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Communications

L'image : le sens "investi"


Jean Louis Schefer

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Schefer Jean Louis. L'image : le sens "investi". In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 210-221;

doi : https://doi.org/10.3406/comm.1970.1223

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1223

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Jean-Louis Schefer

L'image : le sens « investi » *

Ce n'est sans doute pas sans malentendu que le concept d'image dénoterait
son appartenance exclusive à une pratique dont l'un des effets (et l'on sait
aujourd'hui qu'il n'est pas majeur) serait de reproduire sur son apparence le réel,
d'opérer dans la répétition d'un processus sensoriel : la vision, la vue. A ceci
qui a été dans sa moindre ambiguïté formulé chez Alberti (délia Pittura), le
recours aux mathématiques, à la géométrie (propédeutique à toute pratique
d'un art chez Vinci) devait prêter un concours permettant de reproduire les
conditions de la vision. De produire en effet des images fidèles (profondes et
proportionnées) parce que l'opération qui restitue la troisième dimension et se
produit dans la « camera oscura » est faite par le truchement d'un appareil
(d'une mécanique) 1° qui produit des résultats 2° disparaît de ce qu'il a produit.
Son produit devra donc être lu selon une autre machine que celle de la diop-
trique ou la camera oscura : il ne pourra même être lu que par la machine qui
ne sera pas la camera oscura. Si donc à son niveau le plus pertinent, celui d'une
unité perceptive, l'image apparaît déjà pleinement dans son fond idéologique
(sa constante : celle d'un produit qui est posé dans un rapport d'institution
sémantique par rapport à sa lecture, et qui est pensé comme purement résiduel
par rapport à une production) il reste à mesurer, pour une évaluation exacte du
« taux de la plus-value figurative », les effets de cette disparition de l'appareil
du travail hors du champ sémantique de l'image, à les mesurer en cette
obligation longtemps soutenue de l'économie sémique de l'image comme déplacement
sur le champ qui ne lui est pas spécifique, où elle n'est pas travaillée mais qui
est son champ, domaine, région d'institution; au point de n'être pensée, sous le
prétexte d'une sémiologie, que dans son rapport d'institution métaphysique :
d'où dérive, à la lettre, l'impossibilité de penser sa signification autrement que
comme son origine, l'impossibilité de penser son origine autrement que comme
mimésis, comme la répétition qu'elle inaugure. En ce sens c'est bien à l'intérieur
de la mimésis, comme domaine non régional de la signification en général,
c'est-à-dire en premier lieu dans une certaine urgence de ne pas penser la spécifité
sur le produit qui s'articule sémantiquement de façon non régionale, que se sont
produites les définitions, les lois pré-sémiotiques de l'image. Il reste entièrement
à voir dans quelle mesure une radicalisation de ce mouvement.de dérive vers
le signifié n'est pas justement susceptible, par l'introduction du référé dans une

1. Investi : 1) qui a fait l'objet d'un investissement, 2) qui a reçu une investiture.

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Vintage : le sens « investi »
position différentielle (susceptible de briser sans cesse tout déportement
économique du sens), de faire apparaître la signification comme analogique de la
production, c'est-à-dire en tout cas (et à la fois) comme travail (Freud) et comme
économie (Marx).
Ceci, où rien encore n'est dit et dans le moment que l'image n'est articulée
que sur son rapport d'institution (qui est son rapport à l'origine) /référent-signifié,
ce mouvement saisi comme la constitution de la figurabilité est la mise en place,
dans notre âme, des deux ouvriers qui se succèdent, se corrigent, redoublent
leurs gestes : l'écrivain et le peintre. Les définitions du Philèbe sont aussi le
mouvement de l'appareil psychique, son économie dans le texte freudien (Science
des rêves in fine. Notes sur le Bloc Magique, Métaphychologie). Le mouvement
par lequel l'image est déportée comme le surcroît (conception chez Aristote du
rapport du sens à la lettre -Poétique II — et dont l'efficacité « économique »,
y compris au sens où l'on a parlé d'une « économie des changements phonétiques »
est importée chez Marx comme le « surplus » annonçant la « plus-value ») de ce
qui la fonde et ne prétend plus la régler (l'écriture), est à lire au plus près dans une
exigence qui ne permet pas à la sémiotique de se fonder sur des « domaines »
dont la spécificité serait restée en attente de détermination, mais dans un champ
entre les bornes duquel l'histoire a joué : de Platon à Freud; à la fois dans cette
histoire-là et entre ces deux textes-là, ce que leur écart, institué
rétrospectivement en histoire, n'a cessé de commander.
C'est pourquoi : toute proposition sur l'image (à plus forte raison toute
proposition « purement méthodologique ») portée depuis la sémiologie (qui n'est
pourtant pas un lieu d'où l'on tient un discours sans antécédent) se produit
dans (ou dans le meilleur des cas : par rapport à) la réinscription d'une théorie
dont le centre — c'est-à-dire sans doute Yécart maximum — est le rapport du
Philèbe à la Science des rêves.
Et c'est précisément sur ce fond que s'inscrivent les jonctions sémiotiques :
Poimandrès 1-14-15 (le rapport du logos et de la morphè au Nous est un rapport
économique non topique) /Ripa, l'iconoclasme (dont les théories sont
simultanément des points de dispersion : Aristote -Platon et le Corpus Hermeticum) / l'ico-
nologie : Lessing-Winckelmann /Panofsky (l'image est lue ou déterminée par
un élargissement de la base-mimésis; la mimésis y est l'unique loi sémiotique à la
fois linguistique et figurative. La jonction linguistique et figuration est pensée
par rapport au langage ; l'image est un produit déporté mais elle obéit à la même
économie que le langage : c'est qu'aucune des deux économies n'est en fait
probable parce qu'elle recouvre toujours le problème de l'institution du langage
hors de la langue, ne le pense que dans le problème d'une origine du sens et ne
pense l'origine du sens que par rapport à un dieu instituant : ce mouvement, que
l'on peut lire à la fois chez Joseph de Maistre et chez Guillaume von Humboldt,
ne peut introduire l'histoire de la linguistique que comme une histoire non
spécifique et non déterminée mais co-variante dans une histoire des
civilisations, et qui (chez G. von Humboldt par rapport aux catégories grammaticales)
ne peut être que générale et non différentielle (rapport du chinois, du mexicain,
des langues sémitiques et du grec). L'impossibilité de penser ici l'histoire rejoint
l'impossibilité (qu'il s'agit ici de marquer sur quelques relais exemplaires)
d'articuler une économie du signifiant — sous le titre d'une économie de l'image;
(dont il s'agit très exactement de détruire le concept, non seulement sous
l'assurance de sa non pertinence, mais plus encore du motif idéologique dont elle
est à la fois le nom et la pratique). Dans le même temps cette déconstruction

