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Revue théologique de Louvain, 31, 2000, 474-491.

Joseph FAMERÉE

L’œuvre théologique de Mgr G. Thils


(1909-2000)

La carrière théologique de Mgr Thils a été brillamment retracée en


1979, lors de son éméritat, par le professeur Roger Aubert1. Son
décès, survenu le 12 avril 2000, est une invitation à lui rendre hom-
mage et à revenir sur une œuvre théologique poursuivie jusque dans
les dernières années de sa vie. Mon exposé commencera par rappeler
les grandes tendances de la recherche de Gustave Thils avant son
éméritat, en se basant sur le travail de R. Aubert; une seconde partie
présentera l’itinéraire ultérieur2.

I. ORIENTATIONS THÉOLOGIQUES DE MGR THILS


AVANT SON ÉMÉRITAT

Le premier centre d’intérêt de Thils est indéniablement l’apologé-


tique, qu’on appellera plus tard théologie fondamentale. Il est mani-
feste dans sa dissertation doctorale3, et plus encore dans sa thèse de
«maîtrise» ou d’habilitation4. Dans cette étude, bientôt classique, de
théologie positive, une discipline où Louvain se distinguait, l’abbé
Thils «montrait comment, du Concile de Trente à l’aube du XXe
siècle, on assiste à une continuelle évolution non seulement de l’uti-
lisation de la méthode apologétique par les notes de l’Église, ce
qu’on appelait la Via notarum, mais aussi de la notion même de
1 Cf. R. AUBERT, La carrière théologique de Mgr Thils, dans Voies vers l’unité.

Colloque organisé à l’occasion de l’éméritat de Mgr Thils. Louvain-la-Neuve, 27-28


avril 1979 (coll. Cahiers de la Revue Théologique de Louvain [= Cahiers RTL], 3),
Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1981, p. 7-27; pour la
bibliographie de Mgr Thils de 1936 à 1980, établie par J.-F. GILMONT et T.P.
OSBORNE, voir les p. 67-102 du même cahier.
2
Cf. E. BRITO, Le professeur émérite Gustave Thils, dans G. VAN BELLE, Index
Generalis ETL-BETL 1982-1997 (coll. Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum
Lovaniensium [= BETL], 134), Louvain, Presses Universitaires de Louvain – Peeters,
1999, p. 35-41.
3
La note de catholicité de l’Église dans la théologie catholique d’Occident, du
XVIe au XIXe siècle, Université Catholique de Louvain, Faculté de Théologie, 1935.
4
Les notes de l’Église dans l’apologétique catholique depuis la Réforme,
Gembloux, Duculot, 1937, LIV-382 p.
L’ŒUVRE THÉOLOGIQUE DE MGR G. THILS 475

‘notes de l’Église’: évolution provoquée par le besoin de s’adapter


aux nécessités changeantes de la polémique, les apologistes détermi-
nant le contenu de chaque note sur mesure, si on peut dire, au fil des
années et des siècles, de manière à éliminer toute prétention de l’ad-
versaire et à ne trouver la note en question vérifiée que dans l’Église
catholique»5. En outre, les apologistes classiques récents avaient
transféré la preuve par les notes de son terrain originel (scripturaire,
patristique, dogmatique) à celui d’un raisonnement purement ration-
nel, s’appliquant de surcroît à une Église envisagée uniquement
comme une société visible et organisée.
Par le fait de sa nomination comme professeur au Grand Séminaire
de Malines, un nouveau champ d’investigation s’ouvre à lui: la
morale, dont une part de l’enseignement (la «petite morale» ou les
vertus théologales) lui est confiée. Grâce à une bourse de voyage du
gouvernement qui couronne sa thèse sur les notes de l’Église, il va
consulter à travers l’Europe occidentale quelques moralistes qui cher-
chent à renouveler leur discipline; il les interroge, les écoute, prend
des notes et il en sort un livre de quelque 160 pages, intitulé
Tendances actuelles en théologie morale6. Se situant à mi-chemin
«entre la science proprement dite et la vulgarisation»7 – un genre
pour lequel G. Thils manifestera toujours une certaine prédilection –
«il rassemblait un certain nombre de signes qui permettaient d’espé-
rer un réveil; il systématisait de manière assez heureuse diverses ten-
dances qui se faisaient jour de façon dispersée mais dont son enquête
permettait de voir qu’elles correspondaient avec les aspirations dif-
fuses un peu partout en vue de substituer à une morale qui avait pour
principal objectif de préciser jusqu’où on peut en prendre à l’aise
avec les commandements de Dieu et de l’Église sans commettre de
péché mortel, une autre morale plus positive, plus théologale et plus
personnalisante tout à la fois, d’orientation christocentrique et sacra-
mentelle»8.
Le moraliste in spe ne collaborera cependant pas, par de nouvelles
publications, au renouveau de la théologie morale dont il venait d’es-
quisser les grandes lignes. Une autre tâche l’attendait: l’enseigne-
ment de l’Écriture Sainte, de 1939 à 1947, toujours à Malines. Deux
5
R. AUBERT, art. cit., p. 8.
6
Gembloux, Duculot, 1940, XI-151 p.
7
Ibidem, p. V.
8
R. AUBERT, art. cit., p. 11.
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ouvrages en furent le fruit: Pour mieux comprendre Saint Paul9 et


