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DÉVELOPPEMENT EN FRANCE
Fabrice Béline, Pascal Peu, Patrick Dabert, Anne Trémier, Gaëlle Le Guen et Armelle
Damiano
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De nombreux pays européens s’accordent sur le fait que la méthanisation est un réel atout
pour le développement durable. Les différentes approches qu’ils mettent en œuvre sont autant
de modèles intéressants à étudier. En effet, quelles prises de positions par rapport aux points
positifs et négatifs de ce procédé dénotent ces choix ? Dans quelle mesure permettent-ils une mise
en perspective constructive pour l’avenir de la méthanisation ?
Historique et contexte de la méthanisation et Albagnac, 1978 ; Juste et al., 1981 ; Aubart et al., 1983 ;
Delafarge et al., 1983). Cependant, la politique énergé-
Le biogaz est connu depuis longtemps et semble avoir
tique française a rapidement entraîné un déclin de ce
été utilisé au Xe siècle avant J.-C. pour chauffer les
procédé et la méthanisation a alors connu une traversée
bains en Assyrie (Lusk, 1998). Toutefois, c’est à partir
du désert de plus de vingt ans. Récemment, face à la pro-
du XVIIe siècle que les scientifiques ont commencé à
blématique « effet de serre », à l’augmentation récente du
s’intéresser au processus de méthanisation, également
coût de l’énergie, à la volonté de produire de l’énergie
appelé digestion anaérobie. Ainsi, à cette époque,
renouvelable et à la prise de conscience collective du
Boyle et Papin ainsi que Van Helmont découvrirent
concept de développement durable, de nouveaux para-
que la décomposition des corps animaux et des plantes
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0,20 e/kWh dans le meilleur des cas (tableau ). À cela Ces unités valorisent les effluents d’élevage (lisiers,
s’ajoute également la création récente d’un cadre spé- fumiers) auxquels d’autres co-substrats organiques
cifique permettant l’injection du méthane issu des uni- peuvent être ajoutés :
tés de méthanisation dans le réseau de gaz naturel et la • déchets de collectivités (déchets verts, déchets des sta-
reconnaissance de la méthanisation comme une activité tions d’épuration – boues notamment…),
agricole (loi de modernisation de l’agriculture et de la • déchets industriels (déchets ou co-produits d’indus-
pêche). Les modèles de développement de la méthani- tries agroalimentaires principalement).
sation française restent encore à préciser mais il existe De plus, avec les enjeux actuels de production d’énergie
un consensus politique pour que ce procédé s’applique renouvelable et dans un contexte agricole en pleine évo-
principalement aux déchets et surtout ne vienne pas lution, une problématique forte émerge autour de l’utili-
concurrencer, en ce qui concerne les intrants, la pro- sation de cultures dédiées à la production de biogaz. Ces
duction de fourrages ou d’aliments. Ainsi, ce procédé se cultures peuvent être de deux types :
développe autour de quatre principaux flux de déchets
• des cultures énergétiques conventionnelles parmi
et effluents organiques : les biodéchets ménagers et les
lesquelles se trouvent le maïs ensilage, le sorgho et les
ordures ménagères résiduelles, les déchets et coproduits
betteraves ;
organiques de l’agriculture, les déchets organiques des
agro-industries et les boues issues des unités de traite- • les cultures dérobées, essentiellement cultivées entre
ment des eaux usées. deux cultures principales, parmi lesquelles on retrouve
des plantes produisant une quantité importante de bio-
En milieu rural, une quarantaine d’installations de
masse sur des cycles courts telles que le ray-grass, le
méthanisation étaient en fonctionnement en 2011 (cf.,
trèfle, l’avoine, la phacélie, la moutarde, les radis, les
dans ce même numéro, l’article de Béline, page 28 et
féveroles, le colza, etc.
l’article de Leguen et Damiano, page 30).
Analyse comparative de différentes expériences européennes de développement de la méthanisation agricole et territoriale (données 2009-2010).
Méthanisation ISDND
Puissance Tarif de base Puissance Tarif de base
Pour les installations de stockage maximale installée (ce/kWh) maximale installée (ce/kWh)
des déchets ménagers (ISDND) valorisant
le biogaz produit, le tarif dépend ≤ 150 kW 13,37 ≤ 150 kW 9,745
uniquement de la puissance installée 300 kW 12,67 ≥ 2 000 kW 8,121
et varie de 0,081 à 0,097e/kWh.
500 kW 12,18
Pour les installations de méthanisation Pour tout : interpolation
proprement dites, le tarif dépend 1 000 kW 11,68
linéaire entre les valeurs
également de la puissance installée mais
≥ 2 000 kW 11,19
aussi de la quantité d’effluent d’élevage
utilisée comme intrant et de l’efficacité
énergétique de l’installation +
en termes de valorisation de l’énergie Prime effluents d’élevage Ef (% d’effluents) Valeur de Pr
produite par le biogaz. Le tarif peut ainsi P max Pr max Selon : ≤ 20 % 0
varier de 0,112 à 0,20 e/kWh.