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Jean-Louis Schefer
n'est pas à faire depuis une exigence analytique : on ne doit, et on ne peut
très exactement, y lire que la question de l'économie signifiante, de sa
production et de l'histoire comme différentielle des économies dont la spécificité
reste entièrement à penser, qui ne peut s'écrire comme la représentation (ni
surtout à partir de la représentation) diachronique d'un corpus d'objets dont il
resterait, « par ailleurs », à articuler l'économie signifiante; on ne peut penser
une économie, introduite à une analogique des économies (la sémiotique) qu'en
réarticulant la diachronicité sur le mouvement de surdétermination signifiante.
L'histoire, avant d'être pensée dans une région (c'est-à-dire avant le problème
d'une spécificité des champs) ne peut être pensée simplement dans le problème
de la figurabilité. Il s'agira donc en premier lieu et du même mouvement
d'articuler dans le même modèle les deux problèmes de la surdétermination et de
l'économie signifiantes /historiques. Ce dont, sans doute, Vico avait depuis longtemps
posé les prémisses aux trois niveaux : langue /écriture /institutions, et selon quoi,
dans la reprise amorcée par son chapitre de 1' «Économie poétique », toute la
Science Nouvelle ne saurait, enfin, être lue autrement.
Que le motif mécaniste et ses alibis scientifiques ait pu servir de mesure par
l'intervention d'un œil en trop, d'un œil en plus intercalé, selon un schéma
qui est encore gouvernant dans la Dioptrique de Descartes, dans la vision
monoculaire (qui a aussi pour fonction de redoubler la vision dans la mise en
perspective des deux yeux; par quoi une opération double, pensée depuis l'organe qui
la « commande » ne peut être vue que comme la même opération, à la fois
redoublée et annulée dans sa duplication, depuis le centre qui assure l'intégrité du
sujet percevant), c'est aussi ce dont la conséquence est à voir comme ce qui a
permis à la fois une pertinence du terme d'image (tant que celle-ci peut être
rapportée à une unité perceptive) et conjointement (sous la même « raison »)
l'improbabilité totale d'une lecture littérale de l'image. Plus encore que dans son
origine (image /imago, imitari /mimein : redoubler) — et l'on pourrait voir
que sous l'image c'est toujours le motif d'une fable de l'origine — de l'homme,
du signe, du langage — qui s'anime en prenant la place de son économie
signifiante — l'image picturale, si l'on tente d'en distribuer le réseau sémantique,
s'est caractérisée historiquement par deux façons de ne pas être rattachée,
par une production signifiante, à une région spécifique : ces deux motifs sont à la
fois l'optique et l'écriture comme deux systèmes dominants ayant réglé du dehors
la question de la non spécificité du signifiant figuratif, mais l'ayant exactement
réglée comme la limite et la différence jouant sur leur économie; c'est ainsi que
chez Ripa (cf. appendice) la figure ressortit à la fois à une figuration réalisant
un état latent ou virtuel dans la lettre et que comme la lettre, la figure ne signifie
pas ce qu'elle montre, les images, comme les plus petites unités visibles articula-
bles — qui ont donc pour fonction de résoudre sur leur propre corps (cf. Alberti,
appendice, et le commentaire de la parole mangée1) l'écart toujours possible
entre le discours et ce qui reproduirait le réel dans une forme sans raison —
les images sont donc codifiées sur le corps général des figures de rhétorique.
Codifiée par rapport à la lettre et en dehors de l'ordre alphabétique comme
système sans économie inféodé à une grammaire, c'est-à-dire à une axiomatique
qui le prend en charge et en fournit intégralement la raison ; penser la figuration

