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Pete Buttigieg, un Macron américain
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 20 FÉVRIER 2020
Le maire de South Be
Meeting de Pete Buttigieg à Las Vegas, le 18 février. © Reuters
nd (Indiana), révélation de ce début des primaires
démocrates, tente de ressusciter l’« espoir » vanté
par Barack Obama. Caméléon politique financé par
de riches donateurs, il ressemble au Macron de la
campagne de 2017.
Las Vegas (Nevada), de notre envoyé spécial.– Le
premier vote de la primaire démocrate venait de
tourner au fiasco électoral. Ce 3 février, les résultats
du vote de l’Iowa n’étaient pas définitifs. Le monde
entier regardait, les caméras tournaient, mais n’avaient
rien à filmer.
Flairant l’opportunité, Pete Buttigieg est monté sur une
scène pour crier victoire.
Ce soir-là, il avait en réalité perdu le vote populaire
face à Bernie Sanders. Des semaines après, les
résultats de l’un et de l’autre en terme de délégués (le
chiffre qui compte à la fin) sont toujours contestés.
Mais Pete Buttigieg, ce candidat au nom bizarre (cela
se prononce « Boot-edge-edge ») s’est servi du raté des
primaires de l’Iowa comme d’un tremplin.
Une semaine plus tard, il terminait de peu derrière
Sanders dans le New Hampshire et ambitionne
désormais de devenir le candidat centriste de la
primaire démocrate. Biden, Klobuchar, et désormais
le milliardaire Mike Bloomberg qui va bientôt
entrer dans la course : ce créneau-là est très
bouché. La primaire se déplace désormais dans des
États à la démographie plus diverse où Buttigieg
paraît désavantagé. Mais le benjamin de la primaire
démocrate, âgé de 38 ans, n’a pas dit son dernier mot.
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Barack Obama avait jadis vu en lui un des espoirs
du parti démocrate, mais Pete Buttigieg était encore
inconnu il y a quelques mois. Fils de professeurs de
l’Indiana, un État conservateur du Midwest, il parle
plus ou moins bien sept langues (dont le français), a
écrit une thèse sur Graham Greene et aime citer des
philosophes. Il a fait Harvard, obtenu la prestigieuse
bourse Rhodes de l’université britannique d’Oxford.
« Mayor Pete » a aussi travaillé trois ans pour le
cabinet de conseil en restructuration McKinsey – il a
longtemps rechigné à publier la liste de ses clients, et
a fini par le faire sous la pression.
Membre de la réserve de la Navy, il a passé en
2014 sept mois en Afghanistan, dans une unité de
renseignement. Deux ans plus tôt, à vingt-neuf ans, il
a été élu maire de South Bend, une ville libérale de
100 000 habitants dans l’Indiana, un État du Midwest.
Buttigieg, marié à un enseignant, est aussi le premier
candidat ouvertement gay à gagner des délégués dans
une primaire démocrate. Dans l’Indiana conservateur,
dont le vice-président de Trump, l’intégriste Mike
Pence, fut un gouverneur aux politiques homophobes,
son homosexualité ne l’a pas empêché d’être réélu
après son coming out.
Garçon poli et bien élevé, il joue une partition
politique classique. Il met en avant sa jeunesse, fait de
sa nouveauté en politique un atout tandis que d’autres
(Biden, Klobuchar) dénoncent son « inexpérience ».
Il s’en prend volontiers à « Washington » pour se
démarquer des élus nationaux qui l’affrontent (parmi
lesquels trois sénateurs et un ancien vice-président).
Caméléon politique qui a modéré son discours, financé
par de riches donateurs, proposant une vision plutôt
qu’un programme détaillé, il partage certains traits
avec le Emmanuel Macron de 2017, un vrai-faux
« outsider » politique comme lui, qui a affiché lors de
sa campagne un positionnement centriste et s’est posé
en seul recours possible par rapport à l’extrême droite.
Un samedi de février à Las Vegas, dans le Nevada,
une foule de 800 personnes s’est pressée devant un
gymnase pour l’entendre parler. Une performance
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notable : dans cet État, qui désigne son candidat ce 22
février, seul Bernie Sanders, qui affiche des meetings
bondés partout dans le pays, a fait mieux que lui.
Buttigieg, en chemise-cravate, se balade sur la scène,
reprenant le code vestimentaire décontracté de Barack
Obama. Il se présente comme l’homme idoine d’un
moment crucial : « Notre seule chance de battre ce
président, avant qu’il ne soit trop tard. » Buttigieg
prétend incarner l’exacte antithèse de Donald Trump :
même pas quadra (il aura l’âge de Trump en
2054 et celui de Sanders en 2060…) ; cultivé
et pas ignare comme l’occupant actuel du bureau
Ovale ; installé « dans un quartier middle class du
Midwest industriel » tandis que Trump « fait des
cadeaux aux plus riches » ; vétéran « patriote » qui
n’accorderait pas pour autant de grâce présidentielle à
des « criminels de guerre », etc.
« Visualisez cette image, lance-t-il en introduction.
Nous sommes le premier jour où le soleil se lève alors
que Donald Trump n’est plus président. C’est bien,
non ? Êtes-vous prêts pour ce jour ? » L’audience
se pâme, traumatisée par trois années de trumpisme
infernal.
