi. ♦ Je sais qu'un noble esprit peut sans honte et sans crime Tirer de
son travail un tribut légitime, BOILEAU, Art p. IV ♦ L'honneur seul peut flatter un esprit
généreux, RAC., Esth. II, 5 ♦ Ciel ! verra-t-on toujours par de cruels esprits Des princes les
plus doux l'oreille environnée ?, RAC., Esth. III, 4 ♦ Il y a des esprits, si j'ose le dire,
inférieurs et subalternes qui ne semblent faits que pour être le recueil, le registre ou le
magasin de toutes les productions des autres génies, LA BRUY., I ♦ Pour trois ou quatre
esprits mal timbrés, de travers, N'allez pas, emporté d'une critique vaine, Faire ici le procès
à la nature humaine, REGNARD, Épît. I ♦ Il est de ces esprits favorisés des cieux Qui sont
tout par eux-même et rien par leurs aïeux, VOLT., Fanat. I, 4 ♦ Personne ne conviendra que
tous les esprits soient également propres aux sciences, et ne diffèrent que par l'éducation,
VOLT., Lett. Gallitzin, 19 juin 1773
Un grand esprit, un homme dont les pensées ont étendue, portée, profondeur, non sans
générosité d'âme. ♦ Il y a bien de la différence entre un bel esprit, un grand esprit et un bon
esprit, FÉN., t. XVIII, p. 35
Un bon esprit, un homme qui juge, apprécie sainement. ♦ Communiquer au public le peu
que j'aurais trouvé, et convier les bons esprits à tâcher de passer plus outre, en contribuant,
chacun selon son inclination et son pouvoir, aux expériences qu'il faudrait faire, DESC.,
Méth. VI, 2 ♦ Mais les meilleurs esprits font des fautes extrêmes, TRISTAN, Mariane, v, 3
♦ C'est un bon esprit qui ne se mettra pas au bien à demi, BOSSUET, Lett. abb. 144 ♦ Un
bon esprit n'est pas autant qu'un autre le maître de penser comme il voudrait, FONTEN.,
Saurin. ♦ Je vis qu'un bon esprit peut suffire à tout ; notre grand Locke était médecin ; il fut
le seul métaphysicien de l'Europe, et il rétablit les monnaies de l'Angleterre, VOLT., Jenni,
4
Un petit esprit, un homme dont les pensées sont dépourvues d'étendue, de portée. ♦ À
peine les petits esprits ont-ils appris quelque chose qu'ils croient tout savoir, et il n'y a sorte
de sottise que cette persuasion ne leur fasse dire et faire, J. J. ROUSS., Rép. au roi de
Pologne.
Un esprit fort, celui qui affecte de se mettre au-dessus des opinions reçues, surtout en
matière religieuse. ♦ Qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien,
MOL., Fest. I, 2 ♦ Les esprits forts savent-ils qu'on les appelle ainsi par ironie ? quelle plus
grande faiblesse que d'être incertain quel est le principe de son être, de sa vie, de ses sens,
de ses connaissances, et quelle en doit être la fin ?, LA BRUY., XVI ♦ Ceux qui se
donnaient pour esprits forts dans le monde, MASS., Car. Doutes.
21° Opinions, sentiments communs à un certain nombre de personnes et aux grands corps.
L'esprit de famille. L'esprit de parti. L'esprit républicain. L'esprit monarchique. ♦ Qu'à la
cour je m'engage, Je n'en ai pas l'esprit ainsi que le courage, RÉGNIER, Sat. III ♦ Il ne sort
jamais aucun ouvrage de chez nous [jésuites] qui n'ait l'esprit de la société, PASC., Prov. 9
♦ L'Église distribue des grâces toute l'année, en diverses saisons, et la dévotion des fidèles
devrait être de suivre son esprit, comme les êtres naturels ne manquent jamais de suivre
l'esprit général qui règle le cours de toute la machine du monde, NICOLE, Ess. de mor. 3e
traité, ch. 7 ♦ Il prend l'esprit des lieux où il est, SÉV., 336 ♦ L'esprit de l'Église n'est pas de
vous décharger de la croix, MASS., Car. Jeûne. ♦ De l'esprit de parti je sais quelle est la
rage, VOLT., Tancr. III, 3 ♦ Esprit d'un corps, d'une société, s'emploie pour exprimer les
usages, la manière de parler, de se conduire, les préjugés d'un corps ; esprit de parti est à
l'esprit d'un corps ce que sont les passions aux sentiments ordinaires, VOLT., Dict. phil.
Esprit, II
L'esprit est bon, l'esprit est mauvais, se dit des dispositions bonnes ou mauvaises d'une
population, de la troupe, d'une ville, etc. À l'égard du gouvernement.
Esprit de corps, attachement des membres d'une corporation aux opinions, aux intérêts,
aux droits de la compagnie, à l'honneur d'un corps de troupes, etc. ♦ L'esprit des corps porte
malheur aux meilleurs esprits, D'ALEMB., Lett. à Volt. 14 juillet 1767 ♦ Admis enfin,
aurai-je lors, Pour tout esprit, l'esprit de corps ? Il rend le bon sens, quoi qu'on dise,
Solidaire de la sottise, BÉRANG., l'Acad. et le Caveau. ♦ La plupart arrivaient par
détachements, formés en bataillons provisoires, sous des officiers nouveaux pour eux, qu'ils
devaient quitter au premier jour, sans aiguillon de discipline, d'esprit de corps ni de gloire,
et traversant un sol dévoré que la saison et le climat allaient rendre chaque jour plus nu et
plus rude, SÉGUR, Hist. de Napol. VI, 10
Esprit public, opinion qui se forme dans une nation sur les objets qui l'intéressent.
♦ Anglais, dont on nous vante ici l'esprit public, ayant fait le mot, vous avez la chose sans
doute...., P. L. COUR., Lett. X
Bureau d'esprit public, salon, réunion dont les habitués paraissent avoir la prétention de
diriger l'opinion en fait de politique.
Bureau de l'esprit public, s'est dit d'une division du ministère de l'intérieur ou de la police
où l'on s'occupe de faire ou de diriger l'esprit public par des pièces de théâtre, des fêtes, par
la presse, etc.
Esprit national, général, social, les opinions, les dispositions qui dominent dans une
nation. ♦ Les lois sont établies, les moeurs sont inspirées ; celles-ci tiennent plus à l'esprit
général, celles-là tiennent plus à une institution particulière ; or il est aussi dangereux, et
plus, de renverser l'esprit général que de changer une institution particulière, MONTESQ.,
Esp. XIX, 12 ♦ Il faudrait que l'effet pût devenir la cause ; que l'esprit social, qui doit être
l'ouvrage de l'institution, présidât à l'institution même, J. J. ROUSS., Contrat, II, 7
On dit dans un sens analogue l'esprit du siècle.
Esprit du monde, habitudes de politesse et de ménagement. ♦ L'esprit du monde est un
esprit de souplesse et de ménagement, MASS., Myst. Pentecôte.
22° Les esprits, les hommes d'un état, d'un corps, d'une assemblée, considérés par rapport
aux dispositions collectives qui les animent. Les esprits étaient irrités. Calmer les esprits.
♦ Cette fureur mit la compassion Dans les esprits d'une autre nation [les pigeons] Au cou
changeant, au coeur tendre et fidèle, LA FONT., Fabl. VII, 8 ♦ Exercé dans la connaissance
des hommes et dans l'art de manier les esprits, le cardinal d'Estrées en fit un usage heureux
dans plusieurs conclaves, D'ALEMB., Éloges, Card. d'Estrées.
23° Principes, motifs, impulsions, tendances, d'après lesquels on se dirige. L'esprit d'une
législation. ♦ Je crois pouvoir dire qu'un maître qui voudrait être honoré et servi, comme
ayant en lui-même une autre puissance que celle de Dieu, serait un démon ; et que ceux qui
le serviraient dans cet esprit seraient des idolâtres, MALEBR., Rech. vér. Éclairc. liv. VI, t.
IV, p. 331, dans POUGENS ♦ Et dans tout ce qu'il dit De vous et de Joad je reconnais
l'esprit, RAC., Athal. II, 7 ♦ Comprends l'esprit de Rome et connais le sénat, VOLT.,
Brutus, v, 2 ♦ L'esprit de Mahomet par ma bouche a parlé, VOLT., Fanat. II, 2 ♦ l'esprit de
la monarchie est la guerre et l'agrandissement ; l'esprit de la république est la paix et la
modération, MONTESQ., Esp. IX, 2 ♦ Plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat,
la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les
moeurs, les manières ; d'où il se forme un esprit général qui en résulte, MONTESQ., ib.
XIX, 4 ♦ Des lois dont l'esprit généreux Aguerrit aux dangers ce peuple valeureux,
LEMIERRE, Barnevelt, I, 2
Avoir l'esprit de son état, de son âge, connaître et pratiquer ce qui convient à son état, à
son âge. ♦ Qui n'a pas l'esprit de son âge, De son âge a tout le malheur, VOLT., dans le
Dict. de BESCHERELLE
Entrer dans l'esprit de son rôle, jouer un rôle comme il doit être joué.
Dans l'esprit de, dans l'intention de. ♦ Tout le monde était nourri dans l'esprit d'observer
les lois, BOSSUET, Hist. III, 3 ♦ Il nourrit ce peuple dans l'esprit de tout entreprendre,
BOSSUET, ib. III, 7 ♦ Enfin dans l'esprit de contenter ceux...., LA BRUY., Disc. s.
Théophr. ♦ M. d'Amiens dit au P. de la Chaise qu'il n'avait acheté une charge d'aumônier
que dans l'esprit de se faire évêque, SAINT-SIMON, 46, 25
Esprit de retour, le désir qu'une personne éloignée de son pays a d'y retourner. S'établir
aux colonies sans esprit de retour.
Esprit de retour, se dit aussi de certains animaux à demi domestiques qui vont et qui
viennent, notamment les pigeons et les abeilles ; ils appartiennent à leur propriétaire, même
étant hors de chez lui, tant qu'ils n'ont pas perdu l'esprit de retour.
24° Esprit de, se dit pour caractériser la force avec laquelle un sentiment, une passion, une
idée agissent. ♦ Ils [les papes] n'usent pas de domination ; mais l'esprit qui paraît en toute
leur conduite est celui de paix et de vérité, PASC., Prov. 18 ♦ La chute serait trop horrible,
de tomber dans une réforme où l'esprit d'illusion domine si fort, BOSSUET, Var. XIII, § 36
♦ Dieu, notre dieu sans doute, a versé dans son coeur Cet esprit de douceur, RAC., Esth. II,
9 ♦ Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur De la chute des rois funeste avant-coureur,
RAC., Athal. I, 2 ♦ Elle répandait au dedans de lui l'esprit de sagesse, FÉN., Tél. XI ♦ Tant
un esprit d'emportement et de fureur avait alors saisi toute la nation et même les premiers
magistrats des Étoliens, ROLLIN, Hist. anc. Oeuvres, t. VIII, p. 351, dans POUGENS ♦ Ces
grâces qui minent la force des lois et qui achèvent d'épuiser ces esprits primitifs d'ordre et
de régularité qui...., MASS., Or. fun. Villars. ♦ On vient recueillir, même sur de viles
cendres, des esprits de grandeur et d'élévation, MASS., Or. fun. Villeroy. ♦ Nous l'allons
voir .... répandre sur la contrée de sa dépendance des esprits de foi et religion, MASS.,
Panég. St François. ♦ De leur esprit de rage ils ont su m'animer, VOLT., Triumv. IV, 3
♦ L'esprit de système est dans la physique ce que la métaphysique est dans la géométrie,
D'ALEMB., Introd. précess. équin. Oeuvres, t. XIV, p. 45, dans POUGENS. ♦ Cet esprit de
tyrannie et d'oppression qui n'estime dans la fortune que le moyen d'acheter des esclaves, et
dans l'autorité que le droit odieux de faire trembler ou gémir, MARMONTEL, Élém. de litt.
t. VI, p. 49, dans POUGENS ♦ L'esprit de la prière et de la solitude Qui plane sur les monts,
les torrents et les bois...., LAMART., Harm. I, 11
Esprit de vertige, état d'égarement, d'erreur, de fascination.
25° Aptitude, disposition. Il a l'esprit des affaires, du commerce. L'esprit de chicane.
L'esprit mathématique. ♦ Il [Leibnitz] réunissait deux grandes qualités presque
incompatibles, l'esprit d'invention et celui de méthode, DIDER., Opin. des anc. philos.
(Leibnitzianisme). ♦ Le genre d'esprit qui fait chercher et trouver des routes nouvelles est
encore plus rare que le talent de l'invention, avec lequel il ne faut pas le confondre,
CONDORCET, Margraaf. ♦ L'esprit de commerce est un esprit d'intérêt, et l'intérêt produit
toujours la division, RAYNAL, Hist. phil. II, 23 ♦ Ses projets portaient l'empreinte du
génie, et l'esprit de détail qu'il avait supérieurement ne rétrécissait pas ses vues, RAYNAL,
ib. IV, 20
26° Le sens d'un auteur, d'un texte, etc. Ils n'ont pas saisi l'esprit de ce poëte. Ils ont faussé
l'esprit de la loi. ♦ Voici quel est l'esprit de notre contrat, PATRU, Plaid. 3, dans
RICHELET ♦ Ils ne font que prendre le vrai esprit de la réforme, BOSSUET, Avert. 6
♦ Prenez l'esprit et l'intention des promesses de Jésus-Christ, BOSSUET, Instr. 2 ♦ L'esprit
des grands écrivains doit se chercher non dans un passage seul, qui pourrait n'être qu'une
faute d'impression, mais dans l'usage constant et uniforme auquel nous les voyons attachés
partout ailleurs, D'OLIVET, Ess. gramm. I, 2
Le caractère d'un auteur. Il a voulu imiter cet auteur, mais il n'en a pas saisi l'esprit.
La lettre tue et l'esprit vivifie, c'est-à-dire il faut s'attacher au sens même, non aux mots.
27° Choix de pensées extraites d'un auteur. L'Esprit de Montesquieu, de Voltaire. ♦ Dans
ce siècle où l'on a mis le nom d'Esprit à la tête de tant d'ouvrages qui souvent démentent leur
titre, la plupart de nos compilations périodiques pourraient être intitulées, l'Esprit des
ignorants et des sots, D'ALEMB., Éloges, L. Cousin.
28° Aigrette de plumes que les femmes mettent dans leur coiffure. ♦ Puis des dentelles, des
fleurs, un esprit, une aigrette, PICARD, Manie de briller, III, 10
29° Tulle point d'esprit, voy. ⤷POINT.

