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Le Figaroscope

Après Chute d’une nation, pour laquelle Yann Reuzeau avait reçu le prix Beaumarchais du meilleur auteur
décerné par Le Figaro, voici Les Témoins, qui en est, en quelque sorte, la suite. Le principe est le même : parler
de notre société, réfléchir sur la politique, les hommes qui la font, les rapports de pouvoir, l’intégrité des
journalistes. Yann Reuzeau a un vrai talent et c’est toujours aussi passionnant. Cette fois, on est dans la salle de
rédaction du journal Les Témoins. Le candidat d’extrême droite Thomas Mérendien vient d’être élu président de
la République, ce qui – on s’en doute – fait un peu causer dans le Landerneau. Que faire quand on est un
journal d’opposition : accepter le jeu démocratique mais jusqu’où ? Résister et se lancer dans une guerre de
tranchées ? Toutes les options sont possibles et la rédaction se divise violemment. La pièce pourrait être
facilement caricaturale et tomber dans la bienpensance. Reuzeau est beaucoup trop malin pour cela et il évite le
pire en montrant bien l’humanité des personnages. C’est un vrai plaisir pour le spectateur. Plusieurs histoires se
croisent. Le texte est intelligent, brillant. Les dialogues sont ciselés. On ne s’ennuie pas une seconde. Reuzeau
sait donner du corps à ses personnages et construire un suspense. Dans le quasi-désert du théâtre actuel qui
multiplie comédie bébête sur comédie bébête, quand ce ne sont pas des one-man-show, c’est sacrément
réconfortant. Et puis il sait mettre en scène et diriger d’une main de maître les comédiens. Ils sont tous, comme
d’habitude, excellents. Citons parmi eux Frédéric Andrau, Sophie Vonlanthen, toujours égale à elle-même, et
Frédérique Lazarini, qu’on a vraiment plaisir à retrouver dans cette aventure. Comme on dit dans les publicités :
un spectacle à voir.

Télérama
Conférence de rédaction dans les locaux du journal  Les Témoins. Six journalistes sont sous le choc : l’élection
présidentielle vient d’être gagnée par le parti d’extrême droite. Yann Reuzeau est l’auteur et le metteur en scène
d’une fiction politique haletante, qui chemine du réel au cauchemar en montrant à vitesse grand V la bascule
d’un état de droit vers un régime de terreur. Récit d’une désagrégation centripète qui contamine l’humain avant
de gangrener la société, ce texte, remarquablement étayé et diaboliquement structuré, est à sa place sur la
scène du théâtre. L’écriture est nerveuse, les comédiens fébriles et la déflagration des faits implacable, qui
transforme la menace du pire en probabilité rationnelle.
 
