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L2 S2 Histoire de la logique

La thèse de l’identité entre


propositions vraies et faits
� Ne pas faire circuler : tru�é d’erreurs ! �
février 2017

Texte extrait de : Truth as identity and truth as correspondance, Marian David dans M.P.
Lynch (éd.), The nature of truth, 684-704. 1
Selon l’analyse habituelle de la croyance, l’acte mental de croire implique une relation
entre celui qui croit et une proposition. Cette dernière est un objet d’un genre un peu par-
ticulier. Si vous croyez que les chauves-souris sont des mammifères, il y quelque chose que
vous croyez. Ce que vous croyez est dit être la proposition que les chauves-souris sont des
mammifères. La proposition est [à la fois] l’objet de la relation de croire et le contenu de
votre état de croire : les propositions sont des « objets-contenus ». De plus, les propositions
peuvent être partagées. Si vous et moi croyons que les chauves-souris sont des oiseaux, alors
nous croyons la même chose ; nous sommes dans la relation de croyance avec la proposition
que les chauves-souris sont des oiseaux. L’analyse propositionnelle de la croyance s’étend
à beaucoup d’états et actes, comprenant pensée, jugement, supposition, assertion et énon-
ciation. L’analyse s’accompagne de l’idée que les propositions sont les porteurs primaires
des valeurs de vérité, la vérité et la fausseté. La vérité d’une croyance (pensée, assertion
etc) découle de la vérité de la proposition qui en est le contenu, une croyance vraie est une
croyance dont le contenu est une proposition vraie.
En quoi consiste alors la vérité d’une proposition ? Selon la théorie de la vérité comme
correspondance, une proposition est vraie si et seulement si elle correspond à un fait et et
elle est fausse si et seulement si elle ne correspond à aucun fait. La théorie de la correspon-
dance a des rivales. L’une d’entre elle, la théorie de l’identité, propose une simpli�cation
surprenante. Elle soutient que les propositions vraies ne correspondent pas aux faits, [mais]
qu’elles sont des faits et inversement :
(TI) Pour tout x, x est une proposition vraie si et seulement si x est un fait.
Une version de la théorie de l’identité a été défendue au début du vingtième siècle par G.E.
Moore :
1. [note JF] J’ai e�ectué des coupures dans la traduction qui ne re�ète donc pas �dèlement le texte original
(sans même mentionner les erreurs qu’elle contient). [les parties mises entre crochets dans le texte sont dues
au traducteur].

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Tru�é d’erreurs : ne pas citer, ne pas faire circuler !