SYNONYME
1. OUVRAGE DE L'ESPRIT, OUVRAGE D'ESPRIT., Tout ce que les hommes
inventent dans les sciences et dans les arts est un ouvrage de l'esprit. Les compositions des
gens de lettres sont des ouvrages d'esprit.
2. ESPRIT FAUX, FAUX ESPRIT., Un esprit faux est un esprit qui ne sait pas discerner
la vérité de l'erreur. Le faux esprit consiste en pensées fausses et recherchées.
3. ESPRIT, GÉNIE., Quand l'esprit s'oppose au génie, il est toujours pris, dans le sens du
n° 15, pour cette disposition qui fait saisir vivement des rapports que tout le monde
n'aperçoit pas ; le génie indique alors quelqu'une de ces grandes créations dans les sciences
ou les arts qui honorent une nation, une époque. ♦ Entre l'esprit et le génie, Malgré ce qu'ils
ont de pareil, La différence est infinie ; Un éclair n'est pas le soleil, PONS, (de Verdun).

HISTORIQUE
XIIe s. ♦ Fus [feu], gresille, neif, glace, espiriz de tempestez, Liber psalm. p. 229 ♦ Sainz
Thomas returna ; si s'assist sur sun lit, Devint tels cum s'il fust tres tut en esperit, Th. le
mart. 143 ♦ Et quant li espirs moi present trespassevet [passait devant moi], Job, 483
XIIIe s. ♦ Que du pere et du fils et du saint esperite...., Berte, LIV
XIVe s. ♦ La nutrition et digestion se fait mieux en dormant, car les espriz et la chaleur
sont retraiz dedens, ORESME, Eth. 30
XVe s. ♦ Car ils n'estoient ni angels ni esprits, mais hommes, FROISS., II, II, 106 ♦ Trop
de gens sont qui honourent l'abit Et ne tiennent compte de esperit, E. DESCH., L'habit ne
fait pas l'homme. ♦ Dieu Pere et fils et saint Esprit, Sauve et gars ceste compaignie, Mart. de
St Étienne ♦ Cela allege le cuer et le reconforte [de se confier à un ami], et les esperitz
reviennent en leur vertu pour parler en ung conseil ou prendre autre labeur, COMM., v, 5
♦ Esprit subtil, à besoing, vaut digeste, Faifeu, p. 72
XVIe s. ♦ Pour gouverner les esperitz loyaux, MAROT, I, 162 ♦ Car je suis tant, ô Pan,
de deuil espris Que presque suis hors de tous mes esprits, MAROT, I, 310 ♦ Tranquillité
d'esprit, MONT., I, 219 ♦ Androclus ayant repris ses espritz, MONT., I, 193 ♦ L'on disoit
qu'il y revenoit des espritz, et y apparoissoit des fantosmes, AMYOT, Solon, 19 ♦ Rendre
l'esprit, AMYOT, Arist. 41 ♦ Une femme de Syrie nommée Marthe, que l'on disoit avoir
l'esprit de prophetie, AMYOT, Marius, 29 ♦ Par iceulx [nerfs] influe l'esprit animal en
toutes les parties du corps humain, AMYOT, Moral. épît. p. 7 ♦ De la maniere de distiller
l'eau de vie, appelée l'ame ou l'esprit de vin, PARÉ, XXVI, 8 ♦ On ouvre mieulx l'esprit
qu'on ne le clost, GÉNIN, Récréat. t. II, p. 246 ♦ Si est-ce sans le corps qu'il [l'homme]
seroit ocieux.... L'esprit incorporé devient ingenieux, RONS., 251 ♦ Les ungz le disoyent
estre inspiré du saint esprit, et les aultres le disoyent estre inspiré des espritz du cellier,
PALSGR., p. 537 ♦ L'esprit foible ne sait pas posseder la science, s'en escrimer, et s'en
servir comme il faut, CHARRON, Sagesse, Préf. de la 2e édit.

ÉTYMOLOGIE
Bourguig. esperi ; provenç. esperit, sperit ; espagn. espiritu ; portug. espirito ; ital.
spirito, spirto ; du latin spiritus, esprit, proprement souffle, de spirare, souffler, respirer.
Quoique la dérivation de ce mot soit certaine, il fait difficulté : espir est correct, de spiritus,
avec l'accent sur spi ; mais esprit suppose ou une transposition de espir sous la forme espri
ou esperi, ou une accentuation vicieuse, spiritus au lieu de spiritus.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
ESPRIT.
4° Ajoutez : Un Saint-Esprit, voy. ⤷SAINT, n° 4.
20° Esprit fort. Ajoutez : Esprit fort, s'est dit de ceux qui faisaient opposition au roi. ♦ Ces
gens qu'on appelle esprits forts, parce qu'ils sont toujours contre le roi, Mme DE
MOTTEVILLE, Mém. p. 239