Le Monde
Yann Reuzeau, dramaturge de convictions, inquiet pour la démocratie dans « Les Témoins ».
En 2011, dans La Chute d’une nation, Yann Reuzeau mettait en scène une campagne électorale, avec une pièce
en plusieurs épisodes, présentée en feuilleton à La Manufacture des Abbesses, à Paris. Cette année, il crée  Les
Témoins, qui pourrait être la suite. Un président d’extrême droite est élu en France. Comment réagir quand on
est un journal influent qui a bâti sa réputation sur une ligne claire : pas d’opinions, des faits ? Et comment
continuer ainsi, quand l’étau se resserre sur la presse à travers une loi qui met à mal la protection des sources ?
Ces questions, Yann Reuzeau les pose frontalement, à son habitude. C’est un auteur qui n’a pas peur de jouer
avec la caricature quand il dessine des personnages, mais qui sait présenter des enjeux dans leur complexité : «
Notre métier n’est pas de convaincre, explique-t-il, mais de raconter le monde, de provoquer une réflexion et du
débat. »
Yann Reuzeau a commencé tôt. Il avait 24 ans quand sa première pièce,  La Secte, a été jouée. A l’époque, il
travaillait surtout comme acteur, mais c’est l’écriture qui le tentait. S’il a grandi avec les livres (son père, Jean-
Yves Reuzeau, est cofondateur et directeur éditorial de la maison bordelaise Le Castor Astral), il a été  « forgé
comme artiste par la musique », en particulier celle de Radiohead :  « La capacité de ce groupe à prendre des
risques et à se réinventer a joué un rôle fondamental à une époque où je me demandais où je voulais aller, et si
j’étais, moi aussi, prêt à prendre des risques. » Yann Reuzeau les a pris, en quittant la faculté de cinéma au bout
de quelques semaines pour suivre des cours de théâtre. Il voulait surtout apprendre à diriger les acteurs. Mais le
jeu l’a happé, en lui fournissant les moyens de vivre.
Son théâtre comparé aux séries.
Pour ses pièces, c’était une autre histoire :  « Le théâtre privé me regardait de haut, et je n’avais pas d’entrées
dans le théâtre public. » Après La Secte, créée au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris, en 2002, plus rien. Le sursaut
vient de l’épouse de Yann Reuzeau, la comédienne Sophie Vonlanthen, qui rêve d’avoir son théâtre pour jouer,
quand l’auteur rêve d’avoir le sien pour être joué. Le couple cherche longtemps avant de trouver un local en
ruine, détenu par un marchand de biens. Des mécènes prêtent de l’argent à des taux très avantageux, et La
Manufacture des Abbesses ouvre ses portes en 2006, avec Les Débutantes. Ce titre n’est pas un clin d’œil : Yann
Reuzeau traite de la prostitution étudiante, un sujet de fond, comme ceux des pièces suivantes,  Monsieur le
Président (le pouvoir), Puissants et miséreux (l’argent), Mécanique instable (l’économie)…
Parce qu’il sait rebondir et nourrir le suspense, le théâtre de Yann Reuzeau est souvent comparé aux séries.
L’auteur ne dément pas, mais, en la matière il se sent plus proche d’A la Maison Blanche  que du  bureau des
légendes,  trop lent à son goût.  « J’ai besoin de rythme  », dit ce grand lecteur de la presse, qui voit des
journalistes « un peu comme des cousins » : « je procède comme eux, en menant un gros travail de recherche
avant d’écrire. Mais j’aime les personnages et la fiction. Dans mes pièces, je me bats avec moi-même pour être
le plus objectif possible, et ne pas imposer mes convictions aux spectateurs. Je ne sais pas si j’aurais été assez
solide éthiquement si j’avais été journaliste, parce qu’il faut l’être dans ce métier, surtout dans le journalisme
politique, qui me passionne ».
On comprend d’où viennent  Les Témoins, qui sont nés d’un déclic : la loi relative à la protection du secret des
affaires, promulguée en 2018. «  Je conçois que les entreprises aient besoin de secret, mais ce qui m’inquiète,
c’est l’évolution de cette loi dans un autre contexte. »
C’est ce que l’on voit dans la pièce : le gouvernement d’extrême droite s’appuie sur une loi similaire pour
museler la presse et obliger les journalistes à donner leurs sources. Yann Reuzeau met en scène ce point de
bascule, révélateur de la fragilité de la démocratie, dont il n’a pas oublié comment il l’a découverte : «  En 3è,
quand on nous a expliqué qu’Hitler était arrivé au pouvoir démocratiquement. Ça m’avait choqué, parce que je
n’aurais jamais imaginé qu’un dictateur arrive au pouvoir autrement que par un coup d’État  ». Ce thème
traversait  Chute d’une nation, qu’Ariane Mnouchkine a invité à passer des 120 places de La Manufacture des
Abbesses au grand plateau du Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes, où la pièce a été jouée pendant
deux mois et demi, à l’automne 2015. Les intégrales duraient plus de neuf heures, et les réactions étaient vives
à la sortie. C’est ce que cherche Yann Reuzeau. Dans  Les Témoins  les empoignades sont ardues entre les
journalistes qui répondent à des stéréotypes – l’usé, l’acharné, la cérébrale, le caméléon… - mais soulèvent des
questions sur les modèles économiques et éditoriaux de la presse. Il y a un souffle, de l’énergie, une conviction.
Et un auteur de 40 ans qui suit son chemin dans la jungle du théâtre parisien en gardant un cap.
Brigitte Salino

