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BENOIST, Jean - Rencontre Avec Milo Rigaud PDF
BENOIST, Jean - Rencontre Avec Milo Rigaud PDF
Médecin et anthropologue
Laboratoire d’Écologie humaine, Université d’Aix-Marseille III, France.
(2010)
“Rencontre avec
Milo Rigaud.”
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Jean Benoist
Jean Benoist
Bien que le ton des lignes qui suivent soit plus près de celui d’un re-
portage que de celui d’une étude anthropologique, il me semble qu’on
accède mieux à la vérité d’un homme par une telle rencontre que par
n’importe quelle analyse. Rencontrons donc Milo Rigaud.
2 La situation politique était alors agitée et fort instable ; Fignolé exerçait les
derniers jours d’une présidence provisoire après des troubles assez sérieux. Les
élections qui allaient suivre donneraient le pouvoir à Duvalier.
3 Il s’agit là d’un pseudonyme, que l’auteur n’a jamais voulu que je révèle, pour des
raisons que je n’ai pas toutes comprises, mais que je respecte, même ici. Intel-
lectuel, appartenant à « l’élite », ayant occupé quelques fonctions importantes, au
long de positions politiques fluctuantes, il était fondamentalement intéressé par
le vaudou, tout en s’en défendant.
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4 Ethnologue, elle avait beaucoup aidé Alfred Métraux et Michel Leiris, en particu-
lier en les introduisant auprès de certains houngans de Port-au-Prince. Elle a
laissé une œuvre importante sur le vaudou.
5 Dans des conditions souvent très dures, comme en témoigne le journal haïtien La
Nation qui, en date des 4 et 5 août 1947, dénonce l’enfermement de Milo Rigaud
« dans une cellule aménagée pour miner la santé du célèbre leader ».
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sable doré, un jet d’eau, un pavillon circulaire qui voulait évoquer une
case africaine, avec son toit en paille de canne qui pendait comme la
jupe d’un masque, des rues bordées de hauts murs derrière lesquels on
pressentait des jardins. On était loin, très loin de Port-au-Prince, de
son peuple, et plus loin encore des campagnes.
dre entre eux des pans entiers du monde qu’on croyait séparés.
Des créateurs d’unité. Ils sont toujours là… Ils peuvent commu-
niquer à n’importe quel moment… Mais le jour casse les fils qu’ils
ont tressés… Le jour morcelle… »
choses qui ne sont pas dans la Bible, mais que les Mystères ont
gardées avec eux, et qu’ils m’apprenaient par sa bouche… Il y a
toute une tradition africaine de la Bible, immense, généreuse,
comme le livre écrit mais qui ne repose que dans les Esprits.
C’est de Guinée que sont venues les connaissances des prophè-
tes, et ils ne les ont transcrites que beaucoup plus tard… Et ils
n’ont pas tout écrit, pas tout ce qui vient d’Afrique.
« Il me conta Salomon, tel que son histoire est venue autre-
fois du Soudan et de la Guinée, et il me dit les épisodes que les
Prophètes n’ont pas écrits… Et il connaissait toutes les sagesses
de la Bible telles que les dieux d’Afrique les ont données aux
Égyptiens, qui les ont transmises aux Hébreux… Ce paysan sim-
ple, qui parlait mal, avait donné sa voix au loa qui lui contait le
sens du monde, et il semblait lire dans un livre tellement était
partie son hésitation, tant il employait de mots qu’il ne pouvait
pas comprendre pour dire des révélations qui le dépassaient…
« Certains disent que ce sont des bribes du catéchisme et
des serments des anciens missionnaires qui ressortent ainsi.
Mais ne vous trompez pas : la source est africaine, et les mis-
sionnaires venus de Bretagne ou du Canada ne connaissent pas
les révélations des loas. Pour eux ce ne sont que des diableries…
Alors qu’il y a des traditions que les plus savants d’entre eux
ignorent, des détails qu’on ne sait qu’en Afrique… D’ailleurs sou-
vent j’ai tenté une épreuve. J’ai pris la Bible et j’ai interrogé ces
paysans quand le Mystère parlait par leur bouche. Je les ai
questionnés sur les passages les plus obscurs du livre de Sopho-
nie, ou sur les visions de la ruine de Jérusalem dans le livre
d’Ézéchiel, et ils me contaient, au-delà du livre, ce qui n’y était
pas dit et qui expliquait lumineusement le texte et qui
l’enrichissait, et ce qu’ils disaient entrait dans le texte comme
s’encastrent deux fragments séparés d’un objet brisé.
« Il dévoilait toute la tradition orale que seuls les loas pos-
sèdent avec une telle maîtrise… C’était le Mystère qui parlait
par sa bouche, ce n’était plus lui… Les fidèles de notre époque
ne savent plus les choses d’Afrique… Même le nom du continent…
Les vaudouisants les plus sincères eux-mêmes n’ont entendu par-
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« Les loas n’enseignent pas que la forme des objets… Ils dic-
tent des choses bien plus étonnantes…, bien plus fidèles… Car ils
ont besoin d’être servis, d’être honorés, comme dans la région
dont ils sont originaires. Rien ne doit changer dans le rituel…
Mais les gens oublient, ils perdent quelques gestes, quelques
phrases, alors le loa les monte, il les empoigne, il les contraint à
exécuter des rites qui sont exactement ceux de sa région, des
pas de danse et toutes les expressions de son caractère et de
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La nuit était venue, sans lune, si obscure qu’elle avait fermé d’un ri-
deau noir la grille auparavant ouverte sur le jardin. Parfois une luciole
l’entrebâillait en clignotant puis, en s’effaçant, rabattait le voile noir.
Mais tandis que tout s’obscurcissait, des bruits avaient commencé à
monter du jardin. Fragiles, dispersés, aussi tâtonnants que les lucioles,
ils s’étaient peu à peu affermis. Convergeant de tous les points de
l’ombre, ils accompagnaient les paroles de Rigaud, dans un concerto
tropical qui les détachait du quotidien et de l’anecdote pour en faire le
chant d’un prophète.
* * *
8 Pour une évaluation critique de l’œuvre de Cheikh Anta Diop, voir Froment, 1996.
9 On doit se souvenir que, dans cette période qui précédait les indépendances
africaines, le livre de Cheikh Anta Diop apparut comme le porteur d’un message
scientifique qui replaçait l’histoire culturelle de l’Afrique au cœur de celle de
l’humanité. Même ceux qui exprimaient quelques réserves sur certains arguments
du livre y voyaient, comme Aimé Césaire (comm. pers.) le signe d’un « resorgimen-
to africain ».
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Références
Fin du texte