SENTIMENT [san-ti-man] s. m.
1° En général, faculté de sentir. Avoir le sentiment exquis, prompt, délicat. ♦ Il perd le
sentiment, RAC., Andr. V, 5 ♦ En baignant son visage, Mes pleurs du sentiment lui rendirent
l'usage, RAC., Athal. I, 2 ♦ Nous ne connaissons point de caractère qui distingue
essentiellement la plante de l'animal, et nous ignorons profondément quel est le degré de
l'échelle organique où le sentiment expire, BONNET, Lett. div. Oeuv. t. XII, p. 412, dans
POUGENS
Terme de chasse. Se dit de l'odorat des chiens. Quand un chien ne peut suivre le gibier,
on dit qu'il n'a point de sentiment. ♦ Au printemps, lorsque les feuilles naissantes
commencent à parer les forêts, que la terre se couvre d'herbes nouvelles et s'émaille de
fleurs, leur parfum rend moins sûr le sentiment des chiens, BUFF., Quadrup. t. II, p. 24
2° Résultat de l'action de sentir. Sentiment douloureux. Sentiment agréable. ♦ Le mot de
sentiment, pris dans le sens métaphysique, n'exprime que les résultats de l'impression des
objets sur la machine et de la machine sur l'âme, en vertu des lois de l'union, BONNET, Ess.
anal. âme, 17
3° Particulièrement. Sensibilité physique. Il n'y a plus de sentiment dans son bras.
Il se dit aussi de sensations internes, de modifications perceptibles de nos organes
intérieurs. Le sentiment de la faim, de la douleur, de la fatigue.
4° Fig. Intérêt pour quelqu'un ou quelque chose. ♦ Un homme [Boucard] de cette lenteur et
de cette indifférence pour mes intérêts ....je m'en vais tâcher de lui redonner quelque
sentiment sur toutes ces choses, SÉV., à Mme de Guitaut, 3 juin 1693
5° Conscience que l'on a de la réalité d'une chose. ♦ J'ai un sentiment clair de ma liberté,
BOSSUET, Lib. arb. 2 ♦ On ne connaît son âme que par le sentiment intérieur qu'on en a,
MALEBR., Rech. vér. VI, II, 6 ♦ Je distingue entre connaître par idée claire, et connaître par
sentiment intérieur, MALEBR., Rech. vér. Rép. à Regis, ch. 2
6° Faculté de comprendre, d'apprécier certaines choses. Il n'a pas le sentiment de la
musique, des beaux-arts. Sentiment musical. ♦ À mesure que le souvenir de nos chutes
s'éloigne, le sentiment de notre fragilité s'affaiblit, MASS., Carême, Mélange.
♦ Uniquement conduits par le sentiment présent du bien et du mal, MONTESQ., Rom. V
♦ Au sentiment de sa faiblesse l'homme joindrait le sentiment de ses besoins, MONTESQ.,
Esp. I, 1 ♦ Ému de compassion sur les faiblesses humaines par le profond sentiment des
siennes, J. J. ROUSS., Ém. IV ♦ Ce sentiment des convenances si juste, si délicat, si fin, qui
semblait être en elle le pur instinct du goût, MARMONTEL, Mém. 1 ♦ Le sentiment du
beau physique, soit en architecture, soit en harmonie, dépend essentiellement du rapport des
objets avec nos organes, MARMONTEL, Oeuv. t. VI, p. 240
Choses de sentiment, choses qui appartiennent à l'appréciation du sentiment, non à celle
de la raison. ♦ Ceux qui sont accoutumés à raisonner par principes, ne comprennent rien aux
choses de sentiment, y cherchant des principes, et ne pouvant voir d'une vue, PASC., Pens.
VII, 33, édit. HAVET.
Juger par sentiment, juger par l'impression qu'on reçoit. ♦ Ceux qui sont accoutumés à
juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement ; car ils veulent
d'abord pénétrer d'une vue, et ne sont point accoutumés à chercher les principes, PASC., ib.
♦ Ils examinaient le Cid par l'exacte raison, et ils ne voyaient pas qu'au spectacle on juge par
sentiment, VOLT., Comm. Corn. Poly. Ép. dédic.
7° Il se dit des affections, des mouvements de l'âme, des passions. ♦ Ah ! mon père, prenez
un plus doux sentiment, CORN., Hor. IV, 1 ♦ Ceux à qui Dieu a donné la religion par
sentiment du coeur sont bien heureux et bien légitimement persuadés, PASC., Pens. VIII, 6
♦ La raison agit avec lenteur.... le sentiment n'agit pas ainsi, il agit en un instant, et toujours
est prêt à agir, PASC., ib. XXIV, 52 ♦ Madame confesse humblement avec tous les
sentiments d'une profonde douleur que de ce jour seulement elle commence à connaître
Dieu...., BOSSUET, Duch d'Orl. ♦ Comme Dieu ne voulait plus exposer aux illusions du
monde les sentiments d'une piété si sincère, il a fait ce que dit le Sage, il s'est hâté,
BOSSUET, ib. ♦ Il n'y a rien de suivi dans les conseils de ces nations sauvages et mal
cultivées ; si la nature y commence souvent de beaux sentiments, elle ne les achève jamais,
BOSSUET, Hist. III, 3 ♦ Bientôt l'amour, fertile en tendres sentiments, S'empara du théâtre
ainsi que des romans, BOILEAU, Art p. III ♦ Et vous-même, étouffant tout sentiment
humain...., RAC., Iph. IV, 6 ♦ Je n'ai plus de sentiment que pour la tristesse, FÉN., Tél. XX
♦ Quand ils virent qu'Idoménée prenait des sentiments d'humanité et qu'il voulait être leur
père, FÉN., ib. XII ♦ Je vous conjure surtout de donner aux sentiments cette juste étendue,
nécessaire pour les faire entrer dans l'âme du lecteur, VOLT., Lett. Chabanon, 5 mai 1768
♦ Sentiment n'est pas simple préjugé ; c'est quelque chose de bien plus fort : une mère
n'aime pas son fils parce qu'on lui dit qu'il le faut aimer ; elle le chérit heureusement malgré
elle, VOLT., Dict. phil. Préjugés. ♦ Qui n'ont que des opinions et jamais des sentiments,
DUCLOS, Consid. moeurs, 5 ♦ On cherche dans le ciel les mêmes sentiments qui ont
occupé sur la terre, STAËL, Corinne, XVIII, 5
8° Particulièrement, les affections bonnes, bienveillantes, tendres. ♦ Les sentiments du
coeur me paraissent seuls dignes de considération ; c'est en leur faveur que l'on pardonne
tout ; c'est un fonds qui nous console, et qui nous paye de tout, SÉV., 289
Absolument. Avoir des sentiments, avoir de l'honneur, de la probité, etc. L'éducation
fortifie les sentiments.
Sentiments naturels, certains mouvements qui sont inspirés par la nature.
On dit dans le même sens : Cet homme a perdu tous les sentiments de la nature.
Familièrement. Grands sentiments, sentiments exagérés de probité, d'honneur, etc. ♦ Il
me fallait des romans à grands sentiments, J. J. ROUSS., Conf. IV
9° Absolument. Le sentiment, l'ensemble des affections tendres qui sont dans le coeur de
l'homme. ♦ C'était [une dame] l'âme la plus sensible et l'esprit le plus réglé qui fût jamais ;
tout était sentiment en elle, jusqu'à ses pensées, mais sentiment dans un accord parfait avec
les lumières les plus pures, STAAL, Mém. t. III, p. 135 ♦ Vous savez bien qu'on a du
sentiment avant d'avoir de l'esprit, MARIVAUX, Marian. 9e part. ♦ Il ne nous reste plus