L’enseignement de Saint Pierre10. Le premier livre, qui rencontra un
écho favorable, présente, d’une part, les lois de l’esprit de saint Paul
(comment Paul pense-t-il?) et, d’autre part, les concepts et le voca-
bulaire pauliniens (comment Paul écrit-il?). Dans le second, l’auteur
se défend de vouloir écrire une «théologie de S. Pierre»: il regroupe
synthétiquement les diverses affirmations de Pierre (discours des
Actes des Apôtres et Prima Petri) dans le cadre des grands thèmes du
christianisme. Clarté de l’exposé et prudence de l’interprétation des
textes vont de pair, ce qui deviendra une constante chez Thils.
Un autre centre d’intérêt est lié à une responsabilité qui s’ajoute à
celle de professeur: celle de guide ou de directeur spirituel pour les
séminaristes dans leur formation presbytérale. À cette occasion aussi,
on ne s’en étonnera plus, un opuscule voit le jour: Le clergé diocésain,
I. Doctrine11, bientôt suivi d’un gros volume: Nature et spiritualité du
clergé diocésain12. Selon une tradition, inaugurée à Malines par le car-
dinal Mercier, qui visait à revaloriser le prêtre diocésain par rapport au
religieux, l’abbé Thils y «dégageait de la nature même du sacerdoce
diocésain les exigences de la vie surnaturelle et apostolique qu’elle
impose»13. Dans le second volume, l’accent est mis sur l’adjectif «dio-
césain», c.-à-d. sur «ce qui est caractéristique du prêtre engagé dans
l’apostolat diocésain, et le distingue du religieux, dont la vocation n’est
ni supérieure ni inférieure mais différente»14. Le livre (comme beau-
coup d’autres de l’auteur) vient à son heure dans la grande recomposi-
tion théologique et spirituelle au lendemain de la guerre15. Le thème du
«presbytérat» dans son acception la plus large restera d’ailleurs une
préoccupation de G. Thils jusque dans ses dernières publications.
Connexe au précédent, un nouveau thème va s’imposer à lui pro-
gressivement au cours de ces années de guerre et d’immédiat après-
guerre. Thils est invité à animer des récollections et des journées
d’étude pour les mouvements d’Action Catholique organisée. «Il ne

9
Paris-Bruges, Desclée De Brouwer & Cie, 1941, 149 p.
10
(coll. Études bibliques), Paris, Gabalda, 1943, 168 p.
11
(coll. Bibliotheca mechliniensis, 1), Paris-Bruges, Desclée De Brouwer, 1942,
IX-142 p.
12
Bruges-Paris, Desclée De Brouwer, 1946, 416 p.
13
R. AUBERT, art. cit., p. 13.
14
Ibid.
15
Voir aussi pendant la guerre Mission du clergé, Bruges, Desclée De Brouwer,
1942, 178 p., 4e éd. en 1945 sous le titre Mission du clergé et du laïcat.
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se bornait pas à ressasser des commentaires d’encycliques ou à


démarquer des auteurs pieux patentés. Il était – comme il devait tou-
jours le rester – aux écoutes de ceux auxquels il devait parler»16. Il a
le souci de leur apporter un message ecclésial authentique et adapté.
Il a ainsi – et il aura toujours – le charisme de percevoir les points
qui, dans ce message, font ou vont faire problème dans les années à
venir et dont les plus attentifs peuvent pressentir qu’ils passeront
bientôt au premier plan. Ainsi, stimulés par la critique marxiste du
christianisme, un nombre croissant de chrétiens commencent-ils à
réagir contre une théologie «exagérément spiritualiste», qui a oublié
la beauté du monde matériel et la grandeur du corps humain ou n’ap-
précie pas encore les valeurs temporelles dans leur ensemble: cul-
ture, art, technique, travail, transformation de la cité…
«Avec son charisme de humer ce qui est confusément dans l’air
pour l’exprimer systématiquement en le passant au crible de critères
théologiques sûrs afin de faire le tri d’illusions dangereuses et de per-
ceptions valables»17, le chanoine Thils18, en 1947, publie un nouveau
livre, dont le titre va faire fortune pendant plusieurs années:
Théologie des réalités terrestres, I. Préludes19. Dans les premières
pages de l’introduction, il explique bien son propos: «Dans le gigan-
tesque brassage d’idées qui intéresse la vie temporelle: réforme de
l’État, assainissement de la vie familiale, organisation de la profes-
sion, orientation des foyers de culture (…), la théologie chrétienne
doit avoir une parole à faire entendre au nom du Très Haut»20.
Perspective novatrice, et qui l’est toujours. Quelle parole la théologie,
à moins d’être désincarnée, c.-à-d. non chrétienne, a-t-elle à faire
entendre sur les événements du monde et les activités de l’homme
dans l’histoire? Celles-ci, pour le théologien malinois, amorcent dès
ici-bas une anticipation de la spiritualisation finale du monde matériel
par le Saint-Esprit. D’autres volumes viendront les années suivantes
préciser cette thématique fondamentale dans l’un ou l’autre domaine
particulier: Théologie des réalités terrestres, II. Théologie de l’his-
toire21; Transcendance ou Incarnation? Essai sur la conception du

16
R. AUBERT, art. cit., p. 15.
17
Ibid., p. 15-16.
18
Le 2 octobre 1946, il est devenu chanoine honoraire du Chapitre de Malines.
19
Bruges-Paris, Desclée De Brouwer, 1947, 200 p.
20
Ibid., p. 7.
21
Bruges-Paris, Desclée De Brouwer, 1949, 111 p.
478 J. FAMERÉE

christianisme22; Christianismes et christianisme23; Sagesse chré-


tienne et humanités24; Théologie et réalité sociale25.
Tous ces ouvrages tentent d’apporter une contribution à l’élabora-
tion d’une anthropologie chrétienne intégrale, toujours dans la même
perspective: une théologie (trop?) optimiste d’incarnation, mais qui
entend éviter l’horizontalisme simpliste, en rappelant que le christia-
nisme doit toujours rester transcendant au monde d’ici-bas. Ce
thème, sous des formes renouvelées, restera une préoccupation
constante du chanoine Thils.
Professeur de théologie fondamentale à Louvain depuis 1947, il y
est également chargé d’un cours de théologie spirituelle à la Schola
minor de la Faculté de théologie. Dans le cadre de ce cours, il ne lui
faut pas très longtemps pour remplacer le manuel classique de
Tanquerey par un autre de son crû, intitulé Sainteté chrétienne.
Précis de théologie ascétique26, où il prolonge certaines suggestions
avancées dans les Tendances de la théologie morale en voie de
renouvellement. La sainteté: une autre problématique qui, à partir des
Notes de l’Église dans l’apologétique catholique depuis la Réforme,
ne cessera plus de l’accompagner jusqu’à la fin de ses jours.
De 1947 à son éméritat, soit pendant trente ans, le professeur Thils
va donc occuper la chaire de théologie fondamentale. Il défriche
chaque année un secteur nouveau. «Et comme toujours, les secteurs
qui l’attirèrent surtout, c’étaient les secteurs en friche, ceux où des
recherches nouvelles s’amorçaient en tâtonnant, faisant craquer les
cadres des vieux traités»27.
Vers 1950, l’un de ces secteurs nouveaux de l’Église en marche est
celui de l’œcuménisme. Comment s’étonner que le chanoine Thils se
tourne vers lui? «Selon sa méthode, il se mit à dépouiller les biblio-
graphies pour repérer les écrits les plus significatifs en la matière,
puis, après lecture, il s’en alla interroger les auteurs, en confrontant
leurs points de vue; il fit ensuite part à ses étudiants de la synthèse
provisoire qui s’élaborait peu à peu dans son esprit; et enfin, il publia