Dès lors qu’il est admis dé�nitivement que la proposition désigne, non pas une
croyance ou une forme verbale, mais un objet de la croyance, il semble évident
qu’une vérité ne se distingue, sous aucun aspect, de la réalité à laquelle elle
était seulement censée correspondre : par exemple, la vérité que j’existe ne
se distingue, sous aucun aspect, de la réalité correspondante –mon existence.
(Moore [5]).
Au moment où Moore soutenait cette thèse, il tenait aussi la vérité pour indé�nissable. Il en
allait de même pour Russell en 1904 dans [7, 8] et Frege en 1918 dans [3]. [. . .] Si (TI) est un
principe correct portant sur les faits et la vérité, alors la théorie de de la vérité comme cor-
respondance devrait apparaître comme erronée. Les deux théories semblent incompatibles.
Chisholm voit les choses di�éremment :
La question de déterminer en quel sens les propositions vraies doivent être dites
‘correspondre’ aux faits ne se pose pas. Elles correspondent aux faits au sens le
plus fort possible, car elles sont des faits. (1977, 88 [2]). 2
Pour Chisholm l’identité est un cas limite de correspondance. Moore en 1901-1902 dans
[5] et Frege en 1918 dans [3], à l’opposé, tenaient la théorie de l’identité et la théorie de
la correspondance pour des rivales. Comme ils rejetaient cette dernière en se fondant sur
le principe qu’une correspondance authentique entre des termes di�érents est impossible,
ils admettaient évidemment qu’à elle seule la notion de correspondance présuppose que les
termes en correspondance ne soient pas identiques. Bien que cette l’objet de cette discussion
soit en partie une question de mots, il semble préférable de de suivre Moore et Frege sur
ce point. Les théoriciens de la correspondance soutiennent habituellement que les vérités
ne doivent pas être identi�ées avec les faits car ils veulent dire que ces derniers sont des
facteurs de vérité 3 –que les vérités sont telles à cause des faits, qu’elles sont rendues vraies
par les faits. Des a�rmations de ce genre seraient dénuées d’objet si l’identité était tenue
pour une relation de correspondance au sens où elle est alors entendue : il n’y a aucun
intérêt à dire que les propositions vraies se rendent vraies.
Beaucoup seront surpris par le théorie de l’identité parce qu’ils la trouveront assez bi-
zarre. Comment peut-on en arriver à une conception aussi étrange ? Sans doute, on peut
avoir des raisons métaphysiques profondes [de l’adopter] qui tiennent à l’impossibilité (sup-
2. [note JF] Je n’ai pas trouvé ce passage dans [2] à la page indiquée, ni ailleurs –du moins dans l’édition
de ce livre dont je dispose (1998). On y trouve seulement « une vérité est un état de choses qui existe et « un
fait, en un sens de ce mot, peut être dit un état de choses qui existe » dans le Chap. 5, 104. Dans ce chapitre
l’auteur défend en e�et une théorie de la vérité qui identi�e les contenus des croyances vraies et les états de
choses existants.
3. [Note JF] truth maker, littéralement « fabricant de vérité », « facteur de vérité », mais cette traduction
évoque immédiatement l’idée d’un agent qui est étrangère ici ; certains préfèrent traduire par « vérifacteur ».
L’expression désigne plus généralement ce qui rend vraie la proposition pour le distinguer de la proposition en
tant que truth bearer : la proposition en tant que, littéralement, « porteuse de vérité ». Selon la (les) théorie(s)
de la vérité comme correspondance avec les faits, une proposition est une entité qui peut être à la fois : la
signi�cation d’un énoncé linguistique, le contenu d’une croyance ou d’un jugement etc, et qui en tant que
telle peut être vraie ou fausse selon qu’elle correspond ou non à un vérifacteur, un fait. Voir par exemple
Moore, True and false beliefs dans [6].

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Tru�é d’erreurs : ne pas citer, ne pas faire circuler !

posée) d’une authentique correspondance entre des choses di�érentes. Mais je crois qu’un
des motifs à l’origine de cette conception est autre.

[Résumé du traducteur. Selon l’auteur, ce motif est le suivant. Etant donné un énoncé dé-
claratif p, l’expression obtenue en le pré�xant par « que » donne « que p » qui désigne (a
pour référence) la proposition exprimée par l’énoncé p. Ainsi l’on passe de « il pleut » à
« qu’il pleut » et dans « jean pense qu’il pleut », « qu’il pleut » désigne (a pour référence) la
proposition qui est le contenu de la croyance de Jean, ce sur quoi elle porte. En faisant pas-
ser ce contenu en position de sujet, on obtient alors une forme sujet/prédicat « qu’il pleut
est cru par Jean ». C’est là la conception traditionnelle de la proposition comme contenu
de la croyance, du jugement etc. Appliqué à « il est vrai qu’il pleut », cette analyse donne
« qu’il pleut est vrai » où « vrai » désigne un prédicat (une propriété) du sujet qui est la pro-
position désignée par « qu’il pleut ». Pour un partisan de l’identité des propositions vraies
et des faits, la même opération est possible appliquée à « c’est un fait qu’il pleut ». Elle
nous donne alors « qu’il pleut est un fait » où, par par analogie avec ce qui précède, nous
devrions tenir « qu’il pleut » comme désignant (faisant référence à) la proposition et « fait »
comme désignant un prédicat (une propriété). Si l’on admet cette extension de la conception
traditionnelle des propositions comme contenus (des croyances, jugements, assertions etc)
à la catégorie des faits, alors on sera porté à trouver naturel le passage de (a) qui exprime la
notion de vérité comme correspondance aux faits à (c) qui n’est autre que (TI) :
proposition proposition
� �� � � �� �
(a) il est vrai que p si et seulement si c’est un fait que p
proposition proposition
� �� � � �� �
(b) que p est vraie si et seulement si que p est un fait
(c) pour toute proposition x, x est vraie ssi x est un fait.
L’auteur note alors que le passage de (a) à (b) suppose :
(1) que la référence de « que p » soit une proposition dans « c’est un fait que p », donc
que l’opération consistant à pré�xer un énoncé déclaratif p par « que » ait toujours pour
référence une proposition et ceci dans des contextes distincts des tournures « X croit . . . »,
« X juge . . . », « X espère . . . » etc,
(2) que dans (b) les deux occurrences de « que p » aient pour référence la même proposition,
ce qui justi�e la passage à (3). Fin du résumé du traducteur.]