La Croix
Tantôt contre-pouvoir vital face au monde politique, tantôt faiseurs de mythes, les médias sont représentés sur
les planches, sous leurs bons et mauvais jours.
Pilier d’une démocratie à défendre ou tordeurs de réalités à démasquer, plus que jamais, les médias nourrissent
les débats. Une ambivalence constante que le théâtre se plaît à mettre en scène avec « Les témoins », qui se
joue depuis novembre à la Manufacture des Abbesses à Paris. Une fiction est plus concrète qu’une discussion
théorique. C’est le risque d’une société sans liberté de la presse que Yann Reuzeau, auteur et metteur en scène
audacieux, a voulu appréhender dans Les témoins. La Chute d’une nation, sa précédente pièce politique,
dépeignait les conditions de l’arrivée au pouvoir d’un président d’extrême droite dans une démocratie malade.
Sans en être la suite, Les témoins confronte la rédaction d’un site d’information réputé sérieux, impartial et
indépendant, à ce nouveau régime aux discours et méthodes fascistes. Si le public ne le voit jamais, Thomas
Mérendien, le nouvel hôte de l’Elysée, s’invite à toutes les conférences de réaction des « Témoins », le titre du
journal, dont le public assiste à la lente agonie. Catherine (Sophie Vonlanthen), la rédactrice en chef adjointe, a
beau reprendre en main une équipe qui s’entre-déchire en multipliant les enquêtes dérangeantes, le nouveau
pouvoir n’hésite plus à utiliser les moyens de l’Etat contre la presse, érigée en ennemi public.
Avec crédibilité et efficacité, Yann Reuzeau montre comment les journalistes, selon leurs personnalités et
convictions, essayent de gérer cette situation politique inédite, entre résistance, relative allégeance ou passage à
l’action. En passant deux jours à la rédaction de Libération pour préparer la pièce et observer comment les
journalistes interagissent, explique l’auteur, je me suis rendu compte que la plupart n’avaient pas réfléchi à ce
qu’ils feraient si l’extrême droite arrivait au pouvoir. S’ils savent que ça peut arriver, il n’est pas simple de s’y
confronter. Une fiction est plus concrète qu’une discussion théorique. »
C’est le risque d’une société sans liberté de la presse que le metteur en scène Yann Reuzeau a voulu
appréhender dans « Les Témoins ».

Elle
Un candidat d’extrême droite porté à la tête de la nation : de la science-fiction ? et pourquoi pas, hélas…
Face à un tel séisme, les journalistes du site « Les Témoins » se déchirent. Quelle attitude adopter ? Avec les
informations explosives dont ils disposent (une histoire d’espionnage industriel qui met en cause un futur
ministre, un groupe de résistance armée, les compromissions d’un pays ami qui pourraient mener à une
guerre…), doivent-ils foncer tête baissée ? Rester prudents ? Et comment préserver leur indépendance à toute
force ? Petit à petit, la menace contamine et désagrège le groupe, tout comme le décor se désintègre peu à
peu… Avec cette fable noire aux allures de feuilleton haletant, Yann Reuzeau met une fois de plus tout son
talent dans l’observation du monde tel qu’il va, c’est à dire mal. Malin et rythmé, son texte évite habilement les
clichés et le manichéisme. Les dialogues survoltés et les comédiens habités (Sophie Vonlanthen impressionne en
chef de troupe d’une détermination à toute épreuve) nous embarquent jusqu’au bout d’un cauchemar
diabolique. Soufflant.
 
La Dispute, France Culture
Un spectacle vraiment intriguant. Une écriture extrêmement fine. On est totalement pris. Il y a une belle
efficacité dans la compression de la narration, resserrée autour de la montée au pouvoir d’un Président
d’extrême droite. Les dilemmes du spectacle font écho à des cas très concrets aujourd’hui, comme aux Etats-
Unis ou au Brésil. La pièce arrive à point nommé.
 