≤ 150 kW 2,6 ≥ 60 % Pr max
≥ 1 000 kW 0
+
Valeur de l’efficacité énergétique V Prime M (ce/kWh)
V ≤ 35 % 0
!
Hors chauffage digesteur,
35 % < V < 70 % interpolation linéaire hygiénisation...
V ≥ 70 % 4 (process amont)
Chaque catégorie de substrat comporte des avantages et Au niveau procédé, bien que de nombreux procédés
inconvénients spécifiques à son utilisation dans le pro- existent pour mettre en œuvre les processus de métha-
jet de méthanisation. Les effluents d’élevage (les lisiers nisation dans une dimension industrielle, les réacteurs
notamment) s’avèrent être des substrats intéressants car de première génération à biomasse libre dont les plus
ils apportent l’ensemble des nutriments nécessaires au répandus sont les CSTR (Continuous Stirred Tank Reac-
développement des micro-organismes responsables de tor, ou réacteurs continus « infiniment mélangés ») sont
la digestion anaérobie. De plus, les lisiers ont un fort appliqués de manière quasi exclusive en milieu rural car
pouvoir tampon et permettent ainsi de stabiliser le pH ils sont parfaitement adaptés aux intrants concentrés et
du digesteur, ce qui est un atout majeur de stabilité complexes rencontrés dans ce contexte (Ernst et Young,
du procédé. Enfin, ils peuvent également permettre de 2010).
diluer des produits solides ou pâteux, facilitant ainsi En conditions de fonctionnement optimal, la méthanisa-
la manipulation des déchets solides et améliorant leur tion génère un biogaz composé en majorité de méthane
digestibilité (Angelidaki et Ahring, 1997). Cependant, (55 à 70 %) et de dioxyde de carbone (45 à 30 %). Il
l’inconvénient majeur de la méthanisation des effluents diffère ainsi du gaz naturel par sa forte teneur en CO2 et
d’élevage est la faible teneur en matière organique des par la présence de constituants chimiques indésirables
produits à traiter (notamment pour les lisiers qui sont des tels que la vapeur d’eau, l’ammoniac et l’hydrogène
produits dilués) couplée à une faible biodégradabilité de sulfuré (Peu et al., 2012) qui peuvent conditionner sa
cette matière organique. Ainsi, le potentiel méthanogène valorisation en tant qu’énergie renouvelable. Bien que
des déjections ramené à leur volume est relativement différentes voies de valorisation existent (combustion,
faible (5-30 Nm3CH4/tonne) et l’ajout de co-substrats injection dans le réseau de gaz, biogaz carburant…),
présentant des potentiels plus élevés est le plus souvent le biogaz produit lors de la méthanisation agricole
nécessaire pour assurer la rentabilité économique de tels est actuellement majoritairement valorisé à l’aide de
systèmes. En fonction de leurs caractéristiques (teneur en moteurs de cogénération permettant de produire de
matière sèche, biodégradabilité, type de matière orga- l’électricité et de la chaleur. Cette technique permet de
nique…), le potentiel méthanogène des autres substrats transformer 30-35 % de l’énergie primaire contenue dans
organiques peut varier de valeurs proches de celles des le biogaz en électricité et environ 50 % en énergie ther-
déjections animales (boues de station d’épuration, par mique (rendement global de l’ordre de 80-85 %). Pour
exemple) jusqu’à des valeurs pouvant atteindre 200 à valoriser l’électricité produite, la solution la plus simple
300 Nm3CH4 par tonne de substrat pour des graisses ou et la plus rentable économiquement consiste à l’injecter
des déchets de viande. Parmi tous les co-substrats envi- dans le réseau électrique grâce à un contrat d’achat avec
sagés, l’utilisation des cultures énergétiques conven- EDF (Électricité de France). La valorisation de la chaleur
tionnelles pose des questions quant à leur concurrence produite lors de la cogénération est systématiquement
vis-à-vis des cultures à vocation alimentaire et à leur ren- une des clefs de la rentabilité des projets alors même
tabilité économique. De plus, le monde agricole français que de lourdes contraintes pèsent sur son utilisation : sai-
tient à ce que ses productions restent prioritairement à sonnalité de certains besoins, nécessité d’un utilisateur à
vocation alimentaire. Contrairement aux cultures énergé- proximité, absence de tarif d’achat garanti…
tiques conventionnelles, les cultures dérobées semblent
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mination « digestat » était définie dans les normes exis- rieur ainsi que les émissions qui en découlent. Ainsi, les
tantes pour les matières fertilisantes, les caractéristiques émissions des principaux composés malodorants (acides
de ces digestats ne répondraient pas aux spécifications gras, hydrogène sulfuré…) lors du stockage et de l’épan-
des produits définis par ces normes. Ainsi, la teneur en dage des digestats sont inférieures à celles observées pour
matière organique sur matière brute des digestats est sou- les mêmes déchets non méthanisés. Cette réduction des
vent inférieure aux spécifications minimales des amen- émissions des principaux composés malodorants conduit
dements organiques (MO > 20 % MB). Par ailleurs, les généralement à une réduction des odeurs même s’il est
teneurs sur matière brute en éléments fertilisants peuvent difficile de la quantifier précisément. Par contre, sur le
s’avérer inférieures aux spécifications minimales de la lieu de méthanisation, l’apport et le stockage avant la
norme définissant les engrais (N + P + K > 7 %) (Teglia méthanisation de différents déchets organiques peuvent
et al., 2011). Afin d’apporter un statut de « produit » aux être des sources importantes d’odeurs.