1. Louis Marin, « la parole mangée », sur le cb. xv, L. 1 de la logique de Port Royal,
à paraître.
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L'image ; le sens « investi »
dans la lettre est un mouvement qui ne fut effectué dans notre histoire que
par rapport à la Chine et à l'Egypte (et qui a pour une bonne part rendu leur
lecture impossible), c'est-à-dire dans tout système différent du grec (voyelles/
consonnes) où la marque n'est jamais que renvoyée à d'autres circuits parce que
le système ne s'y expose pas et qu'il est toujours le niveau métaphorique en
général de ce qu'il ne transcrit pas sur son économie. A cet égard il n'est pas
indifférent, ni sans conséquence pour une amorce de réflexion sémiotique sur
l'image, que le problème de l'inconscient soit apparu et ait été formulé dans une
société dont le texte est régi par le problème du phonétisme et où par conséquent
l'accentuation du reste économique de la production devait permettre de
restructurer son économie, d'introduire simultanément la théorie de l'inconscient
et celle de la plus-value, et simultanément la distinction du réel théorique et du
réel concret. Le problème du refoulement et le problème de l'image (comme
dehors et complément d'une écriture pensée sur les catégories du conscient)
appartiennent bien au même espace économique et sémantique. Il est à cet
égard certain que le problème de l'image ne se pose pas comme problème de
lecture dans les sociétés caractérisées par « le mode de production asiatique ».
Les traités de peinture indiens insistent sur une disparition du réfèrent : la
peinture ne reproduit pas des objets réels, elle procède selon des formes qui sont
celles de la peinture *.
Dans la mesure où l'image semble effectuée dans ce déportement c'est aussi
que ce qui peut être dit aujourd'hui d'une probabilisation du signifiant par le
signifié (la lecture même de la représentation) n'a pu se dire (tant que c'était au
conscient qu'étaient dévolus tous les types de production) que comme preuve
(portée depuis le signifié) d'une non spécificité du signifiant, singulièrement de
l'inexistence de pratiques signifiantes.
En quoi la dérive parallèle de l'image et de la lettre s'est immanquablement
portée, dans une histoire pratiquée comme la lecture impossible de son dehors,
vers le point d'apparition exemplaire des hiéroglyphes ; figuration (selon Kircher,
Warburton et, parfois, Champollion) entièrement littérale pour une écriture
entièrement symbolique où se résoudrait, par cet ailleurs et pour un autre temps,
l'existence de l'image. De cette écriture non lue, c'est-à-dire hermétique,
reconstruite sur son dehors depuis les enseignements de Poimandrès, c'est aussi ce
dont l'attraction, croissante jusqu'au xvme, qui la supposait bien dans son
« mystère » comme le chiffre et Vautre du grec, impensable par rapport à une
langue, constitue le motif traversant le Précis de Champollion sur le problème
central de la valeur phonétique du hiéroglyphe, et qui survient et non sans
repasser par le corpus hermeticum, par Philon de Byblos, dans la Science des
rêves Jla Psychopathologie de la vie quotidienne; à vrai dire non sans reste et
partiellement sur des effets de lecture : l'oubli du nom propre /le travail du rêve;
« la figuration dans le rêve qui n'est certes pas faite pour être comprise... ne doit
pas offrir plus de difficulté que n'en offraient les anciens hiéroglyphes à leurs
lecteurs ». Lecteurs dont l'antiquité et la lecture aisée tient aussi à leur présence
sur la scène où l'écriture se mesure en arpent» (l'Ancienne Egypte). Double

1. c Les figures dessinées ne sont pas des reproductions fidèles des objets réels : la
forme picturale n'est pas ce que l'on voit, mais seulement ce que l'on peut représenter
picturalement. » Siri Gunasinghe, La technique de la peinture indienne d'après les
textes du Silpa, P.U.F. 1957, p. 20.

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Jean-Louis Schefer

motif du nom et de l'écriture hiéroglyphique comme le reste non lu, le texte


enfin sans autre grammaire (le caractère non grammatical des langues idéo-
grammatiques n'est pas sans raison soutenu par Freud — Introduction... — ;
il l'est par rapport à une problématique générale de la dissémination qui permet
d'articuler de travail de l'inconscient) que celle, aléatoire, de la représentation.
Où il convient peut-être de replacer cette pierre de Rosette fel Raschid) que
constitue, sur le problème de l'image, tout le texte de Champollion et dont
l'opération consiste à organiser les différents niveaux économiques du système
hiéroglyphique (phonèmes /symboles /images) à la fois, comme économie
spécifiquement différentielle et comme système résiduel du déchiffrement (grec/
copte /égyptien), comme d'un texte lu par la fin, à la fois dans la langue qui le
traduit, le bas de la page : sous les Ptolémées (la domination des Lagides).
« Les images des dieux et des déesses, qui couvrent les monuments égyptiens
de tous les ordres sont accompagnées de légendes hiéroglyphiques, portant
sans cesse, à leur commencement, trois ou quatre caractères semblables,
que l'on peut assimiler à la formule copte -sbJ- 3C 6£ ou 3\{ 6K ceci est
Y aspect, la manière d'être, la présence ou la ressemblance. Après cette formule
se trouve toujours la préposition de, exprimée soit par la ligne horizontale
ou brisée, soit par la coiffure ornée du lituus, leur homophone perpétuel; et la
préposition est immédiatement suivie par le nom propre du dieu ou de la déesse. »
(J. F. Champollion, Précis, 1824, p. 84.),
où l'image par sa place dans la séquence est la réitération du texte (c'est-à-dire
du système dont elle fait partie mais qui ne la garantit qu'en l'articulant entre
des niveaux (phonétique, tropique) dont elle représente aussi la différence). D'où
l'on comprend que la spécificité de l'image est économique tout comme, au point
où elle apparaît, « la figuration dans le rêve /.../ n'est pas faite pour être
comprise » autrement que depuis le problème d'un écart économique ainsi
figurable et reconductible quant à la question de sa spécificité à une origine non
spécifique opérée par le déplacement et la surdétermination.
De ceci qui est le moment théorique permettant de penser les conditions
sémiotiques de la représentation sur le problème particulier de la lecture, opérant
une désimplicitation de ses objets et ne les articulant que dans leur
surdétermination, il reste entendu que ce type de lecture (c'est-à-dire de pratique structurant
les « textes » sur une base susceptible d'introduire le plus grand nombre de
surdéterminants) ouvre simultanément le problème d'une économie symbolique
des systèmes signifiants — qui n'engage pas seulement un réel théorique — et
celui de la complémentarité des déterminations et des probabilisations historiques /
sémantiques. C'est-à-dire encore une fois qu'il n'est pas possible de prévoir une
histoire des systèmes signifiants (ici, comme systèmes modelants secondaires)
autrement que comme (ou : dans) une histoire des économies signifiantes ; que la
réflexion sémiotique amorcée dans ce domaine ne saurait en effet se penser en
dehors du problème général de la générativité de ce qu'elle n'a pas à charge de
« décrire scientifiquement », une fois passée par les deux pratiques
complémentaires : la supra-segmentalité et les permutations signifiantes.
Ce n'est pas non plus par hasard que toute la métaphorique de l'image
(désignant son équivalent économique, son modèle signifiant, ce dont elle est moins
le redoublement que le système second) est non scripturale dans le texte
renaissant : si une spécificité de la pratique doit s'y énoncer sur ses possibles, c'est
parce que le seul espace ouvert par l'appareil de la vision n'est pas celui du