La Terrasse
Dans le sillage de  Chute d’une nation,  Yann Reuzeau explore de nouveau la fragilité des démocraties. En
plantant sa nouvelle création dans le quotidien d’une salle de rédaction alors qu’un président d’extrême-droite
vient de se faire élire, il pose des questions terriblement troublantes.
Les Témoins commence là où finissait  Chute d’une nation, la pièce écrite par Yann Reuzeau en 2010 : par
l’élection d’un président d’extrême-droite, Thomas Mérindien. Comment rendre compte de cet événement quand
on est un journal intègre mais sans ligne politique, un journal qui vise à donner des faits et non des opinions ?
Est-il possible pour ce journal, baptisé  Les Témoins, de traiter cette élection comme s’il s’agissait d’une
alternance ordinaire ? Dès le début de la pièce, plantée dans une salle de rédaction, les journalistes s’opposent.
L’un est favorable à un appel à l’insurrection, un autre pense qu’ils doivent rester sur la ligne objective qui fait
leur force, etc. Tous s’engueulent, se coupent la parole, s’invectivent : on sent d’emblée qu’il va être difficile
pour le journal de garder son unité et son éthique. Faut-il publier les investigations relatives à des affaires
susceptibles de déstabiliser le nouveau pouvoir en place ? Faut-il taire des faits susceptibles de fracasser la vie
personnelle de certains journalistes ? Alors que plane la menace d’une loi visant à tuer la liberté de la presse, les
problématiques deviennent de plus en plus pressantes, de plus en plus aiguës. Chaque personnage se retrouve
face à lui-même et se transforme.
Le talent de Yann Reuzeau, comme dans son précédent  opus, est de multiplier les questions politiques et
humaines autour de la fragilité des démocraties en puisant dans notre quotidien (fake news, protection des
sources, radicalisme de certains écologistes…), ce qui rend les situations particulièrement réalistes, et leur
possibilité réellement tangible. Sur un rythme vif et avec des dialogues incisifs et un sens du suspens digne des
bonnes séries télévisuelles, l’auteur et metteur en scène arrive à composer une pièce complexe où chaque
personnage (joué par une très bonne équipe de comédiens), se retrouve face à lui-même et se transforme. La
scénographie aide à rendre lisible la marche impitoyable vers la dictature, grâce à la projection sur un écran des
Unes du site internet ou des articles que les journalistes commencent à écrire. Au fur et à mesure de la pièce, la
solide salle de rédaction se fissure jusqu’à voler en éclat, au sens propre. Comme les illusions des journalistes
qui finissent tous par prendre conscience qu’il est impossible de rester neutre dans un monde qui devient
fasciste. Et que peut-être, il était déjà insensé de croire cette neutralité possible quand il n’était pas encore trop
tard.

Froggy’s delight
Une mise en perspective réussie et passionnante par le prisme du microcosme journalistique avec un tsunami
qui s'abat sur le journal "Les Témoins" pour engager son pronostic vital. Une (im)pertinente et passionnante
réussite.
 
Web Théâtre
Le spectacle a du nerf, de l’actualité, de la percussion, de la richesse politique.Un écran affiche sans cesse de
nouveaux articles, aux titres vigoureux, rythmant le spectacle, Frédéric Andrau joue deux personnages avec une
remarquable habileté intériorisée. Frédérique Lazarini incarne une journaliste adroite, différente, véhémente,
dont elle fait saillir toutes les qualités et tous les défauts (pas toujours commodes, les journalistes !). Tewfik
Snoussi et Morgan Perez donnent un relief immédiat à des personnages centraux et se démultiplient en rôles
épisodiques. Marjorie Ciccone traduit très bien la situation complexe de femmes qui restent au deuxième plan de
la vie et de l’information.
 
Fou de théâtre
Une pièce-choc, coup de poing, politique, indispensable qui élève le débat et donne l’envie de parler, de
discuter. Tout est fabuleusement affreux, le texte, splendide est d’une violence désespérante.
 
Théâtre côté cœur
Passionnant ! Un récit captivant, haletant, parfois sidérant. Les comédiens nous touchent par leur
questionnement, leurs doutes, leurs dilemmes, leurs batailles intérieures, leur cheminement intellectuel.On
espère qu'il y aura une suite ! Un spectacle fascinant.
 