[Mais] la théorie de l’identité rencontre un problème avec le faux et ceux qui la dé-
fendent sont souvent d’une brièveté soupçonnable quand on en arrive là. Dans un premier
temps, on pourrait penser que (TI) rend déjà compte du faux en tant que négation du vrai :
« pour tout x, x est une proposition fausse ssi x n’est pas un fait ». Mais cela entraîne que
tout ce qui existe et qui n’est pas un fait est une proposition [fausse], y compris G.E. Moore
[. . .]. La tentation alors est de dire qu’une proposition fausse est un fait qui n’existe pas (et
qu’une proposition vraie est un fait qui existe). Mais il n’y a pas de faits qui n’existent pas,
et cette version de la théorie de l’identité a pour conséquence que nous ne pouvons pas
penser ce qui est faux. Car lorsque vous pensez ce qui est faux, alors, selon cette théorie,

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Tru�é d’erreurs : ne pas citer, ne pas faire circuler !

vous pensez quelque chose qui n’existe pas. Donc cela n’existe pas. Donc vous ne pensez
rien du tout.
Selon l’analyse habituelle des croyances, le contenu de ces dernières et des pensées sont
des propositions. Quand la théorie de l’identité est combinée avec cette analyse, le résultat
est plutôt surprenant : les propositions vraies sont des faits. Donc le contenu de la pensée
vraie que p est le fait que p –le fait lui-même, et non quelque doublure ou représentant de
ce fait. Mais n’est-ce pas plus qu’un peu bizarre ? Nous tenons les faits pour des parties,
ou des constituants, du monde. La théorie de l’identité évoque l’image d’un monde entrant
lui-même dans l’esprit - ou est-ce l’image d’un esprit enveloppant le monde ? Ou est-on en
train de nous dire que le monde est constitué par l’esprit ?
Le passage de (a) [la théorie de la correspondance] à (b) [la théorie de l’identité] repose
lui-même sur une thèse linguistique portant sur le discours propositionnel et le discours
factuel. Donc, il semble assez pertinent de relever que ce l’on dit des propositions et ce que
l’on dit des faits ne s’harmonisent pas aussi bien que le théoricien de l’identité le voudrait.
Austin dans [1] propose un certain nombre de cas de ce genre ; par exemple, nous pouvons
dire « il est vrai de dire que les mouches sont des insectes » et aussi « dire que les mouches
sont des insectes est vrai », mais nous ne pouvons pas dire « c’est un fait de dire que les
mouches sont des insectes » ou « dire que les mouches sont des insectes est un fait ». Une
observation plus immédiate est que les faits peuvent être apparemment des causes « la
panique a été provoqué par le fait que le théâtre brûlait ». Mais les propositions n’ont aucune
e�cacité causale. De plus les faits peuvent être découverts et révélés ; expliquer le fait que
le Dodo s’est éteint implique des actions assez di�érentes de l’explication de la proposition,
ou l’a�rmation, que le Dodo s’est éteint.
Il y a donc de bonnes raisons de penser que le discours propositionnel et le discours
factuel ne s’accordent pas aisément. Mais noter cela n’est pas su�sant. Quelque chose doit
être précisée sur les rapports qu’ils entretiennent et, en particulier, le rôle des tournures en
« que. . . » doit être clari�é. Commençons par les termes singuliers de la forme « la proposi-
tion que p » et « le fait que p ». A première vue, ils ressemblent à des descriptions dé�nies. 4
Mais il n’est guère plausible de les interpréter comme des descriptions dé�nies ordinaires.
L’énoncé « la proposition que p est . . . » ne se laisse pas analyser dans le style de Rus-
sell en « il existe un et un seul x tel que x est une proposition et x est. . . ». Disons que
des descriptions de ce genre sont des quasi-descriptions. Comment sont-elles employées ?
Comparez-les avec « la planète Jupiter » et le « le dieu Jupiter ». Celles-ci ne sont pas non
plus employées comme des descriptions dé�nies. La description ordinaire « la planète après
Jupiter » fait référence à une planète en la décrivant comme reliée à Jupiter et dans cette
description « Jupiter » a pour référence un objet. L”expression « la planète Jupiter » a pour
4. [note JF] Une description dé�nie est une expression qui désigne (a pour référence) au plus un objet,
par exemple « la Reine d’Angleterre (actuelle) ». Un énoncé contenant une authentique description dé�nie,
comme « la Reine d’Angleterre (actuelle) a de beaux chapeaux » peut être paraphrasé par un énoncé qui ne
contient plus cette description « il existe un et un seul x tel que x est une Reine d’Angleterre (actuelle) et x
a de beau chapeaux », comme l’a montré Russell en 1905 dans [9]. Selon Marian David, cette analyse ne vaut
pas dans le cas des énoncés contenant des expressions de la forme « que p est A », par exemple de la forme
« que Kevin Ayers est anglais est vrai », « que Kevin Ayers est anglais est un fait bien connu ».