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L'image : le sens « investi »
signifiant : l'appareil dioptrique et le redoublement de l'œil ouvre la surface
comme l'extérieur du corps, le rapport contradictoire d'une surface qui n'est
jamais dite que comme profondeur. C'est aussi que l'image y est ante- et para-
scripturale, elle ne produit pas le manque de l'écriture (la figuration) mais produit
un surdéterminant de l'écrire (le corps, mais un corps sans sexe, doté d'un œil et
d'une peau) et une origine commune : la persistance laissée par l'impression de
ce qui a disparu — trace pensée comme image et qui pourrait être pensée comme
trace en général; si elle n'était configurée contradictoirement : l'image est le
nom d'une unité perceptive et sémantique sans composants sémiques propres,
ou encore : dont les composants sémiques sont entièrement joués sur d'autres
systèmes. De ceci qui définit une extension historialement probable de l'image
comme dépression et/ou relief de la lettre, il faut voir à quel point le système :
1° n'a pu en être codifié (donc également lu) que par déplacement d'un autre
système ; 2° que si la notion est non pertinente c'est que l'image n'est pas une
unité sémiologique, mais une fonction (exponentielle) dans l'économie
représentative (et il est à cet égard peu probable que son histoire puisse s'aligner sur
celle de la peinture figurative ; si c'est autour de cette notion que l'histoire de la
peinture s'est constituée, celle-là y reste prise comme un motif) ; 3° que 1* « image »
a une extension sensiblement égale à celle de la « figure » et du « tableau »; sauf
que le tableau comporte des figures et que la figure est (avec le point) son unité
de mesure ; que la coextensivité de l'image est aussi ce qui marque sa non
pertinence : c'est non seulement un terme générique mais pour cela même c'est le
substitut général dans le vocabulaire de la représentation : pour preuve, l'image
ne dénote que (c'est-à-dire se désigne comme le mouvement privatif de)
l'apparition du substitut.
C'est pourquoi ses points d'ancrage dessinent un champ accidenté du
signifiant : non nivelé, même sous le recours exemplaire qu'elle dit : le fabuleux /le
figuré /l'onirique; comme les espèces de l'oubli. C'est dire la détermination
sous ce titre d'un historial de l'essence, d'un mouvement de lecture inversé
dans le système « inconscient » (dont il n'est pas un hasard qu'il ne se laisse pas
penser en termes de modèle : ce système est le modèle de ses produits, c'est-à-dire
construit sur une organisation topique /économique de toute production par
rapport à ce (= au reste même) qui peut le représenter); système lu en entier
— dans son extension non économique — dans l'image, sur l'axe du travail du
rêve; dont la lecture systématique (ce qu'elle est aussi chez Freud) se fonde
comme différentielle historique et constitutive dans son analogique (ce que l'on
notait « activité symbolique »), c'est-à-dire dans l'économie signifiante (dans la
signifiance comme topique du signifiant) comme modèle non figuratif de son
histoire; n'entendant pas ainsi l'appartenance comme celle du champ constitué
— iconologie de Panofsky — , mais l'appartenance comme génération à partir
du non propre; où donc inversement la lecture systématique, désimplicitant
l'image par ses probabilités (signifiantes et historiques) est aussi le premier
moment, scientifique et idéologique, d'une déprise simultanée de la linéarité
historique : du non-retour et de la répétition du propre, des « régions » constituées.
L'urgence mesurée ici à l'impossibilité de penser sous la représentation autre
chose que ce qui la fonde dans la métaphysique, avertit dans une mise en demeure
et dans une monition, de la nécessité d'une pensée de l'histoire matérialiste :
1° qui ne peut être pensée que comme la différentielle économique des économies,
2° non pas depuis un équivalent fourni par la sémiotique, à moins d'y entendre
le modèle (économique) signifiant.
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Jean-Louis Sckefer