pour achever l'homme que de faire un être aimant et sensible, c'est-à-dire de perfectionner la
raison par le sentiment, J. J. ROUSS., Ém. III ♦ Des hommes plus faits pour juger
Despréaux ont mieux rencontré ce talon d'Achille dans la partie du sentiment dont il paraît
avoir été privé ; c'était, qu'on nous permette cette expression, une espèce de sens qui
manquait à cet illustre écrivain, D'ALEMB., Éloges, Despréaux. ♦ Voulez-vous vous
assurer d'avoir parlé le langage du sentiment, considérez si votre discours rend les
accessoires qu'on devrait lire sur votre visage, dans vos yeux et dans tous vos mouvements,
CONDIL., Art d'écr. II, 12 ♦ N'y a-t-il pas dans le coeur de l'homme une pitié divine pour
les erreurs que le sentiment ou du moins l'illusion du sentiment aurait fait commettre ?,
STAËL, Corinne, V, 1
Être capable de sentiment, se piquer de sentiment, avoir l'âme sensible, délicate, se
piquer de sensibilité, de délicatesse d'âme.
10° Spécialement. La passion de l'amour. ♦ Témoignes-tu pour moi les moindres
sentiments ?, CORN., Poly. IV, 3 ♦ Son sentiment était si profond, que rien au monde ne
pouvait la distraire des objets qui servaient à le nourrir, LA FAY., Princ. de Clèves.
♦ J'apprends que les Anglais se sont élevés contre quelques-uns de nos poëtes, qui, à propos
et hors de propos, ont voulu faire les héros galants, et leur font pousser à toute outrance les
sentiments tendres, BOSSUET, Comédie, 15 ♦ Le danger, le malheur ajoute au sentiment,
VOLT., Orphel. II, 7 ♦ Je suis à peine en mon printemps, Et j'ai déjà des sentiments. - Vous
êtes un petit fripon, VOLT., Poés. mêl. 172 ♦ Tendres amis, époux fidèles, sans brûler de ce
feu dévorant qui consume l'âme, vous vous aimez d'un sentiment pur et doux qui la nourrit,
que la sagesse autorise, que la raison dirige, J. J. ROUSS., Hél. III, 18
Par plaisanterie. Pousser les beaux sentiments, affecter de dire des choses recherchées et
passionnées en matière de galanterie. ♦ Héroïnes du temps, mesdames les savantes,
Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments, MOL., Éc. des femmes, I, 5
11° Disposition à être facilement touché, attendri. Le théâtre met à profit le sentiment.
Feindre, jouer le sentiment.
Mouvement affectueux. ♦ Le roi y envoya [chez Luxembourg mourant] quelquefois, par
honneur plus que par sentiment, SAINT-SIMON, 26, 43
12° Dans la littérature, la peinture, la sculpture, expression vive, animée, douce. Ce tableau
est plein de sentiment. Un morceau rempli de sentiment. ♦ Dans les vers de Virgile, tout
pense, tout a du sentiment, tout vous en donne, FÉN., t. XXI, p. 207 ♦ Il faut s'interdire ce
ton didactique ; on doit le plus qu'on peut mettre les maximes en sentiment, VOLT., Comm.
Corn. Rem. Pompée, I, 1 ♦ Il y a de la naïveté [dans cette romance].... du sentiment même,
BEAUMARCH., M. de Figaro, II, 4
Trait de sentiment, vers de sentiment, trait, vers qui exprime un mouvement du coeur.
♦ Combien d'excellents vers on peut citer où il n'y pas l'ombre d'images ! combien même y
en a-t-il, comme les vers de sentiment, que toute espèce d'image affaiblirait, qui n'ont que
l'expression la plus simple et qui n'en valent que mieux !, D'ALEMB., Oeuvr. t. IV, p. 164
13° Manière de percevoir les impressions morales. ♦ Comme on se gâte l'esprit, on se gâte
aussi le sentiment ; on se forme l'esprit et le sentiment par les conversations ; on se gâte
l'esprit et le sentiment par les conversations, PASC., Pens. VII, 16 ♦ Tout notre
raisonnement se réduit à céder au sentiment ; mais la fantaisie est semblable et contraire au
sentiment, de sorte qu'on ne peut distinguer entre ces contraires ; l'un dit que mon sentiment
est fantaisie, l'autre que sa fantaisie est sentiment, PASC., ib. VII, 4 ♦ Elles [les lettres de
Balzac et de Voiture] sont vides de sentiments qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui
doivent aux femmes leur naissance, LA BRUY., I
14° Avis, opinion qu'on a sur quelque chose, jugement qu'on en porte.... ♦ Le mien
[intérêt] ne m'est pas si cher que je ne l'oublie volontiers en cette occasion, et ne sorte de
mes sentiments pour entrer dans le dessein de la Providence, BALZ., lett. II, liv. VI ♦ Cet
avis, qui tombait dans le sentiment de tous les autres académiciens, fut généralement suivi,
PELLISSON, Hist. acad. I ♦ Parlez-moi franchement, je serai fort aise de savoir votre
sentiment là-dessus, HAUTEROCHE, Crisp. méd. II, 9 ♦ Et je crois, à parler à sentiments
ouverts, Que nous ne nous en devons guère, MOL., Amph. Prolog. ♦ Heurter de front ses
sentiments, c'est le moyen de tout gâter, MOL., l'Av. I, 8 ♦ Je veux que l'on soit homme, et
qu'en toute rencontre Le fond de notre coeur dans nos discours se montre, Que ce soit lui
qui parle, et que nos sentiments Ne se masquent jamais sous de vains compliments, MOL.,
Mis. I, 1 ♦ Tout cela.... Madame, fut blâmé d'un commun sentiment, MOL., ib. III, 5 ♦ Il
était lui-même dans ce sentiment, PASC., Prov. I ♦ Je vous pardonne d'avoir cru qu'Aristote
ait été de ce sentiment, PASC., ib. IV ♦ Elle [Mme de Grignan] a le même sentiment que
nous des jolis vers que nous lui avons montrés, SÉV., à Bussy, 4 mai 1686 ♦ L'Angleterre
trop libre dans sa croyance, trop licencieuse dans ses sentiments, BOSSUET, Reine
d'Anglet. ♦ Pour entrer dans les sentiments de ces sages historiens, BOSSUET, Hist. III, 6
♦ Ne soyons pas de ceux qui pensent diminuer la gloire de Dieu et de Jésus-Christ, quand ils
prennent de hauts sentiments de la sainte Vierge et des saints, BOSSUET, Sermon. Dévotion
à la Ste Vierge, 2 ♦ Quoiqu'il ait eu sur la pénitence des sentiments outrés, BOURDAL.,
Avent, Sur la pénit. 201 ♦ Voilà l'homme en effet : il va du blanc au noir, Il condamne au
matin ses sentiments du soir, BOILEAU, Sat. VIII ♦ Le courtisan n'eut plus de sentiments à
soi, BOILEAU, Épît. IX ♦ Avec mes volontés ton sentiment conspire, RAC., Esth. II, 5
♦ Puis-je, laissant la feinte et les déguisements, Vous découvrir ici mes secrets sentiments ?,
RAC., Mithr. I, 3 ♦ Le sentiment de ceux qui croient les comètes des corps éternels, aussi
bien que les planètes, FONTEN., Guglielmini. ♦ Souvenez-vous toujours que je n'enseigne
point mon sentiment, je l'expose, J. J. ROUSS., Ém. IV
Au sentiment de, selon l'opinion de. ♦ J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe,
au sentiment de beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit, MOL., Préc. I