22
Louvain, Publications de l’Université de Louvain, 1950, 97 p.
23
(coll. Bibliothèque de l’Institut supérieur des sciences religieuses, 5), Paris-
Tournai, Casterman, 1951, 160 p.
24
(coll. Chrétienté nouvelle, 4/19), Paris-Bruxelles, Éd. Universitaires, 1951, 127 p.
25
Paris-Tournai, Casterman, 1952, 296 p.
26
Tielt, Lannoo, 1958, XVI-585 p.
27
R. AUBERT, art. cit., p. 19.
L’ŒUVRE THÉOLOGIQUE DE MGR G. THILS 479

un nouveau livre. Un de plus, mais qui devait marquer: Histoire doc-


trinale du mouvement œcuménique»28. Ce livre signe l’entrée des
questions œcuméniques dans l’enseignement universitaire catholique:
un événement. Une vingtaine d’années après l’ouvrage pionnier du
P. Congar Chrétiens désunis, il fait le point de manière précise et bien
documentée sur la double évolution qui s’est produite depuis lors tant
à Rome qu’à Genève: il comble ainsi une lacune. On y trouve à la fois
une histoire du mouvement œcuménique depuis ses origines et de la
théologie plus ou moins implicite qui l’a sous-tendu et un essai d’ap-
préciation théologique, du point de vue catholique, de ce phénomène
en pleine expansion, expliquant notamment les raisons doctrinales de
certaines réticences catholiques, mais aussi orthodoxes et anglicanes,
à son égard. Dans cet essai, Thils pose bien les problèmes sur la base,
comme d’habitude, d’une documentation étendue et bien digérée, en
indiquant la voie dans laquelle il faut continuer à progresser. «Encore
une fois, le livre venait à son heure et, traduit en diverses langues29, il
a beaucoup contribué à ‘acclimater’ l’œcuménisme dans les centres
catholiques d’enseignement, y compris les plus conservateurs comme
l’étaient à l’époque les séminaires italiens et espagnols»30. En outre, il
reste unique en son genre: une «histoire doctrinale», alliant l’histoire
et la réflexion théologique, à côté de savantes histoires événemen-
tielles du mouvement œcuménique ou de nombreux travaux doctri-
naux approfondis sur telle ou telle question œcuménique.
Depuis cet ouvrage, le théologien louvaniste ne cessera plus d’ap-
porter à la maturation de l’œcuménisme une contribution appréciée31,
par le biais notamment de ses études d’ecclésiologie catholique. Ainsi
s’attaque-t-il bientôt à un aspect fondamental, mais particulièrement

28
R. AUBERT, art. cit., p. 20. Les références bibliographiques de l’Histoire doc-
trinale du mouvement œcuménique sont les suivantes: (coll. BETL, 8), Louvain,
Warny, 1955, 260 p.
29
En fait, le livre n’a été traduit qu’en espagnol sur base de la nouvelle édition
augmentée de 1963 (Paris, Desclée De Brouwer – Louvain, Warny, 1963, 338 p.):
Historia doctrinal del movimiento ecuménico (coll. Biblioteca de teología, 4),
Madrid, Rialp, 1965, XIII-435 p. Quelques pages (p. 288-296) en ont également été
traduites en anglais: The Ecumenical Task. Different Approaches among Catholic
Theologians, dans Eastern Churches Quarterly, t. 15, 1963, p. 128-135.
30
R. AUBERT, art. cit., p. 21.
31
Cf. Le décret sur l’œcuménisme. Commentaire doctrinal (coll. Textes et études
théologiques), Paris, Desclée De Brouwer, 1966, 206 p.; L’Église et les Églises.
Perspectives nouvelles en œcuménisme (coll. Textes et études théologiques), Bruges,
Desclée De Brouwer, 1967, 166 p.
480 J. FAMERÉE

délicat, du système catholique romain: la papauté et les difficultés


spéciales, pour les non-catholiques, liées aux décisions de Vatican I.
Plusieurs écrits, à partir de 196132, vont préparer la voie à deux
volumes importants: des monographies d’une grande rigueur d’ana-
lyse et dont les conclusions sont libératrices pour une ecclésiologie
catholique équilibrée. D’abord L’infaillibilité pontificale. Sources,
conditions, limites33. Cette étude à la fois historique et théorique, cri-
tique et positive des antécédents, du contexte et de la préparation
immédiate de la définition dogmatique qui termine le chapitre IV de
la constitution Pastor aeternus de Vatican I, permet notamment de
bien préciser le sens des diverses expressions employées; elle montre
aussi les limites de l’infaillibilité pontificale définie en 1870, une
notion qu’on avait excessivement gonflée depuis un siècle. Ensuite La
primauté pontificale. La doctrine de Vatican I, les voies d’une révi-
sion34. Selon la même méthode, cet examen historico-critique de la
formulation dogmatique du chapitre III de la constitution Pastor
aeternus permet d’éliminer bien des points de blocage en montrant la
genèse de certaines formules conciliaires et la relativité de certaines
institutions ou des formes qu’elles ont prises; il prépare une seconde
partie doctrinale, proposant, d’une part, les éléments d’une analyse
critique qui justifie pleinement une révision de la théologie classique
de la primauté papale et, d’autre part, des suggestions en vue d’une
réélaboration de cette doctrine dans la ligne amorcée par Vatican II.
Vatican II a en effet eu lieu entre-temps: un concile où le chanoine
Thils a joué un rôle important, mais souvent discret, dès la phase pré-
paratoire et tout au long des quatre périodes, à la fois comme œcumé-
niste et membre du Secrétariat pour l’Unité (Unitatis redintegratio),
comme théologien des réalités terrestres (Gaudium et spes) et comme
ecclésiologue, spécialiste notamment des prérogatives pontificales à
Vatican I (Lumen gentium)35.