Retenir ici l'image comme notion et unité non pertinente c'est voir : 1° que
l'image n'est pas une unité articulée dans un système de contrainte suffisant à
la régler et 2° que toute unité (tableau, figure) pensée comme image n'est
articulée que dans un mouvement sans autre économie que le recours au fonds
métaphysique d'une mimesis :
1. Le recours de l'image est le mouvement récursif a) métaphysique, b)
symbolique de l'origine comme signification.
2. La détermination non économique de l'image a une seule sortie théorique
qui traite du même mouvement la structure et le champ (catégoriel, historique)
comme extension topique de l'économie.
Il n'est donc pas sans conséquence que le fond métaphysique et christologique
(à « l'intérieur » du « platonisme », l'Hermès Trismégiste; plus que les textes
spécifiques, les décrets de la période iconoclaste où la crise des images n'apparaît
et ne peut être résolue que comme une « crise du signifié ») qui fonde l'image
sur son indifférenciation — comme le signe en général — ait déterminé un statut
d'institution qui ne s'est pas modifié; c'est cette institution signifiante qui a été
travaillée comme le cadre des lois sémiotiques, allant de l'instauration du
redoublement (comme lieu de naissance du signifiant) à la caractérisation de champs
spécifiques.
Le seul mouvement possible sur le « corpus », sur ce faux-titre de la sémiologie,
est de constatation : les lois de l'image « nécessairement » n'en sont pas
spécifiques : l'image est aussi caractérisée dans sa pratique comme économie
signifiante déportée; en effet ce que l'on peut appeler le mouvement christologique,
s'il se constitue sur une oblitération du signifiant c'est aussi qu'i7 n'y a pas de
rapport d'isologie entre un signifiant et un signifié dans l'image, que cette même
époque n'a pu penser le signifiant que comme instance du réfèrent, évitant
ainsi d'y faire apparaître l'irrationnel du signifié. Les lois de l'image ne peuvent
donc être données que sous ce titre. Enfin les lois de l'image apparaissent
sous une double condition : comme non spécifiques et dans la lecture de
l'image.
Il n'est donc question que de répéter cette fuite sans exemple; de la répéter
aussi sans exemple.
1. Le concept d'image se caractérise (mais il en est de même de l'image)
par un « passif » très important, objet d'un réinvestissement constant dans la
métaphysique; c'est le type même de « la valeur qui est plus grande qu'elle
même ». Son emploi sémiotique en dehors d'une théorie joignant l'histoire et
l'articulation signifiante accuse toujours une dénivellation du signifiant et du
signifié transcendantal.
2. L'image est toujours un terme second par où se marque (ou qui se marque
par) un redoublement du texte épistémologique dans un autre espace
(esthétique). Ce ne sont pas les catégories ou les propriétés de cet espace qu'il faut
articuler pour un programme sémiotique, mais la signification comme
production (et non redoublement) de l'image, comme travail (Freud) qui peut
faire l'objet d'une investigation. Cette caractéristique s'est aussi marquée par
deux types de « compromis sémantiques » qui dans son histoire ont tenté de
lever un statut additionnel du signifié et le problème majeur d'une articulation
du signifié dans une « unité » (l'image) qui n'était pas conçue à partir du
signifiant : c'est ainsi qu'ont joué dans une isochronie relative la pratique du
phylactère et celle de 1' « image ouvrante ».
3. Comme substitut général (pertinent segmentalement dans une période

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L'image : le sens « investi »

marquée par les crises et les retombées de l'iconoclasme) l'image (qui, encore
une fois, ne peut être une catégorie pertinente, « opératoire » que si elle correspond
à une pratique spécifique — qui tente aussi en la travaillant dialectiquement
de la définir; cf. sur ce point, avec sans doute une réserve sur l'utilisation
provisoire de la catégorie « esthétique », les textes parus dans Cinéthique); elle reste
un substitut sémique passe-partout dans le système de la représentation. Elle a
toujours été chargée de polariser une indétermination sémantique et, puis-
qu'aucune extensivité ne lui correspond, de subsumer toute pratique signifiante
en travail dans l'espèce d'un redoublement infini et, littéralement, « fabuleux »
dont les axes ou les entrées jouent pour les mêmes effets à la fois dans le Narcisse
et dans Vascension d'Origène.
4. Si l'on tente de la caractériser dans le champ qu'elle permet d'établir
(sur des effets qui ne peuvent être convertis en moments de productivité
signifiante : c'est à quoi se mesure l'inversion idéaliste de l'iconologie *) : l'image et
la figure sont concomitantes, seule l'image peut être en coextension avec la
figure : c'en est la catégorie.
La figure comme unité segmentale (et c'est précisément une unité de mesure
du tableau) est dénotée par une dérivation linguistique (rhétorique) et réaliste
(la figure de l'homme, pour insister sur son génitif partitif; la même ambiguïté
s'est proposée sous le terme d'icône chez Pline l'Ancien — Histoire
naturelle XXXIV, p. 114 éd. Budé — dans le problème de savoir si l'icône
reproduisait l'homme à son échelle ou à sa ressemblance 2).
L'image, ni catégorie, ni unité pertinentes (matérielle ou signifiante) est le
terme substitutif propre à toute formation désignant dans l'idéologique un
produit comme redoublement d'espèce.
L'image n'est pertinente qu'à désigner une unité de reproduction ou une
séquence narrative (cinéma-photo) où le signifiant n'est pas en reste, à
déterminer par ailleurs sur sa spécificité ; ce qui est le cas en peinture où le manque
d'isologie entre la notion d'image et les unités signifiantes se dénote aussi dans
l'improbabilité de traiter de la couleur dans le cadre de l'image.
C'est pourquoi une recherche sémiotique ne peut nécessairement que rompre
avec les présupposés idéalistes de l'iconologie, ne peut en aucun cas être
simplement une iconologie systématique. La conséquence, qui est encore à mesurer
dans tous ses effets, de cette différence est que la prise en considération (sous
son titre sémiotique) d'une économie signifiante de l'image défait fil à fil et
entièrement l'histoire de l'art /l'histoire des sciences. Cette histoire linéaire
(ou périodique) constituée en champs de représentation catégoriels des effets
de causalité dont l'iconologie (les deux noms de Panofsky et de Riegl dans leur