PROVERBE
Autant de têtes, autant de sentiments, sur une chose il y a autant d'avis qu'il y a de
personnes.

HISTORIQUE
XIIe s. ♦ Et ke li amors de la devantriene [intérieure] compassion sormontat en luy lo
sentement del corporiien torment, ST BERN., p. 143
XIIIe s. ♦ Là je choisi [vis] un papegaut [perroquet], Qui prioit amoreusement Et
dousement De sentement Une mauvis par douz assaut, Lay d'amours, JUBINAL, t. II, p.
190
XIVe s. ♦ Il [le nerf] a la nativité du cervel ou de la nuche, portant le sentiment et le
mouvement d'iceus à chacun membre, H. DE MONDEVILLE, f° 9 ♦ Bauduins de Sebourc
chante joïeusement Une chanson d'amours, faite par sentement, Que Blance li avoit apris
noviellement, Baud. de Seb. VI, 393
XVe s. ♦ Et là [Philippe d'Artevelle aux Gantois] de grand sentement parla, FROISS., II,
II, 155 ♦ Prince, selon mon sentement, Il faut s'acquiter loyaument, CH. D'ORL., Ball. 144
♦ Si print à faire balades, rondeaux, virelais, lais et complainctes d'amoureux sentiment,
Bouciq. I, 8 ♦ Le roy, qui avoit en grant joye ces nouvelles.... combien que desja paravant en
povoit bien avoir eu quelque sentement, mais non pas si ample, COMM., IV, 6
XVIe s. ♦ Si je vous disois que.... le sentement que vous avez du contraire me
dementiroit, MARG., Lett. XXXIII ♦ Elle l'enterra le plus profond en terre qu'il lui fut
possible ; si est-ce que les bestes en eurent incontinent le sentiment, qui vinrent manger la
charogne, MARG., Nouv. LVII ♦ Le sentiment [connaissance] de ce qui est, MONT., I, 12
♦ Sans respiration et sans sentiment, MONT., I, 93 ♦ Ces discours [sur l'amitié] me
semblent lasches au prix du sentiment que j'en ay, MONT., I, 218 ♦ La sagesse doibt alleger
le sentiment des maulx, MONT., I, 228 ♦ Le peuple, qui reçoit oppression des soldats, ne les
excusera pas tant, pour ce qu'ils le defendent, comme il les maudira pour ce qu'ils le
devorent, ensevelissant le souvenir du bien dans le sentiment des maux, LANOUE, 190 ♦ Il
avoit fait cette escapade contre le sentiment de ses amis, D'AUB., Vie, LVI ♦ Il avoit deux
filz et une fille, qui n'avoient pas grand sentiment ny gueres de cognoissance de leur
calamité, pour le bas aage auquel ilz estoient, AMYOT, P. Aem. 56 ♦ L'ouye est celui de
tous les sentimens, qui plus promptement et plus vivement emeut l'ame et les passions
d'icelle, AMYOT, Crassus, 44 ♦ Au corps sont les sentementz interieurz, que sont entiereté,
parité, vigueur, puissance, santé, fermeté de corps et le playsir epanché par tout ledit corps,
BONIVARD, Amartigenée, p. 150

ÉTYMOLOGIE
Sentir, et le suffixe ment (voy. ...., MENT, n° 2) ; provenç. sentiment ; espagn. sentimiento ;
ital. sentimento.

ÉMOTION [é-mo-sion ; en vers, de quatre syllabes] s. f.