32
Voir notamment Primauté pontificale et prérogatives épiscopales. «Potestas
ordinaria» au Concile du Vatican (coll. BETL, 17), Louvain, Warny, 1961, 104 p.;
L’infaillibilité du peuple chrétien «in credendo». Notes de théologie posttridentine
(coll. BETL, 21), Louvain, Warny; Paris, Desclée De Brouwer, 1963, 67 p.
33
(coll. Recherches et synthèses: Section de dogme), Gembloux, Duculot, 1969,
XIII-265 p.
34
(coll. Recherches et synthèses: Section de dogme, 4), Gembloux, Duculot,
1972, 269 p.
35
Sur le rôle conciliaire de G. Thils, voir l’article de J. GROOTAERS, à paraître
prochainement dans les Ephemerides Theologicae Lovanienses.
L’ŒUVRE THÉOLOGIQUE DE MGR G. THILS 481

Au retour du concile en 1966, Mgr Thils n’estime pas que sa tâche


se réduira désormais à répéter Vatican II36. «Il savait trop bien qu’un
concile n’est jamais qu’une étape dans la vie de l’Église»37. Aussi se
remet-il à l’écoute de nouvelles recherches, encore tâtonnantes à
l’époque. Durant le concile, il a perçu que certaines questions de
théologie fondamentale commencent à se poser en des termes neufs:
celle notamment du statut théologique des religions non chrétiennes
par rapport au christianisme. Deux livres naissent de son attention à
ce nouveau domaine de réflexion: Propos et problèmes de la théolo-
gie des religions non chrétiennes38 et Syncrétisme ou catholicité?39
Le premier se présente comme une introduction très générale au pro-
blème de la théologie des religions, écrit dans un style simple, appor-
tant des précisions de vocabulaire, un bref historique du problème, un
inventaire des questions posées et une esquisse des solutions envisa-
gées. Thils veut ainsi «prendre part à la réflexion théologique relative
aux religions du monde, en fournissant une sorte de relevé assez
développé sur le sujet»40, comme il l’écrit dans la conclusion de l’ou-
vrage, modeste et très significative de ses orientations habituelles:
alerter «sur les problèmes en train de monter à l’horizon», aider «à
les aborder en connaissance de cause» et permettre «d’entrevoir les
voies où il serait bon de s’engager»41. Le second ouvrage, quant à
lui, rassemble des réflexions à partir du no 22 du décret de Vatican II
sur l’activité missionnaire et du cri d’alarme que venait de lancer
W.A. Visser ’t Hooft42: après avoir caractérisé le syncrétisme, il tente
de déterminer la frontière entre les différents types de «mélanges
syncrétistes» dont l’homme est menacé en cette fin des années 60 et
le pluralisme, légitime et nécessaire, qui n’est que la mise en œuvre
concrète de la «catholicité» ecclésiale, ce respect de la diversité des
peuples et des cultures dans l’unique Église du Christ.

36
Il a été nommé prélat domestique à la suite de sa participation aux travaux
conciliaires.
37
R. AUBERT, art. cit., p. 24.
38
(coll. Église vivante), [Tournai], Casterman, 1966, 204 p.
39
(coll. Église vivante), Tournai, Casterman, 1967, 195 p.
40
Propos et problèmes de la théologie des religions non chrétiennes, op. cit.,
p. 197.
41
R. AUBERT, art. cit., p. 26.
42
L’Église face au syncrétisme. La tentation du mélange religieux, Genève,
Labor et Fides, 1964, 169 p.
482 J. FAMERÉE

D’autres sujets d’actualité peuvent être notés à travers les publica-


tions du début des années 70: l’opportunité de réviser les modalités
du choix des évêques et du pape43, les dangers d’une Lex fundamen-
talis de l’Église44 ou encore les aspirations à un christianisme sans
religion45, où Thils s’efforce de dégager ce qu’il y a de valable, à côté
d’affirmations unilatérales et simplistes, dans les idées de Bonhoeffer,
Harvey Cox et autres prophètes de la Secular City.

II. INTÉRÊTS THÉOLOGIQUES DE MGR THILS ÉMÉRITE

Au cours de son long éméritat (1976-2000), Mgr Thils va conti-


nuer à traiter des thèmes d’ecclésiologie et de théologie fondamen-
tale: plus précisément des questions ecclésiologiques et doctrinales
internes à la tradition chrétienne, d’une part, et diverses questions-
limites à la jonction de l’Église et du monde, d’autre part.

Commençons par les questions doctrinales internes au christia-


nisme. Dans cette ligne, je relève trois domaines: la sainteté chré-
tienne, la dogmatique fondamentale (la foi et les doctrines théolo-
giques en «évolution», l’ecclésiologie et le rapport au Magistère), le
ministère presbytéral.
Tout d’abord, la sainteté chrétienne. L’ouvrage Existence et sain-
teté en Jésus-Christ46 renoue avec une réflexion amorcée vingt-
quatre ans plus tôt dans Sainteté chrétienne. Précis de théologie
ascétique et même dans Tendances de la théologie morale en 1940.
À des idées déjà développées dans Sainteté chrétienne s’ajoutent
«d’importantes considérations sur l’existence chrétienne et sa pré-
sence médiatrice dans le monde»47. Outre de fréquents recours au
chapitre V de Lumen gentium sur l’appel universel à la sainteté,
l’influence de Vatican II se reconnaît aussi dans les passages qui