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RÉFÉRENCES Tru�é d’erreurs : ne pas citer, ne pas faire circuler ! RÉFÉRENCES

référence le même objet que « Jupiter » dans cette description ordinaire. De telles quasi-
descriptions sont utiles car le nom « Jupiter » est ambigu et elles permettent de lever l’am-
biguïté ; « la planète Jupiter » et « le dieu Jupiter » nous indique comment comprendre le
nom « Jupiter ». Les expressions « la proposition que p », « le fait que p » sont employées
ainsi. C’est-à-dire que la tournure « que. . . » est ambiguë : elle permet de faire référence à
une entité d’un certain genre dans « la proposition que p », pour le dire explicitement : à
une proposition, et à une autre entité d’un genre di�érent dans « le fait que p » , pour le dire
explicitement : à un fait. A quel fait ? Au fait qui est une cause de la vérité de la proposition
que p.

Références
[1] Austin. Unfair to facts, dans Austin Philosophical Papers (Eds. Urmson, Warnock),
Oxford University Press, 154-174.
[2] Chisholm. Theory of Knowledge, Prentice-Hall.
[3] Frege. Der Gedanke –Eine logische Untersuchung, dans Beiträge zur Philosophie des
deutschen Idealismus (1), réédit. dans Frege Logische Untersuchungen, Vandenhoeck
& Ruprecht, trad. fr. dans [4].
[4] Frege. Ecrits logiques et philosophiques, Seuil.
[5] Moore. Truth and falsity, dans Moore Selected Writings (Ed. Baldwin), Routlege.
[6] Moore. Some main problems of philosophy, Allen and Unwin, Humanities Press.
[7] Russell. The Principles of Mathematics, W. W. Norton & Company, 2ème éd. Trad. fr.
partielle dans [10]. Se trouve à PoM Russell
[8] Russell. Meinong’s theory of Complexes and Assumptions, Mind 13.
[9] Russell. On Denoting, Mind 14, 479-493, trad. fr. dans [10].
[10] Russell. Ecrits de logique philosophique, PUF.

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