1° Mouvement qui se passe dans une population. ♦ On ne parle que de la guerre ; le roi a
deux cent mille hommes sur pied ; toute l'Europe est en émotion, SÉV., 127
Mouvement excité dans les humeurs, dans l'économie. Il a trop marché, cela lui a donné
de l'émotion.
Une émotion de fièvre, un léger mouvement de fièvre. Il n'a plus la fièvre, mais je lui
trouve encore de l'émotion.
Terme de médecine. Émotion du pouls, état d'un pouls qui s'écarte un peu, pour la
vivacité et la fréquence, de l'état naturel. Ici émotion est pris au sens physique.
2° Agitation populaire qui précède une sédition, et quelquefois la sédition elle-même ; ce
qui est un mouvement moitié physique, moitié moral. ♦ Rome autrefois a vu de ces
émotions, CORN., Nicom. V, 2 ♦ Beautru et Nogent traitaient l'émotion de bagatelle, RETZ,
II, 521 ♦ Cette émotion ne se serait pas à la fin terminée sans qu'il y eût beaucoup de sang
répandu, VERTOT, Révol. rom. III, 270 ♦ La cherté étant excessive dans les années de 1709
et 1710, il y eut quelques émotions qu'il n'eût été ni prudent, ni humain de punir trop
sévèrement, FONTEN., Argenson. ♦ Ils [maréchal de Boufflers et duc de Gramont]
rencontrèrent le maréchal d'Huxelles dans son carrosse, qu'ils arrêtèrent pour lui demander
des nouvelles parce qu'il venait du côté de l'émotion, SAINT-SIMON, 244, 3
3° Mouvement moral qui trouble et agite, et qui se produit sous l'empire d'une idée, d'un
spectacle, d'une contradiction, et quelquefois spontanément sous l'influence d'une
perturbation nerveuse, comme cela a lieu quelquefois dans l'hypocondrie. ♦ Une des choses
qui m'effrayait le plus, était que, lorsque j'étais bien haut et que je regardais en bas, la
couverture [où on le bernait] me paraissait si petite qu'il me semblait impossible que je
retombasse dedans ; et je vous avoue que cela me donnait quelque émotion, VOIT., Lett. IX
♦ Si ce grand silence à ton émotion fait quelque violence, CORN., Cinna, V, 1 ♦ Et quoique
le dehors soit sans émotion, Le dedans n'est que trouble et que sédition, CORN., Poly. II, 2
♦ Une émotion universelle de la personne, PASC., dans COUSIN ♦ À quel propos donner
cette émotion ?, SÉV., 442 ♦ Le peu d'émotion qu'il eut de sa contusion, SÉV., 492 ♦ Qui
pourrait n'être pas ému à ce spectacle [la mort de la reine] ? mais ces émotions d'un jour,
qu'opèrent-elles ?, BOSSUET, Marie-Thér. ♦ L'esprit de charité et de douceur a ses
émotions et ses colères, PASC., Prov. X ♦ Se sentant de l'émotion contre un esclave : je te
frapperais, dit-il [Socrate], si je n'étais en colère, ROLLIN, Hist. anc. t. IV, p. 356, dans
POUGENS ♦ Et cette émotion dont son âme est remplie, A bientôt épuisé les forces de sa
vie, VOLT., Zaïre, III, 4 ♦ Dès qu'il fut seul avec ses officiers les plus dévoués, toutes ses
émotions éclatèrent à la fois par des exclamations d'étonnement, d'humiliation et de colère,
SÉGUR, Hist. de Napol. IX, 12
En un sens particulier, trouble heureux ou doux de l'âme. ♦ Les arts du dessin, la
sculpture, la peinture ont beaucoup de rapports avec la poésie dans les émotions qu'éprouve
l'artiste et dans celles qu'il veut communiquer, TURGOT, Ébauche du 2e disc. Progrès de
l'esprit humain, p. 275 ♦ Il me trouvait plus belle, et ses émotions Ouvrirent un chemin à
mes séductions, LEMERC., Frédég. et Bruneh. I, 2 ♦ C'est là le mérite de Richardson :
ainsi, par ce don de l'émotion et du pathétique, les images les plus fortes, les plus hardies
arriveront naturellement sous sa plume, VILLEMAIN, Litt. franç. XVIIIe siècle, 2e part. 1re
leçon.

HISTORIQUE
XVIe s. ♦ Lors de l'emotion de Catilina [conspiration, soulèvement], MONT., I, 340
ÉTYMOLOGIE
Lat. emotionem, de emotum, supin de emovere, émouvoir (voy. ⤷ÉMOUVOIR).

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
ÉMOTION. Ajoutez :
4° Petit mouvement fébrile. ♦ Monseigneur le Dauphin eut hier un second accès [de fièvre],
qu'on pourrait compter pour le troisième, à cause d'une émotion qui marqua un peu jeudi
dernier, BOSSUET, Lett. à Huet, 21 oct. 1670, dans Correspond. 25 déc. 1876, p. 1080

SENSATION [san-sa-sion ; en vers, de quatre syllabes] s. f.


1° Impression produite par les objets extérieurs sur un organe des sens, transmise au
cerveau par les nerfs, et aboutissant à un jugement de perception. Les sensations sont
passives, lorsque l'organe reçoit l'impression sans l'avoir cherchée ; elles sont actives,
lorsque l'attention de l'individu se concentre pour les juger avec plus d'exactitude. La
sensation du froid, du chaud. La sensation des saveurs, des odeurs, des couleurs. ♦ Nous
pouvons la définir [la sensation] la première perception qui se fait en notre âme à la
présence des corps que nous appelons objets, et ensuite de l'impression qu'ils font sur les
organes de nos sens, BOSSUET, Connaiss. I, 1 ♦ On donne le nom de couleur blanche à la
sensation que la neige a coutume de produire en nous, ROHAUT, Phys. I, 27 ♦ Les
sensations ne sont rien autre chose que des manières d'être de l'esprit ; et c'est pour cela que
je les appellerai des modifications de l'esprit, MALEBR., Rech. vér. I, 1 ♦ Toutes les
facultés du monde n'empêcheront jamais les philosophes de voir que nous commençons par
sentir, et que notre mémoire n'est qu'une sensation continuée, VOLT., Dict. phil. Sensation.
♦ Nous sentons toujours malgré nous, et jamais parce que nous le voulons ; il nous est
impossible de ne pas avoir la sensation que notre nature nous destine, quand l'objet nous
frappe, VOLT., ib. ♦ Berkeley [l'idéaliste] attend encore une réponse : lier l'existence réelle
de son propre corps avec la sensation n'est point une chose facile, DIDER., Claude et Nér.
II, 31 ♦ Les sensations n'ayant rien qui ressemble essentiellement aux objets...., DIDER.,
Lett. sur les aveug. ♦ Distinguons la sensation du sentiment : la sensation n'est qu'un
ébranlement dans le sens ; et le sentiment est cette même sensation devenue agréable ou
désagréable par la propagation de cet ébranlement dans tout le système sensible, BUFF.,
Quad. t. II, p. 144 ♦ Le mot sensation, pris abstractivement, n'exprime proprement aucune
idée ; ce mot est seulement une expression commune à toutes les idées que nous recevons
par les sens, D'ALEMB., Mél. de littér. t. V, § II ♦ Toutes nos facultés viennent des sens, ou,
pour parler plus exactement, des sensations ; car, dans le vrai, les sens ne sont que cause
occasionnelle, CONDIL., Oeuvr. t. III, p. 3 ♦ La philosophie fait un nouveau pas : elle
découvre que nos sensations ne sont pas les qualités mêmes des objets, et qu'au contraire
elles ne sont que des modifications de notre âme, CONDIL., Traité des sensat. I, II, 1 ♦ Il ne
suffit pas d'avoir des sensations pour avoir des idées, et nous n'avons des idées qu'autant que
nous remarquons nos sensations, CONDIL., Art de pens. I, 3 ♦ En 1765 il donna un
mémoire sur la durée des sensations de la vue, CONDORCET, d'Arci. ♦ La statue [imaginée
par Condillac] commence à jouir de l'existence ; mais elle ne sait point encore qu'elle
existe ; une sensation n'est pas une notion ; et combien l'idée d'existence est réfléchie !,
BONNET, Ess. anal. âme, 6 ♦ Condillac a exposé un grand nombre des effets de la
sensation dans l'entendement, avec une analyse si exacte et si claire, qu'il ne reste plus
aucun louche sur l'origine de nos idées, DESTUTT TRACY, Instit. Mém. sc. mor. et pol. t.
I, p. 289 ♦ Les sensations répétées souvent nuisent toujours aux sens qui les produisent, en
raison de la délicatesse du sens, de l'intensité et de la durée de la sensation, SENNEBIER,
Ess. art d'observ. t. I, p. 418, dans POUGENS
2° Particulièrement, impression produite par les objets extérieurs sur les sens et aboutissant
au plaisir ou à la peine. ♦ Nous sommes étonnés de la pensée ; mais le sentiment est tout
aussi merveilleux ; un pouvoir divin éclate dans la sensation du dernier insecte comme dans
le cerveau de Newton, VOLT., Dict. phil. Sensation.
3° En général, action de sentir, action dévolue à certaines parties du système nerveux
périphérique et central, tant extérieur ou de la vie animale qu'interne ou sympathique, c'est-
à-dire de la vie végétative.
Sensations externes, celles qui appartiennent au tissu nerveux de la vie animale.
Sensations internes, celles qui appartiennent au tissu nerveux de la vie végétative ; elles
font percevoir non plus les propriétés des corps ou les actions des êtres du milieu ambiant,
mais l'état où se trouvent certains organes de l'animal même qui perçoit.
4° Fig. Faire sensation, faire une sensation, produire une impression marquée dans le
public, sur une compagnie, etc. ♦ On est toujours indigné ici de l'absurde et abominable
jugement de Toulouse ; on ne s'en soucie guère à Paris, où l'on ne songe qu'à son plaisir, et
où la Saint-Barthélemy ferait à peine une sensation, VOLT., Lett. Damilaville, 17 avr. 1762
♦ Nous sommes dans un temps où rien ne fait une grande sensation ; tous les objets, de
quelque nature qu'ils soient, sont effacés les uns par les autres, VOLT., Lett. Richelieu, 19
juill. 1773 ♦ Il n'y a de bruyantes que les folles ; les femmes sages ne font point de
sensation, J. J. ROUSS., Ém. V