1. Pour une première critique de l'iconologie, cf. notre « Notes sur les Systèmes de
représentation », à paraître dans Tel Quel 41.
2. « On avait coutume de reproduire seulement l'image des hommes (effigies
hominum) qui méritaient l'immortalité par quelque action d'éclat...; quant à ceux
qui avaient triomphé trois fois, on leur érigeait des statues faites d'après nature : on
appelle iconiques les statues de ce genre (ex membris ipsorum similitudine expressa,
quas iconas uovant) »; on lit en note : « ... peut-être la ressemblance visait-elle non
les traits du visage, mais les détails de la musculature et les proportions du corps... »
(traduction et note, éd. Budé 1953) ; ce qui laisse supposer en tout cas que « simili-
tudo » ne dénote pas la ressemblance mais une relation de similitude qui doit être
déterminée (elle l'est ici par < ex membris >) et qu'à un autre égard le fond de l'image
(la similitude) dénote un statut d'indétermination maximale.

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Jean-Louis Schefer
écart maximum) a constitué la représentation la plus exemplaire de ce qui ne
peut plus être pensé aujourd'hui. Les structures de l'image étant articulées
comme structures de probabilisation du signifiant commandent en premier lieu
une non représentation de l'histoire.
5. L'image est une notion pertinente dans l'iconologie, c'est-à-dire pour une
pratique où le champ catégoriel (et déclaratif) de l'image est déjà en place; où
le problème est celui de la bonne lecture et non celui de la lecture (où s'il y a par
exemple multiplicité croisée d'interprétations ce n'est pas pour en montrer la
surdétermination) .
L'image nous retient donc ici en tant que notion non pertinente
historiquement et sémiotiquement (c'est une réalité partielle dans l'économie figurative)
en tant donc que sous tous ses aspects, elle est articulée sur le problème du
réfèrent — et de sa fiction, ce qui est économiquement très important — et du
signifié. En bref l'image ne permet peut-être pas de poser la question du
signifiant autrement que comme le « représentant » du signifié; son efficacité
conceptuelle est idéologique dans la mesure où elle n'est pas historiquement et
économiquement pensée dans sa production : son domaine est bien le definitum
iconologique.
6. Dans une mesure de sa pertinence, s'il n'y a pas d'unité sémique de l'image
si elle n'est pas decomposable en n éléments constitutifs (non dispersés sémi-»
quement ou ayant une organisation sémiotique propre) c'est que structurelle-
ment l'image existe dans une topique /économique entièrement déportée et
qu'il ne faut « donc » pas confondre les structures de décision (ne touchant
pas la propriété mais la probabilité sémique) avec des structures de définition.
Dans l'ordre justement de sa définition l'image ne relève jamais que du moment
paralogique (c'est, en quelque sorte, le « paradefinitum » par excellence) qui
tente de la réduire de façon élémentaire, digitale, c'est-à-dire sur une opération
de transcription biunivoque.
Elle est dans son économie, l'institution même du paradoxe qui permet de la
définir : c'est une économie d'emprunt, de déportement; ce déportement fait
partie de cette économie dans la mesure où il ne restitue pas mais constitue
« lexiquement » des probabilités de code. Le statut « réel » de l'image n'est donc
pas une articulation sur le réfèrent (comme ce qui serait « avant » elle) mais sur
le codifiant probable, c'est-à-dire sur le quantificateur le plus probable. C'est
pourquoi la lecture ne « dénoue » pas un contenu mais constitue l'image même
sur sa structure.
7. L'image est prise, c'est-à-dire constituée et définie sémiotiquement dans
la sphère d'influence d'un autre système, ou système majeur. L'image, même
soumise à des contraintes syntagmatiques (surtout par la perspective), n'a pas
de structure de constantes ou de règles (autres que rhétoriques), tout son
constitué sémiotique est en quelque sorte un apport sémantique par quoi elle est
toujours sociologiquement, historiquement indexée sur une série de systèmes;
déportement par lequel elle n'a pas de « raison », sinon traditionnellement une
raison rendue du réfèrent (« depuis son instance » et « quant à lui ») autrement dit,
dans l'idéologie persistante de la peinture, une raison propre, sans différentielle,
en un mot : « purement » narcissique. La raison ou l'ordre de détermination
narcissique est précisément celle qui est sans aléas, c'est donc la moins probable.
8. Dans sa définition l'image ne peut être posée que comme une notion
contradictoire et emblématique (donc exemplaire de ce qu'elle n'est pas dans son
« contenu manifeste ») :