Le Bruit du Off
Eprouvant ! Reuzeau nous fait la grâce de ne sombrer dans aucun cliché. Une implacable démonstration de
puissance du théâtre. Le texte pourrait s’inscrire parmi les quelques lumineuses dystopies qui ont traversé la
modernité. Reuzeau va plus loin que ces réalités qui nous inquiètent. Il pousse le vice. Il joue avec les
mémoires. C’est du Tarantino trempé dans le doux-amer, un Audiard grave. C’est jouissif, presque purificateur.
Les comédiens sont applaudis dans une sorte d’hébètement par un public soufflé, dans un silence grave et
stupéfait, avec solennité aussi. Il se passe quelque chose d’important à la Manufacture des Abbesses en ce
moment.
 
Le Galopin
Comme l'était Chute d'une nation, Les témoins est un spectacle passionnant. Du théâtre qui questionne avec
intelligence et fait réfléchir. Je vous le recommande vivement.

Fréquence Paris Plurielle


Une pièce qui nous fait naviguer entre le cœur et le cerveau de manière fort utile.
Les arts et des mots
L’auteur-metteur en scène continue de surprendre et de captiver son public par la richesse et la pertinence de
son propos. L’interprétation des comédiens est remarquable et la mise en scène nous plonge au cœur de la
rédaction du journal et des enjeux cruciaux qui s’imposent. Une pièce fascinante. Un cri d’alarme d’une actualité
saisissante.

50-50 magazine
La nouvelle pièce de Yann Reuzeau, Les Témoins, nous invite à nous poser des questions urgentes sur la fragilité
de la démocratie.
Alors qu’un Président d’extrême droite est porté au pouvoir par les urnes, la pièce nous plonge dans le rédaction
d’un journal où l’intégrité et le professionnalisme de ses journalistes sont mis en question. Yann Reuzeau nous
plonge dans un univers paritaire où la parole des femmes vaut celle des hommes, ce qu’il n’a guère constaté
dans la vraie vie où les rédacteurs en chef sont presque tous des hommes, surtout dans les rubriques les plus
prestigieuses.
Dans la pièce, trois femmes et trois hommes défendent leur métier avec la même conviction et la même
intensité, il n’y a pas de hiérarchie genrée ni sujets « féminins » ou « masculins ». Chaque personnage essaie de
trouver sa voie mais la tension monte et malgré le courage et la détermination de la rédactrice en chef, jouée
par Sophie Vonlanthen, le journal semble voué à perdre son âme ou à se désintégrer…
Cette pièce portée par l’énergie inquiète de ses comédiennes nous permet de questionner l’importance d’une
presse libre et indépendante, un des piliers de la démocratie qui permet à tous et toutes de développer sa
culture politique et son esprit critique. Il est urgent de ne pas le confondre avec la liberté de dire ou montrer
n’importe quoi sur internet.