43
Choisir les évêques? Élire le pape? (coll. Réponses chrétiennes aux hommes
de notre temps, 13), Gembloux, Duculot – Paris, Lethielleux, 1970, 96 p.
44
Une «Loi fondamentale de l’Église?», Louvain, Peeters, 1971, 32 p.
45
Christianisme sans religion? (coll. Christianisme en mouvement, 6), Tournai,
Casterman, 1968, 164 p.
46
Paris, Beauchesne, 1982, 392 p.
47
E. BRITO, art. cit., p. 37; voir la recension de G. DE SCHRIJVER, dans
Ephemerides Theologicae Lovanienses [= ETL], t. 60, 1984, p. 161-163.
L’ŒUVRE THÉOLOGIQUE DE MGR G. THILS 483

exposent l’importance des structures de participation dans l’Église


et la société profane. Responsabilité dans le monde et participation
à la vie divine sont deux notions complémentaires. On le constate,
là où on pense trouver chez Thils un thème purement intra-chrétien
et individuel, on est immédiatement plongé en plein monde.
L’auteur pénètre ensuite dans le cœur même de la théologie chré-
tienne de la vie ascétique et mystique, en s’inspirant des maîtres
classiques de la vie spirituelle. Il souligne que la croissance dans les
vertus morales et l’expérience de Dieu (vertus théologales) vont de
pair. Mgr Thils reviendra ultérieurement sur le thème de la sainteté
pour l’appliquer plus spécifiquement aux laïcs (Les laïcs et l’enjeu
des temps «post-modernes»48) ou aux prêtres (Prêtres de toujours
et prêtres d’aujourd’hui49). Dans le premier cas, il propose aux
fidèles laïcs une sainteté «dans et par» le siècle50. Après avoir rap-
pelé la vocation universelle et multiforme à la sainteté, il présente
l’amour de Dieu et du prochain comme la perfection de toute exis-
tence chrétienne, considère les moyens de sanctification dans une
dynamique de croissance et établit un lien indissoluble entre
«prière» et «engagement» aujourd’hui, pour conclure à la spécifi-
cité de la sainteté laïcale, non seulement «dans» le siècle, mais
aussi «par» le siècle, par les médiations séculières de notre temps.
Quant aux prêtres, il les invite aujourd’hui à une spiritualité «uni-
versaliste» et «intégrale»51. Spiritualité «universaliste»: la vie
théologale des futurs prêtres devrait, et de manière décidée, intégrer
la Présence universelle et sanctificatrice du Seigneur et de l’Esprit;
on pourrait aussi parler de Présence planétaire et pluraliste.
Spiritualité «intégrale»: on vise «une vie de foi théologale qui per-
çoit tout ce que le Seigneur et son Esprit réalisent et animent ici-
bas, non seulement au cœur des réalités ‘religieuses’, mais aussi au
cœur des réalités ‘séculières’»52.

48
(coll. Cahiers RTL, 20), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de
Théologie, 1988, 120 p.
49
(coll. Cahiers RTL, hors série), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté
de Théologie, 1990, 78 p.
50
Cf. Les laïcs et l’enjeu des temps «post-modernes», op. cit., p. 90-117 (chap. IV).
51
Cf. Prêtres de toujours et prêtres d’aujourd’hui, op. cit., p. 53-58 et 59-62
(chap. XIII et XIV).
52
Ibid., p. 59.
484 J. FAMERÉE

Le deuxième secteur de réflexion du maître louvaniste est la dog-


matique fondamentale. Je distingue, d’une part, des questions rela-
tives à la foi et à sa formulation théologique et, d’autre part, des pro-
blèmes plus spécifiquement ecclésiologiques, qui concernent
notamment la fonction magistérielle dans l’Église et ses limites.
Deux écrits représentent la première catégorie de questions: En
dialogue avec l’«Entretien sur la foi»53 et Les doctrines théologiques
et leur «évolution»54. Dans le premier, Mgr Thils entre courtoise-
ment en dialogue avec l’Entretien sur la foi du cardinal Ratzinger et
de V. Messori55, mais ne se prive pas de comparer malicieusement la
pensée du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi en
1985 et celle du professeur dans les années 60 et 70… Dans la
seconde plaquette, «Thils rappelle que vivre, c’est évoluer, et que les
doctrines théologiques n’échappent pas à cette loi»56. Divers sujets
illustrent cette évolution doctrinale de l’Église: les droits de
l’homme, le statut des fidèles laïcs, l’attitude envers les autres
confessions chrétiennes et les autres religions, les rapports Église-
État, la valorisation de tous les états de vie, l’exégèse moderne, la
collégialité épiscopale, le rôle du Peuple de Dieu dans le développe-
ment de la doctrine.
Pour ce qui est des problèmes ecclésiologiques, relatifs plus parti-
culièrement au magistère catholique, citons le volume Primauté et
infaillibilité du Pontife Romain à Vatican I et autres études d’ecclé-
siologie57, ainsi que deux plaquettes: La profession de foi et le ser-
ment de fidélité58 et «… en conformité avec l’enseignement du
Magistère…»59. Primauté et infaillibilité reprend l’essentiel de deux
classiques déjà évoqués60, ainsi que treize articles publiés ou inédits