218
L'image : le sens « investi »
— elle consiste en une organisation matérielle;
— qui n'a de titre que dans sa fonction anaphorique (imitation par
déplacement et instituant à titre de réfèrent ce qui n'est plus (là)) où l'on retrouve
en effet sa définition positiviste : l'image est la persistance de ce qui a disparu.
Dans la mesure où elle se prête à ces définitions elle, se prête exemplairement à
une utilisation idéologique.
L'image est constituée, dans un mouvement qui n'est pas sémiotiquement
inducteur, comme aporicité sur (et comme le corps de) cette contradiction :
a. elle est pensée dans son mouvement signifiant non historiquement.
b. son histoire est écrite dans un champ figuratif défini sur des effets ou des
causes (Francastel) et non sur une économie signifiante. Cette aporicité qui
s'appelle l'image et qui est à l'œuvre, sur ce mouvement contradictoire (la non
articulation de l'histoire et de l'économie signifiante), dans le texte freudien
(Science des rêves, Métapsychologie) comme la théorie du reste (du ce
démonstratif, produit dérivé d'une autre production) et, sans doute, comme
l'articulation du topique et de l'économique, ouvre une question par où la sémiotique ne
pourra que penser dans le même temps l'histoire et l'économie signifiante.
9. Par rapport à quoi la seule définition probable et jouant surtout comme
reste du déchiffrement serait : on appelle image ce qui est produit comme
excédent d'un texte dont elle représente une part d'économie qu'elle ne saurait
produire.
10. Et où pour son elucidation ultérieure il faudra encore s'interroger sur ce
que traduit « la Scène » du texte freudien : Schauplatz, Bûhne, Situation... tout
ce qui a lieu au titre de l'inconscient sous la jonction des deux termes, le figu-
rable /les hiéroglyphes : das Bildliche ; ce qui en tient le lieu et qu'il faut désormais
interroger pour rouvrir cette aporie de la scène freudienne; dans la dérive du
signifiant comme économie marquée sur le travail de l'inconscient, jusqu'aux
« bildlichen » configurations qui n'ont donc pas pour caractéristiques sémiotiques
d'être des produits complexes, c'est-à-dire non reconductibles qu'à leur
surdétermination, sinon par analogie à déterminer des champs figuratifs. Puisque ce qui
pourrait être le champ figuratif dans le rêve n'est que (a d'abord une
détermination d'être privative) la défaillance déterminant ce qui est vu(e) comme lettre
à lire de l'inconscient. L'aporie de l'image (mais surtout l'image comme aporie)
est aussi chez Freud la possibilité envisagée d'une transcription linéaire de
l'appareil psychique, c'est-à-dire l'impossibilité de constituer du même coup une
représentation économique et une histoire, de déconstruire moléculairement la
surdétermination dans le double mouvement inversé du progrédient (inconscient-
conscient) et du régrédient (préconscient-inconscient), dont la rencontre est
aussi une image par compromis dans le rêve « sans en être l'apanage » (Science
des rêves, p. 461); précisément dans cette note (ibid., p. 460) : « le développement
ultérieur de ce schéma déroulé linéairement devra tenir compte de notre
supposition que le système succédant au préconscient est celui à qui nous devons
attribuer la conscience et qu'ainsi P = C ».

APPENDICE

L'économie de l'image comme véritable problématique du signifiant est ainsi


(et de façon là encore exemplaire) instituée /articulée dans son passé théorique
(qui doit être lu comme l'espace d'une vérificabilité historique de sa thèse) sur le