Artistik Rézo
Ils sont comme ça les spectacles de Yann Reuzeau : électriques, haletants, en phase avec l’air du temps. Fable
rugueuse aux airs de dystopie parfaitement maîtrisée, sa nouvelle pièce, Les Témoins, nous plonge dans les
coulisses d’un journal aux prises avec un pouvoir d’extrême droite. Un précipité incandescent sur la fragilité de
nos démocraties.
Un dramaturge de convictions
Après une série de spectacles dopés au Red Bull (La Secte, Les Débutantes, Monsieur le Président, Puissants et
Miséreux  et surtout le saillant  Chute d’une nation, magistrale fresque théâtrale et politique encensée par la
critique et le public en 2011, Yann Rezeau est de retour aux affaires. Son nom ne vous dit rien ? Le garçon
possède pourtant déjà un sacré pédigrée. Celi d’un activiste de la scène gérant une salle de théâtre dédiée à la
création contemporaine (La Manufacture des Abbesses dont il est le co-fondateur avec Sophie Vonlanthen depuis
2006), jonglant avec de multiples projets tels que  Mécanique instable(2013-14), l’exploitation fleuve de  Chute
d’une nationrepris en 2015 au Théâtre du Soleil à l’invitation d’Ariane Mnouchkine, la création au même moment
de  De l’Ambition, suivie de  Criminel  en 2017-18 (inspiré de l’affaire Jacqueline Sauvage, joué à Paris et au
Festival d’Avignon 2018-2019), tout en glanant au passage de jolies récompenses dont le Prix Beaumarchais du
Meilleur Auteur ou encore le Prix Charles Oulmont ! Mais Reuzeau, c’est avant tout un jeune dramaturge de
convictions qui rencontre son époque, la percute avec un œil vif et acéré. Et parce qu’il vit dans un monde
anxiogène dont il refuse de subir les oukases sans broncher, il l’invite sur ses plateaux pour l’ausculter,
continuant de nous surprendre avec des créations toujours plus éruptives. Pour preuve : cette politique fiction
cinglante comme une gifle à la dignité humaine.
Avis de tempête sur la liberté de la presse
Que se passe-t-il quand la presse est violentée par la politique ? Après  Chute d’une nation, les Témoinsouvre
comme une plaie béante la question d’une société sans liberté de la presse avec une saisissante scène
d’ouverture. Plongés au cœur d’une conférence de rédaction dans les locaux du site d’information  Les Témoins,
on y voit six journalistes confrontés à un violent tsunami : l’élection présidentielle a été remportée par un
candidat de l’extrême droite.  Quel avenir pour ce quotidien influent à la ligne claire : pas d’opinions, juste des
faits ? La pièce part directement des cendres. Zéro illusion. Il ne s’agit pas d’une simple alternance : le journal
est désormais l’ennemi à abattre. Dans cette ambiance implosive, l’auteur-metteur en scène a installé une
galerie de personnages mémorables. En première ligne : Catherine, la rédactrice en chef, chargée de se battre
pour préserver leur éthique et leur détermination. Un casse-tête : tandis qu’une loi met à mal la liberté de la
presse, la rédaction enquille les enquêtes dérangeantes (projet de terrorisme écologique, scandale sanitaire…) et
s’embrase, dessinant un écheveau complexe d’opinions et une sorte d’éventail des comportements humains : tel
collège décidant de rester sur la ligne objective qui    fait leur force, tel autre étant favorable à l’insurrection.
Embarqué dans ce puissant rouleau qui engloutit tout et nous laisse sur le sable étourdi, on assiste in vivo à la
désagrégation de ce journal qui enchaîne les crêtes émotionnelles comme un grand huit et souligne ce qui
pousse les êtres à se révéler ou à se flétrir.
Une ébouriffante fiction politique
Il en résulte un cyclone émotionnel, pas une pièce de plus non, du théâtre à haut degré d’octane, rythmé
comme un thriller survolté, qui vous happe d’emblée pour ne plus vous lâcher deux heures durant. A la
radiographie minutieuse d’une dictature en marche, s’ajoute un sens du récit époustouflant, une mise en scène
organique et des ping-pongs de haute volée. Comme d’habitude, Reuzeau aligne une sacrée martingale de
comédiens et les équipes de dialogues percutants. Véritables blocs d’énergie et de pure présence, Frédéric
Andrau, Marjorie Ciccone, Frédérique Lazarini, Morgan Perez, Tewfik Snoussi et Sophie Vonlanthen, livrent ici
une performance de compétition dans un décor qui se fracasse au fil des différents dilemmes. Coup de pouce
levé également pour la scénographie immersive (Goury) avec comme cœur radioactif, un écran affichant en
continu les Unes et pages du journal. Alors oui, il faut s’accrocher parce que ça fuse, ça file et ça hurle parfois
jusqu’à l’hyperventilation ! Reste que ce jeu en surrégime trouve ici sa pleine nécessité : avec son brut de
décoffrage et sa façon d’injecter une urgence qui imprime chaque scène, Reuzeau offre une grille de
compréhension bienvenue (et documentée) pour appréhender la menace d’une désintégration de l’état de droit.
Frontalement mais sans simplifications maladroites. Un appel à l’éveil des consciences et à s’interroger sur le mot
liberté.

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