53
(coll. Cahiers RTL, hors série), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté
de Théologie, 1986, 94 p.
54
(coll. Cahiers RTL, 28), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de
Théologie, 1995, 70 p.
55
Trad. française, Paris, Fayard, 1985.
56
E. BRITO, art. cit., p. 40; voir la recension de J. ÉTIENNE, dans ETL, t. 71, 1995,
p. 252-253.
57
(coll. BETL, 89), Louvain, Presses Universitaires de Louvain – Peeters, 1989,
422 p.
58
(coll. Cahiers RTL, 23), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de
Théologie, 1989, 60 p.
59
(coll. Cahiers RTL, 27), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de
Théologie, 1994, 57 p.
60
Cf. supra, notes 33 et 34.
L’ŒUVRE THÉOLOGIQUE DE MGR G. THILS 485

faisant percevoir que la vie ecclésiale ne s’est arrêtée ni en 1870 ni en


196561. Les deux plaquettes traitent du degré d’assentiment dû aux
enseignements magistériels. En théologien chevronné et conscient de
ses responsabilités, Thils a toujours eu le souci de relativiser saine-
ment ceux-ci en spécifiant leur degré d’autorité, de manière à ne pas
les majorer indûment, ce qui fut et reste souvent le cas dans la tradi-
tion catholique romaine. Ainsi le Cahier sur la profession de foi et le
serment de fidélité offre-t-il de nombreux critères traditionnels pour
une exégèse «stricte» de ces deux textes62. Quant au second, il rap-
pelle, lui aussi, à partir de témoignages autorisés, que l’assentiment
dû à l’enseignement du magistère doit être lucidement modulé selon
l’engagement variable de ce dernier et le contexte de l’énoncé doctri-
nal, que ce soit en matière dogmatique, morale ou sociale63. Mises au
point toujours précieuses, surtout quand le discours magistériel se fait
plus prolixe et envahissant. Dans le même secteur théologique, on
pourrait ajouter un opuscule d’ecclésiologie plus globale, mais une
fois encore marqué par le souci insistant d’écouter les signes des
temps: L’après-Vatican II. Un nouvel âge de l’Église?64
Le ministère presbytéral constitue la troisième thématique des
questions doctrinales «intra-chrétiennes». À l’approche du VIIIe
Synode des évêques (1990), consacré à la formation des prêtres, Mgr
Thils publie un nouveau petit volume en prise sur l’actualité: Prêtres
de toujours et prêtres d’aujourd’hui65. Une série de quinze courts
exposés déclinent le thème selon différents aspects. On y traite
notamment des rapports entre ministère et communion ecclésiale ou,
en d’autres termes, de la «corrélation équilibrée» et de la fraternité
qui doivent exister entre pasteurs et autres fidèles66. Il y est aussi

61
Cf. E. BRITO, Théologie dogmatique, dans G. VAN BELLE, Index Generalis
1982-1997, op. cit., p. 308-310; voir la recension de M. SIMON dans ETL, t. 68,
1992, p. 176-177.
62
Cf. E. BRITO, Le professeur émérite Gustave Thils, art. cit., p. 38-39; voir la
recension de M. SIMON, dans ETL, t. 68, 1992, p. 177-178.
63
Cf. E. BRITO, art. cit., p. 39-40; voir la recension de J. ÉTIENNE, dans ETL,
t. 70, 1994, p. 521.
64
(coll. Cahiers RTL, 13), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de
Théologie, 1984, 86 p.
65
Cf. supra, p. 483 et note 49.
66
Sur ce point, voir aussi Les laïcs dans le nouveau Code de droit canonique et
au IIe concile du Vatican (coll. Cahiers RTL, 10), Louvain-la-Neuve, Publications de
la Faculté de Théologie, 1983, 84 p.
486 J. FAMERÉE

question du lien entre la mission des prêtres et celle de l’évêque, ainsi


que du sens de la «diakonia» et de l’«exousia» du ministère chré-
tien. La préoccupation est toujours de considérer le prêtre dans la
«modernité» ou «dans les circonstances actuelles», en lui proposant,
comme on l’a déjà signalé, une spiritualité «intégrale» et «universa-
liste», l’Agapè révélée en Jésus-Christ demeurant la structure fonda-
mentale de toute existence chrétienne. Propos rafraîchissants d’un
homme de quatre-vingt-un ans. On pourrait aussi mentionner ici un
de ses derniers articles: Annoncer Jésus-Christ: mais quel Jésus-
Christ?67 Partant d’une étude du professeur Ratzinger notamment68,
comme il aimait à le faire, le théologien louvaniste fait observer avec
un brin de malice que Jésus était laïc et ne s’inscrivait pas dans la
ligne du sacerdoce d’Aaron, pas plus que sa mort ne fut un acte cul-
tuel: l’existence de Jésus consistait uniquement en une mission de
type prophétique. «De cette manière de représenter le ministère de
Jésus-Christ découle une conception adéquate [non cultuelle] du
ministère chrétien»69. Comme à l’accoutumée, l’auteur fait un tour
d’horizon du sujet à partir d’une documentation essentielle bien maî-
trisée (J. Ratzinger, A. de Halleux, A. Vanhoye, J. Delorme) pour
aboutir à quelques conclusions plus personnelles. Perspectives tou-
jours intelligentes et larges, ouvertes sur la vie des hommes, même si
les notions utilisées manquent parfois d’un peu de précision (d’où les
innombrables guillemets).

Après ces questions doctrinales «intra-chrétiennes», la transition


se fait ainsi tout naturellement vers un autre type de questions, sans
doute les plus chères au théologien des réalités terrestres et les plus
récurrentes dans son œuvre: les questions à la jonction de l’Église et
du monde, de la culture, de l’État… De 1981 à 1993, Thils y a consa-
cré pas moins de neuf petits livres. Les cinq premiers portent sur
l’engagement de l’Église au service du monde de ce temps et sur la
présence salvifique de Dieu en celui-ci; ils ont successivement pour
titre: Droits de l’homme et perspectives chrétiennes70; Une pastorale
67
Dans The four gospels 1992. Festschrift Frans Neirynck (coll. BETL, 100),
Louvain, Presses Universitaires de Louvain – Peeters, 1992, p. 2525-2535.
68
Zur Frage nach dem Sinn des priesterlichen Dienstes, dans Geist und Leben,
t. 41, 1968, p. 367-376.
69
Annoncer Jésus-Christ: mais quel Jésus-Christ?, art. cit., p. 2526.
70
(coll. Cahiers RTL, 2), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de
Théologie, 1981, 116 p.
L’ŒUVRE THÉOLOGIQUE DE MGR G. THILS 487