Pete Buttigieg, à Las Vegas (Nevada), le 19 février. © Reuters
Comme Barack Obama en 2008, Buttigieg parle
d’« espoir » et se veut le porte-parole d’une « majorité
américaine » qui défend des idées de bon sens :
pas plus d’un job par personne (aux États-Unis, c’est
parfois deux ou trois), une réforme de la santé mais
pas trop radicale, le salaire minimum à quinze dollars
de l’heure, la fin des « guerres sans fin » à l’étranger,
la gratuité de l’enseignement public pour 80 % « des
familles américaines », la défense de l’éducation, la
lutte contre le racisme.
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Ses propositions sont un peu plus détaillées, mais
il s’en tient dans ces meetings à ces mots clés. Son
obsession semble être d’incarner l’« union » d’un
pays « polarisé » par Trump, qu’il veut guérir des
« divisions ».
À dix-huit ans, le jeune Pete Buttigieg vantait les
mérites de Bernie Sanders dans le cadre d’un
concours organisé par la bibliothèque présidentielle
John Fitzgerald Kennedy de Boston. « Son énergie,
sa candeur, sa conviction et sa capacité à rassembler
s’élèvent contre le courant actuel d’opportunisme, de
compromis moral et d’esprit partisan qui parcourt la
scène politique américaine », écrivait-il à l’époque.
Tandis que Sanders continue de défendre les mêmes
idées, de gauche, le changement proposé par Buttigieg
est limité.
Techno dont la responsable du programme est une
ancienne vice-présidente de Goldman Sachs ensuite
passée à la direction des investissements de Google,
Buttigieg affiche un vrai conservatisme fiscal et
priorise la lutte contre les déficits. Il propose une
taxe carbone et zéro émission pour les États-Unis en
2050, mais plus le « Green New Deal » défendu par
Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, qu’il soutenait
il y a un an. Ancien partisan de « Medicare pour
tous », la profonde réforme de la santé proposée par
Bernie Sanders, « Mayor Pete » prône désormais
un « Medicare pour ceux qui le souhaitent (sic) »
ménageant une place importante aux assurances
privées.
Ses formules, peu originales, sont exprimées avec un
indéniable talent rhétorique. Buttigieg propose une
alternative au « choix binaire » entre « la révolution
[Sanders – ndlr] et le statu quo ». « Je crois plutôt
au dialogue qu’au monologue », répète-t-il. Buttigieg
dépeint Trump en président dangereux et Sanders en
radical buté. Il cherche à apparaître comme le candidat
qui pansera les plaies de l’Amérique. Pour lui, « le
but de la présidence n’est pas la glorification du
président : c’est l’unification du peuple américain ».
Il courtise ouvertement les électeurs qu’il appelle « les
futurs ex-républicains », ces électeurs de Trump qui
ne veulent plus voter pour lui.
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« Buttigieg, c’est le candidat ultime surgi du
traumatisme de l’élection de 2016, écrit dans le
New Yorker l’essayiste Masha Gessen. Il n’est pas
une femme. Pas un socialiste, et décidément pas un
révolutionnaire. Il ne fait pas de grande promesse, si
ce n’est que Donald Trump ne sera plus président. Il
est profondément, essentiellement conservateur. C’est
un vieux politique dans le corps d’un jeune homme. »
Il est aussi, poursuit Gessen, journaliste victime en
Russie des lois homophobes de Poutine, « un politicien
hétérosexuel dans le corps d’un homme gay », qui
affiche une vision très classique de son couple avec son
époux, Chasten. Un collectif nommé « Queers against
Pete » (« Les queers contre Pete ») dénonce d’ailleurs
son programme et manifeste devant ses évènements de
campagne : « Il ne suffit pas d’être gay pour gagner
le soutien des communautés LGBTQIA », prévient ce
groupe d’activistes récemment créé.
Ses meetings sont courus, mais peu divers : surtout
des Blancs des classes moyennes supérieures. À Las
Vegas, j’ai croisé Blake Larsson, un consultant en
logiciels de 30 ans, venu de l’État voisin de l’Arizona
pour voir son candidat favori. « Il apporte une
perspective multigénérationnelle et parle du futur. Il
apporte des idées à la fois nouvelles et faisables. »
Au rayon des innovations, Buttigieg a évoqué la
possibilité d’augmenter le nombre de juges à la
Cour suprême pour éviter sa politisation – elle est
aujourd’hui contrôlée par les conservateurs.
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« Il est éloquent et parle bien. Il est l’opposé de la peur
et de la division. Je pense qu’il peut gagner, explique
Eadie Lamb, 50 ans, une comptable de Las Vegas. La
plupart des gens de ma famille sont des républicains.
Pour eux, Bernie c’est le socialisme. Je ne vois pas
comment Sanders pourrait être élu. »
À ce stade, Sanders, soutenu par une base motivée
et organisée, a pourtant bien plus d’atouts que le
jeune élu de l’Indiana dans la course à la nomination.
La gestion municipale de Buttigieg à South Bend,
notamment la façon dont il a géré les violences
policières, lui vaut la méfiance de la communauté
noire locale. Pour pallier son manque de soutien parmi
les Africains-Américains, Buttigieg s’est récemment
illustré en affichant des soutiens… qui n’en étaient
pas.
Buttigieg a également été épinglé pour ses liens
avec de riches donateurs, que sa campagne qualifie
d’ailleurs d’« investisseurs ». Selon le magazine
Forbes, il est financé par 56 milliardaires, dont
l’héritière des supermarchés Walmart, le venture
capitalist John Doerr ou l’épouse du cofondateur
de Google, Sergey Brin. Buttigieg affirme pourtant
crânement qu’il est le moins fortuné de la course à la
primaire démocrate.
Financé par de riches donateurs, mais affichant
un patrimoine peu important, Emmanuel Macron
avançait exactement en 2017 la même rhétorique.
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