HISTORIQUE
XIVe s. ♦ De toute chose qui ouvre [opère] selon aucun des sens naturelz, la sensacion
ou operacion est ou [au] resgart de la chose sensible, ORESME, Eth. 304

ÉTYMOLOGIE
Provenç. sensation ; espagn. sensacion ; ital. sensazione ; du lat. sensationem, de
sensatus, doué de sens, de sensus, sens.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
SENSATION. Ajoutez :
5° À sensation, de manière à produire une impression marquée. Nouvelle à sensation.

PERCEPTION [pèr-sè-psion ; en vers, de quatre syllabes] s. f.


1° Action de recueillir des deniers, des impôts, etc.
2° Charge de percepteur. Il a fait avoir une perception à son fils.
3° Terme de philosophie. Acte par lequel l'esprit aperçoit l'objet qui fait impression sur les
sens. Toute sensation, tout phénomène de sensibilité spéciale ou générale se compose de
trois actes différents : l'impression, la transmission, la perception. ♦ Nos jugements ont plus
d'étendue que nos perceptions, MALEBR., Rech. vér. III, II, 9 ♦ Nos sensations sont
purement passives, au lieu que toutes nos perceptions ou idées naissent d'un principe actif
qui juge, J. J. ROUSS., Ém. II, Il ♦ [Epicure] a su démêler deux choses dans nos sensations :
la perception qui est toujours vraie, parce qu'elle n'assure que ce que nous sentons ; le
jugement qui peut être faux, lorsque, d'après nos perceptions, nous jugeons de ce que les
choses sont en elles-mêmes, CONDILLAC, Hist. anc. III, 25 ♦ Le sentiment d'une
perception n'est que l'être pensant existant d'une certaine manière, BONNET, Ess. psych. ch.
35 ♦ Les perceptions de nos cinq sens ne sont que des modifications intérieures de notre
être, qui ne nous donnent aucune connaissance de ce qui les cause, DESTUTT-TRACY,
Instit. Mém. scienc. mor. et polit. t. I, p. 315
Résultat de cet acte. ♦ Sa mollesse et son indolence laissaient comme endormie au fond
de sa pensée une foule de perceptions délicates, fines et justes...., MARMONTEL, Mém. IX
La faculté de percevoir. ♦ Doué d'une facilité de perception et d'intelligence qui démêlait
dans un instant le noeud le plus compliqué d'une affaire, MARMONTEL, Mém. XI

SYNONYME
PERCEPTION, RECOUVREMENT. Dans l'administration de l'enregistrement, comme
dans plusieurs autres régies, on fait une distinction entre la perception et le recouvrement.
La perception s'entend d'un produit inconnu jusqu'au moment où s'effectue la perception,
c'est-à-dire où a lieu, de la part de l'agent, l'action de percevoir. La recette, au contraire, qui
s'effectue sur un produit précédemment reconnu et liquidé, est appelée recouvrement,
PASQUEL, Organ. et service de l'administration financière de la France, in-8°, Paris, 1866.

HISTORIQUE
XIIe s. ♦ La perception del saint espir [l'action de recevoir le Saint-Esprit], Job, p. 477
XIVe s. ♦ La perception des fruiz et le labeur ne sont pas equals, ORESME, Thèse de
MEUNIER.

ÉTYMOLOGIE
Lat. perceptionem, de perceptum, supin de percipere, percevoir (voy. ⤷PERCEVOIR).

REPRÉSENTATION [re-pré-zan-ta-sion ; en vers, de six syllabes]


