La famille est le garant de de l’individu, peut-être même le seul d’ailleurs.
Elle définit tous les rapports que ce dernier pourrait avoir depuis sa naissance jusqu’au dernier moment de sa vie. Elle le lie à sa vie à travers le temps avec des souvenirs et grâce à elle, ce dernier porte un nom incarnant bien son identité sociale. En vérité, rien au monde ne peut empêcher le sang d'un père de couler dans les veines de son fils, ou encore aucune règle ni conduite ne pourra ôter ce nombril qui a bel et bien lié un fils à sa mère. Sur ce, comment peut-on refuser son passé par le simple fait qu’il se dévoile horrible et amer ? Si nous disparaissions pendant 18 ans et qu’en réapparaissant, nous avions perdu la mémoire ! Si, retrouvant notre famille et nos amis, ils nous envoyaient la pire image de nous ! Si les souvenirs qu’ils avaient de nous étaient les plus noirs et les plus sombres ! Si on se rendait compte que tout le monde était victime de nos mauvais souvenirs, de nos actes terribles ! Si se dressait devant nous le portrait d'un homme lâche, méchant, querelleur et violent ; sans la moindre part de générosité ou d’amour ! Puis, si seulement la mémoire nous revenait et que nous avions le choix, choisir une autre famille, d’autres amis ailleurs, continuer notre vie autrement, tout recommencer et très loin ! Que ferions-nous ? Souvenez-vous de ce que vous avez fait ou de ce que vous étiez il y a 18 ? Oui ? Eh bien il y en a qui n’ont pas cette chance ! Ce sont toutes ces questions et bien d’autres encore que pose «Voyageur sans bagages». Mon désir serait de révéler par ce travail cette tragicomédie retracée par Anouilh à travers un refus d’un passé.
En premier lieu, Anouilh nous présente son personnage amnésique
retrouvé dans une gare en Allemagne après la première guerre mondiale. Étant placé ensuite à l’asile, beaucoup de familles prétendent avoir reconnu en lui un fils ou un neveu, d’autant qu'il est riche. L’une d’elles est la famille Renaud et c’est par elle que commencent les confrontations. Ce qui s’est passé, c’est que durant la confrontation avec les Renaud, Gaston apprend que Jacques était brute à cause de la mauvaise éducation offerte par sa famille. Il a fait des choses pas belles pendant sa vie adolescente : il a tué des bêtes, crié sur sa mère, couché avec sa belle-sœur, abusé d’une domestique, précipité son ami dans un escalier, escroqué une grande somme d’argent, etc. Un vrai choc pour lui puisqu’il avait changé à présent. Chaque révélation creusait donc un écart psychologique entre sa personnalité d’aujourd’hui et celle du jadis, entre Jaques et Gaston. En deuxième lieu, après avoir appris les terribles vérités sur son ancienne personnalité, Gaston est touché au plus profond de son être. Mais ce qui était pire encore, c’était le fait que sa famille ne s’apprêtait pas à changer. Inutile donc de revenir. Puisque cela ne changerait rien, au contraire, son retour au sein de cette famille ne ferait que ressurgir de mauvais souvenirs. C’est-à-dire, il y aura toujours sa mère froide qui ne sait pas s’excuser et qui sait encore moins aimer son fils, sa belle-sœur qui voudra à tout prix renouer avec lui, les domestiques qui savent tout sur lui et qui continueront à le mépriser et toutes ces mauvaises images condamnées à le guetter comme la mort. En troisième lieu, la confrontation a résulté comme fait giratoire une preuve décisive affirmant l’identité de Gaston. Après cette preuve décisive (fournie par Valentine), Gaston ne se doute donc plus sur sa véritable identité mais, ayant découvert que les Renaud ne veulent pas retrouver Jaques le fils, le frère ou l'ami, il finit par utiliser la preuve même pour nier son passé et en choisir un autre. Malgré que notre passé soit le meilleur de nous-même, il a fallu à Gaston de faire ce choix difficile et pénible. On peut dire que c’était plutôt la nécessité qui a fait sa loi. Mais étant donné l’éducation qu’il avait reçue, il est indiscutable que quiconque était à sa place ferait la même chose car (et cela est une véritable vérité) le fait d’endosser un passé tout entier et aussi lourd en une seule fois s’avère presque impossible pour un amnésique. ''Mais voyez-vous, pour un homme sans mémoire, un passé tout entier, c’est trop lourd à endosser en une seule fois'' p.77. Partant de cette base, s’échapper était alors la seule et unique solution possible pour lui. En tout et pour tout, parmi toutes les horreurs qui lui étaient à disposition : retourner à l’asile, rejoindre les Renaud, s’échapper, etc. Les nier était la meilleure, la meilleure des horreurs ! Parce que comme ça, en les niant, cela n’était pas seulement à lui qu’il avait fait du bien mais aussi et indirectement à eux. Quand même bien que de point de vue moral, son choix pourrait bel et bien faire école mais en fin de compte, la seule chose qui comptait pour lui, c’était surtout de se débarrasser de ce spectre dit passé. Un passé qui était tout à fait synonyme de méchanceté, de violence, de brutalité, d’absence de valeurs et de tout ce qui est déplaisant en effet. Ainsi au final, Gaston, en partant en douce, demeure Gaston et Jaques demeure Jaques, comme si il n’y avait rien à voir entre les deux. En conclusion, Gaston, en refusant donc les Renaud, est revenu ainsi à ces anciens propos : partir loin de sa famille et fermer ce livre du passé pour toujours. Sauf que cette fois-ci, selon moi, son choix témoigne beaucoup de sagesse ; il est évident que même si sa famille ne lui en veut plus d’avoir été brute, lui, au tréfonds de lui-même, s'en veut toujours et ne parvient pas à se pardonner. Donc voila, c’était simple : il lui a fallu décider ; sa décision a fait d’une infinité de possibles un fait, un seul, pénible et malheureux, certes, mais effaçant tout autre malheur possible. Une décision autant dire une introspection si sage. À sa place, j’aurais fait pareil. Mais enfin peut-on donc accepter une famille qui n’est pas du tout la nôtre et faire comme si c’était elle ? Les liens familiaux et ceux du sang pourraient-ils donc disparaître par le simple fait que l'on a décidé de ne plus accepter les siens ?