digestats, il sera donc nécessaire de leur appliquer un Au niveau agronomique, le principal avantage de la
post-traitement adéquat ou au contraire de prouver leurs méthanisation est de conserver les éléments nutritifs et de
effets agronomiques bénéfiques et leur innocuité en vue les rendre sensiblement plus bio-disponibles. Au niveau
de l’établissement d’une norme spécifique. de l’azote, on observe ainsi une production d’azote
minéral (NH4+) et de phosphore minéral. Cependant, ce
Impacts environnementaux, agronomiques gain de potentiel fertilisant est à modérer par le fait :
et sociétaux •• qu’une partie de cette minéralisation se déroule
lors du stockage des déjections même en l’absence de
La valorisation énergétique du méthane produit par le
méthanisation,
procédé de méthanisation permet de produire une éner-
gie renouvelable qui peut se substituer aux énergies fos- •• que la perte d’azote bio-disponible sous forme d’am-
moniac est sensiblement plus élevée pour un produit
siles. Le bilan carbone de cette énergie est neutre car le
méthanisé,
carbone organique des déchets et résidus est issu de la
photosynthèse du CO2 atmosphérique et est converti en •• que la valeur fertilisante du digestat n’est pas directe-
CH4 et CO2 avant de retourner dans l’atmosphère sous ment liée à sa teneur en phosphore minéral car une par-
forme de CO2 quand le biogaz est transformé en électri- tie de ce phosphore précipite sous forme de phosphate
cité et/ou chaleur. de calcium, struvite…
La méthanisation des déchets organiques est également De plus, l’utilisation d’engrais minéraux à la place des
un procédé reconnu pour réduire les émissions de gaz déjections n’étant pas liée qu’à l’efficacité du produit
à effet de serre liées à leur gestion. En effet, le procédé mais également à sa nature globale, l’augmentation
permet de capter et de valoriser le CH4 produit lors de de la valeur fertilisante du digestat et la substitution
la dégradation anaérobie de la matière organique conte- d’engrais qui en découle reste, à ce stade, très dépen-
nue dans ces déchets et ainsi, il permet d’empêcher les dante du contexte et les résultats de la littérature sont
émissions de CH4 vers l’atmosphère qui se produisent contradictoires.
naturellement au cours du stockage des déchets et plus
particulièrement lorsqu’il s’agit de déjections animales.
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substrats utilisables, aussi bien au niveau énergétique Enfin, lorsque l’on se place à l’échelle du territoire, il
qu’au niveau de la composition chimique, ne sont pas est nécessaire d’avoir une vision globale des gisements
toujours bien connues. De même, l’impact des mélanges et des contraintes pour faire une analyse du système et
et des interactions entre substrats n’est pas toujours bien prendre en compte tous les impacts potentiels et trouver
maîtrisé. D’un point de vue économique, au-delà de la le compromis optimal.
nécessité de mélanger différents substrats, l’efficacité
énergétique de l’installation est également un critère
d’influence important du fait de la prime. L’optimisation
de la valorisation du méthane produit, et consécutive-
ment, des énergies produites à partir de ce méthane, est Les auteurs
ainsi un enjeu majeur. Fabrice BELINE, Pascal PEU, Patrick DABERT et Anne TRÉMIER
Au niveau des impacts environnementaux, même si la Irstea, centre de Rennes, UR GERE
Gestion environnementale et traitement biologique des déchets
bibliographie est unanime sur le potentiel de réduction
17 Avenue de Cucillé –CS 64427 – 35044 Rennes
des émissions de gaz à effet de serre du procédé de fabrice.beline@irstea.fr
méthanisation, il reste des controverses importantes sur pascal.peu@irstea.fr
de nombreux points : patrick.dabert@irstea.fr
•• le niveau de réduction de ces gaz à effet de serre anne.tremier@irstea.fr
notamment vis-à-vis des émissions de N2O, Gaëlle LE GUEN et Armelle DAMIANO
AILE, Association d’initiatives locales pour l’énergie
•• l’impact de la méthanisation sur les émissions et l’environnement
d’ammoniac, 73 rue de Saint-Brieuc – CS 56520 – 35065 Rennes Cedex
•• l’impact de la méthanisation sur la qualité agrono- gaelle.le-guen@aile.asso.fr
armelle.damiano@aile.asso.fr
mique des produits.
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