s. f.
1° Action de représenter, de mettre devant les yeux. On exigea la représentation de son
passe-port.
2° Qualité de signe représentatif. ♦ Le papier public est à l'argent ce que l'argent est aux
denrées, une représentation, un gage d'échange, VOLT., Dial. 4
3° Image, figure. ♦ Nous [Sévigné et Morveaux] sommes une vive représentation de ce que
Lucain dit de César et de Pompée.... il est vrai que dans cette représentation je suis Pompée ;
mais j'espère que M. de Morveaux ne me battra pas, et qu'on ne lui présentera pas ma tête,
CH. DE SÉV., dans SÉV. t. X, p. 299, édit. RÉGNIER
4° Qualité d'une personne qui tient la place d'une autre. ♦ Je voudrais bien pouvoir adoucir
ses maux [du chevalier de Grignan] ; mais il est accoutumé à vos soins, qui sont si
consolants et si précieux qu'on ne fait en vérité qu'une pauvre représentation, SÉV., la
Toussaint, 1688 ♦ Que je suis fâchée les matins [à la messe] de voir Mme de Congis à votre
place ! ah ! quelle représentation !, SÉV., à Mme de Guitaut, 25 janv. 1693
5° Objet exprimé par la peinture, le dessin, ou par quelque opération de la nature. La
représentation d'une bataille. ♦ Les murailles [de la chambre des méditations, chez les
jésuites, du temps de la Ligue] étaient couvertes de représentations affreuses de l'enfer et de
diables tourmentant des damnés, VOLT., Hist. parl. XXXVI ♦ On trouve ces prétendues
représentations de plantes et d'arbres encore plus fréquemment dans les pierres calcaires que
dans les matières vitreuses, BUFF., Min. t. VII, p. 32 ♦ Ces représentations, supposées sur la
toile, sont peut-être la vraie pierre de touche pour juger de la beauté des images poétiques,
D'ALEMB., Éloges, Despréaux, note 12
6° Espèce de cercueil vide sur lequel on étend un drap mortuaire, pour une cérémonie
religieuse. Il y avait un dais au-dessus de la représentation. ♦ Louis le Grand.... assemble
dans un temple si célèbre [Notre-Dame] ce que son royaume a de plus auguste pour y rendre
les devoirs publics à la mémoire de ce prince, et il veut que ma faible voix anime toutes ces
tristes représentations et tout cet appareil funèbre, BOSSUET, L. de Bourbon. ♦ Les
Corinthiens lui firent [à Périandre] une représentation de tombeau, où ils gravèrent une
épitaphe pour honorer sa mémoire, FÉN., Péri.
Au moyen âge, figure moulée et peinte qui, dans les obsèques, représentait le défunt.
7° Image fournie par la sensation. ♦ Une femme et des enfants sont de puissants
empêchements pour arrêter un homme qui court à la gloire.... la triste représentation du
deuil de sa veuve et du bas âge de ses enfants lui passe continuellement devant les yeux,
BALZ., Des ministres et du minist. ♦ Ils [les marcionites] ont soutenu que son corps [du
Christ] était imaginaire, et par conséquent.... à les en croire, toute sa vie n'était qu'une
représentation sans réalité, BOSSUET, Panég. St Franç d'Ass. Préamb. ♦ Le cerveau
conserve avec ordre des représentations naïves de tant d'objets, FÉN., Exist. 41 ♦ L'un
prétend qu'il n'y a point de corps et que tout est en représentation, J. J. ROUSS., Sciences, 2
♦ La distinction de la représentation d'avec la chose représentée n'est guère éclaircie dans
l'esprit du peuple, DUCLOS, Oeuvres, t. I, p. 292
Représentation singulière, se dit, dans le kantisme, d'une intuition.
Représentation générale ou réfléchie, concept.
8° Action de jouer des pièces de théâtre. ♦ Je sais qu'il y a des esprits dont la délicatesse ne
peut souffrir aucune comédie, qui disent que les plus honnêtes sont les plus dangereuses,
que les passions que l'on y dépeint sont d'autant plus touchantes qu'elles sont pleines de
vertu, et que les âmes sont attendries par ces sortes de représentations, MOL., Tart. Préf.
♦ Je vous prie de veiller à l'édification des catholiques, et d'empêcher les marionnettes, où
les représentations honteuses, les discours impurs et l'heure même des assemblées porte au
mal, BOSSUET, Lett. div. 1 ♦ Il fallait [en 1705] environ vingt représentations pour
constater le succès passager d'une nouveauté ; aujourd'hui on regarde une douzaine de
représentations comme un succès assez rare, VOLT., Mél. litt. Él. Crébillon. ♦ C'est un
grand jour pour le beau monde oisif qu'une première représentation, VOLT., Lett. Mme
Denis, 3 mars 1752 ♦ Le succès des représentations est toujours dans les acteurs, VOLT.,
Lett. d'Argental, 8 déc. 1766 ♦ Croyez-moi, messieurs, ne manquez jamais la première
représentation d'une pièce ; on n'est pas toujours sûr d'en voir une seconde, LEGRAND, la
Nouveauté, sc. 5 ♦ Si les deux autres actes avaient valu celui-là, la pièce entière eût
avantageusement soutenu la représentation, J. J. ROUSS., Confess. VII ♦ Les
représentations théâtrales formeraient le goût des citoyens, et leur donneraient une finesse
de tact, une délicatesse de sentiment qu'il est très difficile d'acquérir sans ce secours,
D'ALEMB., Gouv. Genèv. Première représentation des Nuées d'Aristophane, 423 ans avant
J. C. BARTHÉL. Anach. t. VII, tabl. 1 ♦ Eh ! mon cher, on ne vous a pas vu depuis votre
représentation de retraite, C. DELAVIGNE, Coméd. Prolog.
Fig. ♦ Pour de telles pièces [certains plans chimériques de politique] il n'y a point
d'acteurs en toute l'Europe ; la représentation en serait difficile au roi de Perse, et ils
prennent pour cela le prince de la Mirande, BALZ., De la cour, 4e disc.
Représentation au bénéfice de quelqu'un, soirée théâtrale dont le produit lui est attribué.
9° Manière de vivre appartenant à une personne distinguée par son rang, sa dignité, sa
fortune, et aussi manière de vivre où l'on se tient comme dans une représentation théâtrale,
soumis aux regards du public. ♦ Cette représentation que vous êtes obligée de faire dans les
villes, SÉV., 224 ♦ Pour peu qu'on les fréquente assidûment [les Parisiennes], pour peu
qu'on les détache de cette éternelle représentation qui leur plaît si fort, on les voit bientôt
comme elles sont, et c'est alors que toute l'aversion qu'elles ont d'abord inspirée se change
en estime et en amitié, J. J. ROUSS., Hél. II, 21 ♦ Je suis ici dans mon hôtel de St-Simon,
comme Sancho dans son île de Barrataria, en représentation toute la journée, J. J. ROUSS.,
Corr. du Peyrou, t. III, p. 103, dans POUGENS ♦ Il sait joindre à la représentation d'un
homme en place les manières naturelles et faciles et le ton simple d'un particulier, GENLIS,
Ad. et Th. t. III, p. 69, dans POUGENS ♦ La représentation m'ennuierait et me gênerait,
voilà pourquoi je m'en dispense, MARMONTEL, Mém. IV
10° Figure noble, belle prestance. ♦ Figurez-vous le jeune Bernard, nourri en homme de
condition, l'esprit poli par les bonnes lettres, la représentation belle et aimable, l'humeur
accommodante...., BOSSUET, Panég. St Bern. 1 ♦ Il était difficile de trouver dans la même
personne titres, vertu, esprit, représentation, Mme DE CAYLUS, Souvenirs, p. 136, dans
POUGENS
11° Terme de jurisprudence. Droit que l'on a de recueillir une succession comme
représentant d'une personne prédécédée. Il vient à cette succession par représentation. ♦ La
représentation est une fiction de la loi, dont l'effet est de faire entrer les représentants dans la
place, dans le degré et dans les droits du représenté, Code Nap. art. 739
12° Corps de représentants d'un peuple et les pouvoirs parlementaires qui leur
appartiennent. La représentation nationale. ♦ Il ne faut pas que ces mots, liberté, publicité,
représentation, vous effarouchent ; ce sont des représentations à notre bénéfice, P. L.
COUR., Pièce diplomatique. ♦ Nous avons besoin au dedans et au dehors qu'il apparaisse
constamment une représentation des intérêts et de la nationalité et du pays, VILLEMAIN,
Souvenirs contemporains, les Cent - Jours, ch. 13
13° Objection, remontrance faite avec mesure, avec égards. ♦ Quand le Conseil tire
avantage du mot de représentation qui marque infériorité, en disant une chose que personne
ne dispute, il oublie cependant que ce mot, employé dans le règlement, n'est pas dans l'édit
auquel il renvoie, mais bien celui de remontrances qui présente un tout autre sens, J. J.
ROUSS., Lett. de la montagne, 8 ♦ Je n'aime pas les représentations ; vous devez savoir que
je suis invariable, GENLIS, Théât. d'éduc. la Cloison, sc. 12

HISTORIQUE
XIVe s. ♦ Imitation ou representation d'un objet, ORESME, Thèse de MEUNIER. ♦ Pour
avoir lignée et representation de son mary après la mort d'icellui, Ménagier, I, 5 ♦ À Pierre
Pagant, mercier, pour trois pieces de drap de racamas achattées de luy pour faire le poille à
faire la representation dudit deffunt [le comte d'Eu] baillée à Colart de Laon, paintre,
demeurant à Paris, pour ce faire, DE LABORDE, Émaux, p. 484
XVe s. ♦ Sire, vecy la representation de la ville de Calais à vostre ordonnance [les six
bourgeois amenés devant Edouard], FROISS., I, I, 321 ♦ À André Mangot, orfevre de
Tours, XXXVI livres pour employer à la dorure de partie d'une image d'argent que le roy a
fait faire de sa representation pour donner à monseigneur de St Martin de Tours, DE
LABORDE, Émaux, p. 485 ♦ Incontinent après ledict grant escuyer, marchoient les seize
gentilshommes qui portoient la lictiere où estoit le corps et au-dessus dudict corps la statue
et representation du roy faicte au vif, FROISS., ib. p. 484
XVIe s. ♦ Un homme de belle representation [mine], appuyé et lisant sur un livre, Sat.
Mén. p. 222 ♦ Où representation a lieu infiniment, ce qui echet au pere, echet au fils,
LOYSEL, 322 ♦ En succession tant directe que collaterale, dans les termes de representation
on succede par lignes ; et hors les termes de representation, par testes, LOYSEL, 324

ÉTYMOLOGIE
Provenç. representacio ; espagn. representacion ; ital. rappresentazione ; du latin
repraesentationem, de repraesentare (voy. ⤷REPRÉSENTER).

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