de l’espérance. Théologie, stratégie71; Pour une théologie de struc-


ture planétaire72; Présence et salut de Dieu chez les «non-chré-
tiens». Une vérité à intégrer en tout «exposé de la foi» de l’an
200073; Les laïcs et l’enjeu des temps «post-modernes». Sécularité,
Modernité, Post-modernité. Une intra-ecclésialité «multiforme».
Relation clercs-laïcs «équilibrée». La sainteté «dans et par» le
siècle, déjà évoqué74. Les quatre autres Cahiers («Foi chrétienne» et
«Unité de l’Europe»75; Le statut de l’Église dans la future Europe
politique76; L’État moderne «non-confessionnel» et le message chré-
tien77; La Communion ecclésiale dans le cadre juridique de l’État
moderne78) sont plus spécifiquement dédiés à la place et au rôle de
l’Église dans le cadre des États démocratiques modernes79, une ques-
tion aussi ancienne, chez l’auteur, que sa théologie des réalités ter-
restres ou même sa réflexion sur l’apologétique catholique posttri-
dentine, une question renouvelée grâce aux débats conciliaires
(Gaudium et spes et Dignitatis humanae) et qui semble l’avoir sti-
mulé particulièrement au cours de ses dernières années. Toujours la
même intelligence en éveil face au monde en évolution et à l’actua-
lité ecclésiale, la même prédisposition à percevoir aussi les aspects
juridiques et canoniques des réalités chrétiennes.
Présentons brièvement ces deux séries d’ouvrages à préoccupation
apostolique et pastorale au sens large.
Une pastorale de l’espérance, précisément, «est le résultat d’un
travail conjugué d’un théologien et d’un professeur de politique inter-
nationale (J. Barrea)»80. On pourrait parler d’une macro-pastorale de

71
(Coauteur avec J. BARREA), Paris, Beauchesne, 1982, 157 p.
72
(coll. Cahiers RTL, 6), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de
Théologie, 1983, 80 p.
73
(coll. Cahiers RTL, 18), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de
Théologie, 1987, 115 p.
74
Cf. supra, p. 483 et note 48.
75
(coll. Cahiers RTL, hors série), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté
de Théologie, 1990, 137 p.
76
(coll. Cahiers RTL, hors série), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté
de Théologie, 1991, 108 p.
77
(coll. Cahiers RTL, hors série), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté
de Théologie, 1992, 101 p.
78
(coll. Cahiers RTL, hors série), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté
de Théologie, 1993, 109 p.
79
On pourrait aussi parler d’une sorte de théologie du politique.
80
E. BRITO, art. cit., p. 38; voir la recension de G. DE SCHRIJVER, dans ETL, t. 60,
1984, p. 163-164.
488 J. FAMERÉE

l’espérance pour l’univers: en dehors du christianisme, tant les


grandes religions mondiales que les organisations séculières sont por-
teuses de salut dans la mesure où elles incarnent concrètement des
valeurs «christiques» comme la dignité personnelle, la justice, la
paix… Remarquable largeur de vue universelle, si caractéristique de
la manière de penser de Mgr Thils.
L’année suivante, Pour une théologie de structure planétaire
approfondit le même sujet, mais sous un angle plus strictement dog-
matique et sotériologique, renouant avec une réflexion de 1966,
Propos et problèmes de la théologie des religions non chrétiennes81.
La théologie des médiations non chrétiennes du salut n’est-elle pas
trop souvent ecclésiocentrique? Ne faut-il pas plutôt se mettre du
point de vue théocentrique de l’agir divin lui-même, qui opère le
salut de l’univers? Dans cette dernière perspective, l’auteur apprécie
la portée salvifique et sanctifiante de diverses médiations indivi-
duelles et collectives du salut, sans minimiser pour autant ce qu’il
appelle la «précellence de la religion catholique», le tout étant resi-
tué dans la médiation plus globale de l’histoire en devenir et en ten-
sion, au sein de laquelle les chrétiens ont à mener une action pour
leur part. Si cet universalisme sotériologique est généreux et libéra-
teur, l’«élasticité» de certains concepts ne permet pas toujours de
faire progresser une réflexion spéculative sur les rapports entre chris-
tianisme et monde non chrétien.
Présence et salut de Dieu chez les «non-chrétiens», quatre ans
plus tard, creuse encore le sillon. Plus que pour la vieille question
dogmatique du salus infidelium, il convient désormais de prendre une
conscience accrue de notre situation culturelle moderne: le monde est
un village et est caractérisé par un pluralisme d’options humaines et
religieuses, même en Occident. «Quel rôle Dieu joue-t-il dans cette
aventure mondiale, dans cette épopée planétaire?»82 Le chapitre III
esquisse précisément «une sorte de synthèse des données théolo-
giques susceptibles de faire mieux comprendre la condition spiri-
tuelle de ces ‘autres’ [personnes et civilisations non chrétiennes]»83.
L’élaboration d’un nouveau compendium de la foi catholique,
demandée par le Synode extraordinaire de 1985, constitue une raison

81
Cf. supra, p. 481 et note 38.
82
Présence et salut de Dieu chez les «non-chrétiens», op. cit., p. 5.
83
Ibid., p. 6.
L’ŒUVRE THÉOLOGIQUE DE MGR G. THILS 489