219
Jean-Louis Schefer
problème du réfèrent et /ou du signifié; véritable primat sur lequel la spécificité
du signifiant ne peut être pensée. L'utilisation de l'image comme découpage
conceptuel articule en effet le signifiant non théorisable comme crise du signifié;
que 1' « image » dénote un champ sémantique jouant dans une structure générale
de la représentation, c'est ce que les textes suivants ont à charge d'illustrer,
dans lesquels l'image est tout à la fois l'aporie du discours et le contraire de la
figuration.
1. « Alors l'Homme, qui avait plein pouvoir sur le monde des êtres mortels
et les animaux sans raison, se pencha à travers l'armature des sphères, ayant
brisé au travers leur enveloppe, et il fit montre à la Nature d'en bas de la belle
forme de Dieu... Pour lui, ayant perçu cette forme à lui semblable présente
dans la Nature, reflétée dans l'eau, il l'aima et il voulut habiter là.../ Et c'est
pourquoi, seul de tous les êtres qui vivent sur la terre, l'homme est double,
mortel de par le corps, immortel de par l'Homme essentiel... par là, bien qu'il
soit au-dessus de l'armature des sphères, il est devenu esclave de cette armature ;
mâle-et-femelle puisqu'il est issu d'un père mâle-et-femelle, exempt de sommeil
puisqu'il vient d'un être exempt de sommeil, il n'en est pas moins vaincu par
l'amour et le sommeil » (Poimandrès I, 14-15 trad. Festugière), ce texte en
asymptote constante sur celui d'Ovide (le Narcisse), pour ce que l'image s'en
répercute sur son moindre effet, est encore à suivre d'une'
dans le « dossier » byzantin
où le problème de l'image est abordé comme celui insécurité d'institution
du signifié :
2. « vers 727 Jean Damascene composa trois homélies dans lesquelles il élabora
une véritable théologie de l'icône. Il justifiait le culte des images par le dogme
des deux natures, humaine et divine, du Christ et dénonçait à l'origine de l'ico-
noclasme une persistance de l'incompréhension monophysiste de ce mystère.
Selon lui, les représentations du Christ avaient le mérite de confirmer la réalité
de sa nature humaine. De plus les icônes, symboles des archétypes, permettaient
d'accéder à la perception du divin. » Quant à Constantin V il affirmait, dans un
concile réuni en 754, o que les partisans des images versaient inévitablement
dans l'hérésie, soit le nestorianisme s'ils estimaient que seule la nature humaine
du Christ était figurée, soit le monophysisme s'ils considéraient que la nature
divine était représentée en même temps car, dans ce cas, ils confondaient les
natures inconfusibles du Seigneur. » (In Charles Delvoyé, l'Art byzantin, Paris
1967, p. 162.)
3. « Mais de ce que la peinture exprime les visages des dieux, objets de la
vénération des peuples, on la regarda comme un des plus grands dons faits aux
mortels. En effet, elle a rendu les plus grands services à la piété qui nous rattache
aux immortels, et à la retenue des âmes dans les liens d'une religion inaltérée...
l'inventeur de la peinture doit être ce Narcisse qui fut transformé en fleur »
(où Y inventeur, dans ces textes qui jouent, comme de leur centre propre, sur
l'écart entre le Philèbe et la Science des rêves comme la persistance d'une non
économie de l'image, est la figure éponyme de l'institution sémantique sous le
titre de l'image). (L. B. Alberti, Delia Pittura, livre II.)
4. « Socrate : admets donc aussi qu'un autre ouvrier travaille à ce moment-là
dans nos âmes. Protarque : Lequel? Socrate : un peintre, qui vient après
l'écrivain et dessine dans l'âme les images correspondantes aux paroles. Protarque :
Comment donc, selon nous, celui-ci opère-t-il, et dans quelle occasion? Socrate :
Lorsque séparant, de la vision immédiate ou de tout autre sensation, les
opinions et les discours dont elle s'accompagnait, on aperçoit de quelque façon

220
L'image : le sens « investi >
en soi-même les images des choses ainsi pensées ou formulées. Est-ce que cela
ne nous arrive pas? Protarque : Très certainement. »
(Platon, Philèbe, 38e, trad. Dies.)
Si pour sa lecture ou par rapport aux codes plus immédiatement prescriptifs
(susceptibles de déterminer son champ) l'image est engendrée dans la zone
d'influence de systèmes majeurs, la double institution du corps et de l'écriture
permet d'articuler le signifiant comme la fiction du réfèrent, et sans fin, d'en
dériver la loi :
5. « On appelle composition cette opération de la peinture par laquelle,
dans une œuvre peinte, on relie les différentes parties ensemble... Les corps
sont les parties du sujet, la partie du corps est le membre, la partie du membre
est la surface; les parties élémentaires de l'œuvre sont donc les surfaces. D'elles
se composent les membres, des membres se font les corps, et des corps le sujet
qui constitue l'œuvre dernière et absolue de la peinture. » (L. B. Alberti, op. cit.)
Corps divisé et réarticulé hors de lui-même, dont les membres s'articulent sur
une raison que l'image ne saurait produire : le corps du discours.
6. « Le second type d'images embrasse ces choses qui sont dans l'homme lui-
même ou qui lui sont très proches comme les concepts et les habitudes qui
naissent des idées dans la répétition de nombreuses actions particulières; et
nous appelons concepts indistinctement tout ce qui peut être signifié par des
mots; ce que l'on peut par commodité diviser en deux parties.
Une partie en ce qu'elle affirme ou nie quelque chose d'un sujet; et non l'autre
partie. Cette dernière est utilisée par ceux qui composent les devises où un seul
concept peut s'indiquer à l'aide d'un petit nombre de corps ou de mots, et aussi
par ceux qui font les emblèmes où un concept plus large se manifeste dans un
nombre supérieur de mots et de corps. C'est avec cette partie que se forme
l'art des images qui appartiennent à notre propos par leur conformité avec les
définitions et seulement celles qui touchent les vices et les vertus ou toutes
les choses qui se rapportent aux vices et aux vertus sans affirmer ou nier quoi
que ce soit et qui, parce que ce ne sont que des manques ou de pures habitudes,
sont exprimées convenablement par la figure humaine. Et c'est pourquoi,
puisque l'homme est la mesure de toutes choses, selon l'opinion courante des
philosophes, et d'Aristote en particulier, tout comme la définition est la mesure
du défini, ainsi la forme accidentelle qui apparaît extérieurement à lui peut être
la mesure accidentelle des qualités définissables, qu'elles soient ou de notre
âme seulement ou de tout le composé. Nous voyons donc que nous ne pouvons
appeler, selon notre propos, image celle qui n'a pas la forme de l'homme et que
l'image n'est pas bien distincte quand le corps principal ne remplit pas en quelque
façon l'office que remplit son genre dans les définitions.
Au nombre des choses qu'il faut considérer sont toutes les parties essentielles
de la chose elle-même; dont il faut examiner minutieusement les dispositions et
les qualités. » (Cesare Ripa, Nuova Iconologia, Bologne, 1593.)

Jean-Louis Schefer.

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