supplémentaire pour la rédaction de cette plaquette84. Ainsi celle-ci


«pourra-t-elle sans doute rendre quelque service à ceux qui estime-
ront utile, voire indispensable, d’intégrer cette vérité catholique dans
les ‘exposés de foi’ qui vont paraître au cours des prochaines
années»85. Se précise ici une autre facette du théologien louvaniste:
son souci pastoral de faire évoluer progressivement l’enseignement
officiel de l’Église, en exploitant d’ailleurs finement les évolutions
de celui-ci et en les diffusant largement à travers des «exposés de la
foi», par exemple. Ce souci d’influencer discrètement la vie ecclé-
siale se confirme si l’on sait que, les dernières années, Mgr Thils
envoyait un exemplaire de chacune de ses brochures au cardinal
J. Ratzinger.
On a déjà signalé Les laïcs et l’enjeu des temps «post-modernes»
pour son chapitre IV, dédié à la sainteté laïcale («dans et par» le
siècle). On aurait pu aussi en citer deux chapitres dans le domaine de
l’ecclésiologie (II. Une intra-ecclésialité «multiforme» et III. Une
relation clercs-laïcs «équilibrée»). Mais j’ai voulu réserver ce fasci-
cule pour le secteur de la mission de l’Église dans le monde. Le titre
lui-même est évocateur de cette perspective globale. Le tout est écrit
dans la conviction que les membres du Peuple de Dieu sont et seront
de plus en plus des citoyens du monde. Je retiens ici seulement le
premier chapitre («Sécularité, Modernité et Post-modernité»)86.
Celui-ci s’efforce de cerner la sécularité «plénière» des laïcs et de la
situer dans l’histoire du salut. Dans la sécularité «post-moderne»,
dynamique et assagie, l’activité laïcale doit s’exercer en fidélité
«adulte» au message chrétien, promouvoir une rationalité «raison-
nable» et favoriser l’unité dans une juste diversité.
Le rapport du christianisme au politique est l’objet plus spécifique
de trois autres cahiers. Ainsi «Foi chrétienne» et «Unité de
l’Europe». Dès 1990, alors que le sujet n’est pas encore à la mode, le
professeur émérite pressent qu’il le deviendra bientôt ou du moins que
l’unification politique de l’Europe, à l’instar de toute réalité humaine,
ne peut laisser la foi chrétienne muette ou indifférente: là aussi les
Églises, les spiritualités ont leur mot à dire et peuvent apporter un

84
Toujours cette attention du lecteur de L’Osservatore Romano à l’actualité
ecclésiale et aux nouvelles expressions du magistère, ainsi que son souci apostolique
de formation des chrétiens.
85
Ibid., p. 7.
86
Cf. Les laïcs et l’enjeu des temps «post-modernes», op. cit., p. 9-49.
490 J. FAMERÉE

«supplément d’âme», comme on en est aujourd’hui conscient au sein


des instances européennes. L’année suivante, Le statut de l’Église
dans la future Europe politique poursuit la réflexion sur le thème, tout
en la circonscrivant à la place de l’Église (catholique en l’occurrence)
dans le cadre de l’État moderne. L’Europe est «traitée comme une
illustration remarquable de ce qui pourrait connaître une extension
mondiale»: le propos est doctrinal et vise à montrer le renouvelle-
ment du discours ecclésial sur le rôle des entités politiques ou des
relations entre Église et État. Est ainsi décrite une théologie «du poli-
tique, de ses références morales, de ses valeurs inspiratrices, de sa
rencontre avec le message chrétien»87.
Les deux ouvrages postérieurs prolongent l’examen de cette ques-
tion, mais sous l’angle plus resserré de l’État moderne. Le lecteur
attentif des discours pontificaux y relève entre 1988 et 1991 plusieurs
prises de position de Jean-Paul II sur la place et le statut de l’Église
dans l’État moderne, idéologiquement neutre, et notamment sur une
liberté civile qui, en son sein, garantisse pleinement la liberté reli-
gieuse. Ce sont ces interventions répétées et les changements cultu-
rels en cours qui ont amené l’auteur en 1992 «à s’intéresser de près
à cet État ‘moderne’, État de droit et non-confessionnel»88. Est
d’abord définie «l’assise théologique de la réflexion proposée sur les
différents aspects de l’État non-confessionnel»89. Les considérations
suivantes «constituent le fondement même d’une réflexion ‘d’inspi-
ration chrétienne’ sur l’État non-confessionnel, sa condition, sa
nature, sans oublier la relation qu’il peut vérifier avec la foi chré-
tienne, à savoir Dieu, l’Esprit, le salut, et même le culte»90. Quant à
La Communion ecclésiale dans le cadre juridique de l’État moderne,
ouvrage publié en 1993, il «souligne que l’épineuse question des rap-
ports entre l’Église et l’État se pose en des termes profondément
renouvelés depuis que l’institution politique se veut démocratique,
pluraliste, non confessionnelle et que l’Église catholique formule sur
nouveaux frais sa mission dans le monde»91. Si l’Église n’attend plus

87
E. BRITO, art. cit., p. 39; voir la recension de J. ÉTIENNE, dans ETL, t. 67, 1991,
p. 484-485.
88
L’État moderne «non-confessionnel» et le message chrétien, op. cit., p. 7.
89
Ibid., p. 11.
90
Ibid.
91
E. BRITO, art. cit., p. 39; voir la recension de J. ÉTIENNE, dans ETL, t. 69, 1993,
p. 216-217.
L’ŒUVRE THÉOLOGIQUE DE MGR G. THILS 491

une reconnaissance privilégiée de son statut, le vieux maître louva-


niste plaide pour une non-confessionnalité ouverte et positive de l’É-
tat, qui protège la liberté de conscience et de confession de tous les
citoyens, et n’interdise jamais de «poser publiquement les questions
essentielles relatives au sens de l’existence»92.

La foi écoute le monde, selon l’expression de Mgr Dondeyne, et


entre en dialogue avec lui93: tel est le ressort constant de la démarche
théologique de Gustave Thils. Détection des nouvelles tendances
sociales, culturelles et théologiques qui commencent à se dessiner et
des problèmes qui vont se poser, première ébauche de solution de
ceux-ci; ouverture d’esprit, largeur de vues étonnante aux dimen-
sions du cosmos; diversité corrélative des thématiques, mais en
même temps unité profonde et permanence de leur visée, autant de
caractéristiques du style et de la réflexion théologiques du professeur
de Louvain-la-Neuve. S’il n’a pas toujours approfondi les probléma-
tiques qu’il décelait, il les a toujours saisies et exposées clairement,
avec beaucoup de finesse, d’intuition et d’équilibre. Bien poser les
problèmes et les mettre à la portée du plus grand nombre, n’est-ce
pas là une éminente responsabilité du scientifique?

B - 1050 Bruxelles, Joseph FAMERÉE,


rue E. Cattoir 18 B. Professeur à la Faculté
de théologie de l’U.C.L.

92
E. BRITO, art. cit., p. 39.
93
Cf. A. DONDEYNE, La foi écoute le monde (coll. Nouvelle Alliance), Paris, Éd.
Universitaires, 1964.

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